M. le président. Madame la ministre, je vous remercie de votre concision.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Lagauche et Bérit-Débat, Mme Blondin, M. Bodin, Mme Demontès, M. Domeizel, Mmes Ghali, Lepage, San Vicente-Baudrin, Alquier et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 4.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires culturelles la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant création d'une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants (n° 146, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Yannick Bodin, auteur de la motion.
M. Yannick Bodin. Nous venons d’entendre à l’instant certaines de vos réponses, madame la ministre, mais j’avoue que demeure sur de nombreux points encore trop d’incertitude.
Une réforme de la première année des études de santé est nécessaire.
En effet, l’échec des étudiants en première année de médecine et dans certaines autres filières de santé s’élève à 80 %, voire à 90 %. Ce n’est pas acceptable !
L’étude du rapport du professeur Jean-François Bach, portant sur la réforme de la première année de médecine établit un diagnostic digne d’intérêt, qui aurait mérité des échanges au sein de la commission des affaires culturelles et avec le Gouvernement.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui prétend, en effet, s’inspirer des conclusions de ce rapport, remis en février 2008, à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.
L’objectif visé par la réforme est l’amélioration de l’encadrement de l’étudiant afin d’éviter l’échec de ce dernier et de favoriser sa réorientation dans les meilleures conditions possibles.
La réalisation de cet objectif passe tout d’abord par une meilleure préparation des étudiants aux concours, ce qui implique une meilleure information sur les études et les carrières médicales, et ce dès le lycée. Cette information devrait comprendre des indications sur le numerus clausus par formation, ainsi que sur les besoins en zones urbaines et rurales « sous-médicalisées ». Ces données sont très importantes pour permettre aux étudiants d’appréhender leur futur métier.
Cette meilleure orientation aurait toute sa place dans le plan « Réussite en licence » que vous avez lancé en décembre 2007, madame la ministre. Pourtant, comme cela a déjà été souligné, il n’est pas fait mention de cette possibilité dans la proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée.
Dans ce texte, la première année d’études de médecine deviendrait commune avec la première année d’odontologie, de pharmacie et de sage-femme. Regrouper en première année de médecine plusieurs autres premières années d’études de santé est certainement une bonne chose. Cette proposition a le mérite d’éviter une sélection par défaut, comme c’est le cas avec le concours unique actuel.
Pour autant, une question importante se pose. Pourquoi avoir limité ce regroupement à quatre filières, alors que de nombreuses autres filières recrutent par le biais de l’actuelle première année de médecine ? Pour ne prendre qu’un exemple, je citerai les futurs kinésithérapeutes, qui sont donc exclus de ce regroupement alors que 70 % d’entre eux sont pourtant issus de la première année de médecine.
Cette disposition exclut sans raison et sans modalité de remplacement des filières qui sont en majorité alimentées par des étudiants en première année de médecine. Un travail plus approfondi sur ce point permettrait sans doute d’apaiser les craintes de nombreux étudiants et enseignants de ces autres filières d’études de santé.
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
M. Yannick Bodin. De plus, n’apparaît pas, dans cette proposition de loi, la possibilité de passer plusieurs concours afin de diminuer les situations d’échec. Ce point constitue pourtant le cœur de la réforme. Sans cette mention, comment justifier l’intitulé même de ce texte prévoyant la « création d’une première année commune aux études de santé » ?
Un autre point essentiel à prendre en compte dans le projet de réforme qui nous est présenté est la prévention de l’échec des étudiants.
Pour ce faire, il est nécessaire d’organiser la réorientation de ceux qui ont obtenu la moyenne à leurs examens, mais n’ont pas été reçus aux concours, les « reçus-collés », ou ont échoué à leurs examens.
Cette réorientation pourrait avoir lieu soit dès le mois de janvier, après les premiers examens, soit à la fin de la première année. Pour les étudiants dont les résultats sont très insuffisants, la réorientation pourrait se faire vers une première année de licence sciences. En revanche, il faudrait permettre aux « reçus-collés » qui le souhaitent de poursuivre leurs études vers d’autres filières, leur première année étant validée.
Là encore, le manque de précision de cette proposition de loi ne peut que porter préjudice aux étudiants, puisque ni le choix des filières ni les modalités de la réorientation ne sont indiqués.
