M. David Assouline. Ah !
M. Jean-Léonce Dupont. Même si les postes d’enseignants-chercheurs n’étaient pas visés, il est vrai que le signal n’était ni positif, ni cohérent. Le Président de la République ayant clairement affiché le caractère prioritaire de l’enseignement supérieur et de la recherche, et dans la mesure où il s’agit d’un enjeu considérable pour la Nation, il ne me paraît pas raisonnable d’appliquer à ces secteurs les règles, même atténuées, de la révision générale des politiques publiques. Application mathématique des règles et simple bon sens ne font pas toujours bon ménage… Comme vous avez dû souffrir, madame la ministre, de devoir assumer de telles contradictions !
C’est pourquoi je me réjouis que le Gouvernement soit revenu sur cette suppression de postes au sein des universités. Celles-ci ne doivent pas pour autant se dispenser de conduire une vraie réflexion sur la mise en adéquation de leurs moyens à l’évolution de leurs besoins, afin d’utiliser au mieux les deniers publics… Elles doivent notamment, y compris en ventilant différemment leurs crédits, renforcer les moyens humains consacrés au tutorat, à l’orientation et à l’insertion professionnelle ainsi que ceux alloués à la gestion, qu’il s’agisse de la gestion financière ou de la gestion des ressources humaines, des systèmes d’information ou du patrimoine immobilier.
J’ajoute que certaines déclarations, ici ou là, ont inutilement choqué les enseignants-chercheurs et les chercheurs, dans la mesure où elles leur sont apparues traduire un insuffisant respect de leurs missions et de leurs compétences.
M. David Assouline. Vous parlez des déclarations du Président de la République ?
M. Jean-Léonce Dupont. Ces déclarations maladroites et injustes ont navré la communauté universitaire, dont les membres sont, pour l’essentiel, très investis dans leurs missions.
Oserai-je dire que je ne crois pas à l’utilité et à l’efficacité de propos vexatoires, quels qu’ils soient ?
Toutes ces raisons peuvent expliquer la cristallisation des oppositions suscitées par les projets de réformes, pour des raisons diverses, parfois justifiées, parfois moins et, parfois aussi, contradictoires. Cette situation a entraîné certaines dérives, souvent encouragées par l’extrême gauche, qui a soufflé sur les braises pour chercher à enterrer la loi LRU.
Or cette loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités est une absolue nécessité pour notre système d’enseignement supérieur et sa reconnaissance internationale, pour la valorisation et l’efficacité du travail de la communauté universitaire, et pour l’avenir des étudiants français.
Ceux-là mêmes qui descendent dans la rue réclament à cor et à cri une formation et des diplômes les préparant à une bonne insertion professionnelle. Il s’agit là d’un objectif majeur de la loi LRU. Le fait qu’elle soit caricaturée par une minorité, qui cache souvent son conservatisme et son corporatisme derrière de mauvais arguments, n’y changera rien.
Mais il est vrai que cette loi a emporté certaines conséquences regrettables, que le Sénat avait pourtant anticipées. Je pense notamment au mode d’élection du président de l’université, assorti d’une prime majoritaire à la liste gagnante. Ce mode de scrutin a abouti parfois à des paradoxes en cas d’opposition frontale entre deux listes d’enseignants-chercheurs majoritaires chacune dans un collège ; dans ce cas, les personnels et les étudiants ont disposé d’un pouvoir d’arbitrage exorbitant, qui les a d’ailleurs eux-mêmes parfois surpris.
Ce mode de scrutin n’a pas toujours non plus permis de faire émerger des équipes dirigeantes prêtes à affronter l’avenir sans regarder dans le rétroviseur. Or l’un des objectifs de la loi LRU est de donner les moyens au président et à son équipe d’avoir un projet pour leur établissement et de le mettre en œuvre.
Le comité de suivi de l’application de la loi, dont je suis membre, a d’ailleurs insisté dans son rapport annuel sur cette nécessité pour les établissements de se doter d’un véritable projet qui prenne en compte l’environnement de l’université.
Je m’arrête un instant sur ce point, madame la ministre, car il me semble révélateur de ce que nous, les sénateurs, pouvons apporter à notre pays.
