M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et porte sur la concrétisation des garanties données aux instituts universitaires de technologie, IUT, quant à leurs moyens de fonctionnement.
Lorsque nous avons réfléchi à la révision du mode de calcul des dotations budgétaires attribuées par l’État aux universités, nous avons voulu afficher l’ambition d’aboutir à une plus grande équité et à une efficacité accrue de l’utilisation des moyens.
Dans notre rapport, que nous avons rendu en juin dernier au nom de la commission des finances et de la commission des affaires culturelles, avec Jean-Léonce Dupont, nous avons préconisé une enveloppe financière globale allouée par l’université à ses IUT afin de leur permettre de mettre en œuvre leurs projets.
Madame la ministre, je sais l’action déterminante qui est la vôtre pour prendre en compte nos recommandations, mais j’aimerais connaître l’état d’avancement des garanties promises par le Gouvernement.
Je pense, par exemple, au pourcentage des modes de financement reposant sur la performance, et notamment l’insertion professionnelle. Je songe également à la prise en compte du coût plus élevé de la formation dans les IUT.
Je vous remercie de nous apporter des réponses susceptibles de conforter les directeurs d’IUT et les étudiants, et ainsi de les rassurer sur la pérennité du financement de ces établissements qui, je le rappelle, jouent un rôle majeur dans notre système d’enseignement compte tenu de leur succès en matière de professionnalisation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Adnot, les instituts universitaires de technologie sont l’un des piliers de notre système d’enseignement supérieur et l’une des filières de réussite. Dispensant une formation de qualité et de proximité, ils participent à la dynamique de chacun de nos territoires et ont des résultats impressionnants en matière d’insertion professionnelle.
Cette réussite doit être préservée. Cela signifie que les universités autonomes doivent tenir compte des spécificités des IUT. C’est pourquoi j’ai souhaité que les présidents d’université et les directeurs d’IUT signent une charte pour mettre en œuvre leurs bonnes relations futures. Pour donner toute sa force à cette charte, je vais lui conférer une valeur réglementaire. Elle sera adressée dès demain à tous les présidents d’université et directeurs d’IUT.
Il faut que les IUT aient les moyens, financiers et humains, de s’épanouir dans le cadre des universités autonomes ; ils les auront ! Un contrat d’objectifs et de moyens va être négocié entre le président de l’université et le directeur de l’IUT, et il sera transmis en juin prochain à mon ministère. D’ores et déjà, tous les présidents d’université se sont engagés pour 2009, mais aussi pour 2010, à maintenir a minima les moyens actuels de chacun de leurs IUT. Quant à l’État, vous le savez, monsieur Hérisson, il a accordé 5 millions d’euros de crédits supplémentaires aux IUT cette année, pour améliorer l’accueil des bacheliers technologiques et faire fonctionner l’ascenseur social. Ces 5 millions d’euros seront reconduits en 2009.
Par ailleurs, dans le cadre du plan de relance, j’ai le plaisir de vous annoncer que 10 millions d’euros seront spécifiquement affectés à l’équipement des IUT.
Enfin, les IUT seront associés à la réflexion sur le modèle d’allocation des moyens que vous avez mentionné.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette question tombe vraiment à pic !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cher Philippe Adnot, les IUT comptent pour vous. Sachez qu’ils comptent aussi pour nous ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. le président. Nous en avons fini avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Communication du Médiateur de la République
M. le président. L’ordre du jour appelle la communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Médiateur de la République dans l’hémicycle.
(M. le Médiateur de la République est introduit avec le cérémonial d’usage.)
Monsieur le Médiateur de la République, cher Jean-Paul Delevoye, je vous souhaite, au nom du Sénat tout entier, mais aussi pour la première fois en mon nom personnel, une cordiale bienvenue dans notre hémicycle où vous venez présenter aujourd’hui votre rapport annuel, que vous m’avez remis il y a quelques instants.
Vous exercez la mission difficile et pourtant essentielle à notre République consistant à faciliter, par votre action, les relations des citoyens avec l’administration, et à rechercher des solutions concrètes aux difficultés et aux incompréhensions du quotidien.
