M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à juste titre, le Président de la République avait placé au cœur de sa campagne électorale la nécessité de réformer les universités et, dès le mois de juillet 2007, le Gouvernement nous a saisis d’un projet de loi ambitieux tendant à instaurer l’autonomie de nos universités. Cette réforme longtemps attendue a été jugée indispensable sur toutes les travées de cette assemblée pour assurer notre compétitivité sur le plan international, même si nos collègues de l’opposition ne l’ont pas votée pour des motifs tenant au mode de gouvernance retenu par le projet de loi ou à l’absence d’une programmation financière.
Le Gouvernement a fait de la politique en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche sa première priorité budgétaire et ce sont, je le rappelle, près de 20 milliards d’euros supplémentaires qui seront engagés, d’ici à 2012, dans ce secteur. Face aux accusations, il est bon de rappeler les chiffres !
C’est pourquoi il me paraît indispensable, au nom de la commission des affaires culturelles, de réaffirmer la nécessité du principe de l’autonomie.
Cette réforme s’inscrit dans un projet global du Gouvernement d’augmentation du niveau des connaissances de nos concitoyens, de la maternelle à l’université.
Je rappelle que l’objectif – que nous partageons tous – est de porter 50 % d’une classe d’âge au niveau des études supérieures. Or, cet objectif est loin d’être atteint, et le taux d’échec à l’université demeure élevé, puisque près de 90 000 jeunes quittent chaque année l’université sans diplôme, soit le quart des sortants !
Personne, sur aucune de ces travées, ne peut se satisfaire d’une telle situation. C’est pourquoi le Gouvernement s’est attaché à lancer simultanément plusieurs réformes. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités est l’une des pierres de l’édifice. Ainsi est posé le socle permettant à nos universités d’accéder en cinq ans à une autonomie budgétaire et patrimoniale et de s’ouvrir au monde extérieur pour tenter d’améliorer l’insertion professionnelle des jeunes.
Il est loin le temps où certains pouvaient s’indigner que l’on ose se préoccuper d’insertion professionnelle à l’université ! C’est bien une des missions de l’université que de préparer l’accès des étudiants dans de bonnes conditions à une profession.
Du reste, lors de nos débats de 2007, nous avions tous jugé cette loi nécessaire, quoique non suffisante, et vous-même, madame la ministre, avez ouvert aussitôt cinq chantiers, auxquels un certain nombre d’entre nous ont pu participer.
M. David Assouline. Ah bon !
M. Jacques Legendre. La loi n’est pas gravée dans le marbre et il est bien clair que certaines dispositions peuvent susciter des difficultés d’application, comme c’est le cas aujourd’hui pour le décret relatif aux enseignants-chercheurs.
À cet égard, je rappelle que le principe de l’indépendance des enseignants-chercheurs, auquel le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle, leur garantit notamment une pensée libre et indépendante. Il est consubstantiel à leurs fonctions et à leurs missions dans notre société, même si cela mériterait sans doute d’être approfondi.
Personne ne songe d’ailleurs à lui porter atteinte, contrairement à ce que l’on a pu entendre ici ou là. Il y a suffisamment de véritables sujets dont il faut se saisir pour ne pas y ajouter des sujets inventés !
Pour autant, ce principe ne doit pas servir de bouclier aux défenseurs de l’immobilisme, qui, pour certains, se réfugient derrière lui afin d’éviter toute évolution. C’est pourquoi je crois, madame la ministre, qu’il était bon de rappeler ce principe dans le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs, tout en réaffirmant l’absolue nécessité de réviser les dispositions en vigueur pour les adapter à l’évolution des missions et de l’organisation des universités.
Aujourd’hui, une large majorité de la communauté universitaire en est d’ailleurs convaincue. Le texte en vigueur date de 1984, c'est-à-dire de vingt-cinq ans ! Il est rigide et inadapté à la diversité comme à la réalité des fonctions universitaires. Il doit donc être actualisé et modernisé.
Cette modernisation doit s’inscrire dans le cadre de l’autonomie des universités, qui a été voulue par le législateur, par nous ! Elle doit permettre la modulation entre les différentes activités de l’enseignant-chercheur et une gestion adaptée de sa carrière.
Elle doit également permettre une meilleure prise en compte, y compris financière, de l’évaluation de l’ensemble des fonctions qu’il remplit. À cet égard, le fait que le décret définisse un service national de référence permettra d’assurer une cohérence indispensable.
