Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaire :
M. Marc Massion.
2. Candidatures à un organisme extraparlementaire
4. Avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile. – Discussion d’une question orale avec débat
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question ; Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Claude Danglot, Gérard Cornu, Mme Anne-Marie Escoffier, M. Martial Bourquin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Bel.
MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation ; Jean-Pierre Sueur.
Clôture du débat.
5. Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
6. Avenir des services publics dans les zones rurales. – Discussion d’une question orale avec débat
MM. le président, Guy Fischer.
MM. Simon Sutour, auteur de la question ; Jacques Blanc, Gérard Le Cam, Raymond Vall, Pierre-Yves Collombat, Mme Anne-Marie Escoffier.
MM. Alain Fauconnier, Claude Biwer.
MM. Hubert Falco, secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire ; Simon Sutour.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
7. Bouclier fiscal. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : MM. Thierry Foucaud, auteur de la proposition de loi ; Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances ; André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique.
MM. Jean-Pierre Fourcade, Yvon Collin, Mmes Nicole Bricq, Annie David.
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l'article 1er
Amendement n° 15 de M. Yvon Collin. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le secrétaire d'État, Bernard Vera. – Retrait.
MM. Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Bernard Vera, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Odette Terrade, MM. Jean-Claude Frécon, Jean Arthuis, président de la commission des finances ; le rapporteur, Mme Nicole Bricq, MM. Guy Fischer, le président, Yvon Collin.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
Articles additionnels avant l'article 2
Amendement n° 1 de Mme Nicole Bricq et sous-amendement n° 17 de M. Thierry Foucaud. – Mme Nicole Bricq, MM. Thierry Foucaud, le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet du sous-amendement et de l'amendement.
Amendement n° 2 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 5 de Mme Nicole Bricq et sous-amendement n° 18 de M. Thierry Foucaud. – Mme Nicole Bricq, MM. Thierry Foucaud, le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet du sous-amendement et de l'amendement.
MM. Thierry Foucaud, le président de la commission.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
Articles additionnels avant l'article 3
Amendement n° 6 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, le secrétaire d'État, Thierry Foucaud. – Rejet.
Amendements nos 7 à 11 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet des cinq amendements.
MM. Thierry Foucaud, le président de la commission.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
Amendement n° 16 de M. Thierry Foucaud. – MM. Thierry Foucaud, le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet.
Rejet de l’article.
Mme Annie David, MM. le président de la commission.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
MM. Claude Domeizel, le président, Yvon Collin.
Article additionnel après l'article 6
Amendement n° 12 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet.
M. Thierry Foucaud.
Rejet de l’article.
Articles additionnels après l'article 7
Amendements nos 13 et 14 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, le secrétaire d'État. – Rejet des deux amendements.
L’ensemble des articles ayant été repoussés, la proposition de loi est rejetée.
8. Service d'accueil des élèves dans les communes de moins de 2000 habitants. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : Mme Anne-Marie Escoffier, co-auteur de la proposition de loi ; MM. Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale.
MM. Yvon Collin, Claude Domeizel, Mmes Jacqueline Gourault, Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Gournac.
Clôture de la discussion générale.
Mme Anne-Marie Escoffier, M. Hervé Maurey.
Amendements identiques nos 1 de M. Claude Domeizel et 4 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin ; amendement no 2 de M. Claude Domeizel. – M. Yannick Bodin, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jacques Gautier, Claude Biwer. – Rejet, par scrutin public, des amendements nos 1 et 4 ; rejet de l’amendement no 2.
Rejet, par scrutin public, de l’article unique de la proposition de loi.
9. Dépôt d’une question orale avec débat
10. Retrait d'une question orale
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaire :
M. Marc Massion.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des deux sénateurs appelés à siéger au sein du Haut Conseil de la famille.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose les candidatures de Mme Claire-Lise Campion et M. André Lardeux pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Première application de la journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires
M. le président. Mes chers collègues, nous abordons notre première journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires en application des nouvelles dispositions de l’article 48 de la Constitution entrées en vigueur le 1er mars.
Quatre groupes bénéficient de cette journée : les deux groupes qui se sont déclarés d’opposition, les groupes socialiste et CRC-SPG, et les deux groupes qui se sont déclarés minoritaires, les groupes Union centriste et RDSE.
La conférence des présidents a réparti entre ces groupes quatre sujets par séance jusqu’au 30 juin.
Pour cette première journée, nous aurons deux questions orales avec débat, proposées par le groupe socialiste, et deux propositions de loi inscrites respectivement à la demande du groupe CRC-SPG et du groupe RDSE.
Pour la discussion de ces propositions de loi, dans l’esprit des nouvelles dispositions constitutionnelles, les présidents de groupe et de commission se sont accordés au sein de la conférence des présidents pour ne pas adopter de « conclusions négatives » qui couperaient court à la discussion des articles.
Ils ont ainsi souhaité garantir au mieux la priorité constitutionnelle reconnue aux groupes bénéficiaires de cette journée réservée.
Pour autant, afin de respecter les droits de l’ensemble des groupes, il conviendra qu’aucun sujet ne dépasse significativement le module de deux heures sur lequel la conférence des présidents s’est arrêtée.
L’expérience nous dira si la formule retenue est bien de nature à faire vivre harmonieusement le pluralisme dans notre assemblée.
4
Avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile
Discussion d’une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 28 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur à Mme la ministre de l’industrie, de l’économie et de l’emploi sur l’avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile.
Cette question est ainsi libellée.
« M. Jean-Pierre Sueur interroge Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur l’avenir de la filière automobile. Depuis octobre 2008, une succession de mesures destinées à la filière automobile ont été annoncées, que ce soit sur le plan national ou sur le plan européen.
« Le Gouvernement vient de présenter un nouveau plan de relance dont un volet serait consacré à la mise en œuvre du “pacte automobile” annoncé le 9 février dernier. Celui-ci se traduit notamment par l’octroi de 6,5 milliards d’euros aux constructeurs automobiles afin de leur permettre de financer leurs projets stratégiques et par une subvention de 240 millions d’euros à OSEO afin de garantir un milliard d’euros de prêts supplémentaires aux sous-traitants automobiles.
« On peut se féliciter de ce que le Gouvernement prenne enfin la mesure de la gravité de la crise du secteur et du risque qui pèse sur l’ensemble de cette filière industrielle essentielle au développement économique de nos territoires.
« Mais, force est de s’interroger sur les contreparties en termes notamment de maintien des sites et de préservation de l’emploi, de conditions de travail et de salaires ainsi qu’en termes de formation professionnelle qui seront exigées des constructeurs bénéficiaires du plan de relance. La crise de la filière automobile est en effet à la croisée de questions essentielles, celle de la préservation des emplois, celle d’une meilleure indemnisation du chômage, et celle non moins fondamentale de la formation continue.
« Dans le prolongement de ces questions, il convient également de s’interroger sur la stratégie industrielle qui sous-tend toutes ces mesures du plan de relance. Car cette crise qui concerne la préservation des bassins industriels des territoires questionne également sur les mutations profondes qu’il convient d’initier et d’accompagner dès aujourd’hui. Les constructeurs mais surtout les équipementiers et sous-traitants, acteurs essentiels de la filière automobile, souffrent énormément avec des risques de délocalisations qui deviennent chaque jour plus réels.
« Pour toutes ces raisons, il l’interroge sur les contreparties sociales que le Gouvernement pourrait exiger des constructeurs automobiles bénéficiaires des aides. Il lui semble également nécessaire d’effectuer un premier bilan de toutes les aides et de leur destination afin de pouvoir mesurer leur traçabilité et leur efficacité en termes de maintien de l’emploi et de préservation de l’ensemble de la filière automobile.
« Enfin, il souhaite également obtenir des précisions sur la stratégie industrielle pour l’ensemble de la filière automobile française et européenne qui sous-tend les plans de relance. Et, au-delà, comment le Gouvernement envisage l’avenir du secteur automobile sur le moyen et le long terme ?
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, avant d’aborder la question de l’avenir des sous-traitants et équipementiers automobiles, vous me permettrez d’évoquer la situation de l’entreprise 3M Santé, à Pithiviers.
Je tiens à dire ici, à la tribune du Sénat, à quel point l’exaspération des salariés de 3M Santé doit être comprise.
En 2008, cette entreprise mondiale a eu un résultat net de 3,46 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires de 25,269 milliards de dollars. Le bénéfice de chaque action est de 4,89 dollars.
Ce sont 110 licenciements et 44 transferts qui ont été décidés. Les salariés concernés ont vingt ans, vingt-cinq ans, voire trente ans d’ancienneté et sont très attachés à leur entreprise.
Les habitants de Pithiviers, tout comme les salariés, sont des gens calmes. Ces mouvements de désespoir et d’exaspération sont une réponse à l’incompréhension que suscitent ces licenciements dans une entreprise qui est prospère, dont les produits se vendent, qui a acquis encore très récemment d’autres structures en France et qui dégage un bénéfice considérable.
Monsieur le secrétaire d'État, je remercie M. Philippe Gustin, directeur adjoint de votre cabinet, de m’avoir reçu avec Mme le maire de Pithiviers et des représentants des salariés. Il nous a indiqué que Mme Lagarde avait écrit à la direction de cette entreprise aux États-Unis. J’espère que les efforts de Mme la ministre seront suivis d’effet. Je vous remercie de m’en tenir informé.
Il revient aux pouvoirs publics d’aider à trouver des solutions pour empêcher la fermeture de cette entreprise. Ces solutions existent. De plus, cette entreprise a les moyens financiers de revenir sur sa décision. Si cette dernière était malheureusement maintenue, il faudrait refuser les conditions indigentes aujourd’hui proposées pour le plan social : les salariés se sentent méprisés et la population est solidaire.
Cette entreprise ne constitue qu’un cas parmi beaucoup d’autres.
J’en viens maintenant à la question orale avec débat portant sur l’avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile.
Voici une liste d’une partie des équipementiers et sous-traitants du secteur automobile du Loiret, département que je connais bien pour en être l’élu : Deutsch à Saint-Jean-de-la-Ruelle, Federal Mogul dans la même commune, Faurecia à Nogent-sur-Vernisson, Hutchinson à Châlette-sur-Loing, Proma France à Gien, Sifa à Orléans, TRW à Orléans-La Source, Trouillet à Neuville-aux-Bois, Steco à Outarville, Fog à Briare, Ibiden à Courtenay, ThyssenKrupp à Amilly, etc.
Toutes ces entreprises, qui vivent de l’automobile, sont frappées par le chômage partiel ou éprouvent des inquiétudes pour leur avenir ou ont décidé de procéder à des licenciements ou même sont, pour deux d’entre elles, l’objet de décisions de fermeture.
Ce qui vaut pour le Loiret, département français moyen, vaut pour un grand nombre d’autres départements.
Mme Nathalie Goulet. L’Orne !
M. le président. La Sarthe !
M. Jean-Pierre Sueur. Effectivement, monsieur le président.
Mes collègues Martial Bourquin et Jean-Pierre Bel le confirmeront d’ailleurs au cours de leurs interventions.
Faurecia a annoncé la suppression de 1 215 emplois sur le site d’Auchel, de 219 emplois pour Plastic Omnium, de 620 emplois pour Tyco Electronics, de 300 emplois pour Key Plastics, de 300 emplois pour Molex, de 300 emplois pour Timken.
Je rappelle que, à Clairoix, Continental prévoit de licencier 1 100 salariés, alors même que les ouvriers avaient accepté de revenir à une durée de travail hebdomadaire de 40 heures, pour sauver l’emploi.
Hutchinson annonce la suppression de postes à Vierzon et à Châteaudun.
Je pourrais évoquer la situation de Mefro à La-Chapelle-Saint-Luc, celle de Bridgestone à Béthune, où 1 200 salariés ont été mis au chômage technique. Des mises au chômage technique ont également été décidées dans les usines Michelin de Clermont-Ferrand, Tours et Roanne.
Je ne poursuis pas plus avant cette énumération.
Mme Annie David. Ce serait trop long !
M. Jean-Pierre Sueur. Le sinistre qui affecte le secteur automobile est considérable. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de vous interroger, monsieur le secrétaire d'État : il faut des mesures à la hauteur de la situation.
Je poserai trois questions.
Premièrement, nous estimons que les fonds publics, comme ceux qui ne sont pas publics, affectés à la crise que traversent les sous-traitants et équipementiers du secteur automobile ne sont pas à la hauteur du problème. (M. Jean-Paul Emorine s’exclame.)
Mme Annie David. C’est sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. La France compte 300 équipementiers ; 75 % des pièces qui composent une voiture sont fabriquées par des sous-traitants.
Mme Annie David. C’est exact !
M. Jean-Pierre Sueur. Si le prêt consenti à PSA et Renault s’élève à 6,5 milliards d'euros, les sommes qui sont affectées à l’ensemble des équipementiers atteignent seulement 600 millions d'euros.
Dans de très nombreux départements français, les équipementiers automobiles constituent un facteur considérable de l’économie. Car il faut aussi mesurer les effets induits à l’échelon local ! Il n’est pas un sénateur qui ne puisse citer des exemples tirés du département qu’il représente.
Le montant accordé aux sous-traitants et équipementiers est trop faible par rapport à celui qui a été octroyé aux entreprises automobiles ; il ne permettra pas d’apporter les réponses aux questions qui se posent aujourd'hui.
Monsieur le secrétaire d'État, face à l’ampleur de la crise et aux nouvelles que nous apprenons chaque jour par le journal ou la radio, alors même que l’action publique doit se fixer des priorités et le Gouvernement procéder à des choix financiers, ne pensez-vous pas que la première des priorités consiste aujourd'hui à dégager plus de moyens pour les équipementiers du secteur automobile ?
Deuxièmement, quelles contreparties en termes d’emplois exige l’État en échange des aides qu’il attribue et qui, à notre sens, doivent être beaucoup élevées ? Nous avons posé cette question pour Renault et PSA, nous la posons aujourd'hui pour les équipementiers. Par ailleurs, une entreprise, c’est bien sûr un président et des dirigeants, mais c’est aussi et d’abord des salariés !
Il faut associer les représentants des salariés et les partenaires sociaux aux plans qui sont mis en œuvre. C’est pourquoi nous ne pouvons accepter un certain nombre de procédures et de méthodes, qui provoquent la colère et l’exaspération.
Mme Annie David. La désespérance !
M. Jean-Pierre Sueur. Troisièmement, dans quelles conditions sera mis en œuvre le pacte automobile pour les sous-traitants et les équipementiers ?
Je citerai plusieurs déclarations pour appuyer mes propos. Je commencerai par l’une de vos interventions à l'Assemblée nationale, monsieur le secrétaire d'État. Je trouve que vous avez bien parlé ! (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Cela commence mal ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. « La sous-traitance est en quelque sorte victime d’une double peine : le ralentissement du marché et le déstockage des constructeurs » [...] « Là où le marché [des constructeurs] est à environ moins 10 %, les sous-traitants sont plutôt autour de 30 % à 40 %. »
Cette analyse est juste. Il faut en tirer les conclusions par rapport aux deux premiers points que j’ai mentionnés et par rapport à la question des procédures.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, je crains que les procédures que vous avez mises en place pour le plan équipementier et sous-traitant ne soient pas adaptées, en dépit des efforts qui sont déployés.
Pour ce qui est des crédits d’OSEO, « la garantie ne pourra être accordée – je cite les termes du pacte automobile – qu’aux entreprises fondamentalement saines et qui en tout état de cause n’étaient pas en difficulté financière avant l’été 2008 [...] Cette condition vise à garantir l’efficacité de la dépense publique et à ne pas retarder les éventuelles restructurations nécessaires pour consolider la filière. » N’est-ce pas trop restrictif ?
M. Gilles Michel, directeur général du fonds stratégique d’investissement, affirme que le fonds interviendra auprès des entreprises « qui ont le meilleur potentiel technique – malheur à celles qui n’ont pas le meilleur potentiel technique ! –, le meilleur potentiel de croissance, d’exportation, de savoir-faire pour émerger à la sortie de la crise comme des entreprises de référence dans leur segment ». « L’objectif est d’accompagner les entreprises de la filière automobile dans la restructuration, la réorganisation inévitable. Nous choisirons celles qui ont la meilleure chance d’être viables et rentables. Dans le choix de ses investissements, le fonds aura la préoccupation de leur activité industrielle en France et de leur gouvernance. »
En d’autres termes, la priorité sera accordée aux entreprises qui bénéficient d’une lisibilité à cinq ans quant à leur développement. Or, les dirigeants et les salariés d’un grand nombre de ces entreprises qu’on interroge dans mon département ou ailleurs s’avouent bien incapables de prévoir la situation de leur entreprise dans trois, quatre ou cinq ans, quelquefois même dans un an ou dans six mois !
Si les critères établis sont trop sophistiqués ou trop sélectifs, les entreprises qui aujourd'hui vont mal ne pourront pas aller mieux !
Le directeur adjoint du fonds de modernisation des équipementiers automobiles, que j’ai rencontré la semaine dernière à la préfecture du Loiret, m’a affirmé que trente dossiers avaient été recueillis et étaient actuellement en cours d’examen. Peut-être me confirmerez-vous ce chiffre, monsieur le secrétaire d'État. Toujours est-il que trente dossiers, cela représente 0,3 dossier par département !
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Or tous les départements sont touchés par ce problème : si on examine seulement 0,3 dossier par département, on est loin du compte !
Sur le site Le Monde du jeudi 26 mars, à la rubrique Économie, un article intitulé « Un fonds pour aider les sous-traitants » apporte l’information suivante : « Dossiers sélectionnés. Un seul dossier a été instruit. [...] Deux autres dossiers d’équipementiers seront étudiés prochainement. »
Il est urgent, monsieur le secrétaire d'État, premièrement, d’augmenter le fonds, deuxièmement, d’associer l’ensemble des partenaires, troisièmement, de mettre en place des critères beaucoup moins sélectifs, afin de passer le très difficile cap actuel.
Pour ce faire, je vous incite à mettre en œuvre un circuit très court, qui permettrait d’aider les entreprises à présenter leurs dossiers dans les préfectures de nos départements et de nos régions. Il faut également que l’examen des dossiers par votre ministère ait lieu très rapidement. Ainsi, sera engagée l’indispensable mobilisation des pouvoirs publics face aux difficultés et aux drames si préoccupants pour ce secteur et pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mes propos vont dans le prolongement de l’intervention de M. Sueur et, si je puis dire, dans un prolongement géographique.
Comme notre collègue l’a rappelé, les difficultés des équipementiers automobiles sont visibles sur le terrain, et l’annonce de la baisse des ventes par les constructeurs automobiles de 13 % au mois de février ne fait que renforcer notre crainte.
Par ailleurs, vous savez, mes chers collègues, que le grand salon automobile de Londres, qui devait se tenir en 2010, vient d’être annulé. La conjoncture est donc de plus en plus angoissante.
Monsieur le secrétaire d’État, le pacte automobile, présenté par le Président de la République le 9 février dernier, prévoit que le fonds stratégique d’investissement portera sa contribution au fonds de modernisation des équipementiers automobiles à 200 millions d’euros, au même titre que les deux constructeurs Renault et PSA. Comme l’a rappelé M. Sueur, le fonds s’élèvera ainsi à 600 millions d’euros.
Par ailleurs, PSA et Renault ont annoncé leur intention de sécuriser les approvisionnements et de soutenir leurs fournisseurs.
Par conséquent, des efforts sont réalisés, nous le savons. Cependant, lors de la manifestation du 19 mars dernier, j’ai été frappée, dans mon département, par le nombre de banderoles qui portaient le nom des entreprises des équipementiers automobiles. Loin de moi l’idée, mes chers collègues, de vous en donner toute la liste.
Monsieur le secrétaire d’État, nous nous étions rencontrés à Vendôme, en Loir-et-Cher, lorsque vous étiez venu chez ThyssenKrupp, alors que ce groupe avait pris la décision de se retirer de cette région. Par ailleurs, je lisais ce matin dans La Nouvelle République du Centre-Ouest que 80 licenciements chez Ranger, à Theillay, sont annoncés dans le bassin de Salbris-Romorantin, où se situaient auparavant le GIAT ainsi que Matra. Les catastrophes industrielles arrivent les unes après les autres.
À Blois se trouvent les entreprises Valéo, HPI et Delphi. Cette dernière, spécialisée dans l’injecteur automobile pour les moteurs diesel, vient de mettre au point, grâce au laboratoire de recherche et développement situé également à Blois, un nouvel injecteur, le piézo. M. Devedjian, ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance, a visité récemment le site de cette entreprise et a souligné l’importance du laboratoire susvisé et les espoirs fondés sur cet injecteur.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons des inquiétudes. La société Delphi a utilisé toutes les mesures mises à sa disposition ; elle a mis fin aux contrats provisoires et à l’emploi d’intérimaires, a eu recours au chômage partiel et elle a même demandé à certains salariés de prendre leurs vacances à une période donnée. Cependant, la mise en place des nouvelles lignes de production du nouvel injecteur se heurte à certaines difficultés. Selon certaines rumeurs, cette production pourrait être délocalisée, d’autant que certains équipementiers ont tendance à rejoindre des constructeurs installés depuis quelques années en Europe centrale ou orientale. Plus de 2 500 salariés sont concernés dans l’agglomération blésoise.
Le fonds stratégique d’investissement, mis en place par le Gouvernement, concernera-t-il cette entreprise ? Nous n’avons que peu d’informations sur ce point. Monsieur le secrétaire d’État, je vous saurais gré de me donner des précisions à ce sujet.
Je souhaite maintenant me faire le porte-parole de M. Yves Détraigne. Ne pouvant être présent ce matin, il m’a chargé de vous poser une question, qu’il avait déjà formulée au mois de mars en séance publique. À cette époque, il n’avait pas, semble-t-il, obtenu de réponse précise. Son interrogation concerne l’inadéquation des délais de livraison des véhicules français par rapport à la concurrence étrangère. En effet, lorsque vous commandez une voiture étrangère, vous pouvez en disposer trois ou quatre semaines après. En revanche, lorsque vous commandez un véhicule français, vous l’obtenez quatre ou cinq mois plus tard.
M. Gérard Cornu. Cela dépend du stock !
Mme Jacqueline Gourault. Dans le même temps, des émissions de télévision montrent des parkings immenses sur lesquels sont stationnées de très nombreuses voitures. Cette situation est incompréhensible. De surcroît, les derniers chiffres publiés sur l’activité du secteur automobile en France montrent le tassement de l’effet « prime à la casse ». Pourquoi existe-t-il une telle inadéquation entre les délais de livraison et les achats ? Cette question est importante.
Le pacte automobile – plan ambitieux – sera inopérant si les délais de livraison des véhicules français restent aussi longs et supérieurs à ceux des marques étrangères.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous saurais gré de bien vouloir m’indiquer comment le Gouvernement explique cette différence entre les faits et les discours et ce qu’il entend faire pour remédier à un comportement qui encourage les Français à acheter des véhicules de marque étrangère, au détriment des constructeurs nationaux. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot.
M. Jean-Claude Danglot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, 6 milliards d’euros attribués à Renault et à PSA, l’activation des fonds de garantie lancés par OSEO pour les prêts alloués aux équipementiers et aux sous-traitants, 600 millions d’euros affectés au fonds de modernisation des équipementiers : une fois de plus, les aides publiques sont accordées sans contrôle, sans exiger de contreparties et sans légiférer.
Il s’agit, selon le Gouvernement, de faire croire aux travailleurs et aux populations concernés qu’il faut faire confiance aux actionnaires et aux dirigeants des groupes qui, bien entendu, auront le souci de garantir la pérennité des sites industriels et s’abstiendront de percevoir leur bonus. L’appel à la moralité des entreprises devrait donc suffire pour sauver l’industrie automobile en France.
On sait ce qu’il en est puisque, dès le lendemain de l’annonce de ce plan de sauvetage par le Président de la République, PSA annonçait la suppression de 6 000 emplois en France.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean-Claude Danglot. Renault, pour sa part, confirmait ses bons résultats financiers, 830 millions d’euros de profits, dont la moitié est reversée aux actionnaires.
En termes d’emplois industriels, l’hémorragie n’est pas stoppée. Il serait trop long d’énumérer les entreprises qui licencient ou qui recourent au chômage partiel.
Toutes les régions sont touchées et la filière automobile paie le prix fort, notamment en Seine-Maritime, dans le Nord-Pas-de-Calais, l’Oise, le Rhône.
Certes, nous ne manquons pas de communication sur ce plan rebaptisé « pacte automobile ». Mais les effets d’annonce ne résistent pas à l’examen de la réalité, surtout quand des centaines de milliers de salariés, qui ne peuvent compter que sur leur travail pour vivre, sont confrontés à cette crise du système capitaliste.
Pour traiter plus concrètement du pacte qui nous est présenté, je reviendrai sur quelques arguments que vous avez développés, monsieur le secrétaire d’État.
En premier lieu, la suppression de la taxe professionnelle garantirait une meilleure compétitivité de nos entreprises. Cette taxe serait de 250 euros par modèle. Soit ! Mais l’entreprise Toyota s’est implantée à Valenciennes voilà quelques années et la taxe professionnelle n’a pas pesé sur sa décision, sinon elle aurait pu franchir la frontière et s’installer en Belgique.
L’équipementier Faurecia, implanté dans tout l’Hexagone, a décidé de fermer son entreprise d’Auchel, dans le Pas-de-Calais ; 600 salariés sont concernés. Pourtant, cette entreprise a bénéficié, voilà quelques années, de fonds publics pour agrandir son site. De plus, elle ne verse que 930 000 euros de taxe professionnelle à la collectivité, trois fois moins que la prime d’encouragement à la casse industrielle perçue par l’ex-P-DG de Valéo. Le rapport d’un cabinet d’expert-comptable a d’ailleurs démontré que l’usine d’Auchel est viable.
En fait, bien avant la grande crise structurelle que nous vivons aujourd’hui, comme hier la sidérurgie, le textile et le charbon, le secteur automobile se trouvait déjà, en quelque sorte, au banc d’essai des politiques européennes fondées sur le traité de Lisbonne vantant la concurrence libre et non faussée. Cette politique s’accompagne d’un dumping social, qui frappe en premier lieu les équipementiers, notamment depuis l’ouverture de l’Europe à l’Est.
Selon un autre argument, en France, le secteur de la recherche et du développement privé connaîtrait un déficit. Renault a baissé ses investissements en matière de recherche et de développement.
J’évoquerai, en cet instant, l’exemple de l’entreprise Sintertech implantée en Isère. Cet équipementier est le seul en France à produire et à développer la technologie révolutionnaire du métal fritté, issue de recherches très poussées. La fermeture de son site entraînera la suppression de 120 emplois et aura aussi pour conséquence la disparition pure et simple de cette technologie de pointe dans le paysage industriel français.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, je mentionnerai votre souci d’aider les PME à améliorer leur gestion. Lors de votre récente venue dans ma région, à Douai, pour promouvoir votre plan, vous avez déclaré : « Le but du fonds de modernisation des équipementiers est d’abord d’atténuer la crise ». Puis vous avez ajouté : « Nous n’interviendrons en fonds propres que dans les cas que nous considérons comme stratégiques ». Mais qu’est-ce qu’un équipementier stratégique ?
On comprend donc mieux les intentions du Président de la République qui ne souhaite pas légiférer, mais qui attend, en toute confiance les résultats de son plan automobile.
Cette attente est douloureuse, car on continue à supprimer des milliers d’emplois, au nom de cette nouvelle compétitivité que vous appelez de vos vœux et qui satisfait bien les projets du MEDEF.
Si vous êtes aussi sûr de votre plan de relance, pourquoi ne pas décider un moratoire suspensif des plans sociaux en cours ?
La majorité présidentielle a tenté de nous faire croire que cette crise était due à un capitalisme financier amoral auquel elle opposait un capitalisme industriel vertueux. Les milliards d’euros que vous distribuez aux grands groupes industriels pour améliorer leur compétitivité n’ont qu’un seul objet : restructurer l’appareil productif, afin de rechercher la rentabilité maximale et d’augmenter les profits de demain.
Voilà deux ans déjà, les parlementaires communistes ont proposé une charte de défense et de développement de l’industrie automobile ; ils ont donc anticipé cette crise. La reprise de quelques-unes de leurs propositions aurait permis de limiter fortement la casse industrielle et la destruction massive d’emplois que nous connaissons actuellement. Il n’est toutefois pas trop tard.
Nous réclamons – je réitère les demandes formulées ici même, naguère, par mon collègue Thierry Foucaud – que les plans de licenciement soient arrêtés et que les dividendes versés aux actionnaires soient gelés.
Mme Annie David. Très bien !
M. Jean-Claude Danglot. Nous demandons que la rémunération des salariés placés au chômage technique soit maintenue dans son intégralité, en mettant à contribution les actionnaires, que l’utilisation de l’argent public soit établie et contrôlée, afin de développer, par exemple, les technologies nouvelles et la formation professionnelle.
Nous voulons des mesures contraignantes pour les constructeurs, afin qu’ils respectent leurs sous-traitants.
Nous manifestons notre volonté de construire l’avenir de l’industrie automobile, grâce à la mise en place de gammes de véhicules correspondant aux attentes et aux besoins des consommateurs.
Nous exprimons le souhait que l’État entre dans le capital de l’industrie automobile pour assurer l’avenir du secteur. Auditionné hier, M. Pélata, directeur général délégué de Renault, admettait que la part détenue actuellement par l’État dans le capital de son groupe ne réglait pas tous les problèmes, mais confortait Renault en cette période de crise.
Nous revendiquons des droits nouveaux pour les travailleurs, afin que ceux-ci participent aux décisions stratégiques de leurs entreprises.
Nous pensons que le développement de l’industrie automobile doit aller de pair avec l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs, c’est-à-dire de ceux sans lesquels il n’y a pas de création de richesse ni d’économie viable.
Enfin, la crise qui touche le secteur est sociale. Ses victimes sont, en priorité, les salariés qui travaillent et les utilisateurs d’automobiles que nous sommes, dans notre grande majorité.
Ce triste constat est la conséquence directe de la stratégie des constructeurs, qui ne visent pas à produire des voitures pour répondre aux besoins, mais à dégager la plus grande marge possible par véhicule afin de satisfaire l’appétit sans limite d’actionnaires dirigeants.
Faut-il rappeler qu’on n’a pas attendu la crise pour pratiquer dans ces entreprises les fermetures de site, les délocalisations, les remises en cause d’acquis sociaux, les dégradations des conditions de travail, les suicides et l’austérité salariale ?
Faut-il également rappeler que ce n’est pas non plus la présente crise économique qui a bloqué depuis des années les investissements des constructeurs français dans les nouvelles technologies et la mise en place de véhicules propres ?
Pour les entreprises de la filière, la crise offre l’occasion d’accélérer des stratégies qui étaient planifiées depuis des mois.
Dans cette perspective, la situation de l’industrie automobile américaine a servi d’alibi pour dramatiser la situation du secteur en France et en Europe. Aux États-Unis, les constructeurs affichent des pertes de plusieurs milliards de dollars ; en Europe, tout au contraire, ils réalisent des milliards d'euros de bénéfice ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en tant que président du groupe d’études sur l’automobile et vice-président de la commission des affaires économiques, je ne puis que saluer la tenue du débat qui nous occupe aujourd’hui.
En effet, il me semble utile d’évoquer la situation des sous-traitants et des équipementiers du secteur automobile, qu’ils soient de premier ou de deuxième rang, dont nous constatons tous les difficultés ; je n’égrènerai pas celles qu’ils rencontrent dans le département dont je suis l’élu, car chacun d’entre vous, mes chers collègues, pourrait en faire autant !
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Gérard Cornu. En réalité, le problème concerne l’ensemble de notre territoire, ce qui montre d'ailleurs que la filière automobile est essentielle pour notre économie.
De façon générale, le secteur automobile se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, me semble-t-il. Deux éléments, l’un conjoncturel, l’autre structurel, expliquent ses difficultés actuelles.
En ce qui concerne la conjoncture, la crise économique mondiale pèse sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens et explique en partie la chute des ventes automobiles, qui pourrait atteindre près de 20 % en Europe en 2009.
Toutefois, je voudrais aussi insister sur l’aspect structurel de ces difficultés, à savoir l’évolution des mentalités dans nos sociétés occidentales, notamment quant à la place de l’automobile.
Je pense, bien entendu, à la prise de conscience des enjeux environnementaux, mais aussi, plus largement, au changement de comportement des consommateurs, par exemple sous l’effet des évolutions du prix du pétrole.
Plusieurs des personnalités auditionnées hier par la commission des affaires économiques et la commission des finances dans le cadre d’une table ronde sur le pacte automobile ont insisté sur ce changement de comportement, dont elles ont unanimement souligné le caractère durable. Une telle évolution des mentalités déstabilise aujourd’hui le secteur automobile et lui impose de s’adapter.
Ces deux éléments expliquent donc la « mauvaise passe » de la filière automobile, en France comme dans le reste du monde.
D'ailleurs, la France, je ne puis que le relever, grâce aux mesures votées par le Parlement sur l’initiative du Gouvernement, comme la prime à la casse et le bonus-malus, traverse plutôt mieux la crise que certains de nos voisins : si, en décembre 2008, les immatriculations ont chuté de 16 % en France, cette baisse a atteint 50 % en Espagne ou 21 % au Royaume-Uni.
M. Gérard Cornu. La situation des constructeurs est donc difficile et les annonces de suppressions de postes réalisées par les deux grands constructeurs français, Renault et PSA, qui concernent au total près de 20 000 emplois en 2009, sont là pour nous le rappeler.
Toutefois, nous sommes tous conscients, quelle que soit notre tendance politique, que la situation des équipementiers et des sous-traitants est encore plus précaire. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une restructuration soit annoncée, comme celles qui ont frappé les usines de Continental dans l’Oise ou d’Heuliez dans les Deux-Sèvres au cours des deux dernières semaines.
Dans cette période difficile, la baisse des commandes des constructeurs, ainsi que la gestion de leur stock, a un impact direct sur les équipementiers et les sous-traitants.
La situation aurait été pire, je ne puis que le souligner, sans les dispositions de la loi de modernisation de l’économie relatives à la réduction des délais de paiement, comme les participants de la table ronde l’ont d'ailleurs souligné hier. Nous ne pouvons donc que nous féliciter, a posteriori, de l’adoption de ces dispositions.
Cette situation n’est toutefois pas nouvelle, et les difficultés rencontrées actuellement par les équipementiers sont plus profondes. Dans le rapport sur Les défis du secteur automobile que j’avais remis, en février 2007, au nom de la commission des affaires économiques, et que je vous encourage d'ailleurs à lire, mes chers collègues,…
M. Daniel Raoul. Nous l’avons lu !
M. Gérard Cornu. … j’avais déjà noté les difficultés rencontrées par l’ensemble des fournisseurs de l’industrie. En effet, entre 2005 et 2007, les équipementiers français ont perdu près de 10 000 emplois.
Dans mon rapport, je prévoyais à l’époque la destruction de près de 15 000 emplois chez les équipementiers de premier rang et de 6 000 emplois chez leurs fournisseurs à l’horizon 2012. J’avais peur d’être trop pessimiste, mais peut-être étais-je encore trop optimiste ! En effet, ces prévisions semblent en deçà de la réalité actuelle : dans les derniers mois, près de 7 000 emplois ont disparu.
Face à la gravité de la situation, le pacte automobile présenté par le Président de la République le 9 février dernier constitue une réponse à la hauteur de l’enjeu, contrairement à ce qui vient d’être affirmé. Il comprend plusieurs mesures qui devraient permettre aux équipementiers de traverser cette période difficile.
Ainsi, la mise en place du fonds de garantie pour les prêts octroyés aux équipementiers et aux sous-traitants constitue une très bonne mesure : ce mécanisme doit permettre à OSEO de garantir aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire jusqu’à 90 % de leur prêt, sur des montants couverts pouvant atteindre 15 millions d’euros par entreprise.
Par ailleurs, le fonds de modernisation des équipementiers automobiles, doté de 600 millions d’euros, dont 200 millions d’euros apportés par le fonds stratégique d’investissement, a déjà apporté la preuve de son utilité, avec son intervention dans Valeo et son soutien prochain à Heuliez.
Les 6 milliards d'euros prêtés à PSA et à Renault, et sur lesquels certains se sont interrogés, bénéficieront également aux équipementiers, comme l’ont rappelé hier les participants de la table ronde ! Si nous ne soutenons pas les constructeurs, les équipementiers souffriront plus encore.
M. Gérard Cornu. Nous devons donc nous garder d’une approche comptable : tous les acteurs de la filière sont importants et des sommes considérables leur sont apportées.
Au-delà de ces mesures, l’esprit du pacte automobile, que je salue, repose sur l’idée que la filière ne se limite pas aux constructeurs et que ces derniers doivent prêter attention à la situation de leurs fournisseurs.
Dans le rapport que j’évoquais tout à l’heure, je notais déjà que « le défi des équipementiers concerne l’ensemble de la filière, y compris les constructeurs, dans la mesure où il ne saurait y avoir de constructeurs forts si leurs fournisseurs sont en difficulté ».
Aujourd’hui, les prêts participatifs accordés aux constructeurs dans le cadre du pacte automobile interviennent en contrepartie d’engagements en matière d’emploi, d’investissement et aussi d’amélioration des relations partenariales avec les fournisseurs.
Au-delà de ces mesures conjoncturelles destinées à préserver le plus grand nombre de nos entreprises stratégiques, il me semble que les réformes structurelles visant à adapter la filière automobile française aux défis de demain doivent constituer également une priorité.
C’est pourquoi je salue le soutien à la recherche et à l’innovation dans ce secteur, notamment par l’intermédiaire des prêts accordés pour un montant global maximum de 250 millions d’euros.
En conclusion, je souhaiterais indiquer, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que notre vision de la filière automobile ne doit pas être pessimiste, même si la situation est actuellement difficile. Nous pouvons être confiants quant à son avenir. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est ce qu’il faut se dire !
M. Gérard Cornu. Dans les deux dernières décennies, nos entreprises ont déjà su s’adapter et accomplir une véritable révolution en matière d’innovation, de qualité, de développement durable ou encore d’alliances internationales. Nous n’avons pas à rougir des constructeurs français, qui sont très performants et qui sont préparés à passer cette crise internationale de la meilleure façon possible.
Nous pouvons donc avoir confiance dans la pérennité de ce secteur et affirmer, comme le Président de la République, que « la France ne laissera pas tomber son industrie automobile ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant tout, je souhaite remercier mon collègue et ami Jean-Pierre Sueur d’avoir posé cette question orale sans débat relative à l’avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile, car il s'agit aujourd'hui d’un problème essentiel, qui nous touche tous, plus ou moins directement.
Ainsi, le département dont je suis l’élue, c'est-à-dire l’Aveyron, bien qu’il soit largement rural, se trouve confronté à ce problème économique dans l’une de ses zones industrielles, la mecanic valley, jusque-là dynamique, mais largement fragilisée par la crise économique que le monde traverse.
Je sais, monsieur le secrétaire d'État, que vous avez récemment rencontré les acteurs majeurs de ce secteur pour examiner avec eux les voies du développement d’équipements novateurs en matière technologique.
Dans ce contexte, je me félicite, comme nous tous, mes chers collègues, de la mise en œuvre du pacte automobile annoncé le 9 février dernier.
Pour autant, ces mesures permettront-elles d’endiguer la triple crise du crédit, de l’industrie et de la demande ou, si l’on préfère, du marché ?
Nous pouvons l’espérer, dans l’intérêt général, qui est, d’une part, celui des consommateurs, et, d’autre part, celui de l’ensemble des acteurs de la filière des équipementiers automobiles.
Toutefois, le doute est permis dès lors que ce plan, à aucun moment, n’exige que les constructeurs travaillent exclusivement avec des fournisseurs français ni n’encourage la relocalisation de sites industriels en France.
Si nous ne pouvons que nous féliciter des six principales mesures constituant le pacte automobile, en particulier le code dit « de performance et de bonnes pratiques entre les équipementiers, les sous-traitants et les constructeurs pour favoriser une véritable relation partenariale dans l’ensemble de la filière », en revanche, je m’interroge sur les conditions concrètes de leur mise en œuvre.
Sur une échelle de performance économique, la filière des équipements automobiles était en 2007 à cent. Elle s’établira à coup sûr, en 2009, à soixante, pour se relever probablement très légèrement à soixante-cinq en 2010.
Il faut donc que des efforts sans précédent soient développés dans quatre directions principales. Les trois premières sont la rationalisation des process, la protection de l’emploi et la formation au bénéfice des salariés au chômage technique, en veillant à ce que les aides financières publiques soient homogènes dans l’ensemble des régions et calculées équitablement à raison des caractéristiques propres à chaque territoire.
Je voudrais, sur ce point, souligner que les équipementiers s’inquiètent de voir que, dans deux régions différentes où ils sont implantés, ils bénéficient d’aides et de soutien à la formation selon des modalités différentes.
Enfin, la quatrième direction consiste en la création d’un véritable guichet unique, pour donner efficacité et cohérence aux mesures de soutien à l’économie. Il s’agit de ce circuit court qu’évoquait tout à l’heure M. Jean-Pierre Sueur.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des assurances que vous voudrez bien nous donner sur ces différents points, qui, si la frilosité ne prend pas le pas sur l’ambition, sont susceptibles de consolider la filière des équipementiers automobiles. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais évoquer en quelques mots la filière automobile, le contrôle parlementaire des fonds publics, la voiture propre et, surtout, l’appel à un nouveau pacte entre équipementiers et constructeurs.
Je suis très heureux, ainsi que mes collègues, que Jean-Pierre Sueur nous invite à débattre – je dirais enfin ! – sur la question spécifique de la situation des équipementiers et sous-traitants de l’automobile.
Il est vrai que nous avons la chance d’avoir deux constructeurs qui comptent parmi les meilleurs du monde. Pour autant, on a trop tendance à réduire l’industrie automobile à leurs activités. C’est oublier bien vite que le tissu industriel comprend un grand nombre d’entreprises, dont certaines ont un destin international, tandis que d’autres sont des championnes de l’innovation, mais qu’il y a aussi beaucoup d’entreprises familiales qui irriguent l’ensemble de l’hexagone et qui sont très importantes pour la vie des territoires.
Il s’agit d’une vraie filière, au sens plein du terme. Nous avons de la chance de l’avoir et nous devons la garder !
En 2007, il faut le rappeler, les équipementiers et sous-traitants, que j’appellerai l’« armée de l’ombre » de la filière automobile, employaient 114 446 salariés. Ce n’est pas rien ! Aujourd’hui, d’après les fédérations professionnelles, dont les prévisions sont funestes, les effectifs passeraient très bientôt au-dessous des 110 000 salariés.
Nous devons éviter que les équipementiers et les sous-traitants ne deviennent – excusez la métaphore – la chair à canon de la crise du secteur automobile.
Or, les équipementiers et les sous-traitants ne disposent pas, nous le savons tous, des mêmes armes que les constructeurs pour faire face à la violence de la crise. Ils ne disposent pas de la même trésorerie pour attendre des jours meilleurs. Il serait même déconseillé aux banques d’aider le secteur automobile, parce qu’il s’agit de placements qui ne sont pas assurés.
Les sous-traitants et équipementiers n’ont évidemment pas la même capacité de négociation vis-à-vis des banques ! De la même manière, les salariés et les chefs d’entreprise ne bénéficient de protections sociales suffisantes pour affronter de longues périodes de chômage partiel.
Équipementiers et sous-traitants ont été, dans un passé assez récent, victimes de délais de paiement sans cesse allongés par leurs donneurs d’ordre. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de se soumettre à des rentrées de trésorerie fluctuantes. Au fil des années, leurs marges se sont réduites face aux exigences de productivité des constructeurs.
Les équipementiers et les sous-traitants, et a fortiori leurs salariés, combinent malheureusement beaucoup de handicaps. Devons-nous pour autant laisser le marché, le bon-vouloir des banques et l’absence de législation sociale suffisante signer la condamnation à terme de beaucoup de ces entreprises ? Nous ne le pensons pas.
Laisser des équipementiers et des sous-traitants disparaître, je le réaffirme, c’est cautionner à terme la disparition progressive de la filière automobile. C’est fragiliser nos deux constructeurs, qui, faute de partenaires industriels, seront obligés de chercher ailleurs des structures de production que nous avons ici. C’est faire le nid des délocalisations futures et d’une politique d’achat dématérialisée. C’est abandonner des salariés, des cadres et des chefs d’entreprise qui disposent d’un savoir-faire extraordinaire – certes perfectible par la formation – et qui ne pourront que très diversement se reconvertir sur le marché du travail.
Il s’agit surtout d’un blanc-seing donné à une marche forcée vers la désindustrialisation de notre pays, ainsi qu’à l’abandon de certains bassins industriels qui, aujourd’hui, vivent de l’automobile.
Depuis les premiers signes annonciateurs d’une baisse très sensible et durable du marché de l’automobile, il y a maintenant cinq mois, je n’ai pas cessé de plaider pour la prise en compte de la totalité de la filière automobile.
J’ai réagi, dès les premières annonces qui concernaient notamment la création du fonds stratégique d’investissement, en novembre, et, bien sûr, à l’occasion des états généraux de l’automobile, le 20 janvier. Je vous ai remis à cette occasion, monsieur le secrétaire d’État, une contribution sur l’avenir de l’industrie automobile, rédigée avec mon collègue Pierre Moscovici.
Vous comprendrez bien, monsieur le secrétaire d’État, que, même si la prise de conscience du Gouvernement est réelle – encore que, à mon sens, trop lente –, j’ai accueilli plutôt favorablement, et avec un certain soulagement, l’annonce du pacte automobile le 9 février. J’y ai même placé quelques espoirs et beaucoup d’attentes !
Le pacte automobile prenait à mon sens la mesure de la gravité de la crise de l’ensemble de la filière, en prévoyant notamment un prêt de 6,5 milliards d’euros aux deux principaux constructeurs, ainsi que le principe d’un prêt pouvant être abondé à hauteur de un milliard d’euros aux équipementiers, via OSEO.
J’avais également retenu le principe d’aides conditionnées, qui est fondateur pour le pacte automobile et, à ce titre, particulièrement important.
J’étais en accord avec vous lorsque vous écriviez : « L’État vient en aide à son industrie automobile en échange de contreparties fortes. La France ne laisse pas tomber son industrie automobile, mais l’industrie ne laisse pas tomber la France ! »
Le Président de la République m’avait plutôt convaincu lorsqu’il avait prévu, dans une intervention télévisée, d’adosser ces aides à des contreparties en termes d’emplois ou de maintien de sites dans l’hexagone et de défendre cette position auprès de la présidence de l’Union européenne.
J’y voyais les bases d’un véritable contrat industriel, social et environnemental. J’y voyais aussi les bases d’un possible changement du mode de gouvernance. Où en est-on après tout cela ? Comme on dit, il y a les effets d’annonces et il y a les actes.
Or, le plus grand flou règne sur la réalité de ces fonds, sur leur réel niveau d’abondement, sur les critères choisis pour aider telle ou telle entreprise. Il semble donc qu’il y ait une distorsion entre les déclarations et la réalité, et, parfois, le fossé est incompréhensible ; il sème le plus grand trouble.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vos services et vous-même, comme ceux de Mme Lagarde, êtes au fait des situations des entreprises. Vous négociez avec elles depuis des mois.
Dans ces conditions – et c’est ma première question –pouvez-vous nous expliquer pourquoi si peu de dossiers sont aujourd’hui entre vos mains, alors que l’on connaît l’ampleur, rappelée tout à l’heure par mes collègues, des difficultés des équipementiers ?
Les engagements financiers du pacte automobile évoquent un abondement à hauteur de un milliard d’euros. Que se passera-t-il si, à la fin de l’année, on constate une dramatique sous-consommation des crédits, si le fonds de modernisation des équipementiers est à peine entamé alors que, dans le même temps, des milliers d’emplois sont supprimés et des dizaines d’entreprises disparaissent ?
Telle est la crainte que nous avons. Nous nous demandons également si nous disposons, oui ou non, de la capacité de prêts à hauteur de un milliard d’euros. OSEO aura-t-il, oui ou non, les moyens humains et logistiques pour examiner tous les dossiers, mais également pour les susciter ? Disposez-vous d’objectifs chiffrés dont vous pourriez nous faire part aujourd’hui ?
Mes interrogations concernent non seulement le niveau d’abondement de ces fonds, mais également la réalité des contreparties adossées à l’octroi des prêts.
Vous connaissez la polémique qui grandit actuellement. Pouvez-vous donc nous garantir aussi, monsieur le secrétaire d’État, que le dossier de présentation du pacte automobile aux institutions européennes comportait bien des contreparties sociales et de maintien des sites ? Pouvez-vous nous communiquer ce document aujourd’hui ?
Je vous pose également, monsieur le secrétaire d’État, la question suivante, parce que l’exemple de Valeo fait froid dans le dos : comptez-vous assortir ces prêts de conditions liées à la gouvernance d’entreprise ? Il n’est pas pensable que des entreprises bénéficiant, et à juste titre, d’aides considérables de l’État continuent à agir comme si de rien n’était et à distribuer des indemnités colossales, des primes et des stock-options.
Ces temps-là sont révolus. Nous devons passer d’un modèle fondé sur l’argent facile à un modèle prévoyant une juste et convenable rémunération du travail, y compris pour les dirigeants d’entreprise. D’autres pays ayant une culture libérale en ont donné l’exemple, comme le Japon et les Pays-Bas, qui ont suivi ce cheminement. Nous devons en faire autant !
Il faut savoir qu’en ce moment, alors même qu’on annonce ces stock-options, des intérimaires sont licenciés par milliers ; des salariés de plus de cinquante ans se retrouvent aujourd’hui au chômage, décrétés licenciés volontaires ; des postes sont supprimés. Ces agissements sont intolérables et indignes. On voit les centres communaux d’action sociale, les CCAS, submergés par des demandes d’aides de plus en plus nombreuses. Il en est de même pour les départements.
Je suis ravi, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement soit finalement intervenu pour demander au conseil d’administration de Valeo de ne pas octroyer de telles indemnités. Pour autant, ne croyez-vous pas que, si scandale il y a eu, c’est parce que les conditions n’ont pas été clairement posées dans le contrat. Il ne doit pas y avoir d’aides si de tels agissements sont commis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Martial Bourquin. Je pense qu’il faudra légiférer sur cette question dans les plus brefs délais. Nous n’allons pas courir après l’information tous les jours ! Il vaut mieux, une fois pour toutes, mettre fin à ces primes scandaleuses.
Je calculais par exemple que le montant touché par le président-directeur général de Valeo représentait une prime de 1000 euros par emploi supprimé dans ce groupe !
M. Guy Fischer. Scandaleux ! (Mouvement d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Martial Bourquin. Oui, c’est absolument scandaleux et nos concitoyens ne le tolèrent pas.
C’est pour cela que nous devons avoir une véritable politique concernant la filière automobile. Ce secteur représente 10 % de nos emplois industriels.
Le pacte automobile a vocation à sauver des emplois et à faire évoluer les métiers du secteur. Vous avez vous-même, monsieur le secrétaire d’État, intégré cette donnée dans une de vos déclarations et Jean-Pierre Sueur est intervenu tout à l’heure sur la question des formations.
La seule façon de changer l’industrie automobile européenne, c’est de faire en sorte que nous construisions le plus rapidement possible la voiture propre de demain et que nous sachions évaluer les conséquences, dans le monde de demain, de la crise climatique qui se profile.
Les automobiles devront être recyclables à cent pour cent et elles ne devront plus émettre de carbone. Qu’avons-nous comme plan de formation pour préparer cette mutation en profondeur de l’industrie automobile ?
J’ai suivi avec beaucoup d’attention le dossier Heuliez. Lors de la conférence de presse du 24 mars, vous avez dit que l’État soutiendrait Heuliez « s’il a un vrai projet industriel viable ». Je citerai l’exemple de Key Plastics, une entreprise qui avait prévu de supprimer deux sites industriels, l’un à Rochefort et l’autre dans le Doubs.
Après une occupation de l’entreprise qui a duré trois semaines, après la mobilisation de toutes les forces vives du pays de Montbéliard, et, surtout et y compris, celle de PSA, qui a besoin des pièces fabriquées par Key Plastics, un des deux sites a pu être sauvé.
Bien sûr, il y aura des suppressions d’emploi, mais ce site, qui était condamné, pourra demain continuer d’exister. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, vous parlez de projets industriels viables, mais il faut être vigilant aux critères retenus en la matière.
Le plus important, pour une entreprise, est d’avoir un débouché. Or nos constructeurs ont besoin des pièces fabriquées par l’ensemble des équipementiers ; si l’un d’eux, faute de commandes suffisantes, n’est plus en mesure de payer les salaires de ses employés ou d’acheter des composants, les banques et Oseo doivent être là pour l’aider à passer cette mauvaise période, avant que ne s’engage la mutation de l’industrie automobile.
Je plaiderai maintenant en faveur du contrôle des aides publiques.
Il ne s’agit pas de ralentir ou de bureaucratiser l’action de l’État. Quand les sommes en jeu se chiffrent en milliards d’euros, la mise en place d’une commission parlementaire se justifie amplement. Les parlementaires doivent veiller, aux côtés du Gouvernement, à ce que les concours publics servent bien de levier pour aider l’industrie automobile à sortir de la crise, à se moderniser, à protéger ses salariés.
Mmes Nathalie Goulet et Jacqueline Gourault. Très bien !
M. Martial Bourquin. Sans un tel contrôle, des scandales défrayeront régulièrement la chronique.
La commission parlementaire dont nous souhaitons la création aurait pour mission non pas d’examiner a posteriori l’action du Gouvernement, mais de travailler avec lui pour aider l’industrie automobile à sortir de la crise.
Nous sommes à la croisée des chemins. Dans les mois qui viennent, l’industrie automobile traversera sans doute de graves difficultés ; des milliers d’emplois seront peut-être perdus. Cependant, si nous nous mobilisons pour mener une action massive et concertée, nous pourrons en sauver une grande partie et rassurer des salariés plongés aujourd’hui dans la plus profonde incertitude.
Dans cette perspective, nous devrons aussi anticiper la fin du système du bonus-malus, afin de définir un autre moyen de doper notre industrie automobile.
Enfin, nous devrons faire en sorte que la recherche sur la voiture propre et, plus généralement, sur l’automobile de demain fasse l’objet d’une attention accrue de la part du Gouvernement. Les constructeurs européens ont évalué à 40 milliards d’euros le coût de la recherche sur les moteurs « décarbonisés ». Nous devons aider l’industrie automobile à la fois à sortir de la crise avec le moins de dommages possibles et à se projeter dans l’avenir. Cela signifie que la recherche doit tendre à améliorer sa compétitivité : constructeurs, équipementiers et chercheurs doivent sceller un nouveau pacte pour préparer notre industrie automobile de demain, sauver des emplois et, surtout, faire en sorte que la France reste une grande nation industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Mme Jacqueline Gourault applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord M. Jean-Pierre Sueur d’avoir pris l’initiative de poser cette question. Compte tenu de l’importance du sujet, je regrette que les rangs de la majorité sénatoriale soient si peu fournis, bien qu’elle soit excellemment représentée…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Excellentes paroles !