Il est symbolique de constater que vous venez déposer votre rapport au cours de la première semaine qui, en application des nouvelles règles constitutionnelles entrées en vigueur le 1er mars, est consacrée dans son intégralité au contrôle de l’action du Gouvernement.
Vos observations, la relation directe que vous entretenez tant avec les autorités administratives qu’avec nos concitoyens, sans oublier celle que vous avez avec le Sénat et moi-même – je pense au long échange que nous avons eu la semaine passée –, constituent une évaluation in vivo – c’est le vétérinaire que je suis qui parle (Sourires) – des conditions d’application de nos lois.
Vous contribuez donc à faire progresser la réflexion du Sénat sur cette question. Vous avez déjà pu le constater : les expériences vécues relatées dans votre rapport nous servent ainsi régulièrement, dans notre fonction de parlementaires, à contribuer par nos initiatives à l’amélioration de la loi et à l’effectivité de sa mise en œuvre, qui est un point important.
Aussi, c’est avec une grande attention que nous allons maintenant vous écouter, avant de passer la parole à M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Vous avez la parole, monsieur le Médiateur de la République. (Applaudissements.)
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Monsieur le président, je vous remercie de la qualité de votre accueil. Je tiens à dire que j’apprécie la richesse de nos relations, qui sont empreintes d’une constante volonté de tenir compte de la réalité de l’application des textes et de la situation de nos concitoyens.
Je remercie également le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest. Nos services respectifs collaborent en effet de manière très efficace en vue d’aboutir à des réformes législatives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’en venir à la teneur du rapport de la Médiature de la République.
Je rappelle que les trois grands domaines de compétence du Médiateur sont les services publics, les droits de l’homme et les réformes.
Pour agir, nos moyens sont restés identiques : nous disposons de 100 collaborateurs à Paris, mais il est à noter que, depuis le 1er janvier 2009, nous avons créé une plateforme téléphonique pour le pôle santé-sécurité-soins, dont j’aurai l’occasion de vous reparler ; nous disposons également de 386 points d’accueil, dont plus de la moitié sont situés en zones urbaines sensibles ; nous avons en outre un délégué référent auprès de chaque maison départementale des personnes handicapées ; enfin, 45 délégués tiennent une permanence en milieu carcéral.
Nous avons voulu faire un effort pour améliorer l’accueil à la Médiature. Tout d’abord, nous nous sommes appliqués à ce que le nombre d’appels téléphoniques perdus passe de 25 % à 5 %. Ensuite, pour la première fois dans une e-administration française, un e-Médiateur a été mis en place. Ainsi, nous pouvons être contactés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pour les deux premiers mois, nous avons recensé 1 000 utilisateurs. Ce qu’il est intéressant de constater, ce sont les thèmes les plus consultés. Il s’agit, par ordre décroissant, du surendettement, du pôle santé, des impôts, des amendes et infractions routières ainsi que des problèmes entre locataires et propriétaires.
Parmi les 65 000 dossiers que nous avons traités, – il est important de le noter – plus de la moitié ne sont pas des réclamations, mais des demandes d’information. Si en cas d’incendie ou de vol, on sait qu’il faut s’adresser aux pompiers ou aux gendarmes, en revanche, quand on a un souci à caractère personnel, on ignore où trouver la bonne information pour faire valoir ses droits. Les personnes confrontées à des difficultés juridiques sont d’ailleurs de plus en plus isolées, ce qui conduit à des injustices et à des inégalités. Il nous faut donc réfléchir au développement des centres d’accès au droit.
Je tiens à le souligner, grâce à la mobilisation du personnel de la Médiature, à effectifs constants, 20 % de dossiers de plus ont été traités. Les délais de réponse et d’instruction ont en effet été réduits. Mais aujourd’hui, le contexte malheureusement s’y prête, plus de 34 % des dossiers relèvent de difficultés sociales.
Nous avons axé le développement dans plusieurs directions.
Je voudrais, messieurs les présidents de commission, mesdames et messieurs les sénateurs, saluer votre travail sur le projet de loi pénitentiaire.