Quelles que soient les difficultés, nous ne devons pas perdre de vue l’objectif d’une meilleure formation pour notre jeunesse et nous devons aller au bout de ce chantier. Il ne me paraît donc pas concevable, moins de deux ans après le vote de la loi, de faire marche arrière et de décevoir les attentes de nos concitoyens dans ce domaine. Ils ont tous à l’esprit le fameux classement de Shanghai, qui, je le précise, n’est pas pour moi l’alpha et l’oméga. Certes, il est critiquable, mais il veut tout de même dire quelque chose ; nous ne pouvons pas l’écarter d’un revers de main. Il montre bien que nous avons des efforts à faire.
Même si les critères qu’il retient sont contestables et si, sur l’initiative de la France, on tente de mettre en place un classement européen qui nous serait plus favorable, il ne faut pas se voiler la face : nos universités ont besoin de se moderniser, de se regrouper et de disposer de plus de moyens pour acquérir une visibilité à l’échelle mondiale.
Cela est d’autant plus vrai que la crise qui se profile confirme l’impératif de la formation et des qualifications pour sauver les emplois. Il nous importe aujourd’hui de dissiper les malentendus et je crois, madame la ministre, que vous avez su créer les conditions d’un dialogue constructif qui devrait apaiser les tensions actuelles. (M. David Assouline s’exclame.)
Notre collègue Jean-Léonce Dupont, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l’enseignement supérieur et membre du comité de suivi pour l’application de la loi LRU a, dès le début de la crise, reçu bon nombre de représentants de la communauté universitaire. Il vous fera part, dans son intervention, de son sentiment sur la meilleure façon de sortir du climat actuel de défiance qui s’est instauré.
En conclusion, permettez-moi à nouveau d’insister sur la nécessité de maintenir le cap et de ne pas changer d’orientation sur la politique conduite dans ce domaine, si nous voulons relever les défis que constituent la formation et la recherche.
Nous avons souhaité de nouvelles libertés et des moyens accrus pour les universités, afin de créer de nouvelles coopérations et de les installer durablement au plus haut niveau des pays développés. C’est une exigence pour l’avenir de la France ; il est de notre devoir et de notre responsabilité, aujourd’hui, de ne pas reculer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP – M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme je l’ai déjà dit lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2009, les faits sont là. En très peu de temps, notre pays a cédé énormément de terrain. II a quitté le cercle des dix nations les plus dynamiques en matière de recherche et de développement.
Troisième pays scientifique en 1970, encore septième en 1995, la France se place désormais au quatorzième rang mondial pour la dépense intérieure de recherche et de développement rapportée à son produit intérieur brut. Cette dépense représente aujourd’hui à peine plus de 2 % du PIB, ce qui est bien évidemment très insuffisant !
Notre pays reste donc très en deçà de l’objectif ambitieux que s’est fixé l’Union européenne de consacrer 3 % du PIB communautaire à la recherche d’ici à 2010.
Le système universitaire français se dégrade. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, qu’il s’agisse du montant des dépenses par étudiant, des bourses, mais aussi des crédits d’équipement et de recherche, sans oublier le surpeuplement des amphithéâtres.
Par ailleurs, nous devons aussi faire face à une concurrence internationale de plus en plus vive. Les classements des universités mondiales se font bien trop souvent à nos dépens, malgré les nombreuses imperfections des critères qui les régissent.
Dans ce contexte, c’est la lutte contre l’échec à l’université qui doit être l’objectif premier de la réforme de l’enseignement supérieur français.
De quelle façon y parvenir, madame la ministre ? Comment donner ce nouveau souffle tant attendu ? Certainement pas dans la précipitation, l’urgence et l’absence de concertation !
Une réforme est indispensable. Sur ce point, nous sommes tous d’accord, d’autant que les enjeux de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation sont déterminants pour sortir de la crise actuelle.
Mais l’adoption en urgence de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités est très loin d’être une réponse satisfaisante. La preuve en est que, faute d’avoir été entendu, le malaise des universitaires, des chercheurs et des étudiants s’exprime dans la rue depuis de nombreuses semaines.
Dans un tel climat de défiance, comment imaginer la mise en œuvre efficace et positive d’une réforme déjà bancale ?