Mme Nathalie Goulet. Avec plus de 34 000 emplois directs, la Basse-Normandie est l’une des régions où la filière automobile est le plus présente.
De façon générale, les observateurs, même les plus critiques, ne doutent pas de la volonté du Gouvernement de protéger et de soutenir le secteur automobile français.
Cela étant, peut-on considérer qu’il existe réellement une filière automobile ? En fait, il existe une filière des constructeurs et une filière des équipementiers, les deux ayant parfois des difficultés à travailler ensemble. La crise sera-t-elle l’occasion de revoir en profondeur et en totalité l’organisation du secteur ? Pour l’heure, nous avons l’impression qu’il y a, d’un côté, les sous-traitants et les équipementiers, et, de l’autre, les constructeurs.
En Basse-Normandie, notre remarquable préfet de région, M. Christian Leyrit, a pris l’heureuse initiative de réunir, dès le 26 janvier, une table ronde rassemblant les représentants de la filière et les élus.
Il est apparu que la situation des quatre cercles de sous-traitants de la filière automobile peut être comparée à celle des victimes d’un grave accident de la route : on réconforte les plus valides, on soigne les blessés, on donne l’extrême-onction aux plus gravement atteints… De même, la politique menée par le Gouvernement renforcera les entreprises les moins touchées, mais laissera de côté les plus fragiles. Il conviendrait, à mon sens, de revoir cette stratégie !
La région Basse-Normandie a pris la mesure de la crise en accordant 44 millions d’euros à la recherche et à l’innovation, ainsi que 11 millions d’euros d’aides supplémentaires à la filière, dont 4 millions d’euros d’aides à la trésorerie.
Le département de l’Orne compte de nombreux sous-traitants importants : je citerai notamment Wagon Automotive, qui emploie 180 personnes à Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe et a été placé en redressement judiciaire, Faurecia à Flers, Valéo à Athis-de-l’Orne, ThyssenKrupp au Theil-sur-Huisne, ou Key Plastics à Bellême, cette dernière société, où travaillent 168 salariés, étant soumise à une procédure collective… Je pourrais énumérer de nombreuses autres entreprises en difficulté, des centaines d’emplois étant menacés !
Le conseil général de l’Orne a mis en place un plan doté de 10 millions d’euros, pompeusement baptisé « plan de relance » : sur ce montant, 9 millions d’euros seront savamment saupoudrés pour financer des travaux routiers – le saupoudrage et le clientélisme du goudron s’inscrivent dans la grande tradition des départements ruraux ! –, mais pas un euro ne sera accordé aux sous-traitants ornais…
J’évoquerai, à cet instant, le site Faurecia de Flers.
La société Faurecia, qui fabrique des sièges, des échappements, des équipements acoustiques, des intérieurs de véhicule et des blocs avant, emploie 1 400 salariés et travaille avec cinquante sous-traitants, ce qui représente plus de 400 emplois induits. Alors que 1 215 suppressions d’emploi étaient annoncées par le groupe en France, 271 licenciements étaient prévus sur le site de Flers.
Les élus et les représentants du personnel se sont battus pour se faire entendre d’une direction parfois trop éloignée de l’exploitation – cela peut arriver dans d’autres cas –, et ils sont parvenus à sauver de très nombreux emplois menacés par des délocalisations. Ainsi, ils ont pu démontrer que l’activité comptabilité devait être maintenue sur le site de Flers, au lieu d’être délocalisée au Portugal.
D’ailleurs, au sujet des délocalisations, il y aurait beaucoup à dire.
Par exemple, l’activité de fabrication de glissières emploie environ 700 salariés. Si cette activité est transférée en Pologne alors que l’usine polonaise de Faurecia fabrique déjà des glissières, on parlera non pas de « délocalisation », mais de « relocalisation », ce qui permet d’échapper aux contraintes, aux promesses et aux incantations.
Faurecia est le deuxième fabricant de sièges automobiles au monde. N’y aurait-il pas un avenir, pour cette société, dans un rapprochement avec l’industrie aéronautique afin de fabriquer des sièges d’avion, même si, évidemment, les volumes et les chaînes de production ne sont pas les mêmes ? Il faut envisager des possibilités de diversification, au-delà de la seule voiture « verte ».
En ce qui concerne maintenant la solidarité des banques, thème qui a été abordé tout à l’heure, la société Faurecia a besoin de 150 000 euros pour financer les chèques-vacances de ses salariés. Or la banque, pour l’instant, lui refuse cette somme, alors que la situation de trésorerie de l’entreprise devrait permettre de satisfaire cette demande de concours. Pouvons-nous trouver des solutions pour résoudre ce type de problème ?
Par ailleurs, dans toutes ces entreprises, les salariés sont poussés à prendre des RTT et des jours de congés dès maintenant, mais qu’adviendra-t-il de leur vie familiale et de l’organisation du travail s’il ne leur reste que dix ou douze jours de congés à prendre pendant l’été ?
Comment, monsieur le secrétaire d’État, comptez-vous coordonner les multiples initiatives, rétablir la confiance du marché ?
Enfin, et surtout, quel suivi allez-vous proposer aux différents sites concernés ? J’approuve la suggestion de M. Martial Bourquin d’instaurer un suivi parlementaire : ce serait évidemment une très bonne solution.
La situation est anxiogène pour les salariés, le bassin d’emploi tout entier, ainsi que pour les élus.
Les Restos du cœur de Flers – la communauté d’agglomération compte environ 30 000 habitants – ont vu passer, depuis le début de leur campagne, de 160 à 370 le nombre de familles bénéficiaires de leur aide. Ils ont servi, depuis le mois de décembre, plus de 51 000 repas. Nous parlons ici non pas de chiffres, mais d’hommes, de femmes et d’enfants qui attendent de ce débat sinon des solutions, du moins quelques pistes susceptibles de leur redonner un peu d’espoir. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Gérard Longuet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens moi aussi à saluer l’excellente initiative de M. Jean-Pierre Sueur. Elle me donne l’occasion d’évoquer la situation dans ma région, la Franche-Comté, où bat le cœur industriel de Peugeot.
Le marché des voitures particulières en France a marqué une baisse de 13 % en février, comme Mme Gourault l’a rappelé, mais les ventes de PSA chutent plus violemment encore, de 20 %. Les contrats à durée déterminée ne sont plus renouvelés, les intérimaires se retrouvent au chômage. L’usine de Sochaux a connu un chômage technique prolongé, elle a supprimé, pour l’essentiel, la troisième équipe. Les équipementiers tournent au ralenti. Certains sont en liquidation judiciaire, comme Rencast, filiale du groupe de fonderie italien Zen, à Delle, ou attendent un problématique repreneur, comme Sonas Automotive à Beaucourt, Wagon Automotive à Fontaine – ce fut aussi le cas de Key Plastics à Voujeaucourt, mais M. Bourquin vient d’en parler.
Il résulte de cette situation une immense inquiétude et des difficultés sociales grandissantes.
En général, les États ont réagi avec vigueur. Je n’évoquerai pas le plan américain de relance du secteur automobile. En France, le 9 février dernier, le Président de la République a annoncé l’octroi d’un prêt de 6 milliards d’euros à un taux de 6 % sur une durée de cinq ans aux deux constructeurs automobiles PSA et Renault, afin de leur permettre de financer des projets stratégiques en France et de soutenir, notamment à travers les pôles de compétitivité, des programmes de véhicules propres. L’offre de véhicules –chacun le comprend – doit anticiper sur la nécessité de produire des voitures plus économiques ou équipées de moteurs électriques.
En contrepartie de ces aides qui, pour l’essentiel, répondent à l’urgence, les constructeurs auraient dû prendre un engagement sur l’emploi et sur la pérennité des sites d’assemblage en France.
Ces aides considérables ne peuvent en effet être accordées sans contreparties précises, comme plusieurs intervenants l’ont déjà dit, notamment en ce qui concerne le maintien de l’emploi. Mme Anne-Marie Escoffier a posé des questions tout à fait pertinentes à cet égard ; je n’y reviens pas.
Un fonds d’aide aux équipementiers en difficulté a été mis en place : 600 millions d’euros ont été débloqués, dont 200 millions d’euros ont été fournis par l’État par le biais du fonds stratégique d’investissement. C’est une bonne initiative, mais elle est peut-être insuffisante.
En effet, il est absolument nécessaire d’assurer la reprise, au moins provisoire, de ces entreprises menacées et de leurs savoir-faire au travers d’une holding semi-publique où les constructeurs auront évidemment toute leur place. Des équipementiers aujourd’hui en déshérence comme Sonas Automotive, Wagon Automotive ou Rencast ne doivent pas disparaître. Il en va de même pour beaucoup d’autres sites évoqués par les précédents orateurs, par exemple Continental à Amiens ou Heuliez en Poitou-Charentes, qui devrait mettre sur le marché, en 2010, de nouveaux modèles pourvus de moteurs hybrides ou électriques.
Nous prenons aujourd’hui la mesure de l’immense erreur qu’a commise la France, voilà plus de dix ans, quand elle a accepté la perspective de la délocalisation de son industrie automobile dans le cadre d’une mondialisation n’imposant aucune règle à des pays où les coûts salariaux sont dix fois inférieurs aux nôtres ou au travers d’un élargissement non réellement négocié de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale.
En délocalisant leur production et leurs sous-traitants, les constructeurs ont créé eux-mêmes les conditions du naufrage actuel. À Vesoul, le 15 janvier dernier, le Président de la République s’étonnait de ce que notre industrie automobile, qui représentait, il y a peu encore, le premier poste excédentaire dans notre balance commerciale, fût devenue déficitaire. Sa réaction, toute spontanée, témoignait en fait de la cécité collective de nos dirigeants politiques, du moins de la plupart d’entre eux, au cours des années quatre-vingt-dix.
Le 27 novembre dernier, j’ai posé à Mme Lagarde une question relative à la protection de notre industrie automobile. Elle m’a renvoyé au communiqué du G 20 rejetant tout « protectionnisme » ! La seule évocation de ce mot tabou est un moyen de clore par avance toute discussion. Mais n’est-il pas évident qu’entre des pays présentant des conditions salariales et sociales complètement hétérogènes, il n’y a pas de concurrence bénéfique possible, comme l’avait démontré il y a longtemps Maurice Allais ? La concurrence est alors destructrice !
À la suite de la déclaration du Président de la République, la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes, avait déjà mis en garde le Gouvernement français contre « un risque de retour au protectionnisme ». Force est de constater que ce dernier ne tient pas le même langage selon qu’il s’exprime à Paris ou à Bruxelles !
La véritable dictature de la pensée libérale qui s’est instaurée est devenue intolérable. Les institutions de Bruxelles ne peuvent pas défendre un libre-échangisme dévoyé alors que croulent des pans entiers de notre industrie. Ce faisant, elles s’exposent à la colère de notre peuple. Osons parler vrai : la logique industrielle libre-échangiste, en l’absence d’une raisonnable protection, conduit à la disparition potentielle de tous les sites de production français. L’ensemble de la production française peut en effet être réalisé dans des pays à très bas coûts salariaux, faute de protection de notre marché.
Il convient de distinguer, d’une part, les pays d’Europe centrale et orientale, les PECO, dont la plupart ont été admis, en 1999, au sein de l’Union européenne à compter de 2004, et, d’autre part, les pays extra-européens à très bas coûts salariaux.
Pour ces derniers, l’instauration d’une taxe anti-dumping social et d’une écotaxe pour égaliser les conditions de concurrence devrait figurer à l’ordre du jour des sommets européens et mondiaux. Face à l’hypocrisie générale, le courage devrait conduire la France à défendre au G 20 la thèse non pas d’un protectionnisme aveugle, bien évidemment, mais d’une protection raisonnable et négociée. Cela permettrait une concurrence équitable entre les différentes régions du monde, en tenant compte des différences de coûts salariaux, mais aussi, j’y insiste, de la nécessité du développement des pays émergents, à condition que leur croissance soit fondée non pas seulement sur les exportations, comme c’est trop souvent le cas, mais aussi sur le développement de leur marché intérieur. Je me réjouis d’ailleurs de constater que la Chine vient de mettre en œuvre un plan de relance de 450 milliards d’euros. En ces domaines, je le répète, tout se négocie.
Au sein de l’Union européenne, les grandes marques automobiles pourraient être associées à un contingentement de la production par pays en fonction des flux enregistrés depuis 1999. Le contingentement, je le rappelle, c’était l’essence de la Communauté européenne du charbon et de l’acier : revenons aux sources !
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’Europe ne saurait être l’autel sur lequel la France sacrifierait son industrie automobile. Un tel accord de contingentement ne peut, bien sûr, intervenir que dans le cadre d’un plan d’ensemble d’aide aux PECO, dont nous connaissons la situation économique et financière particulièrement difficile.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux redire à cette tribune que l’industrie automobile française ne doit pas disparaître ni devenir la variable d’ajustement au regard des difficultés des PECO. Il est temps de remettre en cause les postulats libre-échangistes et les dogmes d’une autre époque. N’immolons pas notre industrie automobile sur l’autel d’un libre-échangisme dévoyé ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi une remarque préalable sur le déroulement de cette séance d’initiative sénatoriale : je compatis avec notre collègue Gérard Cornu, président du groupe d’études sénatorial sur l’automobile, seul participant du groupe UMP à un débat portant sur un sujet essentiel, qui concerne la quasi-totalité de nos départements…
Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. Voilà tout l’intérêt que porte l’UMP à notre industrie automobile !
M. Jean-Pierre Bel. Nous avons vraiment beaucoup d’efforts à faire si nous voulons que cette formule des séances d’initiative sénatoriale fonctionne réellement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. C’est un coup de semonce !
M. Jean-Pierre Bel. La question que nous abordons aujourd’hui est à l’évidence essentielle pour l’économie française et européenne.
L’Europe, il faut le rappeler, est le premier constructeur automobile mondial, avec plus d’un tiers du marché. C’est un secteur primordial pour l’emploi, puisque, en comptant les 7 000 sous-traitants qui produisent les composants automobiles, ce sont 12 millions d’emplois en Europe et 10 % des emplois en France qui en relèvent.
Cela a été dit, l’automobile est l’un des secteurs les plus touchés par la crise. Le nombre des nouvelles immatriculations s’est ainsi effondré de 20 % au dernier trimestre de 2008. Comme pour les autres secteurs industriels, il est impératif que le Gouvernement réagisse selon trois axes, en soutenant la demande, les entreprises fragilisées pour éviter les défaillances en chaîne et, bien sûr, les salariés concernés.
Le Gouvernement a présenté un certain nombre de mesures en faveur du secteur automobile, inscrites dans le collectif budgétaire que nous examinerons la semaine prochaine.
Dès à présent, on peut regretter une certaine lenteur à réagir.
À l’échelon européen, si la Commission a présenté un plan d’action dès le mois de novembre dernier, il ne s’agissait que d’une validation des plans nationaux. C’est seulement le 25 février dernier que la Commission européenne a publié une communication spécifique intitulée Réagir face à la crise de l’industrie automobile européenne, dans laquelle elle reconnaît notamment l’importance du problème de l’accès au financement pour les équipementiers : ceux-ci, situés souvent au bout de la chaîne d’approvisionnement, sont moins diversifiés et moins capitalisés que les constructeurs.
Attendre le mois de février dernier pour réagir témoigne, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une impréparation devant la crise économique et sociale et d’une absence de vision stratégique réelle.
On nous a d’abord expliqué que la France échapperait à la crise, avant de nous affirmer qu’elle s’en sortirait mieux que les autres.
Ce flou dans la gestion prévisionnelle, cet aveuglement, volontaire ou involontaire, qui contraignent à réviser chaque mois à la baisse les prévisions de croissance, ont malheureusement des conséquences pour nos concitoyens : le Gouvernement n’a toujours pas pris la véritable mesure de ce qui se passe, ni lancé un plan de relance à la hauteur de la situation, c’est-à-dire un plan combinant encouragement à l’investissement et soutien à la consommation des ménages.
Tout le monde en est convaincu, il faut sortir d’un débat qui pourrait apparaître comme idéologique, pour trouver les chemins de l’efficacité et de l’intérêt général.
Cela ne nous empêche pas de nous interroger sur les contreparties des mesures d’aide. En théorie, les constructeurs devront respecter des engagements en matière d’emploi et d’investissement pendant une durée de cinq ans. Ils sont tenus de ne pas fermer de sites sur le territoire français pendant la durée du prêt qui leur a été accordé. De plus, ils ne pourront procéder à des licenciements en 2009, les éventuelles suppressions d’emplois étant liées à des départs volontaires. Enfin, ils s’engagent à ne pas délocaliser à l’étranger la production de voitures vendues en France.
Néanmoins, on a tout de même le droit d’être sceptique.
Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur les délocalisations, annonçant notamment, vendredi dernier, la création de 400 emplois à Flins, grâce au « rapatriement » de Slovénie de l’assemblage de la Clio II. Toutefois, à y regarder de plus près, ce transfert ne durera que de juin à octobre et résulte plus d’un besoin industriel transitoire que d’une véritable relocalisation pérenne, avec maintien des emplois.
M. René-Pierre Signé. C’est exact !
M. Jean-Pierre Bel. Renault souhaite en effet, tout simplement, soulager son site de production slovène. Il ne s’agit donc, hélas, que d’un simple transfert pour une durée très limitée.
Quant aux engagements en matière d’emploi, le scepticisme est tout autant de mise, puisque Renault a annoncé un plan de départs volontaires en juillet, qui concernera 6 000 personnes. Il s’agit d’une véritable saignée infligée aux effectifs.
Quant à PSA, le plan annoncé le 4 décembre dernier prévoit 850 départs volontaires et 900 « redéploiements » d’ouvriers de production vers d’autres sites du groupe, soit, en définitive, la suppression de 1 750 postes.
En regard, les contreparties sociales prévues soulèvent de grandes interrogations, notamment lorsque l’actualité vient démentir certains couplets enflammés sur l’éthique du capitalisme.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous le dis à mon tour, et beaucoup, dans les rangs de la majorité, sont prêts à tenir les mêmes propos : arrêtons les discours et les vœux pieux, légiférons sur les stock-options et les somptueuses rémunérations que s’accordent les patrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Jean-Pierre Bel. Dans ce domaine, les Français veulent des actes. Mes collègues, notamment Martial Bourquin, l’ont rappelé à plusieurs reprises ce matin.
Par ailleurs, nous ne pouvons que vivement regretter le manque d’intérêt pour les équipementiers automobiles dont témoigne ce plan. Leur survie est pourtant indispensable au maintien de l’industrie automobile, filière vitale pour l’avenir économique de notre pays. Elle est aussi essentielle pour les très nombreuses régions où ces équipementiers, tels que Key Plastics, Heuliez, Goodyear, Continental, Lear, Faurecia ou Schaeffler, sont fortement présents.
Le Gouvernement a créé le fonds de modernisation des équipementiers automobiles, dont la dotation, financée à hauteur des deux tiers par Renault et PSA, atteindra 600 millions d’euros.
Au vu de l’ampleur de la crise, un tel montant est largement insuffisant : tous les intervenants et l'ensemble des observateurs l’ont souligné.
Il est indispensable que la création de ce fonds soit accompagnée d’autres mesures spécifiques d’accès au financement et d’un véritable plan d’aide. Aux États-Unis, l’État fédéral a annoncé, le 19 mars dernier, une aide de 5 milliards de dollars aux équipementiers américains pour traverser la crise. Où est le plan, français ou européen, qui pourrait soutenir la comparaison ?
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur la situation particulière de l’entreprise Michel Thierry, située dans mon département. Elle est le leader mondial dans le domaine du textile et du cuir destiné à l’industrie automobile et emploie directement plus de 500 salariés.
Depuis plusieurs mois, cette société subit elle aussi l’effondrement du marché automobile et connaît, en conséquence, de graves problèmes de trésorerie. Les CDD et les contrats d’intérim n’ont pas été reconduits, et un plan de 130 départs est prévu. C’est beaucoup pour une petite région comme la nôtre, qui compte 20 000 habitants. Voilà une quinzaine d’années, l’industrie textile comptait 5 500 emplois ; aujourd’hui, il en reste moins de 2 000, et le fleuron de ce secteur, l’entreprise Michel Thierry, est donc confronté à de lourdes difficultés.
Certes, cette entreprise sera éligible au fonds souverain industriel, mais elle devra patienter avant de percevoir des aides et, entre-temps, elle a besoin d’être soutenue par les banques au travers de l’octroi de prêts-relais. Or, aujourd’hui, nous sommes dans l’expectative, ne sachant pas si Michel Thierry, qui, chez nous, représente près de 1 000 emplois directs ou indirects, pourra survivre, tout simplement parce que les banques ne jouent pas le jeu.
Mme Lagarde a déclaré : « Société générale doit rimer avec intérêt général. » (M. Jean Desessard s’esclaffe.)
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jean-Pierre Bel. Elle a raison. Je sais que vous avez déjà été alerté sur les difficultés de l’entreprise Michel Thierry, monsieur le secrétaire d’État. Je forme le vœu que, ensemble, nous réussissions à la sauver, car cela est absolument indispensable pour notre région.
Je regrette qu’aucune contrepartie aux sommes accordées aux constructeurs automobiles n’ait été demandée en ce qui concerne les rapports entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre, rapports qui posent beaucoup de problèmes.
Les constructeurs automobiles poussent, au final, leurs sous-traitants à la délocalisation, en leur imposant, chaque jour un peu plus, de diminuer leurs coûts, jusqu’au seuil de l’impossible. Cela a inévitablement de lourdes conséquences, en termes d’emploi et de conditions de travail, dans des bassins d’emploi aujourd’hui sinistrés.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, même si nous devons profiter de la crise pour repenser l’économie automobile, en imaginant d’autres modes de production et d’autres modèles à construire, il n’en reste pas moins qu’il y a urgence.
Les mesures à prendre face à la crise doivent intégrer un principe salvateur, celui de l’immédiateté et de l’efficacité. De ce point de vue, il est clair que si nous n’agissons pas avec beaucoup plus de volontarisme, les inquiétudes ne feront que croître. J’espère au moins que notre débat de ce matin aura contribué à faire prendre conscience qu’il n’y a vraiment plus de temps à perdre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier M. Sueur d’avoir posé cette question sur la crise actuellement traversée par l’industrie automobile, qui est un sujet de préoccupation sur toutes les travées de votre assemblée. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Non, pas sur toutes !
M. René-Pierre Signé. Ils ne s’y intéressent pas beaucoup à l’UMP, vu le nombre de présents !
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Je me réjouis que la réforme constitutionnelle ait instauré les semaines d’initiative parlementaire, permettant notamment le contrôle de l’activité du Gouvernement et la tenue de ce type de débat.
En préambule, je souhaite rappeler les raisons de l’engagement de l’État et de l’ensemble des partenaires dans le pacte automobile.
La gravité de la crise justifiait l’ampleur de la réaction du Gouvernement, d’autant que le secteur de l’automobile a été le premier à être touché de plein fouet.
Ce secteur a en effet besoin de liquidités abondantes et d’un large accès aux marchés financiers. Or, dès le début du mois de novembre, l’ensemble des constructeurs mondiaux se sont trouvés dans l’impossibilité de financer non seulement leurs investissements, mais aussi leur activité industrielle courante.
Le secteur de l’automobile a ensuite subi l’effondrement de la demande. Souvenez-vous : lors du Mondial de l’automobile, au début du mois d’octobre dernier, les chiffres marquaient encore une croissance de l’activité de l’industrie automobile pour le premier semestre de 2008. La crise financière a provoqué un effondrement de la demande : la répercussion a été immédiate, les industriels prenant les premières décisions d’arrêt de lignes de production dès le mois de décembre. En outre, les constructeurs ont commencé à déstocker, ce qui a entraîné un gel des commandes à leurs fournisseurs de premier et de deuxième rangs.
Une deuxième raison justifiant notre mobilisation tient naturellement au poids de l’industrie automobile dans notre pays.
Le secteur automobile occupe en effet près de 10 % de la population active, depuis la sous-traitance jusqu’à la distribution, en tenant compte de l’ensemble des emplois directs ou indirects. En tant qu’élu d’un département à la fois rural et industriel, je sais l’importance, pour nos territoires, de tout ce tissu de PME de la forge, de la fonderie, de la plasturgie, du décolletage, qui travaille en sous-traitance pour l’industrie automobile.
Par ailleurs, l’automobile représente 1 % du produit intérieur brut français, mais 15 % de l’effort de recherche et développement. Elle constitue donc un facteur d’innovation essentiel pour notre économie. Cela explique aussi notre mobilisation.
Troisième facteur motivant notre engagement, la crise est toujours plus longue dans l’automobile que dans d’autres secteurs.
Ainsi, après les trois précédentes crises économiques mondiales que nous avons connues – les deux chocs pétroliers et la récession de 1993 –, il avait fallu de trois à cinq ans pour que le secteur de l’automobile retrouve le volume de ventes qu’il réalisait antérieurement.
Il était d’autant plus nécessaire d’apporter une réponse forte à la crise actuelle que cette dernière ne saurait masquer, comme l’a fort justement rappelé M. Cornu, les difficultés structurelles de la filière automobile. Au-delà de la crise financière et de la récession mondiale, l’automobile est victime d’une crise de son modèle économique, marquée par une évolution de la demande des consommateurs. Les constructeurs expliquent qu’ils avaient bien perçu un changement des attentes de leurs clients, qui souhaitent désormais des véhicules plus propres, moins tape-à-l’œil.
M. Daniel Raoul. Moins « bling-bling » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Luc Chatel, secrétaire d’État. Le « tout-bagnole » est peut-être derrière nous.
Toujours sur le plan structurel, il faut souligner que, en 2008, notre pays, qui a contribué à l’invention de l’automobile voilà plus de cent ans, a été pour la première fois importateur net de véhicules automobiles. Cela veut bien dire qu’une dérive s’est opérée depuis quelques années. En cinq ans, la production automobile française a baissé de près de 1 million d’unités, passant de 3 millions de véhicules à un peu plus de 2 millions aujourd’hui.
Il fallait enrayer cette tendance. La crise nous impose certes de répondre à l’urgence, mais, sur un plan plus structurel, nous devons également faire en sorte que la filière automobile redevienne un secteur industriel d’avenir pour notre pays, d’où la démarche inédite que nous avons engagée. Je crois, monsieur Sueur, que les mesures prises sont à la hauteur des difficultés.
Au mois de décembre, nous avons mis en place un comité stratégique pour l’avenir de l’automobile. Songez, mesdames, messieurs les sénateurs, que jamais auparavant les acteurs de la filière – constructeurs, équipementiers, sous-traitants de premier, deuxième et troisième rangs, mais aussi représentants des salariés, élus, responsables des pôles de compétitivité, etc. – ne s’étaient trouvés ainsi réunis pour parler de leur avenir et travailler ensemble ! Ils se voient quotidiennement pour discuter des produits, des prix et négocier, mais c’est la première fois qu’ils disposent d’un tel lieu de concertation, d’échange et de débat. Ce comité stratégique permet à toute la filière automobile de prendre le temps d’une réflexion commune sur la construction de son avenir.
Les états généraux de l’automobile du 20 janvier dernier, auxquels vous avez été un certain nombre à participer, mesdames, messieurs les sénateurs, s’inscrivaient dans la même démarche. Ils ont permis de mettre en place le pacte automobile.
Ce pacte est un plan massif, permettant d’agir en même temps sur cinq leviers. Cette dénomination de « pacte » suppose des engagements mutuels et des contreparties aux aides apportées. J’y reviendrai dans un instant.
La priorité était de répondre aux difficultés rencontrées par les constructeurs, qui sont à l’origine de la crise du secteur. S’il n’y a plus de constructeurs, monsieur Sueur, il n’y a plus de filière ! Il nous fallait donc d’abord éviter la faillite des constructeurs automobiles, faire en sorte qu’ils puissent trouver des liquidités. Songez que les deux constructeurs automobiles français ne parviennent pas, aujourd’hui encore, à se financer sur le marché obligataire !
Nous avons décidé de soutenir l’activité des constructeurs en accordant des prêts participatifs à Renault, à PSA et au fabricant de camions Renault Trucks. Il ne s’agit pas de « cadeaux ». Cette mesure était une façon de répondre à l’urgence. Elle aura une incidence sur toute la filière, car la meilleure aide aux équipementiers, qui sont au cœur de notre discussion, c’est un redémarrage des commandes passées par les donneurs d’ordre, c’est-à-dire les constructeurs.
Pour relancer l’activité des constructeurs, il convenait également d’apporter une aide à leurs clients. Je rappelle que, en France, deux véhicules neufs sur trois sont achetés à crédit. Or une crise totale du crédit s’était installée, qui frappait notamment les filiales bancaires des constructeurs. D’une manière quelque peu paradoxale, celles-ci avaient resserré leurs conditions de prêt. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de consacrer 1 milliard d’euros à une relance du crédit à la consommation.
La prime à la casse est également une mesure destinée à encourager la consommation. Trois mois après le début de sa mise en œuvre, que constatons-nous ? Le marché européen de l’automobile, à la fin du mois de février, avait reculé de 22 %, le marché britannique de 28 %, le marché espagnol de 45 %, le marché français de 10 %... Certes, il existe des tensions pour certains modèles, les consommateurs se tournant vers les véhicules économiques, comme les Clio ou les 207, dont les ventes ont progressé de 52 %, tandis que celles de Laguna ou de 407 ont baissé de 22 %. Cette inadéquation ponctuelle ne concerne pas uniquement les constructeurs français. Lorsque le marché aura repris, ce phénomène sera lissé.
Naturellement, monsieur Bourquin, nous réfléchissons à l’après-prime à la casse, l’échéance du dispositif étant fixée au 1er janvier 2010. Nous ne voulons pas que la fin de la prime à la casse ait une répercussion négative immédiate sur l’activité du secteur automobile, et nous nous montrerons très vigilants à cet égard. Le système du bonus-malus, pour sa part, s’appliquera jusqu’en 2012.
Le deuxième axe de notre action est le soutien aux équipementiers.
Monsieur Bel, je ne peux vous laisser dire que le Gouvernement se désintéresserait du sort des équipementiers et des sous-traitants. Cette question est au cœur de notre action.
La mise en place du fonds de modernisation des équipementiers automobiles a donné lieu à une discussion difficile. Mon idée était d’amener les donneurs d’ordre à soutenir leurs sous-traitants, comme cela a été fait dans le secteur de l’aéronautique avec les fonds Aerofund I et II. Nous avons fini par obtenir gain de cause, et des engagements sur ce point ont été inscrits, à titre de contreparties, dans les contrats des prêts accordés aux constructeurs automobiles. Un tour de table a permis de doter le fonds de modernisation des équipementiers automobiles de 600 millions d’euros, 200 millions d’euros étant apportés par chacun des deux constructeurs et 200 millions d’euros par l’État.
Des prises de participation chez des équipementiers ont déjà été annoncées. On peut certes trouver que les choses ne vont pas assez vite, monsieur Sueur, mais nous n’en sommes qu’au début du processus : le pacte automobile a été lancé le 9 février dernier, et l’accord de la Commission européenne pour la mise en place du fonds de modernisation des équipementiers automobiles a été donné le 28 février, il y a moins d’un mois.
Une trentaine de dossiers sont en cours, et leur nombre croît chaque jour. Ce fonds n’a d’ailleurs pas vocation à concerner l’ensemble des PME de France ; il s’agit de prendre des participations dans le capital d’entreprises moyennes qui ont besoin d’un renforcement de leurs fonds propres, souvent moins importants que ceux d’entreprises allemandes comparables, afin de mieux traverser la crise. C’est sur ces entreprises que nous pourrons construire une filière automobile d’avenir, consolidée, moderne et compétitive.
Nous voulons également éviter d’enfreindre la réglementation européenne en la matière : dans le secteur agricole, on rembourse aujourd’hui des aides octroyées par l’État en contradiction avec la réglementation européenne !
La création du fonds de modernisation des équipementiers automobiles n’est que l’une des mesures destinées à soutenir la filière.
Pour répondre à une demande très forte des sous-traitants, nous avons décidé de porter à 90 % la garantie d’Oseo. Plutôt que d’inventer une usine à gaz, nous avons jugé plus efficace de renforcer un dispositif éprouvé, souple, bien connu des chefs d’entreprise, relayé par les régions et adapté aux besoins des petites et moyennes entreprises.
M. Cornu a très bien rappelé que la loi de modernisation de l’économie comporte une mesure très favorable aux équipementiers et aux sous-traitants : la réduction des délais de paiement leur est particulièrement destinée. Cela permet de transférer 1 milliard d’euros des constructeurs aux équipementiers et aux sous-traitants, qui ont bien besoin d’une telle somme en cette période de crise !
J’invite donc les détracteurs de l’action du Gouvernement à additionner l’ensemble de ces mesures substantielles prises en faveur des équipementiers et de la sous-traitance, sachant que je n’ai pas encore évoqué les dispositions fiscales en faveur de la compétitivité !
En outre, dans un climat tendu, nous avons eu des discussions dures, parfois violentes, avec les donneurs d’ordre pour leur imposer un changement de leurs pratiques à l’égard des sous-traitants. Ils doivent cesser d’obliger ceux-ci à délocaliser une partie de leur production dans des pays low cost. De telles clauses figuraient bel et bien dans des contrats d’approvisionnement de constructeurs automobiles français, mais nous avons obtenu leur suppression ! Hier encore, j’ai demandé aux dirigeants de Renault de sensibiliser leur direction des achats sur ce point. M. Cornu peut témoigner qu’un sous-traitant a apporté la preuve, au cours d’un comité stratégique, des pratiques déloyales d’un donneur d’ordre. La situation a été immédiatement corrigée par le constructeur en question.
Le code de bonnes pratiques prévoit dorénavant un partage plus équitable du risque et des investissements entre sous-traitants et constructeurs, les premiers ne devant pas tout supporter pour le compte des seconds. Cela vaut, par exemple, pour la prise en charge du coût des modèles dans le secteur de la plasturgie. Il s’agit là aussi d’une réelle avancée.
Enfin, les sous-traitants ont besoin d’améliorer leur compétitivité, afin que leurs produits se vendent mieux.
Dans cette optique, nous avons mis en place deux mesures pour aider les sous-traitants, petits ou gros, à améliorer la gestion de leur production.
Voilà quelques jours, j’ai lancé, à l’École catholique des arts et métiers de Lyon, le projet d’usine modèle, qui consiste à former chaque année 200 ingénieurs aux techniques de lean manufacturing. Celles-ci pourront ainsi être diffusées dans l’ensemble de la filière.
Par ailleurs, dans le cadre du pacte automobile, j’ai annoncé la mise à disposition des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, les DRIRE, d’une somme de 15 millions d’euros destinée à aider les PME à améliorer la gestion de leur production, donc leur compétitivité et, finalement, leurs ventes.
Le troisième volet du pacte automobile a pour objet de soutenir l’emploi et le développement des compétences.
Naturellement, notre objectif partagé est de maintenir l’outil de production et de sauvegarder des compétences humaines reconnues pendant cette crise, afin de préserver les capacités de l’industrie automobile française dans l’attente de la reprise.
Dans cette optique, la principale mesure prise concerne le chômage partiel. Eu égard au ralentissement d’activité sans précédent que nous constatons, le quota d’heures a été porté à 1 000 par an pour permettre au secteur automobile de traverser la crise. Surtout, la charge des entreprises est allégée par un relèvement de la part de l’indemnisation des salariés assumée par l’État. Cette indemnisation est portée à hauteur de 95 % du SMIC, soit quasiment l’équivalent du salaire net.
Je souligne, monsieur Sueur, que nous avons assorti ces mesures relatives au chômage partiel de deux contreparties fortes : l’interdiction de licencier les salariés concernés durant une période au moins équivalente au double du temps de chômage partiel qui a été accordé ; l’obligation de proposer une formation d’au moins dix jours aux salariés pendant leur temps de chômage partiel. Cette seconde contrepartie avait d’ailleurs été recommandée par les organisations syndicales.
C’est aussi pour soutenir l’emploi que la charte automobile a été signée l’été dernier entre Christine Lagarde, les représentants des syndicats et les constructeurs automobiles.
L’idée est de mieux anticiper les évolutions des besoins des entreprises dans le domaine automobile. Par exemple, une convergence est intervenue entre les métiers de la production et ceux de la distribution automobile, alors que ces filières étaient auparavant totalement distinctes. L’avènement de l’électronique les a fortement rapprochées. Sous réserve d’une formation et d’une adaptation des compétences préalables, cela permettra d’ouvrir à des salariés qui perdraient leur emploi dans la production 10 000 emplois aujourd’hui disponibles dans le secteur de la distribution.
Nous menons ces actions en concertation avec les organisations syndicales, monsieur Sueur. Au cours des deux derniers mois, j’ai reçu à quatre reprises les représentants des branches spécialisées des organisations syndicales pour échanger avec eux et entendre leurs propositions, dont nous avons repris un certain nombre dans le pacte automobile. Ils participent tous les mois au comité stratégique pour l’avenir de l’automobile, dont la prochaine réunion se tiendra le 1er avril. Vous le voyez, nous associons donc très étroitement à notre action les représentants des syndicats.
Bien sûr, ces mesures en faveur de l’emploi et du développement des compétences prennent un relief tout à fait particulier avec les fermetures d’usines et les restructurations que nous connaissons aujourd’hui. Comme le Président de la République l’a annoncé, le Gouvernement a décidé de renforcer sa politique concernant les restructurations.
Monsieur Danglot, ce n’est pas, à mon sens, en interdisant les licenciements que l’on règlera la situation ! Interdire les licenciements aujourd’hui, c’est interdire les embauches demain ! Je ne crois donc pas que ce soit la solution…
M. Guy Fischer. On n’a pas dit cela !
Mme Annie David. C’est de la caricature !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Le vrai remède, monsieur Danglot, c’est que tout salarié victime du ralentissement d’activité économique se voie proposer soit un autre emploi, soit une formation, soit le maintien d’un niveau de revenu qui lui permette de traverser la crise. Dans cette perspective, nous avons retenu une proposition de la CFDT de créer un fonds social qui sera affecté à l’accompagnement des mutations économiques par l’aide à la reconversion des salariés victimes de la crise.
Suivant la même démarche, nous avons décidé de nommer des commissaires à la réindustrialisation dans les bassins de vie les plus durement frappés par la crise. J’aurai ainsi l’occasion, dans les prochains jours, d’installer à ce poste M. Claude Trink dans le département de l’Oise, emblématique des difficultés actuelles.
Un certain nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont appelé mon attention sur quelques cas précis qui font l’actualité.
Madame Goulet, je puis vous indiquer que l’État a aidé l’actionnaire principal de Faurecia. Hier, devant la commission à laquelle vous appartenez, le président de PSA a annoncé qu’il prendrait ses responsabilités en recapitalisant sa filiale Faurecia.
En outre, l’État a joué un rôle important de médiation, notamment sur le site d’Auchel. La production a pu reprendre, ce qui est un point important car les usines de plusieurs constructeurs automobiles se trouvaient bloquées. Naturellement, l’État sera particulièrement attentif à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l’emploi et à l’indemnisation des salariés concernés.
Madame Gourault, le cas du groupe Delphi constitue un nouvel exemple d’intervention de l’État, débouchant en l’occurrence sur un remboursement anticipé du crédit d’impôt recherche. Je reviendrai sur cette mesure essentielle.
Monsieur Bel, le dossier de la société Michel Thierry est entre les mains du Comité interministériel de restructuration industrielle, le CIRI. Il est particulièrement difficile, les besoins de trésorerie de cette entreprise étant évalués, pour l’année 2009, à une vingtaine de millions d’euros. Nous mobilisons néanmoins nos équipes pour essayer de parvenir coûte que coûte à une solution.
Le quatrième volet du pacte automobile est consacré à la compétitivité.
Préserver l’avenir de notre industrie automobile suppose d’entretenir, chez les industriels, l’envie d’investir et de fabriquer des voitures en France. Sinon, dans cinq ans, la production sera tombée de 2 millions à 1 million de véhicules !
Une étude minutieuse de la situation a fait apparaître que le prix de revient moyen d’un véhicule est de quelque 11 000 euros en France, contre 10 000 euros dans les pays low cost, soit 1 000 euros d’écart. Ce différentiel de 10 % est certes non négligeable, mais il est possible de l’effacer en grande partie si nous agissons simultanément dans plusieurs directions.
Dans le domaine de la fiscalité, la taxe professionnelle est une spécificité française. C’est elle qui pénalise au premier chef notre industrie, plus particulièrement l’industrie automobile. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Elle représente en effet 250 euros par véhicule fabriqué en France, dont 150 euros à la charge du constructeur, le solde étant acquitté par toute la chaîne des sous-traitants, eux aussi assujettis à cet impôt.
La taxe professionnelle sera supprimée, dès cette année, pour tous les nouveaux investissements. La suppression portera, l’année prochaine, sur un tiers du montant de la taxe, soit 8 milliards d’euros. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une bonne nouvelle pour l’industrie française et la compétitivité de notre secteur automobile !
M. René-Pierre Signé. Vous oubliez de dire que cette taxe est transférée aux contribuables !
Mme Nathalie Goulet. Et aux collectivités !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Accessoirement, monsieur Sueur, vous pourrez constater, vous qui êtes amateur d’additions, qu’au total ce sont 600 millions d’euros que le Gouvernement affecte directement à l’industrie automobile !
Autre mesure en faveur de la compétitivité, nous avons décidé d’anticiper le remboursement du crédit d’impôt recherche. Le taux actuel de remboursement, qui est de 30 %, est le plus fort des pays de l’OCDE. Le secteur automobile est le premier bénéficiaire de ce dispositif.
Toujours en matière de soutien à la compétitivité, les PME de la sous-traitance vont bénéficier de mesures visant à promouvoir le lean management. Il s’agit d’améliorer la gestion de la production, comme les Japonais l’ont fait avant nous, afin d’abaisser les prix de revient et de rendre nos entreprises plus compétitives.
Le dernier volet du pacte automobile a trait à l’innovation.
Monsieur Bourquin, nous croyons aux véhicules propres, nous croyons aux véhicules électriques. Afin d’encourager leur développement, nous mobilisons des moyens importants au travers du fonds démonstrateur de recherche de l’Agence de l’environnement de la recherche et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, et des prêts bonifiés instaurés dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Le pacte automobile prévoit de coordonner des actions et des initiatives aujourd’hui dispersées. Nous allons les fédérer par le biais d’un consortium, afin de favoriser la mise au point d’une solution française en matière de véhicules électriques. Il serait inconcevable que notre pays, qui compte deux des huit premiers constructeurs automobiles mondiaux et de grands énergéticiens, ne dispose pas d’une telle filière dans les années à venir !
Dans le même esprit, nous nous penchons sur la question des infrastructures. Avec Chantal Jouanno, nous avons installé un groupe de travail ad hoc. Comment équiper l’ensemble du territoire en bornes de rechargement ? En effet, il est très bien de mettre au point des véhicules électriques, mais cela ne servira pas à grand-chose si l’on ne peut les recharger facilement.
Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de dire hier aux salariés d’Heuliez que l’État ne laisserait pas tomber ce groupe. Il n’est cependant pas question de le nationaliser, aussi devons-nous trouver un partenaire économique et industriel. J’ai entendu le conseil régional exprimer sa volonté politique d’intervenir ; j’attends qu’il traduise en actes les engagements annoncés, pour un montant de 5 millions d’euros. Pour l’instant, seuls 3 millions d’euros ont été votés par la commission permanente du conseil régional. Cela dit, il faut surtout mettre en place un tour de table réunissant des partenaires industriels. Mon équipe et moi-même agirons en ce sens au cours des prochains jours.
Enfin, de nombreux orateurs m’ont interrogé sur les contreparties aux aides de l’État. À cet égard, j’ai parlé de pacte « donnant-donnant ».
En premier lieu, nous avons exigé la non-fermeture de sites industriels en France. En effet, comment imaginer que les usines continuent de fermer alors que le contribuable est sollicité et que l’ensemble des acteurs se mobilisent en faveur de la filière automobile ?
Cela ne signifie pas, pour autant, que nous tombions dans le protectionnisme. J’indique d’ailleurs à Mme Escoffier que nous n’avons pas voulu prendre de mesures tendant à imposer aux constructeurs de ne travailler qu’avec des sous-traitants français. Cela aurait été, à mon sens, une erreur très grave, car notre pays compte sur son territoire de très nombreuses entreprises industrielles à capitaux étrangers qui fournissent des emplois et contribuent à notre dynamisme économique, toutes choses dont nous avons besoin.
Le comité stratégique pour l’avenir de l’automobile comprend d’ailleurs des représentants des groupes Bosch, Iveco et Renault Trucks, dont l’actionnaire principal est aujourd’hui Volvo. La France a besoin de capitaux étrangers. Par conséquent, prendre des mesures protectionnistes nous exposerait à un désastreux retour de bâton. De surcroît, de telles mesures seraient en contradiction avec les règles européennes.
En deuxième lieu, nous avons exigé que des engagements soient pris en matière de gouvernance, excluant le versement de bonus, les éventuels bénéfices devant être affectés en priorité à l’investissement et au renforcement des fonds propres.
En troisième lieu, nous avons fait expressément figurer dans les conventions signées le 9 février dernier, à l’Élysée, en présence du Président de la République, un engagement des constructeurs automobiles en faveur de la filière. Nous les avons sollicités pour boucler le fonds de modernisation des équipementiers automobiles.
Le contrôle du respect de ces engagements sera assuré, monsieur Bourquin, par le comité stratégique pour l’avenir de l’automobile. Le Parlement y est associé, puisque les présidents des groupes d’études sur l’automobile de l’Assemblée nationale et du Sénat participent aux travaux de ce comité, ce qui me paraît important.
En outre, nous avons des échanges permanents avec la Commission européenne depuis le mois de juin 2008. Le Président de la République a demandé la mise en œuvre d’un plan européen en faveur de l’automobile. À défaut d’un tel plan, la France a été le premier État membre de l’Union européenne à prendre des initiatives. L’ensemble des pays dotés d’une industrie automobile forte ont d’ailleurs suivi son exemple et institué des plans comparables.
Pour conclure, je ne crois pas, monsieur Sueur, que ce plan ne soit pas adapté aux besoins des équipementiers et à la gravité de la situation. Je ne pense pas non plus, monsieur Bel, qu’il manque de vision. Sa mise au point a fait l’objet d’une large concertation, en amont, avec l’ensemble des acteurs de la filière, lors des états généraux de l’automobile.
Cette démarche est bien accueillie. Sur le terrain, je présente le pacte automobile dans les grandes régions de production. Je me suis ainsi rendu, notamment, à Douai, en région Rhône-Alpes et en Lorraine.
Dans le Nord-Pas-de-Calais, le président du conseil régional, qui n’est pas précisément un membre de la majorité gouvernementale, a pris publiquement la parole pour exprimer son soutien au pacte automobile, estimant que ces mesures allaient dans le bon sens pour répondre à la crise que traverse actuellement le secteur de l’automobile. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Daniel Raoul. Quel scoop !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Ce plan a d’ailleurs été repris, j’y insiste, par les principaux pays producteurs d’automobiles en Europe.
Comme l’a très bien dit M. Cornu, nous devons aussi délivrer un message d’avenir. Je crois en l’avenir de l’automobile en France, pour peu que ce secteur tienne compte de l’évolution des attentes des consommateurs. L’émergence d’un certain nombre de pays représentant d’importants réservoirs de croissance suscitera des besoins considérables à l’échelle mondiale. Il convient de reconnaître la mutation des technologies et du modèle de l’automobile, et de s’y préparer. Notre industrie automobile est bien armée pour cela, elle avait simplement besoin d’être soutenue au travers d’un plan massif. Tel est précisément l’objet du pacte automobile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’aurez constaté, tous les intervenants ont fait preuve d’un grand souci de réalisme. Sans démagogie aucune, chacun a expliqué ce qu’il percevait et connaissait de la réalité, à l’échelle tant départementale que nationale.
Lorsque M. le président de la région Nord-Pas-de-Calais exprime son souhait de coopérer avec le Gouvernement pour trouver les meilleures solutions, lorsque Mme la présidente de la région Poitou-Charentes propose d’apporter son concours, en concertation avec le Gouvernement, cela témoigne simplement du fait que nous voulons avant tout répondre concrètement aux difficultés que rencontrent les entreprises du secteur automobile, des constructeurs aux sous-traitants et aux équipementiers. Personne ne comprendrait que les considérations politiciennes prennent le pas sur cette préoccupation.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous livrerai très franchement le sentiment que m’inspire la réponse que vous avez bien voulu nous donner et que j’ai écoutée avec beaucoup d’attention.
Votre analyse de la situation me paraît tout à fait pertinente, notamment lorsque vous évoquez le déstockage, la longueur particulière des crises dans le secteur automobile, les évolutions des attentes de la clientèle, etc. Nos diagnostics ne divergent donc guère.
Par ailleurs, vous avez détaillé avec beaucoup de clarté les mesures annoncées par le Gouvernement et les décisions qu’il a prises.
Cependant, vos réponses aux questions précises que nous vous avons posées nous ont laissés sur notre faim. Je reviendrai donc succinctement sur trois d’entre elles, en espérant que mes observations pourront nourrir votre réflexion et inspirer votre action.
S’agissant tout d’abord du fonds de modernisation des équipementiers automobiles, le FMEA, vous nous avez dit qu’il s’agissait de soutenir des entreprises viables, ayant des perspectives et un avenir : soit ! Cependant, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le directeur général du fonds stratégique d’investissement a déclaré qu’il aiderait les entreprises présentant « le meilleur potentiel technique, le meilleur potentiel de croissance, le meilleur potentiel d’exportation et de savoir-faire ». Voilà de mirifiques entreprises !
Dans le même ordre d’idées, s’agissant d’Oseo, il a été dit que « la garantie ne sera accordée qu’aux entreprises fondamentalement saines et qui n’étaient pas en difficulté financière avant l’été 2008 ».
Or nous connaissons la réalité des entreprises. Même s’il est tout à fait pertinent de vouloir aider les entreprises dont les perspectives sont prometteuses et les références excellentes, nous avons néanmoins l’impression qu’existe un décalage entre cet idéal et la situation concrète de dizaines d’entreprises qui se trouvent aujourd’hui dans le brouillard. Celles-ci ne demandent actuellement qu’à passer le cap, à ne pas être contraintes de licencier ou de fermer leurs portes, à conserver des capacités de production.
Nous persistons donc à penser que les moyens des fonds précités doivent être accrus et que les critères ouvrant le bénéfice des aides doivent être assouplis et rendus moins sélectifs, sans pour autant prétendre que chaque situation ne doit pas être analysée. Il s’agit d’être très réalistes, dans une période de grave crise imposant que des mesures exceptionnelles soient prises.
Par ailleurs, en matière de contreparties, nous pensons que l’on peut aller plus loin. Quand le Gouvernement et, surtout, le Président de la République le veulent, bien des choses deviennent possibles ! (Sourires.)
À cet égard, vous avez évoqué la suppression de la taxe professionnelle, sujet qui n’est pas de nature à nous rassurer. En effet, le Président de la République l’a annoncée, mais il n’a toujours pas indiqué par quoi elle serait remplacée. Qui paiera ? Les entreprises ou les citoyens ? Tant que nous n’aurons pas obtenu de réponse à cette question, nous demeurerons dans l’incertitude et l’inquiétude.
Pour en revenir aux contreparties, notre collègue Martial Bourquin a évoqué ce patron touchant 1 000 euros par licenciement : 1 000 licenciements étant prévus – nous espérons bien sûr qu’ils n’auront pas lieu –, la somme totale dont il bénéficiera est tout de même rondelette ! Aux yeux des salariés que nous connaissons et côtoyons, cette situation est inadmissible ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Gérard Cornu applaudit également.)
Il serait possible d’agir vite pour corriger de telles anomalies : lorsque le Président de la République émet l’idée de supprimer les pôles de l’instruction, un amendement visant à la mettre en œuvre est déposé dès le mardi matin suivant, et voté par certains d’entre nous dès le mercredi soir. Voilà qui est très rapide ! Je crois donc que des décisions pourraient être prises bien plus rapidement sur la question des contreparties.
Ma dernière observation portera sur l’urgence de la situation. Mon collègue le président du groupe socialiste, Jean-Pierre Bel, m’a demandé, à juste titre, d’insister à nouveau sur ce point.
Nous demandons que toutes les entreprises concernées par le dispositif soient reçues dans les préfectures, pour y être aidées et incitées à déposer rapidement des dossiers bien construits. Nous demandons qu’une cellule de crise permanente soit constituée au sein du ministère pour examiner au plus vite ces dossiers.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous nous avez indiqué que trente dossiers avaient déjà été déposés et que ce nombre croissait chaque jour, mais le journal Le Monde affirme, pour sa part, qu’un seul dossier a pour l’heure été examiné et que deux autres sont supposés l’être bientôt. Voilà qui n’est pas à la mesure du problème ! Il est absolument nécessaire d’aller très vite. (M. Raymond Vall applaudit.)
Pour conclure, j’évoquerai les récents propos tenus par M. le Président de la République, selon lesquels il jouit d’une excellente forme physique, mentale et intellectuelle. Il a d’ailleurs utilisé une métaphore fruitière pour indiquer à quel point il se porte bien ! Cela contraste singulièrement avec ce que nous disent tous les jours de leur état de forme nos concitoyens, notamment les salariés de la sous-traitance automobile…
Nous attachons quelque prix au réalisme et à la modestie. Nous souhaitons des réponses concrètes, des circuits de décision courts, un rythme de traitement des dossiers adapté à l’urgence des problèmes, des fonds suffisants et la prise en compte de la situation effective des entreprises. En nous exprimant comme nous l’avons fait ce matin, nous sommes vraiment au diapason de nos concitoyens, et nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous aurez entendus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Le Président de la République a la même attitude que Louis XVI le 14 juillet 1789 !
M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
5
Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé deux candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Claire-Lise Campion et M. André Lardeux membres du Haut conseil de la famille.
6
Avenir des services publics dans les zones rurales
Discussion d’une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 29 de M. Simon Sutour à M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire sur l’avenir des services publics dans les zones rurales.
Je demande à chaque intervenant de bien vouloir faire un effort pour ne pas dépasser le temps de parole qui lui est imparti. En effet, nous avons commencé la séance avec cinquante minutes de retard sur l’horaire prévu et la discussion de la précédente question orale a excédé de plus d’un quart d’heure la durée qui lui était dévolue.
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, je souhaite vous interroger sur l’organisation de nos travaux, qui portent aujourd’hui sur des questions d’une importance majeure. Comment envisagez-vous la suite de nos débats ? La fin de la discussion de la question orale de M. Sutour sera-t-elle reportée à cet après-midi ? Nous souhaiterions obtenir une réponse claire, étant donné les retards d’ores et déjà enregistrés.
Il me semble d’ailleurs qu’il conviendra de tirer les enseignements du déroulement de cette séance en évitant, à l’avenir, de surcharger l’ordre du jour, quel que soit l’intérêt des thèmes abordés.
