M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Schurch, M. Billout, Mme Didier, MM. Danglot et Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, d’une motion n°61.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports (n° 501, 2007-2008) (Urgence déclarée).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Odette Terrade, auteur de la motion.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux m’empêcher de commencer cette intervention en soulignant l’exercice de grand écart effectué par le Gouvernement.
En effet, il y a seulement quelques semaines, nous débattions du projet de loi relatif au Grenelle de l’environnement, qui devait amorcer, selon les termes mêmes de M. le ministre d’État, une « rupture puissante, forte et radicale » dans le secteur des transports. Or, qu’en est-il ?
Premièrement, la révolution annoncée n’est pas au rendez-vous au regard de la faiblesse des dispositions contenues dans le texte du Grenelle. Et le Gouvernement propose aujourd’hui la libéralisation du transport international de voyageurs à partir du 13 décembre 2009 !
Comment peut-on penser que la mise en œuvre de la loi du marché permettra un quelconque essor du transport ferroviaire ? Comment atteindre les objectifs de rééquilibrage modal et de modernisation du réseau si le Gouvernement continue de se priver de tous les leviers d’action en affaiblissant l’opérateur historique, seul en charge d’une mission de service public ? C’est pourtant le choix que vous faites, en poursuivant inlassablement le processus d’ouverture à la concurrence et la libéralisation des services publics.
Pourtant, la crise sans précédent que nous connaissons devrait vous conduire à faire preuve d’un certain pragmatisme, voire – et c’est la démarche que nous vous soumettons – à dresser un moratoire portant sur les politiques qui ont conduit à un tel désastre.
En effet, la course au profit comme unique modèle de développement des entreprises, encourageant le dumping social et fiscal, ne peut conduire qu’à une déconnexion totale entre l’économie réelle et les marchés financiers. Le concept fallacieux de la main invisible, unique régulateur du marché, et l’absence d’harmonisation fiscale et sociale au niveau européen n’ont servi, en réalité, qu’à détourner les pouvoirs publics de la recherche de réponses aux besoins collectifs et d’une politique garantissant des services publics efficaces.
L’ouverture à la concurrence devait permettre, selon ses partisans, de rendre aux usagers un meilleur service au meilleur prix. Or les exemples prouvant que le résultat escompté n’est pas au rendez-vous sont nombreux. Concrètement, l’ouverture à la concurrence n’a jamais bénéficié aux usagers. Ceux de la téléphonie, de l’énergie et des transports en savent quelque chose ! Les prix ont systématiquement augmenté et le service rendu s’est détérioré. Les seuls à en avoir bénéficié sont les actionnaires des nouveaux opérateurs, comme des opérateurs historiques privatisés, qui ont réalisé des affaires très profitables.
Des exemples étrangers explicites, notamment les accidents à répétition qui se produisent Outre-Manche, dans un pays pionnier de l’ouverture à la concurrence, devraient nous inciter à la prudence.
L’Allemagne, qui avait fait le choix d’éponger la dette de la Deutsche Bahn en vue de sa privatisation, semble aujourd’hui faire marche arrière au regard du contexte économique. C’est un indicateur important.
Dans notre pays, le bilan de la libéralisation du fret ferroviaire à la suite de la transposition des deux premiers paquets de directives est clair. Il fait état de la suppression de milliers d’emplois, de la fermeture de 262 gares où était assurée l’activité de transport par wagon isolé et de la suppression des dessertes jugées trop peu rentables. Nous pouvons également déplorer une nouvelle perte de la part du rail au profit de la route. Le plan fret a ainsi eu pour conséquence directe de remettre plus d’un million de camions sur les routes.
Le budget prévisionnel de la SNCF pour 2009 devrait conduire, une nouvelle fois, à la suppression de 2 600 postes, dont 1 400 pour le seul secteur du fret.
Nous disposons donc d’éléments concrets pour juger des effets néfastes de la libéralisation dans le secteur ferroviaire.