Le statu quo n’est pas envisageable, mais c’est bien en écoutant dans la sérénité les principaux acteurs concernés que l’on pourra améliorer les dispositifs inadaptés qui ont été imposés il y a près de deux ans.
La nomination, un peu tardive, de la médiatrice, Mme Claire Bazy-Malaurie, va dans le bon sens et j’ai hâte de lire la nouvelle mouture du décret tant décrié.
Lutter contre l’échec à l’université nécessite, d’abord et avant tout, de créer de nombreux postes d’enseignants-chercheurs, et non de recourir à des heures supplémentaires, qui alourdiraient le service des maîtres de conférences et nuiraient à la qualité de leurs enseignements et de leurs travaux de recherche.
La réforme pour le moins cavalière du statut des enseignants-chercheurs que vous avez tenté d’imposer ne résoudra aucun des problèmes dont nous sommes tous parfaitement conscients.
Une remise à plat du statut des universités et des moyens humains mis à leur disposition doit intervenir rapidement. II est absolument nécessaire pour cela de tenir compte aussi bien des exigences de l’autonomie des universités que de l’indépendance et du statut national des enseignants-chercheurs.
Le passage aux compétences élargies et les nouvelles missions confiées aux universités justifient pleinement de continuer à porter l’exigence d’un plan pluriannuel de recrutement.
L’autre levier incontournable pour lutter contre l’échec à l’université est l’orientation, la motivation et l’accompagnement des étudiants.
Ainsi, la question du logement est cruciale. En premier cycle, elle constitue l’une des principales causes de l’échec des étudiants. À cet égard, deux problèmes se posent et vont de pair : le niveau trop élevé des loyers et l’insuffisance de l’offre de logements universitaires.
Il découle de ces problèmes que la moitié des étudiants sont obligés de travailler pour financer leurs études, souvent au point de les sacrifier.
Le « plan campus », fondé sur la mise en concurrence des universités, aboutit à privilégier une petite dizaine de sites au détriment des autres. On crée ainsi clairement un système universitaire à deux vitesses, alors qu’il existait déjà une inégalité de traitement profonde entre les grandes écoles et les universités.
L’égalité des chances pour l’accès aux études supérieures, objectif républicain primordial, n’est pas près de devenir une réalité ! La réussite en licence était mise en avant dans ce grand projet : vous devez y consacrer les moyens nécessaires !
Dans cet hémicycle, j’ai déjà eu l’occasion de souligner, madame la ministre, l’excellence du département de la Haute-Garonne dans le secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur, ainsi que le grand nombre d’étudiants, qui représentent 10 % de la population de l’agglomération toulousaine.
Pourtant, je suis particulièrement préoccupée de leur qualification et de leur devenir sur le marché de l’emploi. À ce propos, madame la ministre, j’aimerais vous exposer un cas concret, sur lequel j’aimerais obtenir une réponse de votre part.
Il s’agit d’une initiative locale innovante et unique en France. L’IUT de Toulouse-Blagnac propose actuellement une formation inédite. On y a créé un diplôme universitaire de technologie, ou DUT, intitulé « Aide et assistance pour le monitoring et le maintien à domicile » – aussi appelé « 2A2M » –, dédié au service à la personne. (Mme la ministre approuve.)
Cette formation transversale est en adéquation avec un besoin de notre société en offre de services et en emplois qualifiés. Néanmoins, bien qu’elle ait obtenu l’autorisation d’ouverture en juillet 2008, cette formation n’a pas été accompagnée, jusqu’à ce jour, de la dotation des quatre postes nécessaires à sa mise en œuvre. Pour l’instant, le cursus a été ouvert, mais il fonctionne avec des postes d’enseignants vacataires et l’appui des personnels administratifs et techniques issus d’autres filières.
Cette situation met en péril la pérennisation et la réussite de l’expérimentation, ainsi que le parcours des étudiants inscrits, alors même que la question du maintien à domicile des personnes âgées ou dépendantes est un problème majeur de notre société.
II y a donc urgence à encourager de nouvelles filières ayant des débouchés assurés en termes d’emplois.
Déjà, avant la crise actuelle, le taux d’activité des jeunes dans notre pays n’était pas bon. Selon le Pôle emploi, le nombre de jeunes chômeurs a augmenté de 23 % en un an et 46 % d’entre eux restent au chômage plus de six mois. Des milliers de jeunes se trouvent donc dans une impasse.
