M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en application de l’article 35 de la Constitution, le Gouvernement a souhaité tenir un second débat au Parlement, depuis la modification constitutionnelle, sur l’intervention de nos forces armées sur les théâtres extérieurs.
Notre débat intervient après celui qui s’était tenu le 22 septembre dernier à propos de notre engagement en Afghanistan.
Je me félicite de cette volonté de transparence du Gouvernement à la fois dans l’information de nos deux assemblées et dans le fait de demander leur autorisation pour la poursuite des quatre opérations dont nous avons à discuter ce soir : celles qui se déroulent en République de Côte d’Ivoire, au Kosovo, au Liban, en République du Tchad et en République centrafricaine, tant pour l’opération européenne EUFOR que pour les opérations nationales Boali et Épervier.
C’est bien dans le même esprit de transparence et de contrôle que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est rendue en 2008 en Côte d’Ivoire, en Afghanistan, au Liban, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine et, en 2009, au Tchad.
Ces déplacements avaient un double objet : le premier était d’informer la commission et, plus largement, le Sénat sur la pertinence politique et stratégique de nos engagements extérieurs et de contrôler l’adéquation des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés ; le second était de manifester l’intérêt, l’attention et la considération de la représentation sénatoriale pour l’action menée par les soldats français au service de la paix internationale et de notre sécurité.
Les 13 000 militaires français déployés hors du territoire national font honneur à la France, dont ils défendent, parfois au péril de leur vie, les intérêts et les valeurs. Notre devoir est de veiller à ce que les moyens dont ils disposent pour leur mission et les conditions dans lesquelles se situe leur intervention soient optimaux, du point de vue tant matériel que juridique et politique.
Ces missions – nous avons voulu qu’elles soient le plus opérationnelles possible – ont, à chaque fois, engagé deux sénateurs sur une base paritaire majorité-opposition. Elles ont été préparées en étroite coordination avec le ministère des affaires étrangères et avec le ministère de la défense. En particulier, des briefings ont été systématiquement organisés avec le Centre de planification et de conduite des opérations, le CPCO, de l’état-major des armées. De cette façon, l’information préalable de la commission a été la plus complète possible.
Les programmes de ces missions ont, à chaque fois, comporté un volet politique et un volet militaire. Dans chaque pays, des entretiens ont été ménagés avec les autorités de l’exécutif comme du pouvoir législatif avant de se rendre sur le terrain. L’efficacité de nos ambassades et la parfaite coordination entre diplomates et militaires doivent être soulignées.
Dans la mesure du possible, ces missions ont eu lieu à l’occasion de relèves en accompagnant les unités en vol aérien militaire et en partageant les conditions de vie des militaires sur le terrain.
Notre commission a publié un rapport d’information qui présente les analyses politiques et militaires réalisées à l’occasion de ces missions, qui ont bien entendu fait l’objet de communications au retour de chaque déplacement. Ces informations sont aujourd’hui complétées par le dossier que nous a transmis le Premier ministre sur les quatre théâtres d’opérations visés par notre débat de ce soir.
Ma première observation se rapportera aux critères retenus par le Gouvernement pour demander au Parlement l’autorisation de poursuivre des opérations extérieures en cours. En effet, l’article 35 de notre Constitution n’a pas de caractère rétroactif. Aussi, s’il est parfaitement clair, pour l’avenir, que le Parlement doit être consulté pour toute opération extérieure nouvelle, nous devons nous interroger sur la jurisprudence qui est en train de se mettre en place pour la poursuite des opérations engagées.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a déterminé sept principes directeurs pour l’engagement de nos forces armées à l’étranger. Mais ces éléments d’appréciation s’adressent plus aux opérations à venir qu’aux opérations en cours.
