M. David Assouline. Bla, bla, bla !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais, au terme de ce long processus, saluer tout particulièrement mes collègues Catherine Morin-Desailly et Michel Thiollière, rapporteurs au fond, qui ont accompli un gros travail,…
M. David Assouline. Pour rien !
M. Bruno Retailleau. … avec patience et en faisant preuve d’ouverture (Mme Catherine Tasca s’exclame), notamment à l’égard des préoccupations de la commission des affaires économiques, dont j’étais le rapporteur pour avis.
Je tiens aussi à remercier le président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Legendre, d’avoir su entendre des arguments inspirés par la logique des membres de la commission des affaires économiques.
Mes chers collègues, le hasard fait parfois bien les choses puisque, cet après-midi, au moment même où nous nous apprêtons à voter définitivement ce projet de loi, sont célébrés deux événements marquants en matière culturelle.
Le premier est le cinquantième anniversaire…
M. David Assouline. … de Nicolas Sarkozy !
M. Bruno Retailleau. … de la création du ministère de la culture par André Malraux. Rappelons-nous la superbe profession de foi qu’il avait exprimée, sur les ondes déjà, en février 1959 : « La culture, c’est ce qui répond à l’homme lorsqu’il se demande ce qu’il fait sur la terre. »
Le second événement fondateur est le passage au tout-numérique, de la télévision d’hier à la télévision d’aujourd’hui et de demain, d’un peu plus de 7 000 foyers français, qui se conjugue au vote de ce texte, par une belle coïncidence, fortuite, à moins que Mme le ministre, dont nous connaissons le goût pour la mise en scène, ne l’ait organisée ! (Sourires.)
En tout cas, cette conjonction d’événements est porteuse de sens dans la mesure où le texte qui nous est soumis a précisément pour objet de nous permettre de relever deux défis.
Le premier est celui du mieux-disant culturel : comment peut-on encore mieux utiliser la télévision, ce formidable instrument présent dans tous les foyers, à l’impact considérable, de manière que nos concitoyens puissent grandir en humanité, car c’est aussi cela la culture ?
Le second défi est l’entrée dans un monde nouveau, le monde de l’audiovisuel numérique.
Le Sénat a été, me semble-t-il, à la hauteur de sa réputation, eu égard au travail accompli. Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, est bien meilleur qu’il ne l’était à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale.
M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. À cet égard, j’évoquerai la rénovation de la redevance. Je me souviens de certains combats menés aux côtés de mes collègues, la percée conceptuelle opérée à l’occasion de l’examen du collectif budgétaire nous ayant amenés à consolider notre position. Nous avons assuré à l’audiovisuel public un financement pérenne, une ressource affectée dont l’assiette a été redynamisée. Je pense que c’est important pour son indépendance.
Nous avons aussi renforcé le contrôle du Parlement, avec l’instauration du comité de suivi. Tout reste à faire, bien entendu, mais je ne doute pas qu’une dynamique a été enclenchée et que cette innovation législative aura des conséquences extrêmement importantes.
Au nom de la commission des affaires économiques, je voudrais mettre en exergue un acquis que je trouve essentiel : la sanctuarisation d’une frontière très nette entre ce qui relèvera des dispositions de la loi de 1986, de la régulation du CSA, à savoir les médias audiovisuels à la demande, et ce qui relèvera de l’internet.
Cette distinction est cruciale au regard d’une jurisprudence qui, dans notre pays, est encore un peu trop hésitante, et donc d’une insécurité juridique. Le cadre beaucoup plus stable que nous avons posé va permettre à la France de se porter à la pointe du combat sur ces nouveaux médias d’internet. C’est là à mon sens une avancée importante, dans laquelle la commission des affaires économiques a pris sa part en faisant valoir l’ensemble de ses arguments.
Bien entendu, certains sujets restent ouverts et, si le moment n’est pas encore venu d’en rediscuter, il faudra malgré tout prochainement le faire.
Nous aurions souhaité que la prise en compte des investissements des opérateurs pour la couverture des territoires, en vue de la réduction de la fracture numérique, soit moins cosmétique, et que les opérateurs mobiles virtuels, qui animent quelque peu le marché et la concurrence, puissent être exonérés, puisqu’il s’agit souvent d’entreprises qui enregistrent des pertes. Cela peut tout à fait entrer dans le cadre des compétences du nouveau comité de suivi, qui doit avoir du pain sur la planche !