J’ai été le rapporteur de cette loi, et j’ai le devoir de rappeler que j’avais anticipé les difficultés d’application dont on souffre aujourd’hui. Rappelez-vous à quel point j’avais dû me battre pour faire prévaloir certains points de vue, pourtant de bon sens ! Certaines de mes propositions ont été adoptées par notre assemblée ; certaines n’ont pas été retenues par la commission mixte paritaire. Je ne parle même pas de propositions évoquées très en amont, mais malheureusement vite écartées, telle la création d’un « Sénat » académique, comme on en trouve dans de nombreux pays étrangers.
A posteriori, je constate que les préoccupations sénatoriales étaient justifiées ; d’aucuns le reconnaissent d’ailleurs aujourd’hui.
Je souhaite que l’on puisse en tirer des conséquences pour l’avenir et que le Gouvernement prenne davantage acte du fait que le Sénat incarne souvent la sagesse, dans le bon sens du terme.
Cela signifie aussi que, lorsque nous demandons qu’un temps suffisant soit consacré à la préparation ou à la mise en œuvre d’une réforme, il ne s’agit ni d’un effet de manches ni d’un caprice. C’est simplement le constat d’une nécessité. Tel a été récemment le cas lorsque le Sénat a voté le report d’un an de l’application de la réforme de la première année des études médicales. On peut être très favorable à une réforme et souhaiter donner le temps nécessaire à sa pleine réussite.
La question pourrait aussi se poser pour la « mastérisation » de la formation des futurs enseignants. L’enjeu de cette réforme est essentiel. Je rappelle que la loi LRU a permis d’intégrer les IUFM aux universités, afin de mieux préparer les futurs enseignants à leur métier et de valoriser celui-ci. Le projet de « mastérisation » de la formation des futurs enseignants a cette ambition. Toutefois, les modalités initialement envisagées posaient question. En particulier, la suppression de l’année de stage paraissait aller à l’encontre de l’objectif d’une meilleure préparation pratique des futurs enseignants à la réalité concrète de leur métier. Il ne faudrait pas que les évolutions proposées soient inspirées par les seules contraintes budgétaires.
Sur ce point, les précisions que vous avez apportées ces derniers jours devraient calmer bon nombre d’inquiétudes.
Les délais de mise en œuvre de la réforme paraissaient également peu réalistes. Là aussi, la progressivité de la réforme va dans le bon sens ainsi que la souplesse qu’elle permet en fonction du degré de préparation des établissements. De nombreux étudiants continuent cependant à s’inquiéter de la période transitoire. Certes, il y aura toujours une période transitoire. Il n’en reste pas moins que des clarifications doivent encore être apportées et qu’il faudra s’assurer de la pertinence des parcours et de l’articulation des concours avec les formations en mastère.
Autre sujet auquel j’attache beaucoup d’importance : la réforme de l’allocation des moyens aux universités. Elle était nécessaire. Au printemps 2008, les commissions des finances et des affaires culturelles du Sénat ont présenté des propositions visant à mettre en œuvre un nouveau dispositif, que nous avons appelé SYMPA, acronyme de « système de répartition des moyens à l’activité et à la performance ». Mais nous nous interrogeons sur ses modalités concrètes d’application. C’est pourquoi Philippe Adnot et moi-même allons engager une mission de contrôle sur ce point dans les semaines à venir.
À cet égard, je vous demande, madame la ministre, de mesurer précisément les conséquences de la répartition des crédits pour 2009. Ne favoriserait-elle pas les universités monodisciplinaires proposant un nombre important de mastères, au détriment des universités pluridisciplinaires accueillant de nombreux étudiants en licence, alors même qu’une priorité est utilement donnée dans le cadre du plan licence ?
Par ailleurs, la mise en œuvre de l’autonomie au sein des établissements concernés suscite des inquiétudes quant à la répartition des moyens entre les différentes composantes des universités. Les écoles internes d’ingénieurs, et surtout les IUT, craignent une diminution de leurs moyens.
Je crois que vous avez su les rassurer sur ce point, madame la ministre, au moins pour les années 2009 et 2010. L’équivalence établie entre travaux pratiques et travaux dirigés constitue une avancée ; pouvez-vous nous confirmer que ses conséquences financières seront prises en compte ?