Je vous rappelle qu’en 2004 déjà, lorsque la Commission européenne avait présenté le troisième paquet ferroviaire, nous vous avions alerté sur les risques d’une telle libéralisation pour les usagers et pour les personnels, au regard notamment des impératifs de sécurité du réseau.
Pourtant, contre toute attente, vous persévérez dans cette voie en souhaitant nous faire adopter, aux prémices d’une crise sociale sans précédent, la transposition du troisième paquet et, je le répète, la libéralisation du transport voyageur au 13 décembre 2009.
On a l’impression que, selon vous, la meilleure manière de répondre aux dérives du libéralisme est d’accélérer encore le rythme et l’ampleur des réformes, dans un sens encore plus favorable au libéralisme.
Cette détermination à nourrir un modèle qui a pourtant lourdement échoué est absolument sidérante.
Quant à la transposition de cette directive, il ne s’agit pas, comme nous l’entendons trop souvent, d’une obligation juridique devant laquelle nous serions absolument démunis. Si le gouvernement français souhaitait réellement mettre en œuvre une autre politique des transports, fondée sur le développement du service public, il pourrait se faire entendre par la Commission européenne. En effet, nous avons bien vu, récemment, que la détermination de la France et de l’Allemagne a permis de suspendre provisoirement l’application du pacte de stabilité.
Par ailleurs, il faut rappeler que cette directive entérine des choix faits par le gouvernement français au sein des institutions européennes.
Rien ne nous oblige à légiférer au début de 2009, et surtout pas en urgence, pour introduire de nouvelles dispositions qui n’entreront en vigueur qu’à la fin de l’année.
Pour toutes ces raisons, nous demandons qu’un bilan de la libéralisation du secteur soit entrepris et qu’un moratoire soit décrété sur les directives libérales dans l’attente de ce bilan.
Pourquoi donc le Gouvernement met-il un tel zèle à persévérer dans l’erreur, allant même plus loin dans le démantèlement du secteur ferroviaire que la directive européenne ne l’impose ?
En effet, la création d’opérateurs de proximité n’est en aucun cas la traduction d’une exigence communautaire ou de la lettre de mise en demeure de la Commission du 28 juin 2008. Or ces fameux opérateurs de proximité auraient à leur charge non seulement le service de transport mais également la gestion du réseau. C’est donc l’unité du réseau national que vous avez aujourd’hui décidé de remettre en cause.
En effet, par ce nouveau mécanisme, les collectivités risqueront d’être dans l’obligation de participer à la création de ces opérateurs pour éviter l’abandon de lignes jugées trop peu fréquentées ou trop dégradées.
S’agissant des personnels de la SNCF travaillant pour le compte de Réseau ferré de France, RFF, je vous rappelle que l’actuel projet de loi s’en tient, pour sa part, à une séparation comptable au sein de la SNCF, selon que les activités relèvent de la gestion de l’infrastructure ou de l’exploitation des services de transports. Il n’est pas évident que la lettre de grief de la Commission impose d’autres mesures.
De plus, la création, proposée par voie d’amendement par M. le secrétaire d’État, d’une nouvelle structure appelée Exploitation nationale des chemins de fer français, ENCF, sous la forme d’une direction indépendante de la SNCF, n’a qu’un seul intérêt, celui d’affaiblir encore un peu plus l’opérateur historique.
On perçoit bien la tendance à vouloir démanteler le système ferroviaire auparavant intégré. Dans ce cadre, le découpage progressif de la SNCF annonce très clairement le dessein de sa privatisation future, comme ce fut le cas naguère pour d’autres entreprises publiques,
S’agissant de l’ouverture à la concurrence des transports régionaux, proposée par le rapport de notre collègue Hubert Haenel, il n’existe, là encore, aucune obligation communautaire puisque les transports régionaux relèvent soit du cabotage clairement encadré par la directive de 2007, soit du règlement relatif aux services publics de transport de voyageur par chemin de fer dit « règlement OSP » – obligations de service public – qui laisse aux autorités organisatrices le choix de conserver ou non le monopole de la SNCF. La ministre Nathalie Kosciusko-Morizet a très clairement rappelé que son « objet [n’est] pas d’anticiper l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires intérieurs. […] Ainsi […], les autorités organisatrices des services régionaux de voyageurs ne pourront se prévaloir du règlement OSP pour lancer des appels d’offres afin de confier les services de voyageurs à d’autres opérateurs que la SNCF » et mettre ainsi en concurrence les transports régionaux.