Dans ses vœux aux armées, présentés depuis le camp du bataillon français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL, le 6 janvier 2009, le Président de la République a précisé ces critères pour le présent, en souhaitant que l’on puisse s’assurer « que nos engagements correspondent bien à la défense de nos intérêts stratégiques, que la nature et le volume de nos contributions nous procurent bien l’effet de levier diplomatique et militaire escompté pour apporter une solution rapide à la résolution des crises dans lesquelles nous nous impliquons. »
Ce sont ces éléments que nous retrouvons dans les fiches transmises par le Premier ministre, auxquelles s’ajoutent les plus-values opérationnelles de nos forces et les résultats politiques et opérationnels qui ont été obtenus lors de ces interventions.
II me semble que ces différents critères créent une jurisprudence du recours à l’article 35 de la Constitution pour les opérations en cours, dont l’élément déterminant se trouve dans une modification du contexte géopolitique de l’emploi de nos forces.
Qu’il s’agisse de l’Afghanistan, de la Côte d’Ivoire, du Liban, du Kosovo ou du Tchad et de la République centrafricaine, on peut constater que des modifications significatives sont intervenues sur les cinq théâtres d’opérations qui regroupent l’essentiel des 13 000 hommes déployés, par ailleurs, dans une trentaine d’opérations extérieures.
En Afghanistan, la décision prise par le Gouvernement de renforcer le contingent français de la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, justifiait pleinement la consultation du Parlement le 22 septembre dernier.
En Côte d’Ivoire, alors même que les effectifs ont déjà été considérablement diminués, la poursuite des négociations dans le cadre du processus de Ouagadougou et le report de l’élection présidentielle pourraient inciter à une réflexion sur le bon niveau des effectifs français dans ce pays. De plus, la réorganisation de nos forces prépositionnées, souhaitée par le Livre blanc, nous engage à une action globale, puisque le regroupement en une seule implantation sur l’ouest africain a été retenu.
Au Liban, où notre pays est très fortement impliqué, les récents événements à Gaza ont montré le rôle puissamment stabilisateur de la FINUL. Néanmoins, une réflexion pourrait s’engager sur le niveau optimum de nos forces.
S’agissant du Kosovo, la stabilisation de ce pays, indépendant depuis le 17 février 2008, et le déploiement de la mission EULEX permettent de s’interroger sur le maintien du format et de la participation française à la KFOR.
Enfin, la fin programmée de l’opération EUFOR Tchad-RCA au 15 mars 2009 devrait naturellement entraîner un retrait de nos effectifs de la force internationale de l’ONU et pourrait se traduire, à l’inverse, par un renforcement du dispositif Épervier.
Par ailleurs, ces opérations s’inscrivent géographiquement dans les quatre zones critiques pour la France et l’Europe définies par le Livre blanc, qu’il s’agisse de l’« arc de crise » Mauritanie Pakistan, où les intérêts français et européens peuvent être directement touchés par l’apparition de conflits, de l’Afrique sub-saharienne, du continent européen, en particulier en raison de la stabilisation non achevée des Balkans, ou de l’Asie, avec un effet possible pour l’Europe sous diverses formes : mise en jeu de la clause de défense collective en cas d’implication des États-Unis ; routes maritimes et approvisionnements stratégiques ; effets économiques et financiers.
Il me paraît important qu’à l’occasion de ce débat nous nous interrogions sur ce que le Livre blanc a appelé une « sélectivité dans nos engagements extérieurs ».
Sur un effectif total de 273 000 hommes et femmes, civils et militaires, l’armée française déploie actuellement, hors métropole, un total de 36 623 hommes, dont 9 796 pour les opérations extérieures multinationales, 3 503 pour les opérations extérieures bilatérales, 6 293 pour les forces de présence et 17 031 pour les forces de souveraineté.
Pour simplifier, en dehors des forces de souveraineté déployées dans les départements et collectivités d’outre-mer, notre effort s’équilibre : 10 000 hommes en opérations multinationales et 10 000 hommes en opérations bilatérales et forces de présence.
Compte tenu des objectifs et contrats opérationnels fixés par le Livre blanc et la loi de programmation militaire, ce niveau d’engagement est parfaitement à la hauteur d’un pays comme la France. À titre de comparaison, le Royaume-Uni déploie aujourd’hui 15 000 hommes à l’extérieur.
Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et membre fondateur de l’Union européenne, comptant parmi les premiers contributeurs en hommes et en termes budgétaire de l’OTAN, la France a une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Cette responsabilité mondiale engage notre pays et justifie pleinement nos participations aux opérations extérieures multinationales. De plus, notre histoire, en particulier en Afrique, et nos intérêts légitiment nos engagements bilatéraux.
Les capacités de nos armées et de notre équipement nous permettent de déployer 12 000 hommes en moyenne en opérations extérieures stricto sensu, sans problèmes majeurs.
Néanmoins, lors de nos déplacements, nous avons pu constater un certain nombre de faiblesses au niveau des équipements individuels et de la sécurité ; je pense notamment, comme nous avons pu le constater en Afghanistan en 2008, au surblindage des véhicules, aux tourelleaux téléopérés des VAB, à l’équipement en matériel de brouillage des IED ou en matériel de communication. Il faut toutefois reconnaître que, grâce aux crash programmes que vous avez décidés, monsieur le ministre de la défense, les équipements en Afghanistan ont été très sérieusement améliorés. Des faiblesses sont également apparues en matière de renseignement et d’utilisation des drones.
D’une manière générale, la génération de force par les opérations extérieures a souligné les déficits en matière de mobilité, en particulier pour ce qui concerne les hélicoptères et les avions de transport.
Enfin, la dureté des conditions du terrain entraîne naturellement une usure accélérée des matériels. Nous avons pu constater les efforts considérables qui sont fournis en matière de maintien en condition opérationnelle. La situation est généralement très satisfaisante, à l’exception du Tchad, où nous avons relevé un taux anormalement bas de disponibilité des matériels.
Je sais que des mesures significatives ont été prises au cours de l’année 2008 pour remédier à ces difficultés. Mais, en tout état de cause, il faut constater que les moyens qui sont affectés prioritairement aux théâtres extérieurs pèsent sur la situation des unités stationnées sur le territoire national.
Globalement, et en dehors même du contexte financier, ces opérations exercent de fortes tensions tant sur les personnels que sur les matériels.
L’une des premières conclusions que nous pouvons tirer de ce constat est l’impérieuse nécessité de respecter les prévisions de la loi de programmation militaire en matière d’équipements.
Nous savons par ailleurs que la demande des organisations internationales pour que nous nous engagions dans des opérations de maintien de la paix demeurera très importante. On a pu récemment le constater avec les demandes faites aux Européens par le secrétaire général de l’ONU pour intervenir comme force intérimaire en République démocratique du Congo, en attendant une augmentation du contingent des troupes onusiennes déployées dans ce pays.
Dans ce contexte, et si les responsabilités de notre pays nous engagent à répondre favorablement à des demandes nouvelles, nous devons travailler sur des options d’allégement des opérations existantes en gardant comme hypothèse celle d’un déploiement de même ordre de grandeur, c’est-à-dire plus ou moins 12 000 hommes.
L’option politique doit également être privilégiée, comme le montre l’évolution extraordinairement rapide de la situation dans les Kivus après le rapprochement des gouvernements du Rwanda et de la République démocratique du Congo. Monsieur le ministre des affaires étrangères, je sais combien nos diplomates, sous votre autorité, s’emploient à cette tâche dont le succès permet d’éviter, dans bien des cas, le déploiement ou le renforcement de forces d’interposition ou de maintien de la paix.
S’agissant de ces options d’allégement de nos opérations extérieures, les pistes de travail me paraissent assez évidentes. Elles concernent, en premier lieu, le Tchad et la République centrafricaine.
Le Tchad présente un intérêt stratégique majeur pour la France. La stabilité de ce pays, situé au cœur de l’arc de crise, dans l’Afrique sub-saharienne et au contact direct d’États d’une grande fragilité, comme le Soudan menacé de partition ou la République centrafricaine dont l’autorité des institutions présente un caractère théorique, est un enjeu de première importance.