À l’approche du vote final, à l’occasion duquel chacun va pouvoir se prononcer en conscience, j’indiquerai que s’il fallait retenir une seule raison d’approuver ce texte que nous avons beaucoup amendé, ce serait que, au cours de ces derniers mois, nous avons quitté un monde et que plus jamais nous ne reviendrons en arrière.
Mes chers collègues, nous vivons dans un pays qui a inventé la diversité culturelle ; pour nous, Français, la culture, ce n’est pas seulement une fraction du produit intérieur brut. Nous tenons à la création, qui repose dans une très large mesure sur la télévision, dont le financement, par la publicité ou, dans l’audiovisuel public, par la redevance, revêt donc une importance majeure.
Si nous avions abandonné l’audiovisuel aux turbulences du marché, si nous nous étions résignés au sous-financement tant du service public que du secteur privé, nous aurions sapé le socle sur lequel repose le financement de l’ensemble de la création en France. Telle est ma conviction !
Il n’est plus possible de revenir en arrière, je le redis, nous avons quitté un monde ancien, nous entrons dans un monde nouveau. Dans cette perspective, ce texte constitue une avancée essentielle, qu’il faudra sans doute confirmer. Nous allons préserver le financement de la création,…
Mme Catherine Tasca. Vous y croyez ? Pas nous !
M. Bruno Retailleau. … c’est important pour la France, pour les créateurs et pour l’audiovisuel public et privé de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout ça pour ça !
Nous, sénateurs de la République, parlementaires au même titre que nos collègues députés, qui avons déjà vu notre droit à légiférer ignoré, piétiné par le Gouvernement lorsque celui-ci obligea le conseil d’administration de France Télévisions, à la mi-décembre, à appliquer l’une des principales dispositions de la réforme de l’audiovisuel public avant même que notre assemblée ait pu commencer à en débattre, sommes de nouveau humiliés par le travail de sape méticuleux effectué par la majorité de droite au sein de la CMP à l’encontre de toutes les améliorations que nos débats avaient permis d’apporter afin de défendre l’indépendance, la liberté et le pluralisme du service public de l’audiovisuel.
Dans ces conditions, mes chers collègues, le seul enjeu de notre discussion d’aujourd’hui est de savoir si le Sénat va encore accepter de se faire hara-kiri !
De façon plus positive, quelques consciences libres, au-delà des travées de l’opposition, voteront-elles en se fondant sur les seules convictions qu’elles ont exprimées au cours de nos débats, sans succomber aux pressions du pouvoir ni céder aux menaces de coups de bâton ou aux promesses de carottes, qui n’ont pas cessé depuis plusieurs semaines ?
Quelquefois, en politique, il s’agit purement et simplement d’une affaire de respect de soi-même et de dignité.
Personnellement, je ne me résoudrai jamais au cynisme politicien qui fait tant de ravages parmi nos concitoyens. J’ai voulu croire ceux qui affirmaient que jamais ils n’accepteraient que l’on revienne, par exemple, sur l’encadrement du droit de révocation du Président de la République.
Mes chers collègues, c’est à vous, à nous, qu’il reviendra de décider tout à l’heure : le Sénat peut encore relever la tête ! Ne voyez là nul effet oratoire de ma part, mais plutôt l’expression de la véritable inquiétude des sénateurs de l’opposition devant le constat que la majorité sénatoriale n’a pas osé s’opposer à un projet de loi dont nombre de ses membres ne partagent pas les orientations, la quasi-totalité d’entre eux rejetant de surcroît les modalités de son examen.
À l’heure où notre président, Gérard Larcher, affiche sa volonté de relégitimer le rôle et la place de la chambre haute dans nos institutions, notre assemblée devrait avoir à cœur d’affirmer aujourd’hui, de manière unanime, son désaccord avec certaines pratiques. La commission mixte paritaire qui s’est réunie la semaine dernière, sous la présidence du désormais célèbre mangeur de chapeau Jean-François Copé (M. Alain Fauconnier rit), n’a travaillé que pour détricoter l’ouvrage patiemment élaboré par le Sénat durant les quinze premiers jours de janvier. Quel gâchis !
En effet, toutes celles et tous ceux qui ont participé aux dizaines d’heures de débat pendant lesquelles notre assemblée a publiquement discuté du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision pourront témoigner que les échanges ont été guidés par la recherche de l’intérêt général.