Vous semblez pourtant, monsieur le secrétaire d’État, ouvrir cette possibilité en la cantonnant à l’expérimentation par le volontariat des régions.
Nous considérons, pour notre part, que cette question n’est pas opportune et que cette ouverture ferait peser des risques importants sur la sécurité des voyageurs.
Sur le fond, l’unité du réseau et de sa gestion, comme l’unité d’exploitation par la SNCF, c’est-à-dire l’existence d’un système ferroviaire intégré, constituent la seule garantie d’un système performant et sûr sur l’ensemble du territoire.
Nous voyons d’ailleurs bien la tentation qui guette certains nouveaux opérateurs comme certains de nos collègues de considérer les règles de sécurité comme des entraves à la compétitivité.
Ainsi, lors de son audition, le représentant d’Euro Cargo Rail nous indiquait que la compétitivité des entreprises ferroviaires ne devrait pas être remise en cause par l’Établissement public de sécurité ferroviaire, l’EPSF. De la même manière, le directeur général de Veolia Transport a salué l’idée que la commission de régulation vérifie que les règles de sécurité imposées par l’EPSF n’aient pas pour objectif d’évincer la concurrence.
À ce titre, le fait même que l’EPSF soit placé sous la tutelle de l’autorité de régulation nous inquiète profondément. Nous ne sommes pas favorables à la mise en place de telles autorités. Outre qu’elles symbolisent toute la logique de la libéralisation, leur forme, leur mission, leur pouvoir sont largement contestables.
Ces ovnis juridiques ne correspondent effectivement ni à notre conception de l’indépendance ni à notre conception de la transparence. Ils ne sont absolument pas légitimes puisque leurs membres sont nommés et qu’ils ne sont pas responsables des décisions prises dans le cadre de leurs pouvoirs exorbitants.
Sur le fond, nous considérons que les pouvoirs publics ne peuvent, par la création d’une telle autorité, que se dédouaner des questions de sécurité, d’aménagement du territoire et, tout simplement, de la mise en œuvre du service public ferroviaire.
L’externalisation des compétences des pouvoirs publics pousse à l’absence de responsabilité politique sous couvert de la technicité d’experts soi-disant indépendants. À ce titre, la mission de contrôle des activités ferroviaires n’avait ni les mêmes fonctions, ni le même statut. Aucune comparaison n’est donc possible.
En outre, sur un plan strictement juridique, confier à la Commission de régulation des activités ferroviaires, la CRAF, un pouvoir réglementaire, même s’il reste marginal, ainsi que des pouvoirs décisionnels et juridictionnels, c’est lui donner la possibilité d’être le juge de ses propres réglementations, ce qui est absolument contraire à la notion de séparation des pouvoirs. Pourtant, l’ensemble des amendements de la commission des affaires économiques renforce ces pouvoirs et dote cette autorité non seulement de la personnalité morale mais également de l’autonomie financière.
Concernant les pouvoirs exorbitants de cette autorité, il me semble invraisemblable que le refus par le ministre d’homologuer la réglementation proposée par cette autorité doive être motivé. C’est vous, monsieur le secrétaire d’État, qui disposez de la responsabilité politique et non l’inverse. (M. le secrétaire d’État opine.) Cet exemple montre bien l’absurdité des pouvoirs confiés à une telle autorité.
Pour conclure sur cette question, je citerai un passage particulièrement explicite du professeur Claude Champaud sur la définition de ces autorités : « bien qu’administrati[fs], [ces organismes] n’ont pas pour seule fonction de veiller au respect du bien public mais de préserver des intérêts privés dont la sauvegarde est d’intérêt général. »
J’en viens maintenant à ce qui me semble essentiel et dont il n’est pas du tout question dans ce texte : le service public ferroviaire et le financement de ses infrastructures.