Dans ce contexte, il est paradoxal qu’une formation comme celle du DUT « 2A2M » ne soit pas plus valorisée, alors qu’elle assurera aux étudiants un emploi après l’obtention de leur diplôme.
La seule réponse ne doit pas être l’intégration des IUT au sein des universités avec une mutualisation des moyens au bénéfice du budget de l’État et non des étudiants.
Madame la ministre, la réforme des universités françaises, que nous attendions tous et qui nous a tant déçus, doit maintenant prendre un nouvel élan, dans le respect du principe de l’indépendance, de la liberté des enseignants-chercheurs et avec comme fil rouge la réussite.
En conclusion, si un enseignement s’impose, madame la ministre, au regard de l’application de votre loi, c’est bien le suivant : on ne réforme pas contre, on réforme avec. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Madame la ministre, en préambule, je dois vous dire que je ne savais pas très bien si c’était à vous ou à votre collègue M. Xavier Darcos que je devais m’adresser ce matin.
J’ai choisi de m’adresser au Gouvernement, comme m’y invite votre déclaration commune en date du 12 mars, puisque je veux vous parler de la formation des maîtres.
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 vous a, en particulier, permis de lancer, madame la ministre, la réforme de la mastérisation de la formation des maîtres de l’enseignement primaire et des enseignants du secondaire.
Depuis plusieurs semaines maintenant, l’actualité est ponctuée par des manifestations d’étudiants et d’enseignants, ainsi que par les protestations de diverses organisations syndicales contre cette réforme.
La journée d’aujourd’hui en est d’ailleurs une nouvelle et spectaculaire illustration.
Vous venez, après des semaines d’immobilisme, de faire quelques propositions nouvelles sur certains points. Malheureusement, votre réforme n’est toujours pas acceptable en l’état et c’est l’objet de ma prise de parole aujourd’hui devant vous.
Lorsque, aux termes de la loi Fillon, les IUFM furent rattachés aux universités, nous avions, malgré les dénégations du ministre de l’époque, affirmé qu’il en résulterait à court terme la suppression pure et simple de ces instituts. Il fallait certes les réformer, mais certainement pas les supprimer, sauf à vouloir supprimer l’apprentissage professionnel du métier d’enseignant.
Jusqu’à maintenant, les futurs enseignants pouvaient intégrer les IUFM pendant deux ans. Au cours de la première année, ils recevaient des enseignements théoriques pour la préparation des concours et, au cours de la seconde, ils fréquentaient en alternance un établissement d’enseignement scolaire au sein duquel ils se trouvaient en situation, devant les élèves. Dans ce processus de formation, la pratique était reconnue comme évaluatrice et comme formatrice de la capacité d’enseigner.
Aujourd’hui, la « mastérisation » va vers la suppression de cette année d’alternance, qui disparaît au profit de la seule logique des savoirs. De surcroît, la réforme réduit de manière dramatique la possibilité d’organiser une formation continue des enseignants.
Devant les contestations émises par l’ensemble du monde enseignant, « un dispositif de stage », selon votre communiqué, va être mis en place. Il comprendra 108 heures de stages dits « d’observation » en première année de mastère et 108 heures de stages dits « en responsabilité » en deuxième année. Avouez que c’est vraiment très peu, madame la ministre, cela ne représentant que quelques semaines passées dans une classe à temps complet...
Ces stages seront certes rémunérés à hauteur de 3 000 euros, mais c’est sans aucune comparaison avec l’année en alternance passée au sein d’un IUFM !
Par ailleurs, vous octroyez généreusement 12 000 bourses supplémentaires, d’un montant maximum de 2 500 euros. Mais peut-on vivre une année entière avec 2 500 euros ? Même cumulée avec d’autres aides, cette bourse ne compensera en aucun cas l’année rémunérée de stage qui existait dans le cadre des IUFM.
Je m’interroge donc très sérieusement sur ces stages en responsabilité que vous prévoyez d’organiser pendant la formation des futurs enseignants. Seront-ils obligatoires pour passer le concours ? Il ne semble pas que ce soit le cas, si j’en crois votre communiqué du 12 mars dernier.