Enfin, le renforcement du tutorat doit être la clef de voûte de la réforme des études de santé. C’est un point essentiel pour lutter contre l’échec scolaire des étudiants. Là encore, cette proposition s’inscrirait parfaitement dans votre plan « Réussite en licence », madame la ministre, dont l’objectif est, permettez-moi de vous le rappeler, d’atteindre, à l’horizon 2012, le pourcentage de 50 % d’une classe d’âge au niveau licence. Or force est de constater qu’il n’en est même pas fait mention dans le texte que nous examinons aujourd’hui. Par qui ce tutorat sera-t-il assuré ? Sous quelle forme sera-t-il dispensé ? Des postes budgétaires seront-ils créés ? Combien d’heures y seront consacrées ?
Ne pas réaffirmer dans la loi que le tutorat doit être utilisé et valorisé laisse perdurer le système des « officines privées », dont on a aussi beaucoup parlé ce soir, et qui permet aux seuls étudiants issus des milieux favorisés de préparer le concours en parallèle avec des études à l’université. Cela pose une nouvelle fois le problème de l’égalité des chances à l’université. Il était pourtant facile, et immédiatement possible, de rompre avec les statistiques démontrant que les étudiants qui réussissent sont ceux qui sont issus de familles aisées.
Pour ma part, vous le savez, je suis très attaché à la diversité sociale, comme le soulignait le rapport d’information que j’ai présenté, en septembre 2007, au nom de la commission des affaires culturelles, qui a été unanime, n’est-ce pas, monsieur le président Legendre ?
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Tout à fait !
M. Yannick Bodin. Je l’ai dit au début de mon intervention, la réforme de la première année de médecine est nécessaire. Les propositions du rapport Bach ouvraient des pistes de réflexion. Lorsqu’il a été annoncé qu’une proposition de loi s’inspirant de ce rapport avait été élaborée, c’est avec un esprit ouvert que nous l’avons accueillie. Malheureusement, la lecture de la proposition de loi nous laisse perplexes.
En effet, en lieu et place de préconisations précises, ce texte, qui peut être assimilé à une loi d’habilitation, ne comporte aucune proposition concrète et précise répondant aux nombreuses questions qui sont posées et ne donne aucune garantie quant à la prise en compte des souhaits exprimés par les intéressés, étudiants et enseignants. C’est un chèque en blanc, j’allais presque dire une coquille vide.
Enfin, force est de constater que, une fois de plus, c’est la précipitation qui domine pour la mise en œuvre de la réforme. La proposition de loi prévoit – j’ose encore espérer que l’on pourra peut-être employer tout à l'heure l’imparfait – l’application du dispositif dès la rentrée 2009-2010. De l’aveu même des doyens d’université, qui appellent la réforme de leurs vœux, les universités n’auront pas les moyens de s’organiser matériellement et financièrement pour mettre en œuvre cette réforme à la rentrée prochaine, car nous sommes déjà au mois de février.
Le Gouvernement a transmis, le 1er août 2008, aux présidents d’universités de médecine, d’odontologie et de pharmacie une circulaire en vertu de laquelle ils sont invités à adapter, dès la rentrée universitaire 2009-2010, leurs licences en fonction du schéma LMD afin « de favoriser une meilleure réorientation des étudiants des professions de santé au sein de ces professions et vers d’autres filières ».
Malheureusement, comme pour la réforme de la formation des maîtres, aucune indication n’a été fournie aux présidents des universités pour que tous respectent un cadre commun pour la réécriture des licences. Cela explique d’ailleurs, pour une bonne part, le mouvement actuel de grève et de protestation des étudiants. Reconnaissez, madame la ministre, que nous vous avions prévenue au moment du vote de la loi.
Le processus de Bologne, sur lequel est fondée votre circulaire, fixe à 2010 la date butoir pour la mise en conformité du dispositif LMD par les États membres de l’Union européenne. Prévoir l’application du dispositif à la rentrée 2010 semblerait donc à la fois plus réaliste et plus respectueux du travail qui doit être mené par les universités. Profitons de cette année supplémentaire pour organiser les concertations nécessaires et permettre la mise en place de ces dispositifs dans la sérénité. La précipitation est toujours cause d’échecs ultérieurs. Voyez ce qui s’est passé pour les enseignants-chercheurs, par exemple, ou pour la réforme du lycée que votre collègue Xavier Darcos a dû abandonner au profit de missions confiées à MM. Descoings et Hirsch. Qui souhaite voir les étudiants et les enseignants de médecine se joindre à la mobilisation qui enfle chaque jour davantage ? Certainement pas vous, madame la ministre ! Pas plus que nous !