M. le président. Monsieur Fischer, la difficulté tient au fait que la précédente séance a été levée plus tard que prévu cette nuit, ce qui a décalé d’autant l’ouverture de notre séance d’aujourd’hui. Voilà pourquoi j’ai appelé les orateurs à faire un effort pour respecter leur temps de parole.
Monsieur le secrétaire d’État, il me paraît difficilement envisageable d’achever la discussion de cette question orale dans la matinée. Quel est votre sentiment à cet égard ?
M. Hubert Falco, secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, je suis évidemment à la disposition du Sénat, mais je suis également tenu par certaines obligations cet après-midi : je souhaite donc que nous allions au terme de cette discussion dans la matinée, dût-elle se prolonger jusqu’à 13 heures 45 !
M. le président. Il est donc d’autant plus nécessaire de ne pas aggraver encore notre retard !
La parole est à M. Simon Sutour, auteur de la question.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureux que, dans le cadre de cette journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires, les territoires ruraux bénéficient d’une attention particulière, tant leur situation actuelle est difficile. Mettre l’accent sur les zones rurales n’est pas vraiment dans l’air du temps, les métropoles mobilisant souvent toute l’attention…
Les territoires ruraux sont donc oubliés, alors qu’ils sont durement frappés, eux aussi, par la crise économique, et doivent en outre faire face à un désengagement massif de l’État, d’une ampleur sans précédent.
Mon intervention ne sera pas polémique ; au contraire, elle se veut constructive, parce que l’avenir des territoires nous concerne tous, que nous représentions les villes ou les campagnes. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je ne doute pas que vous accordiez la plus grande attention à ce débat. Je souhaite que le Gouvernement apporte des réponses concrètes aux problèmes posés.
Je vais tenter de me faire le porte-parole de nombreux élus des zones rurales de notre pays qui ne sont plus aujourd’hui en mesure de répondre aux besoins élémentaires de leurs administrés en termes de services publics, alors même que le contexte actuel de crise économique et sociale aiguë appelle une intervention publique accrue en faveur de nos concitoyens les plus fragiles.
Or, cette situation est doublement injuste pour ces élus !
Tout d’abord, parce que la grande majorité d’entre eux sont dévoués au service de la population et s’évertuent, malgré le fort désengagement de l’État, à aménager le territoire de leur collectivité pour que les zones rurales ne deviennent pas le désert français du xxie siècle.
Ensuite, parce que les services publics en zone rurale se délitent à un rythme soutenu. Cela fait craindre, à court terme, une totale disparition de ceux-ci dans les zones éloignées des grandes agglomérations. Or, les services publics doivent être efficaces et accessibles à tous les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence. L’application de ce principe communément admis dans notre République semble de moins en moins s’inscrire dans la réalité.
Les bonnes intentions affichées par le Gouvernement dans ce domaine se heurtent malheureusement à la réalité des faits. La concertation sur ces sujets sensibles, maintes fois promise, est presque inexistante ou n’est pas pratiquée, comme l’illustre le non-respect de la charte sur les services publics en milieu rural.
Se croyant protégés par cette charte, les élus locaux pensaient être des partenaires à part entière des réformes en cours : vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, les élus, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, doivent être associés à toute réforme des services publics, en particulier dans les territoires ruraux. Bien souvent, ils sont d’ailleurs de formidables interlocuteurs, parce qu’ils ont eux-mêmes su moderniser leurs services pour atteindre des degrés de qualité et de coût optimaux.
Or, force est de constater que la concertation promise n’a pas lieu. Les élus locaux apprennent le plus souvent par voie de presse la suppression de telle brigade de gendarmerie, de telle trésorerie, de tel tribunal, sans qu’ils aient été consultés à aucun moment et sans que les conséquences de ces fermetures soient évaluées en termes de coûts sociaux et économiques.
Il ne s’agit pas de défendre ici l’immobilisme, au contraire. Nous avons tous conscience de la nécessité de faire évoluer les services publics dans les zones rurales : cette évolution n’est pas un tabou, et nul ne la conteste. Seulement, il faut l’admettre, la logique purement comptable du gouvernement actuel conduit à des réformes uniquement fondées sur la suppression de services, et non sur une adaptation qui permettrait de conjuguer qualité, efficacité et coûts raisonnables.
Parmi les réformes adoptées ou à venir, nous voyons se profiler des atteintes directes au service public, comme les fermetures d’agences postales, de trésoreries, de gendarmeries ou d’hôpitaux de proximité. D’autres atteintes sont plus indirectes, car moins visibles, mais ont finalement des effets tout aussi dévastateurs, comme la disparition de l’ingénierie publique, engagée elle aussi dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.
Qu’il s’agisse de l’école, de la poste, des structures d’accueil pour la petite enfance ou pour les personnes âgées, des transports ou des services assurant des missions d’intérêt général, notamment en matière de santé, de sécurité ou de justice, nous constatons depuis quelques années que la qualité et, surtout, la disponibilité des services publics dans les zones les moins densément peuplées se détériorent, au mépris des principes de solidarité et de cohésion territoriales.
Le temps qui m’est imparti et les circonstances de notre débat ne me permettront pas, malheureusement, d’aborder dans le détail toutes les atteintes au service public dans son ensemble, et aux services publics de proximité en milieu rural en particulier.
À cet instant, je ne peux m’empêcher de constater que la partie droite de cet hémicycle est désertée : le groupe UMP ne compte qu’un seul représentant ! Je n’en conclurai pas que nos collègues ne se sentent pas concernés par les questions que j’évoque, mais je tenais néanmoins à souligner cette situation qui, si elle se renouvelait à l’avenir, pourrait porter préjudice au crédit et à l’image des travaux de notre assemblée.
M. René-Pierre Signé. Ce sont des urbains !
M. Simon Sutour. Je voudrais insister plus particulièrement aujourd’hui sur le maintien du service public postal et des gendarmeries dans les zones rurales, emblématique de ce que nous souhaitons en matière d’aménagement du territoire.
La Poste, encore entreprise publique, se désengage de ses missions en milieu rural, et il ne se passe pas de jour sans que nous soyons interpellés, par des élus ou des particuliers, sur les fermetures de bureaux de poste, pas uniquement dans les zones les moins peuplées, j’y insiste.
La transformation du statut de La Poste, qui pourrait – hélas ! – conduire à une privatisation, ne laisse rien présager de positif pour l’avenir. En effet, cette évolution accentuerait le mouvement déjà bien amorcé de fermeture des agences les moins rentables et de transfert de celles-ci aux collectivités territoriales. Est-il nécessaire de rappeler dans cette assemblée, qui est le « Grand Conseil des communes de France », que les collectivités territoriales ne peuvent plus assumer de nouveaux transferts de charges ? Elles n’en ont malheureusement plus les moyens : pour parler un peu crûment, monsieur le secrétaire d’État, la barque est pleine !
Or, les habitants des zones rurales doivent pouvoir prétendre à la même qualité de service que les habitants des villes, car il n’existe pas, dans notre pays, de citoyens de première ou de seconde zone – du moins il ne doit pas en exister ! La péréquation nationale devrait jouer pour garantir, à l’avenir, un prix unique du timbre, une distribution à domicile du courrier six jours sur sept et la possibilité d’effectuer ses opérations postales ou bancaires à une distance raisonnable de son domicile.
La fracture numérique représente un autre échec pour le Gouvernement. Malgré l’effort substantiel des collectivités locales, en particulier des régions, cette fracture demeure et, à défaut d’un accès au haut débit, les élus ruraux nous interpellent de plus en plus souvent pour que leurs administrés puissent, au moins, bénéficier d’un service téléphonique de qualité, tant les coupures de téléphonie filaire sont désormais monnaie courante.
J’insiste sur ce point particulier, car ce phénomène ne se produisait pas auparavant. Lorsque je parcours mon département, j’entends de plus en plus souvent dire que le téléphone est coupé depuis plusieurs jours !
M. Jean-Pierre Bel. C’est vrai !
M. René-Pierre Signé. Il n’y a pas de personnel pour dépanner !
M. Simon Sutour. Le service universel de base n’est donc même plus assuré…
Concernant la téléphonie mobile, les zones blanches subsistent, ce qui pose des problèmes en termes de santé publique : avec des réseaux filaires peu fiables et un accès à la téléphonie mobile limité, les habitants de certains cantons de mon département peuvent se trouver totalement isolés et incapables de prévenir les secours en cas de problème de santé ou de sécurité. Une telle situation n’est pas admissible au xxie siècle !
S’agissant précisément de la sécurité, lors de l’examen par le Sénat, le 17 décembre dernier, du projet de loi relatif à la gendarmerie, qui doit encore être discuté à l’Assemblée nationale, Mme la ministre de l’intérieur nous avait assuré qu’aucun plan de fermeture de brigades de gendarmerie n’était envisagé. Or, d’ores et déjà, certains départements connaissent des fermetures administratives de brigades – quatre, notamment, en Meurthe-et-Moselle – et des études sont en cours dans mon département, qui pourraient aboutir, à court terme, à la suppression des brigades de gendarmerie de Sauve et de Génolhac. Mme la ministre de l’intérieur tente de trouver des justifications à cette réorganisation et prétend qu’en supprimant des brigades de gendarmerie, la sécurité sera améliorée in fine dans les cantons ruraux !...
En ce qui concerne la brigade de gendarmerie de Sauve, sa suppression serait justifiée par le fait que l’on trouve trois brigades de gendarmerie sur un trajet de quinze kilomètres. Aux yeux de Mme la ministre de l’intérieur, ce serait excessif pour assurer la sécurité sur cette portion de route : selon elle, deux brigades y suffiraient largement ! Je ne peux accepter cet argument, car les gendarmes n’ont pas pour unique mission, dans nos cantons, d’assurer la sécurité routière ; ils doivent aussi, et surtout, assurer la sécurité des biens et des personnes dans l’ensemble des communes, pas seulement sur les grands axes de circulation. Mais peut-être pourrez-vous m’annoncer une bonne nouvelle à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ?
Nous ne pouvons pas laisser des pans entiers du territoire démunis de forces de sécurité, d’autant que les statistiques relatives à la délinquance montrent clairement un déplacement de celle-ci des villes vers les zones périurbaines et, de plus en plus, vers les territoires ruraux, où l’insécurité s’accroît de manière inquiétante.
La révision générale des politiques publiques lancée par l’actuel gouvernement en 2007 est avant tout un vaste plan, à peine déguisé, de réduction des moyens et des effectifs dans la fonction publique. Je doute que les réformes des cartes judiciaire, hospitalière ou militaire aient fait l’objet d’une quelconque étude d’impact ; elles sont, à mon sens, mises en œuvre de façon complètement désordonnée.
Pour illustrer cette pagaille, je citerai un nouvel exemple choisi dans mon département du Gard et concernant, cette fois-ci, les sous-préfectures, dont une quinzaine en France seraient menacées de suppression.
La sous-préfecture du Vigan devait être supprimée purement et simplement. Son maintien a finalement été annoncé, mais sans sous-préfet, afin de réaliser quelques économies ! Par la suite, l’absence de sous-préfet présentant manifestement des inconvénients, on a nommé un sous-préfet « Canada dry », sous l’appellation de « conseiller d’administration ». Pour conférer quelque lustre à ce fonctionnaire dépourvu du titre de sous-préfet, il a été décidé de le doter d’un uniforme ! (Sourires.) C’est en effet ce que Mme Alliot-Marie nous a annoncé il y a une quinzaine de jours…
Franchement, il aurait été plus simple de maintenir la situation antérieure ! J’attends cependant le prochain épisode de ce feuilleton lié à la révision générale des politiques publiques, dont, pour ma part, je n’ai toujours pas compris en quoi elle consistait, si ce n’est qu’elle permet de faire des économies !
À cet instant, sans vouloir polémiquer, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur les milliards d’euros accordés aux bénéficiaires du bouclier fiscal,…
M. Joël Bourdin. On en parlera cet après-midi !
M. Simon Sutour. … qu’il faut bien récupérer quelque part ! J’ai l’impression que nos zones rurales, qui ne sont plus dans l’air du temps, dont on parle de moins en moins, puisqu’il n’est question que des métropoles, sont un peu les victimes de la mise en place de ce fameux bouclier fiscal.
Je m’interroge donc sur les économies budgétaires réalisées, et plus encore sur les promesses d’un service public rendu plus efficace. Je sais qu’un grand nombre de mes collègues pensent comme moi, même s’ils ne peuvent pas toujours exprimer les choses aussi clairement…
Je constate la disparition de trésoreries, d’hôpitaux de proximité, de bases militaires, de tribunaux, de gendarmeries, etc., ayant pour corollaire – ai-je besoin de le préciser ? – une baisse de la qualité des services rendus à la population.
Peut-être, monsieur le secrétaire d'État, serez-vous aujourd’hui en mesure de répondre à mes interrogations sur la révision générale des politiques publiques et de nous démontrer ses bienfaits, en termes de réduction des coûts, bien sûr, mais aussi d’efficacité.
Derrière toutes ces réorganisations, ces fusions, ces fermetures, ces délocalisations, il y a des hommes et des femmes, fonctionnaires ou non, qui non seulement apportaient un service utile aux populations rurales, mais contribuaient également, du fait de leurs revenus, au développement harmonieux de notre territoire.
Ce développement est une force pour notre pays. Les zones rurales ne sont pas un boulet ; elles sont au contraire une chance. Leur attractivité économique, mais aussi résidentielle et touristique, amenant l’amélioration du cadre de vie et l’installation de nouvelles populations, dépendent du maintien et du développement des services publics.
Les collectivités locales, dont les finances sont malmenées par l’État, ne peuvent plus suppléer le désengagement de ce dernier : vous ne pouvez plus, à cet égard, vous abriter sous le parapluie des transferts de charges et de compétences ; les Français le savent et ils sont très inquiets.
Par conséquent, je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, quelles sont les intentions et les perspectives d’action du Gouvernement pour lutter contre le développement de cette situation et éviter que la fracture territoriale ne s’aggrave de manière irrémédiable jusqu’à risquer, demain, de se transformer en un gouffre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie mon collègue Gérard Le Cam de m’avoir permis de parler avant lui. Les territoires ruraux étant parfois difficiles d’accès (Sourires), vous comprendrez que je ne puisse, à mon grand regret, assister à ce débat jusqu’à son terme. Je tenais néanmoins à m’exprimer, à ma manière, même si nous avons tous, quelle que soit notre sensibilité politique, la volonté de refléter les préoccupations du monde rural devant des évolutions et des réformes dont il ne doit pas être la victime. Je remercie M. Sutour de nous avoir fourni cette occasion de le faire.
Monsieur le secrétaire d'État, l’expérience que vous avez vécue en tant que maire d’une petite commune rurale avant de devenir maire de Toulon vous permettra sans doute de comprendre nos interrogations sur le nécessaire maintien, au sein de l’espace rural, d’un service au public, plutôt que d’un service public.
Il nous appartient, me semble-t-il, d’inventer des réponses qui soient adaptées aux exigences d’une gestion plus économe et d’une bonne qualité de service, ainsi qu’à une situation nouvelle.
En effet, si l’État assume certes une responsabilité directe en matière de sécurité et de justice, par exemple, il a aussi à jouer un rôle nouveau de garant des engagements pris, à l’égard des territoires ruraux, par de grandes entreprises, telles que La Poste, désormais chargées de certains services publics.
L’État voit donc sa mission évoluer en fonction des choix effectués.
En ce qui concerne la gendarmerie, nous souhaitons, monsieur le secrétaire d’État, que les programmes de réorganisation n’aient pas pour conséquence de vider l’espace rural et que la mise en place de communautés de brigades, par exemple, permette de répondre à l’exigence de maintien d’une présence dans un département comme la Lozère.
Nous savons que les services des finances vont se regrouper. La création de pôles financiers doit déboucher sur une amélioration du service rendu, et non par une disparition de ces services dans l’espace rural.
La loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux a créé un cadre nouveau. Son titre III traitait spécifiquement des services au public. La tenue d’une conférence de la ruralité était prévue, ainsi que l’élaboration d’une charte. Cela devait permettre d’engager une réflexion sur l’évolution de l’ensemble de ces services. Où en est-on, monsieur le secrétaire d’État, de cette démarche ?
Des dispositions législatives sont venues compléter ce cadre dans des domaines comme celui de la distribution d’énergie électrique, où la réorganisation intervenue a créé des situations nouvelles, ce qui a suscité certaines difficultés, en matière par exemple de raccordement au réseau de distribution. Électricité Réseau Distribution France, ERDF, qui travaille avec les structures intercommunales, n’est pas forcément en cause, mais un changement profond s’est produit dans le secteur de l’énergie électrique du fait de l’ouverture à la concurrence et de la séparation entre la production et la distribution. La conférence de la ruralité devrait nous permettre d’analyser objectivement les conséquences de telles évolutions.
Monsieur le secrétaire d’État, ces évolutions peuvent comporter des éléments très positifs, au-delà des conflits que nous vivons parfois, en tant qu’élus ruraux, lorsqu’il s’agit, par exemple, de demander à La Poste de prendre en compte la situation particulière de tel ou tel territoire. Les accords conclus entre La Poste et certaines communes peuvent ainsi permettre de maintenir une agence postale tout en y organisant l’apport d’autres services à la population.
Nous ne redoutons donc pas de poser clairement la question des services rendus au public.
Cela étant, nous voulons surtout vous alerter sur la nécessité de placer les évolutions technologiques au service de l’espace rural. La fracture numérique existe, or l’utilisation des nouvelles technologies représente sans doute une véritable chance pour les territoires ruraux.
Vous l’avez vous-même montré, monsieur le secrétaire d’État, en soutenant, par exemple, un projet d’installation de la fibre optique piloté par le syndicat mixte de l’A 75, qui, en offrant une capacité nouvelle en matière de haut débit, devrait inciter France Télécom à reconsidérer ses tarifs de location et d’utilisation de ses réseaux. De tels projets permettent de couvrir des collectivités autres que les grandes agglomérations ou les chefs-lieux.
Voilà tout un champ de réponses nouvelles qui s’ouvre à vous, monsieur le secrétaire d’État. Je m’étais réjoui de votre nomination dans vos fonctions actuelles, car il est capital pour nous d’avoir un interlocuteur au Gouvernement pour mener la réflexion, loin d’être aboutie, sur le maintien de l’attractivité de nos territoires ruraux et de la qualité de vie de nos populations.
Un autre domaine essentiel est aujourd’hui celui de la santé.
M. Jean-Luc Fichet. Eh oui !
M. Jacques Blanc. La santé, ce n’est pas seulement l’hôpital, c’est aussi l’installation de médecins dans l’espace rural, l’organisation de maisons médicales. Les jeunes médecins doivent être incités à venir s’installer dans les territoires ruraux, notamment par l’octroi de bourses. La sous-médicalisation est sans doute l’un des problèmes majeurs de l’organisation des services publics dans l’espace rural.
MM. Gérard Cornu et Yvon Collin. Tout à fait !
M. Jacques Blanc. Nous devons l’aborder avec une vision nouvelle. Notre pays n’a pas formé suffisamment de médecins dans le passé : tous les gouvernements qui se sont succédé ont une part de responsabilité dans cette aberration !
Nous devons donc réfléchir ensemble aux moyens de favoriser, dans le respect de la liberté d’installation, la venue de médecins dans les territoires ruraux.
J’aurais également voulu évoquer le traitement des eaux usées, l’un des premiers services publics qu’assurent les collectivités territoriales, mais je dois écourter mon propos afin de respecter le temps de parole qui m’est imparti.
En conclusion, nous, élus ruraux, sommes prêts, au rebours de toute vision passéiste, à prendre en compte les évolutions nécessaires devant permettre aux services au public de répondre aux attentes justifiées des ruraux et d’apaiser ainsi leurs inquiétudes.
Nous comptons sur vous pour nous aider, monsieur le secrétaire d’État. Il serait souhaitable d’organiser un grand débat sur les évolutions que la loi permet déjà. Peut-être faudra-t-il aller plus loin, et trouver des réponses nouvelles, afin qu’il fasse bon vivre dans nos territoires ruraux, en particulier dans nos montagnes ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je n’ai pas encore entendu un élu, de droite ou de gauche, critiquer les services publics en milieu rural. Bien au contraire, chacun y va de son couplet sur leur caractère indispensable, leur nécessaire développement, ainsi que sur la nécessité d’assurer une égalité territoriale en la matière.
En revanche, j’ai vu nombre d’élus proposer ou accepter des mesures, des lois, des directives qui portaient en elles les fondements de la déstructuration des services publics à la française et qui traduisaient la ferme volonté d’opposer ces derniers à une concurrence sauvage, « libre et non faussée ».
Faut-il le rappeler ? la conception française de l’intérêt général et du service public est ignorée par l’Union européenne, qui considère les missions d’intérêt général comme un élément subsidiaire de la concurrence.
Le traité de Maastricht de 1992 a introduit de manière coercitive l’objectif de réduction de la dépense publique. Le traité de Lisbonne a érigé en règle intangible la concurrence libre et non faussée, la LOLF et la RGPP étant chargées de parachever le « sale boulot ».
« Depuis plus de trente ans, l’État abandonne les campagnes françaises. » Ainsi s’insurgeaient, en novembre 2008, les députés ruraux du PCF et du MoDem, André Chassaigne et Jean Lassalle. Ils poursuivaient ainsi : « L’État ne porte plus une véritable politique d’aménagement du territoire et des espaces ruraux. Les agriculteurs, ruinés par des prix agricoles qui n’ont jamais été aussi bas, partent en faillite sans repreneurs, suivis par les commerçants et artisans qui ne trouvent personne à qui transmettre leur fonds de commerce ou leur savoir-faire. Les entrepreneurs désertent faute de soutien bancaire et d’infrastructures de transport dignes de ce nom. Les élus assistent impuissants à l’empilement de normes et de lois qui les paralysent et souvent au surendettement de leur commune qui bloque toute vision d’avenir. »
En septembre dernier, au cours de la campagne pour les sénatoriales dans les Côtes-d’Armor, nous avons été impressionnés par le sentiment d’abandon qui régnait chez les élus de toutes sensibilités, tout particulièrement ceux du Centre-Bretagne, qui attendent depuis plus de quarante ans la modernisation, par transformation en 2 x 2 voies, de l’axe routier central, la fameuse RN 164.
M. Jean-Luc Fichet. Bravo !
M. Gérard Le Cam. L’Association départementale des maires des Côtes-d’Armor réalise en ce moment une enquête sur le schéma départemental des services de proximité. Il est particulièrement intéressant de constater que, lorsque l’on parle de services à la population, les ménages citent le plus souvent les médecins, les mairies, l’enseignement primaire, La Poste, les commerces de proximité, les pharmaciens, les pompiers, l’hôpital, les services de maintien à domicile et les services infirmiers.
Pour eux, les éléments à améliorer sont la rapidité des réponses aux demandes, le temps d’attente et les horaires d’ouverture.
Les cinq services les plus cités que doit prioritairement proposer une commune rurale sont, dans l’ordre : l’enseignement primaire, la mairie, les médecins, les commerces de proximité et La Poste.
Enfin, les priorités d’action vont vers les services liés, d’abord, à la santé et aux personnes âgées, ensuite à l’éducation, l’enfance, la jeunesse et, enfin, à la sécurité.
Cette étude « grandeur locale » vaut pour la majorité des territoires ruraux, même si ceux-ci ne sont pas uniformes.
Les défaillances souvent constatées dans les secteurs clés, notamment la santé, l’école, le commerce ou La Poste, sont ressenties comme des abandons, voire comme du mépris à l’égard de la ruralité et de ses habitants.
Chaque recul des services publics augmente les distances à parcourir, les coûts induits, la dépendance des plus âgés, des plus fragiles, et entrave l’accessibilité aux services.
Dans leur rapport intitulé Le nouvel espace rural français, nos collègues Jean François-Poncet et Claude Belot insistaient sur le fait que « la condition sine qua non du développement démographique de l’espace rural est son accessibilité ». Dans un monde captif où la voiture reste souvent le seul moyen de déplacement, la flambée des cours des carburants a été très durement ressentie. Les grandes infrastructures routières et ferroviaires tardent à se concrétiser dans les contrats de projets État-régions, au nom desquels, d’ailleurs, il est demandé toujours plus aux collectivités locales.
La santé est également un secteur très sensible en zone rurale : celle ou celui qui connaît un problème grave de santé pendant un week-end ou un jour férié y encourt un risque bien plus élevé qu’en milieu urbain.
Monsieur le secrétaire d’État, depuis le mois de décembre 2003, la permanence des soins a été mise à mal par la majorité ; elle est désormais amplifiée par la démographie médicale, qui accentue les déserts sanitaires ruraux. Ma commune, située en bordure d’une route à quatre voies, compte près de 2 500 habitants et jouit de la quasi-totalité des services publics. Or il ne reste que deux médecins ; il en faudrait entre trois et quatre pour 5 000 patients potentiels. Aussi sommes-nous contraints de faire appel à un cabinet de recherche de médecins à l’étranger.
Mme Nathalie Goulet. Nous aussi !
M. Gérard Le Cam. Le coût de l’opération s’élève à plus de 14 000 euros, sans que nous ayons la garantie de combler convenablement le déficit et d’assurer la pérennité de toute la communauté sanitaire locale, qui craint l’effet domino.
Je pourrais citer de nombreux exemples, mais je ne veux pas manquer de citer « la phrase qui tue », entendue hier dans ma mairie par un représentant de La Poste : « Le fonds de péréquation de l’État est de 140 millions d’euros, il en faudrait 260 pour rester en milieu rural ». J’ai bien dit « pour rester » en milieu rural : mes chers collègues, nous devons méditer sur cette réflexion !
Comment ne pas rapprocher la situation des services publics en zone rurale du projet de réforme territoriale du Gouvernement ? Les communes prétendument trop petites et trop nombreuses coûteraient excessivement cher à L’État. Il faudrait alors les supprimer ! Autant casser le thermomètre pour ne plus avoir de fièvre… Mais plusieurs pauvres rassemblés n’ont jamais fait un riche !
Pourtant, nos communes et nos intercommunalités contribuent à atténuer les désengagements successifs de l’État. Elles jouent un rôle irremplaçable d’amortisseur social, malgré des moyens financiers beaucoup trop contraints.
Je prendrai quelques exemples : qui paye les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles ? Qui cofinance les coûts des repas, des garderies et des transports scolaires ? Qui fait fonctionner les centres communaux d’action sociale, les associations, les bibliothèques ? Qui assure des budgets énormes de voirie communale ? Tout cela avec une DGF qui n’évolue pas au rythme de l’inflation, une taxe professionnelle gelée au profit de la taxe professionnelle unique, et des impôts sur les ménages très difficiles à augmenter au regard des revenus modestes des administrés !
Le projet de réforme territoriale tend à regrouper tout cela dans les communautés ou les communes nouvelles ou dans les métropoles, à supprimer des emplois, à regrouper les écoles par « paquets de quinze » dans des établissements publics d’enseignement primaire, à réaliser des investissements sous forme de partenariats public-privé.
Ainsi, tout ce qui est rentable dans la sphère publique doit être privatisé et tout ce qui ne l’est pas doit être financé par les collectivités !
M. Jean-Luc Fichet. C’est bien vrai !
M. Gérard Le Cam. Comment ne pas évoquer la crise financière, que personne n’a souhaitée, mais qui illustre bien jusqu’où peut mener la frénésie du gain maximal, le « tout pour moi et rien pour les autres » ? Seule la régulation par des services publics puissants aurait pu contenir une telle boulimie d’argent.
Nous avons une conception générale des services publics, valable aussi en zone rurale, qui est radicalement différente de celle qui est mise en place depuis plus de trente ans par les fossoyeurs du service public. Pour parvenir à l’appliquer, il faut exiger de l’Europe, au titre de la subsidiarité, l’exception française en matière de services publics. Il faut également combattre les orientations de l’Organisation mondiale du commerce et l’Accord général sur le commerce des services.
Plus près de nous, en France, il est déjà possible de changer beaucoup de choses. Il faut abandonner immédiatement la règle du non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et l’application de la RGPP, qui est un véritable « Recul Général Pour les Populations ».
Mme Nathalie Goulet. Joli !
M. Gérard Le Cam. Les moyens financiers des communes, tout particulièrement la dotation globale fonctionnement, DGF, doivent être revus à la hausse en taxant les actifs financiers et la spéculation. Un moratoire sur les suppressions de services publics en milieu rural est nécessaire.
La taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, la TACA, doit être réaffectée intégralement, et non pas seulement, comme c’est le cas aujourd’hui, pour 10 % de son montant, au commerce et à l’artisanat de proximité. Un plan pluriannuel de réappropriation des grands services publics est indispensable pour les secteurs vitaux que sont l’eau, l’énergie, la santé, les transports, l’éducation et les communications.
Oui, mes chers collègues, we can do it ! Oui, nous pouvons faire de la ruralité une grande cause nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais remercier mon collègue Simon Sutour d’avoir posé cette question orale et de nous permettre ainsi d’évoquer un sujet ô combien important. J’aurais aimé parler devant une assistance plus fournie, mais je suppose que le découragement explique l’absence de mes collègues !
Je ne vais pas revenir longuement sur le constat, il a déjà été dressé par les intervenants précédents. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus ! La situation est grave : à la liste des services publics qui ont déjà disparu, il faut ajouter les menaces qui pèsent sur les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les trésoreries, les chambres de commerce et les sous-préfectures.
Par ailleurs, nous assistons à une recentralisation excessive au niveau régional du pouvoir de décision – c’est notamment le cas pour ERDF, Électricité réseau distribution France, la SNCF, Réseau ferré de France, Météo-France, les organismes bancaires –, avec le transfert aux préfectures de région des pouvoirs de décision en matière de planification des aides publiques et des fonds européens, et la perspective de la fermeture des sous-préfectures, qui constituent la dernière présence de l’État sur ces territoires.
Dans ces conditions, il n’est pas contestable que la désertification de nos campagnes est en marche : la disparition des médecins et l’impossibilité pour certaines entreprises d’attirer les compétences et les talents nécessaires à leur survie sont les premiers marqueurs d’une régression qu’il convient de stopper au plus vite.
Pour certains territoires, je pense au Sud-Ouest, la tempête Klaus a non seulement provoqué la désolation et le chaos, mais a surtout apporté la preuve concrète de la nécessité vitale de garder des services publics de proximité et un maillage fort au plus près des populations rurales, isolées, souvent très fragiles.
Cette ruralité aujourd’hui sacrifiée doit pourtant trouver encore des ressources pour soulager les finances de l’État dans certains domaines dont il a pourtant gardé la compétence, tels que l’entretien ou l’aménagement des routes nationales, qui ne représentent plus pour l’État que 11 000 kilomètres.
De même, rien qu’en Midi-Pyrénées, la remise en état des voies ferrées va coûter 500 millions d’euros d’investissement à la région si elle veut que son matériel roulant - les TER -, qu’elle a totalement renouvelé, puisse circuler. De ce fait, la région devra supprimer certaines aides pour les infrastructures routières.
Enfin, plus de un milliard d’euros est demandé aux collectivités rurales pour engager la réalisation et les études de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux-Toulouse.
Monsieur le secrétaire d’État, quel espoir pouvons-nous garder dans ces territoires ruraux quand nous savons que tous les moyens et leviers de décision seront encore plus concentrés dans les futures métropoles régionales telles qu’elles sont décrites dans le projet de la commission Balladur ?
Sans vouloir remettre en cause l’idée forte de donner une dimension européenne à ces ensembles, je rappelle que certaines métropoles disposent déjà de plusieurs pôles de compétitivité, trois par exemple pour Toulouse, devenus de véritables aspirateurs d’économie et de population active, ce qui n’empêche pas cette population de vouloir vivre à la campagne ! Et il nous revient de l’accueillir sans aucune contrepartie.
C’est d’ailleurs le constat fait en 2006 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, qui a pris l’initiative de déclencher l’appel à projets pour les pôles d’excellence rurale, les PER, afin de lutter contre cette dérive et de maintenir un développement économique équilibré. Je rappelle que 380 PER ont été labellisés.
Monsieur le secrétaire d’État, je sais que vous êtes favorable à une évaluation des PER. Je remercie le président de la commission des affaires économiques, Jean-Paul Emorine, d’avoir créé un groupe de travail sur ces pôles, car un grand nombre d’entre eux ont fait renaître l’espoir. Les coopérations intercommunales qui les portent, et qui sont devenues de véritables aménageurs de territoire, constituent des bassins de vie d’environ 15 000 à 25 000 habitants pour lesquels il est indispensable, et surtout juste, de maintenir un niveau de services publics suffisant, niveau qui est aujourd'hui menacé.
C’est à cet échelon qu’il me paraît pertinent de travailler en vue de l’élaboration d’une nouvelle politique d’aménagement du territoire, une action à l’échelle nationale impliquant la nécessité pour l’État de s’engager à pérenniser les services publics de proximité.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Raymond Vall. Toute réforme doit permettre, d’une part, d’imaginer une nouvelle fiscalité locale garantissant l’autonomie financière de ces collectivités et préservant le lien entre l’activité économique et le territoire, d’autre part, d’intégrer la notion de péréquation financière des ressources fiscales entre le territoire de création de la richesse et celui du lieu de vie.
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, mon cher collègue.
M. Raymond Vall. Dans la situation actuelle, il est important de se souvenir des propos de Pierre Mendès France : « Il ne faut jamais sacrifier l’avenir au présent. » (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Monsieur Vall, en dépassant ainsi votre temps de parole, vous avez amputé d’autant celui de votre collègue du groupe RDSE.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues résistants (Sourires), je commencerai par une note d’ambiance, pour réchauffer l’atmosphère !
Transports ferroviaires : des arrêts sont supprimés dans le Lot et la Creuse. Des élus bloquent des trains. Ils seront convoqués à la gendarmerie, déférés au parquet, assignés à comparaître devant le tribunal correctionnel pour entrave à la circulation, et ce à la suite du dépôt de plainte de la SNCF. Quelques-uns de ces « malfaiteurs » feront même l’objet d’une demande de placement sous contrôle judiciaire de la part du procureur de la République. L’affaire est en cours…
La Poste : le processus se poursuit de réduction des quarts d’heure d’ouverture des guichets, de transformation des bureaux de plein exercice en agences communales ou en « points poste » et de concentration des boîtes aux lettres des particuliers pour raccourcir les tournées.
Il y a un mois, une trentaine de maires ruraux de l’Hérault, département comme chacun le sait bientôt frappé de désertification (Sourires.), manifestent en écharpe devant le bureau de poste de Cruzy, menacé de fermeture.
Écoles : fermetures de classes dans le Loir-et-Cher et dans la Haute-Vienne. Depuis, les communes rurales auront hérité du SMA, le service minimum d’accueil. À ce jour, toutes les propositions d’aménagement pour tenir compte des moyens dont ces communes disposent réellement ont été refusées par le Gouvernement et sa majorité. On en aura encore une démonstration cet après-midi.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. À la fin de l’année dernière, les communes récalcitrantes sont déférées devant le tribunal administratif. Dans certains départements, comme le Var, que nous connaissons bien, monsieur le secrétaire d’État, le tout nouveau tribunal administratif se distingue même particulièrement. Les affaires sont toujours pendantes en appel.
Santé : au nom des grands principes et des petites économies, la fermeture des maternités et des hôpitaux de proximité se poursuit. Là, c’est la Nièvre et le Finistère qui sont en première ligne. En revanche, on ne voit toujours pas de mesures autres qu’incitatives dans le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, en cours de discussion, pour enrayer la raréfaction des services médicaux en zone rurale. Et tout le monde connaît l’efficacité des mesures purement incitatives !
TNT : actuellement, grâce aux investissements des collectivités locales, 98% de la population reçoit la télévision analogique terrestre. La loi n’impose qu’une couverture à 95 % pour la télévision numérique terrestre qui la remplacera à la fin du mois de novembre 2011.
Si l’on en reste à la liste des réémetteurs devant être transformés par les opérateurs, selon la liste publiée par le CSA en décembre dernier, 40 % des départements ne seront même pas couverts à 91 %, malgré l’engagement du Gouvernement. Confirmerez-vous cet engagement, monsieur le secrétaire d’État ?
En tout cas, je suis assez bien placé pour le savoir, tous les amendements visant à réduire cette injustice qui ont été présentés ici même lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision ont été rejetés par le Gouvernement et sa majorité.
Premier argument avancé par Mme la ministre de la culture, « […] l’obligation de couvrir 91 % de la population serait excessive, car, actuellement, la couverture en analogique, pour l’ensemble des départements, n’atteint pas 80 % ». C’est totalement faux !
Son second argument était qu’il fallait éviter des surcoûts supplémentaires aux chaînes qui seraient, d’après la ministre, dans une situation économique difficile. Sortez vos mouchoirs ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je pourrais continuer en évoquant l’ingénierie publique, euthanasiée par la RGPP, les problèmes d’ERDF ou de France Télécom, l’impact de la réforme de la formation des enseignants sur les antennes locales des IUFM, les transports sanitaires d’urgence, les problèmes de la gendarmerie, …
Mme Nathalie Goulet. Et aussi la fusion, et pis !
M. Pierre-Yves Collombat. … mais cela n’ajouterait rien au tableau.
Hier, aujourd’hui et demain le constat fut, est et sera le même : le service public en milieu rural poursuit son lent naufrage. La résistance opiniâtre de la population et de ses élus ne permet que de le ralentir, alors même que le secteur rural accueille de plus en plus de monde, une population d’origine urbaine qui a très logiquement les besoins d’une population urbaine. Le tout sur fond de dénégation des gouvernements successifs, qui, comme on le sait, adorent le service public rural, particulièrement en période électorale !
Déclarations d’intention, promesses, chartes des services publics en milieu rural - Simon Sutour en a rappelé le caractère purement décoratif -, se succèdent, et les pratiques restent inchangées. Quand organiserez-vous un « Grenelle » du service public durable en milieu rural ? Ce serait tout à fait tendance, pensez-y !
Mme Nathalie Goulet. On pourrait dire vintage ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Pourquoi en est-on là et comment pourrait-on en sortir ?
On en est là et on n’en sort pas, parce qu’aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans n’a voulu tirer les conséquences de la prétendue modernisation du service public relevant des grandes entreprises publiques qui a été imposée au pays.
Dans sa forme antérieure aux années quatre-vingt-dix, le service public, c’est l’ensemble des services que la République doit à ses citoyens, non pour leur confort, mais pour leur permettre d’exercer réellement leur citoyenneté. Une République « indivisible » et « sociale », selon les termes de l’article 1er de la Constitution, leur doit un service équivalent. Assurer le service public sur l’ensemble du territoire, fût-ce selon des modalités différentes, est donc une obligation politique de la puissance publique, financée directement par les budgets de l’État, des collectivités locales et des organismes sociaux, et indirectement par les ressources que les grandes entreprises publiques tirent de leur monopole.
Avec l’Europe du marché unique et de la « concurrence libre et non faussée », le paysage change totalement. C’est au marché qu’il appartient désormais de produire et de distribuer les services. Le service public « ancienne manière » ne subsiste qu’à titre de concession – temporaire – à l’histoire et à l’archaïsme – exception culturelle, obligations d’un État unitaire, et j’en passe. Ces services peuvent continuer à être financés sur fonds publics, mais avec des budgets d’État qui sont de plus en plus réduits.
Autre concession à l’archaïsme : les « services d’intérêt général » ou les « services universels », selon la terminologie. Avec eux, le déploiement volontariste de services dans le secteur concurrentiel, mais délaissés par le marché, devient licite.
Au prix de quelques acrobaties sémantiques, d’un peu de créativité budgétaire et d’ingénierie financière, il est possible de financer les services indispensables dans les secteurs où le seul jeu du marché ne suffit pas. La solution passe par des fonds de compensation alimentés par l’ensemble des acteurs du marché concernés, pour les « services d’intérêt général » ou les « services universels », et des fonds de péréquation publics, pour les services du même nom, assurés par des agents dont l’essentiel de l’activité se déploie dans le secteur concurrentiel.
Par rapport au passé, cette modernisation est une usine à gaz, d’où le peu d’entrain à la construire et plus encore à la financer. Mais, et c’est là la question centrale, comment faire autrement, pour vraiment sortir de l’impasse et de la guérilla actuelle, sinon en créant ces fonds et en les alimentant ?
Ce que l’on attend du Gouvernement, c’est une réponse claire à cette question : veut-il mettre en place un système de financement pérenne des services publics en milieu rural ? Si oui, il doit, pour ceux qui relèvent de sa seule responsabilité, en tirer les conséquences budgétaires. Je pense à l’éducation nationale, par exemple.
Pour les services assurés par les acteurs du marché concurrentiel, il lui faut chiffrer le « surcoût » du service public mis à leur charge et en prévoir le financement. Nous en sommes loin, même là où ce serait le plus simple, comme avec La Poste, qui me servira d’exemple.
Les estimations du « surcoût » du service public de la seule présence postale territoriale oscillent, tenez-vous bien, entre 70 et 700 millions d’euros !
Mme Nathalie Goulet. Une paille !
M. Pierre-Yves Collombat. Si le chiffre de 350 à 400 millions d’euros est le plus fréquemment retenu, c’est parce que c’est le plus souvent cité.
Le fonds de péréquation territoriale créé par la loi relative à la régulation des activités postales, quant à lui, est alimenté à hauteur de 130 millions d’euros, mais de manière virtuelle, puisqu’il représente la compensation par La Poste des exonérations de fiscalité locale dont elle bénéficie. C’est donc de l’argent qui était dû aux collectivités locales !
Ce fonds, créé pour éviter à La Poste d’être accusée par les banquiers de bénéficier d’avantages concurrentiels indus, est donc aussi précaire que les exonérations. Rien à voir donc avec les ruraux et leur service public, ce qui explique que le fonds de péréquation territoriale, qui existe avec la complicité active de l’État, est actuellement détourné de son objet : il s’agit pour La Poste non plus de financer le réseau nécessaire à la couverture de l’ensemble du territoire, sans considération pour le statut juridique des fameux « points poste », mais, d’une certaine manière, de se désengager. Grâce à cet argent, La Poste se défausse sur les agences postales communales et sur les « points poste » assurés par les commerces.
La guérilla que j’ai évoquée est le signe de la perversion d’un dispositif prometteur au moment de sa création. C’est pour cela que nous l’avions tous soutenu ici, mais il est actuellement détourné de son objet. Aujourd’hui, personne n’est plus dupe !
Monsieur le secrétaire d’État, les ruraux ont besoin précisément de l’abandon de ce double langage. Tout n’est pas possible, mais certaines choses sont envisageables et, si l’on décide de les réaliser, il faut le faire continûment !
Les ruraux n’ont pas besoin de déclarations de principe, de chartes de bonne conduite et autres nuages de fumée supplémentaires, ils ont besoin d’actes.
La problématique est claire : il faut financer le service public. Les outils pour y parvenir sont identifiés et, même si c’est compliqué, ils sont compatibles avec nos engagements européens. Reste à le vouloir. Le voulez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne veux pas parler ici de ruralité, mais bien plutôt de ruralités. Ce pluriel est chargé de sens, du sens vrai de la réalité de nos territoires, si différents les uns des autres et si riches de ces différences.
M. Yvon Collin. C’est très beau !
Mme Anne-Marie Escoffier. Dès lors, toutes les positions doctrinales de ceux qui croient pouvoir apporter le même remède à des maux multiples, souvent bien mal diagnostiqués, sont source de vacuité et d’inefficacité. Je n’en veux pour preuve que les mesures intempestives et maladroites prises en matière de service public dans les zones rurales, dans un mépris condamnable des besoins de ces ruralités et sans tenir le moins du monde compte de l’évolution de l’espace rural.
J’avais cru que jamais ne se reproduirait la situation dramatique vécue par la Creuse, qui, rappelez-vous, monsieur le secrétaire d’État, en 2004, avait manifesté, maires en tête de cortège, sa colère face à la désertification de son territoire.
M. Yvon Collin. Eh oui !
Mme Françoise Laborde. Tout à fait !
Mme Anne-Marie Escoffier. Pourtant, tout laisse à penser que les leçons de l’accablante impéritie de l’État n’ont pas été prises en compte : il nous suffira pour nous en convaincre d’entendre notre collègue Alain Fauconnier tracer le tableau affligeant de la réorganisation irréfléchie des services publics en Aveyron. D’ailleurs, chacun ici pourrait ajouter un exemple pris dans son département d’attitudes aussi absurdes qu’inopportunes.
Et pourtant, nos ruralités, à la fois espaces de nature, espaces nourriciers, espaces de « plein air », espaces à vivre, en somme, méritent un autre sort, une autre forme de respect.
Je n’ignore pas que certaines démarches ont été entreprises, notamment depuis la loi de 2005, avec la création des zones de revitalisation rurale et celle des pôles d’excellence rurale. Ces mesures ont toutes eu pour objectif de « dénouer l’opposition de destins entre un urbain et un rural qui seraient étrangers l’un à l’autre, dans leurs raisons d’être, leurs systèmes de valeurs, leurs mondes de représentations, y compris le monde politique ».
Mais je m’interroge encore, et je vous interroge, monsieur le secrétaire d’État, sur cette coupable inertie de l’État qui tarde à mettre en place par lui-même, ou à susciter en ce sens l’initiative des collectivités locales et des partenaires publics et privés, des lieux où la population pourrait trouver réunis tous les services publics ; ces lieux existent en quelques endroits et ont pour nom générique « maisons des services publics », « relais services publics », « points publics » ; ils sont des formes de guichet unique, mutualisant les informations de plusieurs services ainsi que les moyens de fonctionnement.
Cette formule ou des formules voisines se sont répandues depuis longtemps dans tous les pays d’Europe, au rythme d’ailleurs de la pénétration des techniques de l’information et de la communication sur leurs territoires. Elles ont concrètement répondu au besoin récurrent d’intermédiation de la population pour que soient ouvertes les bonnes portes d’accès aux services publics.
En France, cette forme de guichet unique serait le moyen le plus sûr de compenser la raréfaction des services publics sur nos territoires ruraux. Plutôt que de contraindre la population à se déplacer de plus en plus loin pour rencontrer les personnels chargés des services, il revient à ces personnels d’aller au-devant de la population.
Monsieur le secrétaire d’État, sans vouloir accabler davantage le Gouvernement, permettez-moi de m’interroger et de vous interroger sur la volonté avérée, concrète, de l’État d’entrer dans une réelle politique de maintien, voire de développement ou, à tout le moins, de réorganisation, des services publics en milieu rural ; sur les conséquences de la RGPP à l’échelon départemental et infradépartemental, deux niveaux d’élection pour le principe de proximité que le Gouvernement dit vouloir appliquer ; sur les avancées – mais peut-être s’agit-il de reculs ? – de la labellisation des « relais services publics » engagée dans le cadre de la modernisation de l’État.
Vous l’aurez compris, je veux encore croire à un État garant des principes d’égalité et de fraternité, inscrits dans la Constitution, à un État à la vigilance sans faille pour promouvoir une société généreuse et solidaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Françoise Laborde. Nous aussi !
(M. Guy Fischer remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Simon Sutour a été bien inspiré de poser cette question sur l’avenir des services publics dans les zones rurales. Sa question, en effet, traduit le malaise que connaissent les élus face à ce qui, au nom d’une prétendue modernisation, constitue un véritable démantèlement du ciment de la nation.
Depuis quelques années, il ne se passe pas un jour sans que les élus – en tout premier lieu les maires – apprennent la fermeture de tel ou tel service, au nom de ce qui est désormais le dogme du Gouvernement : la révision générale des politiques publiques, c'est-à-dire le « faux nez » de l’inavouable rentabilité financière.
À aucun moment les conséquences humaines, sociales et économiques qui en découlent n’ont été envisagées. D’évidence, il y en aura, et de plus onéreuses qu’on ne le croit !
Qu’on le veuille ou non, et je vous renvoie ici, mes chers collègues, aux volumes du célèbre Les Lieux de mémoire, paru sous la direction de Pierre Nora, ou à la non moins remarquable Histoire des passions françaises, de Theodore Zeldin, ce sont bien les services publics qui ont construit, au fil des décennies, le tissu dans lequel la France républicaine a forgé son identité et ses valeurs. Je veux parler des écoles, des lycées, des bureaux de poste, des tribunaux, des perceptions, des trésoreries, des hôpitaux, des unités de gendarmerie… Je ne saurais les citer tous, au risque de lasser.
Je constate, avec les historiens, que, de Lille à Montpellier, de Brest à Strasbourg, de Bayonne à Sarreguemines, du plus petit village de la Lozère au fin fond du Finistère, les services publics ont largement participé à la construction de l’identité nationale.
C’est un fait, depuis l’école du Grand Meaulnes jusqu’à la classe du philosophe Alain…
Mme Nathalie Goulet. Né à Mortagne-au-Perche !
M. Alain Fauconnier. … à l’École normale supérieure, la France était une pyramide de compétences et de savoirs dans laquelle chacun avait un rôle à jouer ; un rôle qui faisait de chacun le maillon d’une chaîne cohérente et complémentaire qui, au-delà des différences, faisait office de ciment de la communauté nationale.
Comme Voltaire qualifiait autrefois la messe d’« opéra du pauvre », n’a-t-on pas coutume de dire que les services publics sont le patrimoine des pauvres ? Les services publics sont un repère, un bien que tous les Français avaient jusque-là en commun, sans aucune distinction de classe.
Bien sûr, nous ne sommes pas figés. Je sais que tout évolue, c’est le sens de l’histoire. Pour autant, je ne suis pas persuadé que le fait de substituer systématiquement la seule logique comptable à l’esprit même d’une nation soit un bon calcul, pour le présent comme pour l’avenir.
C’est le sens du message que j’entends délivrer en tant que maire et en tant que sénateur. Je mesure toute l’importance d’une sous-préfecture, d’un commissariat de police, d’un tribunal d’instance ou d’un petit hôpital, pour ne prendre que ces quatre exemples parmi bien d’autres.
C’est dire notre inquiétude face à la généralisation progressive du délitement, voire de la destruction des services : EDF a fermé tous ses points d’accueil ; la SNCF interrompt certaines de ses lignes et la fracture numérique accentue les disparités ; l’accueil de la petite enfance se voit remis en cause par des coupes franches pouvant aller jusqu’à 40 % dans certains territoires ; La Poste est fragilisée par l’ouverture à la concurrence. Ce sont autant d’atteintes à la notion même de service public !
Quelle est la situation dans le rural profond ?
Tous ces services « physiques » sont remplacés par les centres d’appels téléphoniques, censés représenter la modernité.
Vous composez le numéro et vous entendez une voix synthétique vous expliquer que vous devez taper le 1, le 2, le 3 ou le 4 et terminer par dièse, puis vous attendez les instructions. Si vous vous trompez, vous êtes contraint d’écouter de nouveau le même message. Au troisième essai, vous avez épuisé votre interlocuteur virtuel et il n’y a plus personne pour vous répondre !
Imaginez un instant le désarroi d’une personne âgée confrontée à un problème de retraite, de MSA ou de coupure d’électricité !
Au rythme où vont les choses, il faudra bientôt que cette grand-mère possède un téléphone portable – si elle n’est pas en zone blanche – puisque, de plus en plus, les fils téléphoniques restent des mois au sol dans nos villages reculés.
Ce n’est pas de l’abandon, c’est du mépris, et une telle société va inéluctablement dans le mur !
Tous ces problèmes, y compris ceux dont je n’ai pas parlé, vous les connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous êtes un élu et que vous avez longtemps siégé dans cet hémicycle. Vos amis aussi sont confrontés à ces problèmes, ils les vivent quotidiennement sur le terrain, autant que nous, même s’ils n’osent pas se plaindre à haute voix, comme en témoigne notre hémicycle clairsemé.
Je voudrais évoquer brièvement trois domaines : la justice, la sécurité et la santé.
La réforme de la carte judiciaire, initiée voilà près de deux ans, a porté un sérieux coup à la cohérence du système. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas mettre en œuvre de réforme, et celle-là était probablement nécessaire, mais je conteste la manière dont elle a été conduite, en particulier l’absence quasi totale de concertation avec les élus et les responsables professionnels.
Dans mon département, la décision de fermer le tribunal de grande instance de Millau et le tribunal d’instance de Saint-Affrique, dans ma propre commune, a été prise sans que je sois à aucun moment consulté. De même, leur fermeture, initialement prévue le 1er janvier 2011, a été subitement avancée au 1er octobre 2009, par le fait du prince, sans que les maires concernés en soient informés.
Croit-on que la délinquance et la criminalité vont baisser avec la disparition de la justice de proximité qu’illustre désormais l’obligation faite aux plaignants de parcourir en moyenne 70 kilomètres pour se faire entendre ?
Mme Nathalie Goulet. C’est scandaleux !
M. Alain Fauconnier. La sécurité sera-t-elle mieux assurée lorsque les quelques gendarmes restants passeront la moitié de leur temps sur la route pour l’extraction des prisonniers…
Mme Nathalie Goulet. À chercher leur chemin !
M. Alain Fauconnier. … ou que la justice sera mieux rendue parce que les juges et les avocats passeront désormais, eux aussi, leur temps en voiture ?
Je m’interroge sur cette méthode qui, à l’instar d’une fuite en avant, consiste à détruire, et ce de plus en plus vite !
La réforme de la gendarmerie n’a pas été plus heureuse.
À l’évidence, personne, ou presque, ne la désirait. La loi, née dans la douleur, n’offre pas les garanties nécessaires quant à la pérennité de la présence territoriale de la gendarmerie et au maintien des brigades. La sécurité des populations en zone rurale en pâtira.
M. Yvon Collin. C’est une garantie républicaine !
M. Alain Fauconnier. Comme pour la carte judiciaire, les sénateurs socialistes ont à juste titre souligné que l’avenir du service de proximité que rend la gendarmerie dans nos départements risquait d’être compromis par cette réforme.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Alain Fauconnier. Nous n’avons pas été écoutés, mais il est fort probable que l’on se repentira bientôt – une fois de plus – des mesures contenues dans cette loi. Dans la région Midi-Pyrénées, l’objectif était simple : rendre trois cents postes de gendarme au titre de la RGPP, dont vingt pour l’Aveyron !
Le dernier volet de mon intervention est, à bien des égards, le plus alarmant, car c’est la santé de nos compatriotes qui est en jeu avec la future loi « hôpital, patients, santé, territoires ».
Ce projet de loi, qui sera bientôt soumis au Sénat, ne va en rien régler la fracture ville-campagne, il devrait même l’aggraver. Nous aurons certes largement le temps d’en débattre, mais d’ores et déjà, au vu du texte voté par l’Assemblée nationale, nous pouvons être légitimement inquiets quant à l’avenir du service public de santé de proximité.
Jusqu’à aujourd’hui, l’hôpital incarnait dans notre pays, plus particulièrement dans les petites villes et les villes moyennes, pour ne pas dire à la campagne, la certitude d’être soigné.
Or les grands traits de cette réforme ne peuvent que nous laisser dubitatifs. Vouloir gérer les hôpitaux comme les entreprises, à l’aune de la seule rentabilité financière, paraît en contradiction même avec la notion de service public de santé, de qualité des soins, de tradition humaniste et même d’éthique médicale.