Les mêmes auront pu constater que ce souci paraissait malheureusement faiblement partagé au banc du Gouvernement, où la ministre de la culture et de la communication et, brièvement, le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer sont restés campés sur la position qui leur a été dictée par l’Élysée.
Dans ce contexte, malgré leur opposition déterminée à la réforme voulue par le Président de la République et visant à organiser la double mise sous tutelle – politique et économique – de notre radio et de notre télévision de service public, les sénateurs socialistes et écologistes ont cherché à contribuer à faire vivre le débat sur l’avenir du secteur audiovisuel dans notre pays, sans jamais faire d’obstruction. (M. Jean-Claude Carle s’exclame.)
C’est ainsi que, en cohérence avec nos convictions, fortes et depuis longtemps affirmées, en faveur de l’indépendance, du pluralisme et de la liberté des médias, nous avons déposé près de cent cinquante amendements ou sous-amendements à la seule fin d’améliorer le texte qui nous était soumis.
En cela, nous nous sommes inscrits dans l’esprit de travail revendiqué alors par le président et les deux rapporteurs de la commission des affaires culturelles. Sans effacer les contradictions, cela a permis d’apporter, de notre point de vue, des améliorations, certes insuffisantes mais réelles, au projet de loi.
Ainsi, certains amendements déposés sur l’initiative de notre groupe, avec le soutien de la commission des affaires culturelles, ont été approuvés par notre assemblée, toujours contre l’avis du Gouvernement.
L’un d’entre eux tendait à faire reconnaître l’existence de rédactions propres aux chaînes publiques et à imposer que celles-ci fussent dirigées par des journalistes. Cette disposition légale aurait permis de garantir que France 2 et France 3 conservent, chacune, une équipe rédactionnelle distincte, avec des moyens particuliers et un encadrement assuré par des professionnels, afin que l’une et l’autre puissent continuer à proposer à nos concitoyens des journaux télévisés et des émissions d’information de qualité, selon une ligne éditoriale spécifique.
Cette disposition, votée à la quasi-unanimité du Sénat contre l’avis du Gouvernement, a été supprimée du texte par la commission mixte paritaire, sur l’initiative des députés de la majorité, au nom de la liberté de la direction de France Télévisions d’organiser les services de l’entreprise unique comme elle l’entend.
Autrement dit, la question de la qualité et de la diversité de l’information diffusée par la télévision publique, l’avenir d’une émission comme Envoyé spécial ou d’un journal télévisé comme le 19/20, programmes plébiscités par les téléspectateurs, ont été réglés dans le secret d’une réunion de commission mixte paritaire, avec le seul souci de l’autonomie de gestion de dirigeants qui devront prendre leurs ordres directement à l’Élysée !
Un autre de nos amendements tendait à confier à la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France la mission de coopérer avec RFO.
À l’heure où le Gouvernement et la majorité appellent de leurs vœux une optimisation de l’usage des moyens dévolus à la radio et à la télévision publiques, une telle obligation pour les équipes de France 24, de RFI et de TV5 Monde de travailler de manière plus étroite avec celles des antennes de RFO paraîtrait d’autant plus logique que les implantations complémentaires de toutes ces chaînes constituent un réseau unique au monde.
Là encore, les députés de I’UMP se sont retranchés derrière des principes de gestion pour écarter du texte une disposition adoptée par le Sénat. Quand on connaît le mode de gouvernance de l’équipe dirigeante de notre audiovisuel extérieur, fondé sur un management arbitraire et une politique de réduction des coûts à l’aveugle, on a du mal à comprendre que la majorité accepte de laisser cette direction tout à fait libre de ses mouvements.
En tout état de cause, tant les salariés de RFI, victimes de la restructuration déjà en marche de leur entreprise, comportant des centaines de licenciements, que les auditeurs des émissions de la station diffusées en allemand ou en russe, appelées à disparaître des ondes, n’oublieront pas de sitôt que ce projet de loi aura entériné le démantèlement du service public de l’audiovisuel extérieur.
Nous avions aussi obtenu que le Sénat, dans sa sagesse et une nouvelle fois en contradiction avec la position du Gouvernement, décide que la loi ne planifierait pas, comme cela était initialement prévu, la suppression de la publicité sur les antennes de RFO.
En effet, tous les acteurs du secteur audiovisuel établis dans les collectivités ultramarines, de même que le CSA et la commission Copé, en sont convenus : les marchés de la publicité propres à chaque territoire concerné sont de taille très modeste et connaîtraient donc, si la publicité disparaissait des antennes du service public, un déséquilibre radical et soudain entre l’offre et la demande.