Compte tenu de nos liens avec le commissaire européen aux droits de l’homme et avec la Cour de justice des Communautés européennes, je sais à quel point le travail parlementaire du Sénat a été suivi à l’échelon européen et à l’échelon international.
Nous avons, dans le souci de l’accès aux droits, développé la présence des délégués du Médiateur au sein des prisons, partant du principe que la privation de la liberté n’est pas la privation de l’accès aux droits. D’ici à 2010, la totalité de la population carcérale pourra être en contact avec le délégué du Médiateur. Nous avons par ailleurs noué un partenariat avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Depuis le 1er janvier 2009, nous avons créé un pôle « santé-sécurité-soins », la Mission pour le développement de la médiation, de l’information et du dialogue pour la sécurité des soins, la MIDISS, qui dépendait de la Haute Autorité de santé, ayant rejoint la Médiature.
Il s’agit d’une plateforme téléphonique destinée à celles et ceux qui rencontrent des difficultés dans leur parcours de santé avec le milieu hospitalier, mais aussi avec la médecine libérale.
Ce pôle dispose d’un réseau de médecins et d’experts dans quatre domaines de compétences – le respect des droits du malade, la qualité du système de santé, la sécurité des soins, l’accès aux soins –, avec la totale confiance de l’ensemble des acteurs.
Quand cette mission était au sein de la Haute Autorité de santé, elle recevait cent cinquante appels téléphoniques par mois, 50 % concernant les infections nosocomiales. Depuis le 1er janvier, au sein de la Médiature, elle a reçu cinq cents appels, 25 % concernant les infections nosocomiales, 15 % émanant des professionnels de santé eux-mêmes.
Il convient de souligner que 47 % des appels sont des demandes d’information. Que se passe-t-il ? Dans 90 % des conflits entre les acteurs de la santé et les patients, ceux-ci n’ont pas du tout l’intention de saisir la justice : ils ont simplement besoin d’un dialogue pour apaiser leur douleur ou leur inquiétude.
Je voudrais attirer l’attention de la Haute Assemblée, et particulièrement celle de la commission des affaires sociales, sur un point. Dans le milieu hospitalier comme dans d’autres, l’administration donne la priorité à la protection du système plutôt qu’à son adaptation à la protection de l’individu. Aujourd’hui, la culture du signalement est sanctionnée. Comme le non-signalement est récompensé, on a naturellement tendance à privilégier sa carrière, le confort de la hiérarchie plutôt que l’adaptation du système.
Il existe cinq types de signalement dans le monde hospitalier. Avec une charge administrative incroyable, comment distinguer l’événement potentiellement dangereux de l’événement indésirable grave – EIG –, qui n’est adressé ni au même organisme, ni selon les mêmes procédures, celui qui signale se faisant parfois sanctionner. Nous devrons réfléchir à la simplification des signalements, afin de disposer d’une juste appréciation de la réalité.
Près de 450 000 événements indésirables graves provoquant une altération de la santé, une prolongation de l’hospitalisation, voire le décès surviennent chaque année dans le monde hospitalier ; 85 % d’entre eux sont dus à des erreurs de procédure et 15 % à des erreurs médicales. Cependant, l’observatoire des signalements peut être contesté dans la mesure où cette étude date de 2005. En effet, on ne peut pas aborder un problème de façon apaisée si on ne dispose pas de données fidèles à la réalité.
Le pôle « santé-sécurité-soins », par son indépendance, par son absence de corporatisme – nous ne sommes ni procureurs ni avocats – devrait faciliter l’instauration d’un partenariat avec les professionnels, afin d’améliorer la gestion et la prévention des risques par l’analyse des erreurs. Nous répondrons ainsi à l’attente des victimes, qui ne cherchent pas à condamner le médecin, mais qui veulent savoir ce qui s’est passé et éviter que cela ne se reproduise.
Monsieur le président de la commission des lois, je me permets de souligner que je vous présente aujourd'hui l’avant-dernier rapport annuel du Médiateur de la République. Les projets de lois organiques dont vous allez débattre prévoient en effet la création d’un Défenseur des droits. Nous souhaiterions pouvoir étudier avec vous les modalités de saisine et le périmètre d’action de cette nouvelle autorité, ces questions relevant de la décision politique. Mais il conviendra aussi de réfléchir à la nature des pouvoirs qui lui seront confiés, notamment en matière de recommandation en équité.