En effet, en matière ferroviaire, l’urgence est aujourd'hui non pas celle d’une libéralisation accrue mais bien au contraire celle d’une implication forte de la puissance publique pour rendre le réseau plus moderne, performant et accessible à tous.
Le Grenelle de l’environnement devait faire de la question des transports une priorité de l’action publique. En laissant les intérêts privés définir le niveau de l’offre de service, ce texte réalise le contraire de cette ambition.
Je vous rappellerai à ce titre qu’une mission d’information sur le financement des infrastructures de transports terrestres a dressé un état des lieux accablant, comme, en son temps, l’audit de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Selon ses conclusions, si rien n’est fait, 30 % à 60 % des infrastructures ne seront plus utilisables dans quelques années.
Même dans votre logique libérale, cela pose problème. En effet, si le réseau est vétuste, aucun opérateur privé ne verra l’intérêt qu’il aurait à proposer ses services. Plus grave, l’avantage concurrentiel de la route sera encore une fois renforcé.
L’urgence est donc bien celle d’investissements massifs en faveur du réseau ferroviaire.
Le rapport de la mission d’information sur les transports terrestres insistait notamment sur la nécessité d’une reprise rapide de la dette de RFF pour lui permettre d’investir dans le réseau, tout comme le rapport de la Cour des comptes d’avril 2008 concernant le réseau ferroviaire.
C’est tout de même ahurissant : alors que le Gouvernement, à deux reprises, a trouvé des milliards pour injecter des liquidités dans les banques, il n’a pas encore trouvé de solution pour RFF !
Je ne reviendrai pas sur la décision prise par votre majorité de privatiser les concessions d’autoroutes, décision qualifiée d’erreur historique par la mission d’information parce qu’elle prive l’Agence pour le financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, de ressources pérennes.
Je ne parlerai pas non plus des crédits affectés à la mission transport dans la loi de finances, qui diminuent comme peau de chagrin. Considérons la seule subvention aux infrastructures : elle a été divisée par deux depuis 2002.
En clair, l’État se décharge de ses missions sur les régions, depuis la loi de décentralisation concernant les transports régionaux, et sur le secteur privé pour la réalisation des infrastructures, grâce aux fameux contrats de partenariat, et pour l’exploitation du service par l’ouverture à la concurrence généralisée.
Pour notre part, nous estimons que la réalisation de partenariats public-privé ne peut constituer une alternative aux forts besoins de financement des infrastructures. En effet, la réalisation d’infrastructures d’intérêt général doit être prévue sur le long terme et dégagée des aléas des marchés financiers. Au final, les infrastructures non rentables seront confiées au secteur public, alors que celles qui seront jugées rentables seront rapidement réalisées par le secteur privé. Autrement dit, on privatise les gains et on socialise les pertes.
L’ouverture à la concurrence des transports de voyageurs internationaux, nationaux et régionaux ne nous paraît pas non plus de nature à relever les défis environnementaux majeurs qui nous sont lancés. Bien au contraire, la volonté de réduire l’émission de gaz à effet de serre plaide pour une plus grande maîtrise publique, seul moyen d’assurer la coordination nécessaire à la mise en œuvre de l’intermodalité.
En effet, le développement des grandes lignes internationales financièrement rentables risque d’être privilégié au détriment des principes d’aménagement du territoire. En conséquence, le mécanisme de péréquation financière entre axes rentables et axes non rentables risque de voler en éclats.
Dans un tel contexte, la concurrence risque de s’exacerber sur les axes saturés et dans les périodes horaires de haute fréquence en favorisant des conflits d’intérêts dans l’attribution des sillons et des surenchères financières pour leur acquisition. Le voyageur en fera in fine les frais par le biais d’augmentations des tarifs.