Ainsi, alors que la suppression de la publicité sur les chaînes publiques en métropole fait passer la part de marché des chaînes pouvant en diffuser de 95 % à 65,3 %, cette même suppression sur la chaîne publique à la Réunion ferait descendre cette part de marché de 60 % à 31 % ! Elle atteindrait même 15 % en Martinique et 5 % en Guadeloupe. De plus, les plages de publicité télévisée, en particulier celles qui sont programmées par le service public, permettent à des annonceurs locaux de toucher toute la population d’un territoire. Enfin et surtout, RFO, qui constitue la source principale d’information de nos concitoyens ultramarins, doit pouvoir continuer à compter sur une ressource annuelle de 18,6 millions d’euros, dont la collecte emploie par ailleurs soixante-cinq personnes.
Alors que l’UMP a pour habitude de vanter les avantages de la concurrence libre et non faussée, qu’a donc cherché la commission mixte paritaire en revenant, sur ce sujet, à la rédaction du texte issue de l’Assemblée nationale ? À qui cela profite-t-il, sinon à un ou deux groupes privés de médias qui pourront ainsi, sur certains marchés, se retrouver en situation de monopole absolu ?
Finalement, la suppression de ces trois dispositions ne fait que marquer le mépris du parti majoritaire pour l’opposition, prélude à la caporalisation des parlementaires qu’annonce la réforme de la procédure législative en cours. Surtout, le travail de sape de la commission mixte paritaire manifeste un réel dédain pour le Sénat en tant qu’institution, puisque certains amendements de nos rapporteurs ont subi le même traitement, avec le consentement de ces derniers il est vrai.
Il en est allé ainsi de la disposition prévoyant un meilleur encadrement du parrainage des programmes et de celle qui instaurait une consultation obligatoire du CSA sur tous les projets de loi ou de règlement relatifs à la communication audiovisuelle.
Pourquoi la commission mixte paritaire a-t-elle passé les travaux du Sénat au laminoir ? Censée dégager un accord entre députés et sénateurs sur un texte que les deux chambres ont dû examiner en urgence, ce qui est en contradiction flagrante avec l’objectif de revalorisation du rôle du Parlement que la révision constitutionnelle de l’été 2008 est supposée permettre, la commission mixte paritaire visait, en réalité, deux buts.
Le premier était de sauver la face d’un haut responsable de l’UMP – toujours le même, le « mangeur de chapeau » ! –, qui avait péché par vanité en s’estimant capable d’interdire toute augmentation du taux de la redevance par la mise en jeu de son propre avenir politique.
Le second était d’empêcher tout encadrement substantiel du pouvoir conféré par le texte au Président de la République de nommer et de révoquer les dirigeants de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur.
Autrement dit, et comme l’a d’ailleurs prouvé le conciliabule qui a eu lieu entre les responsables de la majorité dans le bureau du Premier ministre la veille de la réunion de la commission mixte paritaire, ce qui en dit long sur l’indépendance du législatif par rapport à l’exécutif, il s’agissait bel et bien de faire rentrer le Sénat dans le rang pour sauver le soldat Copé et entériner le fait du prince !
Si bien gouverner, c’est gouverner par l’exemple, alors l’épisode que l’on vient de rappeler trouvera toute sa place dans les manuels de science politique, à la page des contre-exemples !
Si le Sénat, aujourd’hui, ne s’oppose pas aux conclusions de la commission mixte paritaire, c’est malheureusement par cette mascarade de démocratie que risque de se clore le débat ubuesque né d’une annonce intempestive – mais tellement calculée ! – du Président de la République.
La Haute Assemblée peut-elle ainsi laisser bafouer ses prérogatives, en prenant le risque de voir finalement remise en cause sa fonction même dans notre régime constitutionnel ?
En tout état de cause, quelle qu’en soit l’issue, ce débat se prolongera dans l’immédiat sur le terrain juridique, mais aura aussi une résonance bien plus durable dans l’espace public.
Je ne reprendrai pas, à cette tribune, le raisonnement constitutionnel et juridique développé par M. Mercier, montrant l’importance fondamentale d’encadrer, ce que nous avions fait ici, le droit de révocation accordé au Président de la République. Nous verrons bien quel sera le résultat du vote !
La réforme qui risque d’être adoptée aujourd’hui par le Parlement est tellement aberrante qu’elle est tout à fait indigne d’une grande démocratie.