Il me semble également très important que la charte de bonne conduite soit publiée sous forme de circulaire. Il s’agit là d’une condition préliminaire indispensable pour clarifier, dans la durée, les relations entre les universités et les IUT. Cela passe par un renforcement du dialogue budgétaire au sein des établissements.
Il convient de trouver une solution intelligente entre, d’une part, ce qui ne peut plus être un fléchage et, d’autre part, un traitement inadéquat qui consisterait à déshabiller Paul pour habiller Jacques. C’est essentiel, car il ne faudrait pas que les formations professionnalisantes performantes, dont les diplômés bénéficient d’un bon taux d’insertion professionnelle, fassent les frais d’un éventuel manque de rationalisation des moyens employés dans d’autres filières.
Bon sens et équité doivent prévaloir, en tenant compte à la fois des besoins réels des différents types de formations et de la bonne utilisation des moyens.
Enfin, la mise en œuvre pertinente de l’autonomie des universités suppose que chacune d’elles puisse adapter et organiser les moyens dont elle dispose en fonction de ses besoins, afin de remplir au mieux ses différentes missions. C’est pourquoi la modulation des services des enseignants-chercheurs va dans le bon sens.
Il est indispensable d’évaluer et de valoriser l’ensemble des missions des enseignants-chercheurs : l’enseignement, la recherche, et le pilotage, qui devrait d’ailleurs être davantage pris en charge par des personnels administratifs.
Je crois que les concertations sur le projet de décret ont permis de trouver un certain équilibre. La solution qui a émergé d’une répartition à parts égales des promotions arrêtées par le Conseil national des universités et de celles qui sont confiées aux universités est-elle idéale ? L’avenir le dira. Il me semble que certaines missions, la recherche notamment, peuvent s’évaluer plus logiquement au niveau national, tandis que d’autres semblent nécessiter plus naturellement la proximité.
Au-delà des débats parfois techniques qui animent à l’heure actuelle l’ensemble des parties intéressées, il nous faut prendre du recul et sortir de la défiance réciproque qui s’est instaurée. L’évolution du système d’enseignement supérieur et de recherche est indéniable. Elle n’est d’ailleurs pas propre à notre pays et est très souvent souhaitée par les acteurs concernés eux-mêmes. Elle est aussi liée à l’évolution des attentes de nos concitoyens à son égard.
Il appartient aussi à la représentation nationale d’assurer les enseignants-chercheurs et l’ensemble de la communauté universitaire de son estime et de sa conviction qu’ils assument, le plus souvent au mieux, un rôle fondamental pour l’avenir de notre pays et de ses jeunes. C’est avec eux qu’il nous faut construire les perspectives d’avenir, qui entraînent nécessairement des changements. La vie n’est-elle pas changement ?
M. Jean-François Humbert. Bravo !
M. Jean-Léonce Dupont. Je suis intimement convaincu que notre pays ne sortira de cette période extrêmement troublée que s’il sait tirer par le haut l’ensemble des acteurs. Il est essentiel de ne pas renoncer aux réformes. Je l’ai dit : elles sont indispensables. Construisons-les ensemble !
Elles seront profitables aux enseignants-chercheurs eux-mêmes. N’oublions pas d’ailleurs qu’elles s’accompagnent d’importantes revalorisations salariales et de carrières. Elles doivent avoir pour objectif premier la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche de notre pays, ainsi que l’avenir des étudiants, dont les attentes, notamment en termes de préparation à la vie professionnelle, sont très légitimes.
Madame la ministre, je souhaite personnellement vous rendre hommage pour votre travail et votre courage. Je forme le vœu, mes chers collègues, au nom du groupe de l’Union centriste, que notre débat de ce jour contribue à rétablir cette confiance. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.
M. Pierre Bordier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la réforme des universités a jeté les bases d’une véritable refondation. En effet, notre système universitaire a très peu évolué depuis trente ans, alors que les effectifs ont doublé et que la mondialisation nous a imposé de nouveaux défis.
Si la France peut se féliciter d’avoir permis à de nouveaux publics d’origine populaire d’entrer dans l’enseignement secondaire et supérieur, trop de jeunes quittent aujourd’hui l’université dans une situation d’échec et trop nombreux sont les diplômés qui n’accèdent pas au marché du travail.
L’université française a perdu de son rayonnement. Les résultats d’enquêtes, et notamment le fameux classement de Shanghai, quoique contestable, qui ne retient que quatre établissements français parmi les cent premiers mondiaux, révèlent bien les carences du système universitaire français. Il s’agit d’un signal d’alarme. C’est l’avenir de notre système éducatif qui est en jeu ; le sont aussi le potentiel d’innovation de notre pays, notre compétitivité, et donc la progression de nos emplois.
Au moment où la contestation universitaire vient remettre en cause la réforme engagée, je souhaite rappeler que l’université française se trouvait dans un carcan qui l’empêchait d’évoluer. Grâce au texte que nous avons voté, elle va enfin pouvoir accéder à l’autonomie, une autonomie qui sera surtout le moyen de faire d’autres réformes.
Il est regrettable que notre pays ait pris du retard sur cette question. Certains reprochent à la loi d’instituer une autonomie concurrentielle des universités et d’ouvrir ainsi la porte à leur développement inégalitaire. Pourtant, partout dans le monde, le succès des systèmes publics d’enseignement supérieur repose sur des universités autonomes. Faut-il craindre le jeu de la concurrence et demeurer dans un système archaïque alors que nos voisins ont compris la nécessité de laisser une plus grande liberté à leurs universités ?
Dans un monde de compétition, il faut une mobilité, une adaptation constante que les systèmes centralisés ne permettent pas d’obtenir. De plus, il n’y a pas de meilleur principe lorsque l’on vise l’efficacité que de faire confiance à l’esprit de responsabilité.
Pour que nos universités accèdent à l’autonomie, se posait tout d’abord la question de leur gouvernance, car le développement des responsabilités suppose que celles-ci puissent être correctement exercées.
La gouvernance de nos universités était pour le moins atypique. Dorénavant, le conseil d’administration sera un organe stratège. Il sera plus ouvert sur le monde extérieur, en particulier sur les entreprises, employeurs des futurs diplômés, et sur la région, qui en était la grande absente.
Le président de l’université, quant à lui, voit sa légitimité renforcée, car il est élu par les membres du conseil d’administration. Ses pouvoirs sont élargis.
En même temps que l’autonomie, la loi a donné de nouvelles responsabilités aux universités : tout d’abord en matière financière, avec le droit d’établir un budget global ; ensuite, en matière de gestion de leur patrimoine, notamment immobilier.
En outre, l’université pourra créer de nouvelles formations et les adapter aux besoins des étudiants et de la société, nouer des partenariats et drainer des fonds grâce aux fondations universitaires.
Enfin, en matière de gestion des ressources humaines, les universités pourront recruter l’ensemble de leur personnel, y compris le personnel administratif et les enseignants, et effectuer ce recrutement au rythme de leurs besoins, alors qu’il existait jusqu’alors une grande rigidité à cet égard.
Les ressources humaines sont le cœur de l’université et vous avez souhaité, madame le ministre, accroître l’attractivité des fonctions et des carrières des enseignants-chercheurs en réformant leur statut. Pourriez-vous nous présenter les conclusions issues de la concertation qui vient d’avoir lieu, afin de rassurer pleinement la communauté universitaire ?
Madame le ministre, je souhaite par ailleurs vous poser plusieurs questions.
Comme vous l’avez souligné, l’autonomie des universités, certes nécessaire, n’est pas suffisante. Le changement de gouvernance et l’autonomie sont un préalable à la mise en place d’une stratégie de lutte contre l’échec et d’aide à l’insertion.
Quelles solutions souhaitez-vous retenir pour remédier à l’échec dans le premier cycle universitaire ? On sait que 47 % des étudiants de première année à l’université passent en deuxième année alors que 28 % redoublent et 24 % sortent du système universitaire. Au total, en France, seuls 59 % des étudiants qui commencent leurs études universitaires les terminent ; cette proportion est de onze points inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE.
Il sera donc essentiel de revoir totalement la question de l’orientation. Pour corriger très en amont les mauvaises orientations, il est indispensable d’améliorer l’information des lycéens et des étudiants, de mieux définir les parcours de formation et d’insertion professionnelle, d’amplifier les échanges entre les acteurs du second degré et les universités.
J’ajoute que notre pays n’a pas de vision claire et exhaustive des résultats de chaque formation universitaire en termes d’accès à l’emploi. J’appelle donc de mes vœux une évaluation des possibilités d’insertion offertes par chaque filière, afin que l’étudiant choisisse sa voie en toute connaissance de cause.
Votre plan « Réussir en licence » a pour objectif d’éviter les erreurs d’orientation afin de diviser par deux le taux d’échec en première année de licence dans les cinq ans qui viennent. Pouvez-vous nous donner des précisions sur les moyens que vous envisagez d’employer par atteindre cet objectif ?
Par ailleurs, la loi a attribué au service public de l’enseignement supérieur une nouvelle mission : l’orientation et l’insertion professionnelle des étudiants. Dans cette perspective, elle prévoit que les universités créent des « bureaux d’insertion ». Pourriez-vous nous dire où en est ce projet ?
Enfin, parce que nos universités doivent acquérir une plus grande visibilité internationale, je souhaite que vous nous présentiez les premiers résultats de l’opération Campus, qui permettra aux universités sélectionnées de construire un véritable projet à long terme pour se lancer dans la compétition internationale. Cela passe en priorité par la rénovation de leur patrimoine immobilier.
À ce sujet, j’attire votre attention sur l’état médiocre de nos établissements, parfois même en deçà des normes de sécurité. En obtenant la gestion de leur parc immobilier, nos universités gagneront en souplesse, mais elles auront également un travail considérable devant elles, ce qui implique des risques financiers significatifs. Il faudra être particulièrement attentif aux difficultés des plus petites universités et je souhaite savoir quelles mesures sont prévues pour les soutenir.
L’État réalise, je le rappelle, un effort financier sans précédent pour l’ensemble de la réforme : 5 milliards d’euros sur cinq ans. En 2009, chaque université doit voir son budget augmenter d’au moins 10 %.
Pour que cet investissement sans précédent soit efficace, il faut des universités réellement opérationnelles. La loi que nous avons votée devrait permettre cette refondation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les médias ont essentiellement insisté, parmi les revendications du mouvement actuel, d’abord sur le statut des enseignants-chercheurs, puis sur la formation des enseignants, les revendications liées plus spécifiquement à la recherche ont été moins mises en exergue.
Or, madame la ministre, vous ne pourrez pas faire l’impasse sur le volet « recherche » pour dénouer la crise. Pourtant, jusqu’à maintenant, c’est la stratégie du saucissonnage qui a prévalu, le Gouvernement tablant sur le pourrissement du conflit. Vous laissez ainsi une direction du CNRS largement discréditée seule face à la colère légitime des chercheurs.
Le secteur de la recherche subit depuis plusieurs années attaques répétées, mépris, dénigrement ! C’est particulièrement vrai pour les organismes de recherche, au premier rang desquels le CNRS. Les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années se sont en effet appliqués à développer un discours « décliniste » sur la recherche française, pour mieux vendre à l’opinion publique leur casse de notre système de recherche.
Pourtant, le classement de Shanghai, cité à tout va dans notre pays, reste confidentiel dans les colloques scientifiques internationaux. La France semble être un des rares pays à lui avoir conféré autant de crédit, une telle aura ! Si notre recherche était aussi médiocre que l’on a bien voulu nous le dire, pourquoi une telle fuite des cerveaux ? Pourquoi nos chercheurs sont-ils si appréciés à l’étranger, si ce n’est parce qu’ils sont bien formés ?
Depuis 2004, la communauté scientifique a montré qu’elle était prête à évoluer, notamment avec les états généraux de la recherche. Elle a mis sur pied un ensemble de propositions, mais elle n’a pas été écoutée ; pis, certaines de ces propositions ont été détournées, voire dévoyées.
Depuis maintenant sept semaines, elle est à nouveau mobilisée dans le mouvement du monde académique pour défendre l’indépendance du savoir et de la connaissance, pour lutter contre son inféodation aux lois du marché et de la concurrence.
Le 12 mars dernier, plus de cinq cents délégués de laboratoires de toutes disciplines se sont réunis à Paris. Ils se sont organisés en coordination nationale des laboratoires en lutte pour appeler à l’arrêt du démantèlement des organismes de recherche et de l’affaiblissement de notre potentiel de recherche ainsi qu’à la création d’emplois dans la recherche publique.
Le 14 mars, ce sont plus de deux cent cinquante directeurs de laboratoires qui ont décidé d’amplifier leur action.
Hier, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, a été occupée en tant que symbole de la conception gouvernementale purement managériale de l’activité universitaire et scientifique, conception selon laquelle la bibliométrie et les classements internationaux constituent l’alpha et l’oméga de l’évaluation.
En ce qui concerne la marchandisation de la recherche, le témoignage de l’assemblée des personnels de l’université de technologie de Troyes, déjà passée à l’autonomie, est édifiant :
« La logique du retour sur investissement entraîne l’inversement quasi mécanique de l’ordre de priorités des trois missions de notre université, à savoir l’enseignement, la recherche et le transfert de technologies. Certes, le transfert était un objectif dès la création de l’université de technologie de Troyes. Les personnels adhèrent à ce point de vue et nombre d’entre eux collaborent déjà avec les entreprises. Mais aujourd’hui, le transfert est devenu “la” priorité. [...] les enseignants-chercheurs sont désormais considérés comme des exécutants, devant se conformer aux missions de la direction de la valorisation et des partenariats industriels. Ces missions sont sans lien direct avec les besoins réels du terrain et ne mènent pas à la production de connaissances originales. À titre d’illustration, le dépôt des dossiers auprès de l’Agence nationale pour la recherche est désormais validé par la direction de la valorisation et des partenariats industriels, en regard de bénéfices financiers attendus, hors les retombées scientifiques possibles.
« Dans l’esprit des nouvelles réformes, notre université est désormais gérée comme une entreprise. Ses finalités deviennent : recherche de rentabilité et marge. En appliquant chez nous des recettes qui ont prouvé leur inefficacité, le directeur peut désormais manager seul, sans contre-pouvoir, une organisation qui n ’a de publique que... plus de 90 % de son budget. »
Madame la ministre, voilà ce qui se profile pour l’ensemble de notre recherche : la soumission totale à des intérêts strictement économiques. Ce n’est pas notre vision de la recherche ni celle des chercheurs.
On comprend bien, dès lors, pourquoi le statut des enseignants-chercheurs en particulier – et celui des fonctionnaires en général –, avec son corollaire, la garantie de l’indépendance et la liberté d’enseignement et de recherche, doit être réformé. Ils constituent en effet un rempart contre les pressions économiques sur la définition de la recherche, contre les instructions du pouvoir politique et administratif.
La réduction du nombre des fonctionnaires prend ainsi tout son sens doctrinal, toute sa dimension idéologique. L’indépendance, voilà bien ce qui heurte le plus notre hyper-Président !
Il n’y a qu’à se reporter à son discours du 22 janvier dernier, dont les déclarations méprisantes envers les chercheurs, le dénigrement des valeurs du métier de scientifique, au premier rang desquelles figure l’éthique, ont légitimement heurté l’ensemble de la communauté scientifique.
Il faut dire que cette piètre caricature des chercheurs a fait énormément de mal : « mauvais, non performants, archaïques, idéologues, partisans, conservateurs, aveugles, refusant de voir la réalité, immobilistes, ayant des mentalités à changer, installés dans le confort de l’auto-évaluation, travaillant dans des structures obsolètes, archaïques et rigides. »
M. Daniel Raoul. Oh !
M. Serge Lagauche. Car il n’y a pas que le fond : c’est aussi la forme qui a creusé un fossé entre votre gouvernement et la communauté scientifique. Il faudra alors bien plus et bien mieux que des propos qui se veulent rassurants et des pseudo-négociations sur des sujets parcellaires pour regagner leur confiance.
Le premier signe fort attendu réside, me semble-t-il, dans l’annulation des suppressions nettes de postes prévues dans les organismes, mais aussi des suppressions indirectes à travers les chaires mixtes. Il devra s’accompagner d’un plan pluriannuel de programmation de l’emploi scientifique.
À cet égard, je me réfère à la position exprimée par François Fillon, actuel Premier ministre : « Il faut rendre plus lisible la politique de recrutement dans les universités et les organismes de recherche et donner aux acteurs de la recherche plus de visibilité sur le recrutement et le déroulement des carrières. C’est pourquoi je considère qu’il est nécessaire de mettre en place un plan pluriannuel de l’emploi scientifique ».
Rassurez-vous, madame la ministre, cette déclaration n’est pas récente. Elle remonte à 2004, quand M. Fillon était ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et c’est ainsi qu’il s’exprimait aux assises nationales des états généraux de la recherche. Pourtant, cette déclaration n’a jamais autant été d’actualité, et je lui dis : chiche !
Avec ce préalable, vous construiriez assurément les conditions d’un retour de la confiance et d’un dialogue apaisé sur l’avenir de notre recherche et sur son organisation institutionnelle, afin de permettre un partenariat équilibré entre universités et organismes.
Devra également être mis sur la table un vrai bilan du crédit d’impôt recherche. Il est inadmissible de continuer à arroser le sable, avec des sommes qui semblent devoir être de plus en plus démentielles, et dans des conditions de plus en plus souples. Désormais, les entreprises pourront bénéficier, dans le cadre du plan de relance, d’un remboursement anticipé du crédit d’impôt recherche. Dans le même temps, on nous signale des effets d’aubaine caractérisés.
L’entreprise Rhodia, par exemple, a bénéficié d’un crédit d’impôt recherche de 7 millions d’euros en 2007 et celui-ci devait atteindre 20 millions d’euros en 2008. Comment Rhodia envisage-t-elle d’utiliser ces 13 millions d’euros supplémentaires ? En investissant dans la recherche et développement ? Pas du tout ! Elle prévoit la suppression de 23 postes de recherche et développement en équivalent temps plein et la marge dégagée par l’abaissement du coût de la recherche grâce au crédit d’impôt recherche sera affectée à la réduction de la dette du groupe.
Pendant ce temps-là, les modalités d’évaluation du CNRS sont vilipendées par le Président de la République. Si ce n’était pas aussi grave pour l’avenir de notre pays, ce serait risible !
Que le Président de la République, si prompt à regarder de l’autre côté de l’Atlantique et à prendre les États-Unis comme modèle, observe donc les engagements pris par Barack Obama en matière de recherche !
Premièrement, doubler le financement fédéral – donc le financement d’État – de la recherche fondamentale : pas de l’innovation ni de la recherche industrielle, mais bien de la recherche fondamentale en science physique, biologie, mathématiques et ingénierie.
Deuxièmement, faire en sorte que la recherche scientifique et technologique soit présente et accessible dans toutes les universités et facultés, grandes ou petites, riches ou moins influentes.
Troisièmement : améliorer considérablement les connaissances et les compétences de la grande majorité de la population dans les domaines scientifique et technologique.
On pourrait y ajouter la récente décision de permettre le financement public de recherches sur les cellules souches embryonnaires.
Qu’a proposé M. Nicolas Sarkozy dans son plan de relance en matière d’enseignement supérieur et de recherche ? Des travaux immobiliers et une anticipation du crédit d’impôt recherche… Quelle inventivité ! Rien, on ne trouve absolument rien sur la recherche publique ! Quant à la recherche fondamentale, c’est à se demander si le Président de la République sait qu’elle existe et qu’elle présente un grand intérêt.
On aurait tout à fait pu imaginer que, face au caractère exceptionnel du contexte que crée la crise actuelle, le Gouvernement négocie avec les entreprises ayant réalisé des bénéfices record – comme Total, avec ses 13,92 milliards d’euros de profit pour 2008, grâce à l’augmentation faramineuse des cours du pétrole – en réinvestissent une partie de ces bénéfices dans la recherche publique fondamentale, dans les énergies alternatives ou sur la biodiversité marine, thématique choisie par la fondation Total pour redorer son image d’entreprise polluante. Je serais d’ailleurs curieux de connaître le montant dont bénéficiera Total au titre du crédit d’impôt recherche pour 2008 !
À vous qui semblez apprécier la pensée de Jacques Derrida, madame la ministre, puisque vous avez utilisé une courte citation de L’Université sans condition, « professer, c’est s’engager », en guise de conclusion d’une tribune intitulée « Ce que je veux dire aux enseignants-chercheurs », je propose de clore mon propos sur une citation issue de cette même conférence de Derrida : « Nous devons réaffirmer, déclarer, professer sans cesse l’idée que cet espace de type académique doit être symboliquement protégé par une sorte d’immunité absolue, comme si son dedans était inviolable [...] Cette liberté ou cette immunité de l’Université, et par excellence de ses Humanités, nous devons les revendiquer en nous y engageant de toutes nos forces. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)