La sagesse exigerait de se donner le temps d’écouter chaque partie et de prendre en compte ce qui nous est dit.
En dépit des arguments que je viens d’exposer, je me doute, madame la ministre, que vous ne manquerez pas d’indiquer que vous préciserez les contenus de la proposition de loi, une fois adoptée. Pourtant, je considère qu’il est indispensable d’approfondir ici et maintenant l’étude de ce texte.
Une loi mettant en place un dispositif précis doit être élaborée. Pour ce faire, il est nécessaire d’auditionner les présidents des universités des filières médicales, les étudiants de ces filières, les professionnels issus de ces filières,…
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Cela a été fait !
M. Yannick Bodin. …mais également vous-même, madame la ministre, puisque vous êtes la principale actrice de la réforme qui sera mise en place. Or ce travail n’a été fait ni par la commission des affaires culturelles ni par la commission des affaires sociales.
Seul ce travail nous permettra d’élaborer une loi digne de ce nom, susceptible de lutter contre l’échec en première année universitaire, de mettre en place un véritable dispositif de réorientation des étudiants, de valoriser le tutorat et d’intégrer l’ensemble des filières médicales et paramédicales. Trop de questions restent imprécises ou sans réponse.
C’est pourquoi nous demandons le renvoi à la commission de cette proposition de loi, avec le seul souci – croyez-nous – d’aboutir à une réforme nécessaire et utile, sur laquelle le plus grand nombre d’entre nous pourraient s’accorder ou parvenir – pourquoi pas ? – à un consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Il me semble vraiment difficile de soutenir que les dispositions prévues dans la proposition de loi n’auraient fait l’objet d’aucune concertation, alors qu’elles résultent des trois rapports successifs qui, de 2003 à 2008, ont concerné la nécessaire réforme de la première année des études de santé. Je pense tout particulièrement au rapport de M. Jean-François Bach de février 2008, dont les préconisations inspirent largement la présente proposition de loi.
Par ailleurs, je rappelle qu’une circulaire du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche d’août 2008, adressée aux recteurs d’académie ainsi qu’aux directeurs d’unités de formation et de recherche concernés, a fixé les principales orientations de la réforme.
Notre rapporteur, M. Jean-Claude Etienne, a procédé à toutes les auditions nécessaires. Il a même poursuivi ses consultations en fin de semaine dernière.
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur. Le week-end dernier !
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. En outre, je rappelle que la proposition de loi identique dont il était l’auteur a été déposée sur le bureau du Sénat en octobre 2008. Les sénateurs souhaitant s’intéresser au sujet ont donc eu toute latitude depuis lors pour approfondir la question et entendre les parties intéressées.
Enfin, notre amendement visant à reporter d’un an l’application de la réforme laissera tout le temps nécessaire à la poursuite des concertations liées à la mise en œuvre concrète au sein des universités.
Cela étant, il est vrai que le texte qui nous est proposé fixe un cadre très général pour cette réforme, renvoyant aux textes réglementaires le soin de fixer les modalités d’application. Il est donc légitime, d’une part, que nous demandions à Mme la ministre d’apporter tous les éclaircissements nécessaires compte tenu des questions que se posent encore les uns ou les autres, et, d’autre part, que nous nous préoccupions davantage encore à l’avenir des modalités d’application des textes que nous votons, mais l’organisation future de nos travaux devrait nous permettre de le faire plus facilement.
Le débat que nous avons eu ce matin en commission montre que la réforme de la première année des études de santé n’est pas sans lien avec des problématiques plus générales ayant une incidence sur l’organisation et le contenu des formations médicales et paramédicales.
C’est pourquoi il nous apparaîtrait utile d’organiser des auditions sur ces questions, qui pourraient être communes avec la commission des affaires sociales, si elle le souhaite. Je le répète, les réformes en cours sur les modalités de travaux du Sénat nous permettront d’y procéder, et nous avons bien l’intention de le faire.
