M. François Trucy. Mais si ! Mais si… (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Claude Domeizel. Prenons un exemple.
Le président de séance appellerait en discussion l’amendement n° 152. Le rapporteur, tout comme le Gouvernement se cantonneraient à émettre un avis favorable. Ensuite, le président mettrait aux voix cet amendement et le proclamerait adopté. Aucune explication ne serait donnée sur les raisons pour lesquelles cet amendement serait adopté ! Voilà qui est inadmissible.
N’oublions pas que les amendements déposés permettent de faire avancer les idées. C’est pour nous la possibilité de faire passer des messages, y compris au Conseil constitutionnel dans le cas où il serait saisi.
C’est la raison pour laquelle je demande que cet article 13 soit supprimé. Nous devons respecter nos concitoyens, qui ont le droit de savoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. En écoutant s’exprimer tous nos collègues de l’opposition les uns après les autres, j’ai finalement trouvé des arguments pour défendre l’article 13 ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela ne nous étonne pas !
M. Hugues Portelli. Soyons un peu sérieux et ne nous focalisons pas sur un seul article du projet de loi organique. Rappelons-nous plutôt que, depuis l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, le contexte est totalement nouveau. Il est notamment marqué par deux dispositions essentielles.
Premièrement, l’ordre du jour n’est plus totalement entre les mains du Gouvernement. Il est en grande partie maîtrisé par les assemblées. Dès lors, les parlementaires ont l’initiative de déposer non seulement des amendements, mais aussi des propositions de lois, lesquelles peuvent provenir de la majorité comme de groupes minoritaires ou de l’opposition, cette dernière ayant en effet la garantie de disposer d’une partie de l’ordre du jour. Voilà un changement essentiel !
Deuxièmement, le débat en séance publique portera désormais sur le texte issu des travaux de la commission, y compris pour les projets de lois. Ce changement radical est primordial ! En conséquence, l’examen du droit d’amendement doit être revu sous un angle tout à fait nouveau.
Rappelons-nous qu’il a fallu attendre la loi constitutionnelle de 1995 pour que chaque assemblée dispose une fois par mois d’une séance réservée à un ordre du jour fixé par elle ! Il est évident que, avant, le droit d’amendement était la seule et unique façon pour les parlementaires de s’exprimer.
À partir du moment où le travail parlementaire redevient ce qu’il est dans les autres démocraties parlementaires d’Europe, le droit d’amendement change bien évidemment de nature et, du coup, son usage abusif, tel qu’il s’est développé depuis 1981, n’a plus lieu d’être.
Nous, membres de la majorité, ne devons pas oublier que c’est nous qui avons inventé le concept de l’obstruction parlementaire en 1981 et qui l’avons mis en pratique. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Quelle honnêteté !
M. Hugues Portelli. Par conséquent, nous sommes bien placés pour savoir ce que c’est qu’abuser du droit d’amendement !
Lorsque le nombre d’amendements déposés atteint 248 000 comme sous la précédente législature, alors qu’il était à peine supérieur à 5 000 sous la première législature de la Ve République, il est évident que l’usage du droit d’amendement n’est plus normal ; il devient pathologique !
Très franchement, si j’étais député, je voterais l’article 13 sans hésiter une seconde. Trouvez-vous normal qu’en 2006 l’opposition ait déposé 136 000 amendements sur le seul projet de loi relatif au secteur de l’énergie ? Est-ce cela la démocratie ? (Non ! sur les travées de l’UMP.) Il est évident que non !
Le problème du temps de parole global doit être considéré à partir de cette situation-là !
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Hugues Portelli. Combien de fois avons-nous vu des amendements déposés en cascade, dupliqués en trois ou quatre exemplaires, sans modification de la moindre virgule, sans même que les parlementaires qui devaient les défendre en soient informés !
M. Jean-Louis Carrère. Est-ce une raison pour limiter le droit d’amendement ?
M. Hugues Portelli. On avait déposé pour eux des amendements qu’ils présenteraient en séance avant de disparaître.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas une raison !