En matière de professionnalisation, le mastère « enseignement » ne doit pas être une simple couverture : les stages, qui pourront être effectués en cours d’année, seront réduits, juxtaposés et centrés sur une observation modélisante. Les concours seront prédominants et l’ouverture sur la recherche vraiment limitée.
La formation pédagogique, c’est l’apprentissage d’un savoir-faire et d’un savoir-être, des notions plus qu’indispensables quand on travaille avec des enfants. La pédagogie enseignée dans les IUFM permettait aux futurs enseignants d’acquérir une capacité à transmettre les savoirs, une culture professionnelle ainsi que les compétences nécessaires à l’exercice de leur métier. Madame la ministre, vous n’êtes pas sans savoir qu’enseigner est un métier et, comme tous les métiers, ça s’apprend !
Quant au concours, votre réforme prévoit qu’il s’articulera dorénavant autour de trois types de savoirs : la connaissance des programmes du premier ou du second degré, l’adaptation théorique d’un savoir à une classe à travers une leçon modèle et la connaissance de l’institution scolaire. De la maîtrise de ces savoirs dépendra le droit d’enseigner. Faire la preuve de l’acquisition des savoirs tiendra lieu de mise à l’épreuve dans la classe. Or il est faux de laisser croire que savoir, c’est savoir enseigner.
Nous sommes là dans une logique d’enseignement qui omet la logique de l’apprentissage, celle des élèves comme celle des enseignants.
Au surplus, il ne me semble pas judicieux que les épreuves du concours se déroulent la même année que celles du mastère. Cette réflexion avait déjà été faite lors de la réforme, nécessaire, de la première année d’IUFM. En effet, quels résultats les étudiants pourront-ils obtenir au mastère alors qu’ils n’auront, bien légitimement, pensé qu’à réussir leur concours ? Votre mastère « enseignement » risque de devenir un sous-diplôme.
Votre réforme prévoit également l’exigence d’un mastère II pour devenir maître. Élever le niveau des connaissances des futurs enseignants peut être une bonne chose. Puissent-ils d’ailleurs tous connaître la Princesse de Clèves ! (Sourires.)
Vous prétendez qu’elle permettra de revaloriser le statut des maîtres. Sans doute, mais elle se traduira également par la suppression d’une année de retraite pour les futurs enseignants. La suppression de l’année de stage rémunérée vous permet surtout de réaliser une économie globale de 800 millions d’euros.
De surcroît, vous sacrifiez un objectif essentiel du système universitaire actuel : la promotion de la diversité sociale à l’université et la lutte contre les discriminations. J’avais pourtant cru, à entendre vos propos, madame la ministre, et ceux de votre collègue Xavier Darcos, que le Gouvernement partageait cette volonté. La République s’est toujours honorée de recruter ses futurs enseignants parmi les classes populaires de notre pays. Elle a toujours voulu des maîtres qui soient des enfants du peuple, à l’image de la France. Aujourd’hui, à peine 33 % des enfants de classe modeste accèdent à l’enseignement supérieur à la sortie du baccalauréat, et seulement 16 % d’entre eux obtiennent les diplômes les plus élevés à l’université. En supprimant l’année où les étudiants étaient rémunérés comme stagiaires, vous appauvrissez ce recrutement, et ce ne sont pas les faibles bourses qui sont annoncées qui changeront profondément les choses.
M. Daniel Raoul. Exactement !
M. Yannick Bodin. Vous brisez les efforts menés en faveur de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances. Combien de filles et de fils de banlieue accéderont au métier d’enseignant ? Vous conférez désormais un caractère élitiste à cette formation au lieu de la démocratiser, comme ce fut toujours le cas dans l’histoire de la République. Avec des bourses aussi faibles, quel étudiant pourra se permettre d’envisager des études de cinq ans sans être rémunéré ?
En outre, madame la ministre, que comptez-vous faire des nombreux titulaires du mastère « enseignement » qui, malgré leur haut niveau de connaissances, auront raté le concours et ne pourront donc pas enseigner ? Vers quoi les réorienter alors qu’ils seront déjà titulaires d’un « bac plus cinq » ?