Par conséquent, le maintien, voire le renforcement, des opérations Épervier et Boali paraît s’imposer. Ce renforcement sera rendu possible par le retrait du contingent français de l’opération EUFOR Tchad-RCA à compter du 15 mars prochain et son remplacement par une opération de l’ONU.
Nous avons pu constater sur place que le maintien des éléments français assurant la logistique devrait être envisagé pour permettre la soudure avec l’installation de la MINURCAT II. D’ores et déjà, vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que 1 000 hommes pourront être retirés rapidement du dispositif EUFOR.
Nous savons également que le Livre blanc a prévu un retrait des forces françaises en Côte d’Ivoire à la fin de l’opération Licorne et la fermeture de notre implantation permanente. L’annonce qui vient d’être faite du retrait de 1 100 de nos militaires va donc, de notre point de vue, dans le bon sens.
Au Kosovo, le contingent français a en charge la zone nord avec Mitrovica, qui représente la zone la plus sensible en termes de sécurité. Compte tenu de la stabilisation du reste du pays, on pourrait imaginer un rééquilibrage avec l’intervention d’autres nations dans le nord qui permettrait un allégement du dispositif français.
Notre importante participation à la FINUL me semble au contraire ne pas devoir faire l’objet d’une réflexion pour l’instant, compte tenu du contexte de la zone. Il est évident que l’existence de la FINUL, qui s’interpose entre Israël et le Hezbollah, a montré sa pleine utilité lors du récent conflit à Gaza. Sans cette présence, il est vraisemblable qu’un second front aurait pu être ouvert ou tout au moins qu’un certain nombre d’éléments incontrôlés auraient pu intervenir et enclencher une réaction en chaîne. La prolongation de notre participation à la FINUL me semble donc être une évidence.
Le Gouvernement a néanmoins annoncé le retrait des deux bâtiments français participant à la force maritime européenne de la FINUL, l’EUROMARFOR.
Par ailleurs, nous ne statuons pas aujourd’hui sur notre présence résiduelle en Bosnie-Herzégovine. Je dirai simplement que, lors de leur déplacement, nos collègues ont constaté que la force européenne n’assurait plus aucune mission sécuritaire sur place. Dans ces conditions, la clôture de l’opération paraît s’imposer à très court terme, sauf si la situation politique, qui est très fragile, se détériorait dans cette zone.
Enfin, je voudrais aborder la question budgétaire du surcoût des opérations extérieures. Les « surcoûts » correspondent aux dépenses supplémentaires engagées par les armées sur les théâtres d’opérations, par rapport aux dépenses liées à leurs activités dites « normales ». La structure de ces surcoûts a évolué avec les années. Initialement constitué presque exclusivement de dépenses de personnel – indemnités pour sujétions de service à l’étranger – ce surcoût comprend désormais une part importante de crédits de fonctionnement et de contributions aux organisations internationales pour le financement des coûts communs.
Ces surcoûts sont bruts et ne comptabilisent pas d’éventuels remboursements lorsque les troupes françaises sont engagées sous le drapeau européen ou sous celui des Nations unies. Ces remboursements sont partiels et interviennent après un certain délai. Pour l’année 2008, ils représentent 37 millions d’euros sur un montant total de 833 millions d’euros de surcoûts.
Il me semble important que nous puissions travailler dans le sens d’un meilleur partage du fardeau. En particulier, le dispositif ATHENA de l’Union européenne ne me paraît pas toujours satisfaisant.
L’inscription en loi de finances d’une dotation, complétée en loi de finances rectificative, constituait déjà un progrès par rapport au dispositif qui, jusqu’en 2001, finançait les surcoûts OPEX par des annulations sur les crédits consacrés aux équipements des armées.
Un nouveau pas semble franchi puisque la loi de programmation militaire prévoit une budgétisation plus complète et porte la provision en loi de finances initiale de 510 millions d’euros en 2009 à 570 millions d’euros en 2010 et 630 millions d’euros en 2011. J’observe néanmoins que les crédits prévus ne correspondent pas au total des surcoûts atteints en 2008, dont le montant me paraît moins exceptionnel que ce que veut bien en croire le ministère du budget.