Elle est aberrante parce qu’elle vise, sous couvert de libérer la télévision publique de la tyrannie de l’audimat, à prolonger la rente de situation dont bénéficiait la chaîne dominante du paysage audiovisuel français, détenue, depuis sa privatisation, par un groupe privé tirant une partie significative de ses revenus de la commande publique et dont le principal dirigeant affiche sa proximité avec le chef de l’État.
Depuis quelques jours, on nous explique que les opposants au projet se sont lourdement trompés en dénonçant les cadeaux faits par le Gouvernement aux éditeurs privés des deux principales chaînes de télévision hertzienne.
Madame la ministre, je maintiens que ce projet de loi, en supprimant avec tant de précipitation la publicité des antennes de notre télévision publique, organise un transfert de richesses sans précédent du service public vers quelques acteurs du secteur privé, et ce sans contrepartie. En cela, il s’apparente à du favoritisme pur et simple.
Qui plus est, ce transfert, évalué à la moitié environ des 250 millions d’euros de recettes publicitaires laissés sur le marché par la régie de France Télévisions, est renforcé par le passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge pour le calcul de la diffusion des écrans publicitaires et par la possibilité d’insérer une deuxième coupure lors de la diffusion d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles.
La suppression de la publicité sur les antennes de France Télévisions constitue un soutien de l’État, qui ne dit pas son nom, à un opérateur économique. Ce dernier l’a sollicité pour faire face à une conjoncture difficile alors qu’il n’a pas su adapter son modèle économique à la révolution numérique. C’est en quelque sorte une prime accordée au mauvais entrepreneur !
Pour appuyer mon propos, je rappellerai seulement que le groupe TF1 – puisqu’il s’agit de lui – conserve une part du marché de la publicité télévisée supérieure à 50 %. De ce fait, il a été récemment condamné par les autorités de la concurrence à une amende de 250 000 euros pour abus de position dominante, ayant violé son engagement de ne pas interférer dans la gestion de la régie publicitaire de la principale chaîne de la TNT dont il est actionnaire, à savoir TMC.
On savait que le Président de la République avait tendance à préférer les forts aux faibles, les dominants aux dominés. Cette réforme en constitue une nouvelle preuve, qui s’inscrit parfaitement dans la volonté de « libéraliser » les dispositifs anti-concentration existant aujourd’hui dans les secteurs de l’information.
Maltraitant les principes du droit de la concurrence, cette réforme est avant tout une aberration démocratique qui viole notre droit constitutionnel.
Elle le viole certainement en créant une nouvelle taxe pesant sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications électroniques dont l’application instaurerait une inégalité évidente entre acteurs économiques devant les charges publiques. Je croyais pourtant que M. Retailleau était d’accord avec nous sur ce point…
Elle le viole encore plus évidemment depuis l’adoption par le Sénat, puis sa validation par le Congrès, d’un amendement portant sur le projet de loi constitutionnelle, que j’avais défendu au nom du groupe socialiste, prévoyant que le législateur doit « fixer les règles concernant la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ».
Or soumettre notre télévision publique à la tutelle financière de l’État en substituant à des recettes propres assurant une part significative de ses ressources de fonctionnement une dotation budgétaire annuelle, donc aléatoire, constitue une entrave substantielle à l’autonomie de sa gestion, par conséquent à son indépendance. Cette entrave, le Conseil constitutionnel devra la sanctionner, au titre des nouvelles dispositions de l’article 34 de notre loi fondamentale.
Mais c’est le nouveau régime de nomination et de révocation des dirigeants de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur qui viole le plus manifestement notre Constitution. C’est sur ce terrain que le texte qui nous est soumis aujourd’hui engage le recul le plus flagrant : la direction des programmes de France Télévisions et de Radio France sera en fait assumée par le Président de la République lui-même, et leur direction financière par le ministre du budget.
Cette régression sans précédent dans l’histoire de notre service public de l’audiovisuel entretiendra un climat pernicieux à tous les niveaux de responsabilité des entreprises concernées.
Mes chers collègues, en adoptant ce projet de loi, en l’occurrence le dispositif des articles 8 et 9 arrêté par la CMP, nous créerons le risque de voir la peur de déplaire et l’autocensure devenir non plus l’exception, mais le principe même du fonctionnement des rédactions, des unités de programmes, des chaînes publiques tout entières. Le Sénat souhaite-t-il vraiment assumer cette responsabilité, alors que c’est sur ce sujet qu’il a subi, lors de la CMP réunie le 28 janvier dernier, sa plus grave humiliation ?