L’hôpital public, pour nous, c’est le lieu de la rencontre d’une confiance et d’une conscience. Vous voulez en faire un gigantesque espace de vente où se rencontreront des clients et des marchands de soins.
Pour nous, l’hôpital public assure une triple mission, plus particulièrement en milieu rural : une mission de soins de qualité, avec une réponse graduée en fonction des différentes pathologies ; une mission de cohésion sociale, dès lors que le SDF, le chômeur, l’exclu sont aussi bien soignés que le cadre supérieur ; une mission d’aménagement du territoire, enfin, puisqu’une petite ville qui perd les services actifs de son hôpital abandonne toute ambition de jouer un rôle de centralité sur son territoire.
Je ne nie pas l’intérêt d’instaurer des communautés hospitalières de territoire, ou CHT, conçues comme un instrument de la gradation des soins, avec, schématiquement, l’hôpital de référence et les hôpitaux de proximité, mais à la condition qu’elles respectent l’identité et la complémentarité des établissements hospitaliers et qu’elles ne se réduisent pas à une restructuration purement économique qui asphyxie les hôpitaux de proximité existants.
L’Association des petites villes de France ne s’y est pas trompée, qui n’a approuvé la création des CHT qu’à la condition de « crédibiliser les petites structures hospitalières et leurs services et non de les démanteler ».
Pour conclure, j’évoquerai la question de la permanence des soins, qui est assurée pour quelque temps encore parce qu’il reste de médecins généralistes libéraux dans nos cantons.
Monsieur le secrétaire d’État, je sais que votre territoire, le Var, est plutôt bien loti sur ce plan – encore faudrait-il s’en assurer dans l’arrière-pays – mais je n’imagine pas que vous ne soyez pas soucieux de ce qui se passe ailleurs, sur de larges portions du territoire.
D’ici trois à cinq ans, monsieur le secrétaire d’État, des pans entiers de notre territoire manqueront de médecins généralistes et le seul recours restera le petit hôpital de proximité. La Générale de santé n’assurera jamais une mission de service public dans le Massif central ou sur l’ensemble des petits territoires ruraux ! Il ne restera donc que l’hôpital public et, sans l’hôpital public de proximité, aucun médecin généraliste ne s’installera, loin d’un service d’urgence efficace.
M. Yvon Collin. C’est sûr !
M. Alain Fauconnier. Se généralisera alors la situation que nous commençons à connaître avec les centres d’appels des médecins libéraux : après dix-neuf heures et le week-end, vous ne pouvez plus avoir accès à un médecin généraliste. Vous téléphonez du fin fond de l’Aveyron à votre médecin pour l’angine de votre petite fille et vous tombez sur un centre d’appel à Toulouse. Un médecin, au bout du fil, fait une consultation et vous délivre une ordonnance par téléphone, qui est ensuite faxée à la pharmacie de garde ! On croit rêver, mais nous en sommes arrivés là !
M. Yvon Collin. Personne ne le croit, pourtant !
M. Alain Fauconnier. Imaginez un instant la surprise des personnes âgées ou d’un citoyen en grande difficulté ! Il restera, bien entendu, le recours aux urgences du petit hôpital de proximité – s’il existe encore – ou l’appel au « 115 » pour une simple angine, avec les coûts que cela peut représenter.
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, la vraie vie de nos territoires, dans leur diversité !
La vraie vie, c’est aussi la difficulté de placer une personne âgée en difficulté respiratoire lorsque le petit hôpital a fermé ses portes. Que demande-t-on, chaque jour, au médecin de médecine générale d’un hôpital local qui cherche un lit pour un patient ? « Quel âge a-t-il ? » Si le malade a plus de soixante-dix ans, ou quelquefois moins, on ne le prend pas, en prévision de l’accueil en urgence d’une personne plus jeune.
Voilà où nous en sommes !
Combien de collègues ruraux, dans cette assemblée, savent qu’il est plus facile de faire venir dans les quinze minutes un vétérinaire pour assurer un vêlage difficile – M. le président du Sénat ne saurait l’ignorer – qu’un médecin pour soigner la détresse d’un petit bébé ?
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Alain Fauconnier. Oui, monsieur le secrétaire d’État, nous en sommes là !
Je vous engage, monsieur le secrétaire d’État, et avec vous l’ensemble du Gouvernement, à mesurer la gravité de cet état des lieux pour changer de politique.
Je souhaite que l’on n’oublie pas que l’égalité constitue le deuxième des trois concepts définissant la République, celui auquel se réfère le principe même de service public.
Après un siècle de démocratisation, d’aménagement du territoire et de répartition des richesses nationales, doit-on revenir deux cents ans en arrière ? Nous en appelons au sursaut des élus ruraux de cette assemblée et à la solidarité de nos collègues urbains. Il y va de l’harmonie de notre vieux et ambitieux pays ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, tout en ayant le souci d’être aussi bref que possible, j’irai sans doute au-delà des cinq minutes qui me sont accordées parce que j’interviens aussi au nom de M. Boyer, que les horaires du service public de la SNCF ont contraint à partir. (Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la population rurale aspire légitimement à la parité avec l’ensemble de la population française. Or l’évolution de notre société accentue les différences entre les territoires urbains et ruraux.
Comme nous le constatons, l’écart qui se creuse ainsi entre les deux types de populations affecte particulièrement la qualité du service public.
Pour finir de s’en convaincre, il suffit d’écouter les doléances et les inquiétudes que nos collègues maires expriment depuis plusieurs années lors de chaque congrès de l’Association des maires de France, l’AMF.
D’après une étude réalisée par cette dernière, en 2003, 79 % des élus interrogés considéraient le maintien des bureaux de poste dans les communes rurales comme une impérieuse nécessité. Je sais que cette question a été beaucoup évoquée aujourd'hui.
Certes, nous pouvons comprendre que La Poste soit soumise à des impératifs. D’ailleurs, on a cherché à imposer une forme un peu différente d’organisation entre les communes et les structures intercommunales en contrepartie du maintien des services postaux. Il faut reconnaître que des pressions de cette nature ont bel et bien existé.
Pour autant, le service rendu ne peut pas être le même entre un professionnel qui travaille dans un bureau de poste et un secrétaire de mairie, même très compétent, qui complète sa mission en effectuant au mieux les tâches qui incombaient auparavant aux employés de La Poste, mais sans le même intérêt.
Au demeurant, le Parlement avait étendu l’éventail des missions de La Poste en matière financière en contrepartie du maintien de ses activités de service public au niveau local. Malheureusement, cela a parfois été quelque peu oublié.
Cela nous avait donc conduits, moi et mes collègues du groupe de l’Union centriste, à déposer, voilà quelques années, une proposition de loi visant à instaurer un moratoire des fermetures de services publics en milieu rural. Le gouvernement de l’époque avait pris des engagements en ce sens, mais la situation a tout de même continué à se dégrader.
Certes, nous savons les difficultés que cela représente. D’ailleurs, nous sommes conscients que le service public ne peut pas non plus s’exonérer des impératifs et nécessités économiques et qu’il doit optimiser ses coûts.
Mais, et cela a été rappelé voilà encore un instant, il n’y a pas que les bureaux de poste qui disparaissent. C’est également le cas d’un ensemble d’autres services.
Permettez-moi de vous en fournir une illustration un peu plus « locale ».
Voilà quelques jours, j’ai été avisé que le service de la police de l’air aux frontières serait supprimé dans mon département, la Meuse. J’en ai donc logiquement conclu que notre pays avait annexé la Belgique et le Luxembourg, qu’il n’y avait plus de frontières et que les Pays-Bas s’étaient un peu éloignés ! (Sourires.) Plus sérieusement, les problèmes demeurent, et ils sont importants, notamment en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants.
Nous sommes donc quelquefois navrés de constater que de telles décisions sont prises sans concertation. Nous sommes pourtant prêts à réfléchir ensemble à des opérations concrètes.
Je n’insisterai pas sur les services de santé, qui ont déjà été évoqués. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de revenir sur ce thème lorsque le Sénat examinera le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires. Je souhaite juste vous faire part d’une réflexion : sur ce sujet aussi, j’ai de plus en plus l’impression que nous cumulons les handicaps.
En matière de transports, nous assistons également à nombre de suppressions. Je me suis d’ailleurs récemment exprimé sur le sujet. Dans mon département, j’ai la chance d’avoir un TGV qui passe ; je dis bien « qui passe », parce que, sur les trois cents trains qui circulent chaque jour, il y en a seulement deux qui s’arrêtent ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. C’est déjà pas mal ! Cela fait un dans chaque sens !
M. Claude Biwer. Cela pose tout de même quelques problèmes.
Pour ma part, j’aimerais bien éviter de me retrouver dans la même situation que mon ami Jean Boyer aujourd'hui et d’être obligé de partir avant seize heures, parce que c’est l’heure du dernier train ! En l’occurrence, j’ai décidé de reporter mon départ à demain matin, ce qui me permettra de profiter d’une soirée de détente supplémentaire à Paris. (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Non ! Vous serez en séance ce soir ! (Nouveaux sourires.)
M. Claude Biwer. Effectivement, ma chère collègue. Il est vrai que le groupe CRC-SPG a décidé de nous gâter cet après-midi ! (Mêmes mouvements.)
Au cumul de handicaps que j’ai évoqué s’ajoute, et on l’oublie trop souvent, la réduction de la part des agriculteurs au sein de la population active. Si les surfaces sont exploitées, et bien exploitées, il y a de moins en moins de monde pour le faire. Cela contribue évidemment encore à dépeupler les territoires ruraux.
Je voudrais également mentionner les difficultés soulevées par l’évolution de la carte militaire. Je suis un élu du nord-est de la France. En raison de son histoire, cette région a connu une forte présence militaire qui a elle-même empêché l’industrialisation. Aujourd'hui, les militaires s’en vont et l’industrialisation est difficile. Toutes ces opérations nous gênent. Imaginez les conséquences sur le fonctionnement futur de l’ensemble des institutions locales lorsqu’une commune de 5 000 habitants voit partir 1 000 militaires, comme c’est le cas dans mon département !
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, nous protestons, mais aussi, et avant tout, nous nous inquiétons. Et nous recherchons, avec l’ensemble du Gouvernement, des solutions pour apporter un peu d’oxygène à nos territoires.
C’est ainsi qu’ont été créées, et nous y avons contribué, les zones de revitalisation rurale, les ZRR. À une certaine époque, elles ont apporté un complément non négligeable de bienfaits. Je mentionne également les pôles d’excellence rurale, qui nous ont également donné un petit peu d’oxygène dans l’exercice quotidien de notre mission. Il faut le reconnaître et le souligner, tout cela est positif. Mais le soutien global de l’opération devrait concerner plus largement le territoire.
Considérons, par exemple, la dotation globale de fonctionnement. Dans certains territoires ruraux, nous sommes à peine à plus de 60 euros par habitant, contre plus de 600 euros par habitant à Paris. Nous ne jouons donc pas dans la même cour. Dans de telles conditions, ce sera évidemment très difficile de s’en sortir.
Il y a cependant des outils qui peuvent nous aider à avancer. Je pense ainsi à la dotation de solidarité rurale, qui pourrait d’ailleurs progresser par rapport à la dotation de solidarité urbaine, la seconde évoluant beaucoup plus vite que la première.
Il en va de même s’agissant de la dotation globale d’équipement.
Quant à la péréquation, elle doit absolument figurer dans toute réflexion si nous voulons corriger un tant soit peu le décalage. En tout cas, c’est un souhait que j’exprime.
Par ailleurs, comme j’ai déjà eu l’occasion de le suggérer, pourquoi ne pas envisager des zones franches en milieu rural ? La dernière fois que j’étais intervenu sur ce point, la réponse de M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, était porteuse d’espoir. Mais je n’ai pas beaucoup vu la situation évoluer depuis, et je pense que nous devrions mener une réflexion sur le sujet. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens. J’ose espérer que nous obtiendrons un jour une réponse favorable. Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d’État.
Au nom de mon collègue Jean Boyer et en mon nom personnel, je vous remercie de nous avoir écoutés et, je l’espère, entendus. (Très bien ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire. Mesdames, messieurs les sénateurs, après la question fort opportune du sénateur Simon Sutour, les interventions de Jacques Blanc, Gérard Le Cam, Raymond Vall, Pierre-Yves Collombat, Anne-Marie Escoffier, Alain Fauconnier et Claude Biwer attestent, me semble-t-il, une même réalité qui m’interdit de vous dissocier les uns des autres : vous vivez vos territoires, au sens plein du terme, et je sais, en toute objectivité, que vous en mesurez chaque jour la dimension prioritaire.
Or, pour pouvoir répondre à la question posée, l’avenir des services publics en milieu rural, il faut effectivement vivre ces territoires, et je les vis avec vous.
Il faut également regarder la réalité, …
M. Pierre-Yves Collombat. C’est celle que nous vous avons décrite !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. … celle de notre monde rural. Je dis bien « notre » monde rural, car, avant d’être le maire d’une grande ville, je suis moi aussi un enfant de la ruralité.
La réalité, c’est qu’il y a aujourd'hui, en fait, non plus un monde rural, mais des territoires ruraux, et très différents les uns des autres.
Je ne prendrai qu’un exemple, que MM. Simon Sutour et Alain Fauconnier connaissent bien. Entre les Causses et les Cévennes, il y a souvent deux ou trois habitants par kilomètre carré. À l’inverse, le pays Portes de Gascogne, cher à Raymond Vall, voit sa population croître, notamment avec le développement toulousain. Vous le voyez bien, notre ruralité est diverse, et c’est sans doute ce qui en fait la richesse.
Du même coup, reconnaissons aussi que les enjeux et les besoins de ces territoires sont eux aussi divers. D’un côté, cela a été fort justement souligné, certains territoires isolés continuent à perdre en vitalité démographique et économique et se sentent abandonnés.
Mme Nathalie Goulet. Des noms !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Dans ce cas, le maintien des services publics est un élément essentiel à la vie des populations et relève d’une exigence de solidarité.
De l’autre côté, certains territoires ruraux, aujourd'hui majoritaires dans notre pays, connaissent un développement démographique et une véritable économie résidentielle. Pour ces territoires-là, l’enjeu est de ne pas reproduire ce que nous avons déjà fait, et j’en prends ma part de responsabilité dans mon département, c'est-à-dire ce que l’on a appelé les « villes à la campagne ». Au contraire, je crois qu’il faut aujourd'hui penser à un développement durable respectueux de l’identité de chacun de ces territoires.
M. Yvon Collin. Il serait grand temps ! (Sourires sur certaines travées du RDSE.)
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Il faut donc songer aux services liés aux nouveaux besoins des populations.
La réalité, c’est également que les services attendus sont désormais les services « au public », beaucoup plus larges et individualisés que les seuls « services publics ». Et, la réalité n’étant pas toujours comptable, davantage de services publics et de services au public ne signifient pas forcément davantage d’emplois publics. De même, un peu moins d’emplois publics, ce n’est pas forcément synonyme de moins de services au public.
Mesdames, messieurs les sénateurs, deux valeurs doivent guider l’action : la vérité et le volontarisme.
La vérité oblige à dire ce qui ne va pas bien, mais également à reconnaître que le service public ne peut plus être le même qu’il y a trente ans,…
Mme Nathalie Goulet. Ça, on le sait !
Mme Anne-Marie Escoffier. Mais oui !
M. Simon Sutour. Il ne doit peut-être plus être le même, mais il doit continuer d’exister !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Le volontarisme impose de tout faire pour corriger les dysfonctionnements, mais aussi de savoir faire de la réforme un outil nécessaire pour trouver, avec créativité, les voies d’un meilleur service, au meilleur coût et au plus près des besoins des gens.
Mme Nathalie Goulet. À Neuilly ?
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière de services, je fais en sorte que les engagements soient respectés.
C’est notamment le cas s’agissant du service postal. À cet égard, j’ai écouté avec attention l’intervention de Pierre-Yves Collombat. Je connais son engagement sur ce sujet ô combien important, et même essentiel.
Pour ma part, dès mon arrivée au secrétariat d’État, je me suis attaché à faire respecter la norme d’accessibilité inscrite dans la loi postale de 2005.
Je l’ai fait en partenariat étroit avec l’Observatoire national de la présence postale, présidé par votre collègue Pierre Hérisson, où siègent de nombreux élus de la majorité et de l’opposition, et dont je me suis inspiré des travaux.
Ainsi, à ma demande, La Poste s’est engagée à examiner et à résoudre avec les élus locaux la situation des neuf départements, dont ceux de MM. Biwer et Vall, où la norme des cinq kilomètres, ou des vingt minutes, n’était pas respectée.
Je suis évidemment vigilant quant à la complète prise en compte des objectifs de présence territoriale dans la future loi postale et des moyens financiers de la garantir.
Mme Françoise Laborde. Pas autant que nous !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Aujourd’hui, avec 17 000 points de contact, nous rendons le service public attendu par nos populations, reconnaissons-le.
De même, j’ai découvert à mon arrivée que le plan de couverture en téléphonie mobile, lancé en 2003, avait laissé de côté 364 communes pourtant situées en « zones blanches ». Cette situation, qui a été évoquée par de nombreux intervenants, était tout à fait contraire à l’esprit du plan.
J’ai obtenu des opérateurs et de l’ensemble des partenaires que ces communes soient intégralement couvertes.
Le déploiement a commencé et, compte tenu des délais techniques, 80 % de ces communes seront desservies à la fin de 2010, et 100% en 2011.
Madame Escoffier, vous avez eu raison d’évoquer les zones de revitalisation rurale, mais je note, à l’intention de M. Biwer, que ce sont de véritables zones franches, puisqu’elles bénéficient d’une exonération de la taxe professionnelle compensée par l’État, d’une exonération de l’impôt sur le revenu et d’une exonération de l’impôt sur les sociétés pendant cinq ans.
Avec ce système de défiscalisation, qui est sans comparaison en Europe, on a doté les 14 000 communes concernées d’un outil d’attractivité essentiel pour développer des services, en particulier autour des professions libérales ou des professions de santé.
Mme Nathalie Goulet. Cela ne marche pas !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Cependant, j’ai dû faire le constat d’un dispositif insuffisamment connu et, surtout, trop peu valorisé.
M. Simon Sutour. Le constat est accablant !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Là encore, j’ai tenu à ce que les engagements de l’État soient respectés. Aussi ai-je donné instruction aux préfets, dès le 27 mai 2008, d’être vigilants et actifs quant à la promotion et la mise en œuvre du dispositif.
L’évaluation complète des ZRR est menée, cette année, par l’État. Elle permettra de mettre en évidence les points à revoir, notamment pour améliorer l’efficacité du dispositif. Je le ferai dans le souci du partage du diagnostic avec l’ensemble des parlementaires. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes nombreux…
Mme Françoise Laborde. Pas dans l’hémicycle !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. … à m’avoir interrogé sur les pôles d’excellence rurale.
Cette politique avait été lancée en 2006 ; j’ai essayé de faire en sorte qu’elle atteigne ses objectifs et que l’État tienne ses engagements.
Je considère que c’est une réussite. À ce jour, 379 pôles sont labellisés ; 355 pôles auront conduit leur projet à terme. Pour leur très grande majorité, ces pôles seront achevés au 31 décembre 2009.
On ne le dit pas assez, les pôles d’excellence rurale constituent aujourd’hui un élément fort de la relance dans les territoires ruraux. Nous allons injecter, dans l’année 2009, 160 millions d’euros de crédits de paiement pour honorer la partie des projets relative à l’année 2009, l’engagement total de l’État dans ce domaine s’élevant, je le rappelle, à 235 millions d’euros.
Je précise que 32 millions d’euros d’aide auront été fléchés en faveur des 52 pôles d’excellence rurale consacrés au service et à l’accueil des populations. Des initiatives innovantes en matière d’accueil de la petite enfance et de prise en charge des personnes dépendantes – personnes âgées et personnes handicapées – ont émergé, qui n’auraient pu voir le jour sans ces ZRR.
J’ai dit à plusieurs reprises que j’étais favorable à une deuxième vague de pôles d’excellence rurale – lorsque la première aura été achevée, au 31 décembre 2009 – recentrée sur les services publics et les services au public.
M. Yvon Collin. C’est nécessaire !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Je soumettrai une proposition en ce sens à M. le Premier ministre.
Je souhaite pouvoir discuter de cette orientation avec les parlementaires et avec les élus des territoires, sur la base d’une évaluation que la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires, la DIACT, vient de me transmettre et que je mettrai naturellement à la disposition du groupe d’études que le Sénat a constitué sur ce sujet.
Mme Nathalie Goulet. Non ! Seulement aux parlementaires présents aujourd'hui ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. Où est ce groupe ? Pas dans l’hémicycle, en tout cas !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Je suis sensible également aux questions d’accessibilité des territoires que vous avez soulevées, monsieur Sutour, et qui ont été évoquées notamment par MM. Biwer et Fauconnier.
Je suis intervenu, avec l’accord de Jean-Louis Borloo, sur plusieurs sujets relevant de l’urgence territoriale, sans préjudice du travail de fond engagé en particulier avec la SNCF, dans le cadre du bilan de la charte des services publics.
M. Pierre-Yves Collombat. Elle n’est pas respectée !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, notre volonté d’agir s’exprime aussi à travers la réforme.
Le Premier ministre m’a chargé de reprendre la charte des services publics en milieu rural signée en 2006 par l’État, l’Association des maires de France et seize opérateurs, charte dont Jacques Blanc a souligné l’importance. D’ans un mois, je serai en mesure d’en présenter une évaluation élaborée avec Jacques Pélissard et avec vous.
Mme Nathalie Goulet. Et avec les maires ruraux !
M. Yvon Collin. Vous oubliez les maires ruraux !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Nous n’oublions pas les maires ruraux, qui seront bien sûr associés à ce travail. Je vous signale d’ailleurs que le président de l’association des maires ruraux siège au sein de l’Observatoire national de la présence postale.
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Vous le voyez, je suis très ouvert aux maires ruraux !
D’ores et déjà, les échanges avec l’ensemble des opérateurs indiquent clairement les pistes pour aller au-delà des obligations d’information et de concertation locale. Je veux que toutes les parties s’engagent dans de véritables démarches pour fixer des normes de qualité à atteindre et privilégier une organisation s’appuyant sur la mutualisation et le partenariat.
À ce titre, les initiatives exemplaires, telles que les relais de services publics – à ce jour, 127 relais ont été labellisés – ou les maisons de santé pluridisciplinaires, sont à soutenir.
Madame Escoffier, la mairie, tout autant que La Poste, une agence de pôle emploi, ou une sous-préfecture peuvent être des lieux où sont offerts à nos concitoyens de véritables bouquets de services.
M. Yvon Collin. Oui !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. En matière d’accès à Internet, l’enjeu pour les territoires est double.
D’abord, grâce au plan France Numérique 2012, les opérateurs sont en train de développer un accès de tous nos concitoyens à l’internet à haut débit pour un prix raisonnable.
Ensuite, il faut assurer à nos territoires ruraux l’attractivité numérique pour les entreprises. Cela passe par le raccordement en très haut débit des principales zones d’activité de chaque territoire. Mon objectif est que 75 % des zones d’activité d’intérêt communautaire de chaque département soient irriguées en très haut débit et que la fibre optique arrive à toutes les communes de plus de 1 000 habitants en cinq ans.
M. Simon Sutour. C’est un bon objectif !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Je souhaite encourager l’action des collectivités qui s’impliquent dans cet enjeu. Nous accompagnerons ainsi la réalisation de schémas directeurs du numérique sur les territoires qui se porteront volontaires.
Monsieur Fauconnier, je me dois, enfin, en réponse à vos interrogations, d’évoquer l’action du Gouvernement en matière de démographie médicale. Je sais que le Sénat va débattre de ce sujet à l’occasion de l’examen du projet de loi de ma collègue Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Cette question est sans doute la plus prégnante dans nos territoires ruraux.
Vous savez le rôle d’impulsion qu’a pu avoir mon secrétariat d’État dans le développement de la télémédecine ou des maisons de santé afin d’assurer une meilleure offre médicale dans les territoires.
Mais les démarches locales, si pertinentes soient-elles, ne peuvent suffire à elles seules.
Le projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires » apporte beaucoup d’éléments structurants en matière d’aménagement du territoire. J’ai défendu d’ailleurs ce texte, crucial pour nos territoires ruraux, aux côtés de Roselyne Bachelot-Narquin, à l’Assemblée nationale. Je ne doute pas que l’examen par le Sénat permettra de l’améliorer davantage encore.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la demande et le niveau d’exigence de services évoluent, parce que la population de nos territoires évolue ; tel est le constat que nous faisons chacun. La manière de rendre le service évolue également, parce que les technologies elles-mêmes évoluent. L’organisation du service évolue, parce que les responsabilités entre l’État et les collectivités, entre secteur public et secteur privé évoluent. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
Dans ces mutations, il nous faut une ligne de conduite, une méthode de travail claire.
Aujourd’hui, c’est vers des projets territoriaux de services, construits à l’échelle de bassins de vie, s’appuyant sur des objectifs d’accessibilité et de qualité de services concrets et partagés, soucieux d’une efficacité des moyens par la recherche de la mutualisation des ressources, que nous devons tous tendre.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter à vos interrogations.
Vos interventions, riches d’une expérience de la vie dans nos territoires, appelleraient encore bien d’autres réponses. Pardonnez-moi de ne pas pouvoir vous les apporter dans l’immédiat, faute de temps.
Mais je ne saurais terminer sans vous remercier, monsieur Sutour, d’avoir posé cette question ô combien pertinente et essentielle pour l’ensemble de nos territoires et, plus particulièrement, pour nos territoires ruraux. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous éprouvons de la satisfaction à l’issue de ce débat : la problématique des services publics dans les territoires ruraux a été évoquée ici, au Sénat, Grand Conseil des communes de France.
Si j’ai posé cette question, et si elle a un écho auprès d’un certain nombre de mes collègues, c’est que les sénateurs que nous sommes, qui parcourent leur territoire, sont quotidiennement confrontés aux difficultés que nous avons soulignées et que nous constatons dans différents secteurs. On a ainsi évoqué La Poste, les écoles, la fracture numérique, la téléphonie. Je m’arrêterai sur la téléphonie filaire – je ne parle pas du portable et des « zones blanches » –, car de nouveaux problèmes se posent.
Dans le passé, nous ne rencontrions pas les difficultés auxquelles nous avons à faire face aujourd'hui en matière de téléphonie filaire. Certaines communes nous signalent que leurs lignes téléphoniques ne fonctionnent pas et que, pendant trois jours, quatre jours, voire une semaine, personne ne vient les réparer. Nous assistons à une importante dégradation du service.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie globalement de votre intervention et de l’état d’esprit dans lequel vous considérez ces problématiques.
Je sais que vous n’ignorez pas nos difficultés, puisque vous avez été élu rural et sénateur d’un département rural avant d’être l’élu d’une grande ville. Néanmoins, j’aurais aimé que vous abordiez le problème des gendarmeries.
M. Simon Sutour. Certes, mais je me permets de relever une petite bizarrerie : à l’heure où l’on souhaite revaloriser le rôle du Parlement, on procède au transfert au ministère de l’intérieur de la compétence des gendarmeries que l’on retire au ministère de la défense, alors que la loi n’est pas même votée !
M. Pierre-Yves Collombat. Cela ne sert donc à rien de voter !
Mme Nathalie Goulet. Mais le budget est transféré !
M. Simon Sutour. Il n’en reste pas moins que la loi n’est pas votée et que l’Assemblée nationale doit encore se prononcer ; elle le fera bientôt.
Je signale cet état de fait à titre anecdotique, mais il ne peut être passé sous silence.
Dans une question orale consacrée à la restructuration de la gendarmerie nationale, en décembre dernier, j’avais pris l’exemple de la gendarmerie de Sauve, commune de mon département. Je souhaiterais obtenir des réponses concrètes à cet égard, étant entendu, monsieur le secrétaire d’État, que nous nous battrons : nous ne sommes pas découragés, même si tout un pan de cet hémicycle est vide aujourd'hui. Loin de moi l’idée de stigmatiser les absents, au vu de l’heure tardive, d’autant que, force est de le constater, il est parfois difficile de défendre certaines positions quand les faits sont aussi accablants !
Nous ne demandons rien d’extraordinaire. Nous souhaitons simplement, au-delà des bonnes idées et des perspectives que vous avez évoquées, monsieur le secrétaire d'État, que les financements suivent, que la péréquation soit effective et, surtout, que soit appliqué un des trois principes fondamentaux de la République : l’égalité. Tous les citoyens étant égaux, il ne doit pas y avoir des citoyens de première ou de seconde zone, suivant le territoire où ils habitent. Tous ont droit à des services publics de qualité. (Applaudissements.)
M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons, non pas à seize heures, mais exceptionnellement à quinze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinq, est reprise à quinze heures trente, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Bouclier fiscal
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus, présentée par M. Thierry Foucaud et les membres du groupe CRC-SPG (nos 29 et 295).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la proposition de loi.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour regretter que ce débat se déroule, eu égard au thème de notre discussion et à leurs récentes déclarations, en l’absence de Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ainsi que de M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique,
Sans vouloir vous faire un faux procès, monsieur le secrétaire d'État, nous déplorons que l’initiative parlementaire en matière fiscale ne se traduise pas par la présence, au banc du Gouvernement, des premiers intéressés, ce qui semble précisément montrer le peu de considération dans lequel on tient la représentation nationale, surtout s’agissant d’une question qui préoccupe, vous le savez, les Françaises et les Français.
Venons-en maintenant au cœur de notre sujet.
Quand nous avons déposé, le 15 octobre dernier, la proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus, nous ne pensions pas que ces questions prendraient place dans le débat politique avec l’acuité toute particulière que l’on constate aujourd'hui. Voyons-y l’une des conséquences de l’approfondissement d’une crise économique qui apporte chaque jour son lot de plans sociaux, de chômeurs supplémentaires, de réduction d’activité et de fermetures d’entreprises, conduisant à une remise en cause de la vie quotidienne de centaines de milliers de salariés et de leurs familles, confrontés désormais à l’incertitude du lendemain.
Cette crise, globale et mondiale, trouve son origine dans les dérèglements dont les marchés financiers ont fait l’objet, à force de rendre toujours plus opaques les libres échanges qui s’y déroulaient et de faciliter la libre et rapide circulation des capitaux. Il serait toutefois malhonnête de limiter la crise que nous connaissons au seul dérèglement des marchés financiers, moyennant quoi il suffirait d’une bonne dose de régulation, et d’une subite prise de conscience des organismes financiers internationaux, comme d’ailleurs des banques centrales, pour remettre le tout d’aplomb.
La crise prend, dans chaque pays où elle se produit, des caractéristiques nationales, fruits notamment du degré de libéralisation du droit des affaires comme du travail, mais aussi des choix budgétaires et fiscaux opérés depuis de nombreuses années. En ce sens, le bouclier fiscal trouve toute sa place dans ce schéma, comme facteur et fauteur supplémentaire de crise, parce qu’il correspond au détournement de l’argent public au profit exclusif d’une infime poignée de privilégiés !
Concernant la rémunération des dirigeants, la question posée est également celle de l’égalité devant l’impôt. Au seul motif d’exercer des responsabilités à un haut niveau dans telle ou telle entreprise, une infime minorité de cadres salariés du privé – et leurs familles, parfois ! – bénéficient de conditions de rémunération privilégiées les dispensant de s’acquitter de l’impôt qui serait dû si ces revenus étaient assimilés à des salaires.
La question de l’attractivité de certains postes de direction d’entreprise se mesure-t-elle, comme tente de le faire croire depuis si longtemps, et sous les prétextes les plus fallacieux, M. le rapporteur général, à la consistance du parachute doré, au plan d’options d’achat d’actions, à la valeur des actions gratuites ou à la « retraite chapeau » dont bénéficient ou bénéficieraient les dirigeants concernés ? Si tel devait être le cas, permettez-nous de nous interroger sur la conscience professionnelle de tels dirigeants, devenus de véritables chasseurs de primes !
Aujourd'hui, il semble clairement établi, dans l’affaire de la Société Générale – « Jérôme Kerviel, reviens ! » – et des bonus qu’ont failli s’attribuer ses dirigeants, que le dispositif des stock options, comme toute autre rémunération de cette nature, ne vise qu’à permettre de gagner beaucoup d’argent, sans nécessairement mériter de le percevoir au regard du travail accompli, et de verser le moins possible d’impôts et de cotisations sociales !
Oui, monsieur le rapporteur général, les stock options ou les parachutes dorés ne sont qu’une magnifique niche fiscale et sociale réservée à quelques privilégiés, au mépris du travail des autres, et surtout en profitant du travail des autres ! Ce sont d’obscurs conseillers clientèle, rémunérés au pourcentage, qui « font » le produit net bancaire de nos grandes banques, mais ce produit est appelé à être largement capté par les dirigeants, dont le seul mérite est bien souvent de seulement « diriger » ! Ce sont, d’un côté, des ouvriers, des techniciens, des cadres, qui conçoivent, fabriquent et vendent les produits de nos grandes entreprises industrielles, de l’autre, quelques dirigeants, souvent investis de missions de représentation, qui sont appelés, via leurs stock options et leurs bonus divers et variés, à en tirer parti !
Pour les uns, modération salariale et intensification continue de la productivité ; pour les autres, vive la Bourse, les plus-values et les dividendes !
C’est cette situation qui est devenue parfaitement intolérable pour la grande majorité de la population de notre pays.
On ne peut plus dire aux salariés des entreprises confrontés au chômage technique - ceux de Renault à Sandouville ou à Cléon, de Continental à Clairoix, dont l’entreprise risque la fermeture, de Faurecia à Auchel, de Goodyear à Amiens, de Fulmen à Auxerre, de Molex à Villemur-sur-Tarn, et tant d’autres encore - que, pendant qu’ils accumulent journées de chômage technique et pertes de salaires, il reste encore en France quelques dirigeants de banque et d’entreprise qui peuvent impunément, et sereinement, jouer en Bourse !
D’ailleurs, on a encore appris ce matin que Renault a décidé de provisionner des stock options pour 2009 ! Honte à l’État actionnaire s’il accepte ce déni de justice sociale !
Mme Annie David. C’est indécent !
M. Thierry Foucaud. Au demeurant, permettez-moi un aparté.
Si nos banques et nos plus grandes entreprises étaient encore propriétés publiques, nous n’aurions sans doute pas à faire la danse du ventre pour les voir dirigées par quelques financiers et affairistes à la recherche des conditions salariales les plus avantageuses, et donc les plus dérogatoires au droit commun !
Évidemment, vous allez me dire, une fois encore, que, depuis 2007, la loi est intervenue à plusieurs reprises pour fixer le cadre de la rémunération des dirigeants et éviter toute dérive. Mais voilà, chers collègues, qu’il s’agisse des dispositions de la loi TEPA, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, du code éthique du MEDEF ou de la loi en faveur des revenus du travail, tout a volé en éclats entre l’affaire Forgeard et celle de la Société Générale, entre l’affaire Cheuvreux-Crédit Agricole et toutes celles qui vont être rendues publiques dans les jours à venir, sans parler de ce que l’on entend dire sur Renault et Valeo !
Et ne nous dites pas que MM. Oudéa et Bouton n’ont rien compris. Ils ont, au contraire, très bien compris que le cadre législatif fixé par les textes que je viens d’évoquer ne créait pas d’obstacle insurmontable à la poursuite des pratiques antérieures !
Pour nous, sénateurs du groupe CRC-SPG, il n’est ni juste ni justifiable qu’un dirigeant d’entreprise puisse obtenir, au titre d’une rémunération « accessoire », plusieurs centaines de fois le salaire moyen des employés de son entreprise ! Oser concevoir des plans de stock options, comme cela se fait à la Société Générale ou au Crédit Agricole, alors même que l’argent public est venu ces derniers temps renflouer des caisses passablement asséchées par des comportements insensés enregistrés sur les produits financiers dérivés, c’est, pour nous, parfaitement inacceptable !
Il est donc temps de légiférer, et de légiférer vraiment sur la rémunération des dirigeants d’entreprise, d’autant que la pertinence des stock options, à en croire Mme Lagarde, commence à être mise en cause par ceux-là mêmes qui les défendaient encore récemment.
Rappelons que légiférer sur cette question revient à s’intéresser à la situation de moins de 20 000 redevables de l’impôt sur le revenu, ce qui représente environ un demi-millième des contribuables de cet impôt fondateur de l’égalité républicaine et de la justice fiscale. Le régime de faveur dont jouissent ces contribuables a un coût pour l’État, puisque le manque à gagner en termes de recettes fiscales est de l’ordre de 100 millions à 150 millions d’euros ! Ce sont d’ailleurs peut-être les mêmes qui sont concernés par le bouclier fiscal…
À l’occasion de ce débat, nous ne pouvons que vous présenter, mes chers collègues, avec plus de précision encore le bouclier fiscal.
Dès qu’il en a été question, nous avons été opposés à la création de ce dispositif de remboursement d’impôt, dont on avait prétendu, à l’origine, qu’il allait concerner, d’abord et avant tout, des ménages modestes. Mensonge !
Ainsi, M. Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, avait affirmé en décembre 2005 : « En effet, sur les 93 000 personnes qui bénéficieront de ce plafonnement, près de 90 % sont dans le premier décile de revenu. Cela s’explique par le fait que les impôts locaux ont été intégrés au bouclier fiscal. C’est un point très important, auquel je tiens beaucoup. Cela signifie qu’il s’agit d’une mesure de justice. Ce dispositif concernera les artisans ayant connu une année difficile, les agriculteurs ayant subi une mauvaise récolte, des créateurs d’entreprise, bref, un certain nombre de nos compatriotes qui sont, aujourd’hui, dans une situation modeste. Je tiens d’ailleurs les simulations à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs. » (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Voilà ce que disait M. Copé en décembre 2005.
Il est juste dommage de constater, au point où nous en sommes, que le nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal n’a jamais atteint le niveau annoncé en 2005, ce qui pose évidemment la question même de la raison d’être du dispositif, question ô combien récurrente.
Alors qu’il a encore renforcé le bouclier en y intégrant – mais cela, vous ne le dites jamais, en tout cas jamais assez ! – la CSG, la CRDS, et en réduisant le plafond à 50 % des revenus, le Gouvernement Sarkozy/Fillon n’a que 14 000 « misérables » contribuables à se mettre sous la dent !
De surcroît, voilà que, si plus de 8 000 de ces contribuables ont reçu un chèque d’une valeur moyenne de 535 euros, sans doute lié à leurs seules impositions locales, un peu moins de 900 se sont vu accorder un remboursement d’une valeur moyenne de 368 000 euros, c’est-à-dire trente fois le SMIC annuel !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un petit cadeau de fin d’année !
M. Thierry Foucaud. Et, pour obtenir un remboursement de 368 000 euros, j’insiste sur le fait qu’il faut quand même déclarer un patrimoine d’au moins 24 millions d’euros !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les pauvres !
M. Guy Fischer. Tout ça !
M. René-Pierre Signé. Les malheureux !
M. Thierry Foucaud. Un remboursement de 368 000 euros pour un patrimoine de 24 millions d’euros : les malheureux, en effet !
Des données encore plus précises indiquent qu’une petite vingtaine de contribuables auraient obtenu du Trésor public un remboursement supérieur à 2,5 millions d’euros.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un beau cadeau de fin d’année !
M. Guy Fischer. Le cadeau des cadeaux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est pour les Rolex !
M. Thierry Foucaud. Résultat, comme nous l’avons dénoncé lors de la discussion des différents textes budgétaires, loi de finances initiale ou collectif, l’essentiel de la dépense fiscale liée au bouclier fiscal, c’est-à-dire l’essentiel des 458 millions d’euros de pertes de recettes qu’il représente, est accaparé par des contribuables particulièrement riches, très riches, et pour tout dire, assujettis à l’ISF !
Je vais vous livrer mon sentiment : c’est bel et bien parce que vous avez décidé de vous attaquer à l’ISF dans la loi TEPA, en prenant des mesures d’allégement sur la valeur de l’habitation principale ou le financement des PME, que, finalement, le bouclier fiscal ne rencontre désormais qu’un succès tout relatif.
Le bouclier fiscal agit, quelque part, comme une niche de plus, une niche de trop, comme une boursouflure du droit, pour des contribuables dont la situation est déjà largement prise en compte par ailleurs.
Combien déjà de patrimoine faut-il déclarer pour récupérer 368 000 euros d’ISF, mes chers collègues ? Je vous l’ai dit, mais il convient de rappeler ce chiffre quand on connaît cette France qui vit mal aujourd’hui : 24 millions d’euros de patrimoine. Cela représente douze à quinze fois le patrimoine moyen des contribuables soumis à l’ISF ! Et encore ne s’agit-il que du remboursement au titre du bouclier fiscal. On peut en effet penser que des impôts restent dus…
Vous allez nous expliquer, chers collègues, que l’on récompense la réussite ! En vérité, ce qui est récompensé, ce ne sont que des privilèges acquis par héritage. La plupart du temps, ils n’ont rien à voir avec la rémunération du travail, mais ils dépendent beaucoup de la position sociale d’origine !
Nous devons faire la loi non pour quelques affairistes à l’affût de coups de Bourse, mais pour servir l’intérêt général !
À la vérité, devant son peu de succès auprès des contribuables, le bouclier fiscal est devenu indéfendable : il a aujourd’hui tous les travers d’une énorme niche fiscale au profit d’une infime minorité de contribuables soumis à l’ISF !
Notre proposition de loi a le mérite de la simplicité.
La suppression du bouclier fiscal, dispositif inopérant, sans impact économique avéré, superfétatoire, est une nécessité objective en ces temps de crise où la grande majorité des Françaises et des Français doivent se « serrer la ceinture ».
Alors, chers collègues, tirez le bilan de la pratique et osez, pour une fois, revenir sur ce que vous avez voté et ce sur quoi certains concèdent aujourd’hui avoir été abusés ! Supprimons ensemble le bouclier fiscal. La mise en cause des stock options et autres rémunérations dérogatoires, dans un contexte de pression continue et renforcée sur les salaires, est du même ordre.
La faillite d’un système économique dans lequel la richesse créée par le travail a été, au fil du temps, de plus en plus captée par le capital et ses dérivés est patente et impose de repenser l’organisation économique comme notre système fiscal sur des bases nouvelles.
Cette proposition de loi que nous vous invitons à adopter en constitue une première étape, modeste, assez fortement symbolique, mais néanmoins nécessaire.
Il est temps de rendre à l’impôt toutes ses vertus républicaines et de faire contribuer justement chacune et chacun, en fonction de ses possibilités, à l’œuvre commune.
Mes chers collègues, le redressement économique du pays passe aussi par les mesures que nous vous proposons ici d’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Fischer. Le ton va changer !
M. René-Pierre Signé. Marini ne va pas être d’accord !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est tellement en pointe pour défendre les salariés !
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre de la séance mensuelle réservée aux initiatives des groupes politiques d’opposition et des groupes minoritaires – nous sommes tous des minoritaires dans cette assemblée ! –,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel abus de langage !
Mme Nicole Bricq. Il y en a qui sont plus minoritaires que d’autres !
M. Daniel Raoul. C’est une véritable révélation !
M. Philippe Marini, rapporteur. … selon les nouvelles dispositions du cinquième alinéa de l’article 48 de la Constitution. Jusque-là,…
M. Guy Fischer. Rien à dire
M. Philippe Marini, rapporteur. … rien à dire, en effet. (Sourires.)
Le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche met l’accent sur un sujet important et délicat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est déjà ça !
M. Philippe Marini, rapporteur. Comme l’a fait à plusieurs reprises le Président de la République, à Toulon, le 25 septembre 2008, puis à Saint-Quentin, le 24 mars 2009, il convient de souligner que le fait d’occuper des responsabilités économiques éminentes crée des devoirs. Je crois indispensable de le répéter à mon tour, au début de ce rapport.
Lorsque l’on a le talent,…
M. Thierry Foucaud. Les dirigeants d’EADS !
M. Philippe Marini, rapporteur. … lorsque l’on a la chance de diriger des hommes et des femmes – haute mission que celle-là –, il convient d’être très attentif à l’environnement économique et social, et de faire preuve de bon sens.
Il est des périodes où, en effet, l’esprit public est, à juste titre, très sensible aux questions de rémunérations et d’avantages annexes.
Dans la vieille société, on pratiquait un principe bien connu de nos provinces : « Pour vivre heureux, vivons cachés ! ». On n’aimait pas étaler la richesse ; plus on était riche, moins on le montrait.
Dans la société d’aujourd’hui, dans ce monde globalisé, on estime parfois devoir…
M. Daniel Raoul. Montrer sa Rolex ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Son yacht !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... apparaître ; la société est devenue une société d’apparence.
Parmi les apparences, parmi ces choses qui brillent,…
Mme Nicole Bricq. Bling-bling !
M. Philippe Marini, rapporteur. … figurent en particulier certains avantages annexes qui s’ajoutent aux rémunérations.
M. René-Pierre Signé. Et des avantages importants !
M. Daniel Raoul. Ah ça, oui !
Mme Nicole Bricq. Bling-bling !
M. Philippe Marini, rapporteur. Mes chers collègues, c’est bien le contexte dans lequel nous traitons de la présente proposition de loi.
La commission des finances, qui m’a confié ce rapport, m’a incité à examiner avec une grande précision les sept articles de la proposition de loi. Et, comme on peut l’observer en se référant à mon rapport écrit, l’analyse a été approfondie.
Toutefois, la matière dont nous traitons n’est pas strictement nouvelle. Il faut en effet le rappeler, les sujets que nous allons aborder cet après-midi ont été développés avec insistance dans chacune des discussions budgétaires de ces derniers mois, et les arguments avancés ont déjà été échangés à de nombreuses reprises dans cet hémicycle.
Vous ne serez donc pas surpris, mes chers collègues, de m’entendre dire que, dans sa majorité, la commission appelle au rejet des différents articles de cette proposition de loi,…
M. Daniel Raoul. Tout est dit !
M. Philippe Marini, rapporteur. … mais un rejet motivé, argumenté, et la séance de cet après-midi va nous permettre à nouveau de confronter nos différents arguments.
Telle est la règle normale dans un monde pluraliste et au sein d’une assemblée comme la nôtre.
La suppression pure et simple du bouclier fiscal remettrait en cause un dispositif dont l’objet est d’éviter le caractère confiscatoire de l’impôt.
Les chiffres de l’administration fiscale confirment l’utilité de ce dispositif, tel qu’il a été retouché par la loi de l’été 2007 : deux tiers des 14 000 foyers fiscaux bénéficiaires du bouclier sont des foyers à revenus très modestes (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.), mais possédant leur résidence principale, et pour qui le poids de la taxe foncière peut être difficilement supportable. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Annie David. Quelle générosité !
M. Jean-Luc Fichet. Ce n’est pas possible !
M. Philippe Marini, rapporteur. Néanmoins, mes chers collègues, et la commission des finances l’a exposé à de nombreuses reprises ces derniers mois, le bouclier fiscal n’est pas sans reproche.
Mme Nicole Bricq. Ah ça, non !
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais, s’il n’est pas sans reproche, c’est parce qu’il est un dispositif dérivé d’un autre,…
Mme Nicole Bricq. De l’ISF !
M. Philippe Marini, rapporteur. … l’impôt de solidarité sur la fortune.
M. René-Pierre Signé. C’est le contrepoids !
Mme Nicole Bricq. Il fallait le supprimer, alors !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je voudrais rappeler que, lors de la discussion de la loi de finances pour 2009, nous avons, Jean Arthuis, Jean-Pierre Fourcade et moi-même, soumis à la Haute Assemblée un amendement dont les mesures forment ce que j’appelle une trilogie…
M. Aymeri de Montesquiou. Je l’ai cosigné !
Mme Nicole Bricq. Nous vous répondrons sur ce point !
M. Philippe Marini, rapporteur. . … et qui comportait la suppression du bouclier fiscal, l’abrogation de l’impôt de solidarité sur la fortune et, en contrepartie et à due concurrence des montants ainsi abandonnés par le budget, la création d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu.
M. René-Pierre Signé. Et voilà !
M. Philippe Marini, rapporteur. Ces dispositions – ou, plus exactement, cette trilogie –, devront s’appliquer un jour ou l’autre !
Mme Nicole Bricq. Et, pendant ce temps-là, vous ne faites rien !
M. Philippe Marini, rapporteur. C’est manifestement la solution.
M. René-Pierre Signé. Pas celle du Président !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je parle d’une perspective plus longue !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À très long terme !
Mme Nicole Bricq. Loin, loin, loin….
M. René-Pierre Signé. Quand on aura changé de Président !
Mme Nicole Bricq. Ce n’est jamais le moment !
M. Philippe Marini, rapporteur. Pour autant, tenir des débats de stratégie fiscale en pleine crise ne me paraît vraiment ni très opportun (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) ...
M. Daniel Raoul. Avec vous, ce n’est jamais le moment !
M. Michel Sergent. Non, jamais !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... ni très réaliste, car, mes chers collègues, nous sommes dans une phase où, nécessairement, les jalousies sont exacerbées.
M. Thierry Foucaud. La pauvreté aussi !
M. Guy Fischer. On pressure les pauvres !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les riches se disputent et les jalousies entre eux sont exacerbées !
M. Philippe Marini, rapporteur. Tout débat de politique fiscale risque soit d’apparaître comme provocateur, soit d’aboutir à un alourdissement de la fiscalité, qui serait un handicap supplémentaire au moment où la récession est ce qu’elle est.
À l’avenir, en sortie de crise, il est tout à fait clair que nous serons toujours, et peut-être même encore davantage, dans un monde ouvert, où les compétences devront circuler, où les entreprises devront faire appel aux talents et les rémunérer au prix du marché, qu’on le veuille ou non.
M. René-Pierre Signé. C’est ça, un « monde ouvert » ?
M. Philippe Marini, rapporteur. C’est une réalité ! Personne, d’ailleurs, ne propose un modèle de repli derrière des frontières ; personne, à quelque endroit que l’on se situe, n’ose même décrire ce que pourrait être ce modèle.
Ne nourrissons donc aucune espèce d’illusion : l’attractivité du territoire en général, et l’attractivité fiscale en particulier, demeurera un objectif incontournable de la politique fiscale de sortie de crise, au moment où notre économie aura retrouvé le chemin de la croissance.
Mme Nathalie Goulet. Inch’Allah !
M. Philippe Marini, rapporteur. Venons-en à présent aux politiques de rémunération.
J’évoquais tout à l’heure des considérations morales, notamment sur les comportements à adopter, qui devraient s’imposer à l’esprit de tous, et plus particulièrement de celles et ceux qui détiennent les plus hautes responsabilités au sein du monde économique.
Pour autant, est-il raisonnable d’imaginer un plafonnement général de tout ou partie de la rémunération, la suppression de toute possibilité de mettre en place des mécanismes d’association au capital des dirigeants et des mandataires sociaux des entreprises ?
Aller aussi loin, comme le prévoit la présente proposition de loi, reviendrait à nous créer à nous-mêmes des handicaps particulièrement lourds pour demain et après-demain dans la compétition internationale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ben voyons !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je voudrais rappeler que le législateur, que nous sommes, est loin d’être resté inactif ces dernières années. Au contraire, il est intervenu sur tous ces sujets à de nombreuses reprises, afin d’encadrer des pratiques, d’améliorer le contrôle des actionnaires, de garantir la transparence et d’aller dans le sens d’une certaine justice sociale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La transparence ! Tout se sait, mais rien ne change !
M. Philippe Marini, rapporteur. La loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail a subordonné l’attribution d’options de souscription ou d’achat d’actions aux mandataires sociaux à la distribution de ces mêmes options ou actions gratuites à l’ensemble des salariés de l’entreprise ou à la mise en œuvre d’un dispositif d’intéressement ou de participation volontaire ou dérogatoire.
C’est une disposition importante, qui consiste à partager l’intéressement à une éventuelle plus-value sur le capital au niveau de l’ensemble de l’entreprise, soit à l’échelle la plus large.
Je rappelle également que la loi de finances pour 2009 a modifié le régime fiscal des « parachutes dorés » en plafonnant le montant des indemnités de départ déductible du bénéfice imposable à six fois le plafond annuel de la sécurité sociale.
Je rappelle encore que la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, si vilipendée par certains, malgré ses évidentes qualités,…
Mme Nicole Bricq. La funeste loi !
M. Philippe Marini, rapporteur. … a interdit les éléments de rémunération, indemnités et avantages dont le bénéfice n’est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de la société.
Mme Nicole Bricq. Cela ne sert à rien ! C’est du vent !
M. Philippe Marini, rapporteur. Ces performances peuvent et doivent être attestées par des éléments précis et chiffrés qu’il appartient aux assemblées générales et aux conseils d’administration de constater et de faire respecter. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le cas en ce moment ! Regardez ce qui se passe chez Valeo !
M. Philippe Marini, rapporteur. Permettez-moi également, mes chers collègues (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG, où l’on scande : « Valeo ! ».), de citer la loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, qui a encadré les modalités de rémunération des dirigeants mandataires sociaux sur deux points.
D’une part, elle a prévu que le rapport de gestion des sociétés cotées doit présenter les principes et les règles arrêtées par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance pour déterminer les rémunérations et avantages de toute nature accordés aux mandataires sociaux.
Mme Nicole Bricq. Mais sans aucune sanction à la clé !
M. Philippe Marini, rapporteur. D’autre part, la même loi impose aux sociétés de définir des obligations de conservation sur tout ou partie des titres attribués aux dirigeants, et ce jusqu’à la cessation de leurs fonctions.
Enfin, la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie, dite loi Breton, …
Mme Nicole Bricq. Voilà une belle loi !
M. Philippe Marini, rapporteur. … a notablement renforcé les obligations de transparence des sociétés cotées en soumettant au régime des conventions réglementées les éléments de rémunération versés à raison de ou postérieurement à la cessation des fonctions des dirigeants, soit les retraites dites « chapeau », les indemnités de départ et rémunérations différées communément dénommées « parachutes dorés ». L’application de ce régime implique une autorisation préalable du conseil d’administration ou de surveillance, l’information des commissaires aux comptes et la soumission de ces conventions à l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires.
M. René-Pierre Signé. Il n’y a pas de résultat !
M. Jean-Luc Fichet. Rien n’a changé !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je rappelle en tout dernier lieu que, en cas de perception de rémunérations excessives ou interdites, le dirigeant bénéficiaire expose non seulement sa responsabilité civile, mais également sa responsabilité pénale sur le chef d’abus de biens sociaux, si les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis.
En guise de conclusion, il me semble important d’insister, mes chers collègues, sur la responsabilisation de l’ensemble des acteurs du gouvernement d’entreprise.
La moralisation des pratiques de rémunération des dirigeants et des mandataires sociaux relève avant tout, je persiste à le dire, de la responsabilisation et de l’autodiscipline des dirigeants et mandataires sociaux, qui doivent vivre non pas dans une bulle, mais dans la réalité sociale de leur pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Apparemment, c’est ce qu’ils font ! (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Parallèlement au renforcement du cadre législatif, il existe, depuis plusieurs années, au sein des sociétés, la volonté d’élaborer et de faire prévaloir des règles de conduite en matière de gouvernement d’entreprise. En la matière, nous le savons, la demande des pouvoirs publics est forte pour parvenir à des normes encore plus précises, mieux élaborées et qui soient davantage opposables aux dirigeants et aux mandataires sociaux des entreprises.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Demain, on rase gratis !