Nous avons aujourd’hui un débat avec l’administration fiscale sur une profession libérale qui avait suivi à la lettre une instruction fiscale applicable à une profession non assujettie à la TVA. Cette profession libérale, assujettie depuis un an, sur instruction de l’administration fiscale, à la TVA, s’est vu réclamer, à la suite d’un contrôle, la TVA sur les quatre années précédentes. Le représentant de l’administration fiscale m’a fait la réponse suivante : Monsieur le Médiateur, vous avez moralement raison, mais juridiquement tort ; la loi m’interdit de remettre des pénalités sur des contributions indirectes car le redevable est considéré non pas comme un contribuable mais comme un collecteur d’impôt.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est exact !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Dès les premiers débats sur la démocratie entre Platon et Aristote, Platon soulevait l’imperfection de la loi quand Aristote plaidait pour le pouvoir du juge. En 1973, dans cette assemblée, le législateur a très clairement indiqué que la stricte application d’une loi par une administration pouvait aboutir à des situations injustes…
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. …car le législateur ne peut prévoir toutes les situations. La création du Médiateur devait permettre de juger en équité et non en droit. Il serait intéressant d’envisager aujourd'hui la possibilité d’une décharge de responsabilité d’un fonctionnaire qui s’appuierait sur une recommandation en équité. En effet, beaucoup de hauts fonctionnaires me disent : vous avez raison, faites-moi une recommandation en équité suffisamment forte afin que je puisse justifier telle décision aux yeux de ma hiérarchie ou de la Cour de discipline budgétaire et financière.
Ce débat touche également à la protection des fonds publics, car l’administration a parfois intérêt à être condamnée pour justifier les dépenses auprès de Bercy plutôt que de suivre une recommandation qui épargnerait l’argent public. Un débat législatif sur la recommandation en équité et ses limites me paraît donc nécessaire.
Il faudra également réfléchir à l’accès aux documents. Trop souvent, lorsque l’administration risque d’être mise en cause, le dossier ou certains documents disparaissent. C’est le cas, notamment, pour les dossiers médicaux,…
M. Daniel Raoul. C’est classique !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. …les pièces n’étant pas codifiées.
Si nous voulons restaurer la confiance entre l’administration et les administrés, il faut avoir le courage de la vérité. L’équilibre de notre société est aujourd’hui très fragile. Quand on ne croit plus à la force du droit, on revendique le droit à la force. En l’absence de dialogue, la violence l’emporte. Nous devons y être extrêmement attentifs.
Il en est de même pour l’inspection et l’injonction, voire pour la saisine du Conseil d’État. Les administrations se plaignent souvent que la lecture d’une circulaire ou d’un décret varie d’un département à l’autre, et la décision du Conseil d’État se fait attendre deux ou trois ans.
Nous avons souhaité vous livrer les impressions ressenties par nos services.
Le service « agents publics » souligne le sentiment de précarité dans la fonction publique ; le service fiscal, la complexité et l’insécurité juridique. Le service « affaires générales et urbanisme » évoque une réglementation de plus en plus compliquée, conjuguée parfois à une absence de conseil auprès des élus locaux. Ceux-ci, qui ne disposent pas d’une école de formation, ont tendance à s’adresser à des experts, lesquels ne sont pas toujours à la hauteur, ce qui génère des conflits d’urbanisme d’une extrême complexité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Sur le plan social, les textes ne tiennent pas compte de la mobilité croissante et des fractures de parcours. La mobilité européenne, qui s’accroît, est de plus en plus souvent confrontée à des difficultés de coordination entre les législations. En cas de nouvel emploi, le passage d’une convention collective à une autre n’est pas harmonisé. Le suivi des dossiers se fait difficilement en cas de rupture de couple et de changement de département.
