Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
M. Alain Dufaut, Mme Anne-Marie Payet.
2. Mises au point au sujet de votes
M. Yvon Collin, Mme la présidente.
Mmes Colette Mélot, la présidente.
3. Abrogation de la loi instituant un droit d'accueil à l'école. – Adoption des conclusions du rapport d’une commission rejetant une proposition de loi (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi ; MM. Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale.
MM. Jean-François Voguet, Jean-Claude Carle, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Jean-Luc Fichet, Yves Détraigne, Mme Françoise Cartron.
Clôture de la discussion générale.
Vote sur les conclusions du rapport de la commission
M. Pierre-Yves Collombat, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Virginie Klès, M. Yannick Bodin, Mme Annie David, MM. le rapporteur, Michel Charasse, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Adoption, par scrutin public, des conclusions du rapport de la commission rejetant la proposition de loi.
4. Mise au point au sujet d'un vote
5. Exécution des décisions de justice. – Discussion des conclusions du rapport d’une commission (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. Laurent Béteille, auteur de la proposition de loi ; François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Jacques Mézard, Simon Sutour, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Clôture de la discussion générale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Mme la présidente.
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
6. Enseignements de la Présidence française de l'Union européenne. – Discussion d'une question orale européenne avec débat (Ordre du jour réservé.)
MM. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question ; André Dulait, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.
MM. Yvon Collin, Simon Sutour, Pierre Fauchon, Mme Annie David, M. Pierre Bernard-Reymond.
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Clôture du débat.
7. Retrait de questions orales
8. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
9. Dépôt d'un rapport d'information
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
Mme Anne-Marie Payet.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, je souhaite faire une mise au point concernant le scrutin n°88 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
À la suite d’une erreur matérielle, mon collègue Gilbert Barbier a été déclaré comme n’ayant pas pris part au vote alors qu’il souhaitait voter pour le projet de loi ordinaire, conformément à son vote sur le projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions, Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. Les deux scrutins nos 88 et 89 se sont succédé et il apparaît assez normal que, sur ces deux textes, son vote soit identique. Cette règle est d’ailleurs valable pour notre collègue Gilbert Barbier comme d’ailleurs pour tous les membres de mon groupe, qu’ils se soient abstenus, aient voté pour ou contre.
Je demande donc, madame la présidente, que cette rectification soit prise en compte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, lors du vote par scrutin public n°88 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, M. Jean-Paul Virapoullé a été déclaré comme ne prenant pas part au vote, alors qu’il avait souhaité voter pour. Je vous remercie de bien vouloir prendre en compte cette mise au point.
Mme la présidente. Mes chers collègues, acte vous est donné de ces mises au point au sujet de votes. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, je vous rappelle que toutes les discussions inscrites à la séance d’aujourd'hui interviennent dans le cadre de l’ordre du jour réservé.
3
Abrogation de la loi instituant un droit d'accueil à l'école
Adoption des conclusions du rapport d’une commission rejetant une proposition de loi
(Ordre du jour réservé)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi abrogeant la loi n° 2008-790 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, présentée par Mme Brigitte Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC-SPG (nos 147, 166).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires, votée en urgence l’été dernier, se révèle génératrice de difficultés non négligeables.
Depuis sa promulgation, l’application de cette loi a suscité de nombreuses interrogations, auxquelles le ministère n’a pas apporté de réponse. Elle a également donné lieu à un grand nombre de recours juridiques, des préfets ayant assigné en justice des maires qui n’avait pas appliqué ce service minimum.
En effet, de nombreuses communes n’ont pas organisé ce service ou ont rencontré des difficultés pour le faire, et ce pour de multiples raisons. Certaines communes considèrent qu’il n’est pas de leur compétence de fournir un tel service ou d’assumer les conséquences des différends entre l’État et ses fonctionnaires. De nombreuses autres estiment que les moyens pratiques ne sont pas réunis pour assurer de bonnes conditions de sécurité et un encadrement de qualité.
Ces difficultés étaient prévisibles. Nous les avions largement soulevées lors du débat devant notre assemblée. L’usage vient, en quelque sorte, confirmer nos craintes.
Le 27 novembre dernier, lors du congrès des maires de France, le Président de la République a d’ailleurs évoqué un aménagement de cette loi.
Le rapport que M. Richert va nous présenter dans quelques instants conclut à une absence de « vice législatif ». Je ne partage pas cet avis,…
M. Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles. C’est bien dommage !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. … car, à mon sens, les difficultés rencontrées découlent bien des dispositions de la loi.
De fait, les maires sont confrontés à plusieurs écueils.
Tout d’abord, la loi précise que « le maire établit une liste des personnes susceptibles d’assurer le service d’accueil prévu à l’article L. 133-4 du code de l’éducation en veillant à ce qu’elles possèdent les qualités nécessaires pour accueillir et encadrer des enfants ». Traduire concrètement cette notion vague de « qualités nécessaires », qui n’est nullement explicitée dans la loi, constitue un véritable casse-tête. Avec qui et comment constituer une telle liste en l’absence de toute recommandation ? Comment en assurer la permanence, la viabilité et la réactivité, y compris dans le temps ?
L’émoi des maires est d’autant plus grand qu’il s’agit d’assurer un service en toute sécurité, pour des enfants très jeunes, âgés de deux à dix ans, alors même que, par ailleurs, l’éducation nationale soumet les personnels travaillant auprès des enfants à des obligations de qualifications très strictes. Je pense aux enseignants et aux personnels des établissements scolaires, qui doivent notamment recevoir un enseignement des règles générales de sécurité, une formation les sensibilisant à la prévention des risques et aux missions des services de secours ; aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui doivent notamment être titulaires du CAP petite enfance ; aux animateurs des centres aérés, qui doivent être détenteurs du BAFA ; aux assistantes maternelles, qui doivent obtenir un agrément de la DDASS et suivre ensuite une formation abordant notamment les règles d’hygiène et de sécurité.
On sait que, lorsqu’une école organise le déplacement d’un groupe d’enfants, des contraintes considérables sont imposées en matière de taux d’encadrement et de qualification professionnelle des encadrants.
Comment demander à un maire d’oublier le respect de ces réglementations qu’on exige par ailleurs de lui ?
C’est si vrai que le Président de la République lui-même, toujours lors de son discours au dernier congrès des maires de France, a implicitement reconnu que le BAFA était le minimum requis, alors que la loi n’y fait absolument pas mention.
L’appréciation des « qualités nécessaires » relève donc du seul jugement du maire, ce que n’a d’ailleurs pas démenti la circulaire du 26 août 2008 publiée par le ministère de l’éducation nationale.
Or, si le maire a recours à une personne se révélant au final incompétente, causant par exemple un accident, seule la responsabilité pénale du maire sera recherchée. Certes, l’article L. 133-9 du code de l’éducation prévoit que l’État lui accorde sa protection, mais celle-ci correspond uniquement à la prise en charge des frais judiciaires et ne couvre pas le risque de poursuites pénales.
L’inquiétude des maires porte également sur le taux d’encadrement.
Votre argument, monsieur le rapporteur, selon lequel, pour le mode d’accueil de mineurs n’excédant pas quatorze jours par an, il n’y a aucune obligation en termes de qualification des personnels ou de taux d’encadrement, n’est pour les maires ni satisfaisant ni rassurant.
J’observe que, si nous nous sommes heurtés à un refus de fixer dans la loi un taux d’encadrement garant de la sécurité des enfants, il n’en a pas été de même pour le calcul de la contribution financière, puisqu’un décret fixe, à titre indicatif, le taux d’encadrement régissant cette contribution à un adulte pour quinze enfants.
La prétendue latitude laissée au maire est un prétexte bien commode. Il permet de laisser croire aux parents que le Gouvernement a créé à leur intention un nouveau droit, alors que simultanément il poursuit la réduction des moyens accordés à l’école.
Quant à la procédure permettant de constituer le vivier des personnels susceptibles d’assurer ce service d’accueil, la loi prévoit que l’identification de ces personnes relève de la seule compétence du maire. Le maire peut bien sûr faire appel à son personnel communal ; encore faut-il que celui-ci soit en nombre suffisant !
Pour les communes de petites tailles, notamment rurales, il suffit, on le sait, qu’un enseignant soit en grève pour que le seuil des 25 % déclenchant ce service soit atteint. Pour les maires de ces communes, répondre à l’obligation d’offrir un service d’accueil est donc impossible, faute de personnels.
Mais la problématique s’avère finalement être la même pour des grandes villes. Dans les communes à très forte densité, où le nombre d’écoles, et donc d’élèves, est élevé, le nombre de personnels communaux potentiellement mobilisables sera également insuffisant.
À Lyon par exemple, le tribunal administratif, qui avait été saisi par le préfet, a donné raison à la commune, estimant que, si elle n’était pas parvenue à organiser le service d’accueil, elle avait fait « le nécessaire pour s’acquitter de ses obligations légales ».
Dans le cas de Paris, si le tribunal administratif saisi en référé par le préfet a sommé le maire d’appliquer le service minimum, le jugement au fond pourrait bien être différent. Selon Le Parisien, lors de l’audience au fond de vendredi dernier, la commissaire du gouvernement a listé les failles de cette loi – choix des personnes pour garder les enfants, absence de taux d’encadrement,… – estimant, et je cite l’article en question, qu’« il est impensable que les maires puissent faire appel à des gens non qualifiés ». La magistrate a enfin conclu que la loi était « inapplicable dans de bonnes conditions dans les grandes et les petites communes. »
La réaction des maires est donc légitime. Sans compter qu’affecter des agents communaux au service minimum d’accueil risque d’entraîner un autre désordre, celui de conduire à privilégier la continuité d’un service public au détriment d’un autre, ce dernier étant ainsi vidé de son personnel. À cet égard, je rappelle que le maire ne peut réquisitionner ces personnels et que ceux-ci disposent aussi du droit de grève.
À défaut, les maires sont donc contraints de se tourner vers des personnels non communaux. Sont concernés au premier chef les maires ruraux, dont le rapport souligne les difficultés et l’absence de moyens.
Que devront faire les maires pour recruter ces personnes ? Faudra-t-il arriver à la situation absurde, dénoncée par le maire de Champs-sur-Marne, consistant à afficher sur les portes de toutes les écoles un courrier destiné aux parents d’élèves les invitant à participer à la constitution dudit vivier ?