M. Philippe Marini, rapporteur. De nouvelles recommandations sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux dans les sociétés cotées ont par ailleurs été proposées au mois d’octobre 2008. Il convient certainement d’aller plus loin.
M. Jack Ralite. Quand ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Il est important, selon moi, de bien identifier une situation particulière, qui est celle des entreprises aidées par l’État pour faire face à la crise.
M. Guy Fischer. Tout de même ! On y vient !
M. Philippe Marini, rapporteur. Qu’il s’agisse du financement du secteur bancaire ou des filières automobiles, qu’il s’agisse des plans sociaux aidés financièrement par la collectivité, il semble tout à fait logique et normal que l’attribution de ces aides soit conditionnée. En réalité, on appliquerait là les règles qui prévalent sur le plan international. En effet, quand un État demande l’aide du Fonds monétaire international, celle-ci lui est allouée moyennant un certain nombre de conditions qui devront dicter le comportement dudit État. Pour une entreprise, c’est exactement la même chose !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour les responsables de la Société Générale, par exemple !
M. Philippe Marini, rapporteur. Si un groupe bancaire a besoin du concours de l’État pour opérer son refinancement ou renforcer ses fonds propres, si un groupe présent dans la filière automobile a besoin de concours temporaires de l’État, il est normal et logique que certaines conditions y soient associées. Celles-ci doivent conduire les dirigeants à souscrire à une discipline, à une plus grande transparence et à une modération de leurs comportements salariaux, et relatifs aux différents éléments annexes qui s’ajoutent aux rémunérations.
M. René-Pierre Signé. On l’a vu au Crédit Agricole !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et bien d’autres !
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous allons prendre connaissance, dans les prochains jours, de dispositions de cette nature. Elles me semblent, à titre personnel, apporter une réponse plus raisonnable et plus équilibrée aux préoccupations actuelles que celle qui est proposée dans le texte de nos excellents collègues du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vais l’amender !
M. Philippe Marini, rapporteur. Dans ce contexte, mes chers collègues, vous comprendrez que la commission soit peu favorable – c’est une litote ! – à l’adoption des dispositions préconisées par les auteurs de la présente proposition de loi.
Les attitudes vertueuses doivent être encouragées, soutenues, voire initiées par les pouvoirs publics. Néanmoins, le texte qui nous est soumis ne constitue pas une réponse correctement dimensionnée. Son adoption engendrerait dans notre pays des dégâts économiques encore plus graves que ceux que nous pouvons observer à l’heure actuelle. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des finances vous demande, mes chers collègues, de rejeter les différents articles de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. René-Pierre Signé. Sans surprise !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche vise à abroger le bouclier fiscal et prétend moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises.
Disons-le tout de suite, cette proposition de loi ne répond pas de façon adéquate aux problèmes qui ont été soulevés à la suite d’un certain nombre d’abus récents, …
Mme Nicole Bricq. Ils ne sont pas récents !
M. René-Pierre Signé. Des mots, des mots !
M. André Santini, secrétaire d'État. … que le Président de la République a d’ailleurs condamnés avant-hier à Saint-Quentin, ni, d’une manière générale, aux problèmes que connaît actuellement notre pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allons bon !
M. André Santini, secrétaire d'État. Au moins est-ce dit clairement, madame le sénateur. (Sourires.)
L’article 1er de la proposition de loi vise à supprimer le bouclier fiscal. Sur ce sujet, le discours du Gouvernement n’a pas varié. Changer de cap en pleine crise n’arrangerait rien.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous continuerez à faire une politique pour les riches. Au moins, ça, c’est clair !
M. André Santini, secrétaire d'État. Je sais que l’opposition souhaite faire du bouclier fiscal un point de fixation du débat politique ; cette proposition de loi en est d’ailleurs le témoignage. La politique du Gouvernement ne se réduit cependant pas à ce seul élément. Vous ne pouvez pas tordre les chiffres pour les besoins d’une communication politique, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition.
D’après les derniers chiffres dont nous disposons, qui datent du 12 février, le bouclier fiscal a représenté, en 2008, 458 millions d’euros sur les 7,7 milliards d’euros de la loi TEPA.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces 458 millions d’euros, c’est la politique du logement de l’État !
M. André Santini, secrétaire d'État. Entendons-nous bien : le bouclier fiscal représente 6 % de la loi TEPA, pas plus !
Le paquet fiscal, ce sont d’abord des mesures pour le plus grand nombre. Je pense notamment aux heures supplémentaires et au crédit d’impôt pour les emprunts immobiliers.
Au risque de mettre les pieds dans le plat, mesdames, messieurs les sénateurs (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.), j’ose affirmer qu’un plafonnement des impôts directs à 50 %, c’est tout d’abord une mesure juste. (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est indécent !
M. André Santini, secrétaire d'État. C’est même une règle de valeur constitutionnelle chez plusieurs de nos voisins : il s’agit d’éviter que l’on ne travaille plus d’un jour sur deux pour l’État. (« C’est faux ! » sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Il est tout à fait contre-productif de chercher à stigmatiser les contribuables qui exercent leur droit à restitution. Si ces personnes ont bénéficié d’un remboursement total de 458 millions d’euros, c’est qu’elles avaient préalablement payé plus de 1,1 milliard d’euros d’impôts !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les pauvres !
M. André Santini, secrétaire d'État. Et même les 834 contribuables qui concentrent 307 millions d’euros de remboursement, que l’opposition a choisi de singulariser au sein des données qui ont été transmises aux commissions des finances des assemblées par Éric Woerth, ont payé initialement 585 millions d’euros, soit à peu près le montant de leurs revenus.
Si on veut les faire partir (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG.), dans un monde où le capital et les personnes sont mobiles, prélever plus de la moitié de leurs revenus est exactement ce qu’il faut faire !
On constate d’ailleurs que le bouclier fiscal a eu un effet positif, de ce point de vue : en 2007, les départs – notez bien ce chiffre, vous ne le citez pas suffisamment, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition – ont baissé de 15 % et les retours ont augmenté de 10 %.
M. René-Pierre Signé. Johnny Hallyday !
M. André Santini, secrétaire d'État. C’est la première fois depuis 2000 que l’on enregistre un tel coup de frein dans les départs. Et ce n’est pas un hasard si cela correspond à la première année de mise en œuvre du bouclier fiscal !
Je remarque d’ailleurs que les deux tiers des bénéficiaires du bouclier fiscal sont des personnes modestes, qui perçoivent un revenu inférieur à 1 000 euros par mois. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est faux !
M. Philippe Marini, rapporteur. C’est la réalité des choses !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous risquez de vous faire lyncher par vos électeurs !
M. André Santini, secrétaire d'État. Je comprends que mes propos vous déplaisent, mais ils sont conformes aux statistiques fiscales ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Surtout, j’aimerais que l’on cesse un instant la politique politicienne et la démagogie pour convenir tous ensemble qu’il existait dans ce pays deux offenses à la justice fiscale, deux « péchés contre l’esprit ».
Le premier, c’était en effet que l’on puisse payer plus de 50 % de son revenu, parfois même 100 %, voire davantage, en impôts annuels. Cela n’existe pas ailleurs, l’imposition sur la fortune ayant été progressivement supprimée. En France, nous sommes les derniers à l’avoir conservée (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.), mais, en dépit de tous les démagogues, il fallait en responsabilité garantir qu’elle ne conduise pas à des prélèvements confiscatoires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des comparaisons à géométrie variable !
M. André Santini, secrétaire d'État. Nous l’avons fait, nous avons eu raison ; le Gouvernement le revendique.
M. René-Pierre Signé. Contrairement à Jacques Chirac, vous n’avez pas osé supprimer l’ISF !
M. André Santini, secrétaire d'État. Le second péché contre l’esprit – j’ose espérer qu’un péché contre l’esprit ne vous laissera pas indifférents, mesdames, messieurs les sénateurs ! –, celui contre lequel personne n’avait trouvé de solution avant cette législature, c’est que la multiplication et le déplafonnement de certaines niches fiscales permettaient à des contribuables de s’exonérer complètement d’impôt sur le revenu. Fin 2008, nous avons enfin mis en œuvre un plafonnement effectif des niches fiscales.
M. René-Pierre Signé. Il en reste !
M. André Santini, secrétaire d'État. Nous l’avons fait, nous avons eu raison ; le Gouvernement le revendique.
Le vrai scandale, ce n’est pas qu’un citoyen dans ce pays ne paye que 50 % d’impôt ; le vrai scandale, c’était que, jusqu’ici, on pouvait en payer zéro !
Cette vérité aussi, j’aimerais que tout le monde s’attache à la rappeler !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On vous demande de nous fournir un bilan !
M. André Santini, secrétaire d'État. Je ne nie pas qu’on puisse avoir une réflexion d’ensemble sur la fiscalité du patrimoine. Le Conseil des prélèvements obligatoires a d’ailleurs jugé dans son dernier rapport que cette dernière était plus lourde chez nous que chez nos voisins. Mais cette réflexion, il faudra la mener de façon complète, à froid, et pas en période de crise.
L’article 2 de la proposition de loi vise à confisquer aux dirigeants, par un impôt au taux de 100 %, les indemnités de départ excédant 250 000 euros nets. Au surplus, l’entreprise qui se risquerait à verser une indemnité pourtant ainsi confisquée serait soumise à une taxe supplémentaire dont les modalités ne sont pas précisées.
L’article 3 a pour objet de taxer à 100 % toute rémunération liée à l’évolution de cours boursiers, ce qui vise sans doute les stock-options et les actions gratuites.
Le Gouvernement n’est pas favorable à ces deux propositions, et je m’en explique.
En premier lieu, une réponse strictement fiscale ne me paraît pas aujourd’hui la mieux adaptée. Les indemnités versées aux dirigeants à l’occasion de la cessation de leurs fonctions sont en effet, par principe, imposables. Elles ne sont exonérées, par exception et sous plafond, que lorsque cette cessation revêt un caractère forcé.
Ces dispositions assurent un traitement équilibré des indemnités de départ des dirigeants, lesquelles ne sont exonérées que si elles sont versées dans des conditions les rapprochant de celles qui sont prévues pour l’exonération des indemnités de licenciement des salariés.
M. René-Pierre Signé. Ce ne sont pas les mêmes montants !
M. André Santini, secrétaire d'État. Mais surtout, depuis deux ans, le Gouvernement a pris des mesures pour moraliser la rémunération des dirigeants.
Dès août 2007, l’article 17 de la loi TEPA a renforcé drastiquement l’encadrement des « parachutes dorés » des dirigeants des sociétés cotées.
Ce nouveau dispositif impose, à peine de nullité, la fixation de conditions de performances conditionnant le versement des indemnités de départ, le respect d’une procédure contraignante allant au-delà de la procédure classique d’approbation des conventions réglementées et, enfin, la publicité des décisions du conseil d’administration autorisant les engagements et constatant la réalisation des conditions de résultats.
Le régime juridique ainsi mis en place permet déjà de garantir que les indemnités de départ des dirigeants ne leur sont pas indûment versées, mais récompensent effectivement leurs performances. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Pas toujours !
M. André Santini, secrétaire d'État. Afin que les stock-options ne puissent plus être réservées à quelques-uns, l’article 22 de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail prévoit qu’elles ne pourront plus être attribuées aux dirigeants si les autres salariés ne bénéficient pas d’un système de stock-options, d’actions gratuites, d’intéressement ou de participation dérogatoire.
Au surplus, je ne vous apprendrai pas que le Président de la République souhaite régler rapidement ce problème. Je sais également que les parlementaires sont attachés à trouver une solution, comme l’a montré le débat qui s’est déroulé la semaine dernière sur le collectif budgétaire à l’Assemblée nationale. Je sais aussi que M. le président de la commission des finances a l’intention d’ouvrir le débat la semaine prochaine lors de l’examen au Sénat de ce même collectif.
Enfin, hier soir, le Président de la République a abordé cette question lors d’une réunion avec des parlementaires et certains de ses ministres, dont Éric Woerth. Il a souhaité l’interdiction de l’attribution de bonus et de stock-options aux mandataires sociaux des sociétés qui reçoivent le soutien de l’État. Un décret va être pris qui fixera les conditions dans lesquelles sera interdite l’allocation de stock-options ou d’autres avantages exceptionnels aux dirigeants lorsque les entreprises bénéficieront du soutien de l’État.
Dans ce cadre, la création d’une taxe supplémentaire de 15 % ne me paraît pas être le bon outil.
Les articles 4 et 5 tendent à apporter des précisions techniques aux dispositions précédentes. Ils visent à indexer le plafonnement de l’indemnité de départ des dirigeants prévue à l’article 2 sur l’indice des prix à la consommation et à appliquer rétroactivement les articles 1er à 3 aux revenus de 2008. Le Gouvernement n’y est pas plus favorable qu’aux articles 1er à 3 qu’ils précisent.
L’article 6 vise à modifier le régime des conventions réglementées en conférant de nouvelles attributions à l’assemblée générale des actionnaires. Il prévoit de modifier les règles applicables aux conventions réglementées dans les sociétés anonymes en vue de confier l’autorisation requise à l’assemblée générale, et non plus au conseil d’administration. L’objectif serait que ce soit l’assemblée générale des actionnaires, et plus seulement le conseil d’administration, qui intervienne dans la définition des conditions de rémunération des dirigeants.
Cette disposition ne peut être adoptée dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, car elle modifie les règles applicables aux conventions réglementées, dont le périmètre s’étend bien au-delà de celui de la rémunération des dirigeants. De nombreuses conventions réglementées correspondent à des actes de gestion, notamment dans les groupes de sociétés dans lesquelles les conventions intra-groupe sont soumises à ce dispositif.
Par ailleurs, les actionnaires sont d’ores et déjà impliqués dans la procédure des conventions réglementées puisque les conventions concernées leur sont déjà soumises en vertu de l’article L. 225-40 du code de commerce.
Pour ce qui concerne les rémunérations, la législation assure une transparence sur l’ensemble des rémunérations versées aux dirigeants, ce qui permet aux actionnaires d’exercer pleinement leurs pouvoirs lors des assemblées générales.
Enfin, il n’entre pas dans les attributions du comité d’entreprise de se prononcer sur des actes de gestion et des décisions qui doivent demeurer de la compétence des seuls organes de direction de la société. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
L’article 7 prévoit d’étendre la négociation obligatoire aux rémunérations versées aux dirigeants salariés. Cette disposition ne permet pas d’atteindre l’objectif poursuivi, en particulier parce qu’elle n’aurait aucun effet pour les dirigeants qui ne sont pas salariés.
Par ailleurs, la loi du 3 décembre 2008 a conditionné l’attribution de stock-options aux dirigeants des sociétés cotées, ou l’attribution gratuite d’actions, à l’existence d’un dispositif en faveur de l’ensemble des salariés.
Cela n’atténue pas l’intérêt d’une réflexion sur une meilleure répartition de la valeur ajoutée, comme l’a demandé le Président de la République.
Vous le comprenez, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.
La priorité du Gouvernement, c’est de préserver l’emploi dans notre pays à travers un plan de relance responsable, cohérent et construit, pour faire face à la crise. (Rires ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Il n’y réussit pas !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est plutôt raté !
M. Guy Fischer. Et 80 000 chômeurs de plus…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous nous faites rire !
M. André Santini, secrétaire d'État. J’ignorais que l’emploi vous faisait rire…
Cela passe, bien sûr, par les mesures d’urgence prises en fin d’année dernière pour soutenir notre système financier et le crédit aux PME.
Cela passe par le soutien à l’activité, via les chantiers de la relance suivis par Patrick Devedjian.
Cela passe également par une accélération des remboursements de crédits de TVA et de trop-perçus d’impôts sur les sociétés, dispositions que vous avez votées en fin d’année dernière. Éric Woerth a également donné des consignes très précises pour que les services fiscaux et les URSSAF accordent des facilités de règlement.
Cela passe enfin par toutes les mesures du projet de loi de finances rectificative, qui viendra en discussion devant la Haute Assemblée la semaine prochaine. Ce sera notamment l’occasion de tirer les conséquences du sommet social du 18 février dernier ou encore du plan de soutien à la filière automobile conclu par Christine Lagarde et Luc Chatel le 9 février dernier.
Le Gouvernement encourage les entreprises à recourir à l’activité partielle plutôt qu’à licencier ; il allège l’impôt des contribuables modestes ; il améliore l’indemnisation du chômage partiel.
Nous avons – et nous allons encore – beaucoup parler de hauts revenus cet après-midi. Mais je souhaitais que nous ne perdions pas de vue l’attention que porte le Gouvernement à nos compatriotes qui se trouvent en situation de fragilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bla-bla !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise économique que nous traversons impose plus que jamais aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités et de garder leur sang-froid.
Le Président de la République et le Gouvernement ont pris leurs responsabilités en agissant rapidement pour sauvegarder notre système financier, clef de voûte de notre économie, et en donnant la priorité à l’investissement.
C’est la condition d’une reprise économique solide, saine et durable, puis d’un redressement progressif, mais nécessaire, de nos finances publiques, en jouant sur les déficits et, évidemment, sur l’endettement.
Ce n’est pas dans des mesures précipitées, dispersées – certains diraient démagogiques – comme celles que nous examinons aujourd’hui (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.),…
M. Alain Gournac. Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. … que l’on trouvera une issue à la crise ! (M. Robert del Picchia applaudit.)
Notre responsabilité de parlementaires est de refuser la facilité qui consisterait à désigner des boucs émissaires et à poser de faux problèmes pour éluder les vraies questions, comme celles des réformes structurelles que doit impérativement mener notre pays pour maîtriser ses dépenses publiques, pour renforcer son attractivité et pour faire face aux défis de la mondialisation et du vieillissement de la population.
Le groupe UMP du Sénat, au nom duquel j’interviens, est favorable au principe d’une réforme fiscale, à condition qu’elle soit globale, équilibrée et opportune, comme l’a très bien souligné M. le rapporteur général de la commission des finances, notre excellent collègue Philippe Marini.
Notre groupe s’opposera donc fermement aux dispositions proposées dans le cadre de la proposition de loi soumise aujourd’hui à l’examen de la Haute Assemblée.
En premier lieu, dans le contexte économique que nous connaissons, nous sommes fermement opposés à la remise en cause du bouclier fiscal.
Il faut d’abord rappeler, comme l’a fait excellemment M. le secrétaire d’État chargé de la fonction publique, que le bouclier fiscal garantit que personne ne paiera plus de 50 % de ses revenus au titre des différents impôts qui le frappent. On parle tout le temps du bouclier, mais on oublie de dire que 50 %, c’est la moitié des revenus !
Après quelques années d’expérience, il faudra évidemment améliorer le fonctionnement du bouclier fiscal. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faudra résoudre la contradiction existant entre les niches fiscales et le fonctionnement du bouclier.
Le Gouvernement s’est engagé, comme l’a rappelé M. Santini, à plafonner les niches fiscales, avec notre aide. Il faudra poursuivre la démarche engagée, car le bouclier fiscal n’atteindra sa totale opportunité que lorsque les niches fiscales auront été ramenées à un niveau modeste et strictement nécessaire. (M. le secrétaire d’État acquiesce.)
En supprimant le bouclier fiscal, comme le proposent les auteurs de la proposition de loi, on enverrait un très mauvais signal non seulement aux contribuables établis en France, mais aussi et surtout à ceux qui envisagent d’y revenir ou de s’y installer.
M. Thierry Foucaud. Oh !
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous disposons aujourd’hui d’un excellent élément d’attractivité, le crédit d’impôt recherche. Il ne serait pas opportun de casser l’attractivité de ce mécanisme en supprimant le bouclier fiscal. (M. le secrétaire d’État et M. le rapporteur acquiescent.)
J’ai rencontré voilà quelques jours des dirigeants d’une petite entreprise de haute technologie biomédicale installée à Londres. Ils envisagent de revenir en Île-de-France, mais craignent que la modification perpétuelle de nos règles fiscales ne contrarie leurs efforts. La suppression du bouclier fiscal ne les inciterait pas à revenir.
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Notre pays a engagé depuis plusieurs années des réformes importantes pour renforcer son attractivité et pour attirer ceux qui investissent, qui créent des richesses et de l’emploi, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers.
Nous ne devons pas réduire ces efforts à néant en revenant constamment sur les mesures que nous avons adoptées. Notre pays a besoin de stabilité juridique et fiscale pour inspirer la confiance (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.) sur le plan tant intérieur qu’extérieur. Nous vivons dans un monde ouvert où la concurrence entre les nations s’exerce dans tous les domaines, y compris dans le domaine fiscal, à défaut de s’exercer dans le domaine monétaire pour les pays qui appartiennent à la zone euro. (M. Thierry Foucaud s’exclame.)
Si nous désignons les « riches » comme les responsables de tous nos maux et les taxons de manière excessive, ils partiront payer leurs impôts ailleurs, et la charge fiscale retombera alors sur les classes moyennes, ce dont se gardent bien de parler les partisans de la suppression du bouclier fiscal.
M. Christian Cambon. Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade. Tous nos partenaires européens l’ont compris, et je me demande pourquoi nous ne suivrions pas l’exemple de la Suède,…
Mme Nicole Bricq. Dans ce pays, le rapport salarial est de un à quatre !
M. Jean-Pierre Fourcade. …de l’Espagne, de l’Allemagne ou du Danemark, qui ont tous fixé, par voie légale ou constitutionnelle, le plafond d’impôts à 50 %.
Par conséquent, la France a besoin que tous, chacun à sa manière, contribuent à la croissance et à notre modèle de société. Il nous faut éviter, compte tenu de la crise que nous traversons, de multiplier les facteurs de division.
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. S’agissant des rémunérations excessives,…
M. Guy Fischer. Comme cela est pudiquement exprimé !
M. Jean-Pierre Fourcade. …autre volet de cette proposition de loi, la préservation de notre unité nationale et de notre pacte social impose le respect de la parole de l’État et des mesures qui ont été adoptées dans le cadre des différentes lois que M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur général ont citées et sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Mais elle impose aussi le respect de principes de justice, de solidarité, d’éthique et de liberté, qui ont été très bien rappelés par le Président de la République à Saint-Quentin. Comme lui, les sénateurs du groupe UMP jugent inacceptables les avantages obtenus par certains dirigeants d’entreprise, surtout lorsque celle-ci a bénéficié de fonds publics. Ces comportements individuels ne correspondent pas à nos valeurs, en particulier à la valeur « travail », que nous voulons promouvoir, alors que d’autres, par leur comportement, la détournent et la dénaturent.
Il est temps de mettre fin à certaines dérives et de moraliser certaines pratiques. Mais, là encore, nous ne devons légiférer ni dans la précipitation ni dans l’excès. À cet égard, les mesures présentées dans le cadre de cette proposition de loi sont inspirées par des considérations qui me paraissent dépasser l’objet de ce que nous devons faire aujourd’hui.
Ainsi, par exemple, taxer à 100 % les stock-options et les actions gratuites serait à la fois confiscatoire sur un plan juridique et inadapté sur un plan économique.
La rémunération des dirigeants n’est pas un mal en soi, mais nous devons veiller à ce qu’elle soit mieux encadrée, mieux conditionnée à l’efficacité économique, et, surtout, liée à d’autres paramètres que l’évolution des cours de la bourse.
Nous devons agir avec pertinence et mesure. Pour être entendu, notre message doit être fort et clair.
À cet égard, nous approuvons la méthode retenue par le Président de la République et le Gouvernement : les grandes entreprises cotées en bourse et bénéficiant de l’aide de l’État ont jusqu’à la fin du mois de mars pour mettre de l’ordre dans les rémunérations de leurs dirigeants. Si elles ne le font pas, les pouvoirs publics devront prendre leurs responsabilités, si possible par la voie réglementaire, pour plus de rapidité et d’efficacité. S’il faut légiférer, nous le ferons.
Il nous paraît cependant essentiel de faire preuve de méthode et de cohérence, de ne pas faire l’amalgame entre les rémunérations excessives de certains dirigeants et celles de l’ensemble des chefs d’entreprise, notamment les chefs de petites et moyennes entreprises et les artisans,…
M. Christian Cambon. Très bien ! Voilà ce qu’il faut dire !
M. Jean-Pierre Fourcade. …qui sont confrontés aux difficultés de l’heure. Il faut non pas adresser des signaux divergents, mais lutter ensemble contre les difficultés économiques actuelles.
C’est dans cet esprit et dans cette perspective que le groupe UMP s’opposera à la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Christian Cambon. Très bonne intervention !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC-SPG s’inscrit pleinement dans l’actualité et témoigne d’un réel besoin de remettre en cause des situations fiscales devenues intenables, de plus en plus injustifiables, voire intolérables au regard de la situation de notre pays et des difficultés rencontrées par un nombre croissant de Français, pas seulement les plus modestes d’entre eux.
Dès son apparition, dans les semaines qui ont suivi l’élection du Président de la République, l’idée même du bouclier fiscal faisait débat au Parlement et n’allait pas sans poser de multiples problèmes, déjà dénoncés à cette même tribune : des problèmes éthiques, des problèmes d’équité fiscale, des problèmes de justice sociale, bien sûr, mais également des problèmes d’efficacité et de cohérence économiques.
Aujourd’hui, dans un contexte de crise grave et durable, la question et le principe d’un bouclier fiscal se posent avec la plus grande acuité. La crise financière et la récession économique sans précédent dans lesquelles notre pays s’enfonce chaque jour davantage nous amènent à nous interroger de nouveau sur l’opportunité d’un tel dispositif en faveur de quelques-uns.
Mes chers collègues, face à des perspectives de croissance négative pour l’année en cours, face à l’urgence budgétaire, aggravée par d’importantes pertes de recettes fiscales, est-il encore raisonnable de maintenir un système qui prévoit que les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent excéder 50 % de ses revenus ? Comment justifier aujourd’hui le maintien du bouclier fiscal dans notre pays ?
À l’heure actuelle, ce système est très large puisqu’il vise tant les impositions fiscales que les charges sociales personnelles, comme la CSG et la CRDS.
Mécaniquement, il conduit à réduire fortement l’assiette d’imposition des plus gros revenus, alors que ceux-ci devraient au contraire contribuer le plus aux efforts de la nation.
Le constat de cet effet pervers est l’occasion pour le Sénat de revenir à certains fondamentaux, chers à mon groupe et à la famille politique du radicalisme, à savoir le principe de l’égalité devant l’impôt et le principe de la progressivité de l’impôt.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Yvon Collin. Il est bon de rappeler, mes chers collègues, que le premier de ces deux principes est inscrit dans notre Constitution puisque l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose qu’une « contribution commune est indispensable » et qu’elle « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Autrement dit, pour les membres de mon groupe, tout citoyen doit contribuer, en fonction de ses moyens, au budget de la nation. L’impôt doit redevenir fondateur de la citoyenneté. (Mme Nicole Bricq applaudit.) C’est pourquoi, dans l’absolu, il ne doit pas y avoir d’exonération possible.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Yvon Collin. Le second de ces principes, celui de la progressivité de l’impôt, est contraire au concept même de bouclier fiscal. Celui-ci constitue ni plus ni moins une atteinte grave à la progressivité de l’impôt, principe qui a présidé à la naissance de l’impôt sur le revenu, instauré par la loi du 15 juillet 1914 sur l’initiative de notre ancêtre radical Joseph Caillaux.
Notre fiscalité doit réaffirmer le principe selon lequel plus on gagne, plus on paie d’impôts, et, par conséquent, plus on contribue à la vie de la nation.
En conjuguant ces deux principes, nous devons refonder une politique fiscale juste et comprise par tous. De la même façon, il faut éviter les mouvements d’évasion et de défiscalisation au profit d’autres pays membres de l’Union européenne ou de paradis fiscaux.
Mes chers collègues, l’équilibre qu’il nous faut retrouver repose sur la nécessité pour l’État, d’une part, de s’assurer de recettes fiscales suffisantes pour bénéficier de marges de manœuvre budgétaires et, d’autre part, de ne pas compromettre l’attractivité de notre territoire, tant pour attirer les investisseurs étrangers que pour enrayer le flot continu des « exilés fiscaux et économiques », lesquels se rendent ainsi coupables d’actes d’incivilité, si ce n’est de délinquance financière.
D’ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, force est de constater que le bouclier fiscal, quoi qu’on en dise, n’a pas enrayé ce phénomène et que, par conséquent, les bienfaits annoncés pour le pays ne sont pas au rendez-vous.
Face à un tel constat d’inefficacité, et compte tenu de la crise qui frappe les Français, des voix pleines de bon sens s’élèvent, à l’intérieur même de la majorité, pour remettre en cause le bouclier fiscal. Par exemple, et pour ne citer que lui, le président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a proposé la semaine dernière de soustraire du bouclier fiscal la CSG et la CRDS, ce qui permettrait à l’État de récupérer pour la seule année 2009 plusieurs dizaines de millions d’euros.
Mais, surtout, la conjoncture actuelle et les débats qui surgissent autour du bouclier fiscal expriment l’urgence qu’il y a dans notre pays à engager une grande et véritable réforme fiscale.
Cette réforme, qui n’aurait aucun sens sans une profonde réforme de l’État, notamment une redéfinition de ses devoirs régaliens et de ses relations avec les collectivités locales, concernerait la fiscalité tant nationale que locale. Elle s’orienterait vers un principe de « fiscalité juste », conformément à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
À cet esprit de justice s’ajouterait le principe de « vertu fiscale », selon lequel toute contribution devrait être affectée à une dépense préalablement définie par le législateur.
Mes chers collègues, nous ne pourrons nous satisfaire encore longtemps de mesures de circonstance et de toilettages ponctuels. Il est donc grand temps d’en revenir aux fondamentaux de notre République : un État aux contours bien définis, mû par une fiscalité juste, équitable, efficace et comprise par tous.
En attendant cette grande réforme que nous appelons de nos vœux, l’abrogation du bouclier fiscal constituerait un signal fort dans ce sens. C’est pourquoi les sénateurs radicaux de gauche et la très grande majorité des membres du groupe du RDSE approuveront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous aurez reconnu, respectivement, les articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le groupe socialiste, en soutenant la proposition de loi du groupe CRC-SPG, ne cède aucunement à une quelconque facilité – celle du « bouc émissaire », par exemple – ou à une réaction émotive face aux événements que nous vivons. Au contraire, il s’agit pour lui de poursuivre le débat que nous avons engagé depuis plusieurs années avec la majorité sur les vertus de l’outil fiscal, la légitimité des politiques qui y recourent au service de la justice sociale et de l’efficacité économique, et ce a fortiori dans la période de crise profonde que nous traversons.
Lors du débat sur la fameuse loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi justifiait le passage de 60 % à 50 % du bouclier fiscal, instauré par le gouvernement précédent, en l’intégrant au contrat que passait « l’individu face à l’État ». Elle se situait ainsi dans la pure tradition libérale, celle de l’impôt-échange.
Nous nous revendiquons d’une autre philosophie politique, qui fait de l’impôt un « devoir nécessaire au lien social fondé sur l’idée de la solidarité ».
Telle est la source directe de notre attachement à la progressivité de l’impôt, laquelle garantit une redistribution, améliorant ainsi les conditions de vie des personnes les plus modestes qui ont par ailleurs – je le rappelle en ces temps de crise profonde et durable – une forte propension à consommer. Or, la consommation est un soutien essentiel à la croissance. Les derniers chiffres tant de la consommation que du chômage ne nous rassurent pas quant à l’étendue de la crise. (M. Michel Sergent acquiesce.)
La dualité « impôt échange » ou « impôt de solidarité » est une tension dynamique qui domine le débat fiscal. Cette proposition de loi est donc bienvenue pour alimenter ce débat, d’autant que, avec la nouvelle procédure, nous débattrons de chaque article.
Force est de constater que, depuis 2002, les gouvernements et leur majorité ont agi dans trois directions : d’abord, délier le lien fiscal en vidant peu à peu de son contenu le principe de l’égalité contributive devant l’impôt ; ensuite, délier le lien économique, favorisant ainsi des plus-values rentières, sans aucune justification de performance et sans renforcer notre appareil productif ; enfin, délier le lien social, en justifiant des écarts de revenus exponentiels, tout en diminuant les responsabilités qui devaient y être attachées.
Le bouclier fiscal n’est que le dernier avatar, mais ô combien emblématique, d’une série de mesures d’affaiblissement de l’impôt. Sans la survenue de la crise, vous auriez continué dans le même sens pour arriver à une imposition des revenus qu’on qualifie de flat, qui tourne définitivement le dos à la progressivité.
Dans cette même période, les inégalités de revenus ont explosé. Il est démontré que l’aggravation des inégalités est due à la déformation accélérée de la masse salariale au niveau des très hauts salaires. Par conséquent, il est évident pour nous qu’il faut supprimer le bouclier fiscal. Aujourd'hui encore plus qu’hier, il n’a plus aucune justification, si tant est qu’il en ait eu une.
On ne peut pas dire que les quelques chiffres dont nous disposons confortent l’argumentaire du Gouvernement. M. le secrétaire d’État et M. le rapporteur général ont employé certains arguments à l’attention des parlementaires de la majorité, afin que, de retour dans leur département ou dans leur commune, ces derniers puissent répondre à l’apostrophe de leurs concitoyens. Ce problème, nous le savons, n’est en effet pas uniquement porté par l’électorat de la gauche.
Permettez-moi de revenir sur les arguments utilisés pour justifier le maintien du bouclier fiscal.
Tout d’abord, ce bouclier éviterait le départ des Français les plus fortunés. Je mettrai deux chiffres en parallèle : la perte au titre de l’ISF pour 2008 est de 17 millions d’euros et le coût du bouclier fiscal est évalué à 458 millions d’euros. Le compte n’y est pas.
Ensuite, le bouclier fiscal nous permettrait de préserver notre compétitivité et notre attractivité. Cet argument a-t-il encore un sens alors que le paradigme d’hier est devenu obsolète du fait de la crise ?
Peut-on justifier le bouclier fiscal alors que, dans le même temps, on adresse des avertissements moraux aux patrons, on les exhorte à faire preuve de retenue quant à leurs rémunérations ? Si l’on veut être logique, si l’on veut aller au bout de ces exhortations et de ces incantations, il faut en tirer la conséquence par rapport au bouclier fiscal.
Le plafonnement des niches fiscales, décidé en loi de finances pour 2009, répondrait au problème, nous avait-on dit. Il n’en est rien dès lors que le revenu pris en compte pour le calcul est net des déductions fiscales. La diminution ainsi réalisée du revenu réel provoque un remboursement plus important, comme les chiffres l’attestent : c’est la redistribution à l’envers ! C’est la « régressivité » en lieu et place de la progressivité. (M. Jack Ralite acquiesce.)
Malheureusement, le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont érigé ce bouclier fiscal en totem. Y renoncer reviendrait, selon eux, à invalider les choix initiaux qui ont été faits voilà déjà quelques années.
Mais puisque la crise est là, profonde, durable et dure aux plus pauvres, libérez-vous de ce carcan plutôt que de chercher refuge dans une construction que vous avez labellisée trilogie « ISF-bouclier-nouvelle tranche d’imposition », construction paralysante qui aboutit à ne rien faire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Nicole Bricq. Ce n’est jamais le moment. C’est toujours ou trop tôt ou trop tard.
M. Philippe Marini, rapporteur. Si vous nous soutenez, cela peut changer les conditions !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur général, cette fuite en avant vous conduit à refuser le principe même d’une « surtaxation » de solidarité pour les revenus supérieurs, que nous défendrons dans un amendement de repli et à laquelle certains membres de la majorité présidentielle sont favorables.
L’argument de la concurrence étrangère tient de moins en moins au fur et à mesure que les gouvernements européens et nord-américain prennent des mesures visant à plafonner les rémunérations ou à limiter la part variable par une fiscalité dissuasive. Cette part variable a, on le sait, un lien direct avec la crise financière. Elle a fonctionné comme un pousse-au-crime, entraînant toutes les prises de risque, même les plus irresponsables.
Si nous ne prenons aucune mesure législative, lorsque la crise aura été surmontée – ce n’est malheureusement pas demain la veille –, toutes les vannes se rouvriront. Il faut prendre conscience que, dans le bouleversement actuel, ce modèle est obsolète.
Le second volet de la proposition de loi du groupe CRC-SPG traite des rémunérations des dirigeants d’entreprise. Il y a en effet un lien direct entre le bouclier fiscal et ces rémunérations.
Dès la loi de finances rectificative d’octobre 2008, les sénateurs du groupe socialiste ont dénoncé – ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls – l’absence de contreparties réelles sur le volet « rémunérations » à l’octroi de la garantie de l’État ou de fonds propres. Nous avons inscrit notre proposition de loi à l’ordre du jour réservé de la séance du 4 novembre, mais, ce jour-là, la majorité sénatoriale a refusé d’aller au-delà de la discussion générale.
Toutefois, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, qui assumait alors les fonctions de rapporteur, a concédé un suivi de la mise en œuvre du code de bonne conduite auquel la majorité s’en était remise. Il s’agissait bien entendu du code de bonne conduite du MEDEF et de l’AFEP, l’association française des entreprises privées. M. Hyest a organisé une audition le 11 mars. Mme Parisot y a tenu son credo habituel : le code de bonne conduite suffit !
À ce jour, je ne crois pas qu’elle ait changé d’avis. Elle ne souhaite ni loi ni modification du code de bonne conduite.
Ce code de bonne conduite, je l’ai lu. Il prévoit que, « en cas de non-application d’une partie de ces recommandations, » – au demeurant fort vagues – « il revient au conseil d’administration et de surveillance d’en expliquer les raisons selon le principe " appliquer ou s’expliquer " ». Les explications ne valant évidemment pas sanction et encore moins restitution, les salariés comme les actionnaires seront toujours lésés par les écarts de conduite.
Faudra-t-il attendre que la jurisprudence se prononce pour combler le vide législatif ? Il y a des parties prenantes lésées, je viens de le rappeler. Aujourd’hui, deux actions sont en cours : une en appel concernant Rhodia et une au sujet des indemnités de M. Daniel Bernard, ancien président-directeur général de Carrefour. Pour l’heure, il y a un vide juridique, et la jurisprudence sera amenée à se prononcer sur l’action qui a été intentée par les actionnaires.
Au cours des dix dernières années, la rémunération des mandataires sociaux a progressé de manière linéaire de 15 % – sans rapport donc avec le moindre critère de performance –, alors que, dans le même temps, la rémunération des salariés n’augmentait que de 3 %.
On voit bien que ces modes de rémunération accentuent l’écart entre le haut et le bas de l’échelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la justice fiscale…
Mme Nicole Bricq. Monsieur Fourcade, dans les pays d’Europe du Nord auxquels vous avez fait allusion tout à l’heure, les écarts de rémunération entre les hauts et les bas salaires n’ont rien à voir avec ceux qui existent en France.
M. Jean-Pierre Fourcade. Pourtant, il y a moins de lois !
Mme Nicole Bricq. Certes, mais le consensus social est très fort. En France, nous avons recours à la loi, car c’est notre tradition.
Dans son discours de Toulon, en septembre 2008, le Président de la République disait vouloir refonder le capitalisme. Il déclarait alors : « Je n’hésite pas d’ailleurs à dire que les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs doivent désormais être encadrés. Il y a eu trop d’abus, trop de scandales. Alors, ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien le gouvernement de la République réglera le problème par la loi avant la fin de l’année ». Nous étions, je le répète, en 2008.
M. Michel Sergent. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il a oublié !
Mme Nicole Bricq. Or, nous n’avons que le code de bonne conduite du MEDEF, et il semble devoir connaître le même sort que les précédents. Que l’on se souvienne des rapports Viénot 1, puis Viénot 2 ou encore du rapport Bouton.
Il n’est pas de jour où la presse ne se fasse l’écho de dérives. Le choc de confiance qui devait avoir lieu à l’été 2007 s’est transformé en grave crise de confiance.
Monsieur le rapporteur, il ne s’agit pas de manifestations de jalousies exacerbées ; il s’agit d’une lassitude profonde à l’égard des dirigeants politiques qui ne tiennent pas leurs engagements alors même que les défaillances d’entreprises se multiplient avec leurs cortèges de licenciements et de maigres indemnités.
Ce matin, lors de la discussion de la question orale sur l’avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile, notre collègue Martial Bourquin a rappelé le dernier scandale en date, celui de Valeo.
M. Michel Sergent. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. Le dirigeant part avec un peu plus de 3 millions d’euros d’indemnités ; parallèlement, mille salariés perdent leur emploi et perçoivent chacun 1 000 euros. Faites le compte !
M. Michel Sergent. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. La colère monte !
Mme Nicole Bricq. Comment les Français pourraient-ils être imperméables à ce qu’ils ont sous les yeux tous les soirs au journal de 20 heures ?
Il faut agir ! C’est un appel que je lance à la majorité parlementaire. La question de savoir s’il faut ou non légiférer ne devrait même plus se poser.
Peut-être pourrait-on discuter de l’opportunité donnée à l’État de se substituer aux relations contractuelles dans l’entreprise. C’est un argument avancé par Mme Parisot. L’État le fait d’ailleurs déjà régulièrement, notamment lorsque les partenaires sociaux ne parviennent pas à trouver un accord sur une négociation.
Au moins pourriez-vous accepter – c’est pourquoi j’ai rappelé les articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – que l’État est fondé à intervenir par le biais de la fiscalité. C’est précisément le sens de la présente proposition de loi et des amendements que nous présentons.
En ces temps de crise, Keynes est redevenu à la mode. Il faut s’en inspirer pleinement et jusqu’au bout. Ne posait-il pas la question du « rapport entre les gains obtenus par l’activité et leur utilité pour la société », définissant par là un « seuil de tolérance » ?
Ce seuil est largement franchi. Nous voulons, par la loi, le codifier, et c’est tout le sens du présent débat.
On nous dit maintenant qu’un décret sera pris d’ici au 31 mars. En choisissant la voie réglementaire, le Gouvernement prive le Parlement de ses prérogatives.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la revalorisation du Parlement…
Mme Nicole Bricq. On ne connaît pas encore le contenu de ce décret. M. Jean Arthuis nous a confirmé tout à l’heure en commission des finances qu’un problème constitutionnel pourrait se poser.
Dans un communiqué, le secrétaire général de l’Élysée justifie le recours au décret en soutenant qu’il est plus rapide et plus facile de passer par cette voie plutôt que par la voie législative. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Michel Sergent. À quoi sert le Parlement ?
Mme Nicole Bricq. Tout est dit ! Cela signifie que les parlementaires sont finalement des empêcheurs de tourner en rond !
J’ajoute que recourir au décret revient à traiter de manière provisoire une infime partie du problème. On sait d’ailleurs bien que ce décret sera négocié en coulisse – à peine en coulisse – avec la présidente du MEDEF.
Dans une optique réformiste, et parce que la loi est la réponse adéquate aux enjeux, nous avons déposé un certain nombre d’amendements ; je les présente rapidement, et n’y reviendrai pas dans la discussion des articles : ils visent à favoriser un rééquilibrage entre le capital et le travail, à inciter les entreprises à la modération salariale des hauts revenus par la modulation du bénéfice imposable des sociétés, à limiter la part des éléments variables dans les modes de rémunération, et notamment à redonner aux stock-options leur légitimité originale.
Les seules stock-options qui se justifient sont celles qui sont distribuées dans les PME de croissance, que l’on appelle les « jeunes pousses » et qui n’ont pas de capital. Mais ce mécanisme fort utile a été complètement dévoyé depuis les années soixante-dix.
Enfin, nous voulons donner aux parties prenantes de l’entreprise que sont les salariés et les actionnaires un droit effectif de contrôle sur la rémunération des dirigeants, notamment par la prévention des effets d’aubaine ainsi que des possibilités de délit d’initié. Nous pouvons encore citer l’exemple récent de la Société générale. Les dirigeants doivent établir chaque année un calendrier des cessions des rémunérations en capital d’un exercice sur l’autre.
Le président de la commission des finances nous a annoncé hier en commission, à l’occasion de l’examen du rapport sur le projet de loi de finances rectificative que nous devons examiner en séance publique le mardi 31 mars prochain, son intention de déposer un amendement visant à supprimer la distribution de stock-options et d’actions gratuites aux dirigeants des sociétés qui font appel à l’aide de l’État pendant toute la durée de la convention.
Nous ne nous faisons pas trop d’illusions sur l’issue de nos amendements, aujourd’hui et lors de la discussion du collectif budgétaire. Si aucun d’entre eux n’était retenu, ce que nous déplorerions évidemment, nous soutiendrions par défaut l’amendement du président Jean Arthuis. Mais je ne suis pas sûre qu’il aille jusqu’au bout… Le décret annoncé par le secrétaire général de l’Élysée arrange finalement le Gouvernement, le Président de la République et la majorité parlementaire, qui veulent clore ce débat. Eh bien, je peux vous dire que cela ne le stoppera pas !
M. Michel Sergent. Sûrement pas !
M. Guy Fischer. Ce ne sera que le début !
Mme Nicole Bricq. Il m’a semblé avoir expliqué notre philosophie en matière fiscale. Ce décret alimentera le débat mais ne le clora pas ! Nous allons nous retrouver très vite sur ce dossier, car la crise pourrait ouvrir les yeux de la majorité, du Gouvernement et du Président de la République sur le fait que ce modèle est complètement dépassé et qu’il nous faut en construire un autre. Nous continuerons sur notre voie historique. J’ai entendu les propos du président du groupe du RDSE ; nous partageons cette philosophie, qui est celle des Lumières. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi de mon groupe est l’occasion, pour la majorité, de confronter ses propos à ses actes, et c’est aussi l’occasion pour elle de faire face à la réalité.
Outre le fait qu’il soit cocasse que le rapporteur de notre proposition de loi soit issu de la majorité, il faut bien reconnaître que, à peine imprimé, le rapport est déjà dépassé par les faits ! L’encre n’est pas encore sèche que, déjà, les heures et les jours charrient leurs flots de scandales. Il ne se passe pas une demi-journée sans que nous apprenions, sur le plan tant national qu’international, qu’un dirigeant d’entreprise a bénéficié d’un parachute doré, du versement d’une prime en actions gratuites ou encore de l’attribution d’un bonus, sous forme monétaire ou sous forme de stock-options, alors que son entreprise a soit bénéficié d’aide publique, soit organisé des plans de licenciements.
Notre collègue Philippe Marini, voulant accréditer dans son rapport la thèse de l’inutilité de l’intervention de la loi, nous a détaillé l’ensemble des mesures législatives existantes, toutes censées encadrer la question de la rémunération des dirigeants d’entreprise.
Et pourtant, monsieur le rapporteur, malgré les mesures auxquelles votre majorité tente de se raccrocher, les affaires se succèdent. Involontairement, vous avez fait la démonstration du caractère de pâles cache-misère des dispositions que vous nous présentiez en leur temps comme de réelles garanties. Pourtant, lorsque le Gouvernement a débloqué des milliards d’euros en direction des banques, nous vous avions alertés sur l’absence de contrepartie et de garde-fous. Mais, déjà, vous nous répondiez : responsabilité des dirigeants !
On voit bien ce qu’il en est de la responsabilité des dirigeants, avec le scandale de la Société générale. L’aide de l’État était pour le moins importante : 1,7 milliard d’euros. Ce recours aux aides publiques n’a visiblement pas réduit l’appât du gain des dirigeants de cette entreprise bancaire, puisque le conseil d’administration de la Société générale a décidé d’accorder 270 000 stock-options aux trois principaux dirigeants de l’entreprise. Si l’on ajoute les directeurs généraux, ce sont 320 000 stock-options qui ont été distribuées, pour une valeur estimée à ce jour à 7,7 millions d’euros.
C’est au prix d’une mobilisation, pour ne pas dire d’une pression médiatique et politique de soixante-douze heures, que les dirigeants de la Société générale ont annoncé vouloir renoncer à cette attribution et en informer le conseil d’administration.
Il n’en demeure pas moins que leurs premières réponses sur le sujet étaient consternantes. Là où l’immense majorité de nos concitoyens voient dans cette affaire un scandale, les premiers intéressés considèrent, eux – c’est révélateur –, qu’il s’agit d’un problème de communication.
Voici, par l’exemple, la démonstration de l’inefficacité de ce que vous nous proposez, monsieur Marini, à savoir laisser les patrons et les dirigeants s’organiser eux-mêmes !
Cet épisode, qui succède à l’affaire Total, entreprise qui engrange des milliards d’euros de bénéfices et n’hésite pas à casser l’emploi dans une région, avec 555 suppressions de poste, est la preuve d’une crise réelle. Et cette crise révèle au grand jour le décalage existant entre la rémunération des salariés, véritables créateurs de richesses et de savoirs, et celle des dirigeants d’entreprise, assise non plus sur la prise de risques ou les capitaux mais bien sur la spéculation !
Les rémunérations faramineuses deviennent de plus en plus insoutenables et posent, de surcroît, le problème primordial de la reconnaissance du travail face au capital. L’urgence est non pas au laisser-faire, monsieur le secrétaire d’État, mais à la garantie de l’emploi et de salaires permettant de vivre dignement.
Aujourd’hui, malgré l’affaire de la Société générale et l’affaire Valeo, où le patron responsable d’un large plan social se voit attribuer un parachute doré de 3,26 millions d’euros correspondant, nous dit-on, à deux ans de son salaire ou à 250 ans du salaire d’un salarié rémunéré au SMIC – les salariés de Valeo ont d’ailleurs bloqué aujourd’hui l’entrée du site pour demander la suppression de ce parachute doré –, le Gouvernement voudrait nous faire croire qu’une intervention législative n’est pas nécessaire, et il continue d’en appeler à la bonne volonté des dirigeants, alors même que ceux qui promettaient hier d’être exemplaires se comportent aujourd’hui comme si notre pays ne traversait pas une crise économique et sociale des plus importantes, comme si l’État n’avait pas participé financièrement au sauvetage des banques et de certaines entreprises.
Toutefois, on apprend aujourd’hui même qu’un décret devrait rapidement voir le jour. Pourquoi un décret et non une loi, monsieur le secrétaire d’État ?
D’ailleurs, pour se convaincre de la pertinence de notre proposition de loi – et, monsieur le secrétaire d’État, nous la mettons à votre disposition, si vous voulez agir dans l’urgence et dans l’intérêt des salariés –, il suffit, outre de lire les déclarations du 24 mars de Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP – « Quand les comportements ne changent pas, il faut en passer par la loi » – et les propos tenus sur Europe 1 par Christine Lagarde, qui en appelle elle-même à la loi, il suffit, disais-je, de regarder de très près ce qui s’est passé à la Société générale.
En effet, les heureux bénéficiaires de stock-options profitent de ce « droit » par une décision du conseil d’administration dans lequel ne siège aucun salarié, contrairement à Jean-Marie Folz, membre à part entière de ce conseil d’administration et par ailleurs membre du « comité spécial » créé pour faire face à la crise. Ce même M. Folz, qui a autorisé le versement de ces stock-options, est aussi le président de l’Association française des entreprises privées, qui a coélaboré le code éthique avec le MEDEF de Mme Parisot, la patronne des patrons, laquelle précisait voilà peu qu’elle n’avait ni la compétence ni l’envie d’intervenir sur la rémunération des mandataires sociaux. Elle a même dit que ces bonus et autres primes font partie des rémunérations.
Le code éthique, qui était présenté hier par le Gouvernement comme la réponse adéquate, s’avère aujourd’hui dépassé, contrarié par celui-là même qui l’a rédigé.
C’est pourquoi il faut une loi. Certes, les dirigeants de la Société générale ont renoncé à leurs stock-options. Certes, l’État, détenteur du capital de Valeo, va s’opposer à l’attribution du parachute doré de son président. Mais l’État n’est pas présent dans tous les conseils d’administration. Il n’est pas actionnaire dans toutes les entreprises, et ce qu’il a pu faire pour Fortis, pour les mêmes raisons que Valeo, il doit pouvoir le faire dans toutes les entreprises bénéficiant d’aides publiques. Il doit pouvoir garantir qu’aucun fond public n’ira à la spéculation ou à l’enrichissement individuel, et il ne doit pas le faire seulement par décret. Il lui faut tout simplement légiférer. Si ce qui se passe à Valeo choque à juste raison le Gouvernement, ce dernier doit alors demander aux parlementaires qui le soutiennent de voter en faveur de notre proposition de loi.
Nous voulons sortir de cette logique du coup par coup, sortir de la réaction, pour être dans le droit. Nous voulons que ce qui apparaît aujourd’hui comme de la commisération soit en fait un principe légal, reposant non plus sur la bonne volonté des personnes concernées, mais sur notre droit positif. En effet, nous venons de le voir – et les exemples de cette semaine l’attestent –, il y va de la morale des dirigeants comme de leurs actions : elle est indexée sur le cours de la bourse ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi.
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par MM. Collin et Charasse, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, de Montesquiou, Tropeano, Vall et Alfonsi, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Le projet de loi de finances pour 2010 comporte les mesures nécessaires pour assurer, en 2010 et les années suivantes, une répartition effective et égale de la contribution fiscale, comme visée à l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, en raison des facultés des citoyens.
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. La rédaction de cet amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er a pour fondement l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui dispose ceci : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Au nom de ce principe, devraient donc être exclues, à revenus égaux, les mesures de seuil, de plafonnement, d'exonération, d'exception, etc. qui aboutissent, par exemple, au bouclier fiscal, à l'exonération d'un Français sur deux d'impôt sur le revenu et à la multiplication des niches fiscales.
Cet amendement tend donc, dans un souci d'équité, à revenir aux fondamentaux des textes fondateurs de la République.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. M. Yvon Collin nous ramène, comme il l’a dit dans son intervention lors de la discussion générale, aux fondamentaux, c’est-à-dire à l’origine de notre droit fiscal républicain, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont l’article XIII dispose : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Devraient donc être exclues, à revenus égaux, les mesures de seuil, de plafonnement, d’exonération, d’exception. D’ailleurs, les termes « en raison de leurs facultés » pourraient aussi être considérés comme justifiant la mise en œuvre du principe des 50 %. C’est en vertu de raisonnements voisins que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe s’était prononcée pour un régime limitant les prélèvements, afin d’éviter que ces derniers ne deviennent spoliateurs.
Si l’on appliquait au sens strict cet article XIII, comme on devrait le faire, il est vraisemblable que beaucoup de niches fiscales devraient être remises en cause.
Il me semble utile de rappeler que l’article XIII relève du bloc de constitutionnalité, comme l’ensemble de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et que c’est sur ce bloc de constitutionnalité que le Conseil constitutionnel s’appuie pour rendre ses décisions relatives aux lois de finances.
Ainsi serais-je tenté de répondre à M. Collin que son amendement est satisfait par la pratique constitutionnelle et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, du moins dès lors que celui-ci est effectivement saisi d’un texte de loi de finances.