Aujourd’hui, nous sommes particulièrement vigilants devant la situation que connaissent Pôle emploi et les caisses d’allocations familiales. En effet, la réorganisation des services liés à l’emploi et aux allocations familiales coïncide avec l’accroissement du nombre de demandeurs d’emploi. Il ne faut pas que ces services ajoutent une rupture à une rupture : bien souvent, les personnes qui perdent leur emploi et donc leur salaire ne peuvent pas se permettre d’attendre deux ou trois semaines le versement des indemnités auxquelles elles ont droit. Une perte de revenu de 150, 200 ou 300 euros crée de sérieuses difficultés.
Soyons attentifs à ce que les amortisseurs sociaux dont la France dispose par rapport à d’autres pays pour affronter la crise ne soient pas paralysés par des dysfonctionnements administratifs provoquant des ruptures de revenus, au risque d’entrer dans la spirale de l’endettement.
Dans le domaine de la santé, nous souhaitons que l’on passe d’une culture de la faute à une culture de l’erreur. La faute est inexcusable et condamnable, alors que l’erreur doit être expliquée, éventuellement comprise, à condition d’en tirer profit pour changer les procédures.
Je voudrais insister sur le droit à la bonne administration, qui est inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Aujourd’hui, trop d’administrations créent une insécurité juridique par leurs délais de réponse, voire par leur absence de réponse. Les préjudices sont considérables et les possibilités de recours sont insuffisamment indiquées.
La question du « malendettement » sera reprise par les textes que préparent Mme Lagarde et M. Hirsch. Nous remercions le Parlement et le Gouvernement d’avoir accepté que nous soyons saisis de ce sujet.
La totalité des décideurs, qu’ils soient politiques, chefs d’entreprise, médecins, vont devoir prendre des décisions dans des domaines dans lesquels ils seront de moins en moins compétents. La qualité de leurs décisions dépendra donc de la qualité des experts sur lesquels ils s’appuieront.
Or les magistrats n’ont pas aujourd'hui à leur disposition les experts judiciaires médicaux dont ils auraient besoin. Nous devons réfléchir à la qualification d’expert judiciaire, notamment dans le domaine de la santé, qui ne doit pas être uniquement un titre, mais la sanction d’une compétence permettant au magistrat de prendre une bonne décision.
J’ai en mémoire le cas d’un obstétricien qui avait tout perdu – son travail, son honneur, sa femme – à la suite du rapport de deux experts qui l’avaient condamné dans sa pratique. Il a été réhabilité quinze ans après par une expertise reconnue par tous.
La question de l’expertise dans les décisions est donc extrêmement sensible ; j’y reviendrai tout à l’heure. Je souhaite également que vous puissiez avoir un regard distancié sur le principe de précaution. Au nom de ce principe, en effet, on favorise aujourd'hui la non-décision ou la contestation de la décision publique.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Nous devons aussi nous interroger sur la médiation familiale judiciaire. Les ruptures de couples sont très nombreuses. Le Médiateur souhaite qu’il puisse y avoir une médiation familiale dans les tribunaux de grande instance. Il faudrait sensibiliser les magistrats, les greffiers et les avocats sur sa pertinence, en donnant au juge aux affaires familiales le pouvoir de rétablir le dialogue par la médiation. Les enfants sont trop souvent confrontés à une double souffrance : la séparation, puis le déchirement des parents. Les expériences québécoises montrent tout le bénéfice de cette médiation.
Nous voulons souligner quelques situations inéquitables, mesdames et messieurs les parlementaires.
Le Médiateur n’est pas un décideur politique ; je n’ai pas à me prononcer sur le PACS – le Pacte civil de solidarité –, mais c’est une réalité prévue par la loi. En 2008, ont été signés quelque 145 000 PACS, soit une augmentation de 42 % par rapport à l’année précédente, par des couples qui étaient, pour 85 % d’entre eux, hétérosexuels.
Il est important que ces personnes aient choisi une communauté juridique et non une simple communauté affective. En effet, à côté du seul mariage, nous risquions de voir de plus en plus de personnes cohabiter parce qu’elles s’aiment puis se séparer quand elles ne s’aiment plus, ce qui aurait posé le problème de la disparition des pensions de réversion dans trente-cinq ou quarante ans.