M. le rapporteur invoque, quant à lui, la nécessité de renforcer « l’accompagnement de l’État », réclamant notamment l’implication des services de l’éducation nationale dans la constitution des « listes-viviers ». C’est sans doute ce à quoi fait écho le courrier de l’inspecteur d’académie de Loire-Atlantique adressé en début d’année aux professeurs du premier degré partis à la retraite ces trois dernières années, les invitant à participer à l’organisation du service d’accueil de leur commune ou d’une autre commune.
Quel paradoxe quand on sait que ce service d’accueil a été instauré par le Gouvernement dans la probabilité de conflits qui l’opposeraient à ses fonctionnaires, conflits qui découlent pour une grande part de la dégradation des conditions du bon exercice du service public de l’éducation !
J’en viens à une autre difficulté.
Au-delà même de la constitution du vivier en amont, le délai dont dispose le maire pour organiser ledit service d’accueil et prévenir les parents des modalités de sa mise en œuvre lorsqu’un conflit social surgit, soit quarante-huit heures, est très bref. De fait, ce temps imparti de quarante-huit heures ne permet pas au maire de faire toutes les vérifications indispensables : disponibilité des personnes sur la liste au moment requis, évolution de leur situation personnelle et professionnelle...
Par ailleurs, aucune disposition de la loi ne prévoit à quelle date cette liste doit être établie, si elle doit être révisée et, dans l’affirmative, sous quel délai cette révision doit avoir lieu. On peut déduire de ce mutisme qu’une fois établie cette liste deviendra définitive.
J’ai bien noté la recommandation de M. le rapporteur et sa préconisation faite aux communes de préparer leur liste « bien avant le déclenchement des conflits sociaux ». Mais rien ne prouve qu’à la date de la grève les personnes inscrites sur la liste-vivier seront toujours d’accord pour assurer le service d’accueil, qu’elles seront disponibles ce jour-là, qu’elles ne seront pas elles-mêmes en grève et qu’elles présenteront toujours les « qualités nécessaires » pour accueillir et encadrer les enfants.
Nous sommes donc en présence d’une loi aux contours manifestement imprécis. Ces imprécisions, à elles seules, en justifieraient l’abrogation.
Plus grave encore, cette loi a été instituée au motif de créer un nouveau droit pour les parents en instaurant ce service d’accueil. C’est ce qu’a souligné en ces termes le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2008 : « Considérant qu’en instituant un droit d’accueil des enfants scolarisés dans les écoles maternelles ou élémentaires publiques ou privées sous contrat, le législateur a entendu créer un service public ; que, si ce dernier est distinct du service public de l’enseignement, il lui est directement associé et contribue à sa continuité (...) ».
C’est précisément au regard de cette ambition que la loi révèle des lacunes quant aux obligations inhérentes à un véritable service public, à savoir l’égal accès de tous les élèves sur l’ensemble du territoire et leur égalité de traitement.
Ainsi, on peut considérer que cette loi porte en elle un caractère discriminatoire.
S’agissant des enfants handicapés, cette loi ne prévoit aucune condition minimale de qualification des personnels. Elle exclut ainsi de fait les enfants handicapés du dispositif, dispositif qui, je le rappelle, est non seulement prévu en temps de grève, mais aussi en cas d’absence imprévisible et d’indisponibilité des enseignants.
La remarque vaut tout autant pour les enfants scolarisés en milieu prioritaire. Une nouvelle fois, ni la loi ni la circulaire du 26 août 2008 n’apportent de réponse à cette question pourtant essentielle de l’accueil d’enfants nécessitant un encadrement renforcé et spécifique.
Un véritable service public ne peut pas reposer sur la singularité de moyens locaux plus ou moins importants. Il doit se fonder sur la mise en commun de moyens permettant une péréquation, qui est seule de nature à garantir un accès à tous et sur l’ensemble du territoire. Nous en sommes loin !
J’ajoute que le fait de ne pas exiger le recrutement de personnels qualifiés, explicitement liés au service public de l’éducation, fait sortir ce service d’accueil du champ de l’éducation nationale et de la sécurité minimale due aux enfants et à leurs familles.
L’ensemble des dispositions contenues dans cette loi et sa philosophie posent encore plus de problèmes si l’on se réfère à la Convention internationale des droits de l’enfant, qui a été adoptée par l’assemblée générale des Nations unies en novembre 1989 et qui est entrée en vigueur en France en septembre 1990.
En effet, selon son article 3, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Cet article dispose également : « Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ».
Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter en faveur de l’abrogation de cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour nous réserve parfois bien des surprises : nous voici invités à abroger la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire six mois après son adoption ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Je note ainsi que ceux qui étaient contre hier sont toujours contre aujourd’hui.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et ceux qui étaient pour hier sont toujours pour aujourd’hui !
M. Philippe Richert, rapporteur. Si je me réfère à ce qui s’est passé en commission, ceux qui ont voté en faveur du projet de loi rejettent la proposition de loi visant à abroger ce texte. Il y a donc une certaine constance.
Mme Éliane Assassi. On peut dire ça !
M. Philippe Richert, rapporteur. Si toutes les lois qui ont été adoptées par la majorité contre l’avis de l’opposition devaient être systématiquement remises en cause six mois après, cela engorgerait encore un peu plus l’ordre du jour du Parlement.
M. Pierre-Yves Collombat. Entre-temps, la situation a changé !
M. Jean-Claude Carle. En quoi a-t-elle changé ?
Mme Annie David. Cette loi est inapplicable, monsieur le rapporteur !
M. Philippe Richert, rapporteur. Pas du tout !
Nous sommes donc invités à abroger cette loi du 20 août 2008 au motif que les grèves de l’automne dernier auraient démontré qu’elle était impossible à mettre en œuvre et qu’il valait mieux, en conséquence, renoncer enfin à l’appliquer.
Au travers de la présente proposition de loi, trois questions nous sont donc posées.
Les communes sont-elles confrontées à de grandes difficultés lorsqu’elles doivent mettre en œuvre le service d’accueil ?
M. Jean-Luc Fichet. Oui !
M. Philippe Richert, rapporteur. Ces difficultés sont-elles si aiguës qu’elles ne pourront pas être surmontées ?
Ces difficultés sont-elles d’abord imputables à la loi ? (Oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Je ne fais que poser les questions, mes chers collègues. Laissez-moi le temps de développer le sujet.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous, nous y répondons !
M. Philippe Richert, rapporteur. C’est sur ces trois questions que la commission s’est penchée. Elle l’a fait sans s’interroger à nouveau sur la légitimité du droit consacré l’été dernier car, s’il est une chose que les grèves de l’automne 2008 ont largement démontrée, c’est qu’il se trouvait dans chaque commune des familles pour utiliser et apprécier ce nouveau service.
L’expérience a également montré que ces familles étaient loin d’être les plus favorisées. M. le ministre nous l’avait déjà fait remarquer lors de l’examen du projet de loi. Sans ce service, comment auraient-elles pu s’organiser pour garder leurs enfants lors des mouvements sociaux à répétition que nous avons connus tout au long du dernier trimestre de 2008 ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Il n’était donc pas illégitime que le Parlement s’en préoccupe.
M. Jean-Claude Carle. Tout à fait !
M. Philippe Richert, rapporteur. Sur le principe, l’intérêt du service d’accueil est donc indiscutable. Le Conseil constitutionnel n’a pas dit autre chose lorsque, le 7 août dernier, il a explicitement affirmé que le législateur avait souhaité créer un nouveau service permettant de garantir la continuité du service public de l’enseignement.
Ce dont nous allons débattre aujourd’hui, ce n’est donc pas de la légitimité du service d’accueil, mais de la capacité des communes à le mettre en place.
Avant d’en venir aux enseignements qui peuvent être tirés des grèves du 7 octobre et du 20 novembre, il me faut vous rappeler, mes chers collègues, que le service d’accueil n’est pas toujours de la compétence des communes. En effet, il revient par principe à l’État de l’organiser chaque fois que, pour une raison ou pour une autre, un professeur est absent dans une école publique et ne peut être remplacé.
Pour répondre aux propos de Mme Gonthier-Maurin, je tiens à le répéter : lorsqu’il s’agit d’absences liées notamment à des questions de santé, c’est à l’État d’organiser le remplacement du professeur !
M. Pierre-Yves Collombat. Quel exploit !
M. Philippe Richert, rapporteur. Il est nécessaire de le réaffirmer, car certains laissent parfois entendre le contraire.
S’agissant des écoles privées sous contrat, l’organisation du service d’accueil relève des organismes de gestion de ces écoles.
La commune n’est donc compétente que dans un cas bien précis : lorsque plus de 25 % des professeurs d’une école publique ont déclaré leur intention de faire grève. La raison de ce transfert de compétence est simple : lorsqu’un mouvement social atteint une telle ampleur, l’État ne peut plus assurer lui-même le service d’accueil des élèves, qui doit bien entendu ne pas être confondu avec le service public de l’enseignement.
Le choix de confier aux communes une partie de la compétence en matière de service d’accueil est donc avant tout un choix pragmatique : soit nous renoncions au service d’accueil en cas de grève importante, soit nous confiions la compétence à la commune, c’est-à-dire au seul échelon territorial capable de mettre en place le service au niveau de chaque école.
Malgré toutes les difficultés que cela pourrait poser, nous étions en effet certains que les maires seraient capables, dans la très large majorité des cas, d’offrir ce service. Les faits ne nous ont pas démentis : le 20 novembre dernier, alors que près d’un professeur sur deux était en grève dans le primaire, l’immense majorité des communes est parvenue à proposer le service d’accueil.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mais dans quelles conditions !
M. Philippe Richert, rapporteur. Dans certaines académies, comme celles de Rouen, de Poitiers, de Nice ou de Versailles, plus de 95 % des communes l’ont en effet organisé. Dans les académies d’Aix-Marseille et de Strasbourg, ce sont près de 90 % des communes qui l’ont proposé. Au total, il semble que, dans la très grande majorité des académies, la proportion de communes offrant ce service ait toujours été supérieure à 80 %.
On note cependant ici et là quelques exceptions, comme dans l’académie de Montpellier ou dans les départements de l’Ariège, de la Haute-Saône et de la Seine–Saint-Denis. Mais, dans l’ensemble, plus de huit communes sur dix ont organisé le service d’accueil.
Cela prouve, mes chers collègues, que si la tâche est difficile pour les communes – il ne s’agit pas de dire le contraire –, elle n’est pas insurmontable. De fait, dans leur immense majorité, les communes sont bien parvenues à organiser le service.