M. Hugues Portelli. Est-ce la conception que nous devons avoir du droit individuel de dépôt d’amendements, de la liberté de parole individuelle ? Bien évidemment non ! Le prétendre serait une escroquerie intellectuelle.
Notre position est très simple. Comme nous avons la chance – sauf cet après-midi ! – d’avoir une opposition qui n’abuse pas de son droit de parole et s’exprime de façon mesurée et démocratique, en respectant les points de vue des uns et des autres, nous n’avons aucun intérêt à inscrire dans notre règlement intérieur une disposition de ce genre.
M. Jean-Louis Carrère. C’est pour cela qu’il ne faut pas la voter !
M. Hugues Portelli. Toutefois, je me mets à la place de nos amis députés. Personnellement, je serais totalement incapable de supporter en séance des situations de ce genre. Par conséquent, je comprends parfaitement qu’ils aient intégré une disposition comme celle-là dans le projet de loi organique.
Soyons honnêtes ! Sous la Ve République, le législateur principal est l’Assemblée nationale et cela pour une raison très simple : elle a le dernier mot en cas de désaccord entre les deux chambres ! Il est donc normal qu’elle veille à ce qu’à l’avenir ses travaux ne soient plus sabotés, car c’est bien de sabotage qu’il s’agit, par le dépôt de dizaines, voire de centaines, de milliers d’amendements sur un texte.
N’oubliez pas, mes chers collègues, le point de départ de notre raisonnement. Ce n’est pas la contestation du droit de parole, c’est la question de l’abus du droit d’amendement.
M. Jean-Louis Carrère. C’est une loi de circonstance !
M. Hugues Portelli. Avec la révision constitutionnelle de 2008, avec le rétablissement de l’initiative parlementaire et l’examen en séance du texte issu des travaux de la commission, cet abus du droit d’amendement n’est plus tolérable ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. Jean-Louis Carrère. Les lois de circonstance sont toujours très mauvaises !
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, sur l'article.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la qualité d’une loi dépend largement des conditions de son élaboration.
Si l’obstruction parlementaire ne peut empêcher une majorité de faire voter une loi, en revanche l’utilisation par le Gouvernement de manœuvres de procédure pour contourner l’obstruction, comme le vote bloqué ou l’application de l’article 49, alinéa 3, a récemment abouti à de mauvaises lois qui furent censurées par le Conseil constitutionnel ou inappliquées. Souvenez-vous du cas exceptionnel du CPE ! À l’instant même où le Président de la République d’alors promulguait la loi, il s’engageait à ne pas l’appliquer !
Que dire d’ailleurs du présent article ? Le principal argument que l’on nous avance pour le voter est qu’il ne sera pas appliqué. Si l’on n’applique pas une loi, c’est qu’elle est mauvaise, et si on la reconnaît telle avant de la voter, alors il ne faut pas l’adopter !
Sur le fond, l’un des problèmes, et non des moindres, posé par cet article est de n’accorder d’importance qu’à la quantité des lois au détriment de leur qualité. Permettez-moi de confronter ce qui est prévu dans cet article à l’utilité du travail législatif en séance publique.
La conception unanime des acteurs et des commentateurs de la vie politique est qu’un nombre restreint de lois de qualité, bien appliquées et donc utiles à nos concitoyens, est préférable à un grand nombre de lois. Malheureusement, l’actuel Gouvernement multiplie les lois aux seules fins d’affichage. On aboutit ainsi à des lois sans portée normative ou redondantes avec d’autres lois ou règlements, et finalement inappliquées.
Lorsque les gesticulations tiennent lieu d’action, il est fatal que celui qui gesticule en vienne à chercher à crédibiliser son comportement en l’associant à la solennité du passage par le Parlement. Tel est l’objectif visé à l’article 13 !