Au demeurant, je me permettrai de rappeler à nos collègues de l’opposition que, lorsque j’étais moi-même dans l’opposition, je préconisais toujours de saisir le Conseil constitutionnel : cela me paraissait être une utile discipline, pour le droit comme pour le Conseil constitutionnel, que cela incite à travailler davantage.
Si le Conseil constitutionnel est amené à se prononcer systématiquement sur les lois de finances, il doit, me semble-t-il, respecter le principe qui nous est rappelé par le groupe du RDSE et son président Yvon Collin. Dans ces conditions, l’amendement étant satisfait, il devrait en bonne logique pouvoir être retiré.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Santini, secrétaire d’État. Le Gouvernement partage l’avis de M. le rapporteur général : effectivement, l’amendement est satisfait par l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Cet amendement appelle de notre part plusieurs observations.
Notre proposition de loi n’a pas vocation à résoudre l’ensemble des problèmes que soulève notre système fiscal, notamment celui qu’évoque l’exposé des motifs de l’amendement : la multiplication des dispositifs dérogatoires au droit commun dont notre droit fiscal est truffé.
Je dirai quelques mots sur cet amendement, afin que le débat soit au moins ouvert.
L’amendement n° 15 a un caractère d’orientation, voire de déclaration d’intention, que nous approuvons par principe. Pour autant, certains points méritent d’être relevés.
La législation fiscale de notre pays est devenue, au fil du temps, parfaitement incompréhensible. Pour tout dire, il semblerait qu’elle soit la plus complexe et la plus sophistiquée des législations fiscales de tous les pays développés, et les dernières lois de finances, initiales comme rectificatives, ont apporté leur dose de complexité supplémentaire à un édifice déjà fort tortueux.
Au-delà de la forme pour le moins abrupte de ces dispositions se profile la question essentielle : tout cela, tous ces efforts, pour quel résultat ?
La vérité commande de reconnaître que l’effort a surtout porté sur les revenus autres que les revenus d’activité quand il s’agissait de l’impôt sur le revenu, sur l’impôt de solidarité sur la fortune, ou encore sur la taxe professionnelle et l’impôt sur les sociétés. Son objet principal a donc été de réduire les impôts des ménages les plus aisés et d’alléger la contribution des entreprises au financement de la charge commune ; sans doute est-ce pour que ces mêmes entreprises soient en situation de mettre au chômage 80 000 personnes en un mois et de verser à leurs cadres dirigeants plus de 1,5 milliard d’euros sous forme de stock-options et, à ceux qui partent à la retraite, plus de 1,5 milliard d’euros de « retraites chapeau » !
Nous avons aujourd’hui un système fiscal dont la seule évidence réside dans ce paradoxe : plus votre revenu est élevé, plus vous avez de moyens et d’outils pour ne pas payer d’impôt ! La même remarque vaut d’ailleurs pour les entreprises : plus l’entreprise est importante, plus sa surface financière est étendue, et plus nombreux sont les outils disponibles pour alléger l’impôt.
Oui, nous devons nous attacher, dans le cadre de nos futures discussions budgétaires, à remettre en question l’ensemble de la dépense fiscale, la totalité des mesures dérogatoires, tout ce qui concourt à rompre le lien entre capacité contributive et contribution effective. Il faut procéder à une véritable révision générale de la dépense fiscale, exercice nécessaire qui nous permettra d’ailleurs d’appréhender le sens des politiques publiques.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. Bernard Vera. L’impôt est un élément fondateur, essentiel, du pacte républicain.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !
M. Bernard Vera. Tout ce qui le pervertit, qui le dénature – le bouclier fiscal en est une illustration éclatante –, doit être combattu. Tout ce qui le réhabilite, le rend utile et le motive, pour le bien de la collectivité, doit être aujourd’hui promu.
Le bouclier fiscal, comme bien d’autres dispositifs, telles les stock-options, participe de cette rupture entre faculté contributive et contribution effective. Il est parfaitement injuste parce que, précisément, il ne respecte pas les principes républicains qui sont les nôtres. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour explication de vote.
M. Yvon Collin. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cet amendement, comme l’a souligné M. le rapporteur général, avait pour objet d’en revenir aux fondamentaux. Notre pays n’échappera pas, dans les mois et les années qui viennent, à une réforme fiscale en profondeur, et la discussion de l’amendement nous l’a rappelé.
Je retire bien sûr cet amendement d’appel, mais je suis persuadé, je le répète, que nous aurons prochainement à repenser notre fiscalité. (M. Jean-Pierre Fourcade applaudit.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. le président. L’amendement no 15 est retiré.
Article 1er
Les articles 1er du code général des impôts et 1649 O-A sont abrogés.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l’article.
M. Thierry Foucaud. Puisque plusieurs de mes collègues interviendront également sur l’article 1er, je limiterai mon propos à un sujet qui lui est intimement lié et qui a déjà été abordé durant la discussion générale.
J’ai entendu de la part de M. le rapporteur, de M. le secrétaire d’État et de M. Fourcade, qui s’exprimait pour le groupe UMP, des propos parfois fallacieux, mensongers, et qui mériteraient d’être qualifiés de très politiciens, en particulier lorsqu’a été évoquée l’idée qu’il n’était pas possible de prélever plus de 50 % des revenus du travail.
Le bouclier fiscal, il faut inlassablement le rappeler, recouvre l’impôt sur le revenu, les impôts locaux acquittés au titre de la seule habitation principale – taxe d’habitation et taxe foncière sur les propriétés bâties –, la CSG, la CRDS, mais aussi, et surtout, l’impôt de solidarité sur la fortune.
Vous m’excuserez d’être à mon tour un peu technique pour répondre aux arguments eux-mêmes techniques par lesquels on a essayé tout à l’heure de démontrer le « non-bien-fondé », si je puis dire, de notre proposition de loi visant à abroger le bouclier fiscal.
Le bouclier fiscal mélange habilement, comme Mme Nicole Bricq le rappelait, des impositions frappant le revenu et des impositions concernant à la fois le capital et le patrimoine. Or en France, mes chers collègues, les inégalités proviennent du profond déséquilibre entre les patrimoines des ménages, déséquilibre dont le bouclier fiscal favorise la perpétuation en allégeant des impôts perçus sur le capital et le patrimoine.
A également été évoquée l’expatriation fiscale. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur Fourcade, même dans vos rangs on ne croit pas aux propos qui ont été tenus à ce sujet ! L’instauration du bouclier fiscal n’a pas véritablement eu de répercussions sur les mouvements de départ – non plus d’ailleurs que sur les mouvements de retour. Rien n’est prouvé en la matière ! Est-ce bien d’ailleurs la fiscalité qui pousse tel ou tel habitant de notre pays à le quitter pour une durée plus ou moins longue ? Ne serait-ce pas tout simplement la vie, notamment la vie professionnelle, qui, avant toute autre considération, et que l’on soit fortuné ou non, constitue le premier motif d’expatriation ? Ne serait-ce pas, parfois, l’absence de débouchés, l’absence de travail, l’absence de bons salaires qui conduisent les étudiants français à Barcelone, en Grande-Bretagne ou ailleurs ?
Le nombre de redevables de l’ISF ne cesse de croître, cependant que la valeur de leur patrimoine progresse également ; je ne reviendrai pas sur les chiffres, chiffres officiels qui ont déjà été cités et que vous connaissez.
On estime que 720 assujettis à l’ISF se sont expatriés en 2008, sans que l’on soit sûr que leur départ ait eu pour but de leur permettre d’échapper à cet impôt ; dans le même temps, le nombre de redevables de l’ISF est passé de 528 000 à 568 000. L’expatriation touche donc 0,15 % des contribuables concernés ! À ce train-là, monsieur Fourcade, huit cents années s’écouleront avant qu’ils n’aient tous quitté le sol français… (Sourires.)
D’aucuns ont affirmé que ce n’était pas une si mauvaise chose que des personnes fortunées résident en France.
Il faut mettre un terme à l’idée selon laquelle l’ISF serait un impôt confiscatoire, et j’ai donné deux exemples chiffrés.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Le temps de parole est dépassé !
M. Thierry Foucaud. Quand votre patrimoine imposable s’élève à 1 million d’euros – c’est déjà trois fois plus que le patrimoine moyen ! –, vous devez acquitter 1 265 euros au titre de l’ISF ; si vous avez trois enfants à charge, cette somme est ramenée à 815 euros. (Signes d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Cela fait déjà dix minutes qu’il parle…
M. Thierry Foucaud. Je sais bien que cette proposition de loi vous dérange, mes chers collègues !
M. Jacques Gautier. Non, cela ne nous dérange pas !
M. Thierry Foucaud. Mais tout à l’heure, nous demanderons que la Haute Assemblée se prononce par scrutin public : vous pourrez ensuite aller vous expliquer devant les Françaises et les Français qui en ont assez de votre politique, assez des stock options,…
M. Philippe Marini, rapporteur. En français, stock option se dit « option de souscription » !
M. Thierry Foucaud. …assez d’un bouclier fiscal qui leur coûte 458 millions d’euros !
Alors, pour une fois que nous avons l’occasion, à travers la discussion de cette proposition de loi, d’exprimer ce que souhaite le peuple,…
M. Philippe Dallier. Vous n’êtes pas le peuple, cela se saurait, sinon ! Avec quelque 5 % aux dernières élections…
M. Thierry Foucaud. … laissez-nous la parole au moins quelques instants ! (Brouhaha sur les travées de l’UMP.)
Les manifestations grossissent dans les rues, vous êtes en train de radicaliser la situation et, dans quelque temps, on viendra chez vous, dans vos permanences, vous demander des explications ! Faites attention à vous ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Cantegrit. Des menaces ?
M. Philippe Dallier. Et en plus, il nous menace !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Foucaud !
M. Thierry Foucaud. De toute façon, j’interviendrai pour expliquer mon vote ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Tout à fait, mon cher collègue, mais vous aviez dépassé votre temps de parole sur l’article avant même que la polémique ne commence !
M. Thierry Foucaud. Mais c’est un sujet idéologique qui divise la droite et la gauche… (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. le président. Je vous demande de respecter la loi et le règlement !
M. Philippe Marini, rapporteur. Voilà !
M. Thierry Foucaud. Oui, je sais que cela vous dérange !
Quand on parle du niveau réel de l’impôt supposé être confiscatoire et qu’on donne des chiffres, cela vous fait sauter sur vos fauteuils !
M. Philippe Marini, rapporteur. Respectons la loi et le règlement !
M. Alain Gournac. La loi vaut pour tout le monde !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Défendez le bouclier fiscal et les privilèges, mes chers collègues, que cela se voie, que tout le monde le sache !
M. Philippe Marini, rapporteur, et M. Alain Gournac. Le règlement !
M. Thierry Foucaud. Je citerai un dernier exemple. Avec un patrimoine imposable de 10 millions d’euros, mes chers collègues, vous devez payer 114 850 euros ; mais il suffit de verser 70 000 euros en numéraire pour le financement, par exemple, de petites ou de moyennes entreprises pour que cette somme soit réduite de quelque 50 000 euros ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Thierry Foucaud. Dans les faits, l’impôt moyen acquitté par les redevables de l’ISF est de 8 370 euros, pour un patrimoine de près de 2 millions d’euros.
Je mets ici un point final à mon intervention sur l’article 1er, mais je citerai d’autres exemples tout à l’heure, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, sur l’article.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le bouclier fiscal, qui consiste à ce que les impôts directs payés par les contribuables ne soient pas supérieurs à 50 % de leurs revenus, relève d’une évidence économique. Il nous aligne sur nos partenaires européens, l’Allemagne en particulier, pour éviter l’exode des créateurs et des investisseurs.
Entre-temps, une crise dévastatrice s’est abattue sur l’économie mondiale. Le Président de la République a su, par sa détermination et sa réactivité, mobiliser les autres dirigeants.
La France a mis en œuvre une politique de bon sens et d’équité. Préparer l’avenir en favorisant l’investissement, aider les plus fragiles par des mesures ciblées, telles que la prime exceptionnelle de solidarité active de 200 euros en anticipation du revenu de solidarité active, le RSA, la revalorisation de 25 % de l’allocation de solidarité aux personnes âgées versée aux personnes seules et de l’allocation aux adultes handicapés, l’allocation de chômage après une période de travail plus courte, la revalorisation des petites retraites agricoles.
Cependant, il faut se replacer dans le contexte actuel, monsieur le secrétaire d’État.
Imaginez l’état d’esprit d’un salarié qui craint de perdre son emploi, qui est au chômage technique ou au chômage : son salaire est pour lui absolument vital.
Pas plus qu’il n’accepte les parachutes dorés ou les stock-options d’une entreprise qui licencie, il ne peut accepter que l’État rembourse 370 000 euros à 834 contribuables qui, certes, ont payé des impôts très importants, mais pour lesquels la somme remboursée n’est destinée qu’à l’épargne ou au superflu. Ne pensez-vous pas que ce remboursement générera un profond sentiment d’injustice et mettra à mal la confiance ?
M. Guy Fischer. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous sommes tous convaincus, ici, qu’une entreprise fonctionne bien si l’atmosphère y est paisible et que chacun estime son salaire juste. Il en est de même pour un État. Vous ne pouvez pas laisser se développer ce sentiment d’injustice auquel le Président de la République fait souvent référence. Vous devez réconcilier dans l’esprit des Français efficacité fiscale ou économique et équité sociale.
Certes, notre fiscalité a déjà atteint les plus hauts niveaux. N’oublions pas néanmoins que, depuis le bouclier fiscal, notre pays est remonté au deuxième rang pour les investissements étrangers. Il ne s’agit pas d’augmenter les impôts, mais il faut adapter ce bouclier à un contexte dramatique.
Plusieurs pistes de réformes s’offrent à nous. Premièrement, la suspension du bouclier fiscal jusqu’à la sortie de la crise. Deuxièmement, un triptyque ordonné autour de la suppression du bouclier fiscal, de l’abrogation de l’ISF et de la création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu afin de compenser le manque à gagner pour l’État : ce système présente le mérite d’une meilleure lisibilité, mais les circonstances ne me paraissent toutefois pas réunies pour permettre un tel passage à court terme. Troisièmement, la prise en compte, dans le calcul du bouclier, de toutes les niches fiscales estimées à 60 milliards d’euros, niches qui mitent pour ainsi dire notre paysage fiscal en soustrayant à l’impôt nombre des plus gros revenus.
En opérant une telle réforme, nous gagnerions incontestablement en équité, vous resteriez fidèles à un principe juste et vous éviteriez de laisser accroire que certains cumulent tous les avantages, et les autres tous les aléas. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. C’est bien dit !
M. le président. Je demande aux différents orateurs inscrits sur cet article de veiller au respect du temps de parole. C’est la première journée mensuelle réservée aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires, et cette séance doit être exemplaire. Or, compte tenu de notre rythme actuel, nous allons devoir examiner la proposition de loi de M. Collin en séance de nuit !
La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, je vais m’efforcer de suivre vos recommandations.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite commencer cette intervention par une citation, certes un peu longue mais très instructive, reprenant les propos d’un de nos collègues tenus très récemment dans cet hémicycle.
« On a donc inventé le bouclier fiscal, qui a connu deux versions successives : fixé d’abord à 60 % en 2006, il fut ensuite abaissé à 50 % l’année suivante.
« Or, mes chers collègues, à l’évidence, le bouclier fiscal, tel qu’il est appliqué, n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisions de ses vertus supposées lorsque nous l’avons voté.
« En effet, le revenu de référence pris en compte n’est pas le revenu “normal”, puisque en sont déduites toute une série de dépenses liées à des opérations de défiscalisation et à d’autres niches fiscales.
« Prenons l’exemple d’un contribuable disposant d’un revenu de 100 et qui a conclu quelques opérations ultramarines, investi dans des locations meublées professionnelles, conduit des travaux dans des monuments historiques ou classés à l’inventaire, souscrit un PERCO ou un PERP, adhéré à la PREFON. Ce sont autant de dépenses qu’il pourra éventuellement déduire, en plus de la CSG déductible, de son revenu imposable.
« Dans ces conditions, contrairement à ce que nous pouvions penser, le coefficient de 50 % s’appliquera non pas sur un revenu de 100, mais, après toutes ces déductions faites, sur un revenu résiduel de 50, de 30, voire de 20.
« J’insiste sur ce point, mes chers collègues, l’application de cette mesure n’est pas conforme à l’idée que nous nous en faisions au moment où nous l’avons votée. »
Cette véritable mise en cause du bouclier fiscal a été prononcée lors de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2009 non par l’un des sénateurs de notre groupe, mais par le président de la commission des finances lui-même, notre collègue Jean Arthuis !
Même si je sais parfaitement qu’il n’en tire pas tout à fait les mêmes conclusions que nous quant à l’avenir notre système fiscal, cette diatribe ne fait que souligner pleinement pourquoi il convient aujourd’hui de mettre en question le bouclier fiscal et de décider de sa pure et simple abrogation.
Oui, mes chers collègues, le bouclier fiscal n’a pas d’effets avérés sur la situation économique.
Oui, il n’a pas d’impact sur le comportement des contribuables et leur domiciliation ! En effet, comme nous l’avons souligné dans la discussion générale, le nombre des expatriés fiscaux est sans commune mesure avec la réalité.
Que pèsent, en effet, quelques centaines de redevables potentiels de l’ISF au regard des 568 000 contribuables assujettis à cet impôt, nombre qui ne fait que croître et embellir au fil des ans ?
Le bouclier fiscal n’a pas rencontré le succès attendu par ses créateurs. Ce résultat plus que mitigé devrait nous conduire, plutôt que d’enferrer la représentation parlementaire dans une posture de plus en plus réprouvée par l’opinion publique, à procéder en toute sagesse à la suppression pure et simple de ce bouclier fiscal.
La presse s’est fait l’écho, ces derniers jours, des données du problème. Le bouclier fiscal attire peu, puisque les demandes, qui s’élevaient à 20 000 en 2007, ont été moins nombreuses en 2008, alors même que le dispositif était plus alléchant encore puisque le plafond a été abaissé à 50 %...
Ce sont aujourd’hui 458 millions d’euros qui sont remboursés aux quelques milliers de demandeurs : 458 millions d’euros, c’est plus, par exemple, que le financement que l’État accorde à la politique de la ville cette année.
Comme le nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal s’est contracté, la moyenne du remboursement s’est sensiblement élevée, atteignant aujourd’hui 33 000 euros !
M. Guy Fischer. Elle a doublé !
M. Bernard Vera. Rappelons que le rapport général de la loi de finances pour 2006, qui a créé le bouclier fiscal, précisait que nous devions constater rapidement le dépôt d’une demande de restitution par 77 000 contribuables non assujettis à l’ISF ! L’affaire devait coûter, pour cette centaine de milliers de contribuables, environ 400 millions d’euros à l’État !
Manque de chance, si l’État rembourse bel et bien plus de 400 millions d’euros, il ne le fait que pour moins de 15 000 contribuables !
Dans les faits, le bouclier fiscal n’est finalement qu’une niche fiscale de plus pour les assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune.
Pour le reste, c’est-à-dire les impositions locales notamment, il est possible, dans le cadre des recours gracieux, de prendre en compte la situation d’infortune des contribuables redevables de taxes d’habitation ou de taxes foncières trop élevées pour leurs ressources !
M. le président. Veuillez conclure !
M. Bernard Vera. Mes chers collègues, supprimer le bouclier fiscal est d’autant plus une nécessité que le dispositif est quasiment inutile au regard du droit préexistant et n’a donc aucun sens pour la grande majorité des contribuables modestes de notre pays.
Devons-nous laisser perdurer dans notre législation un instrument qui ne concerne, au mieux, que moins d’un millier des 36 millions de contributeurs de l’impôt sur le revenu ?
C’est bel et bien pour rétablir cette égalité républicaine que nous ne pouvons que vous inviter à adopter cet article de suppression pure et simple du bouclier fiscal. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le rapport de la commission des finances sur le texte que nous avons proposé est pour le moins succinct. J’en citerai quelques extraits.
« Les chiffres de l’administration fiscale rendant compte des remboursements intervenus au 12 février 2009 ont montré l’utilité du bouclier fiscal pour deux catégories de contribuables […] :
« d’une part, des foyers aux revenus très modestes mais possédant leur résidence principale et pour qui le poids de la taxe foncière peut être difficilement supportable […] ;
« d’autre part, des contribuables assujettis à l’ISF subissant le “plafonnement du plafonnement” de cet impôt et qui devaient consacrer une très grande fraction de leurs revenus pour l’acquitter.
« Le bouclier fiscal a donc été créé par le législateur afin de répondre à des questions relevant du respect des droits fondamentaux de certains contribuables, aux profils divers […]. »
Quelques lignes plus loin, le rapport expédie la proposition inscrite dans l’article 1er en indiquant ceci : « Néanmoins, pour les raisons exposées supra, votre rapporteur général estime que l’éventuel réexamen du bouclier fiscal ne devrait intervenir que dans le cadre d’une réforme plus ambitieuse de notre fiscalité […].
« La mesure proposée par le présent article est donc à la fois incomplète et prématurée. C’est pourquoi votre rapporteur général ne préconise pas son adoption. »
Notre proposition de loi ne vise pas à résoudre, d’un coup de baguette magique, l’ensemble des problématiques de la fiscalité dans notre pays. Elle n’a pas vocation à être complète ; elle ne s’attache, dans cet article 1er, qu’à mettre en œuvre une mesure simple, immédiatement compréhensible par les citoyens de notre pays : la suppression du bouclier fiscal, dont il est avéré qu’il ne correspond ni aux attentes de la population ni même à celles de ses auteurs.
Votre rapport manque cruellement de précision.
La presse nous a informés de la réalité des faits : le volume des remboursements accordés à quelques-uns, à savoir moins d’un millier de personnes. Ces éléments simples ne figurent pas dans le rapport. Ce dernier aurait-il été rédigé dans la précipitation ?
En réalité, il est acquis que les principaux bénéficiaires du bouclier fiscal sont des contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune.
L’ISF est de surcroît une affaire très parisienne, qui obéit de longue date à la règle des quatre quarts : un quart perçu dans Paris intra muros, un quart dans l’un des sept autres départements de la région d’Île-de-France – plutôt dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine que dans la Seine-Saint-Denis – et les deux autres quarts dans l’un des quatre-vingt-douze autres départements de métropole et d’outre-mer.
Pour le bouclier fiscal, il en est de même, voire plus....
Une question simple se pose : la France qui travaille, qui crée des richesses, qui réussit, qui entreprend, qui prend des risques, habite-t-elle de manière quasi exclusive dans les beaux quartiers parisiens, à Neuilly-sur-Seine ou au Vésinet ?
Les chiffres du ministère sont pourtant extrêmement précis : un peu plus du quart des bénéficiaires du bouclier fiscal capitalisent 89 % des remboursements effectués !
C’est normal, direz-vous, ils ont en général un revenu imposable d’au moins 42 507 euros, qui devrait être taxé à un taux très éloigné des 50 %, mais surtout un patrimoine de 7,3 millions d’euros. On comprend mieux l’utilité du bouclier !
Où habitent les plus heureux d’entre eux, c’est-à-dire les 834 bénéficiaires d’un remboursement de 368 221 euros en moyenne, soit onze fois la moyenne des remboursements, et, parmi eux, la petite vingtaine de contribuables dont le chèque dépasse 2,5 millions d’euros ?
Selon des éléments en notre possession, le ministère des finances a renoncé à procéder à la production de statistiques « départementales » d’attribution des restitutions.
Sur le fond, je ne vois décidément pas pourquoi, pour maintenir en l’état les rentes de situation de quelques ménages parisiens fortunés, rentes n’ayant souvent qu’un très lointain rapport avec le travail personnel et beaucoup avec celui des autres, il faudrait que tous les autres contribuables de notre pays paient 458 millions d’euros d’impôt en trop !
C’est donc sous le bénéfice de ces observations que nous vous invitons à adopter cet article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le montre la discussion, cet article 1er porte sur une question profondément politique.
En effet, au-delà de la controverse entre les forces de progrès et de justice et celles du conservatisme et souvent de la réaction, se pose une question de fond : celle de la citoyenneté, qui recouvre la relation entre chacun des habitants de ce pays et l’impôt.
Le ciment du pacte républicain, qu’on le veuille ou non, c’est que chacun paie l’impôt – un impôt le plus juste possible – pour que chacun puisse tirer parti de ce que la collectivité met à sa disposition.
Cette relation est brisée, pervertie par le bouclier fiscal qui, sous des motifs fallacieux, dispense certains de contribuer justement au bien-être général, ce qui ne les empêche évidemment pas de bénéficier des services publics comme des multiples avantages offerts par le financement collectif.
Nous l’avons dit et nous le répétons – la pédagogie est parfois l’art de la répétition –, nous ne trouvons pas légitime que les salariés modestes et moyens acquittent des impôts pour qu’une infime minorité de contribuables – moins de 1 000 en réalité – fassent des gorges chaudes des restitutions du bouclier fiscal.
Cela dit, l’une des questions posées par la « pratique » du bouclier fiscal est celle de son peu de succès auprès des contribuables.
Par quel miracle, si l’on peut dire, à peine plus de 20 000 personnes en 2007 et moins de 15 000 en 2008 ont-elles sollicité l’application du bouclier fiscal, alors que l’on s’attendait à une bonne centaine de milliers de demandes, déposées en très grande majorité par des contribuables modestes ?
Sans doute faut-il trouver une cause de la difficulté à « s’emparer » du bouclier fiscal pour obtenir des services des impôts la restitution du trop-perçu des impositions directes dans sa procédure de mise en œuvre elle-même.
Je sais que M. le rapporteur général, après avoir quelque peu insisté et remis plusieurs fois l’ouvrage sur le métier, avait obtenu que soit mis en pratique l’ahurissant principe de l’auto-liquidation du bouclier fiscal, mais là n’est pas la question....
Que l’on se rassure, comme les sénateurs du groupe CRC-SPG sont fermement, et depuis le premier jour, opposés au bouclier fiscal, ils sont évidemment révulsés par son « auto-liquidation », véritable prime au délit d’initié !
Si nombre de contribuables ne sollicitent pas l’application du bouclier fiscal, c’est tout simplement parce que l’affaire n’est pas gagnante à tous les coups. Selon certaines informations, dont il serait d’ailleurs légitime que nous ayons communication, au moins sur le plan statistique, il s’avère que certains contribuables, en lieu et place d’une restitution, se trouvent confrontés à un redressement !
À vrai dire, dès la création même du bouclier fiscal, et malgré les efforts et la publicité déployés par le ministère, nombreux étaient les conseillers financiers, les experts-comptables, les conseils en gestion, les fiscalistes et autres spécialistes – c’est fou ce que les questions d’argent suscitent comme spécialités et comme professions ! – qui se dispensaient de recommander à leurs « clients » de faire jouer le dispositif de plafonnement ! Pour reprendre une formule utilisée à l’époque, il fallait en effet, pour bénéficier du bouclier fiscal, être « blanc-bleu », c’est-à-dire parfaitement en règle au regard des impôts, de tous les impôts visés par le dispositif !
Quand on demande le bénéfice du bouclier fiscal, il faut jouer cartes sur table et ne pas laisser apparaître la moindre des indélicatesses dans l’application du droit fiscal !
Or, entre les conventions fiscales internationales, appliquées de manière flageolante, l’estimation très approximative du patrimoine assujetti à l’impôt de solidarité sur la fortune, la dissimulation, parfois, de revenus fonciers et immobiliers, les étourderies et oublis divers que l’on mesure souvent en milliers d’euros de patrimoine ou de revenus soustraits à toute déclaration, nombreuses sont les sources d’évasion fiscale, plus ou moins avérées, que l’on ne souhaite pas toujours révéler en déposant une demande de bouclier fiscal.
Aucune statistique – mais peut-être M. le secrétaire d'État nous a-t-il amené des chiffres… – n’a d’ailleurs été publiée sur le nombre de demandes s’étant achevées par des redressements. Cependant, selon les éléments que nous ont transmis les organisations syndicales de la direction générale des finances publiques, de 15 % à 20 % des demandes de bouclier fiscal se concluraient ainsi !
On pourrait se féliciter d’une telle situation, le bouclier fiscal générant donc la perception de recettes inattendues, mais elle ne change rien : le bouclier fiscal, parce qu’il est peu pratiqué, n’a précisément pas mis un terme à l’optimisation fiscale, voire à la dissimulation de revenus et de patrimoines qui permet à quelques petits futés de se dispenser de contribuer justement à la charge commune !
Il est donc tout aussi inefficace de ce point de vue, et sa suppression en est d’autant plus justifiée.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Frécon, sur l’article.
M. Jean-Claude Frécon. Beaucoup de choses sont dites à propos du bouclier fiscal, mais je souhaiterais un peu plus de transparence et de vérité, notamment sur deux points.
En premier lieu, je rappellerai – et je voudrais que M. le secrétaire d'État et M. le président de la commission des finances se souviennent de ce qui se disait lors de l’institution du bouclier fiscal – que nous avons d’abord été informés de la soudaine apparition de cette mesure en juillet 2004, dans le cadre du comité des finances locales, par le ministre délégué au budget de l’époque, puis que l’information nous a ensuite été communiquée plus officiellement en septembre, au moment de la présentation du projet de loi de finances.
Étonnés, nous avons demandé des chiffres, et des chiffres nous ont été donnés. Je rappelle l’un d’eux, dont M. Fourcade se souvient certainement : selon les estimations faites pendant l’été 2005, 91 000 foyers fiscaux allaient bénéficier du bouclier fiscal.
Depuis, les conditions d’application du bouclier fiscal s’étant allégées, le nombre de foyers fiscaux concernés auraient dû augmenter largement. Or, selon le rapport du rapporteur général, pour cette année, le nombre de bénéficiaires est de… 14 000 !
Des chiffres de l’administration fiscale de 2005 ou de cette année, lesquels ne sont pas véridiques ? En tout cas, la différence est si considérable qu’on ne peut qu’avoir un grand doute, doute que je souhaiterais voir levé.
En second lieu, on lit dans ce même rapport que, selon les chiffres de l’administration fiscale, près des deux tiers des bénéficiaires du bouclier fiscal ont des revenus très modestes. Là aussi, j’ai des doutes…
Que l’on m’explique comment un foyer suffisamment modeste pour être exonéré de l’impôt sur le revenu peut bénéficier du bouclier fiscal ! Pour les foyers les plus modestes, cela suppose que le revenu annuel déclaré, après abattements, est inférieur à 11 000 euros et, si le bouclier fiscal peut jouer, on doit donc conclure que leurs taxes foncières sont au moins égales à 5 500 euros. Est-ce envisageable ?
Certains foyers sont effectivement très modestes, et leur déclaration de revenus sincère ; mais ne doit-on pas admettre qu’il y a aussi parmi les bénéficiaires du bouclier fiscal « modestes » des personnes dont les revenus n’ont en réalité rien de modeste, et qui parviennent à ne déclarer que 11 000 euros, et donc à ne pas payer l’impôt sur le revenu, que grâce à diverses niches fiscales et déductions ?
Je souhaiterais que ces deux points au moins soient tirés au clair.
Ce débat reviendra, et je m’adresse à vous, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, pour qu’à l’avenir la commission des finances et nous-mêmes puissions non pas seulement avoir connaissance du nombre des foyers fiscaux bénéficiaires du bouclier fiscal et de leurs revenus déclarés mais aussi procéder à des contrôles sur pièces et sur place pour découvrir la réalité de ces revenus.
Voilà l’engagement que j’attends de votre part aujourd'hui, car on ne peut pas en rester à ce qu’il faut bien appeler une absence de transparence.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Avant le vote de l’article, je veux rappeler que nous mettons aujourd'hui en pratique un nouveau mode d’organisation de nos travaux…
M. Alain Gournac. Déjà vicié !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. …en application duquel, chaque mois, les groupes de l’opposition et les groupes minoritaires disposent d’un temps pour discuter de propositions de loi émanant de leurs rangs.
La majorité, pour que la présente proposition de loi puisse venir en discussion, a résisté à la tentation d’une pratique telle que le dépôt d’une motion tendant à poser la question préalable…
Je voudrais simplement dire à nos collègues du groupe CRC-SPG…
M. Alain Gournac. … que ce qu’ils font n’est pas bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. …qu’ils devraient peut-être se demander si c’est la meilleure des manières que d’inscrire, après la discussion générale, quatre intervenants sur le premier article.
Cela est très chronophage, mes chers collègues, et la question est de savoir s’il s’agit d’un véritable enrichissement pour le débat, de nature à faire évoluer les prises de position des uns et des autres. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Ayant dit cela, je tiens à déclarer devant le Sénat que j’ai hâte qu’il nous soit possible d’abroger le bouclier fiscal. C’est de ma part un acte de contrition puisque j’en ai voté le principe lorsqu’il a été créé.
Deux raisons m’amènent à souhaiter aujourd'hui son abrogation.
Tout d’abord, dans cette fiscalité si complexe que dénonçait Bernard Vera tout à l’heure, les conditions d’application du bouclier fiscal sont telles que ce dernier s’applique non pas aux revenus de référence, mais aux revenus après diverses déductions liées à la défiscalisation, à toutes les niches fiscales.
M. Jack Ralite. Eh oui !
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pour corriger cet inconvénient majeur, on a légiféré à nouveau, avec pour résultat d’introduire de nouvelles complexités, sans pour autant être en mesure d’aller jusqu’au bout puisque, par exemple, les monuments historiques sont restés hors champ.
J’estime que, techniquement, nous n’y arriverons pas, et c’est une première raison pour abroger le bouclier fiscal.
Seconde raison, le bouclier fiscal est un très bel instrument lorsque l’on a l’assurance que l’orientation générale est à la baisse des impôts.
En revanche, si un seul impôt doit être augmenté – et on l’a bien vu lorsque la question du financement de la généralisation du revenu de solidarité active s’est posée –, le bouclier fiscal nous revient dans la figure comme un boomerang.
Voilà les deux raisons qui m’amènent à souhaiter l’abrogation du bouclier fiscal.
Mais, mes chers collègues, il faut aller jusqu’au bout. Comme Philippe Marini l’a rappelé dans son propos introductif, justice et simplicité vont de pair. Lorsque la fiscalité est trop complexe, c’est un champ offert aux spécialistes de l’optimisation fiscale, et on perd l’essentiel.
M. Yvon Collin. Bien sûr !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Or l’impôt, c’est vrai, est au cœur du pacte républicain.
Si on a imaginé le bouclier fiscal, c’est parce que l’impôt de solidarité sur la fortune est un tabou politique que l’on n’ose remettre en cause, alors même qu’on a multiplié les dérogations et les possibilités de déduction de tels ou tels éléments d’actif.
Mes chers collègues, il faudra donc aller jusqu’au bout et abroger l’ISF.
Mais il faudra aussi le remplacer ! Il rapporte en effet de 3 milliards à 4 milliards d’euros,…
M. Guy Fischer. Cinq…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. …et rapportera sans doute moins dans les périodes à venir compte tenu de la dépréciation de certains actifs faisant partie des patrimoines assujettis.
Il faudra donc avoir le courage d’instituer une tranche supplémentaire – autour de 48 % ou de 50 % – d’impôt progressif appliqué à des revenus dont il conviendra de fixer le niveau.
Je ne voterai pas autre chose que ce triptyque – et je ne voterai donc pas la seule disparition du bouclier fiscal –,…
Mme Nicole Bricq. Alors, vous ne la voterez jamais !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. …étant entendu qu’un tel dispositif n’a pas sa place dans un collectif budgétaire en cours d’année, puisqu’il ne peut s’appliquer à l’année précédente, sauf à revenir sur des principes constitutionnels.
Le rendez-vous, c’est donc le projet de loi de finances initiale pour 2010.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous vous le rappellerons !
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Telles sont en tout cas, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles je ne voterai par l’article 1er. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Monsieur Frécon, je vais vous faire parvenir le commentaire que j’avais rédigé sur l’article 5 de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat ; j’y faisais figurer des exemples chiffrés d’application du bouclier fiscal à des foyers fiscaux modestes : familles monoparentales, revenus faibles, impôts locaux élevés ; retraités, revenus faibles, patrimoines non productifs de revenus ; salariés, commerçants ayant des revenus moyens…
Mme Annie David. Et que leur rapporte le bouclier fiscal ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous verrez que, compte tenu, en particulier, de revenus de substitution non pris en compte pour la détermination du bouclier fiscal, c'est-à-dire les prestations sociales, on peut constater des situations aberrantes que le jeu du bouclier fiscal contribue à corriger.
Je tiens par ailleurs à vous rassurer, mon cher collègue : il fait bien partie des missions de la commission des finances de s’assurer – sans accès à des dossiers individuels – de la bonne application de la loi fiscale.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, sur l'article.
Mme Nicole Bricq. J’ai indiqué dans la discussion générale que nous voterons la suppression du bouclier fiscal, contre lequel nous ne cessons de nous élever depuis la loi de finances pour 2006.
À cette occasion et pour la énième fois, je rappelle au Gouvernement que, lors de l’examen de la loi TEPA, au mois de juillet 2007, la Haute Assemblée a adopté un amendement de mon groupe permettant au Parlement d’être informé de façon précise sur les mouvements entre le « départ » de ceux qui choisissent de s’exiler fiscalement et leur « retour », qui serait lié à l’existence du bouclier fiscal. J’avais à l’époque accepté que cette mesure prenne effet à partir du mois de septembre 2008, puisque les déclarations d’ISF ont lieu au mois de juin. À ce jour, la commission des finances n’a jamais reçu ce rapport.
Fort opportunément, au moment où le débat sur le bouclier fiscal est descendu dans la rue, si je puis dire, un article de presse a fait allusion à certaines statistiques, non revendiquées par Bercy, qui ne sont pas significatives et ne démontrent rien, puisqu’elles s’appuient sur un échantillon trop faible.
Monsieur le président de la commission des finances, il serait bon que le Gouvernement accède à la demande que la Haute Assemblée a exprimée. Comme l’a souligné Jean-Claude Frécon, il s’agit d’un élément de transparence qui devra être à la disposition du Parlement d’ici à l’examen du projet de loi de finances pour 2010.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, la nécessité de conditionner les aides versées par l’État à d’autres pratiques des entreprises est une idée qui émerge, comme vous l’avez reconnu explicitement.
Vous avez fait allusion aux aides publiques accordées aux banques et aux entreprises du secteur automobile. Il faut absolument que la fixation des rémunérations obéisse à un principe éthique. Sur le fond, cela revient à demander la suppression du bouclier fiscal. Notre groupe est prêt à débattre de cette question, et, monsieur le président de la commission des finances, vous nous avez donné rendez-vous à l’examen du projet de loi de finances pour 2010.
Mais il nous faut également nous interroger s’agissant des aides apportées aux entreprises. En 2009, les aides apportées dans le cadre des exonérations de cotisations sociales ont fait un bond considérable, passant de 32 milliards d'euros à 42 milliards d'euros. En outre, de multiples entreprises en bénéficient, notamment les plus importantes d’entre elles.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. J’ai entendu votre demande, monsieur le président de la commission des finances. Nous sommes des parlementaires responsables. Nous avons souhaité insister sur l'article 1er, car il est pour nous fondamental et symbolique. L’examen des autres articles sera beaucoup plus rapide.
Mais sans doute faudra-il à l’avenir prévoir plus de temps pour l’examen des textes dans le cadre de la journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires, afin que la discussion puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. Aujourd'hui, c’est une première !
Toutefois, nous sommes là pour nous exprimer, et je suis inquiet de voir la majorité sénatoriale applaudir, quand on nous demande de nous taire : je rappelle que cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre de la semaine d’initiative sénatoriale !
M. le président. Monsieur Foucaud, vous avez saisi la difficulté de ce débat.
La conférence des présidents a prévu que la journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires durerait huit heures.
Ce matin, les débats se sont prolongés au-delà du temps initialement imparti et, cet après-midi, la configuration des débats est telle, monsieur Collin, que votre proposition de loi ne pourra probablement être examinée que dans la soirée. J’ai cru comprendre que, compte tenu de l’intérêt que vous portiez à ce texte, vous ne teniez pas à ce qu’il soit examiné à une heure tardive. Vous me ferez donc part de votre décision.
Pour ma part, je suis tenu de respecter les décisions de la conférence des présidents. Si les paroles de sagesse de M. Foucaud sont entendues, nous pourrons achever l’examen de cette proposition de loi vers dix-neuf heures trente. Dans le cas contraire, je lèverai la séance à dix-neuf heures trente, ainsi que la conférence des présidents l’a décidé.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir exposé la situation avec clarté.
En respectant les délais impartis, sans doute pourrions-nous examiner la proposition de loi de mon groupe dans la foulée, en prolongeant la séance de l’après-midi. Mes collègues du groupe CRC-SPG, notamment Thierry Foucaud, ont-ils une idée du temps qui leur est nécessaire ? Cette information nous permettrait de faire le point et de prendre une décision en toute connaissance de cause.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Il convient de prendre l’opinion du groupe socialiste, qui a déposé un certain nombre d’amendements sur ce texte. En ce qui me concerne, je pense que ce débat pourrait s’achever vers dix-neuf heures trente.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Il ne faut tout de même pas renverser la charge de la preuve à notre détriment ! (Sourires.)
J’ai indiqué lors de la discussion générale que mon intervention valait défense des amendements du groupe socialiste. Dans ces conditions, je n’ai pas l’intention de les défendre de nouveau ! (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) En revanche, j’interviendrai peut-être en explication de vote sur l’un d’entre eux, si les arguments qui me sont opposés sont sujets à controverse. En tout cas, je n’ai pas l’intention d’allonger cette discussion.
J’ai bien compris que la majorité ne souhaitait pas se prononcer sur le fond et réservait pour plus tard ses arguments. Le débat n’a d’intérêt que si nous sommes plusieurs à débattre : si je suis toute seule, cela n’a pas grand sens !
M. le président. Monsieur Foucaud, selon vous, à quelle heure l’examen de ce texte pourrait-il être achevé ?
M. Thierry Foucaud. Nous ferons une explication de vote globale sur les amendements du groupe socialiste, ainsi que nous l’avions d’ailleurs prévu. Selon nous, l’examen de ce texte peut être achevé vers dix-neuf heures trente.
M. le président. À dix-neuf heures trente, il sera trop tard pour commencer la discussion de la proposition de loi de M. Collin, pour laquelle une heure de discussion générale est prévue !
M. Thierry Foucaud. Ce n’est pas moi qui préside, monsieur le président !
Nous voulons bien sûr satisfaire la Haute Assemblée, mais il nous faut bien exposer notre position !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Si l’examen de ce texte est terminé à dix-neuf heures trente, sera-t-il possible de débattre de la proposition de loi de mon groupe, tout en évitant une séance de nuit ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Non !
M. le président. L’examen de votre proposition de loi nécessite au moins deux heures de débat, monsieur Collin.
M. Yvon Collin. Si ce texte n’est pas examiné ce soir, il ne le sera pas avant la fin du mois d’avril. Dans ces conditions, je souhaite qu’une séance de nuit soit organisée.
M. le président. C’est impossible ! La conférence des présidents, à laquelle vous avez participé, a prévu huit heures de débat pour la séance d’aujourd'hui. Ce temps sera écoulé à dix-neuf heures trente.
M. Yvon Collin. Dans ce cas, mon avis est inutile !
M. le président. Il faut que chacun y mette du sien !
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. M. Thierry Foucaud s’est prononcé et Mme Bricq a confirmé que ses amendements étaient déjà défendus.
Nous pourrions donc terminer vers dix-huit heures trente, si chacun s’en tient à ce qu’il vient de dire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je vais faire une proposition : si la discussion de ce texte est achevée à dix-neuf heures, nous pourrons alors débattre à la suite de la proposition de loi de M. Collin, et lever la séance vers vingt heures trente, vingt heures quarante-cinq.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà !
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Nous ferons le maximum pour condenser nos propos et pour que l’examen de ce texte soit terminé avant dix-neuf heures, monsieur le président.
Je rappelle néanmoins que la séance de ce matin, que Roland du Luart et moi-même avons présidée, a été suspendue à quatorze heures passées. Elle aurait donc dû reprendre au plus tôt à seize heures. Or, en accord avec M. le président du Sénat, M. le secrétaire général du Sénat et le service de la séance, nous avons accepté qu’elle reprenne à quinze heures trente !
Il nous faudra réfléchir sur le nombre de textes qu’il est possible d’examiner au cours de la journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires. Sans doute y avait-il aujourd'hui un texte de trop !
M. Alain Gournac. Voilà !
M. le président. Telle était justement la conclusion que je voulais transmettre à la conférence des présidents ! Je me réjouis donc que nos points de vue se rejoignent, monsieur Fischer !
Je mets aux voix l'article 1er.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 131 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 182 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Articles additionnels avant l'article 2
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1 du I de l'article 197 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa est complété par les mots : « et inférieure ou égale à 380 000 euros ; »
2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« - 50 % pour la fraction supérieure à 380 000 euros. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Cet amendement, que j’ai déjà défendu, tend à créer une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu au-delà de 380 000 euros, somme correspondant aux 500 000 dollars visés par le Président des États-Unis.
M. le président. Le sous-amendement n° 17, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Compléter l'amendement n° 1 par un alinéa ainsi rédigé :
3° Au 2 de l'article 200 A du code général des impôts, la mention : « 18 % » est remplacée par la mention : « 24 % ».
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Ce sous-amendement va un peu plus loin que l’amendement n° 1 déposé par les membres du groupe socialiste, dont nous partageons le point de vue.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J’ai déjà indiqué que la position de la commission consistait à allier trois éléments. Il en manque manifestement un dans l’amendement n° 1. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement et, par voie de conséquence, sur le sous-amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 80 duodecies du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 3. Les sociétés dont le salaire des dirigeants est supérieur à vingt fois le salaire de base versé aux salariés de l'entreprise sont soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Cet amendement vise à plafonner les salaires versés aux dirigeants des entreprises. Lorsque ces rémunérations sont supérieures à vingt fois le salaire de base versé aux salariés, il convient de soumettre les sociétés considérées à une taxe supplémentaire de 15 %.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission considère qu’il y a matière à encadrer. Un texte réglementaire sera sans doute proposé sur ce sujet. Il n’est pas exclu cependant qu’il soit nécessaire de légiférer. Si tel est le cas, nous aviserons la semaine prochaine, lors de l’examen du collectif budgétaire.
Madame Bricq, la commission vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Compléter le 5 bis de l'article 39 du code général des impôts par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces rémunérations ne peuvent être supérieures à une année de salaires de base. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Il s’agit de plafonner les primes de départ des dirigeants d’entreprise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Même avis que pour l’amendement précédent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 80 duodecies du code général des impôts est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du 2 est ainsi rédigée : « Il en est de même pour leurs indemnités de départ de l'entreprise, lorsqu'elles sont composées de primes et/ou d'actions gratuites. » ;
2° Le 2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les rémunérations variables et les indemnités de départ sont taxées à hauteur de 100 % pour les dirigeants dont la société a bénéficié de l'aide de l'État telle que prévue par la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l'économie » ;
3° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 3. Les sociétés qui envisagent d'augmenter le salaire de leurs dirigeants dans un délai inférieur à six mois avant leur départ de l'entreprise seront soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Par cet amendement, nous proposons que les sociétés qui envisagent d’augmenter le salaire de leurs dirigeants dans un délai inférieur à six mois avant leur départ de l’entreprise soient soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable.
M. le président. Le sous-amendement n° 18, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le 2° de l'amendement n° 5 :
2° Le 2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les rémunérations variables et les indemnités de départ sont taxées à hauteur de 100 % pour les dirigeants dont la société a bénéficié de l'aide de l'État au sens de la loi du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l'économie, ou du fonds stratégique d'investissement, créé par application de l'article 5 de la loi n° 2009-12 du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009 ».
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Il a été défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Même avis que précédemment, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
Par dérogation aux dispositions fiscales en vigueur, pour les dirigeants d'entreprises qui ont une rémunération annuelle excédant 250 000 euros après prélèvement des cotisations sociales, le montant des indemnités de départ qui excède ce montant est imposé à un taux de 100 %.
Par dérogation aux dispositions fiscales en vigueur, la société qui octroie une rémunération de départ supérieure, calculée conformément au premier alinéa, en vertu d'un contrat de travail, d'un contrat d'entreprise ou d'un mandat est soumise à une taxe supplémentaire de 15 % sur son bénéfice imposable.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. S’il fallait trouver une bonne raison pour justifier l’adoption de cet article, ce serait sans doute dans l’examen de la situation, pour le moins étonnante, qui découle de ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Valéo ». Le sujet étant d’importance, je m’y attarderai quelques instants.
Sur ce point, comme nous avons eu l’occasion de le rappeler, le rapport de M. Marini semble avoir été écrit un peu trop rapidement, pour tout dire trop schématiquement, dans la plus parfaite ignorance de l’actualité et de la réalité des pratiques.
En effet, avec l’affaire du départ en retraite du P-DG de Valéo, M. Thierry Morin, sont précisément atteintes les limites que la loi a prétendu fixer aux pratiques, décriées dans l’opinion publique, ayant cours en matière de rémunération des dirigeants des entreprises.
Comme cela fait plusieurs fois que la loi déploie ses effets dans le domaine des rémunérations patronales, je me permettrai de souligner uniquement le cas spécifique soulevé par l’affaire Valéo.
Aux termes du rapport de la commission, « hors plan social, est exonérée d’impôt sur le revenu et de cotisations de sécurité sociale la fraction des indemnités de licenciement qui n’excède pas le plus élevé des trois montants suivants :
« - le montant prévu par la convention collective de branche, par l’accord professionnel et interprofessionnel ou, à défaut, par la loi ;
« - ou la moitié du montant des indemnités de licenciement ;
« - ou deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son contrat de travail. »
Pour que chacun comprenne, je vais me livrer à un exercice de traduction : M. Thierry Morin, en compensation du préjudice qu’il va subir en raison de la perte de ses activités de P-DG de Valéo, va pouvoir éviter de payer des cotisations sociales sur les 3,2 millions d’euros qu’il percevra et, grâce au dispositif adopté dans la loi de financement de la sécurité sociale, n’acquittera pas plus d’impôt sur le revenu.
Cette somme de 3,2 millions d’euros équivaut, pour lui, à deux ans de salaire, attendu que les actionnaires de Valéo ont jugé bienvenu de lui attribuer une rémunération annuelle égale à 130 années de SMIC !
Petit calcul rapide : le bonus fiscal de M. Morin est de 352 000 euros au titre de la CSG et de la CRDS ; il peut raisonnablement atteindre 1 083 596 euros pour ce qui est de l’impôt sur le revenu... Et nous ne parlons pas des autres éléments de prélèvement social, au-delà de la CSG et de la CRDS...
M. Morin a au moins gagné une chose : il n’a pas besoin de solliciter le bouclier fiscal ! Quand on ne paie pas, au titre des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu, l’équivalent de 120 années de SMIC, pourquoi se compliquer la vie à solliciter un bouclier fiscal, dont l’instruction demande d’ailleurs de jouer cartes sur table ?
D’où vient ce remarquable montage figurant aujourd’hui dans le code général des impôts ? De deux articles votés l’un en 2005 et l’autre en 2006 lors de l’adoption des lois de financement de 2006 et 2007.
Dans les deux cas, le dispositif était inscrit dans le texte original du projet de loi de financement ; l’objectif était clairement de créer une incroyable zone franche fiscale et sociale autour des indemnités de rupture du contrat de travail des grands patrons.
Mes chers collègues, telles sont les précisions que je voulais apporter. Pour que les positions de chacun soient bien claires, les membres du groupe CRC-SPG demandent un vote par scrutin public sur l’article 2.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, je souhaite faire connaître au Sénat la position de la commission des finances sur l’article 2.
Mes chers collègues, ne transformons pas le Parlement en tribunal traitant des cas individuels ! La question soulevée suscite, à n’en point douter, une réelle émotion dans l’opinion publique. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure – cela a été rappelé à plusieurs reprises et M. le secrétaire d’État y a fait référence –, le Gouvernement entend prendre les dispositions appropriées.
Mme Annie David. Par décret ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien que faisant confiance au Gouvernement, nous n’excluons pas de proposer au Sénat des dispositions d’ordre législatif, de telle sorte qu’un encadrement soit fixé.
Mme Annie David. C’est tout de suite qu’il faut le faire !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Quoi qu’il en soit, j’espère que celles et ceux qui dirigent les entreprises sont imprégnés de considérations déontologiques suffisantes…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela se voit…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … pour se tenir à l’écart d’excès qui suscitent l’indignation et, quelquefois, scandalisent nombre de nos concitoyens.
Cela dit, la commission des finances demande au Sénat de rejeter l’article 2.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 132 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 182 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Articles additionnels avant l'article 3
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 3312-3 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Aucune option ouvrant droit à la souscription d'actions au profit des mandataires sociaux ne peut être mise en place dans une entreprise lorsque cette entreprise aura été créée depuis plus de cinq ans. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Cet amendement vise à revenir à l’esprit originel des stock-options, c'est-à-dire à les réserver aux seules entreprises de croissance, celles qui ont été créées il y a moins de cinq ans.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Naturellement, l’idée qui sous-tend cet amendement est intéressante et justifierait un débat.
Toutefois, nous vivons dans une économie globale, ou à tout le moins européenne : toute disposition restrictive prise en France peut avoir des conséquences préjudiciables à notre économie et donc à l’emploi.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Je comprends l’esprit de cet amendement. Cela dit, mes collègues du groupe CRC-SPG et moi-même ne le voterons pas, parce que nous estimons qu’il tend, même si tel n’est pas, j’en suis sûr, l’objectif visé par le groupe socialiste, à accepter le principe de l’existence des stock-options.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 225-185 du code de commerce, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Il ne peut être consenti au président du conseil d'administration et au directeur général des options donnant droit à la souscription ou à l'achat d'actions représentant, au jour de leur attribution, un montant supérieur à la rémunération fixe du président du conseil d'administration et du directeur général. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Si vous le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps les amendements nos 8, 9, 10 et 11.
M. le président. Je vous en prie, ma chère collègue.
J’appelle donc en discussion ces amendements.
L'amendement n° 8, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 225-177 du code de commerce est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée :
« Les actions acquises au titre de la levée de l'option, ainsi que les actions gratuites, ne pourront être cédées par les dirigeants de sociétés cotées que sur une période de douze mois, soit un douzième chaque mois ou 50 % par semestre. » ;
2° Après la première phrase du quatrième alinéa, sont insérées trois phrases ainsi rédigées :
« Le prix minimum et le prix maximum auxquels peut être effectuée la levée d'options, ou ceux des actions gratuites, sont fixés à chaque début d'exercice. À chaque exercice, le conseil d'administration prend connaissance du nombre d'actions déclarées par les dirigeants, et de leur choix quant au calendrier de leur réalisation pour l'exercice suivant. Le nombre d'options et d'actions détenues, ainsi que le calendrier de leur réalisation ou de leur vente, sont portés à la connaissance des actionnaires et des salariés de l'entreprise. » ;
3° Après le deuxième alinéa est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le conseil d'administration détermine les droits des mandataires sociaux attachés aux options et actions gratuites, en proportion du temps passé au sein de la société par lesdits mandataires, ainsi que les conditions de perte de ces droits dans le cas de départ de l'entreprise. En tout état de cause, la durée pendant laquelle peut être exercé le droit de levée d'options, ou de réalisation d'actions, ne peut dépasser quatre ans. Chaque levée d'option, ou cession d'actions, doit être préalablement annoncée au conseil d'administration lors de l'exercice précédent. »
L'amendement n° 9, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 137-14 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Art. L. 137-14. - Il est institué, au profit des régimes obligatoires d'assurance maladie dont relèvent les bénéficiaires, une contribution salariale de 11 % assise sur le montant des avantages définis aux 6 et 6 bis de l'article 200 A du code général des impôts.