Gardienne sourcilleuse des principes républicains et des libertés publiques – si souvent affirmées –, notre assemblée n’avait pas accepté que toute latitude, ou presque, fût abandonnée au chef de l’État pour nommer et révoquer les dirigeants de notre radio et de notre télévision de service public. C’est pourquoi la commission des affaires culturelles, avec l’approbation de l’opposition, avait encadré le droit de révocation accordé au Président de la République, dispositif que les députés de l’UMP balayèrent en commission mixte paritaire, à l’aide d’arguments juridiques bien pauvres au regard de ceux que M. Mercier avait utilisés dans cette enceinte,…
M. Michel Mercier. Enfin ! (Sourires.)
M. David Assouline. … masquant mal qu’ils agissaient en service commandé, pour le compte de l’Élysée. (M. Charles Revet s’exclame.)
Si le texte est adopté en l’état, à peine nommés par le chef de l’État, les dirigeants des chaînes publiques de radio et de télévision ne pourront faire le moindre mouvement sans sentir peser au-dessus de leur tête l’épée de Damoclès de la révocation ad nutum.
Il est vrai que le Président de la République ne semble pas souffrir la critique, surtout quand elle vient d’acteurs de la société civile, comme les journalistes, sur lesquels il n’a a priori pas de moyens de pression. Il ferait cependant bien de méditer ce que Beaumarchais faisait dire à son Figaro dans La Folle Journée : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »
Quoi qu’il en soit, si ce texte est voté en l’état, il ne restera plus au Conseil constitutionnel qu’à le censurer, faisant ainsi droit aux arguments des parlementaires de l’opposition et répondant surtout à l’attente de nombre de nos concitoyens qui partagent les craintes exprimées par les acteurs du secteur des médias dans l’Appel pour la défense de la liberté de la presse et de l’information. « […] Promouvoir le respect du droit moral des journalistes, refuser le mélange des intérêts industriels et médiatiques, préserver l’intégrité du service public de l’audiovisuel, permettre l’accès à toutes les sources documentaires, protéger les sources des journalistes, limiter les concentrations et défendre le pluralisme » : telles sont les ambitions, modestes mais essentielles dans une démocratie, des signataires de cet appel. Nous avons essayé de les relayer, ainsi parfois que les rapporteurs, au travers de nos propositions, toutes balayées en CMP !
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Non !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Pas toutes, c’est faux !
M. David Assouline. Mes chers collègues, comme vous le savez, la colère gronde dans notre pays. La désespérance des ouvriers licenciés, le désarroi des salariés n’arrivant plus à boucler les fins de mois alors que l’État garantit des milliards d’euros de dettes pour le compte des établissements financiers…
M. Raymond Couderc. N’importe quoi !
M. David Assouline. … élargissent chaque jour un peu plus le fossé qui sépare nos concitoyens de leurs gouvernants.
Mais quelles sont donc les préoccupations du Président de la République dans ce moment particulier, alors que son refus d’entendre les attentes sociales du pays se double de la vacuité des réponses du Gouvernement à la crise économique ?
Pour masquer son impuissance, le Président a trouvé un terrain sur lequel il pouvait continuer à montrer sa capacité à agir : pauvres libertés publiques, objet de toutes les attentions de Nicolas Sarkozy, de toutes ses foudres ! (M. Raymond Couderc s’exclame.)
Des juges d’instruction, dont on signe la condamnation un an jour pour jour après avoir annoncé la remise en cause d’autorité du modèle économique du service public de l’audiovisuel, jusqu’au préfet et au directeur de la sécurité publique de la Manche, congédiés d’un trait de plume pour avoir contrarié le Prince, le chef de l’État a choisi de museler tous ceux qui pourraient l’empêcher non seulement d’user, mais surtout d’abuser du pouvoir. Car c’est bien à l’abus de pouvoir érigé en méthode de gouvernement que sont aujourd’hui confrontés la société civile, les syndicats, la presse, les magistrats et les parlementaires !
Mes chers collègues, en nous opposant dans quelques minutes à l’adoption de ce projet de loi, nous enverrions au Président de la République un message très fort, faisant ainsi écho à l’un de nos illustres prédécesseurs de la Chambre des Pairs, Chateaubriand, qui déclarait : « Plus vous prétendez comprimer la presse, plus l’explosion sera forte. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)