Les lois qui seraient discutées selon la procédure permise par cet article 13 le seraient dans la négation de ce qui fonde le caractère républicain de la représentation parlementaire, c’est-à-dire la confrontation démocratique des attentes de tous nos concitoyens. Sans doute cette pratique longuement élaborée au cours de l’histoire apparaît-elle ringarde au Gouvernement et à son inspirateur, le Président de la République...
Limiter le temps consacré à l’examen d’un texte aura une conséquence très simple et très grave : toutes les idées, les initiatives, les observations, les propositions et les contre-propositions de nos concitoyens, dont chaque parlementaire est susceptible de se faire le porte-parole pour les traduire dans la volonté générale, ne pourront être exprimées dans toute leur richesse. La loi n’en sera que plus pauvre et plus réductrice. Gageons qu’elle sera plus faite pour le monde que nous renvoient les médias que pour le monde tel qu’il est et dont la représentation démocratique par des assemblées élues est encore la moins mauvaise représentation.
Avec l’article 13, des parties entières de la population seront négligées. Elles seront renvoyées dans l’ombre, parce que les parlementaires chargés de représenter la société française dans sa diversité sociale, politique, géographique ou culturelle ne pourront plus tous avoir accès au débat législatif en séance publique, dès lors que le temps limite sera écoulé.
L’article 13 va introduire une inégalité entre parlementaires et, à travers eux, entre nos concitoyens, en créant une distinction entre les parlementaires qui auront pu participer à l’élaboration d’une loi et ceux qui ne l’auront pas pu, faute de temps.
Au demeurant, prévoir des béquilles par les articles 13 bis et 13 ter, c’est-à-dire un temps minimal pour des orateurs de l’opposition ou des minorités parlementaires, une sorte d’exception qui confirme la règle du bâillonnement, ne changera rien au fait que tous les parlementaires, de l’opposition comme de la majorité, ne pourront pas participer à l’enrichissement du texte dès lors que le temps global sera épuisé. L’article 13 institutionnalise l’absentéisme parlementaire et cette incitation ne revigorera guère l’image de la vie politique aux yeux de nos concitoyens.
L’article 13 revient sur toute la construction du droit parlementaire depuis le XIXe siècle et ce qu’il a tendu à assurer : l’égalité entre chaque parlementaire, dont le rôle individuel est garanti par la Constitution.
L’instauration du temps global que l’on nous propose n’a rien à voir avec l’encadrement du temps de parole individuel lors de la discussion des articles ou des amendements. Cet encadrement vise à ce qu’aucun parlementaire ne puisse monopoliser la parole au détriment des autres. L’encadrement du temps de parole individuel pour chaque disposition examinée ne fait rien d’autre que traduire en droit parlementaire le principe qu’énonce l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sur la liberté des uns qui ne doit pas entraver celle des autres. Or c’est précisément ce que l’article 13 est en train de fabriquer, à l’envers !
J’en reviens ici à la question de la qualité de la loi.
Quel sens cela aura-t-il de passer au vote d’amendements sans en avoir débattu de manière publique, en séance ? Contrairement à d’autres assemblées – en tant que députée européenne, je pense au Parlement européen où les réunions de commissions, qui sont publiques, sont très suivies –, les débats en commission ne sont pas publics et chaque parlementaire ne peut siéger que dans une commission.
La séance publique permet à ceux qui le souhaitent d’intervenir sur des sujets qui ne sont pas forcément ceux de la commission dont ils sont membres, mais sur lesquels ils souhaitent réagir. Les amendements de l’opposition sont rarement votés. Mais, en séance, le rôle de l’opposition, comme de chaque parlementaire, sénateur ou député, ne se réduit pas à proposer et à voter ou non des amendements. Il consiste à débattre avec les autres membres de son assemblée et avec le Gouvernement, à conduire celui-ci à préciser sa position sur l’interprétation de ce que l’on est en train de voter, à obtenir de celui-ci des engagements, en échange desquels des amendements sont souvent retirés.
Les parlementaires arrivent peut-être à faire avancer plus d’idées par la discussion d’amendements qui seront retirés au terme de leur discussion que par le vote d’amendements, a fortiori d’amendements dont l’intérêt n’aurait pas été éclairé par un débat.