En outre, la concurrence risque de se faire sentir non pas sur les prix mais sur les normes sociales, comme cela est devenu monnaie courante au sein de l’Union européenne.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. La libéralisation n’est tout simplement pas une réponse au problème majeur que connaissent les transports aujourd’hui, celui du désengagement massif de l’État de ses missions de service public, notamment en termes d’investissement.
Au moment où nos concitoyens s’apprêtent à traverser une crise sociale majeure, il n’est certainement pas nécessaire de les priver encore un peu plus de la garantie collective assumée par la puissance publique. Il s’agit bien au contraire de faire jouer les solidarités nationales pour garantir leurs droits et notamment leur droit à la mobilité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Francis Grignon, rapporteur. J’ai écouté toute l’argumentation développée par Mme Terrade avec beaucoup d’attention. Je n’en serai pas moins bref, ayant déjà exprimé mon point de vue dans mon rapport et lors de la discussion générale, ainsi qu’au cours de l’examen du projet de loi en commission.
Je reconnais aux auteurs de cette motion tendant à opposer la question préalable une certaine cohérence idéologique, consistant à rejeter – c’est leur droit le plus strict – toute idée d’ouverture à la concurrence, même progressive, puisque, pour l’instant, seules les liaisons internationales sont visées.
Mme Odette Terrade. Cela commence toujours comme ça !
M. Francis Grignon, rapporteur. Vous me permettrez cependant de rappeler que la France est sous le coup d’une mise en demeure pour non-respect de ses obligations communautaires et, en particulier, de la directive 2001/14/CE négociée par le gouvernement de Lionel Jospin, dont le ministre des transports était M. Jean-Claude Gayssot.
Dans un tel contexte, c’est, me semble-t-il, faire preuve de responsabilité que de se conformer à ces obligations afin d’éviter que la France ne soit, une fois de plus, le mauvais élève de la classe européenne et ne fasse l’objet d’une procédure en manquement, à l’issue de laquelle elle serait condamnée à payer de lourdes amendes. Nous devons remplir notre rôle de législateur d’un pays membre de l’Union européenne.
De plus, même si l’Europe n’existait pas, des considérations strictement nationales suffiraient à justifier la dynamisation du secteur ferroviaire, qu’il s’agisse du fret ou du transport de voyageurs. Au lieu de le rejeter en bloc, examinons donc ce projet de loi en essayant de l’améliorer.
Vous comprendrez donc que la commission a émis un avis défavorable.
Mme Odette Terrade. Hélas !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage naturellement l’avis exprimé par M. le rapporteur sur la nécessité de rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je voudrais simplement, sans reprendre toute l’argumentation de Mme Terrade, répondre sur trois points.
Madame Terrade, l’ouverture à la concurrence serait, dites-vous, néfaste au client. Non ! J’ai cité ce matin l’exemple de l’Allemagne où, grâce à l’ouverture à la concurrence dans les Länder depuis maintenant une quinzaine d’années, le trafic a véritablement explosé. La SNCF est d'ailleurs un opérateur important en Allemagne par le biais de ses partenaires Keolis ou Veolia.
On s’est beaucoup moqué de ce qui s’est passé en Angleterre et il est vrai qu’au début les choses ont pris un tour assez caricatural. Il faut néanmoins rappeler que, au début des années soixante-dix, le système ferroviaire anglais était complètement obsolète puisqu’il datait de l’histoire industrielle de l’Angleterre du XIXe siècle. Aujourd’hui, ce pays est en Europe celui qui dispose du matériel le plus moderne et où le trafic, y compris celui du fret, augmente.
Il suffit d’emprunter les différents réseaux britanniques, en particulier ceux qui sont gérés par des opérateurs français dans le sud de l’Angleterre, pour voir ce qu’est devenu le rail britannique aujourd’hui, après une période, en effet, où l’on a fait un peu n’importe quoi.
De la même manière, si l’on n’avait pas libéralisé le secteur aérien, où en serait-on ?
Nos compatriotes antillais - nous avons beaucoup parlé des Antilles cet après-midi – auraient-ils le choix entre Air France, Corsair et Air Caraïbes ou nos compatriotes de la Réunion entre Air France et Air Austral pour se rendre dans ces îles ? (Mme Odette Terrade s’exclame.)