La loi de programmation militaire prévoit, en outre, que les crédits mis en réserve au titre des différents ministères pourront être mobilisés pour contribuer à résorber le différentiel en gestion. Les surcoûts nets non couverts par la provision seront financés par des prélèvements sur la réserve de précaution interministérielle. La commission sera particulièrement attentive à la mise en œuvre de ces engagements.
Pour conclure, je voudrais encore une fois saluer l’engagement exceptionnel de nos soldats et de nos diplomates au service de la paix dans le monde et de la sécurité internationale. Leur professionnalisme, leur ardeur, leur enthousiasme parfois, nous ont particulièrement frappés lorsque nous les avons rencontrés sur place, comme d’ailleurs le soutien des populations qu’ils protègent.
Pour ces raisons, la prolongation des opérations extérieures que le Gouvernement nous demande d’autoriser est pleinement justifiée et mérite notre total soutien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de vingt-cinq minutes aux groupes UMP et socialiste, de quinze minutes aux autres groupes politiques et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en application de l’article 35 de la Constitution, la Haute Assemblée doit donner son approbation au maintien de nos forces armées sur cinq théâtres d’opérations extérieures.
Le groupe de l’Union centriste, qui, à une large majorité, avait voté la révision de la Constitution, exprime, encore une fois, sa satisfaction de voir un tel débat se dérouler au Parlement.
Il s’agit, bien sûr, de situations de nature bien différente, sur trois continents, mais qui illustrent toutes les responsabilités d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies. Soulignons au passage le progrès du point de vue du droit : chaque intervention de nos forces armées correspond à un mandat précis ou à une orientation décisive du Conseil de sécurité.
Le temps du « machin », jadis brocardé, à juste titre, par le général de Gaulle, est bien loin. La France a cessé de se singulariser dans le concert des nations pour mieux apporter son génie propre à des décisions collectives.
Sur le Proche-Orient, messieurs les ministres, j’avais souligné, lors de notre débat budgétaire du 5 décembre dernier, les interrogations qu’il convenait d’apporter à notre politique.
Au Liban, notre pays joue un rôle essentiel.
Depuis mai 1978 et l’orientation prise par le président Valéry Giscard d’Estaing, la France a apporté une contribution importante à la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban, la FINUL. Elle a ainsi évité les pires tragédies, sans empêcher, malheureusement, les conflits et la guerre civile.
Depuis la résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité le 11 août 2006, la FINUL II, pour laquelle la France s’est engagée de manière très forte, a maintenu la paix : la cessation des hostilités est un fait, la ligne bleue est respectée et l’assistance au déplacement de l’armée libanaise au sud du pays constitue un réel progrès. L’élection, le 25 mai dernier, du général Sleimane à la présidence de la République, la formation d’un gouvernement de coalition autour de Fouad Siniora, l’action diplomatique du Président de la République et la vôtre, monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, ont permis une véritable détente sur le plan intérieur.
Les élections législatives du printemps prochain seront, à cet égard, un test majeur. À la frontière israélo-libanaise, cela a été dit, hormis un incident mineur, aucune violation du cessez-le-feu n’a été constatée pendant la crise de Gaza. Et c’est la présence militaire importante de la France – 1 430 soldats, 430 marins sur deux bâtiments avec le commandement de la composante navale, contribution la plus importante derrière l’Italie – qui donne à sa voix tout son poids vis-à-vis des parties en présence.
Depuis 1860, notre pays s’honore de veiller sur le Liban, de garantir sa sécurité et d’apporter sa pierre à sa stabilité. Mon groupe autorisera le Gouvernement à y maintenir nos forces armées.
Plus près de nous, en Europe, l’approche est bien différente. Depuis juin 1991, l’ex-Yougoslavie vit dans l’incertitude politique la plus grande. La Slovénie est tirée d’affaire : membre de l’Union européenne, de la zone euro, de l’Alliance atlantique et de l’OTAN, gardons en mémoire qu’elle fut le premier pays agressé militairement par ce qui était encore l’armée fédérale yougoslave.
Le Kosovo aspire à la paix : cela est loin d’être acquis dans un pays qui n’est pas reconnu par l’ensemble de la communauté internationale et qui peine à faire cohabiter la majorité albanaise et la petite minorité serbe, sans compter le poids des mafias. Notre engagement s’effectue dans le cadre d’un mandat donné en 1999 par la résolution 1244 du Conseil de sécurité. À long terme – nous l’espérons, monsieur le ministre ; vous connaissez bien ce dossier –, les progrès de la construction européenne devraient permettre la stabilisation de la région.
La Croatie frappe à la porte de l’Union européenne et la Serbie aura le plus grand intérêt à suivre la même démarche. Une solution politique à long terme sera peut-être alors possible et un apaisement en Bosnie-Herzégovine permettra l’indispensable compromis au Kosovo. Avec 1 850 hommes sur un total de 14 600, la France fait son devoir au sein de la KFOR, la force de l’OTAN déployée depuis 1999, aux côtés de l’Italie et de l’Allemagne.
Enfin, en étant très engagé dans la mission civile de police et de justice de l’Union européenne, EULEX Kosovo nous permettra, à terme, d’obtenir une réduction progressive de la présence militaire internationale, ce qui serait le signe effectif du retour à la paix.
Là encore, le groupe de l’Union centriste, autorise le Gouvernement à maintenir le déploiement de nos troupes.
Plus loin de nous en Afrique, messieurs les ministres, la France assure une présence, et il ne s’agit pas de la remettre en cause. Je me permettrai simplement de vous poser quelques questions.
En République centrafricaine, la situation demeure préoccupante ; de nombreux observateurs forment l’espoir de voir le président Bozizé mener à son terme le « Dialogue national inclusif », engagé par son premier ministre Faustin-Archange Touadéra, en vue de préparer au mieux l’élection présidentielle de 2010.
Messieurs les ministres, quelle information complémentaire le Gouvernement peut-il indiquer au Sénat à ce sujet ?
Par ailleurs, l’ancien président Ange-Félix Patassé a indiqué sa volonté d’être candidat à la magistrature suprême en 2010. Or il est toujours menacé de poursuites par la Cour pénale internationale dans le cadre de la procédure ouverte contre Jean-Pierre Bemba, le chef du Mouvement de libération du Congo, pour des exactions commises à Bangui entre octobre 2002 et mars 2003.
Si le procureur général de la Cour pénale internationale délivrait un mandat d’amener à l’encontre du président Ange-Félix Patassé, quelles instructions le Gouvernement donnerait-il aux militaires français ?
En Côte d’Ivoire, où en est vraiment le recensement des électeurs ? Il s’agit d’une étape cruciale avant l’organisation du scrutin présidentiel. La presse ne manque pas de souligner des choses étranges. Dans le district d’Abidjan, on n’a dénombré qu’environ 2 millions d’électeurs au lieu des 3 millions attendus. Sur le dernier registre électoral de 2000, plus de 1,8 million d’électeurs était alors dénombré. Or depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002, il y a eu un afflux de population dans le Sud et de nombreux mineurs ont atteint l’âge de la majorité, qui est de dix-huit ans.
Dans le reste du pays, seules 500 000 personnes ont pour l’instant été recensées. Selon des prévisions officielles, 5 millions d’électeurs auraient dû être enregistrés entre septembre et décembre sur l’ensemble du territoire.
Le compte n’y est pas, et nous sommes encore bien éloignés d’élections législatives « ouvertes à tous, libres, justes et transparentes », pour reprendre les termes du mandat politique et civil de juin 2005 de l’ONUCI.
Au Tchad, notre engagement est ancien et remonte aux temps lointains du général de Gaulle et du premier président de la République du Tchad, François Tombalbaye, en octobre 1968. Depuis, il y a eu l’opération Manta en 1983 et l’opération Épervier destinées à assurer une protection contre la Libye et le maintien de l’intégrité territoriale du pays. Certes, notre pays a pris l’initiative EUFOR pour éviter une extension de la crise humanitaire du Darfour aux pays voisins, et personne ne remet celle-ci en question.
Mais il est temps, messieurs les ministres, de redéfinir clairement nos objectifs et nos priorités au Tchad. Il semblerait que le président Idriss Déby ait été à Paris, il y a deux semaines : il y aurait mené quelques conversations diplomatiques au plus haut niveau. Je vous serais reconnaissant, si ce n’est pas confidentiel, de bien vouloir éclairer à ce propos la représentation nationale.
Avant de conclure, je voudrais profiter de ce débat pour me réjouir de la mise en extinction d’une pratique regrettable, à laquelle a fait allusion M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : celle qui consiste à ne pas budgéter les OPEX.
En effet, jusqu’en 2002, les opérations extérieures n’étaient retracées en loi de finances que sous la forme d’une provision symbolique. Résultat : la différence entre cette provision et le coût des opérations extérieures était comblée en collectif budgétaire par l’ouverture de crédits nouveaux, le plus souvent gagés sur l’annulation de crédits d’investissement. Jusqu’en 2002, nos OPEX se sont effectuées au détriment de l’investissement.
Heureusement, depuis 2002, un effort, chaque année plus important, est accompli pour que la ligne budgétaire « OPEX » corresponde au coût réel de celles-ci.
En 2008, il y a certes eu un nouvel écart important, mais il n’a été dû qu’à un bond purement conjoncturel du surcoût des OPEX lié aux théâtres afghans et tchadiens.
Cette année, l’écart entre OPEX budgétées et OPEX réalisées devrait encore se réduire, puisque ce sont 510 millions d’euros qui ont été budgétés et que la moyenne annuelle du coût des OPEX est de 600 millions d’euros.
Enfin, l’écart devrait être totalement résorbé l’année prochaine, dans la mesure où la loi de programmation prévoit une augmentation de la ligne OPEX pour la porter à 570 millions d’euros en 2010 et à 630 millions d’euros en 2011. Cela représente une réelle avancée en termes de sincérité budgétaire.
Je conclurai, messieurs les ministres, en vous posant une question d’ordre stratégique.
Pour des raisons historiques, l’Afrique est le terrain privilégié des OPEX françaises. Mais les temps changent.
Dernièrement, sous la présidence française et grâce à l’action du président Nicolas Sarkozy, l’Europe a pris conscience qu’elle pouvait redevenir la puissance qu’elle avait été. Elle l’a manifesté à l’occasion de l’affaire géorgienne et en pesant de tout son poids pour imposer un cessez-le-feu au Proche-Orient. Et il ne faut pas oublier l’action qu’elle a menée dans le cadre de la crise financière.
Oui, l’Europe est redevenue une puissance. Or, en tant que telle, n’est-il pas temps qu’elle s’occupe de ses frontières extensibles au sein du continent euro-asiatique ? N’est-il pas temps qu’elle s’occupe des frontières jusqu’à Vladivostok ? Autrement dit, l’OTAN et la Russie doivent-elles continuer d’être les seuls acteurs militaires en Europe de l’Est ?
Ces questions méritent aujourd’hui d’être posées. Nous pourrions réorienter nos OPEX à l’avenir en direction des frontières européennes, si nous nous engagions dans une politique stratégique d’accords de coopération militaire et de défense avec les pays frontaliers de l’Europe, soit dans le cadre multilatéral de la PESD, la politique européenne de sécurité et de défense, soit au niveau bilatéral. Envisagez-vous, messieurs les ministres, une telle option stratégique ?
Dans l’attente de réponses à ses questions, le groupe de l’Union centriste n’en votera pas moins la prolongation de l’intervention des forces armées en Côte d’Ivoire, au Tchad, en Centrafrique, au Liban et au Kosovo. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)