M. Pierre-Yves Collombat. Cela ne prouve rien du tout !
M. Philippe Richert, rapporteur. Pour la commission, ce simple fait suffirait à justifier le rejet de la présente proposition de loi. L’idée d’un texte inapplicable et inappliqué dans la réalité est démentie par les faits ! Aussi la commission ne peut-elle expliquer le dépôt de cette proposition de loi que par le retentissement médiatique qui a accompagné la décision prise par certaines communes de ne pas appliquer la loi.
La commission a toutefois souhaité aller plus loin et approfondir l’analyse afin de comprendre les difficultés qui ont pu être rencontrées par les communes.
La minorité de communes concernées peut en effet être confrontée à des difficultés particulières, qui ne justifieraient pas l’abrogation de la loi, mais son adaptation à des cas particuliers. Il convient donc de se pencher plus avant sur les difficultés que ces communes ont effectivement rencontrées.
Ce qui saute aux yeux de celui qui se penche sur les dernières grèves, c’est que, parmi cette minorité de communes, il y a deux catégories bien distinctes : une partie d’entre elles n’est pas parvenue à organiser le service d’accueil malgré des efforts réels ; les autres ont décidé, bien avant les premières grèves, de ne pas appliquer la loi en invoquant d’abord son illégitimité – on a reçu entre-temps la réponse du Conseil constitutionnel – et, à titre subsidiaire, l’impossibilité de la mettre en œuvre.
Ces deux catégories ne peuvent être confondues, pour une raison simple : les communes confrontées à de véritables difficultés n’ont jamais pris de délibération de principe refusant d’appliquer la loi et elles ont toujours cherché à l’organiser. De fait, il est donc facile de les distinguer des communes qui, en amont des grèves, ont affiché leur volonté de ne pas appliquer la loi ou se sont bien gardées de faire quoi que ce soit pour l’appliquer.
Un critère simple permet donc de distinguer les unes des autres : les communes qui n’ont pas réussi à organiser le service ont ouvertement cherché à le mettre en place.
En un sens, il y a eu commencement d’exécution, et cela se constate. Les communes en question ont lancé plusieurs appels à candidatures pour constituer le vivier, ou encore elles ont cherché à évaluer le nombre d’élèves à accueillir. En un mot, elles ont fait leur possible pour appliquer la loi.
Les autres, au contraire, sont toujours restées en retrait et n’ont pas cherché, de quelque manière que ce soit, à appliquer la loi. Par principe, celle-ci était décrétée illégitime et inapplicable.
De ce que la loi n’a pas été partout appliquée, on ne peut donc pas déduire qu’elle est partout inapplicable.
Par ailleurs, parmi les 20 % de communes n’ayant pas mis en œuvre le service, celles dont les élus ont cherché de bonne foi à proposer ce dernier constituent une minorité. Là encore, mes chers collègues, les faits démentent l’impression que nous pouvions avoir. C’est pourquoi nous nous devons de garder à l’esprit qu’une commune qui n’applique pas la loi n’est pas nécessairement une commune qui ne peut pas l’appliquer.
Je prendrai un seul exemple, celui de la ville de Paris, qui est parfaitement parvenue, au début du mois d’octobre, à mettre en œuvre le service, et qui regrettait même d’avoir mobilisé trop de personnel. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin proteste.)
Quelques jours plus tard, elle se déclarait incapable de refaire ce qu’elle avait pourtant déjà fait une fois : avoir recours aux nombreux animateurs dont elle dispose.
Chacun de nous devine ce que signifie une attitude aussi fluctuante : c’est que, au-delà des moyens nécessaires pour appliquer la loi, il faut aussi avoir la volonté de le faire. Or, me semble-t-il, ce ne fut pas le cas partout.
Force est néanmoins de constater que certaines communes ne sont pas parvenues à organiser le service. La question légitime qui se pose dès lors est la suivante : pourquoi certaines communes – et seulement certaines – ont-elles été confrontées à des difficultés telles qu’elles n’ont pas pu les surmonter ?
À mes yeux, l’explication est simple : ces communes n’ont pas obtenu toute l’information, n’ont pas bénéficié de tout le suivi et de toute l’aide nécessaires pour organiser le service.
M. Pierre-Yves Collombat. Voilà !
M. Philippe Richert, rapporteur. Car l’État n’a pas su accompagner les communes dans l’exercice de cette nouvelle compétence. J’ai d’ailleurs pu le remarquer, à titre personnel, dans mon propre département.
À l’appui de ce constat, j’évoquerai trois idées reçues largement répandues et qui n’ont pas été assez démenties.
Premièrement, il n’est pas vrai que les communes doivent organiser le service pour l’ensemble de leurs écoles. L’obligation s’applique seulement dans celles où le taux de grévistes déclarés dépasse 25 %. Il ne suffit donc pas qu’une seule école soit en grève pour que le service doive être organisé dans toutes les autres écoles de la commune. Voilà qui limite d’emblée le nombre d’enfants à accueillir.
Deuxièmement, contrairement à ce que l’on pourrait croire, tous les enfants qui sont en droit de bénéficier du service n’en profitent pas effectivement, car nous savons bien qu’il y a des parents qui peuvent prendre en charge eux-mêmes leurs enfants et qu’ils ne les envoient pas nécessairement à l’école pour utiliser le service minimum.
Ce point est important, car il conduit les communes à raisonner sur des ordres de grandeur erronés. Par exemple, dans une grande ville où sont scolarisés 18 000 enfants, cela ne signifie pas qu’il faudra accueillir 18 000 enfants le jour de la grève.
Mme Annie David. Comment fait-on pour le savoir ?
M. Philippe Richert, rapporteur. Là encore, la charge pesant sur les communes s’en trouve considérablement allégée : il suffit de demander à l’avance aux familles si elles souhaitent ou non que leur enfant soit accueilli.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. En quarante-huit heures ?
M. Philippe Richert, rapporteur. Certaines d’entre elles changeront peut-être d’avis, mais l’ordre de grandeur pourrait être connu plusieurs jours à l’avance.
Je vous rappelle en effet, mes chers collègues, que, si la commune ne connaît que quarante-huit heures avant le nombre de grévistes déclarés, elle peut être prévenue plus de dix jours à l’avance de la grève qui se prépare.
La loi que nous avons votée en juillet dernier comprenait en effet un volet consacré à la prévention des conflits. Avant tout dépôt d’un préavis de grève, une négociation préalable doit se dérouler, ce qui laisse le temps d’informer les communes. Jusqu’ici, cette partie du texte était restée inappliquée, faute de décret. Celui-ci étant désormais paru, les communes auront à l’avenir plus de temps pour s’organiser et donc pour évaluer le nombre d’enfants qu’elles devront accueillir.
Troisièmement, les communes ne sont en rien obligées d’avoir recours à leurs fonctionnaires ou à leurs agents, bien au contraire.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Peuvent-elles vraiment faire autrement ?
M. Philippe Richert, rapporteur. Lorsque ceux-ci sont capables d’accueillir des élèves, cela leur simplifie bien entendu la tâche. Je constate au demeurant que, dans toutes les petites communes disposant d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, ou ATSEM, ces derniers participent à l’organisation du service et cela suffit généralement.
Mme Annie David. Et s’ils sont eux aussi en grève ?
M. Philippe Richert, rapporteur. Mais pour toutes les communes qui n’ont pas en propre les personnels nécessaires, la loi a explicitement prévu que les maires peuvent avoir recours à toute personne capable à leurs yeux d’accueillir et d’encadrer des enfants.
Mme Annie David. Des enseignants à la retraite, par exemple ?
M. Philippe Richert, rapporteur. Encore faut-il les trouver, bien entendu. C’est pourquoi j’avais proposé, lors de l’examen du projet de loi que les communes établissent régulièrement une liste des personnes qui pourraient organiser le service. Je m’étais alors heurté à des objections : quand établir cette liste et selon quelle périodicité la renouveler ? Évidemment, on ne va pas préciser le mois, ni même l’année où un tel recensement doit être fait !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce n’est pas une obligation légale, que je sache !
M. Philippe Richert, rapporteur. C’est laissé bien entendu à l’initiative des maires.
Ce que nous devons faire, c’est accompagner les maires et tous les élus concernés, pour les aider à mettre en place ce vivier dont le but est qu’ils disposent d’une liste de personnes disponibles régulièrement tenue à jour.
Pour pouvoir accueillir effectivement les enfants les jours de grève, il faut en effet disposer d’un vivier d’intervenants rapidement mobilisables. L’expérience a montré d’ailleurs que, lorsque les communes sont parvenues à constituer ce vivier par avance, l’essentiel des problèmes a été résolu.
Les difficultés des communes ne sont donc pas imputables à la loi elle-même, mais à l’insuffisance des efforts d’information et d’accompagnement engagés par l’État après l’adoption du texte.
Chacun des points que je viens d’aborder aurait dû être expliqué clairement aux communes, éventuellement par petits groupes, de la même manière que l’État aurait dû les accompagner dans la constitution de leur vivier.
Nombreux sont en effet les personnels et les associations qui interviennent dans le cadre scolaire sans être pour autant agents de l’État. Les associations familiales, les organisations de parents d’élèves, les professeurs contractuels, les assistants d’éducation sont autant d’intervenants qui pourraient constituer, s’ils en étaient d’accord, la base du vivier des communes.
C’est pour cela que j’avais évoqué, lors de l’examen du projet de loi, la possibilité de confier conjointement aux communes et aux services de l’éducation nationale la responsabilité de constituer ce vivier. Cette proposition avait éveillé des inquiétudes. Je constate pourtant aujourd’hui son bien-fondé !
Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vos services – au niveau déconcentré, bien sûr, c'est-à-dire au plus près possible du terrain –, ainsi que ceux du ministère de l’intérieur s’impliquent pleinement dans l’organisation du service d’accueil.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il va falloir leur en donner le pouvoir !
M. Philippe Richert, rapporteur. C’est en effet à eux qu’il revenait d’informer et d’accompagner les communes. Ils ne l’ont pas assez fait, avec les conséquences que l’on sait : dans certaines communes, les maires, bien que de bonne foi, ne sont pas parvenus à appliquer la loi.
À mes yeux, cet accompagnement doit prendre la forme de rencontres régulières entre les maires et les représentants de l’État. De telles rencontres, de toute façon, ne pourraient être que bénéfiques !
Je pense aux sous-préfets, qui pourraient ainsi participer aux réunions des associations locales des maires, pour mieux comprendre les difficultés et les interrogations des communes, et y répondre. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Je remercie également ceux de mes collègues qui ponctuent mon exposé de leurs commentaires !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est pour vous soutenir dans l’adversité…
M. Jean-Claude Carle. Ça prouve qu’ils sont intéressés ! (Sourires.)
M. Philippe Richert, rapporteur. Je prendrai un seul exemple : celui du statut et du mode de rémunération des personnels qui organisent le service d’accueil. De nombreuses communes ignorent toujours sous quel statut recruter ces intervenants et comment les rémunérer. Dans mon département, certains maires sont encore aujourd’hui en attente de précisions sur ces principes !