Le trafic de l’ensemble des aéroports de l’Ouest depuis Tours, Nantes, Bergerac s’est considérablement développé grâce aux compagnies low cost. À l’aéroport de Marseille, le trafic low cost est le plus important.
Songez à l’aéroport de Genève ou à celui de Bâle-Mulhouse, qui, après la disparition de Swissair, ont failli disparaître. C’est grâce à l’ouverture à la concurrence que le trafic aérien s’est développé et que, grâce aux tarifs des compagnies low cost, un grand nombre de nos concitoyens qui, voilà encore dix ans, n’auraient jamais espéré monter dans un avion, peuvent aujourd'hui y accéder.
Regardez la Corse, où, avant l’arrivée de Corsica Ferries, la SNCM était en situation de monopole ; la présence aujourd'hui de deux opérateurs – et bientôt de plusieurs – a entraîné une baisse des tarifs sur la Corse dont profitent nos compatriotes corses.
On ne peut donc pas dire que la concurrence est néfaste au client ; au contraire, elle permet la démocratisation de toutes les formes de transport.
Les opérateurs ferroviaires de proximité, dont j’ai déjà dit un mot à M. Daudigny, constituent véritablement le moyen de maintenir la présence du fer ou de la restaurer dans des endroits d’où il avait disparu.
En reprenant l’exemple du port de Hambourg, que j’ai souvent utilisé devant votre assemblée, je soulignerai que, si 60 % du trafic de conteneurs qui quittent le port de Hambourg est assuré par le rail contre 10 % environ au Havre, c’est parce qu’il y existe une cinquantaine d’opérateurs de proximité, qui travaillent en collaboration avec la Deutsche Bahn ou d’autres opérateurs. Nous ne pouvons malheureusement pas encore nous prévaloir d’une telle situation dans nos ports, et ceci explique cela !
Enfin, sur le TER, le rapport de M. Haenel est clair. La proposition que fait M. Haenel et que le Gouvernement serait prêt à accepter, après étude et sous réserve d’une modification de la loi d’orientation des transports intérieurs, la LOTI – car il faut passer par la voie législative –, c’est une expérimentation sur la base du volontariat. Si M. Haenel, dans les années quatre-vingt-dix, n’avait pas proposé d’expérimentation, on en serait encore aux bons vieux omnibus. (M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission des affaires économiques, acquiesce.) On fonctionnerait encore comme à l’époque où la SNCF gérait la disparition des trafics de proximité, et l’on ne bénéficierait pas de la dynamique des TER.
Enfin, madame Terrade, vous avez eu raison d’insister sur la sécurité. C’est un aspect fondamental. Le fer est, par nature, un mode dans lequel les procédures de sécurité doivent être très importantes. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place l’établissement public de sécurité ferroviaire et, je vous rassure sur ce point, il s’agit d’un domaine régalien, qui relève du pouvoir d’appréciation et de jugement de l’État. La sécurité ferroviaire est exclusivement l’affaire de l’État, je voulais vous le confirmer.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement invite la Haute Assemblée à ne pas adopter cette motion.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, pour explication de vote.
M. Michel Teston. Je ne reviendrai pas sur les propos que nous avons tenus Yves Daudigny, François Patriat et moi-même au cours de la discussion générale. Vous aurez compris que, tout comme les membres du groupe CRC-SPG, nous nous inquiétons des conséquences de ce projet de loi.
C’est pourquoi nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable déposée par le groupe CRC-SPG.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 61, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 122
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Organisation des débats
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir consulté les groupes politiques, je vous propose que soit dissocié, à l’article 1er, l’amendement n° 49, présenté par Mme Schurch, des vingt-six amendements et sous-amendement suivants de façon à éviter leur mise en discussion commune. Dans la mesure où, en accord avec M. le secrétaire d’État, nous avons prévu de lever la séance à dix-neuf heures, il nous sera plus facile de le faire si chaque amendement est examiné l’un après l’autre.