En conclusion, cette motion tendant au renvoi à la commission ne me semblant pas justifiée, je vous demande, mes chers collègues, de la rejeter.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
Je rappelle simplement que la loi est là pour poser les principes. D’ailleurs, je le sais, les deux assemblées sont soucieuses de ne pas avoir de lois trop bavardes. Je prends l’engagement devant la représentation nationale de veiller à faire en sorte que les arrêtés correspondent vraiment à l’esprit de nos discussions de ce soir.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 4, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
I. - L'article L. 631-1 du code de l'éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 631-1. - I. - La première année des études de santé est commune aux études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et de sage-femme. Les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé déterminent par voie réglementaire :
« 1° L'organisation de cette première année des études de santé ;
« 2° Le nombre des étudiants admis dans chacune des filières à l'issue de la première année des études de santé ; ce nombre tient compte des besoins de la population, de la nécessité de remédier aux inégalités géographiques et des capacités de formation des établissements concernés ;
« 3° Les modalités d'admission des étudiants dans chacune des filières à l'issue de la première année ;
« 4° Les conditions dans lesquelles les étudiants peuvent être réorientés à l'issue du premier semestre de la première année des études de santé ou au terme de celle-ci ainsi que les modalités de leur réinscription ultérieure éventuelle dans cette année d'études.
« II. - 1. Des candidats, justifiant notamment de certains grades, titres ou diplômes, peuvent être admis en deuxième année ou en troisième année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme.
« 2. Peuvent également être admis en deuxième année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou en première année d'école de sage-femme des étudiants engagés dans les études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme et souhaitant se réorienter dans une filière différente de leur filière d'origine ; cette possibilité de réorientation est ouverte aux étudiants ayant validé au moins deux années d'études dans la filière choisie à l'issue de la première année.
« Les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé arrêtent le nombre, les conditions et les modalités d'admission des étudiants mentionnés aux 1 et 2.
« III. - Le ministre chargé de la santé est associé à toutes les décisions concernant les enseignements médicaux, odontologiques et pharmaceutiques. »
II. - À la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, le mot : « premier » est remplacé par le mot : « troisième ».
III. - Les arrêtés pris en application du présent article font l'objet d'une publication au Journal officiel.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, sur l'article.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’avez tous entendu ce soir, les orateurs sont unanimes pour souligner la nécessité de réformer la première année des études de santé au regard du taux d’échec actuel.
La mise en place d’une telle réforme permettrait, en principe, de faciliter la réorientation des étudiants en situation d’échec, par ailleurs inhérente au principe du numerus clausus qui y est instauré.
Néanmoins, j’aimerais évoquer quelques points problématiques liés à l’article 1er de cette proposition de loi et qui ont trait non seulement aux professions concernées, mais aussi aux modalités de mise en œuvre de cette réforme, lesquelles ne sont que trop peu explicitées.
J’aborderai tout d’abord l’exclusion des futurs kinésithérapeutes dans le projet de première année commune.
Cela risque d’être fortement préjudiciable à cette formation et aux étudiants optant pour cette voie. En effet, qui dit première année commune dit, par définition, tronc commun initial et donc apprentissage d’une culture commune de ce qu’est la santé. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’évoquer cela lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
Or les kinésithérapeutes sont actuellement 70 % à se présenter au concours commun par le biais de l’actuelle première année de médecine, et ce mode de sélection concerne les deux tiers des instituts de formation en masso-kinésithérapie. Les autres étudiants ont recours à une sélection par concours privé, qui relève moins d’un « recrutement qualitatif » des étudiants que d’une véritable sélection par l’argent : le coût moyen de ce concours se situe en effet entre 3 500 euros et 4 900 euros par étudiant selon les chiffres avancés par les fédérations, et cela pour une année préparatoire qui, de surcroît, est non validante !
La non-intégration des étudiants kinésithérapeutes au sein de cette première année commune aboutirait donc à une généralisation de ce type de sélection par concours privé, au mépris du principe d’égalité des chances qui doit rester le socle de notre système universitaire républicain.
Un second élément de préoccupation concerne ceux que nous avons évoqués à maintes reprises : les étudiants en pharmacie, qui restent encore nombreux à nous faire part de leurs inquiétudes face à la réforme qui leur est proposée. L’intégration de cette formation au système LMD et la mise en place d’une culture commune des études de santé présentent, sans conteste, de nombreux atouts. Mais cela ne doit pas se faire dans la précipitation, ni au prix d’une perte de qualité des enseignements spécifiques dispensés.
En effet, les étudiants en pharmacie bénéficient actuellement en première année d’un enseignement qui accorde une large place aux travaux dirigés : environ 30 % en moyenne d’enseignements dirigés dispensés, contre 10 % en première année de médecine. Les enseignants des facultés de pharmacie sont astreints à enseigner un minimum de 192 heures équivalents TD, alors qu’aucun quota n’est imposé aux enseignants des facultés de médecine.
Et pourtant, l’arrêté du 18 mars 1992 qui organise le premier cycle des études médicales impose bien un minimum de 30 % d’enseignements dirigés et pratiques. Mais cela n’est malheureusement pas appliqué dans un nombre croissant d’universités, du fait notamment d’effectifs trop élevés pour pouvoir l’assurer et du manque d’enseignants et de locaux.
La mise en place de cette année commune telle qu’elle est énoncée ne ferait donc qu’amplifier ce phénomène, au risque d’une sévère dégradation des conditions d’enseignement. Les étudiants en pharmacie passeraient ainsi d’un enseignement en petit groupe de 30 ou de 40 élèves à des cours réunissant de 150 à 200 étudiants, les effectifs globaux risquant, quant à eux, de tripler, voire de quadrupler.
Comment donc, dans de telles conditions, réussir à maintenir et à préserver la qualité de l’enseignement dont ils bénéficient actuellement ?
Cette forte hausse des effectifs va inévitablement accroître le recours aux enseignements sur supports numériques et aux téléconférences, induisant une perte de pédagogie évidente pour les étudiants en pharmacie, mais aussi pour l’ensemble des étudiants concernés par la réforme. En effet, – mais est-il utile de le rappeler, notamment aux enseignants comme moi qui sont présents ici ce soir ? – la richesse de l’interaction entre professeurs et élèves peut difficilement être compensée par le monologue d’une silhouette projetée dans un amphithéâtre surpeuplé.
Il est donc primordial de continuer à promouvoir un enseignement à taille humaine, qui est essentiel à la richesse et à la maîtrise des enseignements dispensés.
Et sans la mise à disposition des moyens financiers et humains nécessaires liée aux modalités de la réforme – moyens qui restent trop peu définis au regard du contenu de cet article –, celle-ci, prise en l’état, devrait clairement, je le crains, accroître les risques de gâchis humain qu’elle visait initialement à réduire.
M. le président. La parole est à M. Jean Milhau, sur l’article.
M. Jean Milhau. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, dans un souci d’économie de temps, j’irai à ce que je considère comme l’essentiel ; personne ne s’en plaindra ! Au demeurant, beaucoup a déjà été dit.
Madame la ministre, nous partageons le constat qui a conduit au dépôt de ce texte visant à réformer le cursus des études médicales dès la première année.
Nous pouvons souscrire à la proposition consistant à regrouper la première année, dans un tronc commun, les étudiants de médecine, de pharmacie, d’odontologie et de maïeutique, laissant ouvert en fin d’année le choix de la spécialisation.
Nous approuvons les possibilités de réorientation à mi-parcours de la première année pour ceux des étudiants qu’un niveau insuffisant conduirait à l’échec, en les orientant vers des études scientifiques. Peut-être conviendrait-il aussi d’ouvrir des passerelles vers d’autres disciplines.
Nous pensons judicieuse la possibilité de laisser entrer vers ces disciplines médicales des étudiants justifiant de certains grades ou diplômes au cours de la deuxième ou troisième année.
Toutefois, madame la ministre, nous pensons que l’essentiel de la réussite réside dans le dispositif de la mise en œuvre – la voie réglementaire – de cette importante, nécessaire et urgente réforme. Or, cela a d’ailleurs été dit, ce dispositif nous est inconnu et tout le succès en dépend.
Des informations et des inquiétudes qui nous semblent fondées et qui remontent jusqu’à nous font apparaître que la concertation en l’état actuel est insuffisante. Il faut réussir cette réforme, madame la ministre. Elle est urgente, certes, mais l’urgence ne justifie pas la précipitation.
Il ne faut pas sacrifier ceux qui, entrés en première année, risquent d’en être les victimes. Il faut considérer la diversité des situations et des possibilités d’adaptation différentes sur le terrain. En un mot, nous pensons qu’il faut poursuivre encore la concertation avec tous, je dis bien « tous » les partenaires concernés pour ajuster au plus près le dispositif de la mise en œuvre.
Par conséquent, madame la ministre, il faut reporter la date d’entrée en vigueur de cette réforme à la rentrée 2010-2011, ce qui fait, par ailleurs, l’objet d’une proposition des deux commissions concernées que nous saluons et que nous remercions.
Sous réserve de l’adoption de ce report, nous voterons majoritairement pour la proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali, sur l’article.
Mme Samia Ghali. Madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi, à l’occasion de l’examen de ce texte, d’aborder un des éléments du sujet qui, à lui tout seul, justifierait le renvoi à la commission, je veux parler de la démocratisation des études de médecine. J’en conviens, les principes posés par ce texte pourraient y participer, je dis bien « pourraient » ! Encore faut-il ouvrir le débat, ce que ce texte ne permet pas. C’est sur ce point que je souhaite vous interpeller, madame la ministre.
D’un côté, il y a une réalité statistique, celle de la démocratisation de l’école et de l’enseignement supérieur ; il y a aussi un discours présidentiel sur l’ouverture nécessaire des grandes écoles, et j’en suis heureuse.
Mais, de l’autre, il y a la réalité ! D’abord, cette démocratisation de l’enseignement supérieur concerne essentiellement les cycles courts. Ensuite, les inégalités ont changé de forme et renvoient désormais plutôt à la nature même des études. Je veux dire par là qu’il existe à l’Université des filières dites « d’excellence », qui ont totalement échappé au mouvement de démocratisation. La première d’entre elles, la plus sélective, madame la ministre, c’est malheureusement la médecine.
Je n’ai pas le temps de décrire le tableau des origines sociales des étudiants reçus. Mais, vous le savez, il est édifiant, et ce n’est pas un hasard.
Aujourd’hui, pour obtenir le concours, le passage par une officine privée est quasi obligatoire. Dans ces officines, d’ailleurs, vous trouvez tout ce dont vous avez besoin : des équipes pédagogiques expérimentées, des enseignants, des spécialistes des cursus universitaires et même des professeurs agrégés. Tout ce monde s’y croise.
Vous trouvez ensuite des formations adaptées : du soutien intensif toute l’année, des stages de prérentrée et même une année préparatoire à l’année de préparation aux concours.
Vous trouvez enfin des moyens : des effectifs réduits à vingt-cinq par classe, des cours à quelques minutes à pied des facultés pour ne pas perdre de temps, bien sûr, un emploi modulable créé sur mesure en concertation avec les étudiants et une distribution de tous les supports – annales classées et corrigées, tableaux récapitulatifs, fiches de cours, résumés. Bref, tout y est. De quoi faire rêver les étudiants de nos facultés !
J’ai oublié deux détails essentiels.
D’abord, le coût de ces officines. Pour une année en classe préparatoire, par exemple, il faut compter jusqu’à 8 590 euros. Je dis bien 8 590 euros, pour s’inscrire à l’année préparatoire à l’année préparatoire au concours !
Enfin, je disais tout à l’heure que tout le monde semblait s’y croiser. Mais pas tout à fait... Vous ne croiserez pas beaucoup d’enfants d’ouvriers ou d’employés. Ceux-là, vous les trouvez sur les bancs de la fac, quand il reste de la place, à suivre des cours à des heures improbables, en train de courir derrière les polys et les livres à bas prix, ou derrière des étudiants admis qui voudront bien leur accorder quelques conseils ou aides. Pour ceux-là, sans moyens financiers, sans soutien particulier, les statistiques sont cruelles.
Voilà, madame la ministre, ce que je vois tous les jours à Marseille et quel est l’état de la situation des études de médecine un peu partout en France. Certains d’entre vous pensent peut-être que je grossis le trait. Malheureusement, non. Le mal est très profond.
Il faut revoir le cursus pour que la première année ne soit pas celle de l’échec de 80 % des étudiants inscrits. Une première année commune à l’ensemble des études de santé, sans doute ; des passerelles, des équivalences, des possibilités de réorientation, certainement !
Les étudiants qui ne peuvent se permettre de perdre une année tenteront peut-être leur chance. Mais, pour les rassurer réellement, beaucoup reste à préciser et à améliorer très concrètement : la question des moyens, de toute évidence, la question du numerus clausus, le principe même du concours. Autant de réponses qui pèseront dans les choix des futurs étudiants.
Aujourd’hui, la démocratisation de la médecine a échoué et a reculé. Le concours s’est financiarisé et de facto privatisé. Votre devoir, madame la ministre, est d’en prendre toute la mesure, de donner aux étudiants les mêmes chances et aux facultés de médecine les moyens d’assurer leur mission de service public.
Enseignants, parents, étudiants méritent une réponse urgente. La réforme est nécessaire, mais elle ne peut se faire sans concertation fouillée et surtout sans partir de principes bien posés. Or c’est tout ce qui manque à ce texte et à cet article !