Rien ne serait plus simple que de leur répondre, en leur exposant en quoi consiste le statut de contractuel et en leur expliquant les démarches et les formalités à accomplir. Il en va de même pour la rémunération, puisque l’État verse une compensation de 110 euros par groupe de quinze élèves accueillis, et ce chiffre permet de déterminer le montant de la rémunération pouvant être versée aux intervenants.
J’y insiste, ces soucis pratiques n’ont rien de négligeable. Pour de nombreuses communes, et notamment les plus petites, ils sont à l’origine de bien des inquiétudes. L’État se doit donc d’accompagner les communes dans toutes ces formalités. Je suis persuadé que cela aurait pour conséquence de favoriser et faciliter la mise en œuvre du service minimum d’accueil.
Je me réjouis donc, monsieur le ministre, qu’un certain nombre d’initiatives aient été prises à la suite du discours du Président de la République lors du Congrès des maires de France.
Ainsi, il est bon que les recours engagés contre les municipalités ayant tenté de bonne foi d’organiser le service soient abandonnés. La célérité avec laquelle l’État formait des recours contrastait singulièrement avec l’inertie qui était parfois la sienne lorsqu’il s’agissait de répondre aux maires qui les interrogeaient !
M. Pierre-Yves Collombat. Et les autres, vous allez les juger ?
M. Philippe Richert, rapporteur. Il est toutefois logique et même souhaitable que les recours soient maintenus à l’endroit des communes qui ont décidé, en toute connaissance de cause, de ne pas appliquer la loi.
Il est en effet difficilement compréhensible que des maires puissent s’émanciper par principe d’obligations mises à leur charge par la loi lorsque, pour une raison ou pour une autre, celles-ci ne leur conviennent pas.
À cet égard, je tiens à saluer le fait que les auteurs de la présente proposition de loi n’aient jamais remis en cause le principe même de la loi que nous avons votée en juillet dernier. Malgré leurs réserves sur ce sujet, ils reconnaissent en effet, par esprit républicain, que la loi votée par le Parlement et déclarée conforme à la Constitution par le juge constitutionnel a vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire de notre République.
Je me réjouis également, monsieur le ministre, des propositions récentes que vous avez faites aux associations représentant les maires, et notamment à l’AMF.
D’abord, le 2 décembre dernier, il a été acté que les services de l’État allaient s’efforcer de simplifier la mise en œuvre concrète du droit d’accueil en communiquant aux communes, en temps réel, le taux de grévistes déclarés. Cela permettra aux maires, deux ou trois jours avant le conflit, d’avoir une première idée des effectifs d’élèves à accueillir.
Ensuite, il a été décidé, de la même manière, que les services de l’éducation nationale allaient demander aux familles d’indiquer, quelques jours à l’avance, si elles souhaitaient bénéficier du service, ce qui permettra là encore aux maires d’avoir une vue approximative du nombre d’élèves à accueillir.
Enfin, le ministère proposera aux communes qui le souhaitent, pour constituer leur vivier, d’avoir recours aux services d’intervenants habituels de l’école – contractuels, intervenants associatifs, associations familiales ou parents d’élèves –, sous réserve, bien entendu, que ceux-ci acceptent.
Tous ces points figurent d’ores et déjà dans la note que vous avez adressée aux inspecteurs d’académie le 15 janvier dernier. (M. le ministre de l’éducation nationale opine.)
C’est une très bonne chose, mais il reste, monsieur le ministre, à vous assurer que vos services auront perçu toute l’urgence et la nécessité d’une véritable implication de l’État dans l’organisation du service d’accueil.
Je crois également nécessaire que le comité de suivi et d’évaluation de la loi, dont la création a été annoncée il y a quelques jours, soit mis en place au plus vite. Toutes les difficultés pratiques rencontrées par les communes doivent être recensées, et une réponse rapide et concrète doit leur être apportée. Il serait en effet incompréhensible que la carence de l’État sur ce sujet dure plus longtemps.
Aux trois questions que je posais au début de mon intervention, mes chers collègues, il semble à votre commission qu’il faille répondre de la manière suivante.
D’abord, il est vrai que les communes ont bien rencontré des difficultés dans la mise en œuvre du service, faute d’une aide et d’une information suffisantes apportées par l’État. Mais ces communes ne doivent pas être confondues avec celles qui ont sciemment décidé de ne pas appliquer la loi et qui invoquent aujourd’hui ces difficultés pour justifier leur choix.
Ensuite, il est faux de dire que ces difficultés sont insurmontables, puisque, dès la première fois où le problème s’est posé, près de 80 % des communes, dont de nombreuses communes rurales, ont réussi à proposer le service.
Rien n’empêcherait donc que toutes les communes puissent y parvenir. Il suffirait, pour les unes, qu’elles en aient la volonté et, pour les autres, qu’elles reçoivent l’aide nécessaire.
Enfin, ces difficultés ne sont pas principalement imputables à la loi.
Mme Annie David. Si !
M. Philippe Richert, rapporteur. Celle-ci fournit à toutes les communes les instruments nécessaires pour organiser le service d’accueil. Bien sûr, cette tâche est plus ou moins complexe selon la taille et les particularités de la commune. Mais l’expérience a montré que toutes les communes pouvaient y parvenir et qu’aucune catégorie de communes n’était confrontée à des difficultés par nature insurmontables.
Pour toutes ces raisons, la commission a rejeté la présente proposition de loi, tout en souhaitant aujourd’hui appeler solennellement les ministères concernés à accompagner les communes dans l’organisation du nouveau service d’accueil. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur quelques travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en place d’un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques représente indéniablement, pour les familles qui ont déjà pu en bénéficier, une avancée considérable, et c’est bien ainsi qu’elles le considèrent, d’après les études d’opinion qui ont été effectuées.
Il s’agit donc d’un progrès social. Or nous discutons aujourd’hui des conclusions de votre commission des affaires culturelles sur une proposition de loi visant à abroger cette avancée.
Le rapporteur, M. Philippe Richert, vient à l’instant d’exposer excellemment les raisons qui l’ont amené à présenter, au nom de la commission, des conclusions négatives. Je souscris évidemment à ces conclusions.
Au demeurant, je ne conteste pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que la mise en œuvre du droit à l’accueil les jours de grève ait constitué, pour les communes qui en ont la charge, un défi nouveau, …
Mme Annie David. C’est plus qu’un défi, c’est une difficulté !
M. Xavier Darcos, ministre. … avec son lot de contraintes parfois difficiles à surmonter.
J’observe cependant que beaucoup de communes sont parvenues à l’organiser, même s’il est vrai que cela n’a pas été le cas pour d’autres, y compris des communes de bonne foi. Je sais que certains d’entre vous souhaiteraient même distinguer par exemple le cas des communes rurales de celui des zones urbaines.
Mais, en créant une telle inégalité, nous nous heurterions à un principe constitutionnel. Comment prétendre en effet qu’un enfant des champs ait moins besoin de ce service qu’un enfant des villes !
Il est cependant certain que les petites communes ont des contraintes différentes de celles des grandes villes.
Il faut sans doute du temps pour parvenir à concilier le droit de grève des enseignants et le droit des familles de travailler librement lorsque ces grèves se sont déclarées. C’est le temps qui, comme toujours, dans l’histoire, finit par surmonter les réticences, par faire émerger des solutions aux problèmes que l’on croyait les plus insolubles. Et pourtant, c’est ce temps, si nécessaire au progrès de tous, dont on veut nous priver aujourd'hui en proposant l’abrogation d’un dispositif qui n’a eu que deux occasions de se mettre en place, après six mois à peine d’existence.
Pourtant, de nombreuses avancées ont été menées au cours des derniers mois ; Philippe Richert y a fait allusion.
Tout d’abord, le décret instaurant une négociation préalable, paru le 2 décembre 2008, sera pour la première fois mis en application à l’occasion de la prochaine grève. Aujourd’hui même, nous nous sommes réunis à ce sujet avec les partenaires syndicaux. Cette négociation préalable permettra une meilleure anticipation de la conflictualité, grâce au dispositif d’alerte. Les inspecteurs d’académie pourront ainsi évaluer avec davantage de précision la portée du conflit, et parfois l’apaiser, voire y mettre fin.
Ce décret représente une avancée majeure : nous allons passer de la culture du conflit à celle de la négociation.
Mme Annie David. C’est de la provocation !
M. Xavier Darcos, ministre. Ce dispositif d’alarme sociale constitue un élément nouveau pour prévenir et limiter les conflits sociaux dans le premier degré en améliorant le dialogue social et en réduisant la gêne occasionnée aux familles les jours de grève. Les personnels seront informés des résultats de la négociation et pourront décider en connaissance de cause de faire ou de ne pas faire la grève.
Par ailleurs, conscient des difficultés que certaines communes, notamment les plus petites d’entre elles, ont pu rencontrer dans l’organisation de ce service, je me suis entretenu avec le président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, et nous avons identifié les évolutions nécessaires à la bonne réalisation de ce droit pour les familles.
C’est à la suite des discussions que nous avons eues que j’ai envoyé une instruction aux inspecteurs d’académie leur demandant : premièrement, de procéder à un comptage fin du nombre des grévistes et de transmettre au fur et à mesure ces données aux communes ; deuxièmement, d’aider les communes qui auraient des difficultés à constituer un vivier de personnes susceptibles de participer à l’accueil des élèves – je tiens à rappeler que cette question tient particulièrement à cœur à votre rapporteur, Philippe Richert, qui est à l’origine de cette idée ; troisièmement, de transmettre, dans la mesure du possible, des données prévisionnelles sur le nombre d’enfants qui pourraient être accueillis.
Voilà qui permettra des relations plus étroites, plus suivies, plus fructueuses entre l’inspecteur d’académie et les élus.
Comme le souligne Philippe Richert dans son rapport, nombre de communes n’ont pas mis en place le service d’accueil faute d’explications ou d’informations. Pour remédier à ce manque, j’ai encouragé les inspecteurs d’académie à rencontrer les maires et à ouvrir un dialogue permanent avec eux.