Je voudrais souligner que, lorsqu’ils signent un PACS, les fonctionnaires ont droit à quatre jours de congé, alors que les salariés du privé n’ont droit à aucun congé. Les salariés du privé et les fonctionnaires territoriaux peuvent, quant à eux, bénéficier du capital décès de leur partenaire pacsé, mais pas les fonctionnaires d’État. C’est incompréhensible !
De même, pourquoi les pacsés n’ont-ils pas droit aux pensions de réversion, alors qu’il s’agit bien d’une communauté juridique ? Il faudrait donc envisager une évolution sur ce point, éventuellement en instituant une franchise de deux ans.
J’en viens à présent au problème des retraites. Je souhaite notamment dénoncer une iniquité. Aujourd'hui, dans le régime général, le calcul s’effectue à partir des vingt-cinq meilleures années. Mais il s’agit des vingt-cinq meilleures années « civiles ». En d’autres termes, si un salarié prend sa retraite au 31 décembre, il n’y a aucune difficulté. Mais s’il la prend au 1er septembre, il perd le bénéfice des cotisations versées du 1er janvier au 31 août, puisque le calcul s’arrête au 31 décembre de l’année précédente. Je pense que vous pourriez éventuellement mener une réflexion sur cette question, mesdames, messieurs les sénateurs.
En tant qu’ancien ministre de la fonction publique, je fais mon mea culpa : je me suis battu en faveur d’une majoration de la durée d’assurance pour les femmes élevant seules leurs enfants, mais j’ai totalement oublié que des hommes pouvaient également élever seuls leurs enfants.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Or pourquoi un père ayant élevé seul ses enfants ne pourrait-il pas avoir droit aux mêmes avantages qu’une femme dans une situation identique ? Nous devrions donc réfléchir sur ce sujet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La demi-part pour les parents isolés a été supprimée !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. J’aimerais également aborder les réformes que vous avez engagées, mesdames, messieurs les sénateurs. Certaines sont très importantes. D’autres sont perçues, à tort, comme plus anecdotiques.
Vous avez décidé l’exonération de la redevance audiovisuelle des téléviseurs loués par les personnes détenues. Autrefois, parmi les détenus, ceux qui avaient de l’argent pouvaient acheter un poste de télévision et étaient dispensés de redevance, tandis que les autres étaient contraints de louer un téléviseur et d’acquitter la redevance. Vous avez supprimé cette disparité, qui créait des tensions très fortes dans les prisons.
J’attire également votre attention sur quelques éléments complémentaires.
Aujourd'hui, le Gouvernement se réjouit, non sans raison, de la montée en puissance du statut d’auto-entrepreneur. Mais peut-être faudrait-il instituer quelques garanties. Prenons le cas d’un chômeur, actuellement couvert par un régime de protection sociale, qui deviendrait auto-entrepreneur. S’il dépose son bilan au bout de deux ans, il perd le bénéfice de son régime de protection salariale. Sans doute serait-il intéressant d’envisager une forme de « parachute » d’une durée un peu supérieure.
Je sais que vous suivez avec attention la mise en œuvre des lois qui sont votées, notamment la publication des décrets d’application.
Pour ma part, je salue l’engagement de M. le président du Sénat et de M. le président de la commission des lois en faveur du texte relatif aux tutelles et aux curatelles. Mais je constate avec irritation qu’aucune instruction n’a été donnée aux tribunaux. Dès lors, ceux-ci n’ont pas mené le travail de séparation entre les personnes fragiles psychologiquement, d’une part, et les personnes fragiles socialement, d’autre part. En outre, certains conseils généraux n’ont pas non plus préparé l’accompagnement social.
La loi qui a été votée prévoyait un délai d’adaptation de deux ans. À l’issue de ce délai, que constatons-nous ? Certains présidents de tribunal ou de conseil général se sont mobilisés pour favoriser la mise en œuvre du nouveau dispositif, d’autres n’ont rien fait. La situation est donc totalement inique.