« Ces dispositions ne sont pas applicables aux entreprises éligibles au statut de petites et moyennes entreprises de croissance, telles que définies par l'article 220 decies du code général des impôts.
« Cette contribution est établie, recouvrée et contrôlée dans les conditions et selon les modalités prévues au III de l'article L. 136-6. »
L'amendement n° 10, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Art. L. 137-13. I. - Il est institué, au profit des régimes obligatoires d'assurance maladie dont relèvent les bénéficiaires, une contribution due par les employeurs :
« - sur les options consenties dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce ;
« - sur les actions attribuées dans les conditions prévues aux articles L. 225-197-1 à L. 225-197-5 du même code.
« En cas d'options de souscription ou d'achat d'actions, cette contribution s'applique, au choix de l'employeur, sur une assiette égale soit à la juste valeur des options telle qu'elle est estimée pour l'établissement des comptes consolidés pour les sociétés appliquant les normes comptables internationales adoptées par le règlement (CE) n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002 sur l'application des normes comptables internationales, soit à 50 % de la valeur des actions sur lesquelles portent ces options, à la date de décision d'attribution. Ce choix est exercé par l'employeur pour la durée de l'exercice, pour l'ensemble des options de souscription ou d'achat d'actions qu'il attribue ; il est irrévocable durant cette période.
« En cas d'attribution gratuite d'actions, cette contribution s'applique, au choix de l'employeur, sur une assiette égale soit à la juste valeur des actions telle qu'elle est estimée pour l'établissement des comptes consolidés pour les sociétés appliquant les normes comptables internationales adoptées par le règlement (CE) n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002 précité, soit à la valeur des actions à la date de la décision d'attribution par le conseil d'administration ou par le directoire. Ce choix est exercé par l'employeur, pour la durée de l'exercice, pour l'ensemble des attributions gratuites d'actions ; il est irrévocable durant cette période.
« II. - Le taux de cette contribution est fixé à 28,2 % de 50 % de la valeur des actions sur lesquelles portent ces options à la décision d'attribution. Elle est exigible le mois suivant la date de la décision d'attribution des options ou des actions visées au I. Cette contribution de 28,2 % n'est pas applicable lorsque les options de souscription ou d'achat d'actions, une fois levées, et les actions gratuites sont affectées à un plan d'épargne entreprise. Les modalités de cette affectation seront définies par décret.
« III. - Ces dispositions sont également applicables lorsque l'option est consentie ou l'attribution est effectuée, dans les mêmes conditions, par une société dont le siège est situé à l'étranger et qui est mère ou filiale de l'entreprise dans laquelle le bénéficiaire exerce son activité.
« IV. - Ces dispositions ne sont pas applicables aux entreprises éligibles au statut de petites et moyennes entreprises de croissance, telles que définies par l'article 220 decies du code général des impôts.
« V. - Les articles L. 137-3 et L. 137-4 s'appliquent à la présente contribution. »
L'amendement n° 11, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 200 A du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa du 6, le montant : « 152 500 euros » est remplacé par le montant « 50 000 euros » ;
2° Le premier alinéa du 6 bis est complété par les mots : « lorsque son montant n'excède pas 50 000 euros et au taux de 40 % lorsque son montant excède 50 000 euros ».
Vous avez la parole, madame Bricq.
Mme Nicole Bricq. À travers l’amendement n° 7, nous proposons que, dans la rémunération d’un dirigeant de société, la part variable ne soit en aucun cas supérieure à la part fixe.
L’amendement n° 8 vise à obliger les dirigeants de sociétés à établir un calendrier régulier de cession ou de réalisation de leur rémunération en capital, afin de prévenir non seulement les délits d’initiés, qui consistent à prendre des options au cours le plus bas et à les exercer au prix le plus haut, mais aussi, tout simplement, les effets d’aubaine.
Si l’amendement n° 9 était adopté, les rémunérations annexes en capital des dirigeants de sociétés seraient soumises à une contribution salariale de 11 %, contre 2,5 % aujourd'hui.
Dans un souci de parallélisme des formes, l’amendement n° 10 vise à augmenter la cotisation patronale sur les attributions en capital.
Enfin, l’amendement n° 11 a pour objet d’abaisser à 50 000 euros le seuil en dessous duquel la plus-value d’acquisition est taxée à 30 % et d’appliquer un taux de 40 % à la taxe sur les attributions d’actions gratuites dès lors que le montant de la cession des valeurs mobilières excède 50 000 euros.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Naturellement, les stock-options méritent une réflexion toute particulière. Il s'agit d’un instrument merveilleux mais qui peut, dans certains cas, contribuer à la tyrannie du court terme.
Mme Nicole Bricq. C’est précisément ce que je propose d’éviter !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il arrive un moment où l’on ne se préoccupe que du niveau des cotations, parce qu’il conditionne une plus-value.
Les entreprises, elles, trouvent les stock-options tout à fait intéressantes, puisque la rémunération ne figure pas dans leurs charges et, par conséquent, n’altère pas leur résultat. Mais il faut certainement promouvoir une déontologie en la matière, ce qui rend nécessaire un dispositif global, qui ne saurait être que national, car, je le répète, les pratiques des entreprises sont désormais largement mondialisées.
Ce sujet important, qui ne sera certainement pas abordé par le prochain G20, concerne la gouvernance globale et l’ensemble des entreprises.
Pour éviter des inconvénients que nous ne pourrions maîtriser, la commission émet donc un avis défavorable sur les amendements nos 7, 8, 9, 10 et 11.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3
Par dérogation aux dispositions fiscales en vigueur, toute rémunération ou partie de rémunération qui est liée à l'évolution de cours boursiers, octroyée ou calculée sous quelle que forme que ce soit, est soumise à une taxe de 100 %.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. Mes chers collègues, je souhaite tout d'abord vous livrer une information contenue dans une dépêche AFP de cet après-midi : le P-DG de GDF-Suez, Gérard Mestrallet, et son vice-président, Jean-François Cirelli, ont décidé de renoncer à leurs stock-options, « dans un souci de responsabilité » a affirmé à l’AFP le porte-parole du groupe. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Bravo ! On va les applaudir…
M. Thierry Foucaud. Il faut préciser que les salariés de l’entreprise étaient en grève contre l’attribution de ces stock-options, ce qui explique peut-être une telle décision !
Si nous devons nous interroger sur les problèmes que pose la pratique des stock-options en termes de justice fiscale et sociale, il nous faut aussi, à l'occasion de l’examen de cet article, nous tourner, l’espace d’un instant, vers le rapport rédigé par M. le rapporteur général.
M. Marini affirme que l’article 3 de la présente proposition de loi constitue à ses yeux « le summum de l’horreur économique », puisqu’il vise à supprimer les stock-options comme mode de rémunération des dirigeants, ou d'ailleurs des autres salariés, dès lors que leur serait appliqué un taux de taxation de 100 %.
Mes chers collègues, nous pourrions relever les nombreux termes du rapport dont nous pouvons craindre qu’ils ne revêtent un caractère purement idéologique et ne soient déconnectés des réalités !
Cela dit, je ne citerai pas le rapport, car je crois que tout le monde l’a lu, et soulignerai simplement que l’objection constitutionnelle opposée à cet article nous semble pour le moins sujette à caution.
En effet, la taxation des stock-options au taux de 100 % présenterait surtout le caractère d’une arme de dissuasion, qui conduirait, dans le parfait respect des normes d’égalité devant l’impôt, les organes dirigeants de nos grandes entreprises à choisir des formules de rémunération de leurs dirigeants salariés autres que l’attribution d’actions gratuites ou privilégiées !
Il existe un moyen normal de rémunérer des dirigeants salariés : leur accorder un salaire qui corresponde à leur compétence et à ce que l’on attend d’eux, au lieu de chercher des biais juridiques divers dont la seule raison d’être, comme nous l’avons vu, est de leur permettre d’échapper à l’impôt et aux cotisations sociales, et accessoirement de réaliser de juteuses plus-values, car telle est bien la finalité des stock-options, sans compter l’effet du versement des dividendes éventuels et des autres crédits d’impôt qui y sont attachés, ou encore l’imputation des dettes personnelles d’acquisition des titres, j’en passe et des meilleures !
Je relèverai un autre point du rapport, que je citerai cette fois, car il me paraît important :
« En effet, selon la théorie économique dite “théorie de l’agence”, ce type de rémunération est nécessaire afin que les dirigeants ou les mandataires sociaux adoptent des politiques conformes aux intérêts des actionnaires qui les ont mandatés. »
Dans l’esprit de M. le rapporteur général, qui est, comme chacun sait, un spécialiste reconnu du droit des affaires et de tout ce qui s’y rattache, les dirigeants et mandataires doivent adopter des politiques conformes aux intérêts des actionnaires.
Or c’est précisément là que le bât blesse : qu’est-ce donc qu’une politique conforme aux intérêts des actionnaires ? Une gestion d’entreprise qui capitalise les gains de productivité fondés sur l’amélioration des performances de chaque unité de production, transformés en dividendes sonnants et trébuchants. Bref, c’est un de ces modes de gestion qui font que la réduction des dividendes des entreprises du CAC 40 est bien moins rapide que celle des résultats cumulés des entreprises figurant dans cet indice.
C’est cette gestion, d’ailleurs remarquable, qui fait que Total a réalisé 14 milliards d’euros de bénéfices et consacre entre 750 millions et 1 milliard d’euros à des offres publiques de retrait de titres, ce qui valorise d’ailleurs les titres restants. Or la société s’apprête malgré tout, comme vous le savez, à supprimer 550 emplois dans ses implantations en France !
Il est donc grand temps – et je disais cela à l’intention de M. le rapporteur général – qu’il comprenne, ainsi que la majorité sénatoriale, une bonne fois pour toutes que les entreprises, dans notre pays, ont aussi devant l’opinion, mais, bien sûr, au premier chef, devant leurs salariés, une responsabilité sociale en termes d’emploi, d’investissement utile à la production, de développement durable et de respect de l’environnement.
Tels sont les arguments que nous voulions présenter à l’appui de l’article 3, dont nous demandons le vote par scrutin public.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission des finances demande le rejet de cet article, qui est totalement confiscatoire puisqu’il vise à établir la taxation à 100 %, ce qui est à la limite de la capacité contributive et contraire aux principes constitutionnels !
Vous vous êtes fait l’écho d’une dépêche laissant à penser que certains dirigeants, qui étaient éligibles à des stock-options, y auraient renoncé ce matin. Je crois qu’il faut saluer le souci déontologique dont ont fait preuve ces dirigeants.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est parce que ça commence à chauffer un peu !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La crise économique et financière est en partie la conséquence de manquements graves à l’éthique. Cette démarche prouve que les esprits évoluent et que l’on va dans la bonne direction !
Il n’est donc peut-être pas nécessaire de faire systématiquement des lois ; encore faut-il que les dirigeants soient pénétrés des règles d’éthique, ce qui doit être le cas chaque fois qu’il s’agit d’hommes et de femmes qui ont servi l’État et qui ont le sens de l’intérêt général.
La commission des finances demande donc le rejet de l’article 3.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 133 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 184 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 4
Les montants exprimés en euros dans la présente loi sont adaptés annuellement à l'indice des prix à la consommation en France.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 n’est pas adopté.)
Article 5
La présente loi s'applique aux revenus de l'année 2008 et des années suivantes.
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Les dispositions de l'article premier sont applicables à compter de l'imposition des revenus de 2009.
Lorsqu'ils sont soumis à prélèvement libératoire, les revenus visés aux articles 2 et 3 sont imposables dès la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement vise simplement à remplacer la date de 2008 par celle de 2009. Il faut dire que nous avions déposé la présente proposition de loi le 15 octobre 2008.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission est défavorable à l’article 5 et l’amendement n’est pas de nature à modifier cet avis ! La commission est donc défavorable à l’amendement n° 16 et demande le rejet de l’article 5.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 n’est pas adopté.)
Article 6
I - À la fin du premier alinéa de l'article L. 225-38 du code du commerce, les mots : « du conseil d'administration » sont remplacés par les mots : « de l'assemblée générale ».
II - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Cette convention est soumise à l'accord du comité d'entreprise. »
III - À la fin de la première phrase du second alinéa de l'article L. 225-39 du même code, les mots : « au président du conseil d'administration » sont remplacés par les mots : « à l'assemblée générale des actionnaires ».
IV - Dans le premier alinéa de l'article L. 225-42 du même code, les mots : « du conseil d'administration », sont remplacés par les mots : « de l'assemblée générale des actionnaires ».
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. L’article 6, sur lequel la commission a émis un avis défavorable, comporte des dispositions qui sont pourtant attendues par des millions de salariés.
Nous proposons que les conventions réglementées ne soient plus soumises à la seule approbation du conseil d’administration, mais à l’accord conjoint de l’assemblée générale des actionnaires et du comité d’entreprise.
Nous entendons répondre à une exigence de transparence sur la rémunération des dirigeants, qui est composée d’une part fixe et d’éléments variables. Cette proposition repose donc sur le double contrôle préalable de ces conventions par les actionnaires et par les salariés, à travers leurs représentants au comité d’entreprise.
L’avis du rapporteur sur notre proposition me surprend. Pour lui, le droit actuel, qui confie l’immense majorité des outils de contrôle et de surveillance au conseil d’administration – au détriment de l’assemblée générale des actionnaires ou des salariés – est un principe équilibré.
Mais, en cas de non-respect par un dirigeant d’entreprise des règles de consultation du conseil d’administration, la convention est nulle et le conseil d’administration a toute latitude pour exiger qu’elle soit déclarée comme telle. À l’inverse, en cas de non-respect des règles relatives à la consultation de l’assemblée générale des actionnaires ou du comité d’entreprise, la convention reste valable. Est-ce là ce que l’on appelle un principe équilibré ?
La majorité, qui se fait chaque jour le défenseur de l’actionnariat, qui dit vouloir en finir avec un actionnariat spéculatif pour retourner à un système régulé, plus humain, refuse une disposition qui aurait pour conséquence de reconnaître chaque actionnaire, en lui confiant un droit de surveillance plus approfondi en fonction d’une règle que vous devriez soutenir : une personne, une voix.
Notre proposition de conditionner la validité des conventions à l’approbation du comité d’entreprise est traitée avec mépris. Alors qu’hier encore éclatait au grand jour un nouveau scandale concernant une filiale du Crédit agricole qui aurait distribué plus de 50 millions de bonus, tout en élaborant un plan de licenciement de plus de soixante-dix salariés, il serait bon qu’un contrôle des salariés sur la gestion économique et les choix stratégiques de l’entreprise vienne bouleverser de telles habitudes !
Le plaidoyer en faveur de l’autodiscipline n’est plus crédible. Face à la multiplicité des abus, les salariés, y compris ceux de Continental à Clairoix – que M. le rapporteur connaît bien – doivent pouvoir disposer de réels contre-pouvoirs face aux actionnaires majoritaires.
Ces salariés sont licenciés, sous prétexte que l’entreprise n’est pas assez rentable, alors même que les actionnaires accumulent les profits et que les mandataires sociaux ont des rémunérations parfois vingt fois supérieures aux salaires médians !
Vous dites vouloir instaurer de la morale ; vous dites vouloir faire en sorte que les dirigeants prennent leurs responsabilités. On le voit depuis une semaine, les appels du Gouvernement, du Président de la République, et même ceux – contraints, il est vrai – du MEDEF n’y changent pas grand-chose. Il faut faire sortir la question de la rémunération des dirigeants du cercle fermé des conseils d’administration, dans lesquels ces dirigeants se croisent, se cooptent, s’organisent en réseau pour bénéficier les uns et les autres de très avantageux jetons de présence. Dans ce système, l’un est président du conseil d’administration quand l’autre est membre du conseil de surveillance, et vice versa dans une autre entreprise.
Il faut de la transparence et de la démocratie sociale. C’est l’objet de cet article 6, sur lequel le groupe CRC-SPG demande un scrutin public. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Alain Gournac. Le cinéma continue !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je voudrais à nouveau lancer un appel à nos collègues du groupe CRC-SPG, qui prennent des engagements et ne les tiennent pas ! Il est tout de même fâcheux qu’ils continuent de demander des scrutins publics à répétition alors que le vote est identique chaque fois ! À quoi cela sert-il ? C’est un dévoiement du débat parlementaire.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ça suffit, les insultes !
Mme Annie David. Qui manifeste le plus de mépris, dans cet hémicycle ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En ce qui concerne l’article 6, je rappellerai que les administrateurs qui approuvent des conventions réglementées sont dans l’obligation de soumettre ces conventions à l’assemblée générale des actionnaires et engagent personnellement leur responsabilité.
Du point de vue de la commission des finances, il n’y a pas lieu de modifier cette législation. C’est la raison pour laquelle elle demande au Sénat de rejeter l’article 6.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 134 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 182 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, je suis chargé d’exprimer la position du groupe socialiste sur la proposition de loi qui doit – normalement – être examinée après le présent texte. Or, vous avez tout à l’heure indiqué qu’à dix-neuf heures, selon la façon dont les choses se passaient, soit vous appelleriez en discussion ladite proposition de loi, de façon qu’elle soit examinée dans son entier, soit vous lèveriez la séance dès la fin de l’examen du présent texte.
Je ne vous cache pas que nous souhaiterions savoir ce que vous allez décider, puisqu’il est dix-neuf heures quatre.
M. le président. En effet, mon cher collègue, il a été décidé que, si l’examen du présent texte était terminé à dix-neuf heures, nous étudierions le suivant dans la foulée.
Or, nous n’en aurons pas terminé avec la présente discussion avant dix minutes ou quinze minutes ? Dans ces conditions, monsieur Collin, acceptez-vous que l’examen de votre proposition de loi soit reporté à une date ultérieure ?
M. Yvon Collin. Notre position reste inchangée : nous souhaitons que notre texte soit examiné aujourd’hui, sinon, sa discussion sera reportée au mois d’avril et perdra tout son sens.
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 225-38 du code de commerce est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La rémunération du président du conseil d'administration et du directeur général est soumise à autorisation du conseil d'administration.
« La rémunération et l'augmentation de la rémunération du président du conseil d'administration et du directeur général doit faire l'objet, au préalable, d'un avis conforme du comité d'entreprise et de l'assemblée générale des actionnaires. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission souhaite le rejet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 7
Le premier alinéa de l'article L. 2242-1 du code du travail est complété par la phrase suivante :
« Cette négociation porte également sur les éléments de rémunérations versées aux dirigeants salariés de l'entreprise, sous quelque forme que ce soit, notamment dans le cadre des dispositions visées aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce.
M. Thierry Foucaud. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, vous alliez encore oublier de me donner la parole pour explication de vote, peut-être parce que les arguments que j’entendais développer, en ce qui concerne l’Allemagne et les Pays-Bas, ne vous convenaient pas : ils allaient à l’encontre de ce qui avait été dit initialement.
Avec cet article 7, nous entendons modifier l’article L. 2242-1 du code du travail, qui tend à organiser dans les entreprises une ou plusieurs sections syndicales afin d’encadrer les négociations annuelles obligatoires.
Notre proposition est donc – M. le rapporteur l’avait d’ailleurs bien résumée – d’intégrer dans le champ de ces négociations annuelles obligatoires la question de la rémunération des dirigeants d’entreprise, particulièrement pour ce qui est des éléments variables de rémunération, qu’il s’agisse de stock-options, d’attributions gratuites d’actions ou de parachutes dorés.
Pour nous – chacun, ici, l’aura compris –, il s’agit de permettre aux salariés d’entreprises de connaître clairement la rémunération totale des mandataires sociaux qui les dirigent : il ne serait pas illégitime que les salariés, qui continuent à produire de la richesse, soient informés des conséquences financières de leur travail sur les rémunérations de leurs propres dirigeants.
Si nous proposons de l’intégrer aux négociations annuelles obligatoires, c’est précisément parce que nous considérons que les salariés doivent pouvoir participer à la fixation de cette rémunération, et ce précisément parce que trop souvent celle-ci est sans commune mesure avec celle qui est pratiquée dans l’entreprise.
Je citerai un exemple : en 1930, l’industriel américain Henry Ford préconisait que, pour être admissible, l’écart de salaires entre les salariés et les dirigeants devait être de 1 à 40. Il est aujourd'hui de 1 à 400. C’est dire ! Cette hausse considérable entre le salaire moyen et la rémunération de certains dirigeants d’entreprises n’est pas la cause de la bulle spéculative, elle en est la manifestation. Elle atteste à quel point la recherche de l’argent pour l’argent, la spéculation financière, conduit à tous les abus.
Cet emballement spéculatif, qui profite aux actionnaires et à certains dirigeants, joue bien sûr contre les salariés, à qui l’on impose au choix des périodes forcées d’inactivité, des gels ou des réductions de salaires, le retour en arrière sur les acquis sociaux – je pense au retour aux 40 heures, avec les conséquences que l’on connaît, notamment à Continental – ou bien à qui l’on impose délocalisations et licenciements.
C’est donc précisément parce que les salariés sont victimes de cette politique spéculative que nous entendons leur donner le droit d’intervenir en ce domaine.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, s’étonnent de ce que nous demandons des scrutins publics sur chaque article : c’est parce que nous voulons que la France entière sache, demain, qui, dans cette enceinte, de Dupont ou de Durand a voté contre le bouclier fiscal, pour les stock-options ou pour des rémunérations monstrueuses ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est important ! On le fera savoir dans les départements !
M. Thierry Foucaud. Cela ne vous plaît pas, parce que vous serez gêné un jour de vos prises de position actuelles. Nous le savons ! Votre fébrilité le prouve !
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 n'est pas adopté.)
Articles additionnels après l'article 7
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 7, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 225-40 du code de commerce, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Un rapport sur les rémunérations des dirigeants de l'entreprise est rédigé chaque année en début d'exercice, qui présente la politique de rémunération de l'entreprise, les objectifs et les modes de rémunérations qu'elle met en œuvre, ainsi que les critères de la relation entre les rémunérations et les performances individuelles des dirigeants. Ce rapport est élaboré par le comité des rémunérations, composé d'administrateurs indépendants, qui délibèrent en l'absence des dirigeants. Les institutions représentatives du personnel ont la possibilité d'interroger les dirigeants sur le contenu dudit rapport. Les réponses apportées sont intégrées dans le rapport. Le rapport est validé par l'assemblée générale des actionnaires. »
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Cet amendement est défendu, de même que l’amendement n° 14.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission demande le rejet de cet amendement, de même que celui de l’amendement n° 14.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 7, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
L'avant-dernier alinéa de l'article L. 225-40 du code de commerce est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Dans ce rapport, figure une annexe spécialement consacrée à toutes les rémunérations allouées au président du conseil d'administration et au directeur général. Cette annexe met en évidence, en les séparant, la partie fixe et la partie variable des rémunérations octroyées. »
Cet amendement a déjà été défendu.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
Je mets aux voix l'amendement n° 14.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, l’ensemble des articles ayant été repoussés, la proposition de loi est rejetée.
8
Service d'accueil des élèves dans les communes de moins de 2000 habitants
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à exclure les communes de moins de 2 000 habitants du dispositif de service d’accueil des élèves d’écoles maternelles et élémentaires, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues (nos 219, 289).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, co-auteur de la proposition de loi.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui est un texte dicté par le bon sens et l’expérience, élaboré de surcroît au terme de nombreux échanges tenus avec les maires de nos départements respectifs, un texte que nul ne saurait qualifier de malvenu dans cette enceinte, où la majorité d’entre nous sait pertinemment ce qu’est une petite commune, connaît ses problèmes et mesure les difficultés que rencontrent tous les jours ses élus.
J’ai déjà eu à me prononcer sur le dispositif du service minimum d’accueil, créé par la loi du 20 août 2008 instituant un droit – et non un devoir – d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires les jours de grève, une loi très difficile à appliquer si, bien entendu, les maires veulent le faire correctement et non dans une improvisation qui, à l’usage, peut se révéler désastreuse.
Si je peux naturellement concevoir que l’instauration d’un droit d’accueil n’était pas a priori une mauvaise idée, force est de constater que sa mise en place a constitué une sorte de « supercherie », faisant miroiter auprès des familles une aide qu’il était pratiquement impossible de mettre en œuvre.
Au reste, monsieur le ministre, cette loi n’a-t-elle pas suscité, dès sa publication, l’opposition des syndicats, qui voient en elle la violation même du droit de grève, et celle des parents d’élèves, inquiets de voir l’école enseignante transformée en vulgaire garderie ?
De nombreux élus, pour leur part, surtout ceux des zones rurales, les plus directement concernés, se sont émus d’un système faisant reposer sur leurs épaules toute l’application d’un texte qu’ils n’ont ni souhaité ni demandé.
Je ne parle pas de la justice, qui, dans de nombreux cas, a donné raison aux maires réfractaires à l’application de cette loi ; je pense, en particulier, à cet arrêt du tribunal administratif de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, qui fera probablement jurisprudence et qui explicite le principe suivant : « Nul ne saurait être contraint de faire ce qu’il ne peut objectivement pas mettre en œuvre ». Cet arrêt est au demeurant parfaitement conforme à la jurisprudence du Conseil d’État sur la recevabilité des recours en référé.
Monsieur le ministre, pensez-vous sérieusement que le maire d’une commune de moins de deux mille habitants – la majorité des communes du terroir dont je suis l’élue sont de cette taille, et nous sommes nombreux, ici, à en être les élus, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons – peut, tout à la fois, préparer un dispositif d’accueil dans un délai très court, à savoir moins de quarante-huit heures, trouver les collaborations nécessaires pour appliquer une réglementation qui exige, par ailleurs, un encadrement d’un adulte pour garder vingt enfants, recenser les compétences professionnelles, ou tout au moins la formation, des bénévoles requis, mettre en place un service de restauration, veiller à l’organisation modifiée des transports scolaires – que sais-je encore ? – sans tomber dans le piège d’une mauvaise garderie, parfois non dénuée de risques et de dangers ?
Tous, sans exception, nous avons mesuré, dans nos départements, nos cantons, nos villages, l’extrême difficulté d’appliquer ce qui, il faut bien le reconnaître, est une loi précipitée, produit d’une absence totale de concertation.
Cette constatation, encore une fois de bon sens, mes collègues du groupe RDSE et moi-même ne sommes pas les seuls à l’avoir formulée, puisque le Président de la République lui-même, le 27 novembre dernier, à l’occasion du 91e congrès des maires de France, a fait, en public, la déclaration suivante : « C’est vrai qu’on ne peut pas demander la même obligation de service à un maire d’une commune rurale qui n’a même pas dans ses collaborateurs un employé titulaire ayant le BAFA et [à un maire] d’une grande ville d’un ou deux millions d’habitants. Je le comprends parfaitement et l’on doit pouvoir trouver un accord. » C’est précisément pour trouver cet accord – du moins, je l’espère ! – que nous sommes réunis aujourd’hui. Et c’est la raison même de cette proposition de loi, dont l’objet est justement d’exclure du dispositif d’accueil les petites communes de moins de 2 000 habitants, seuil qui nous paraît raisonnable.
Le Sénat devrait, en toute logique, approuver ce texte à une large majorité, puisqu’il s’inscrit dans le droit-fil des propos présidentiels.
M. Yvon Collin. Tout à fait !
Mme Anne-Marie Escoffier. Je dis « devrait », car, à mon grand étonnement, j’ai constaté, monsieur le rapporteur, que, dans vos conclusions, vous préconisiez le contraire. Ne pourrait-on pas s’étonner que la gauche de notre assemblée suive les conclusions préconisées par M. Sarkozy, tandis que la droite les récuserait d’un revers de la main, avec des arguments qui, pour le moins, me semblent fallacieux ?
M. Yvon Collin. Absolument !
Mme Anne-Marie Escoffier. Ces arguments, du reste, quels sont-ils ?
En tout premier lieu, monsieur le rapporteur, vous-même avez indiqué en réunion de commission que les difficultés rencontrées « ne justifiaient pas de modifier en profondeur la répartition des compétences prévues par la loi ». Voilà une appréciation quelque peu arbitraire, qui me paraît au demeurant contraire à ce que m’ont confié les maires de mon département et de ceux des signataires de la présente proposition de loi, dont je ne saurais croire qu’ils sont différents des autres.
Permettez-moi, cher collègue rapporteur, de m’étonner de certaines affirmations de votre rapport qui, sur ce point, me paraissent trahir une véritable méconnaissance…
M. Philippe Richert, rapporteur. Oh !
Mme Anne-Marie Escoffier. … d’un système scolaire que je crois connaître de l’intérieur.
M. Philippe Richert, rapporteur. Moi aussi, et peut-être aussi bien que vous !
M. Alain Gournac. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. En deuxième lieu, vous avez ajouté que « le service d’accueil ne peut être bien organisé qu’à l’échelle locale » ; tout dépend, bien sûr, de ce que l’on met derrière les mots « échelle locale ». Pour bien connaître les petites communes ne disposant d’aucun moyen humain ni de structures adaptées, je sais les difficultés, voire les impossibilités, auxquelles celles-ci se heurtent pour mettre en place une telle organisation. À ce sujet, monsieur le rapporteur, vous avez reconnu vous-même que « l’organisation du service d’accueil est une lourde charge pour les communes, et notamment pour les plus petites d’entre elles », avant de vous étendre longuement sur le cas « des communes ayant essayé de bonne foi d’appliquer le texte sans y parvenir [et dont les maires] ont assez mal vécu, et cela se comprend, d’être assignés devant les tribunaux administratifs, l’État semblant ainsi les stigmatiser au lieu de les aider à surmonter leurs difficultés ».
N’est-ce pas, en substance, dire : « Je suis tout à fait d’accord avec la proposition de loi du RDSE, mais je ne puis le dire » ?
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier. En troisième lieu, le ministère de l'éducation nationale, à la suite d’une prétendue concertation avec les maires, a apporté une première série de réponses aux petites communes. Or celles-ci relèvent davantage, selon moi, du catalogue de bonnes intentions que de la réalité des faits.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
Mme Anne-Marie Escoffier. À la suite de quoi, monsieur le rapporteur, vous avez déclaré, toujours au cours de cette réunion de commission, que le « service d’accueil n’a donc rien d’impossible par principe ». N’est-ce pas juste le contraire de ce que vous aviez dit auparavant ?
Je voudrais ajouter, en quatrième lieu, mais vous vous en souvenez sûrement, monsieur le ministre, que je m’étais rebellée…
M. Philippe Richert, rapporteur. Le grand mot !
Mme Anne-Marie Escoffier. … contre l’affirmation, exprimée ici même, selon laquelle les préfets et les inspecteurs d’académie auraient mal relayé l’information sur ce nouveau système d’accueil : c’est une affirmation insupportable pour moi et pour bien des collègues qui savent la confiance dont jouissent, légitimement, ces hauts fonctionnaires.
Nous ne saurions accepter des réponses trop simples, ou trop vagues, à la très sérieuse interrogation que nous nous posons et que se posent, avec nous, l’immensité des petites communes de France, confrontées à la quasi-impossibilité d’organiser, les jours de grève, un service d’accueil dans les écoles maternelles et élémentaires.
Monsieur le ministre, j’ai lu avec attention, comme tous les maires, les circulaires que vous avez adressées à ces derniers aux mois de janvier et février derniers, pour leur suggérer quelques « bonnes recettes » afin que soit adopté le nouveau système. Vous soulignez notamment l’absolue nécessité de procéder, au plus tôt, au paiement des communes ayant organisé le droit d’accueil. L’argument n’est pas négligeable.
Plus contestable est l’argument relatif à l’énumération des personnels susceptibles d’être mobilisés pour assurer l’accueil des enfants, parmi lesquels figurent, au premier chef, les jeunes retraités de l’éducation nationale.
Monsieur le ministre, pouvez-vous, en conscience, imaginer que de jeunes retraités, qui, quelques mois plus tôt, auraient été au nombre des grévistes, se feraient aujourd’hui personnels de substitution de leurs anciens collègues ? Trahison, cela s’appellerait trahison à un code d’honneur ! (Marques d’approbation sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, je veux délibérément me placer sur un plan concret, pragmatique : c’est à ce niveau que j’ai eu à gérer de telles situations, ce qui donne, me semble-t-il, quelque crédibilité à mes propos. Vous le comprenez aussi, nous sommes tous, ou presque tous, ici, à être concernés par cette question, qui dépasse largement les clivages traditionnels, d’autant que le Chef de l’État, lui-même, s’est exprimé dans le même sens que les signataires du présent texte.
M. Philippe Richert, rapporteur. Mais non !
Mme Anne-Marie Escoffier. Cette proposition de loi nous donne à tous aussi l’occasion de redire la vigilance extrême avec laquelle la Haute Assemblée doit légiférer, en évitant l’écueil gravissime de la précipitation et de la stricte opportunité ponctuelle. En l’espèce, n’avons-nous pas oublié de mesurer les conséquences qu’il y a, pour l’État, à exiger tout et n’importe quoi des collectivités locales et de se défausser plus ou moins systématiquement sur elles sans se demander comment elles pourront appliquer des mesures qu’elles n’ont, le plus souvent, pas réclamées ? À mieux prévoir, chacun y gagnerait, à commencer par cette démocratie apaisée que nous souhaitons, qui serait aux antipodes de cette culture du conflit que certains préconisent et que nous estimons, pour notre part, néfaste à la nation, dans ce domaine comme dans d’autres.
Je veux être persuadée, monsieur le ministre, que vous saurez être sensible à ces arguments, différents certes de ceux de notre excellent rapporteur, mais qui n’ont pour objet, comme les siens – quoique, me semble-t-il, mieux que les siens –, que d’apporter une réponse équitable aux parents de nos jeunes élèves, à la famille « éducation nationale », en un mot, à notre société tout entière. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a huit mois, nous avons consacré un nouveau droit pour tous les élèves des écoles primaires, celui d’être accueillis en cas de grève. Mais à vrai dire – et j’ai bien compris, madame Escoffier, que vous n’étiez pas tout à fait d’accord avec ce principe –, si les élèves sont bien les titulaires de ce droit, les bénéficiaires directs n’en sont pas moins les familles. C’est à elles, en effet, que s’adresse le service d’accueil que nous avons créé, car c’est elles qui, lorsqu’elles ne pouvaient s’appuyer sur la solidarité familiale ou utiliser un mode de garde payant, subissaient les conséquences des grèves dans l’éducation nationale.
À l’époque, certains d’entre nous, moi y compris, s’interrogeaient sur la compatibilité d’un tel service avec l’exercice effectif du droit de grève. Huit mois après, le constat s’impose, me semble-t-il, à tous : la création du service d’accueil n’a en rien limité ou bridé le droit de grève dans l’éducation nationale et les mouvements sociaux qui s’y déroulent sont loin d’avoir perdu tout écho.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On peut tout de même s’interroger sur les conditions d’accueil des élèves !
M. Philippe Richert, rapporteur. Depuis la promulgation de la loi, en août dernier, quatre grèves d’importance ont eu lieu, soit autant d’occasions d’évaluer l’application de la loi. Chacun le reconnaît, les communes ont parfois connu des difficultés lorsqu’il leur a fallu proposer le service d’accueil, et j’y reviendrai. Mais il faut également le préciser d’emblée, chacune de ces journées de grève a été l’occasion de constater que les familles utilisaient bel et bien ce service.
Bien sûr, madame Escoffier, toutes les familles, loin de là, n’ont pas eu besoin d’y recourir. Mais, le 29 janvier dernier, ce sont tout de même près de 450 000 enfants qui ont été accueillis dans 18 000 communes et, le 19 mars, ce sont 80 % des grandes villes qui ont mis ce service en place. Il devient donc difficile de le nier, le service d’accueil répond bien à un besoin social et offre, en cas de grève dans l’éducation nationale, une sécurité aux familles : elles savent qu’elles pourront alors toujours compter sur ce service sans avoir à se « débrouiller » tant bien que mal et dans l’urgence.
Il reste, je viens de le souligner, que l’organisation du service n’est pas une tâche aisée et que, dans certaines communes, elle a pu sembler une gageure. C’est ce constat qui conduit aujourd’hui la majorité de nos collègues du groupe RDSE, par la voix de son président, Yvon Collin, à nous inviter à réexaminer son fonctionnement à la lumière des premiers tests « grandeur nature » du service d’accueil qui se sont déroulés depuis l’adoption de la loi.
Nos collègues nous proposent en particulier de remettre sur le métier une question délicate, qui était déjà au cœur de nos réflexions au cours de l’examen du projet de loi, celle de la répartition des compétences entre l’État et les communes.
Cette question mérite d’être examinée avec soin. En effet, si nous avons choisi de créer un dispositif unique en son genre, en partageant la compétence d’accueil entre les communes et l’État, c’est que nous étions convaincus que ce dernier n’était pas capable, lorsque la grève était massive, d’organiser le service lui-même. Dans l’intérêt des familles, qui s’avère particulièrement aigu dans cette hypothèse, il revenait aux communes de prendre en charge son organisation.
Cela étant, si les communes ne parviennent pas à organiser le service elles-mêmes, alors la logique du dispositif prévu par la loi ne tient plus : il faudrait donc prendre acte de l’impossibilité d’offrir le service dans une partie des communes, voire dans toutes. De fait, le service d’accueil disparaîtrait, car les raisons qui nous ont conduits à estimer l’État incapable d’organiser le service d’accueil en cas de grève massive sont toujours valables.
Ainsi, le fait de consacrer, comme le souhaitent les auteurs de la proposition de loi, la compétence de l’État pour l’organisation du service d’accueil dans les communes de moins de 2 000 habitants, c'est-à-dire dans 75 % des communes françaises, reviendrait donc, en réalité, à ne plus proposer le service dans ces communes.
De plus, chacun le sait, cela fragiliserait définitivement le service d’accueil, en ouvrant la voie à sa suppression pour toutes les catégories de communes, qui, à des degrés divers, ont toutes dû surmonter des obstacles pour le mettre en œuvre.
Oui, madame Escoffier, c’est indiscutable, l’organisation du service est une lourde charge pour les communes, notamment pour les plus petites d’entre elles. Nous en avons eu conscience dès l’examen du projet de loi, et c’est pourquoi le Sénat l’a largement amendé, bien souvent, d’ailleurs, sur l’initiative de la commission des affaires culturelles, afin de donner aux communes les moyens d’exercer cette compétence dans les meilleures conditions. Je n’y reviendrai pas, car la question qui nous est désormais posée est de savoir si, malgré ces améliorations, le texte s’est révélé impossible à appliquer dans les plus petites communes.
Vous venez de nous affirmer voilà quelques instants, en reprenant un extrait de son discours, que le Président de la République avait lui-même clairement donné sens et poids à la proposition de loi que vous nous présentez. Permettez-moi d’élargir cet extrait, afin de retranscrire plus fidèlement la réalité des propos présidentiels. Certes, le Président de la République a commencé par déclarer : « C’est vrai qu’on ne peut pas demander la même obligation de service à un maire d’une commune rurale qui n’a même pas dans ses collaborateurs un employé ayant le BAFA et [à un maire] d’une grande ville d’un ou deux millions d’habitants. Je le comprends parfaitement et l’on doit pouvoir trouver un accord ». Mais il a aussitôt poursuivi en estimant qu’un tel accord était susceptible d’être trouvé « y compris sur […] les référés qui ont été faits pour sanctionner tel ou tel maire ».
Aux yeux du Président de la République, il n’est pas normal que les maires des petites communes n’ayant pas réussi à mettre en place le service d’accueil aient été traduits en justice. Tel était donc principalement l’objet de son intervention.
Monsieur le ministre, nous le savons, vous avez engagé une concertation approfondie avec l'ensemble des représentants des maires. Celle-ci a permis d’identifier les principales difficultés des communes, notamment des plus petites d’entre elles, et doit permettre d’y apporter, cette fois-ci, une première série de réponses.
Ce sont ces mêmes difficultés que visent nos collègues du groupe RDSE ; elles méritent donc que l’on s’y arrête.
Le premier de ces obstacles tient au délai-limite fixé par la loi pour la transmission des déclarations de grève : en effet, ce n’est qu’à quarante-huit heures du conflit que le maire sait s’il doit mettre en œuvre le service et dans quelles proportions.
À ce sujet, il faut tout d’abord rappeler, mes chers collègues, que les grèves sont rarement inopinées : la date de la mobilisation est souvent connue longtemps à l’avance et nous avons eu quelques exemples récents de mouvements annoncés plus d’un mois à l’avance. Autrement dit, rares sont les cas où les maires ne savent pas, plusieurs semaines en amont, qu’une grève d’importance aura lieu dans l’éducation nationale.
Il n’en reste pas moins, il est vrai, que savoir par avance qu’il y aura un conflit ne permet pas de connaître son ampleur exacte et donc d’évaluer en amont le nombre d’enfants concernés.
C’est la raison pour laquelle le ministère de l’éducation nationale s’est désormais engagé auprès des associations de maires à demander aux inspecteurs d’académie de transmettre en temps réel l’évolution du nombre de grévistes déclarés. Ainsi, avant le délai fatidique des quarante-huit heures, les maires pourront commencer à mesurer l’ampleur de la mobilisation. Il s’est également engagé à demander aux directeurs d’école de questionner les familles, quelques jours avant le mouvement, afin de savoir si elles entendent ou non bénéficier du service. Ces mesures permettront donc aux maires de disposer en amont des premières informations nécessaires pour s’organiser : ils pourront dès lors surmonter plus aisément l’obstacle des délais.
Plus épineuse est la question des personnels nécessaires pour la mise en œuvre du service car, si les grandes villes disposent par la force des choses d’un bassin de population, et donc d’un vivier de compétences, il peut être plus difficile pour les communes rurales de trouver le personnel nécessaire.
Dès l’examen du projet de loi, ce sujet a été au centre de nos débats. Là encore, à l’initiative de votre commission, il a été prévu que chaque commune devrait recenser ceux qui, parmi ses habitants ou parmi ceux des communes voisines, pourraient assurer le service. En effet, à nos yeux, la difficulté principale n’était pas de trouver les personnes compétentes, mais de s’y prendre suffisamment en amont pour avoir le temps de les trouver.
Le principe de la constitution d’un « vivier » a été inscrit dans la loi et l’expérience montre que partout où il a pu être constitué, le service fonctionne bien. Il reste, et ce point ne fait pas débat, qu’il est plus ou moins facile, selon le contexte local, de constituer ce « vivier ».
C’est pourquoi le ministère de l’éducation nationale s’est récemment engagé à aider les communes à trouver ces personnels.
Cela devrait permettre de lever l’essentiel des difficultés. Un point doit néanmoins encore être souligné : la loi ne fixe aucune norme de qualification pour les personnels et ne détermine aucun taux d’encadrement minimal. Il ne s’agit pas là d’un oubli ou d’une malfaçon, mais d’un choix volontaire, qui recevait au moment de l’examen du texte l’assentiment de la plupart des associations de maires.
Celles-ci craignaient en effet – à raison, me semble-t-il ! – que la fixation de normes contraignantes ne soit un obstacle pour les communes, et notamment pour les plus petites d’entre elles. Or de telles contraintes ne se justifient pas lorsqu’il s’agit d’un service mis en œuvre trois à quatre fois par an, et qui propose un accueil et non des enseignements.
Au demeurant, la pratique ne nous a pas démentis : à ma connaissance, il est arrivé qu’il y ait trop d’adultes, mais il me semble que très rares ont été les cas, si jamais il y en eut, où les adultes ont été trop peu nombreux pour accueillir dans de bonnes conditions les enfants.
Là encore, les difficultés me paraissent donc en voie d’atténuation, sinon de résolution. Mais elles disparaîtront d’autant plus vite que les services de l’État joueront totalement le jeu et se mobiliseront pour accompagner les communes dans la préparation du service.
Bien souvent, les maires ont ainsi manqué d’interlocuteurs capables de répondre à leurs questions, que ce soit sur le statut ou le nombre des personnels mobilisés, sur leur paiement ou sur les éventuelles conditions de qualification qu’il leur faudrait respecter. Je ne fais là que relayer ce que des maires bien informés m’ont rapporté.
Des mesures ont donc été prises ; deux instructions successives ont été envoyées aux inspecteurs d’académie, et les préfets et sous-préfets ont été également été alertés par les ministères de l’éducation nationale et de l’intérieur. Il est désormais clair pour tous que les services déconcentrés de l’État doivent prendre les devants et accompagner les maires.
Les résultats s’en font sentir : jour de grève après jour de grève, la bonne application de la loi progresse. Nous en sommes désormais arrivés à plus de 80 % de communes proposant le service. Dans l’académie de Strasbourg, le taux d’application de la loi lors de la grève de jeudi dernier était même de 95 %.
Au-delà des apparences qu’ont entretenues, parfois sciemment, quelques communes particulièrement visibles, la mise en œuvre du service d’accueil semble donc bien s’être améliorée depuis les premières grèves de l’automne dernier. Certes, des difficultés demeurent. Nous ne le nions pas, mais elles sont désormais bien repérées, et la réunion à votre invitation, monsieur le ministre, du comité de suivi de l’application de la loi a permis d’y apporter une première série de réponses.
De fait, le nombre de communes n’organisant pas le service d’accueil ne cesse de diminuer : le 29 janvier, elles étaient près de 1 900 à ne pas proposer le service ; le 19 mars, elles n’étaient plus que 1 400.
Plutôt que d’abroger partiellement une loi qui s’applique de mieux en mieux et d’ouvrir ainsi la voie à la suppression progressive du service, mieux vaut donc, me semble-t-il, continuer à faire preuve de pragmatisme, en aidant les communes à la mettre en œuvre et en répondant point par point à chacune des difficultés qu’elles rencontrent.
Il ne s’agit pas, mes chers collègues, de faire état, les uns et les autres, de notre connaissance du milieu enseignant. J’ai moi-même été enseignant pendant de très longues années et j’ai exercé des responsabilités dans des établissements scolaires. Cela ne m’a pas empêché de rester pragmatique et d’apporter des solutions pouvant trouver, sur le terrain, l’écho le plus favorable possible.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, la commission des affaires culturelles souhaite que vous poursuiviez la concertation qui est désormais bien engagée, afin de permettre aux communes de mettre en œuvre dans de bonnes conditions ce service tant apprécié par les familles.
C’est également pourquoi, mes chers collègues, la commission ne peut pas être favorable à l’adoption de cette proposition, bien qu’elle soit sensible à la voix que ce texte fait entendre, celle des maires des petites communes qui ont besoin d’être accompagnés par l’État pour exercer cette nouvelle compétence. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a quelques mois, j’ai eu l’honneur de présenter à votre assemblée le projet de loi instituant un droit à l’accueil pour les élèves scolarisés dans les écoles primaires, qui permet aux enfants d’être reçus y compris les jours de grève. Ce texte avait fait, à l’époque, l’objet de nombreux amendements pour tenir compte des demandes exprimées par les collectivités locales.
Je me suis attaché, depuis lors, à mettre en œuvre tous les moyens pour venir en aide aux communes qui éprouvaient des difficultés à répondre à l’obligation créée par la loi. Ces efforts ont permis à 90 % des communes de s’acquitter de cette mission nouvelle à l’occasion de la dernière grève. C’est une avancée majeure pour le droit des familles. C’est aussi un progrès incontestable et un signe de maturité de notre dialogue social, qui peut à présent se dérouler dans des conditions plus sereines.
C’est dans ce contexte, et alors qu’une très large majorité de Français plébiscite le nouveau droit qui leur est reconnu, que le groupe RDSE souhaite réviser les modalités d’application de la loi pour les communes de moins de 2 000 habitants, en confiant à l’État la charge d’accueillir les enfants les jours de grève.
Je ne suis pas favorable à cette proposition, non seulement parce que je la crois davantage dictée par des considérations politiques que par le souci de venir en aide aux familles (protestations sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste), ....
Mme Jacqueline Gourault. Ce n’est pas gentil pour le RDSE !
M. Xavier Darcos, ministre. ... mais aussi parce que j’estime qu’elle remettrait en cause l’équilibre juridique, politique et tout simplement pratique auquel nous sommes parvenus en dialoguant avec les représentants des différentes collectivités locales.
Je sais parfaitement que l’organisation du service ne saurait être définie de façon trop stricte, ce qui est tout à fait normal, compte tenu de l’ampleur du réseau des écoles primaires : il y en a près de 55 000 réparties dans 22 000 communes. Mais c’est précisément la raison pour laquelle j’ai voulu que ce soit chaque commune qui définisse les modalités selon lesquelles elle souhaitait mettre en place ce dispositif, et non l’État, qui ne saurait avoir la même connaissance que le maire des besoins des familles et de la qualité des personnes susceptibles d’assurer l’accueil sur le territoire de sa commune !
L’État et les communes doivent s’entendre dans l’intérêt des familles, et c’est bien ce que nous avons cherché à faire au cours des derniers mois en menant un dialogue approfondi avec tous les acteurs concernés. Ces derniers mois, en effet, j’ai rencontré les principales associations des maires, à plusieurs reprises, ainsi que le président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, pour voir avec eux les points à améliorer.
J’ai apporté un certain nombre de réponses à leurs demandes, que Philippe Richert détaille précisément dans son rapport. Je vais les reprendre rapidement.
J’ai d’abord envoyé, le 22 décembre, une instruction aux préfets – qui ont l’habitude d’obéir, madame Escoffier, à ce que leur demande le Gouvernement ! – et aux recteurs, instruction rédigée en commun avec Mme la ministre de l’intérieur, qui précisait la façon dont les recours devaient être engagés contre les communes n’ayant pas appliqué le SMA. Il s’agissait de distinguer les communes de bonne foi, qui n’avaient pas pu mettre ce service en place, de celles qui avaient délibérément refusé de mettre en œuvre ce service pour des raisons politiques ou idéologiques, bafouant ainsi la volonté du législateur. Peu nombreuses sont aujourd’hui les villes, grandes ou petites, qui s’y risquent. Même Paris ne s’y risque pas !
J’ai envoyé aux inspecteurs d’académie, le 14 janvier, une instruction portant sur un ensemble de points listés avec le président de l’Association des maires de France : liste vivier, prévision du nombre d’enseignants grévistes, évaluation du nombre d’enfants à accueillir, collaboration plus étroite entre l’État et les communes.
J’ai rappelé ces dispositions dans une autre instruction aux inspecteurs d’académie, le 25 février.
Enfin, j’ai souhaité que les inspecteurs d’académie soient aux côtés des maires pour les aider et leur donner toutes les informations nécessaires à la mise en œuvre du droit d’accueil. Les petites communes avaient besoin de ce soutien ; nous le leur avons apporté et je continuerai à demander à mes services de le faire.
Ces efforts se sont traduits concrètement dans les chiffres lors des grèves du 29 janvier et du 19 mars dernier puisque 90 % des communes ont mis en place le SMA, et cela, je tiens à le préciser, sans distinction entre les grandes et les petites communes.
Comme l’a dit votre rapporteur, on constate une montée en puissance de ce service d’accueil, puisque l’on est passé de plus de 50 000 enfants accueillis en octobre 2008 à près de 450 000 enfants le 29 janvier dernier. Qui peut penser sérieusement que l’on puisse aujourd’hui priver les familles de ces avancées ? Qui osera dire à 450 000 enfants : « Non, nous ne vous accueillerons plus » ?
Enfin, c’est pour rester à l’écoute des maires, de tous les maires, que j’ai mis en place, avec les principales associations des maires, un comité de suivi de l’application de la loi, le 3 mars dernier, en présence de Philippe Richert. Cette réunion anticipait la remise du rapport d’évaluation prévue pour le mois de septembre et nous a permis de faire de nouveau un point sur la mise en œuvre de la loi. J’ai pu constater avec satisfaction qu’aucune association de maires ne conteste plus le bien-fondé de la loi. Les maires souhaitent au contraire la mettre en œuvre dans les meilleures conditions possibles.
En vérité, tout montre que le droit d’accueil a désormais trouvé sa place dans la vie quotidienne et dans le patrimoine de nos compatriotes. (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Maintenant, la question que soulève la proposition du groupe RDSE est la suivante : y a-t-il plus d’obstacles pour les maires ruraux, ou pour les maires des petites communes, pour appliquer la loi ? Je ne le crois pas ! Faut-il croire en effet qu’il est plus dur d’appliquer cette loi dans une commune de moins de 2 000 habitants que dans une ville de plus de 100 000 habitants ?
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant vous le 20 janvier dernier, je ne conteste pas que la mise en œuvre du droit à l’accueil les jours de grève constitue, pour les communes qui en sont chargées, un défi nouveau, avec son lot de contraintes plus ou moins faciles à surmonter. Cependant, mes rencontres avec l’association des maires ruraux ainsi que les remontées du terrain à la suite des dernières grèves qu’a pu connaître l’éducation nationale m’ont permis de faire le constat suivant : même si les difficultés qui peuvent exister dans la mise en œuvre ne sont pas les mêmes partout, il n’y en a pas plus dans les petites communes rurales qu’ailleurs. Est-il nécessaire de vous citer le nom de milliers de communes de moins de 2 000 habitants, voire de moins de 500 habitants, qui ont réussi à mettre en place sans difficulté un service d’accueil pour les élèves scolarisés sur leur territoire ?
Comme Philippe Richert, je considère par ailleurs, et je le dis solennellement devant la Haute Assemblée, qu’il ne serait pas justifié de différencier l’application de la loi selon la taille de la commune : comment expliquer que 75 % des maires seraient dispensés de mettre en œuvre la loi ?
De plus, introduire une distinction entre les familles des petites communes et celles des grandes communes, c’est se heurter au principe constitutionnel d’égalité.
Comment prétendre qu’une famille qui habite une petite ville a moins besoin de ce service qu’une famille d’une grande ville ? Faudra-t-il distinguer demain les enfants des villes des enfants des champs ?
Le droit d’accueil ne peut pas être à géométrie variable ! Introduire des différences entre les communes, au prétexte que certaines communes ont des difficultés particulières dues soit à leur nombre d’habitants, soit à leur situation géographique, ce serait risquer de stigmatiser celles qui n’arriveraient pas à mettre en œuvre le droit d’accueil.
Pour autant, je suis bien conscient que les petites communes ont évidemment des contraintes différentes de celles des grandes villes. C’est pourquoi je suis résolument décidé à poursuivre le dialogue avec elles et prêt à donner à mon administration les instructions qui apparaîtraient nécessaires pour les accompagner encore davantage dans la mise en œuvre du droit d’accueil. Le rapport remis au mois de septembre nous y aidera.