Dans le même temps et dans un esprit d’apaisement, comme l’a souhaité le Président de la République, Michèle Alliot-Marie et moi-même avons envoyé une instruction aux préfets leur demandant de se désister des actions contentieuses dirigées contre les municipalités qui n’avaient pas fait connaître d’opposition de principe à l’application de la loi mais qui n’avaient pas, pour autant, réussi à la mettre en place. Celles-ci représentent environ un tiers des cas.
En revanche, les poursuites seront maintenues à l’encontre des municipalités qui auraient délibérément refusé de mettre en œuvre ce service pour des raisons politiques, idéologiques, bafouant ainsi la volonté du législateur. À cet égard, madame Gonthier-Maurin, il n’est pas exact que Paris échappe à cette règle puisque le commissaire du Gouvernement a conclu à l’annulation de la décision de principe de la Ville de Paris de ne pas appliquer la loi.
Les aménagements que je viens d’évoquer devraient améliorer la mise en œuvre du service d’accueil sans position partisane ni recherche de stigmatisation. Je crois en l’esprit républicain de l’ensemble de nos élus et je veux leur donner toutes les clés pour qu’ils puissent mettre en œuvre la loi.
Nous sommes à leur écoute. J’ai rencontré récemment une délégation de l’Association des maires de grandes villes de France, ainsi que l’Association nationale des élus de montagne. Je rencontrerai demain la Fédération des maires des villes moyennes et, la semaine prochaine, l’Association des maires ruraux de France. Bref, nous essayons de trouver à l’amiable les meilleures solutions pour que le service minimum d’accueil fonctionne.
Bien entendu, comme l’a souhaité Philippe Richert, nous mettrons en place un comité de suivi de la loi afin que chacun ait un lieu d’expression, de confrontation des idées et des pratiques, et puisse dire ses difficultés et esquisser des solutions.
Mesdames et messieurs les sénateurs, la loi est nouvelle, son application récente. Nous devons faire confiance au temps pour que les choses se mettent en place progressivement sur le terrain entre les communes, les parents et les professeurs. Près de 12 000 communes qui devaient mettre en place ce service l’ont effectivement appliquée lors des dernières grèves, dont des communes de moins de 2000 habitants, ce qui montre, si besoin était, que cette loi est parfaitement applicable et qu’elle donne satisfaction aux familles. (Mme Annie David proteste.)
Je vous demande donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de voter les conclusions négatives présentées par votre commission et de laisser en l’état cette loi – qui doit beaucoup à votre rapporteur, Philippe Richert, et à votre assemblée –, loi dont les vertus, approuvées par les Français, ne cesseront de s’affiner au fil du temps. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur quelques travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que, au nom de mon groupe, je soutienne la proposition de loi que vient de défendre ma collègue et amie Brigitte Gonthier-Maurin.
Ce débat, après quelques mois d’application de la loi instituant, de façon mal nommée, un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, doit nous permettre de mener l’une de nos missions, à savoir contrôler l’application des lois. Or, force est de constater que son application pose problème, comme vous venez vous-même de le reconnaître, monsieur le ministre.
Outre la grande difficulté de mettre en œuvre cette loi pour l’ensemble des maires de notre pays, nous ne saurions analyser les conditions de son application en dehors des raisons idéologiques qui ont conduit votre majorité à l’adopter et du contexte politique et social dans lequel elle s’applique.
Ainsi, je ne saurais oublier le sourire ironique du Président de la République, Nicolas Sarkozy, peu de temps après le dépôt de cette loi, lorsqu’il déclara devant les cadres de son parti, avec une joie non dissimulée, que dorénavant plus personne ne se rendrait compte des grèves. (Mme Christiane Hummel proteste. – Eh oui ! sur les travées du groupe CRC-SPG.)
C’est cette situation, qu’il espérait voir devenir une réalité, qui le rendait aussi heureux ce jour-là. Or, force est de constater que, dans l’éducation comme dans les transports ou ailleurs, il n’a pas atteint son but, loin s’en faut. Les mobilisations sociales sont là, malgré toutes vos tentatives de les réduire.
Sous couvert de répondre à une hypothétique demande des familles d’assurer une permanence d’accueil les jours de grèves, votre objectif, monsieur le ministre, était tout autre.
Vous avez l’ambition de mettre en cause le droit de grève des enseignants,…
M. Jean-François Voguet. …tout particulièrement dans les écoles maternelles et élémentaires, de réduire les mobilisations sociales et de diviser la communauté éducative en tentant d’opposer les enseignants aux parents, pour mieux faire passer les remises en cause de notre système éducatif, qui fondent votre action politique.
Aussi, c’est avec une certaine fierté que les élus communistes et d’autres partis de gauche ont dénoncé ce mauvais coup contre le droit de grève et participent actuellement aux mobilisations qui se développent contre votre politique de régression éducative et de suppressions de postes.
Mais votre objectif principal, qui est de briser le droit de grève, s’appuyait en outre sur une tentative tout aussi grave de mettre au même niveau l’obligation et la gratuité scolaires avec un prétendu droit d’accueil, mettant sur le même plan la continuité de l’enseignement et une garderie.
D’ailleurs, cette loi dont nous demandons la suppression vous permet, monsieur le ministre, de remplacer des enseignants absents par des personnels de garderie sans formation en dehors des grèves ; c’est inacceptable !
De surcroît, pour mettre en œuvre ces choix, vous avez décidé d’obliger les maires à mettre en place ces garderies en cas de grève, alors qu’il est de votre responsabilité d’assumer vos choix et vos méthodes de concertation, qui mettent régulièrement le personnel enseignant dans l’obligation de se mobiliser contre vos projets.
Par-delà les transferts financier et managérial d’une telle décision, c’est évidemment un autre objectif que vous visez. Il s’agit de mettre au pas les maires récalcitrants, qui gèrent leur ville sur de tout autres bases.
Avec cette loi, vous tentez de les mettre au premier rang de la gestion des conflits scolaires, ce qui n’est pas leur place. Ce faisant, vous transformez la mission première d’un maire, qui est de favoriser le « vivre ensemble », les bonnes relations entre tous les habitants et tous les intervenants publics et privés sur un même territoire. C’est presque par définition qu’un maire est un conciliateur.
Vous espérez ainsi leur faire porter la responsabilité de la gêne occasionnée par les mouvements de grève, dont vous êtes seul responsable, pour déstabiliser leur relation avec leur population et avec les enseignants de leur territoire. Et, s’ils n’acceptent pas de tomber dans ce piège, vous les traînerez devant les tribunaux. Si une condamnation pouvait en fragiliser quelques-uns, ce serait sans doute pour vous la cerise sur le gâteau.
En fait, nous le voyons bien, cette loi participe d’une vaste opération politique, généralisée, qui vise à remodeler notre République dans le cadre d’obligations toujours plus contraignantes et qui resserre, recentralise tous les pouvoirs autour du Président de la République et de quelques conseillers.
Pour tenter de parvenir à juguler les conséquences sociales et politiques de vos choix, vous avez adopté cette loi dont nous demandons l’abrogation, dans l’urgence, sans aucune concertation, en prévision des mouvements que vos réformes à venir avaient toutes les chances de faire grandir.
Comment ne pas être inquiet quand vous supprimez en deux ans 25 000 postes d’enseignants et que vous prenez toute une série de mesures touchant tous les secteurs de notre service public d’éducation, y compris le monde associatif y concourant.
M. Guy Fischer. C’est en deçà de la réalité !
M. Jean-François Voguet. Vous vous en prenez aux pratiques pédagogiques qui ont fait leur preuve, par exemple en supprimant les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, qui manquent toujours des financements leur permettant d’atteindre leur but.
Vous êtes, en quelque sorte, un « pyromane » qui crie au feu (Protestations sur les travées de l’UMP) et vous obligez les maires à devenir des pompiers.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jean-François Voguet. Aussi, pour toutes ces raisons et pour toutes celles qui ont été présentées d’excellente manière par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi tendant à l’abrogation de la loi n° 2008-790. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Carle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Carle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui a pour objet d’abroger la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire.
Avant même de commenter cette initiative sur le fond, je m’étonne que nous examinions un texte abrogeant une loi que nous avons votée le 23 juillet dernier, voilà six mois à peine. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Michel Charasse. Ce ne serait pas la première fois !
M. Jean-Claude Carle. Mais c’est sans doute ainsi que nos collègues du groupe CRC-SPG conçoivent l’opposition constructive.
Cela étant dit, je conçois aisément que nos collègues du groupe CRC-SPG aient, dès l’origine, rejeté le principe même de cette loi. Ils ne pouvaient approuver que soit épargnée aux parents la double peine qui leur était jusqu’alors infligée. (Exclamations et rires sur les travées du groupe CRC-SPG.) Non seulement les enfants n’avaient pas cours, mais en plus les parents étaient obligés de renoncer à une journée de travail, ou même de salaire lorsqu’ils ne pouvaient plus poser de congé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous nous préoccupons plus que vous des salaires !
M. Jean-Claude Carle. Nous avons estimé à l’époque que la grève était parfaitement légitime, mais pas au point d’empêcher celles et ceux qui le souhaitent de travailler.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les chômeurs sont votre lot !
M. Jean-Claude Carle. Le droit de travailler est aussi important que le droit de grève, surtout dans le contexte actuel.
M. Guy Fischer. Travailler plus pour gagner plus !
M. Jean-Claude Carle. C’est donc pour mettre un terme à l’injustice liée à une telle double peine que nous avions adopté la loi du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire.
Ce texte, voulu par le Président de la République, a permis de concilier deux libertés d’égale importance : la liberté de faire grève, qui est évidemment respectée, et la liberté de travailler.
Nous avons ainsi garanti l’égalité de traitement entre tous les parents, ceux qui ont les moyens de faire garder leurs enfants en cas de grève et ceux dont les revenus ou les conditions de vie les en empêchaient. En votant une telle loi, nous avons assuré l’égal accès de tous au service public, mettant ainsi en œuvre un des devoirs fondamentaux de l’État.
Nous avons adopté ce texte d’autant plus volontiers qu’il avait été considérablement amélioré par plusieurs amendements.
Je pense d’abord aux amendements déposés par la commission. L’un d’eux, qui portait sur la responsabilité, a permis de dissiper les craintes des élus locaux. Un autre visait à préciser les règles en matière de confidentialité applicables aux personnels enseignants. Je profite d’ailleurs de l’occasion qui m’est offerte pour saluer le travail effectué par celui qui était alors déjà notre rapporteur, M. Philippe Richert.
Je pense également à l’amendement que j’avais déposé en compagnie de plusieurs collègues et qui visait à garantir un forfait minimum revalorisant la compensation accordée aux communes. Monsieur le ministre, vous avez su prendre en compte les préoccupations des élus ruraux, en particulier celles dont les représentants de l’ANEM se sont fait l’écho auprès de vous, vous y avez fait allusion tout à l’heure. Le progrès est réel : le forfait minimum de 200 euros couplé à une compensation de 110 euros, au lieu de 90 euros, est une formule plus équitable.
Nos collègues du groupe CRC-SPG justifient leur proposition de loi en affirmant qu’il n’est pas nécessaire de légiférer pour quatre jours de grève par an.
Mme Annie David. Absolument !
M. Jean-Claude Carle. Nous pensons au contraire qu’il fallait passer par la loi et l’autorité afférente pour permettre l’application effective du droit d’accueil sur l’ensemble du territoire. Il n’aurait pas été supportable que l’accès des familles au service public dépende des positionnements idéologiques des élus ou réponde à des calculs politiciens. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Nos collègues du groupe CRC-SPG prétendent en outre qu’il est impossible pour les communes de s’organiser. Une telle généralisation est bien hâtive. En effet, il faut établir une distinction entre les maires des petites communes qui, de bonne foi, ne peuvent pas appliquer la loi faute de personnel suffisant et ceux qui refusent de la mettre en œuvre par pure idéologie,…
Mme Annie David. Ce n’est pas de l’idéologie ! C’est simplement que la loi est inapplicable !
M. Jean-Claude Carle. … alors qu’ils en auraient les moyens.
Monsieur le ministre, vous venez de le rappeler, c’est en distinguant bien ces deux situations que vous avez rencontré le président de l’AMF le mois dernier. Il s’agissait de mieux concilier, d’une part, le besoin pour les familles de bénéficier de ce droit d’accueil les jours de grève et, d’autre part, les contraintes auxquelles les maires des petites communes doivent faire face. Votre volonté d’aider ces derniers est manifeste, et nous nous en félicitons.
Nous saluons l’aide de l’État en faveur des plus petites communes afin qu’elles puissent constituer des listes de personnes susceptibles d’être mobilisées pour assurer ce service d’accueil, ainsi que l’appui fourni à ces mêmes communes pour leur permettre d’évaluer correctement les besoins, grâce à une meilleure prévision du nombre des enseignants présents ou absents et du nombre d’enfants à accueillir les jours de grève.
Nous nous réjouissons tout particulièrement de l’initiative par laquelle l’État a mis fin aux actions contentieuses engagées contre les petites communes qui, compte tenu de leur manque de moyens, n’avaient pas pu mettre en œuvre le service d’accueil le 20 novembre dernier. Cette mesure de bon sens, annoncée par le Président de la République devant le dernier congrès des maires, illustre l’esprit de dialogue qui anime le Gouvernement. Elle était très attendue par les maires qui avaient fait tout leur possible pour appliquer la loi. Il aurait été inconcevable de traiter ces communes de la même manière que celles dont les représentants ont publiquement manifesté leur intention de bafouer la loi de la République.
Nous vous remercions, monsieur le ministre, d’avoir réparé cette injustice.
Comme je l’avais souligné lors de son examen par le Sénat, cette loi correspond à l’intérêt de tous : les parents, qui ont la garantie de voir leurs enfants accueillis ; les enfants, qui prennent conscience que l’obligation scolaire doit être respectée tous les jours, y compris les jours de grève,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À vous entendre, on dirait que les enseignants font grève tous les jours !
M. Jean-Claude Carle. … et j’insiste une nouvelle fois sur la nécessaire exemplarité des institutions publiques dans la formation de ces jeunes consciences ; les enseignants, car leurs mouvements de grève seront d’autant mieux compris et acceptés qu’ils n’auront pas de conséquences pénibles pour la vie quotidienne des familles.
En d’autres termes, si la proposition d’abrogation déposée par nos collègues du groupe CRC-SPG était adoptée, se trouveraient compromis le droit au travail des parents,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce sont surtout les licenciements qui le compromettent !
M. Jean-Claude Carle. … la formation civique des enfants et les intérêts bien compris des enseignants. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Annie David. C’est caricatural !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et dogmatique !
M. Jean-Claude Carle. Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, le groupe UMP suivra les conclusions de notre collègue Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous l’avons tous constaté sur le terrain – beaucoup d’entre nous l’avaient d’ailleurs prédit lors de l’examen de ce texte législatif, l’été dernier –, la loi du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire s’est révélée, à l’usage, très difficile à appliquer.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. C’est en particulier le cas dans les petites communes, qui sont les plus nombreuses en France.
Cela tient à plusieurs raisons, que je voudrais rappeler brièvement.
C’est, premièrement, l’impossibilité pour un maire d’organiser l’accueil lorsqu’il ne dispose que de quarante-huit heures pour le préparer.
C’est, deuxièmement, l’impossibilité de disposer d’un vivier suffisant de personnes capables de participer au service d’accueil, comme l’ont d’ailleurs fort justement souligné les auteurs de la proposition de loi dont nous débattons. Rappelons en effet qu’il faut un adulte pour garder pour vingt enfants. Où ira-t-on chercher ces personnes ? Selon quels critères les choisira-t-on ? Qui les formera ? Et comment seront-ils formés ?
C’est, troisièmement, l’impossibilité de recenser les compétences professionnelles des bénévoles requis par les maires.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. Pourtant, en matière d’éducation, les critères sont particulièrement stricts. Dès lors, d’une manière ou d’une autre, une telle disposition entre de facto en contradiction avec la réglementation existant en la matière.
Dans nos villages, combien de personnes non enseignantes possèdent les diplômes ou les agréments requis pour être en conformité avec la loi, qui prévoit l’embauche de « personnes possédant les qualités nécessaires pour accueillir et encadrer les enfants » et, serais-je tentée d’ajouter, pour éviter de ne faire de cet accueil qu’une mauvaise garderie ?
C’est, quatrièmement, l’impossibilité d’assurer le service de restauration des enfants.
Je cesse ici cette énumération, qui pourrait continuer, mais qui explique déjà pourquoi ce texte a suscité l’opposition des syndicats, des fédérations de parents d’élèves et, dès sa promulgation, la réticence des élus locaux.
Certes, je peux le concevoir, à l’origine, l’instauration d’un droit d’accueil dans les écoles les jours de grève était une idée à creuser, puisqu’il s’agissait d’aider les familles. Mais, selon moi, sa mise en place a constitué une sorte de « supercherie » : on a promis aux familles une aide qu’il était très difficile, voire impossible de mettre en œuvre. Cela n’est convenable ni sur le fond ni sur la forme, car l’État ne saurait avoir plusieurs paroles et offrir plusieurs visages.
« Gouverner, c’est prévoir », a-t-on coutume de dire. Mais c’est également proposer des solutions réalistes aux problèmes qui se posent à nos compatriotes, et non considérer qu’ils sont définitivement réglés dès lors qu’un texte est voté, ni se désintéresser des conditions dans lesquelles le nouveau dispositif se met en place sur le terrain.
C’est la première conclusion qui s’impose à moi en l’occurrence.
Avant d’évoquer la deuxième, je voudrais m’étonner que l’on ait pu ici mettre en doute la capacité des fonctionnaires à informer et à conseiller les élus dans leurs missions. Je connais trop les préfets et les sous-préfets,…
Mme Anne-Marie Escoffier. … les inspecteurs d’académie – beaucoup sont de mes amis – pour douter de la volonté qui a été la leur de faciliter la tâche des élus.
J’en viens maintenant à ma deuxième conclusion. À trop charger la barque des communes, on finira par la faire couler. Il faut arrêter de demander tout et n’importe quoi aux collectivités territoriales, dès lors que l’État, refusant d’honorer ses engagements, se défausse plus ou moins systématiquement sur elles sans se demander comment elles pourront appliquer des mesures qu’elles n’ont, le plus souvent, pas réclamées.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Guy Fischer. Voilà !
Mme Anne-Marie Escoffier. Du reste, et nous nous en sommes bien rendu compte en considérant le nombre important de communes qui n’ont pas appliqué le service minimum d’accueil lors des dernières grèves – je pense autant à certaines petites communes qu’à des villes moyennes ou à d’importantes métropoles, comme Toulouse, Saint-Étienne ou même Paris –, la difficulté d’application de cette loi est générale, même si j’ai volontairement limité mon intervention aux petites communes, qui sont largement majoritaires dans le département rural dont je suis l’élue.
Au demeurant, la justice a, dans de nombreux cas, donné raison aux maires réfractaires. Je pense notamment à l’arrêt du tribunal administratif de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, qui fera sans doute jurisprudence à l’avenir et selon lequel « aucune mesure ne peut plus être utilement ordonnée aujourd’hui pour contraindre le maire à assurer l’accueil des enfants scolarisés ». Il s’agit d’un argument imparable, qu’on peut transcrire ainsi : « Nul ne saurait être contraint de faire ce qu’il ne peut objectivement pas mettre en œuvre. » (Mme Françoise Laborde applaudit.) D’ailleurs, c’est conforme à la jurisprudence du Conseil d'État sur la recevabilité des recours en référé.
M. Michel Charasse. Exact !
Mme Anne-Marie Escoffier. C’est la preuve – et cela doit servir de leçon tant pour le Gouvernement que pour le Parlement – qu’une loi insuffisamment pensée n’a pas d’avenir et qu’il n’est pas d’avancée possible, dans ce domaine peut-être plus que dans tout autre, sans rigueur préalable.
C’est pourquoi, dans la logique qui a inspiré mon propos, la majorité des membres du groupe du RDSE a déposé un amendement visant à autoriser les petites communes à ne pas assumer une telle charge, c'est-à-dire à être dispensée de l’obligation d’assurer l’accueil des élèves de maternelle et de cours élémentaire en cas de grève des enseignants. Cela permettrait d’éteindre l’incendie qui a été malencontreusement allumé à la fois dans le milieu scolaire et dans les communes de France, notamment celles qui ont le moins de moyens.
C’est la voix de la sagesse. D’ailleurs, si j’en juge par certaines déclarations récentes, je crois que, au moins pour partie, ce sentiment est partagé en haut lieu. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit d’accueil – je devrais plutôt dire « l’obligation d’accueil » – fait partie des multiples annonces sur l’éducation nationale en même temps que des innombrables contraintes imposées aux communes sans aucune concertation.
J’irai plus loin. Avec la loi du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, il semble que l’État cherche parfois à déstabiliser les communes et les liens que les élus locaux ont tissés avec leurs concitoyens.
Or, et le dernier rapport de la Cour des comptes sur le sujet vient de le rappeler, les écoles maternelles et élémentaires relèvent largement de la responsabilité des communes, qui assurent 40 % de leur financement. Il n’est donc pas possible, dans une démocratie digne de ce nom, de prendre des décisions d’une manière aussi unilatérale.
Les élus nous alertent quotidiennement sur les difficultés rencontrées sur le terrain. Encore récemment, j’ai reçu un vœu adopté par le conseil municipal de Moëlan-sur-Mer, dans le Finistère, sur les difficultés d’application d’une telle loi.
Le service minimum d’accueil laisse pantois quant à la connaissance qu’a le Gouvernement de la vie quotidienne dans nos communes, en particulier dans les communes rurales. Mais les petites communes ne sont pas les seules concernées et il est inadmissible que le Président de la République oppose les communes entre elles, sciemment ou non.
M. Guy Fischer. Sciemment !
M. Jean-Luc Fichet. Bernard Poignant, le maire de Quimper, m’a également fait part de ses difficultés dans un courrier du 1er décembre dernier où il écrivait ceci : « Dans un esprit républicain, et avec la meilleure volonté du monde, malgré un travail acharné des services de la ville de Quimper, et sans revenir sur l’esprit de cette loi, mais en s’attachant aux seules modalités techniques, il est tout bonnement impossible de la mettre en œuvre. » Et Quimper n’est pourtant pas une commune rurale !
Ces revendications sont relayées par le président de l’Association des maires de France lui-même. Dans un courrier qui vous a été adressé, monsieur le ministre, Jacques Pélissard écrit : « Il ressort globalement des remontées du terrain un sentiment de pagaille que j’ai le devoir de vous rapporter. »
Les huées qui ont accueilli le Gouvernement au dernier congrès des maires montrent le « ras-le-bol », mais aussi la colère des élus locaux.
Le service minimum d’accueil est une remise en cause du droit de grève, pourtant fondamental et garanti depuis 1864. Le droit de grève est reconnu par la Constitution au même titre que le service public. Vous ne pouvez pas les opposer ainsi, en faisant fi de l’un au profit de l’autre. Mais vous en avez décidé autrement, balayant du revers de la main toute contestation comme tout droit. Qu’importent les complications, les communes doivent courber le dos, car telle est la volonté du Gouvernement !
Doit-on faire subir aux collectivités locales les conséquences d’un dialogue social défaillant entre l’État et ses fonctionnaires ? Les communes n’ont pas été interrogées sur la pertinence de ce dispositif et encore moins associées à la réflexion en amont. Alors, de grâce, ne leur demandez pas aujourd’hui d’assumer les réparations de tous ces manquements !
Monsieur le ministre, vous devriez tout mettre en œuvre pour éviter les causes des grèves, dialoguer plutôt que chercher à contrer ces mouvements et cesser de décréter l’état d’urgence permanent quant à la nécessité de légiférer. Le temps est notre maître. Il est utile, incontournable même, pour prendre les bonnes mesures et éviter les conflits que nous connaissons aujourd’hui entre le ministre de l’éducation nationale et les enseignants.
Par ailleurs, cette loi sur le service minimum d’accueil est une fois de plus le signe notable d’une volonté de désengagement de l’État, et ce à double titre.
Il s’agit d’abord d’un désengagement vis-à-vis de la mission de service public de l’éducation, et je veux, à cet égard, insister sur un paradoxe : ce système est mis en œuvre au nom de la continuité du service public, mais il met à mal le service public de l’éducation. D’ailleurs, il n’est plus question d’éducation, mais bien d’accueil ! Or l’école n’est pas une gare et les élèves ne sont pas des usagers. La continuité du service public que nous vend le Gouvernement n’est donc pas celle du service public d’enseignement.
Il est indigne de vouloir faire croire aux parents que les enfants pourront continuer à apprendre lors des grèves, par la seule intervention divine du service minimum d’accueil. Les enseignants seront remplacés par un personnel qui n’a pas la vocation et encore moins la capacité à enseigner. De là à ce qu’on renomme le ministère de l’éducation nationale ministère de la garderie communale, il n’y a qu’un pas ! Pour ma part, je ne le franchirai pas, car j’estime que les professeurs des écoles doivent garder toute leur place dans le système éducatif.
Le désengagement s’inscrit aussi dans votre volonté de ne pas assumer l’intégralité de la charge financière du dispositif. La loi est très floue sur ce point et les premiers financements ne sont pas à la hauteur des dépenses réelles des communes.
L’État apporte des contributions qui sont insuffisantes et ne permettent pas d’offrir l’encadrement nécessaire aux élèves. Je ne reviendrai pas sur les grandes difficultés budgétaires que l’État rencontre actuellement, mais il faut certainement voir un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes.
En tout cas, une nouvelle fois, le Gouvernement se défausse très clairement de sa charge sur les communes et ce transfert se fait sans prise en compte des réalités juridiques et sans évaluation du coût réel. Les collectivités locales ne peuvent pas prendre en charge, à elles seules, les conséquences d’une politique budgétaire irresponsable !
Cette loi est démagogique et inapplicable, qu’il s’agisse des communes rurales ou des communes urbaines !
Les réalités et diversités locales sont totalement oubliées. L’Association des maires de France estime d’ailleurs que, sur les 22 500 communes possédant une école publique du premier degré, 20 000 ne sont pas en mesure d’assurer ce service d’accueil. Elles n’ont pas toujours les équipes nécessaires, sachant que la loi ne précise ni les qualifications du personnel ni le taux d’encadrement exigé. C’est d’ailleurs l’un des rares cas de figure dans lesquels la législation est si peu rigoureuse en matière d’encadrement de jeunes enfants par du personnel non enseignant.
Qu’en est-il effectivement de la sécurité des enfants ? Cet accueil engage la responsabilité des encadrants, fussent-ils occasionnels. Peut-on leur imposer d’exercer la plus grande vigilance, nécessaire dans ce cas, de tenir à jour les registres de présence obligatoire et d’assumer leur pleine responsabilité en matière de sécurité ?
Les besoins spécifiques de chaque enfant ne sont pas non plus pris en compte. Or un enfant de quatre ans ne nécessite pas la même attention qu’un enfant de dix ans.
En outre, en cas de grève conjointe du personnel communal et des enseignants, qu’advient-il du dispositif? Le recrutement au petit bonheur la chance parmi les administrés volontaires…
Mme Annie David. Les retraités de l’éducation nationale !
M. Jean-Luc Fichet. … n’est pas concevable et encore moins responsable. Il devient donc difficile d’anticiper et d’informer les parents dans de bonnes conditions.
Enfin, dans les communes rurales, un regroupement pédagogique est prévu en cas de nécessité. Mais qui paiera le transport des enfants ? Les communes, une fois de plus !
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le ministre, on ne peut pas légiférer ainsi au mépris des responsabilités des élus locaux et des réalités du terrain !
Vous connaissez toute cette argumentation, qui démontre très précisément l’aberration du service minimum d’accueil. C’est d’ailleurs pourquoi, incapable de la contourner, vous vous êtes laissé aller à un tonitruant « débrouillez-vous ! » à l’adresse des élus locaux qui vous demandaient simplement comment faire.
Quant aux poursuites pénales qui peuvent peser sur les maires, alors même que la loi est très compliquée à mettre en œuvre, elles sont tout simplement honteuses,…
M. Guy Fischer. Inacceptables !
M. Jean-Luc Fichet. … même si elles sont finalement conformes à l’esprit de la loi sur le service minimum d’accueil.
La décision prise in extremis de stopper les poursuites contre certaines communes met en évidence une première prise de conscience, tardive, des effets collatéraux négatifs que cette loi engendre au niveau local. Cette décision nous laisse penser, monsieur le ministre, que vous avez parfaitement conscience de l’absurdité de ce texte. Alors, allez jusqu’au bout de votre raisonnement : comportez-vous de manière responsable en reconnaissant votre erreur !
Nous ne voulons pas attendre une quelconque évaluation prochaine de cette loi. Nous en voulons simplement l’abrogation, laquelle constituerait, dans cette période difficile, un geste fort en direction des communes.
Le groupe socialiste soutient donc la proposition de loi présentée par Mme Brigitte Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC-SPG, qui vise à abroger la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire. Je la voterai avec détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a environ un mois et demi, alors que nous discutions ici-même des crédits de l’enseignement scolaire, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur la loi du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire.
Je ne reviendrai ni sur les questions de principe ni sur les questions de forme, bien qu’il y ait certainement encore beaucoup à dire sur le sujet. Je rappellerai toutefois que, à cette occasion, j’avais indiqué combien il était nécessaire d’écouter et de consulter les élus locaux en amont des réformes touchant au domaine scolaire, combien aussi il était grand temps pour le Gouvernement de se rendre compte que les maires sont des acteurs à part entière de l’école, et non les simples exécutants qu’ils ont parfois le sentiment d’être aux yeux de certains hauts personnages.
Ainsi, selon l’édition de 2007 de L’état de l’École, les collectivités assurent près de 23 % des dépenses nationales d’éducation, et même 40 % de ces dépenses si l’on se réfère au financement du seul premier degré, auquel le service minimum d’accueil est destiné.
Que serait l’école si les collectivités ne finançaient pas, par exemple, les classes transplantées, les classes à projet artistique et culturel, les projets d’école, les équipements informatiques, voire la formation à leur utilisation, ou encore les transports scolaires ? Et cette liste n’est pas exhaustive.
Il serait donc tentant de voter l’abrogation d’un texte qui, chez les élus locaux, fait pratiquement l’unanimité... contre lui !
M. Guy Fischer. Il ne faut pas vous gêner !
M. Yves Détraigne. Un texte assez peu réaliste, décidé en haut lieu et non, contrairement à ce qui avait été dit, réclamé à l’origine par les familles,…
Mme Annie David. Très juste !
M. Yves Détraigne. … inapplicable dans de nombreuses communes. Bref, un texte qui a créé plus de problèmes qu’il n’en a réglé !
Néanmoins, nous n’allons pas reprendre aujourd’hui un débat que nous avons déjà eu il y a six mois. Comme l’a rappelé le président de l’Association des maires de grandes villes de France, nous sommes tous républicains et nous ne souhaitons pas remettre en cause le principe d’une loi dont les parents sont désormais en droit de demander l’application et dont l’abrogation créerait d’autres problèmes.
Mme Annie David. Quel dommage !