C’est une autre vertu du débat parlementaire public que de permettre à tous ceux qui ont un doute sur l’interprétation d’une loi obscure, et souvent obscure car votée dans la précipitation, de se référer à son compte rendu pour comprendre l’intention objective du législateur. Le rôle d’éclairage et de prospective du débat parlementaire est si évident que notre Constitution comprend une disposition permettant à chaque parlementaire de faire reculer le domaine de l’ambiguïté en allant au fond des choses, plus que cela est permis à tout citoyen.
L’article 26 de la Constitution précise : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. » La République se donne les moyens d’évoquer ce qu’elle peut vouloir réprouver.
M. le président. Chère collègue, je vous prie de conclure !
Mme Bernadette Bourzai. Bien volontiers !
Cet article révèle une obsession de la mise au pas et une défiance envers le pluralisme qui, pour ne pas être nouvelles de la part du Gouvernement, n’en sont pas moins préoccupantes.
Ce n’est pas parce que la parole omniprésente du Président de la République ne porte plus dans l’opinion qu’il faut empêcher toute autre parole d’avoir de l’effet.
Ce n’est pas parce que le Président de la République s’agite plus qu’il n’agit qu’il faut empêcher la représentation nationale de faire de bonnes lois, en fixant, par le couperet du temps limite, un numerus clausus de parlementaires pouvant participer à l’élaboration de la loi.
Parce que l’article 13 et ses scories font de la démocratie une exception octroyée, il faut empêcher que ce texte ait sa place dans notre droit. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne répondrai pas à chacun d’entre vous. Vous avez été si nombreux à intervenir que, si j’essayais, je pourrais me perdre dans les méandres de la pensée.
M. Jean-Louis Carrère. Encore faut-il en avoir une !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vous parlez des intervenants ?...
J’ai entendu des choses intéressantes, mais aussi des inexactitudes.
Pour commencer, qu’en est-il de l’évolution du débat démocratique ? J’ai entendu beaucoup de choses sur Louis-Napoléon Bonaparte, le Directoire et les débuts de la iiie République.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et la Restauration !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Chacun a fait sa petite leçon d’histoire. Je pourrais faire la mienne, …
M. Jean-Louis Carrère. Chiche !
M. Louis Mermaz. Allons-y !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … mais je préfère l’éviter.
À mon sens, la révision constitutionnelle a d’ores et déjà entraîné des conséquences tangibles. Les présidents de groupe, les vice-présidents, les présidents de commission et les questeurs qui siègent à la conférence des présidents du Sénat pourraient d’ailleurs en témoigner.
J’entends souvent dire : « Vous avez prétendu donner plus de pouvoirs au Parlement, mais tout ça, c’est grelots et pipeaux ! »
M. Jean-Louis Carrère. Saxophone et météo !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Peut-être, mais n’empêche que le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui participe à la conférence des présidents, disposait jusqu’ici de la totalité de l’ordre du jour ; il en a désormais la moitié. L’autre moitié, c’est la conférence des présidents qui en décide : une semaine peut être consacrée au contrôle, une autre à l’initiative législative.
Je n’ai d’ailleurs rien à y redire, puisque j’ai fait voter cette révision constitutionnelle. Je suis donc favorable au nouveau système, qui donne incontestablement plus de pouvoirs au Parlement d’un point de vue matériel.
M. Jean-Louis Carrère. Vous le regrettez ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Carrère, je vous ai écouté avec attention sans vous interrompre.
M. Jean-Louis Carrère. Je ne vous interromps pas, je vous commente !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’est inutile, vous le ferez plus tard !