C’est pourquoi je vous demande aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de ne pas voter la proposition de loi présentée par vos collègues du groupe RDSE, dont je constate d’ailleurs qu’elle pourrait se heurter à l’article 40 puisqu’elle crée une nouvelle dépense pour l’État.
Ce droit d’accueil, c’est un progrès social et c’est un service sur lequel toutes les familles peuvent désormais compter. Les en priver sous tel ou tel prétexte, comme l’avance la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, ce ne serait pas seulement un retour en arrière, ce serait tout simplement incompréhensible ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et primaires, votée l’été dernier, non sans une certaine précipitation, a, depuis, et très rapidement, révélé ses faiblesses et ses lacunes.
Ce service minimum d’accueil consiste avant tout pour l’État à faire porter, une nouvelle fois, suis-je tenté de dire, sur les collectivités locales l’organisation et le coût de l’encadrement des enfants les jours de grève des enseignants. II s’agit donc manifestement d’un nouveau désengagement de l’État et d’un nouveau transfert de charges vers les collectivités locales, lesquelles n’ont bien évidemment en l’occurrence rien demandé.
On peut se poser la question : pourquoi ce service d’accueil doit-il être à la charge des communes, alors que le conflit conduisant à la grève oppose un employeur, en l’occurrence l’État, à ses propres agents, les enseignants ?
Ainsi, il nous paraît inacceptable de renvoyer aux élus locaux la responsabilité de l’État sur des acteurs étrangers au conflit ayant conduit à la grève.
Mais, au-delà même du principe, l’expérience et la pratique de cette loi ont mis en évidence une réalité : le service minimum d’accueil dans les écoles soulève indéniablement de nombreuses difficultés d’application et, avant tout, dans les toutes petites communes.
II est impossible pour un maire, et à plus forte raison en milieu rural, d’organiser l’accueil des élèves en moins de 48 heures. La tâche est d’autant moins aisée que le seuil de 25 % à partir duquel le service minimum d’accueil devient obligatoire est très vite atteint dans de nombreuses communes. C’est d’ailleurs souvent le cas dans les écoles situées en milieu rural.
Par ailleurs, la question du recrutement des personnes chargées d’encadrer les élèves demeure problématique, monsieur le ministre. Selon la circulaire du 26 août 2008, aucune qualification minimale n’est exigée alors qu’il s’agit de l’encadrement d’enfants de deux à dix ans. Cette carence de la loi est d’autant plus surprenante qu’habituellement les conditions d’accès aux professions portant sur l’accueil d’enfants sont strictement encadrées et qu’est exigée au minimum la possession du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, BAFA.
Cette méthode de recrutement nous semble, en conséquence, bien hasardeuse. Elle confirme que cette loi est inapplicable et fait courir des risques aux élèves.
De plus, la loi a eu pour conséquence de placer dans l’illégalité les élus qui ne pouvaient pas l’appliquer ou qui ont refusé de le faire par respect des règles de sécurité, ce qui a donné lieu à de nombreuses condamnations, très disparates selon les juridictions. La décision d’arrêter les recours devant les tribunaux administratifs contre certains maires traduit d’ailleurs une prise de conscience des aberrations de ce texte particulièrement inadapté aux petites communes.
Il n’est donc pas honnête d’incriminer systématiquement la mauvaise volonté des maires, voire d’invoquer un positionnement politique, monsieur le ministre. Chacun est en effet conscient de la difficulté que vivent les familles en cas de grève. Mais force est de reconnaître que des communes, particulièrement les plus petites, qui sont aussi les plus nombreuses, ne sont pas en mesure de fournir ce service minimum. Nous le savons tous ici.
Chacun d’entre nous mesure combien les petites communes rencontrent des difficultés pratiques pour organiser ce service minimum qui devient, à chaque annonce de grève dans le monde enseignant, un véritable casse-tête pour les maires ruraux.
La situation est d’autant plus délicate que s’est désormais diffusée dans l’opinion et, donc, chez les parents d’élèves, l’idée selon laquelle le service minimum d’accueil fonctionne, qu’il est un droit, pour ne pas dire un dû ! Et dans les communes rurales où les parents d’élèves s’organisaient habituellement avec les grands-parents, la famille ou les voisins, en un mot, avec les moyens du bord, eh bien, désormais, ils s’en remettent au service minimum d’accueil, ce qui ne fait que compliquer sa mise en œuvre par le maire.
Le président de l’Association des maires ruraux ne rappelait-il pas, à propos du service minimum d’accueil, que « rendre obligatoire ne permet pas de rendre possible ce qui ne l’est pas » ?
C’est pourquoi, mes chers collègues, faute d’abroger le service minimum d’accueil, il apparaît du moins indispensable de prendre en considération la taille des communes. Et, sur ce point, mes collègues du RDSE et moi sommes disposés à faire évoluer le seuil proposé de 2 000 habitants, à la hausse comme à la baisse.
C’est donc dans cet esprit constructif et uniquement guidé par un souci pratique, sans tenir compte d’une posture a priori, que mon groupe, le RDSE, a déposé cette proposition de loi et en souhaite l’adoption.
Je remercie mes collègues Anne-Marie Escoffier et Michel Charasse, parmi les meilleurs spécialistes des collectivités que compte notre Haute Assemblée, d’être à l’origine de ce texte aussi simple qu’attendu par les maires ruraux.
Nous ne doutons pas que cette proposition de loi, qui a reçu l’approbation de plusieurs associations d’élus locaux, connaîtra ici le seul prolongement qui s’impose, son adoption.
Mes chers collègues, parce que je sais notre Haute Assemblée à l’abri des positionnements idéologiques et parce que, dans sa grande sagesse, elle est toujours soucieuse d’améliorer les conditions pratiques d’exercice des mandats des élus locaux et des maires en particulier, toute autre issue que l’adoption de ce texte par le Sénat apparaîtrait comme incompréhensible.
Enfin, et pour conclure, je m’adresserai à mes collègues de la majorité pour leur rappeler, si cela leur avait échappé, que cette proposition de loi bénéficie du soutien du Président de la République lui-même. (M. le ministre fait un signe de protestation.)
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. C’est de la désinformation !
M. Yvon Collin. En effet, à l’occasion de son discours de clôture du dernier congrès des maires, il a prononcé ces mots pleins de bon sens, ces mots qui ont inspiré notre proposition de loi, ces mots que je cite dans leur intégralité et sans déformation : « On ne peut pas demander la même obligation de service à un maire d’une commune rurale qui n’a même pas dans ses collaborateurs un employé ayant le BAFA et au maire d’une grande ville. »
C’est donc un texte de bon sens que nous vous proposons, mes chers collègues. Il n’est absolument pas motivé par des considérations d’ordre politique ; vous le savez, le groupe du RDSE est un groupe d’ouverture. Je vous invite donc à y apporter votre soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, vous avez dit n’avoir entendu aucune protestation de la part de maires ou d’associations de maires. C’est à croire que nous ne rencontrons pas les mêmes personnes !
Comme l’affaire du lundi de Pentecôte, cette loi sur le service minimum d’accueil vous poursuit et va vous poursuivre encore longtemps, tel un chewing-gum collé sous la chaussure ! (Sourires.)
M. Claude Domeizel. Jamais une loi n’avait fait l’objet, dans les six premiers mois de son application, autant de contestations, et de tous bords ! Le chahut et les sifflets qu’elle a provoqués au congrès des maires de novembre dernier en sont la manifestation publique la plus significative. Sans parler de l’émoi qu’elle a suscité localement chez les maires, toutes tendances confondues, émoi exacerbé par les recours introduits par des préfets, qui ont assigné des maires pour les punir de n’avoir pas appliqué ce service minimum !
Nous sommes donc dans une situation de véritable cacophonie juridique.
Dans ce contexte, votre note du 22 décembre 2008 tend à laisser croire que Mme la ministre de l’intérieur et vous-même découvrez une rafale de mises en cause de maires indisciplinés. Nous ne sommes pas dupes : tout cela a dû être bien orchestré !
Dans cette note, vous avez demandé aux préfets de maintenir les recours contre les communes et surtout les maires qui avaient refusé d’appliquer la loi, c’est-à-dire ceux qui, en quelque sorte, se comportaient en grévistes du SMA.
Comme vous, je considère que la loi doit être respectée. Cependant, lorsqu’un dispositif se heurte à une opposition de cette ampleur, venant de représentants du peuple, il faut se remettre en cause !
Voilà une loi irréaliste, car difficile à mettre en œuvre.
Le problème est bien là : il s’agit, en effet, pour les maires, d’organiser, dans un délai relativement court – 48 heures – un accueil, pour des enfants de deux à dix ans dans les meilleures conditions de sécurité.
Par-delà le malaise qu’elle peut créer chez ceux qui se considèrent comme des briseurs de grève, les maires sont désormais chargés d’une nouvelle obligation. Comme s’ils n’en avaient pas assez ! Le maire peut, bien sûr, faire appel à son personnel communal. Encore faut-il que le personnel non gréviste soit en nombre suffisant… Au demeurant, le maire peut également se trouver confronté à des agents qui refusent d’effectuer un travail soit parce qu’il doit être accompli dans des plages horaires où ils ne peuvent se rendre disponibles, soit parce qu’il ne correspond pas à leur cadre habituel d’intervention.
M. le secrétaire d’État chargé de la fonction publique, que j’ai questionné oralement le 18 mars dernier sur un autre sujet, m’a lui-même confirmé qu’un fonctionnaire territorial ne pouvait se voir imposer une tâche pour laquelle il n’avait pas été recruté.
Par ailleurs, cette astreinte, venant s’ajouter à un travail habituel, avant et après le service d’accueil, peut entraîner une trop grande amplitude d’horaire de travail, qui placerait le maire dans l’illégalité au regard du code du travail.
Le maire est donc autorisé à faire appel à des personnes n’appartenant pas à l’administration communale, retraités, membres d’associations, voire, plus absurde encore, des parents. Il est incité à constituer à l’avance un « vivier » de personnes susceptibles de présenter les « qualités nécessaires » à un encadrement sécurisé.
Ces listes doivent auparavant être transmises à l’inspection académique afin que celle-ci puisse notamment vérifier que les personnes en question ne figurent pas dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles, le FIJAIS.
Premièrement, comment garantir que ces personnes listées seront disponibles le jour dit, c’est-à-dire plusieurs semaines, voire plusieurs mois après l’établissement de la liste ? Quelle sera la durée de validité de ce fichier, qui nécessitera forcément des mises à jour fréquentes ?
Deuxièmement, ces fichiers devront-ils être soumis à déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL ?
S’agissant des « qualités nécessaires » exigées, je vais vous rapporter le point de vue du maire d’une commune rurale de mon département, qui me paraît bien résumer la situation. Il ne comprend pas que, pour conduire un tractopelle ou un engin de déneigement, ou accomplir la moindre intervention sur une installation électrique, une habilitation soit indispensable, alors que rien de tel n’est exigé pour encadrer des enfants !
Dans une même école, les enseignants non grévistes et leurs élèves travailleront-ils normalement, en présence ou à proximité du service d’accueil minimum dont l’unique activité, inévitablement bruyante, est axée sur les loisirs ?
Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui, monsieur le ministre, pour obtenir des réponses à des questions qui m’ont été souvent posées.
Concernant les locaux, les enseignants grévistes pourront-ils refuser l’accès à leur classe ? Le personnel assurant le service minimum d’accueil devra-t-il tenir le registre des présences ? Disposera-t-il des renseignements personnels concernant, notamment, la santé des enfants et les personnes habilitées à les prendre en charge à la sortie de l’école maternelle ?
Certes, la loi a prévu de transférer la responsabilité administrative de la commune à l’État. Mais, pour se prémunir en cas de faute, les intervenants occasionnels doivent-ils souscrire une assurance en responsabilité civile personnelle, à l’instar des enseignants ?
Voilà une loi dont l’application future comporte bien des incertitudes.
Monsieur le rapporteur, vous indiquez que le SMA a été mis en place dans près de 80 % des communes, alors que M. le ministre avance le pourcentage de 90 %.
M. Claude Domeizel. Or, souvent, il n’a été mis en place que partiellement et, joli paradoxe, pour un petit nombre d’élèves accueillis. L’encadrement est donc souvent surévalué, ce qui peut se révéler à la fois rassurant, car les enfants ont été bien gardés, et inquiétant, car on est en droit de se demander à quoi sert la loi.
Cette loi instaure finalement un nouveau service public. Si l’on se réfère aux effectifs recensés, il est aujourd’hui peu utilisé. Mais qu’en sera-t-il demain ?
Monsieur le ministre, vous avez été maire : vous devez donc savoir que l’on recourt toujours peu, au début, à un nouveau service public ; son utilisation se développe progressivement.
M. Xavier Darcos, ministre. J’espère bien que ce sera le cas, en l’occurrence ! Le dispositif est fait pour cela !
M. Claude Domeizel. Si le service minimum est de plus en plus utilisé – ce qui pourra, me direz-vous, signifier qu’il était nécessaire –, …
M. Claude Domeizel. … les communes seront-elles à même d’accueillir tous les élèves ? Avec un adulte pour quinze élèves, comme le prévoit la loi ? Je pense que cela va poser un problème.
Voilà une loi inutile.
Pourquoi se croire obligé de voter une loi au moindre événement ou au moindre caprice ?
Loin de moi l’idée que le Gouvernement aurait joué habilement en voulant casser ainsi les effets de la grève. Mais permettez-moi de rappeler le dispositif en vigueur avant le 20 août 2008, fondé sur des circulaires : le directeur d’école avait alors la charge d’organiser l’accueil, comme en attestent de nombreuses réponses ministérielles. En voici quelques-unes prises au hasard.
« L’article 2 du décret n°89-122 du 24 février 1989 modifié relatif aux directeurs d’école précise que le directeur d’école prend toute disposition utile pour que l’école assure sa fonction de service public. »
Ou encore : « En cas de grève du personnel enseignant, il appartient aux directeurs d’école, qui ont notamment pour mission d’organiser l’accueil et la surveillance des élèves, de rechercher des solutions pour les accueillir, que ce soit avec la participation d’enseignants volontaires, de services municipaux ou des associations de parents d’élèves. Dans l’hypothèse où aucune solution n’a pu être trouvée, les parents doivent être informés en temps utile que l’accueil ne pourra être assuré et que l’école sera fermée. »
Cela confirme bien que le directeur d’école ne doit pas être présent, contrairement à ce qui a pu être dit. En témoigne d’ailleurs une réponse explicite : « Le droit de grève est reconnu aux enseignants du premier degré, y compris aux directeurs d’école. »
Finalement, dans les faits, la nouveauté de la loi d’août 2008, c’est que le maire est désormais totalement responsable de l’accueil, en lieu et place de l’État.
Pour reprendre une expression un peu triviale, il semblerait que vous ayez pris un marteau-pilon pour écraser une mouche ! Comme pour le lundi de la Pentecôte, vous devrez revenir, un jour ou l’autre, sur cette loi inapplicable, tant sur le fond que sur la forme. Si vous ne le faites pas, croyez-moi, lorsque la majorité changera, nous le ferons !
J’en viens plus précisément à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et qui vise à exclure les communes de moins de 2 000 habitants du dispositif de service d’accueil des élèves d’écoles maternelles et élémentaires, soit une bonne partie des communes rurales.
Vous l’aurez compris, je vous confirme que le groupe socialiste est toujours opposé à la loi du 20 août 2008. D’ailleurs, nous avons déposé un amendement pour en demander l’abrogation ; j’y reviendrai donc au cours de la discussion des articles.
Il ne s’agit donc, dans l’article unique de ce texte, que d’exclure les communes de moins de 2 000 habitants. Mais pourquoi pas celles de 3 500, 5 000 ou 20 000 habitants ? Voire toutes les communes ? Car, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, les difficultés rencontrées et les risques concernent toutes les communes.
Enfin, sans m’attarder sur le sujet, car j’y reviendrai là encore lors de la discussion de l’article unique, je tiens à vous faire également faire part de nos réserves concernant le dernier alinéa de l’article unique, qui jette un trouble sur le rôle et la présence du directeur d’école en cas de grève.
Cette proposition de loi nous donne-t-elle pleinement satisfaction ? Non. Toutefois, comme l’indique M. Philippe Richert dans son rapport, « sur le fond, l’adoption de la présente proposition de loi ouvrirait alors la voie à la remise en cause de la compétence communale pour toutes les collectivités ». En l’espèce, je partage votre point de vue, monsieur le rapporteur.
Cette proposition de loi amorce en effet la démonstration de la fragilité du système et c’est pourquoi le groupe socialiste la soutient. Elle a le grand mérite d’enfoncer un premier coin pour faire éclater une loi populiste, irréaliste, inapplicable à terme et inutile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.- Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, vous le savez, je n’ai pas voté la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire ; je m’en étais alors expliquée.
Après avoir écouté vos propos, j’aimerais revenir sur quelques points.
Le fil rouge des réflexions en cours sur la réforme des collectivités territoriales, qu’il s’agisse de celles du comité Balladur ou de celles du groupe de travail sénatorial dont je fais moi-même partie, c’est la diversité des territoires. Il ressort du rapport du comité Balladur qu’il n’est pas possible d’appliquer les mêmes recettes partout sur le territoire, indistinctement à toutes les communes quelle que soit leur taille. Je m’étonne donc que l’on ne puisse reprendre ce principe lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre telle ou telle loi ou telle ou telle méthode d’organisation.
Tout à l'heure, vous avez dit qu’il ne saurait y avoir l’école de la ville et l’école de la campagne. Justement, je crois, pour ma part, qu’il faut s’appuyer sur cette diversité française pour répondre aux besoins des collectivités, car on ne peut apporter une réponse similaire dans les grandes métropoles et dans les très petites communes. Je souhaitais donc vous rendre attentif à cet élément du rapport Balladur.
Par ailleurs, selon vous, les associations d’élus auraient demandé ce service d’accueil en cas de grève. Je tiens à faire remarquer au passage qu’il n’existe d’ailleurs qu’une seule association réunissant tous les maires, même si elle comprend différentes branches. Quoi qu’il en soit, personne n’a jamais demandé un service minimum d’accueil. Vous l’avez institué dans les circonstances que vous connaissez encore mieux que moi !
Pour ma part, j’ai toujours proposé, en tant que maire, un service minimum d’accueil en cas de grève lorsque c’était nécessaire. Les élus savent se débrouiller et répondre aux besoins de leurs concitoyens.
Ainsi, lorsqu’un instituteur, sur les six ou sept instituteurs que comptait l’école, faisait en grève, on répartissait les enfants dans les autres classes. (M. Claude Domeizel approuve.) Quand il y avait davantage de grévistes, on mettait en place un service de garderie, avec des personnes compétentes, afin d’aider les parents. Maintenant, pour assurer le service d’accueil, on prend presque la première personne venue pour garder les enfants, alors que, dans d’autres circonstances, il faut prévoir pratiquement un accompagnateur pour cinq enfants lors d’une sortie en bus ! Franchement, il y a là quelque chose d’un peu choquant !
Personnellement, je ne suis pas contre l’aide aux parents, au contraire, puisque je l’ai toujours fait ! Mais je ne comprends pas les raisons pour lesquelles on veut légiférer pour tout organiser au niveau central plutôt que de laisser les élus, dans cette République décentralisée – une décentralisation d’ailleurs consacrée par la Constitution –, s’organiser sur le terrain. Pourquoi ne pas reconnaître le savoir-faire des élus ? Vous avez demandé aux inspecteurs d’académie d’aider les maires. Mais enfin, monsieur le ministre, nous sommes assez grands pour organiser un service de ce genre !
Je vous le dis franchement, j’ai mis en place le SMA dans ma commune, parce que je suis respectueuse de la loi, mais la procédure est bien compliquée. Alors que tout se faisait très simplement auparavant, je suis maintenant obligée d’envoyer des fax ici et là, de communiquer l’identité des personnes qui gardent les enfants, leur nom, leur numéro de téléphone. J’irai même jusqu’à dire que c’est presque une usine à gaz que vous avez montée !
M. Claude Domeizel. Absolument !
Mme Jacqueline Gourault. Enfin, vous avez invoqué l’article 40 de la Constitution. Mais comment pouvez-vous le faire ? C’est vous qui avez créé, par la loi, une dépense supplémentaire de l’État, …
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Claude Domeizel. Tout à fait !
Mme Jacqueline Gourault. … financée, à vous entendre, par les économies réalisées sur les salaires des personnels grévistes
Si l’on supprime aujourd'hui le SMA obligatoire dans les communes de moins de 2 000 habitants, quelle sera la dépense nouvelle pour l’État ? Ce sera au contraire une économie !
M. Claude Domeizel. Absolument !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Bien sûr !
Mme Jacqueline Gourault. Je suis donc stupéfaite que vous invoquiez l’article 40 de la Constitution !
Monsieur le ministre, je vous ai parlé très directement. Je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement se braque dans cette affaire.
Pour ma part, je voterai cette proposition de loi, avec quelques autres collègues du groupe Union centriste, car, vous le savez, nous votons différemment selon nos convictions profondes. C’est d’ailleurs ce qui fait la particularité et le charme des centristes ! (Sourires.) Mais j’espère que nous serons un certain nombre à voter ce texte, car, franchement, il est empreint de bon sens. ((Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire n’a même pas un an. Pourtant, nous voici de nouveau réunis dans cet hémicycle pour la deuxième fois depuis le début de l’année pour débattre de sa modification !
Trois propositions de loi relatives à ce texte ont déjà été déposées au Sénat, dont celle que j’ai défendue au nom de mon groupe le 20 janvier dernier et qui tendait à l’abroger. Trois propositions de loi, c’est beaucoup, mais c’est justifié tant les difficultés entraînées par ce texte voté en urgence sont réelles. Car, nous le savons tous ici, ces difficultés ne sont pas le fruit de l’imagination de maires réfractaires.
Comme je l’avais souligné le 20 janvier la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, nous sommes face à une loi aux contours imprécis, ne fixant aucun taux d’encadrement, alors que sont concernés de jeunes enfants, et ne déterminant pas les qualifications minimales requises pour les personnels sollicités.
De nombreux maires ont conscience que les conditions de sécurité, de responsabilité et de qualité en matière d’encadrement ne sont pas réunies pour appliquer cette loi. De surcroît, ils rencontrent des difficultés pour trouver des personnels. Pour les communes de petite taille, notamment rurales, il suffit qu’un enseignant soit en grève pour que l’organisation de ce service incombe aux maires. Or, faute de personnel, cette obligation est impossible à respecter.
Ces problèmes se retrouvent dans les communes urbaines à forte densité, car le nombre d’écoles, et donc d’élèves, est important alors que l’effectif des personnels communaux mobilisables est insuffisant.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui fixe le seuil « critique » d’application du SMA aux communes de moins de 2 000 habitants.
Dans une proposition de loi déposée en octobre dernier, notre collègue Jean-Louis Masson a, pour sa part, fixé ce seuil à moins de 1 500 habitants. Toutefois, nous n’avions pu avoir ce débat le 20 janvier dernier, car la commission des affaires culturelles avait demandé au Sénat de se prononcer sur ses conclusions et non sur notre texte. De ce fait, les amendements déposés par nos collègues, dont celui de Pierre-Yves Collombat visant à introduire dans la loi une dérogation pour les communes de moins de 3 500 habitants, n’avaient pu être examinés.
Ce débat dérange, semble-t-il, au sein même de votre majorité.
En réalité, les aménagements de la loi que nous proposons tentent de préserver les petites communes, notamment rurales. Ils montrent bien que cette loi, telle qu’elle a été conçue et votée, n’est tout simplement pas applicable de manière égale sur tout le territoire.
Le Gouvernement a présenté ce service d’accueil aux parents comme un droit relevant du service public, interprétation qu’a d’ailleurs confirmée le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2008.
Or les éléments constitutifs d’un service public sont loin d’être réunis puisque la loi porte en elle une inégalité de traitement des enfants. Elle ne leur garantit pas, notamment, d’être accueillis partout dans les mêmes conditions d’encadrement et de qualification. La notion de « qualités nécessaires » est en effet laissée à l’appréciation du maire. De fait, ces derniers sont contraints de faire avec les moyens du bord !
Le Gouvernement avait été amplement alerté sur ces points de blocage, tous pointés avec force en juillet dernier par nombre d’entre nous. Ces blocages ont du reste entraîné des recours devant les tribunaux contre les maires et vous ont ensuite conduit, monsieur le ministre, à adresser coup sur coup aux inspecteurs d’académie deux notes leur enjoignant d’aider les communes, notamment dans la constitution de la liste « vivier ».
De ce point de vue, le recours aux jeunes retraités de l’éducation nationale a provoqué de l’indignation, d’autant que le SMA a d’abord été instauré par le Gouvernement en prévision de conflits qui l’opposeraient à ses fonctionnaires, conflits qui découlent de la dégradation des conditions du bon exercice du service public de l’éducation.
Que penser d’une inspection académique qui sollicite les élèves, majeurs bien sûr, d’un lycée professionnel à Angers en formation de brevet d’études professionnelles sanitaires et sociales et d’aide-soignant ?
Les communes se heurtent à une autre difficulté : anticiper le nombre d’enfants à accueillir.
Sur cette question, dans votre note du 25 février, vous incitez les inspecteurs d’académie à veiller « à ce qu’au sein des écoles concernées par la mise en œuvre du droit d’accueil, un relevé du nombre prévisionnel d’élèves désireux de bénéficier du droit d’accueil puisse être établi ».
Or la loi précise bien, en son article 5 : « La commune met en place le service d'accueil à destination des élèves d'une école maternelle ou élémentaire publique située sur son territoire lorsque le nombre des personnes qui ont déclaré leur intention de participer à la grève en application du premier alinéa est égal ou supérieur à 25 % du nombre de personnes qui exercent des fonctions d'enseignement dans cette école.
« Les familles sont informées des modalités d'organisation du service d'accueil par la commune et, le cas échéant, par les maires d'arrondissement. »
La loi ne dit pas que les familles doivent faire part de leur intention de bénéficier du service d’accueil.
Pourtant, le compte rendu fait par l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, d’une rencontre qu’elle a eue avec vous le 28 janvier dernier indique qu’un compromis à destination des communes de moins de 3 500 habitants serait intervenu, compromis aux termes duquel les communes de moins de 3 500 habitants ne seraient obligées d’organiser un service d’accueil qu’à partir de la volonté déclarée des familles d’en bénéficier. Le délai préalable dans lequel les familles devraient formuler expressément leur demande reste à déterminer.
Depuis cette rencontre, vos services et l’AMRF travailleraient à la définition – je cite ici l’Association – « des modalités concrètes d’application qui seraient inscrites dans un texte d’application de la loi ».
Des aménagements de la loi ont donc bien déjà été envisagés pour les communes rurales.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourtant, le 20 janvier dernier, devant cette assemblée, en évoquant, monsieur le ministre, le souhait exprimé par certains de distinguer le cas des communes rurales de celui des zones urbaines, vous aviez expliqué – et vous venez de le redire – que, « en créant une telle inégalité, nous nous heurterions à un principe constitutionnel »,...
M. Alain Gournac. Bien sûr !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. ... avant d’ajouter : « Comment prétendre en effet qu’un enfant des champs ait moins besoin de ce service qu’un enfant des villes ? »
Il y a donc les principes et la réalité !
Cette réalité, c’est celle d’une mauvaise loi...
M. Alain Gournac. Pas du tout !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. ... qui, à notre avis, doit toujours être abrogée.
Pour autant, nous estimons aujourd’hui, comme M. Philippe Richert l’indique dans son rapport, que l’adoption de cette proposition de loi « ouvrirait la voie à la remise en cause de la compétence communale pour toutes les collectivités ». Elle constituerait donc une première brèche pour remettre en cause le service d’accueil dans son ensemble.
Cette occasion d’ouvrir une brèche, que nous considérons comme une première étape, nous avons décidé de la saisir ; c’est pourquoi nous soutenons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi défendue par notre collègue du groupe du RDSE soulève des questions légitimes quant aux contraintes spécifiques rencontrées par les petites communes dans la mise en place du service minimum d’accueil.
Le groupe UMP a parfaitement conscience de ces contraintes et comprend la motivation de la demande de dérogation pour les communes de moins de 2 000 habitants.
Pour autant, nous estimons que toute évolution de cette loi doit être compatible avec son fondement, à savoir la nécessité de permettre l’égalité entre tous les parents : ceux qui ont les moyens de faire garder leurs enfants en cas de grève et ceux dont les revenus ou les conditions de vie les en empêchent.
Pour nous, cet égal accès de tous au service public est une condition indispensable pour que celui-ci soit considéré comme tel. Or ce principe risquerait d’être remis en cause par un traitement différencié entre les parents en fonction de la population des communes où ils résident.
En outre, il me semble nécessaire de rappeler que de nombreuses avancées ont été réalisées depuis la promulgation de la loi, le 21 août 2008. Nous avons eu l’occasion de les évoquer lors de l’examen de la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC-SPG visant à abroger la loi qui a institué le SMA. Permettez-moi néanmoins de revenir sur ces avancées, qui ont pour objet de prendre en compte les problèmes que pouvaient rencontrer les communes, notamment les plus petites d’entre elles.
En premier lieu, le décret instaurant une négociation préalable, paru le 2 décembre 2008, a été pour la première fois mis en application à l’occasion de la grève du 29 janvier dernier. Cette négociation préalable permet de mieux anticiper l’ampleur potentielle de la grève grâce au dispositif d’alerte. Les inspecteurs d’académie peuvent ainsi évaluer avec davantage de précision la portée du conflit, et parfois l’apaiser, voire y mettre fin. C’est le cas dans ma commune.
En second lieu, le dialogue et la concertation avec les élus, par l’intermédiaire des associations des maires, vous ont amené, monsieur le ministre, à adresser une instruction aux inspecteurs d’académie pour aider les communes concernées à faire face aux difficultés suscitées par les grèves.
Votre instruction demande aux inspecteurs, premièrement, de procéder à un comptage précis du nombre de grévistes et de transmettre au fur et à mesure ces données aux communes, deuxièmement, d’aider les communes qui auraient des difficultés à constituer un vivier de personnes susceptibles de participer à l’accueil des élèves et, troisièmement, de transmettre, dans la mesure du possible, des données prévisionnelles sur le nombre d’enfants qui pourraient être accueillis.
En troisième lieu, dans l’esprit d’apaisement qu’a fait valoir le Président de la République lors du dernier congrès des maires, vous avez, monsieur le ministre, conjointement avec le ministre de l’intérieur, envoyé une instruction aux préfets leur demandant de mettre fin aux actions contentieuses engagées contre les municipalités qui n’avaient pas fait connaître d’opposition de principe à l’application de la loi, mais qui n’avaient pas pour autant réussi à mettre en place le service minimum.
Car il convient de bien faire la différence entre certaines grandes communes qui ne voulaient pas en place ce service et celles qui se heurtaient, à cet égard, à des difficultés objectives. Vous avez donc eu raison, monsieur le ministre, de donner de telles instructions aux préfets pour calmer le jeu.
Comme l’avait souhaité notre excellent rapporteur, Philippe Richert,...
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Excellent, en effet !
M. Alain Gournac. ... vous avez mis en place un comité de suivi de la loi, afin que chacun puisse s’exprimer et signaler ses éventuelles difficultés, de manière que, à partir de la confrontation des idées et des pratiques des uns et des autres, puissent être esquissées des solutions.
Ces aménagements sont ainsi susceptibles de répondre aux préoccupations mises en avant par nos collègues du groupe du RDSE, dont la présente proposition de loi manifeste à l’évidence le souci qu’ils ont de l’intérêt général.
Les dernières grèves ont, me semble-t-il, apporté un début de réponse à ces inquiétudes : près de 90 %, avez-vous dit, monsieur le ministre – mais, pour ma part, je dirais plutôt 85 % –, des communes qui devaient mettre en œuvre ce service y sont effectivement parvenues à cette occasion, dont de nombreuses communes de moins de 2 000 habitants, comme l’a indiqué notre rapporteur, ce qui montre que cette loi est parfaitement applicable sur l’ensemble du territoire.
Mes chers collègues, si nous votions cette proposition de loi, nous risquerions de compromettre le principe d’égalité qui est à la base de cette loi et m’a personnellement conduit à la voter : égalité entre les enseignants des petites communes et ceux des autres – avec cette proposition de loi, en effet, les uns et les autres ne seraient plus soumis aux mêmes obligations –, égalité entre les familles, égalité entre les communes. C’est pourquoi le groupe UMP souhaite le rejet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
Article unique
L'article L. 133-3 du code de l'éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L'obligation de service d'accueil n'est pas opposable aux communes de moins de 2 000 habitants.
« En outre, elle n'est opposable dans les autres communes que sous réserve du respect, par le directeur de chaque établissement ou celui qui le remplace, de ses obligations de service en ce qui concerne l'accueil des élèves. »
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, sur l'article.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je voudrais, en cet instant, préciser la position de l’une des collègues de notre groupe.
Mme Françoise Laborde n’avait pas voulu, au départ, cosigner cette proposition de loi. La raison était simple : elle était, par conviction, opposée au principe du service minimum d’accueil, et cela essentiellement pour deux motifs.
D’une part, ce dispositif remet en cause le droit de grève des enseignants et, surtout, la sécurité des élèves. En effet, aucune garantie de compétences n’a été exigée pour les personnels d’encadrement qui pallient l’absence des grévistes.
D’autre part, le SMA alourdit inutilement le poids des responsabilités que doivent assumer les collectivités locales.
Toutefois, notre collègue rejoint désormais le point de vue des cosignataires de cette proposition de loi.
Jusque-là, selon les circulaires d’application des textes réglementaires, les directeurs d’école étaient seuls responsables de l’organisation du service pendant le temps scolaire ainsi que de l’information des parents et des autorités communales. Ils s’acquittaient très bien de cette tâche.
Inutile de mettre en place un dispositif aussi compliqué et contesté pour résoudre les problèmes ponctuels qui peuvent se poser.
Inutile d’accroître encore le fardeau des collectivités locales, en particulier les plus petites d’entre elles, qui, sur le terrain, rencontrent le plus de difficultés à garantir ce service minimum d’accueil.
La proposition de loi présentée par le groupe du RDSE assouplit le dispositif pour les communes de moins de 2 000 habitants. Ces dispositions sont d’ailleurs attendues par les associations des maires, comme l’a tout à l’heure rappelé l’un de nos collègues.
C’est donc en pensant au sort des 495 communes de moins de 2 000 habitants que compte le département de la Haute-Garonne que notre collègue Françoise Laborde, dans un souci de pragmatisme, s’est rapprochée de notre position. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, sur l'article.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, je n’étais pas encore parlementaire lorsque le texte instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire a été présenté au Sénat. Si je l’avais été, je crois vraiment que je ne l’aurais pas voté.
En effet, comme l’a dit Mme Anne-Marie Escoffier, ce texte a été élaboré sans concertation et de manière précipitée. Alors que j’étais en campagne pour les élections sénatoriales à cette période, j’ai d’ailleurs pu mesurer sur le terrain l’inquiétude des maires.
Pourtant, contrairement à Mme Escoffier, en tout cas lorsqu’elle se fait l’interprète de Mme Laborde, je suis, moi, extrêmement attaché au fait que les enfants puissent être accueillis les jours de grève. En effet, le droit de grève est, certes, un droit constitutionnel, mais le droit de travailler aussi. Par conséquent, il me paraît tout à fait important de permettre aux parents qui ont des enfants dont les enseignants sont en grève d’aller travailler.
Le premier reproche que je fais à cette loi est de transférer à d’autres une obligation de service minimum qui devrait normalement incomber à l’État : une fois de plus, celui-ci se décharge sur les communes.
Comme me l’ont dit nombre de maires au cours de ma campagne, heureusement qu’on ne nous demande pas d’aller faire les piqûres en cas de grève à l’hôpital ou de conduire les locomotives en cas de grève à la SNCF !
M. Jean-Claude Frécon et Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh oui !
M. Hervé Maurey. Cela illustre bien le côté choquant et quelque peu surréaliste de cette loi, qui constitue la première raison de mon hostilité résolue à son égard.
Mais il est une deuxième raison, dont je veux m’expliquer.
Il me paraît très bien que les communes assurent l’accueil des élèves, quand elles le peuvent. Pour ma part, maire d’une commune de près de 12 000 habitants, j’effectue cet accueil depuis des années, comme mon prédécesseur le faisait avant moi, et cela ne me cause pas de grandes difficultés.
Mais comment le maire d’une toute petite commune qui ne dispose pas de personnel peut-il s’organiser ? Au reste, le Président de la République, dans les propos auxquels il a déjà été fait allusion aujourd'hui, a lui-même repris cette interrogation à son compte.
En revanche, je trouve scandaleux que les enfants scolarisés à Paris n’aient pas été accueillis lors de la grève qui s’est déroulée jeudi dernier.
Traiter de la même manière petites et grandes communes, ce n’est pas normal ! Invoquer l’égalité constitutionnelle dans ce domaine ne tient pas, car, on le sait bien, celle-ci ne vaut que pour des situations comparables. Sur ce point, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est d’ailleurs tout à fait claire.
A priori, je suis donc tenté de voter la présente proposition de loi. Deux aspects, cependant, me gênent.
Premièrement, le seuil de 2 000 habitants me paraît tout de même très élevé. Un élu d’une commune d’au moins 1 000 habitants est, selon moi, en mesure d’assumer cette obligation d’accueil.
Deuxièmement, aucune solution de substitution n’est proposée. Pour ma part, j’aurais préféré que l’État soit mis devant ses responsabilités et qu’il assure lui-même le service minimum d’accueil en cas de grève.
À ce stade du débat, je suis donc quelque peu partagé sur cette proposition de loi. Cependant, quand j’entends M. le ministre nous dire, en substance, « tout va très bien, madame la marquise », j’avoue avoir un peu de mal à le suivre ! J’aimerais recevoir des réponses plus précises et savoir ce qui va être fait concrètement.
Aujourd’hui, des maires de mon département, de passage à Paris, m’ont raconté spontanément les difficultés qu’ils avaient rencontrées la semaine dernière sur le terrain. Pour ma part, je doute que l’on prenne vraiment en compte leurs préoccupations.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par MM. Domeizel, Lagauche, Bérit-Débat, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 4 est présenté par Mme Gonthier-Maurin, MM. Ralite, Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger comme suit cet article :
La loi n° 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire est abrogée.
La parole est à M. Yannick Bodin, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Yannick Bodin. Lors des débats précédant l’adoption de la loi du 20 août 2008, nous avions longuement développé les arguments juridiques qui nous semblaient s’opposer à la mise en place du dispositif en question, en confrontant deux droits à valeur constitutionnelle, à savoir le droit de grève et le principe de continuité du service public. Or le Gouvernement a choisi de « casser » le premier pour, prétendument, assurer le second.
Le service d’accueil les jours de grève ne permet pas d’assurer la continuité du service public puisqu’il s’agit en fait de remplacer le service public d’éducation par un service d’accueil.
Outre ces raisons juridiques, nous avions également dénoncé, en juillet dernier, tous les motifs d’ordre organisationnel et financier qui nous semblaient faire du dispositif proposé une usine à gaz : responsabilités multiples mal définies, laps de temps dérisoire pour permettre aux communes de s’organiser, interrogations sur les personnes à même d’accueillir les enfants, absence d’exigences sur les qualifications minimales requises pour ces encadrants et compensation financière de l’État imprécise.
Tous ces points concernent d’ailleurs l’ensemble des communes. Et ceux qui pensent qu’il est plus facile d’organiser un service d’accueil dans une grande ville plutôt que dans une petite commune se trompent complètement ! Bien que je ne veuille pas allonger le débat sur cette question, j’insiste cependant sur le fait qu’il est extrêmement compliqué d’organiser un service d’accueil dans une ville de 50 000 ou de 100 000 habitants, en s’appuyant sur des personnels compétents et reconnus comme tels.
L’an dernier, les raisons de notre refus de cautionner cette cote mal taillée étaient nombreuses. Depuis, les faits nous ont donné raison, l’application de la loi se révélant ubuesque.
Les contentieux fleurissent ici et là, souvent nourris par des représentants de l’État un peu trop zélés. Ainsi certaines communes ont-elles été assignées en référé devant les tribunaux administratifs, lesquels ont prononcé à leur encontre des injonctions assorties d’astreintes financières allant jusqu’à 10 000 euros par heure de grève.
Parfois, en revanche, les préfets, souvent sur les mêmes motifs, ont heureusement été déboutés, les tribunaux établissant le constat que, si la loi est inappliquée, c’est tout simplement parce qu’elle est inapplicable !
Je remarque d’ailleurs, monsieur le ministre, que les préfets sont devenus beaucoup plus prudents, après le mouvement de grève du 19 mars dernier. « Évidemment, allez-vous me répondre, puisque tout a bien marché ! » Évidemment, la meilleure manière de considérer que tout va bien, c’est de fermer les yeux ! Pourtant, les problèmes demeurent.
Nous avions entrevu un espoir d’aménagement du dispositif du service minimum d’accueil, à défaut de son abrogation, lorsque le Président de la République, lors de son discours devant le congrès de l’Association des maires de France, le 3 décembre 2008, avait annoncé qu’il était prêt à revoir les modalités d’application de la loi, notamment pour les petites communes rurales.
Magie du verbe, rudesse des faits : force est de constater que, pour l’heure, le Gouvernement n’a envoyé aucun message supplémentaire qui permettrait aux maires confrontés au casse-tête du SMA d’espérer une issue…
Même la proposition, bien modeste, qui vous est faite aujourd’hui ne vous sied point !
Nous préférons donc demander l’abrogation pure et simple de ce dispositif inapplicable et source de contentieux. Peut-être y reviendrons-nous un jour, car je pense, monsieur le ministre, que la loi du 20 août 2008 a d’ores et déjà du plomb dans l’aile !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l’amendement n° 4.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Comme je l’ai rappelé lors de la discussion générale, mon groupe continue de défendre le principe de l’abrogation de la loi instituant le SMA.
J’insiste une nouvelle fois sur les difficultés rencontrées par les maires pour l’appliquer. Ce qui est vrai pour les maires des très petites communes, notamment rurales, l’est aussi pour ceux des communes urbaines, moyennes aussi bien que grandes. Tous sont confrontés à la même interrogation : comment assurer ce service, avec un personnel suffisant, qualifié et compétent pour encadrer, en toute sécurité, des enfants âgés de deux à dix ans ?
En effet, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, la question des conditions d’application du service d’accueil est tout de même essentielle.
C’est la raison pour laquelle j’attends avec une grande impatience le rapport d’évaluation que le Gouvernement doit déposer avant le 1er septembre prochain sur le bureau de notre assemblée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Richert, rapporteur. La commission est bien évidemment défavorable à ces deux amendements identiques.
M. Bodin a bien compris que la proposition de loi déposée par le groupe du RDSE ne règle pas le problème qu’il pose. Il estime en effet que le SMA entraîne des difficultés dans toutes les communes, qu’elles soient petites ou grandes, et que, de toute façon, ce n’est pas aux communes de régler des problèmes dont la solution, à ses yeux, incombe à l’État.
Nous en avons discuté longuement. Comme je l’ai dit tout à l’heure, si l’on supprime le SMA dans les communes de moins de 2 000, de moins de 3 000 ou de moins de 5 000 habitants, la même question pourra se poser pour les très grandes agglomérations.
C’est la raison pour laquelle j’avais indiqué que le principe de la suppression de ce service d’accueil des élèves les jours de grève n’était pas envisageable. Nous souhaitons que ces élèves puissent être accueillis, pour rendre service aux familles.
Je le répète, cette demande, à laquelle nous avons apporté une réponse très claire, nous avait été expressément adressée. J’ai rencontré, à titre personnel, les associations familiales qui avaient souhaité que ce service soit mis en place.
C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression du service d’accueil dans l’ensemble des communes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous imaginez bien que je pourrais difficilement émettre un avis favorable sur des amendements qui visent à abroger la loi du 20 août 2008 !
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour dire aux divers intervenants que nous ne méconnaissons pas les difficultés qui se posent aux communes les plus petites. Voilà d’ailleurs pourquoi nous avons mis en place une commission chargée de nous faire des propositions. Nous serons ainsi en mesure de vous remettre, au mois de septembre prochain, un rapport qui analysera la façon dont la situation pourra éventuellement être améliorée par nos propres services, en accord avec les élus.
Par ailleurs, nous avons passé un certain nombre d’accords avec l’Association des maires ruraux de France, ce qui explique que nous ayons renoncé à de nombreux contentieux, nous fondant, comme l’a rappelé Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur le principe selon lequel les maires ont surtout à connaître des personnes ayant l’intention d’utiliser le service, ce qui permet un meilleur calibrage et une application plus souple.
Monsieur Bodin, il serait absurde d’abroger une loi au moment où elle commence précisément à donner satisfaction puisqu’elle a permis, voilà quelques jours, d’assurer l’accueil de quelque 450 000 élèves, ce qui n’est pas rien ! Nous avons rendu service à un grand nombre de familles, et ce dans un contexte de grève générale qui rendait l’application de la loi encore plus difficile.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Domeizel et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le dernier alinéa de cet article.
La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Le second alinéa du texte proposé par l’article unique conditionne l’obligation d’organiser le service d’accueil dans les communes de plus de 2 000 habitants au « respect, par le directeur de chaque établissement ou de celui qui le remplace, de ses obligations de service en ce qui concerne l’accueil des élèves ».
La lecture de l’exposé des motifs de la proposition de loi, supposé nous éclairer sur ces « obligations de service », précise : « Depuis la loi Jules Ferry, le directeur de l’école doit être présent et accueillir les élèves même s’il est gréviste. Aussi, la présente proposition de loi impose la présence du directeur d’établissement ou de son représentant dans l’école. »
Cette fameuse obligation de présence d’un directeur gréviste dans son école ne repose, à ma connaissance, sur aucune base légale. J’ai bien relu non pas « la », mais les lois Jules Ferry, et je me suis aperçu qu’aucune n’abordait ce problème : ni les deux lois du 16 juin 1881, l’une relative aux titres de capacité de l’enseignement primaire, l’autre établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire public, ni celle du 28 mars 1882, qui rend l’école obligatoire, ni celle du 30 octobre 1886, qui porte sur l’organisation de l’enseignement primaire.
Le seul texte réglementant ce rôle du directeur d’école était la circulaire n° 81-141 du 26 mars 1981, qui a été abrogée par la circulaire n° 81-222 du 5 juin 1981, d’après le Bulletin officiel de l’éducation nationale n° 23 du 11 juin 1981. Le décret relatif aux fonctions, à la nomination et à l’avancement des maîtres-directeurs du 2 février 1987, qui remettait en cause, dans les faits, le droit de grève des directeurs d’écoles, a également été abrogé par le décret du 24 février 1989.
Je rappelle que le directeur d’une école maternelle ou élémentaire n’est pas chef d’établissement. Lorsqu’il est en grève, il n’est aucunement tenu de rester à l’école pour s’assurer que tout va bien : il est en grève !
L’organisation du SMA, qu’il s’agisse du dispositif légal ou de la circulaire d’application du 26 août 2008, ne modifie en rien ces règles. Le directeur est seulement tenu d’informer le maire et les parents d’élèves de la situation de grève et de l’éventuelle fermeture de l’école.
Il est donc tout à fait inopportun de laisser croire, par le biais d’un alinéa dans une loi visant précisément à limiter l’obligation de service d’accueil les jours de grève, que les directeurs d’école grévistes devraient suppléer ou seconder l’autorité municipale, en garantissant eux-mêmes l’accueil des enfants. Cette disposition serait, certes, d’une grande aide pour de nombreux élus, je le comprends bien, mais nous nous y opposons, au nom du respect du droit de grève des directeurs d’école.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Richert, rapporteur. La commission étant défavorable à l’ensemble de la proposition de loi, elle est donc bien évidemment défavorable à cet amendement, ce qui n’ôte rien à la pertinence des remarques que M. Yannick Bodin vient de formuler sur l’alinéa ici visé.
Selon moi, il s’agit surtout d’un amendement d’appel destiné à M. le ministre, pour lui permettre de préciser un certain nombre d’éléments.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre. Bien entendu, le Gouvernement est défavorable à un amendement portant sur un texte auquel il est globalement défavorable.
Sans vouloir être désobligeant à l’égard des auteurs de cette proposition de loi, je dois dire que cet article unique est mal rédigé dans la mesure où il évoque des « directeurs d’établissement », alors que les directeurs d’école n’ont pas cette qualité, ainsi que M. Bodin l’a fait observer.
Monsieur Bodin, vous avez fait référence au décret du 24 février 1989, qui définit les missions des directeurs d’école et qui fait autorité en la matière. Les directeurs d’école sont statutairement des professeurs des écoles, à la différence des principaux de collège ou des proviseurs de lycée qui sont, pour leur part, des chefs d’établissement. Les directeurs d’école disposent donc pleinement du droit de grève.
Vouloir les en priver par la réquisition ou par tout autre moyen, en les obligeant à assurer un accueil des élèves serait non seulement injuste et inopportun, mais surtout parfaitement inconstitutionnel. Je ne souscris donc pas à cette idée.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas dire de façon schématique que les partisans du service minimum sont soucieux des intérêts des familles tandis que ses adversaires sont indifférents à ces mêmes intérêts.
Je l’ai dit, dans ma commune, lorsque cela s’est révélé nécessaire, j’ai toujours accueilli les enfants. Il ne faut donc pas simplifier à l’excès : c’est vraiment désagréable.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert, rapporteur. Je ne prétends pas que ceux qui sont défavorables au droit d’accueil ne se soucient pas des problèmes des familles ou ne souhaitent pas que les enfants soient pris en charge.
C’est comme si l’on disait que les sénateurs qui ont voté en faveur du texte sur le droit d’accueil ne sont pas sensibles à la situation des communes ou des élus !
Je ne veux donner de leçon à personne, mais il faut que chacun fasse l’effort d’écouter les autres. Tout élu, dès lors qu’il siège à la Haute Assemblée, possède une expérience de terrain et une bonne connaissance des dossiers, qu’il s’agisse d’éducation nationale ou de fonctions électives.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Tout à fait !
Mme Jacqueline Gourault. Merci pour ces précisions !
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Jacques Gautier. Je voterai contre ces amendements et cet article unique pour une raison simple : lorsqu’on a la volonté de répondre à l’attente des familles, on trouve des solutions. Le texte que nous avons adopté l’an dernier est pragmatique ; il fixe des grandes règles et permet, à travers des réponses adaptées et variables selon la taille de la commune, de satisfaire ce besoin d’accueil dans les écoles.
Je suis maire depuis plus de vingt ans et, comme d’autres, j’ai toujours mis en place ce service sans rencontrer de difficultés, avant même que la loi soit votée.
Lors des deux dernières grèves, dans mon département, une très grande majorité de communes a mis en place ce service d’accueil. La plus grande ville, qui compte 105 000 habitants, comme la plus petite, qui en compte 1 500, ont accueilli les enfants. Les quelques villes qui ne l’ont pas fait sont toutes dirigées par des communistes ou des socialistes : c’était donc pour des raisons strictement politiques. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Yannick Bodin. C’est faux !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mesurez vos propos, monsieur Gautier !
M. le président. .Monsieur Biwer, ainsi que vous me le demandez, je vais vous donner la parole pour explication de vote, mais je me permets de vous inviter à la brièveté : songez à ceux, sénateurs et personnels des services, qui travaillent sans interruption depuis quinze heures trente, alors même que la séance de ce matin ne s’est achevée qu’à quatorze heures passées…
M. Claude Biwer. Monsieur le président, vous me permettrez à votre tour de souligner que, en tant qu’élus et citoyens, nous sommes aussi quelquefois amenés à travailler, sans regimber, plus longtemps que nous ne l’avions prévu. N’oublions pas que nous sommes là au service des uns et des autres.
Monsieur le ministre, en tant que maire – et c’est un mandat que j’exerce depuis fort longtemps ! –, j’ai toujours appliqué la règle selon laquelle chacun assume ses responsabilités : l’éducation à l’État, le logement à la commune, etc.
J’ai souvent constaté qu’il était souvent bien plus facile de régler ce que j’appellerai les problèmes d’intendance dans les communes rurales, où les rapports humains sont plus proches que dans les grandes villes.
J’ai toujours pensé que, pour les communes rurales de moins de 1 000 ou de 2 000 habitants, les difficultés venaient non pas de l’obligation d’accueillir les élèves, mais de la manière dont on a entendu nous imposer l’organisation de cet accueil. Dès lors que nous sommes libres de nous organiser, nous entrons dans un système que je qualifierai de quasi périscolaire. De nombreuses activités périscolaires étant organisées au profit des familles et des enfants, je ne vois pas pourquoi il ne devrait pas continuer à en être ainsi.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises la situation des maires ruraux. Je puis vous dire, à mon modeste niveau de président de l’association des maires de mon département, que nous avons la volonté de fournir un service à ceux qui ont en ont besoin.
Je voterai contre ces amendements parce que je considère que nous pouvons agir efficacement, à notre manière, sur le terrain. (Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 4.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC-SPG, l'autre, du groupe du RDSE.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 135 :
Nombre de votants | 322 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l’adoption | 141 |
Contre | 181 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe du RDSE, l'autre, du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 136 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l’adoption | 163 |
Contre | 169 |
Le Sénat n'a pas adopté.
9
Dépôt d’une question orale avec débat
M. le président. J’informe le Sénat que j’ai été saisi de la question orale avec débat suivante :
n° 31 - Le 2 avril 2009 - Mme Christiane Demontès attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.
L’emploi est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’après 92 000 demandeurs d’emplois de plus au mois de janvier, 72 200 autres se sont ajoutés en février ? À ce rythme, le nombre de chômeurs supplémentaires atteindra le million en fin d’année. Par ailleurs, les destructions d’emplois n’auront jamais été aussi importantes. On est donc bien loin du « travailler plus pour gagner plus ».
Face à cette crise qui ne cesse de s’approfondir, le Gouvernement a choisi de ne pas opérer de changement en matière de politique de l’emploi. Fidèle au credo néolibéral, le Gouvernement maintient la politique de défiscalisation des heures supplémentaires mise en œuvre par l’article 1er de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, dite loi TEPA. À ce titre, et au lieu d’embaucher, ce sont 4,3 milliards d’euros qui ont été dépensés l’an dernier pour encourager les entreprises à faire effectuer des heures supplémentaires par leurs propres salariés. Au dernier trimestre de 2008, ce volume horaire représentait l’équivalent de 90 000 emplois de plus par rapport au dernier trimestre de 2007. Au-delà, cette politique d’exonération impacte nécessairement les finances publiques, qui enregistreront, selon toute vraisemblance, un déficit voisin de 6 % du PIB à la fin de 2009.
La crise est encore devant nous. Aussi, elle lui demande de l’informer de l’impact financier et de l’impact sur l’emploi que représente, depuis sa mise en application, la défiscalisation des heures supplémentaires.
(déposée le 26 mars 2009 – annoncée en séance publique le 26 mars 2009)
Conformément aux articles 79, 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.
10
Retrait d'une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 485 de M. Jean-Pierre Godefroy est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 31 mars 2009 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quinze heures et le soir :
2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2009 (n° 297, 2008-2009).
Rapport de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation (n° 306, 2008-2009).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD