M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Nous le voyons, nous sommes dans une totale incohérence juridique. Que vous optiez pour la suppression de la viabilité ou pour sa consolidation, vous ne pouvez pas ne pas décider ! À défaut, la notion de viabilité sera définie par les praticiens : un médecin pourra fixer le critère de viabilité à quinze semaines, comme à dix-sept, à vingt ou à vingt-deux semaines…

L’absence de décision politique place les obstétriciens, les officiers d’état civil que sont les maires, l’ensemble des familles, qui ne connaissent pas forcément leurs droits, et même les gestionnaires, dans une situation de vide juridique.

Par conséquent, je souhaiterais que vous puissiez fixer un seuil, ouvrir un droit général à l’inhumation des corps des enfants, quel que soit le stade du développement – je rappelle que ces corps font autrement partie des « déchets hospitaliers » – et clarifier les droits sociaux.

J’attire également votre attention sur la bioéthique, dans la perspective des lois dont vous serez bientôt saisis. Nous commençons à entendre des réclamations, de la part, entre autres, des médecins, sur une problématique un peu douloureuse.

Nous devons, me semble-t-il, réfléchir aux questions soulevées par les quelque 18 000 amputations qui sont dues au diabète chaque année. Comme vous le savez, compte tenu de leurs croyances religieuses, des personnes de confession musulmane souhaitent être enterrées en entier. Dès lors, quel est le statut du membre amputé ? De même, dans certaines cultures africaines, on demande à récupérer le placenta pour l’enterrer. Quelle réponse pouvons-nous y apporter ?

En l’absence d’analyse juridique, des questions éthiques lourdes se posent. Nous ne pouvons pas laisser les gestionnaires hospitaliers et les médecins totalement désemparés. Si la pratique n’est pas encadrée, les réponses à de telles questions seront différentes selon les convictions des personnes ou les établissements.

Il revient au politique de se saisir de tels enjeux, quitte à ne pas prendre de décision, mais il doit alors expliquer pourquoi. Et, s’il tranche, il doit préciser les conditions dans lesquelles il le fait.

Je tiens à vous remercier des amendements que vous déposez en matière de santé et j’attire votre attention sur l’absence de décrets relatifs à l’indemnisation des victimes du sang contaminé. Vous aviez pris des dispositions afin que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, indemnise les personnes transfusées dans les petits établissements sans transferts d’actifs. Or le décret n’est toujours pas paru. Je souhaiterais que vous puissiez user de votre pouvoir en la matière. (M. Nicolas About s’exclame.)

Enfin, et nous sommes là au cœur de la collaboration que je souhaite avoir avec le Sénat, je pense que nous vivons dans une société anxiogène. Je le dis sans chercher à pointer la responsabilité des uns ou des autres.

Nous le voyons bien, nos sociétés sont structurées par trois sentiments : la gestion des peurs, la gestion des humiliations et la gestion des espérances. Certains se nourrissent des peurs. D’autres réagissent aux humiliations, lorsque l’arbitraire méprise l’individu. Et il est difficile d’avoir des espérances quand l’avenir est sombre.

L’un des éléments de la gestion des peurs, c’est la recherche de l’apaisement, qui passe par l’écoute et le respect. Le service public se doit d’écouter et d’accompagner, plutôt que de gérer. Nous devons changer de culture. Le système administratif doit faire confiance aux fonctionnaires pour qu’ils puissent avoir le droit à l’erreur. En outre, le principe de précaution mérite d’être analysé.

Tout cela est au cœur de la notion de « vivre-ensemble ». Si nous ne restaurons pas la confiance de nos concitoyens dans nos institutions, nous aurons un système fondé sur le rapport de force, et non sur le dialogue et le respect.

Je salue également le rapporteur du texte sur le « malendettement », que j’avais oublié de mentionner tout à l’heure.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention et je me réjouis de notre collaboration. (Applaudissements.)

(M. Bernard Frimat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat

vice-président

M. le président. Le Sénat vous donne acte de cette communication, monsieur le Médiateur de la République.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le Médiateur de la République, le rapport d’activité que vous venez de remettre à notre Haute Assemblée confirme que votre institution s’est imposée au fil des années comme un acteur majeur du paysage administratif français, jouissant d’une notoriété croissante auprès de nos concitoyens.

Cette année encore, votre action est placée sous le signe de la proximité. Grâce aux délégués du Médiateur, l’institution est en effet présente dans un nombre croissant de points d’accueil. Maintenant, il existe même un « e-médiateur » ! (Sourires.) Cela passe-t-il par l’adresse électronique des parlementaires ?

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Par google ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au total, 275 délégués agissant dans 386 points d’accueil reçoivent aujourd’hui le public dans des structures de proximité, comme les maisons de justice et du droit, les maisons de service public ou les points d’accès au droit – vous avez signalé combien nos concitoyens ont besoin d’accès au droit –, mais également les préfectures et sous-préfectures.

D’ailleurs, dans votre rapport, vous soulignez ceci : « La plupart des implantations récentes résultent du souci permanent des délégués de se rapprocher des usagers ; ils acceptent d’assurer des permanences dans deux, voire trois implantations différentes. »

Emblématique de cette évolution est la présence des délégués dans les prisons. Cette présence, expérimentée depuis 2005 et progressivement généralisée sur la base d’une convention signée le 25 janvier 2007 entre le ministre de la justice et vous-même, se renforce année après année. Vous notez ainsi dans votre rapport qu’en l’espace d’un an, entre décembre 2007 et décembre 2008, le nombre de détenus ayant accès directement à un délégué est passé de 26 500 à plus de 44 000, soit les deux tiers de la population carcérale.

Ces délégués jouent un rôle essentiel en prison, comme l’ont récemment rappelé nos collègues Jean-Claude Peyronnet et Jean-René Lecerf.

Rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, des crédits du programme budgétaire « Protection des droits et libertés », notre collègue Jean-Claude Peyronnet s’est rendu dans le département des Yvelines en novembre dernier pour rencontrer deux de vos délégués, dont il a noté « le dynamisme et la compétence ». Il a pu également constater, lors de la visite qu’il a effectuée à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, que l’intervention des délégués du Médiateur était appréciée par les détenus,…

M. Nicolas About. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … même lorsqu’elle portait sur des dossiers que l’administration pénitentiaire pouvait parfaitement traiter elle-même, telle la demande d’un détenu pour connaître l’état d’avancement d’un transfert. Le délégué rencontré par le rapporteur a souligné que, au-delà du fait d’obtenir une réponse à leurs questions, les détenus avaient besoin d’être écoutés par un « tiers de confiance » et que l’échange constituait pour eux « un exutoire » et « une soupape ». (M. le Médiateur de la République fait un signe d’approbation.) Je crois comprendre que vous vous félicitez du travail du Sénat, monsieur le Médiateur de la République… Espérons que l'Assemblée nationale en fera de même !

Quant à notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi pénitentiaire, au nom de la commission des lois, il a constaté dans son rapport que « de l’avis des différents chefs d’établissements [qu’il a] rencontrés, la présence [des délégués] est un facteur d’apaisement en détention ». C’est pourquoi, sur son initiative, notre assemblée a consacré l’existence des délégués dans la loi pénitentiaire. Il faut s’en réjouir, car, je tiens à le rappeler de nouveau, la privation de liberté ne signifie pas la privation de l’accès au droit ; nous avions beaucoup insisté sur ce point lors de la discussion de ladite loi.

Aussi important soit-il, ce sujet est loin d’épuiser le champ de votre action. Parmi les nombreux thèmes abordés dans votre rapport, trois ont particulièrement retenu mon attention : le traitement du surendettement – un sujet qui n’est pas nouveau pour ce qui me concerne –, les expertises médicales judiciaires et le problème de l’application de la loi.

En outre, vous avez évoqué tout à l'heure la problématique des enfants sans vie, posant même des questions sous-jacentes. Certes, le problème est complexe, mais il faudra effectivement trouver une solution, car, vous avez raison de le dire, on ne peut rester sans solution légale.

À propos du traitement du surendettement, vous avez formulé plusieurs propositions de réforme, poursuivant ainsi votre engagement dans la lutte contre le « malendettement ».

J’en ai relevé une qui me paraît essentielle, à savoir l’amélioration du fonctionnement du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le FICP.

Rappelons que ce fichier, mieux connu sous le nom de « fichiers des surendettés », ne doit pas être confondu avec le fichier des interdits bancaires géré par la Banque de France, ce qui est souvent le cas.

Vous avez souligné, monsieur le Médiateur de la République, que l’extinction de l’action en recouvrement des sommes dues doit conduire à la radiation de ce fichier.

D’une manière générale, la commission des lois, à laquelle appartient M. Alex Türk, président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, est très attentive au traitement des données à caractère personnel et au traçage des individus ; j’en veux pour preuve la constitution récente d’un groupe de travail sur ce thème, animé par nos collègues Mme Anne-Marie Escoffier et M. Yves Détraigne.

Si l’intérêt du fichier des surendettés n’est pas en soi contestable – protéger les personnes, en évitant l’accumulation d’emprunts bancaires –, il faut rappeler que toute inscription non justifiée de personnes dans ces fichiers peut conduire à des situations particulièrement difficiles, telles que le refus d’ouverture d’un compte ou le refus d’octroi d’un crédit.

Or il semble que la CNIL soit régulièrement saisie de réclamations concernant des inscriptions à tort ou des « défichages » tardifs, alors que les personnes concernées ont régularisé leur situation.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je rappelle d’ailleurs que ce sont ces mêmes problèmes de mise à jour ou d’inscription erronée qu’ont relevés votre institution et la CNIL à propos des fichiers STIC et JUDEX.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ces fichiers, qui recensent les infractions constatées respectivement par la police et la gendarmerie, peuvent être consultés dans le cadre d’une enquête préalable à une décision administrative en vue de l’accès à certains emplois, notamment dans les secteurs de la sécurité et de la défense. Or de nombreuses personnes restaient inscrites à ce fichier, alors même qu’elles avaient fait l’objet d’un acquittement ou d’un non-lieu.

C’est pourquoi vous avez opportunément proposé, voilà deux ans, une amélioration des conditions de transmission des suites judiciaires par les parquets et la mise en place de garanties pour les citoyens susceptibles de faire l’objet d’une enquête administrative donnant lieu à la consultation des fichiers STIC et JUDEX.

Par ailleurs, vous préconisez dans votre rapport une réforme des expertises médicales judiciaires et vous suggérez, notamment, que « pour renforcer l’indépendance et la fiabilité des expertises, l’expert déclare systématiquement au juge et aux parties l’absence de conflit d’intérêts risquant de porter atteinte à l’impartialité de ses analyses ».

Je note que cette question – essentielle pour garantir le droit à un procès équitable, exigence de la Convention européenne des droits de l’homme – rejoint les préconisations du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire dite « d’Outreau », qui soulignait que l’engagement d’un expert dans des activités associatives était susceptible de créer un conflit d’intérêts avec l’affaire dans laquelle il est commis, et donc de mettre à mal son impartialité. On ne peut pas mieux dire !

C’est pourquoi la commission d’enquête avait opportunément repris la préconisation figurant dans le rapport Viout d’instaurer « une obligation de déclaration d’appartenance à une association […] lorsque les faits portent sur des faits pour lesquels cette association peut se constituer partie civile ».

Cette année encore, vous appelez l’attention des pouvoirs publics sur certains problèmes en matière d’application des lois votées. Vous soulignez que « la vie politique ne saurait se contenter de voter des lois en négligeant leur mise en œuvre ».

Prenant l’exemple de la loi réformant la protection juridique des majeurs, pleinement applicable depuis le 1er janvier 2009, vous notez que les départements et les parquets y sont peu préparés et que la réforme risque ainsi de connaître de grandes difficultés d’application.

Ces informations nous intéressent au plus haut point car, comme vous le savez, le Sénat est particulièrement attentif à la mise en vigueur des lois. Chaque année, le bilan du contrôle de l’application des lois par toutes les commissions est présenté à la conférence des présidents, ce qui permet au ministre chargé des relations avec le Parlement de relayer auprès de ses collègues les observations formulées par les commissions.

Concernant les tutelles, il va falloir réagir rapidement, car la situation est inadmissible. Même si la loi existe, des personnes seront confrontées à un vide juridique dans certains cas particuliers.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Effectivement !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au-delà, le Sénat entend exercer pleinement sa mission d’évaluation des politiques publiques, désormais consacrée par l’article 24 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, en particulier dans le cadre de la semaine sénatoriale de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

Je souhaiterais conclure mon propos en évoquant l’avenir de l’institution.

Vous le rappelez dans votre rapport, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a créé un nouvel article 71–1 instituant un Défenseur des droits, terme bien français, contrairement à d’autres.

Notre assemblée a apporté cinq modifications importantes à la rédaction initialement proposée par le Gouvernement.

Elle a tout d’abord retenu le nom de « Défenseur des droits » au lieu de « Défenseur des droits des citoyens », afin de marquer que cette nouvelle autorité devra être accessible non seulement à ces derniers, mais aussi à toute personne mineure et aux ressortissants étrangers établis en France, en situation régulière ou non.

Elle a ensuite ouvert la possibilité de regrouper en son sein des autorités administratives indépendantes compétentes à l’égard non seulement du service public, mais aussi du secteur privé.

Elle a permis au Défenseur des droits de se saisir d’office et a prévu qu’il pourrait être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions, afin de renforcer les garanties d’indépendance et de compétence offertes aux personnes qui le saisissent.

Enfin, elle a précisé que le Défenseur devrait rendre compte de son activité au Président de la République et au Parlement, une tâche que vous remplissez déjà, monsieur le Médiateur de la République.

Nous attendons donc le dépôt par le Gouvernement du projet de loi organique qui définira le statut et les fonctions de ce Défenseur, sachant qu’il est aujourd’hui établi qu’il reprendra, en les étendant, vos attributions et qu’il pourra être saisi directement par toute personne. Ce dernier point mérite d’être salué. En effet, la commission des lois du Sénat militait depuis de nombreuses années pour une saisine directe de votre institution, autrement dit pour la suppression du filtre parlementaire obligatoire.

En conclusion, monsieur le Médiateur de la République, votre mission paraît plus que jamais essentielle dans notre société, qui aspire à un droit accessible et à une administration respectueuse des droits fondamentaux. Je ne parle pas seulement de l’administration d’État ; nous devons aussi être vigilants à l’égard des collectivités locales, …

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … car les régions, les départements et les communes doivent également respecter le droit.

Soyez assuré, monsieur le Médiateur de la République, du soutien et de l’attention que le Sénat tout entier, en particulier la commission des lois et celle des affaires sociales, porte à votre action. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste.)

M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le Médiateur de la République.

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Politique de lutte contre les violences faites aux femmes

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 24 de Mme Michèle André à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.

Cette question est ainsi libellée :

Mme Michèle André demande à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville de lui préciser les grandes orientations retenues par le Gouvernement dans la conduite de sa politique de lutte contre les violences faites aux femmes, déclarée grande cause nationale pour 2009.

Elle lui demande également dans quel délai le Gouvernement transmettra au Parlement, comme le lui en fait l’obligation l’article 13 de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, le rapport portant sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple.

La parole est à Mme la présidente de la délégation, auteur de la question.

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la secrétaire d’État, avant d’aborder ce débat, je souhaite revenir sur l’interruption volontaire de grossesse d’une fillette victime d’un inceste au Brésil et sur la sanction féroce de l’église catholique, alors même que l’IVG est autorisée dans ce pays. Après la polémique sur les méthodes de contraception et la façon dont elles ont été mises en exergue, et à quelques jours de la conférence « Durban II » sur le racisme prévue à Genève, qui semble promouvoir des thèses sexistes, manifester une véritable hostilité à l’égard des droits des femmes et contester leur émancipation, notre débat sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes s’inscrit dans un contexte international où la dignité des femmes et la dynamique évolution de leurs droits rencontrent quelques « ratés ». Nous devons donc veiller à ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières.

J’en viens au sujet qui nous occupe.

Nous avions légiféré, il y a trois ans, sur les violences familiales en adoptant la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, sur laquelle je souhaite apporter un éclairage et vous poser quelques questions, madame la secrétaire d'État.

Premièrement, cette loi est née d’une initiative parlementaire, sénatoriale, et a recueilli l’unanimité des suffrages au Sénat, comme à l’Assemblée nationale.

La « paternité » directe de cette loi revient, en grande partie, à notre collègue Roland Courteau, et je tiens ici à lui rendre publiquement hommage. Par la force et la profonde humanité de ses arguments, il avait convaincu ses collègues du groupe socialiste de se joindre à lui pour signer un texte que je qualifierai volontiers de « proposition de loi-programme ». En effet, non seulement cette proposition ciblait, de façon large et réaliste, les violences « au sein du couple », en dépassant la notion de violences conjugales stricto sensu, mais aussi et surtout elle prévoyait de traiter toutes les composantes du problème : la prévention, l’aide aux victimes et, bien entendu, la sanction.

Dans le même sens, notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres de son groupe avaient signé une proposition de loi qui avait notamment le mérite d’insister sur la nécessité de former tous les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires – cela reste d’une très grande actualité – à la problématique des violences conjugales.

N’oublions pas non plus que le thème des violences faites aux femmes avait, bien entendu, constamment imprégné les travaux de la délégation aux droits des femmes présidée alors par notre collège Gisèle Gautier, et que les premières avancées législatives sur l’éloignement du conjoint violent ont été suscitées par les analyses de la délégation sénatoriale au moment des débats relatifs à la réforme du divorce.

Deuxièmement, on ne dira jamais assez à quel point la loi que nous avons adoptée a levé un peu plus l’un des tabous majeurs de la société française. Madame la secrétaire d'État, vous vous inscrivez dans la longue lignée de toutes ces femmes membres du Gouvernement chargées du droit des femmes, et vous poursuivez ce que j’avais commencé lors de la première campagne de 1989, lorsque j’étais moi-même à votre poste ; nous entrions alors dans un débat qui allait au-delà de la vie privée, avec toutes les craintes que cela inspirait à l’époque.

Depuis lors, je le constate, toutes les femmes qui ont occupé vos fonctions ont eu à cœur d’avancer sur une problématique qui constituait, je le répète, l’un des tabous majeurs de la société française. La complaisance constatée çà et là en la matière était même un facteur culturel ! C’est dire si nous revenions de loin et c’est encore le cas aujourd’hui.

Chacun sait combien il est difficile de parler des violences familiales. Il faudra que les historiens – mais dans combien de temps ? – et les sociologues nous expliquent un jour pourquoi il aura fallu attendre 2006 pour débattre de ce thème au sein des assemblées parlementaires d’un pays comme la France ! Comment expliquer ce silence législatif ? Nous avons pourtant toujours su combien étaient nombreux ces enfants et ces adultes à jamais traumatisés dans l’intimité du cadre familial. Tous, en effet, nous connaissions des victimes, des témoins et même des agresseurs, qui étaient, pour certains, rongés par le remords et, pour d’autres, dans le déni.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons rendu un très grand service à notre pays en faisant en sorte que la loi reconnaisse enfin les violences familiales, car il était important de pouvoir identifier ce problème.

L’impulsion législative était ainsi donnée, même si nous regrettions à l’époque qu’elle ne fût pas complète, car seul l’aspect pénal avait été pris en compte. Mais nous savons bien qu’il ne suffit pas de légiférer, même à l’unanimité – ce qui, convenons-en, est rare –, …

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes …pour surmonter les blocages de notre société !

Dès lors, deux séries de motifs conduisent les parlementaires de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes à interroger le Gouvernement sur la mise en œuvre de ce texte.

Tout d’abord, sur le plan juridique, on peut formuler deux observations qui amènent une première interrogation.

L’article 13 de la loi du 4 avril 2006 précise : « Le Gouvernement dépose, tous les deux ans, sur le bureau des assemblées parlementaires, un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples, portant notamment sur les conditions d’accueil, de soin et d’hébergement des victimes, leur réinsertion sociale, les modalités de la prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs des faits ainsi que le nombre, la durée et le fondement juridique des mesures judiciaires tendant à leur ordonner de résider hors du domicile ou de la résidence du couple. ».

Comme vous pouvez le constater, il s’agit non pas d’alimenter la profusion d’écrits administratifs – lesquels restent très précieux lorsque nous avons besoin de références –, mais, conformément à l’esprit de nos institutions, de vérifier l’impact sur le terrain du dispositif que nous avons voté. C’est un exercice difficile que celui qui a été demandé au Gouvernement, je le sais, et l’on peut donc se réjouir que ce rapport ait finalement été publié avant-hier.

M. Roland Courteau. In extremis !

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous l’avons peut-être.

M. Odette Terrade. Pas encore !

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des. Si nous ne l’avons pas, il doit maintenant être à notre disposition.

Mes chers collègues, j’y vois là une première illustration de l’efficacité de nos séances de contrôle du Gouvernement ! (Sourires.) J’espère toutefois qu’à l’avenir nous ne serons pas obligés d’organiser systématiquement un débat tous les deux ans – même si celui d’aujourd’hui, j’en suis persuadée, s’avère très riche – pour hâter la sortie des rapports qui doivent en principe être publiés à cette fréquence.

Quand aura lieu le prochain rendez-vous, madame la secrétaire d'État ? En 2010 ou en 2011 ? Le compteur repart-il à dater d’aujourd'hui ?

En complément de cette remarque, j’observe, plus globalement, que la loi du 4 avril 2006, bien loin de rejoindre l’assortiment déjà trop vaste de textes peu ou pas du tout appliqués, a enclenché une véritable dynamique. Deux indices en témoignent.

D’abord, du point de vue législatif, un an après le vote de cette loi du 4 avril 2006, une avancée complémentaire, également suggérée dans la proposition de loi de Roland Courteau, a été apportée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Elle concerne le suivi socio-judicaire des auteurs de violences familiales élargi par l’article 222-48-1 du code pénal pour permettre au juge d’obliger à s’y soumettre non seulement le conjoint ou le concubin de la victime, ou le partenaire lié – lié ou non ; le médiateur vient de nous inciter à réfléchir sur le sujet – à celle-ci par un pacte civil de solidarité, mais aussi l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un PACS ainsi que, lorsque l’agression concerne un mineur de quinze ans, l’ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou toute autre personne ayant autorité sur la victime.

Corrélativement, il semble bien qu’aujourd’hui tous les magistrats – certains savaient déjà faire face à ces problématiques, mais avec un dispositif différent – aient trouvé dans ce texte des outils préventifs et répressifs.

Faut-il aller plus loin dans le perfectionnement du code pénal ? Le Gouvernement estime-t-il pertinent aujourd’hui, notamment sur la base de la pratique judiciaire qui a suivi l’adoption de cette loi, d’introduire une incrimination spécifique des violences habituelles, physiques ou psychologiques au sein du couple ? C’est la question de principe que nous vous posons, madame la secrétaire d’État. Il y a eu un long débat sur cette question !

Voilà trois ans, cette incrimination que nous préconisions dans notre proposition de loi avait suscité des objections. Ainsi, dans le rapport n° 228 de M. Henri de Richemont, établi au nom de la commission des lois, à laquelle j’appartenais à l’époque, il est précisé que « les violences au sein du couple apparaissent presque toujours comme des violences habituelles. », ou encore que cette incrimination risquait de soulever de réelles difficultés, en particulier quant aux « imputations de causalité », entre le fait générateur et le préjudice.

Les esprits ont-ils évolué sur ce point ? Je rappelle qu’un tel dispositif existe en Espagne. En France, la notion de violences habituelles figure d’ores et déjà dans le code pénal pour protéger les mineurs de quinze ans, sans que ce texte ait suscité, semble-t-il, des difficultés d’application insurmontables.

L’essentiel est de rappeler ici que certaines agressions légères et isolées sont difficilement punissables. Accepterons-nous de reconnaître et d’inscrire dans la loi que leur répétition peut, à la longue, rendre la vie de couple insupportable ?

Le Gouvernement peut-il nous faire part des réflexions du groupe de travail interministériel qui, si nous nous référons aux travaux actuels de l’Assemblée nationale, semble avoir été constitué sur ce thème le 2 juillet 2008 ?

J’en viens à des aspects plus pragmatiques, mais qui ont tout autant d’importance à nos yeux, sinon plus.

S’agissant tout d’abord de la mesure des phénomènes, madame la secrétaire d'État, n’ayons pas peur pour l’instant des chiffres qui explosent. L’effort de dénombrement des violences familiales est naturellement le bienvenu. Toutefois, pour nous, élus de terrain, je signale que l’embarras de l’Observatoire national de la délinquance pour interpréter la croissance verticale des violences faites aux femmes en 2007 – 47 500, soit 30 % de plus qu’en 2004 – a une dimension quelque peu irréelle.

En effet, à de très nombreuses reprises, la délégation a relayé les témoignages relatifs à la difficulté de faire enregistrer une plainte par la gendarmerie ou la police. Soyons réalistes ! Ce sont non pas les violences familiales qui ont augmenté de 30 %, du moins je l’espère, mais les faits enregistrés par la police ou la gendarmerie.