Les critiques se sont multipliées ces dernières semaines. Avouez, madame la ministre, que vous avez tardé à les entendre… Le conseil d’administration de la Conférence des présidents d’universités lui-même vous a solennellement demandé de repousser la mise en place des nouveaux concours à la rentrée 2011. La remise des maquettes donne lieu à toutes sortes de manifestations. Une dizaine d’universités seulement vous ont présenté ces fameuses maquettes, malgré les délais supplémentaires octroyés. Les autres hésitent entre une cérémonie officielle de non-remise et un boycott pur et simple, refusant de travailler dans des délais aussi courts. Je pense que le bon sens impose de repousser à la rentrée 2011 l’application de la réforme dans son ensemble. Toute solution de transition serait vouée à l’échec, parce qu’elle serait obligatoirement bâclée.
L’autonomie conférée aux universités par la loi LRU s’étend notamment au contenu des cours qu’elles délivrent à leurs étudiants. Comment l’uniformisation de la formation des maîtres va-t-elle se faire dans ces conditions ? Nous ne pouvons pas accepter que nos enseignants, qui peuvent être affectés à travers toute la France, ne soient pas formés de la même façon quel que soit le lieu où ils auront étudié. Si l’autonomie permet aux universités de définir leurs modules de formation et, même si ces derniers sont de bonne qualité, une harmonisation s’avère nécessaire. J’attends que vous me rassuriez sur ce point, madame la ministre, car, pour l’instant, vous n’êtes ni assez précise ni assez catégorique sur les dispositions que l’État prendra dans ce domaine.
Certes, la semaine dernière, vous avez annoncé toute une série de mesures tendant à remettre la professionnalisation des futurs maîtres au cœur de leur formation. Mais, ce faisant, c’est une panoplie de « mesurettes » et non plus une réforme cohérente que vous nous proposez.
Quand vous déciderez-vous à abandonner votre réforme pour en construire une autre qui, à la suite d’une concertation approfondie, permettra une bonne formation des maîtres grâce à une année de formation consacrée aux cours théoriques indispensables et à des stages de longue durée dans les classes ? Quand comprendrez-vous que, pour avoir des jeunes instruits et bien éduqués, il faut d’abord leur offrir des maîtres bien formés, dignes du respect et de la confiance de la République ?
Je conclurai mon intervention par une réflexion que m’inspire l’actualité : plus que jamais, l’école républicaine doit être le rempart contre la montée des intégrismes, de l’ignorance et de l’obscurantisme, dont le pape vient une nouvelle fois de prendre la tête. Lincoln disait : « L’éducation coûte cher ? Essayez donc l’ignorance ! ». Je ne souhaite pas que la France prenne ce risque.
Madame la ministre, l’avenir de notre nation dépend de la qualité de la formation de ses maîtres. Je vous en prie, sauvez-la ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat s’inscrit dans un climat d’inquiétude, les enseignants-chercheurs comme les étudiants exprimant leurs préoccupations. En tant que rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l’enseignement supérieur, j’ai tenu à entendre récemment les uns et les autres.
À l’issue de ces entretiens, je relève que plusieurs causes, de fond et de forme, peuvent expliquer ce malaise.
Certains sont certes opposés à toute réforme, mais je suis convaincu qu’ils sont ultra-minoritaires. En réalité, la plupart des acteurs concernés, comme le rappelait le président Jacques Legendre tout à l’heure, jugent les réformes nécessaires. Que les choses soient claires : je suis favorable aux réformes annoncées et je suis un fervent défenseur de l’autonomie des universités, la nouvelle donne mondiale en faisant une nécessité absolue.
Cependant, les conditions de leur réussite n’étaient peut-être pas pleinement réunies. En effet, là où le bât blesse, c’est que le rythme des réformes est tel que les acteurs n’ont pas le temps de mettre en œuvre l’une d’elles qu’ils doivent aussitôt s’atteler à un autre chantier, sans doute également utile mais parfois trop vite conceptualisé, insuffisamment préparé et assorti d’exigences de calendrier, le cas échéant peu réalistes. Le temps de la concertation avec les acteurs, comme celui de la préparation au sein des universités, n’est pas un temps perdu ; c’est un temps d’explication, de maturation du projet, de « calage ». Quand on ne le prend pas suffisamment en amont, on y est contraint en aval, mais dans des conditions plus tendues…
Par ailleurs, la priorité donnée à la réforme, bien qu’assortie de moyens supplémentaires très importants en faveur de notre système d’enseignement supérieur et de recherche, a été ternie par quelques mesures contradictoires. Je pense notamment à la suppression de 900 postes.