Vous avez adopté une loi sur les contrats d’assurance vie en déshérence. Aux termes de ce texte, un rapport indiquant la part des contrats concernés, les bénéficiaires recherchés et le montant des sommes versées au Fonds de réserve des retraites devait être remis au Gouvernement au 1er janvier 2009. À ce jour, il ne l’a toujours pas été. Où est-il donc ?
Je mentionnerai également les hospitalisations psychiatriques, notamment l’évaluation concernant les droits des malades. Sur ce thème, je vous renvoie au discours du Président de la République.
La collaboration entre les médecins du travail et les médecins-conseils fait trop souvent l’objet d’une rupture par conflit de droits. Prenons le cas d’une personne en arrêt maladie chez qui on décèlerait un handicap. Elle n’est alors plus considérée comme malade et perd le bénéfice de ses indemnités. Compte tenu de son handicap, elle ne peut pas reprendre son activité professionnelle dans les mêmes conditions qu’auparavant. Elle n’est donc ni malade ni salariée, et il y a un conflit de droits entre le médecin du travail et le médecin-conseil. Le Parlement devrait, me semble-t-il, se saisir de cette question.
Les prestations familiales au titre d’enfants séjournant régulièrement en France sont attribuées de plein droit. La loi a été votée et elle est claire. Mais je vous invite à examiner ses conditions d’applications, qui varient selon les caisses d'allocations familiales.
Dans un courrier relatif aux victimes des essais nucléaires, le ministre de la défense a indiqué être favorable à une liste unique ou, plus précisément, à une prise en charge de l’indemnisation par le ministère de la défense plutôt qu’à la création d’un fonds spécifique. Il s’agit d’un véritable débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite également attirer votre attention sur les conséquences de l’absence de décision politique sur quelques sujets douloureux.
Je vous avais alertés sur la situation des enfants nés sans vie. Je vous en rappelle le contexte. L’Organisation mondiale de la santé avait fixé deux critères pour définir la notion de « viabilité » : une durée d’aménorrhée de vingt-deux semaines et un poids du fœtus de cinq cents grammes. La Cour de cassation a estimé, non sans raison, que cette définition n’avait pas de valeur juridique. Aujourd'hui, le sujet divise la classe politique. Les uns jugent nécessaire de donner une valeur juridique à une telle définition, arguant que la notion de viabilité figure déjà dans quatre codes. Les autres craignent que cela ne relance le débat sur le statut du fœtus, donc sur l’avortement.
Qu’en est-il concrètement aujourd'hui, compte tenu de l’absence de décision politique ?
Dans le monde hospitalier, notamment dans les maternités, la suppression des seuils de viabilité jusqu’alors retenus par référence à une circulaire de la Direction générale de la santé du 22 juillet pose un véritable problème. En effet, l’absence de seuil conduit à faire de la fin de la période considérée comme « fausse couche précoce » le démarrage ou la fin de la viabilité. En d’autres termes, en l’absence de décision politique, la pratique hospitalière a fixé la notion de viabilité à quinze semaines d’aménorrhée. Et on laisse les services municipaux de l’état civil dans la même indécision : s’ils sont sollicités pour délivrer un acte d’état civil, ils pourront opposer un refus…
En outre, les instructions ministérielles ayant accompagné la mise en œuvre de telles dispositions visent à faire de la déclaration à l’état civil une responsabilité parentale. Par conséquent, les enfants décédés en toute fin de grossesse pourront ne faire l’objet d’aucune déclaration en mairie, faute d’initiative parentale. Alors que toutes les grossesses précocement arrêtées étaient systématiquement déclarées, un certain nombre d’entre elles ne le sont plus aujourd'hui.
De plus, les droits sociaux sont hétérogènes selon la nature des enfants.
Une telle absence de décision politique m’amène à vous poser une question simple : envisagez-vous de supprimer la notion de viabilité dans tous les codes ? Je vous le rappelle, au-delà de vingt-deux semaines, la fin de la grossesse est un congé maternité ; en deçà, c’est un congé maladie. Et le droit pour le mari d’avoir un congé de quatre jours vient d’une décision du Premier ministre fondée sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé que j’ai évoquée tout à l’heure.