Le Parlement, et donc le Sénat, disposera d’une semaine de contrôle qu’il organisera comme il l’entend, par exemple en demandant à entendre les ministres, pour faire un bilan des politiques menées. Il organisera également à sa manière la semaine d’initiative législative, sans que le Gouvernement puisse bloquer ou empêcher quoi que ce soit, ce qui n’est d’ailleurs pas son objectif. Naturellement, les membres du Gouvernement seront à la disposition du Sénat comme de l’Assemblée nationale pour l’organisation de cette seconde moitié de l’ordre du jour, décidée par les assemblées elles-mêmes.
À ce moment-là, on nous dit : « Bon ! le Parlement pourra maîtriser la moitié de l’ordre du jour, très bien, n’en parlons plus ! Mais, sur la moitié qui lui reste, le Gouvernement n’accorde rien de plus ».
Et pourtant, un texte ne pourra plus désormais être étudié dans l’hémicycle moins de six semaines après son dépôt par le Gouvernement sur le bureau de l’assemblée concernée. La commission compétente disposera donc, constitutionnellement, de six semaines pour étudier le texte qui lui sera transmis, quel qu’il soit. Aujourd’hui, le délai habituel est en moyenne de deux à trois semaines.
Mieux, c’est le texte élaboré par la commission qui sera examiné dans l’hémicycle et non pas le texte du Gouvernement. Par conséquent, non seulement on donne deux fois plus de temps aux commissions pour examiner un texte, mais on choisit aussi de faire porter le débat en séance publique sur des textes qui auront été modifiés par elles, si l’on excepte le cas des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale. En commission, il pourra y avoir autant de débats que les commissaires le souhaiteront.
On reproche ensuite au Gouvernement d’avoir « tout en main » au moment où le texte est examiné dans l’hémicycle. Comment dire une chose pareille alors qu’il a choisi de lui-même de restreindre l’utilisation de l’article 49, alinéa 3 !
M. Michel Charasse. Grosse erreur !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je le rappelle, certains prônaient sa suppression pure et simple, tandis que d’autres souhaitaient le conserver en l’état.
Vous dites avoir affaire à un Gouvernement qui « impose », mais puis-je vous faire remarquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, depuis le début de cette législature et la nomination de ce Gouvernement – c'est-à-dire depuis environ vingt et un mois –, l’article 49, alinéa 3, de la Constitution n’a jamais été utilisé ? Il l’avait été dix-sept fois entre 1981 et 2006. Pour un Gouvernement qui impose et ne veut pas débattre, c’est paradoxal !
M. Jean-Louis Carrère. C’est plus subtil !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. De la même manière, nous n’avons jamais utilisé le vote bloqué.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Prenez vos responsabilités !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Comment pouvez-vous dire que nous diminuons les droits du Parlements ? Voyons ! Nous sommes disposés à encadrer le « 49-3 », nous n’avons pas utilisé le vote bloqué, …
M. Jean-Pierre Michel. Et la procédure d’urgence ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … nous avons instauré un ordre du jour partagé et c’est le texte de la commission qui doit être étudié dans l’hémicycle…
La révision constitutionnelle a prévu qu’une loi organique détermine le cadre dans lequel seront fixées les dispositions relatives au droit d’amendement. Le Gouvernement présente donc ce texte à l’Assemblée nationale et au Sénat. À ce propos, monsieur Frimat – je le rappelle indépendamment de tout souci de préséance – ce n’est pas la conférence des présidents qui a demandé que l’article 13 soit mis à l’ordre du jour d’aujourd’hui, mais bien le Gouvernement.
La révision constitutionnelle avait également prévu que les propositions de résolution devaient faire l’objet d’une loi organique qui prévoit leur dépôt. Cependant, ce sont les règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale qui décideront de la manière dont elles seront étudiées. Il en ira de même des procédures simplifiées.
Comme je l’ai dit à l’Assemblée nationale, je suis sincèrement étonné de l’ampleur que prend cet article 13, qui n’avait pas vocation à faire l’objet d’une aussi grande attention.
Je ne reviens pas sur l’article 49, alinéa 3, ni sur tout ce qui a été dit à ce propos. Je souhaite simplement remettre les choses à leur place.
L’article 13 vise simplement à ouvrir une possibilité qui avait été évoquée clairement lors de la révision constitutionnelle et qui faisait l’objet d’une proposition du comité Balladur.
L’avant-projet de modification du règlement de l’Assemblée nationale qui permettra de mettre en œuvre cet article 13 est en cours de négociation. Le groupe de travail doit d’ailleurs se réunir demain sous la présidence de Bernard Accoyer. Si les groupes ne se sont pas définitivement mis d’accord, ils ont au moins donné un accord de principe au texte qui leur a été proposé. Par conséquent, la situation évolue. Et ce n’est pas le Gouvernement qui a les clés de cette négociation !
Il faut aussi considérer que le droit parlementaire – permettez à un ancien membre de la Haute Assemblée de l’affirmer – est un droit vivant, sans doute le plus vivant, fait de pratiques, de précédents, d’usages, de tolérance. Je crois que rien n’est figé par les règlements et que la pratique permettra de donner toute la souplesse nécessaire au bon fonctionnement d’un mécanisme qui peut a priori sembler rigide.
En effet, le temps programmé, qui est sous-entendu dans l’article 13, peut être envisagé de deux manières différentes, qui ne sont pas incompatibles.
La première est celle du mode consensuel. Le temps programmé serait un moyen de répondre à la question : « Comment organiser les travaux en séance ? » J’ai encore l’espoir qu’on puisse trouver un gentlemen’s agreement entre tous les groupes, notamment à l’Assemblée nationale, puisque le Sénat a d’ores et déjà œuvré en ce sens. L’idée est de permettre à chaque groupe, à chaque parlementaire, de mieux s’organiser pour atteindre un seul objectif : valoriser le travail en séance.
Je l’ai dit tout à l’heure, le travail en commission sera plus étendu, donc plus lourd. Je m’en excuse auprès des présidents de commission et de tous les commissaires régulièrement présents. (Sourires.)
J’entends souvent dire que ces travaux ne seront pas publics. Je précise que la révision constitutionnelle permet aux commissions d’être publiques si elles le souhaitent. Rien ne leur est interdit, chaque commission décidera de la manière dont elle travaillera.
En tout cas, il est évident qu’à l’Assemblée nationale les travaux sont trop souvent déséquilibrés. Vous le savez, beaucoup de temps est consacré aux premiers articles ; on « met en route le texte ». Ainsi, on met quatre jours pour examiner ses dix premiers articles, et puis, après accord entre la majorité et l’opposition – je le dis sans aucune agressivité envers quiconque –, on décide d’en finir et on précipite l’examen des derniers articles. J’ai pu constater que, sans avoir rien demandé, mais à la suite d’une entente intervenue au sein de l’hémicycle, quatre cents amendements pouvaient être « évacués » en deux heures.
M. Jean-Louis Carrère. Pas ici !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Telle est dans certains cas la vraie pratique parlementaire ! Est-ce ce que nous souhaitons ? Non, bien entendu !
Messieurs Fauchon, Mercier, Collin, le Gouvernement estime simplement que chaque règlement intérieur doit permettre un mode de fonctionnement harmonieux qui puisse favoriser un débat démocratique de fond. Personne ne veut empêcher que le débat ait lieu !
Si la durée d’examen des textes par les commissions a été allongée, c’est pour leur permettre d’adopter un texte plus abouti, qui fera l’objet du débat dans l’hémicycle. Le travail effectué par la commission sera ensuite valorisé dans l’hémicycle. Pour cette raison, nous avons précisé que les amendements pourraient être examinés en commission ou dans l’hémicycle. En effet, selon nous, le travail dans l’hémicycle doit porter sur des amendements « lourds », qui donnent lieu à un véritable débat politique de fond et qui intéressent les sénateurs ou les députés.
C’est d’ailleurs par ce biais que les hémicycles se rempliront. Pour ma part, je me bats régulièrement dans les médias contre les critiques portant sur l’absentéisme parlementaire. Je suis en effet convaincu que les parlementaires se dévouent énormément dans les commissions et dans les groupes de travail.
M. Jean-Louis Carrère. Surtout dans les groupes d’amitié !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Les juger sur leur simple présence dans l’hémicycle est une aberration.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Cependant, quand on dépose dans une assemblée 1 000, 10 000, 50 000 ou 120 000 amendements, on décourage quelque peu les parlementaires d’assister aux séances, ce qui nuit à la bonne image du Parlement.
Je ne suis pas convaincu que, sur la base de 500, voire de 800 amendements importants, on n’ait pas la capacité d’avoir un vrai débat démocratique. Franchement, je ne pense pas qu’il soit préférable pour le débat d’en examiner 120 000,…
M. Josselin de Rohan. C’est de la dérision !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … et que le fait de ne pas tous les défendre étoufferait l’expression démocratique ! N’oublions pas que la Constitution nous impose des délais pour l’examen du projet de loi de finances. Et cela ne marche pas si mal !
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous lire quelques mots qui, je vous rassure par avance, ne me sont pas imputables ; je n’ai pas pour habitude de me citer.
« Le filibustering n’est pas lié à la démocratie parlementaire, il en est la maladie infantile. Il dessert la fonction législative. Le fait que certains de mes prédécesseurs se soient laissés aller à l’organiser lorsque nous étions dans l’opposition n’implique pas que je les comprenne ; encore moins que je les approuve. […]
« L’Assemblée nationale fonctionne mal. Et cela nourrit l’antiparlementarisme. Je comprends que les députés socialistes se lassent de voir leurs emplois du temps bouleversés par l’anticipation de ces moments d’embuscade ou par l’étirement des débats : cette situation entrave le bon exercice de leur mandat.
« L’opposition ne renoncera pas, non à ses droits, mais à son harcèlement : c’est ce qu’on fait quand on n’a rien à dire.
« La majorité voudra-t-elle, non diminuer la nécessaire expression de l’opposition, mais instaurer les conditions d’un fonctionnement normal et plus moderne du débat législatif ? »
Ces propos ne remontent pas à la IVe République ou à des temps plus anciens, ils ont été prononcés par le président Jean-Marc Ayrault, il y a quelques années, alors qu’un gouvernement de gauche dirigeait ce pays ! Le président Ayrault estimait donc, même avant de connaître des textes à 120 000 amendements, que l'Assemblée nationale ne pouvait pas continuer de fonctionner comme elle le faisait alors. Volontairement, je n’ai pas fait référence à la proposition de M. Jean-Pierre Bel, dont je veux bien admettre qu’elle était, à certains égards, plus équilibrée.
J’en reviens au texte.
Monsieur Mercier, le mécanisme du temps programmé est conforme à la Constitution, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il a été évoqué lors des débats sur la révision constitutionnelle devant les deux chambres. Je l’ai fait moi-même et M. Bernard Accoyer a fait de même lors de la première lecture à l’Assemblée nationale. La proposition n° 33 du comité Balladur prévoyait, quant à elle, que « chaque assemblée aurait la capacité de fixer, de manière concertée, une durée programmée des débats pour éviter l’obstruction ». Pour notre part, nous n’avons pas mentionné ce dernier objectif, le nouvel article 44 de la Constitution disposant que le droit d’amendement « s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». Lors des débats, il a été clairement établi que cette rédaction ouvrirait la voie aux procédures simplifiées et au temps programmé.
Ensuite, je rappelle que cette procédure a existé jusqu’en 1969 sans que le Conseil constitutionnel ait jamais remis en cause sa conformité à la Constitution.
Ce n’est que si ce système avait pour conséquence de bafouer les droits de l’opposition, des groupes minoritaires ou des parlementaires pris individuellement que l’on pourrait douter de sa constitutionnalité. Ce point rejoint les appréciations portées par MM. Fauchon et Mercier, ainsi que plusieurs de leurs collègues.
Je vous rappelle au demeurant que la loi organique sera automatiquement soumise au Conseil constitutionnel.