M. Yves Détraigne. De plus, monsieur le ministre, vous avez su évoluer sur le sujet depuis l’adoption de la loi du 20 août 2008. Vous avez notamment accepté, après avoir rencontré les associations représentatives des élus locaux, que soient mieux conciliés l’intérêt des familles à bénéficier du droit à l’accueil les jours de grève et les contraintes auxquelles doivent faire face certains maires chargés par la loi de l’organisation de ce service.
Au début du mois de janvier, vous avez également accepté le principe de la création d’un comité de suivi et d’évaluation du texte, et demandé aux inspecteurs d’académie d’aider les communes à faire face aux difficultés d’application de la loi, en se rapprochant notamment des instances représentatives des maires.
Ainsi, en qualité de président de l’association des maires de la Marne, j’ai rencontré hier l’inspectrice d’académie de mon département pour examiner ce dossier. Nous avons recherché, de manière tout à fait coopérative, des solutions permettant de faciliter la mise en œuvre du dispositif par les maires.
D’ailleurs, quelques pistes pourraient être examinées, au-delà de celles qui figurent dans l’instruction adressée par vos soins, le 14 janvier dernier, à vos services départementaux et qui ne me paraissent pas toutes aisées à mettre en œuvre.
Ne pourrait-on pas, par exemple, demander aux enseignants – je n’ose, en l’espèce, utiliser le verbe « exiger », sachant qu’il passerait mal – qui envisagent de faire grève de le signaler dans le carnet de correspondance de leurs élèves, de telle sorte que les parents puissent prendre leurs dispositions ?
Ou encore ne pourrait-on pas mettre en place une procédure simplifiée d’embauche, semblable à celle du chèque emploi service, pour les personnes que les communes mobilisent pour l’accueil des enfants ? En effet, l’Élysée et sans doute vos services, monsieur le ministre, semblent ignorer que la procédure d’embauche et le nombre de déclarations à effectuer sont exactement identiques qu’il s’agisse d’un emploi pour une journée ou d’une vacation de plusieurs mois dans la commune.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Yves Détraigne. Autrement dit, à la difficulté à évaluer le nombre d’enfants à prendre en charge, qu’on ne connaît en réalité que le matin même, au moment de l’ouverture de l’école, et à trouver les bonnes personnes pour assurer cette prise en charge s’ajoute le casse-tête de la procédure à suivre. Celle-ci est totalement démesurée et définitivement décourageante pour les petites communes.
Par conséquent, monsieur le ministre, les élus locaux demandent avant tout de la souplesse dans l’application de ce texte ! Des avancées restent possibles dans ce sens, mais je crois que vous l’avez compris. Vous pouvez aller encore au-delà de l’instruction adressée, il y a quelques jours, à vos services départementaux…
Aussi le groupe de l’Union centriste votera-t-il les conclusions de la commission des affaires culturelles et le rejet de la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui.
Mme Annie David. C’est bien dommage, monsieur Détraigne ! Après tout ce que vous avez dit !
M. Guy Fischer. Le début était effectivement mieux que la fin !
M. Yves Détraigne. Mais, permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, il serait souhaitable qu’on ne vous reprenne plus à imposer de nouvelles contraintes aux collectivités sans véritable concertation préalable avec leurs associations représentatives. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République se plaît à affirmer que le service minimum d’accueil dans les écoles maternelles et élémentaires constitue une rupture, une réforme à mettre à l’actif de son bilan.
MM. Bernard Fournier et Pierre Martin. Mais oui !
Mme Françoise Cartron. Certes, il s’agit bien d’une rupture, mais d’une rupture grave dans l’exercice du droit de grève, d’une rupture grave dans les relations entre l’État et les collectivités.
Mme Annie David. Absolument !
Mme Françoise Cartron. Samedi dernier, 60 000 personnes, dont un bon nombre de parents d’élèves, défilaient pour la sauvegarde de l’école publique. Parmi les manifestants, tous mobilisés par les problèmes de l’école publique, aucun ne soutenait le service minimum d’accueil. Et pour cause ! Ce SMA n’est une avancée pour personne : ni pour les parents, ni pour les enseignants, ni pour les collectivités, ni même pour les élèves ; c’est l’inutile rupture !
Plusieurs erreurs majeures entachent le SMA et, tout d’abord, une stigmatisation du droit de grève.
En faisant obligation aux communes, les jours de grève, d’accueillir les élèves à partir d’un seuil de 25 % de grévistes, la loi du 20 août 2008 porte gravement atteinte à l’exercice du droit de grève des enseignants. À travers cette loi, monsieur le ministre, vous mettez en effet l’accent sur les désagréments liés à l’exercice de ce droit, en évitant de vous interroger sur les causes mêmes d’une telle situation.
La responsabilité vous en incombe pourtant : suppressions massives de postes, menaces pesant sur l’école maternelle, réforme des programmes…
Avec le SMA, vous prétendez vouloir garantir la continuité du service public. C’est votre choix ! Mais alors, assumez-le dans le cadre de l’éducation nationale et ne le faites pas supporter aux communes, qui n’ont rien demandé.
Ensuite, le SMA est une mesure démagogique : c’est avant tout une mesure d’affichage, un message envoyé à l’opinion.
De surcroît, cette loi est inutile et reflète une profonde méconnaissance des réalités de terrain. Les élus locaux n’ont pas besoin d’une loi pour assumer leurs responsabilités !
Hélas ! comme beaucoup de prétendues réformes, cette loi a pour conséquence d’opposer entre elles différentes catégories. Ainsi, en stigmatisant les enseignants grévistes, vous avez tenté de leur opposer les parents d’élèves ; en confiant le SMA aux communes et en rendant les maires responsables de l’accueil, vous avez essayé d’opposer les parents à leurs élus locaux ; en imposant cette nouvelle charge aux communes, vous avez opposé les élus à leur personnel.
Cette façon de gouverner, en décrédibilisant sans cesse le service public, en dressant systématiquement les uns contre les autres, est à l’opposé de ce qui est aujourd'hui nécessaire à notre société en crise.
Par ailleurs, l’expérience a démontré que le SMA est non seulement inutile, mais inapplicable dans de nombreux cas, comme l’ont souligné tous les orateurs.
L’État s’est défaussé sur les communes pour organiser ce non-sens éducatif. On demande aux élus de recourir, dans un délai de quarante-huit heures, à des personnels non formés, voire aux membres d’associations ou à des retraités, afin de les substituer aux enseignants grévistes !
Dans de très nombreuses communes, le seuil de 25 % à partir duquel le SMA devient obligatoire est presque systématiquement atteint dès lors qu’un instituteur se met en grève. C’est notamment le cas en zone rurale, c'est-à-dire précisément là où les élus rencontrent le plus de difficultés pour organiser un accueil satisfaisant en termes de sécurité et de responsabilité.
Je m’associe d’ailleurs pleinement à l’amendement de repli déposé par Pierre-Yves Collombat, qui vise à restreindre l’application du dispositif aux communes de plus de 3 500 habitants.
Mais ne nous leurrons pas, le SMA n’est pas plus applicable dans les villes. Ainsi, de nombreux maires de grandes villes s’avouent dans l’incapacité d’appliquer la loi dans tous leurs établissements. C’est le cas notamment du maire de Bordeaux,...
Mme Françoise Cartron. … un de vos amis, monsieur le ministre, qui n’est pourtant pas, me semble-t-il, un opposant notoire !
Le SMA s’est également révélé être une source d’acharnement juridictionnel.
Le premier devoir d’un maire est d’appliquer les lois de la République – c’est une vérité qui doit être sans cesse rappelée – et s’il ne le fait pas, il encourt une sanction juridictionnelle, ce qui est normal.
Mais comment appliquer la loi lorsqu’elle est précisément inapplicable ?
Pour ma part, je n’ai pu que constater l’impossibilité d’appliquer le SMA dans ma commune. Après une réunion du comité technique paritaire, les personnels ont unanimement refusé de se prêter au jeu de la garderie. Qu’aurais-je dû faire ? Réquisitionner les secrétaires ?
M. Michel Charasse. Oui !
Mme Françoise Cartron. Les policiers municipaux ?
M. Michel Charasse. Oui !
Mme Françoise Cartron. Les jardiniers ?
M. Michel Charasse. Oui !
Mme Françoise Cartron. Pour les transformer, le temps d’une journée, en animateurs pour enfants, avec toutes les responsabilités que cela entraîne ?
M. Michel Charasse. C’est la loi ! La réquisition, cela existe !
Mme Françoise Cartron. Les parents d’élèves sollicités ont décliné, eux aussi, la proposition.
Par ailleurs, avant les appels au calme, tout relatifs, du Président de la République et de vous-même, monsieur le ministre, qui faisaient d’ailleurs suite à la grogne des maires de France réunis lors de leur congrès, la non-application du SMA a donné lieu à une cacophonie juridique des plus ridicules.
En France, la loi est censée être la même pour tous. Dès lors, comment expliquer de telles disparités dans les condamnations ?
Ici, certaines communes, qui avaient émis un simple vœu, ont été condamnées en première instance, alors même que les vœux ne sont pas un acte entrant dans le cadre du contrôle de légalité.
Mme Annie David. Exactement !
Mme Françoise Cartron. Là, des communes ont été condamnées à 500 euros d’astreinte par jour de non-application.
M. Michel Charasse. Continuez à défendre les juges !
Mme Françoise Cartron. D’autres encore encouraient 10 000 euros par jour, voire par heure, notamment dans le Var !
M. Michel Charasse. Continuez donc à défendre les juges !
Mme Françoise Cartron. Et que dire de cet empressement à traduire les maires en justice, alors que l’on a connu moins de célérité par le passé pour faire appliquer certaines lois ?
Mme Annie David. La loi SRU !
Mme Françoise Cartron. Je pense, en effet, à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui n’a jamais été respectée à Neuilly,…
Mme Annie David. Jamais !
Mme Françoise Cartron. … ce pour quoi son célèbre maire n’a jamais été déféré devant un tribunal !
Alors oui, monsieur le ministre, je reste résolument défavorable au service minimum d’accueil, mais farouchement favorable au service maximum d’éducation. Non au SMA, oui au SME ! (Sourires.)
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste soutient pleinement cette proposition de loi abrogeant la loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire.
Il est plus que temps d’en finir avec cette mesure qui pèse inutilement sur nos collectivités et, surtout, oppose les uns aux autres, alors que nous devrions, au contraire, nous rassembler autour du service public de l’éducation afin de préparer l’avenir de nos enfants. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Vote sur les conclusions du rapport de la commission
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles rejetant la proposition de loi.
Y a-t-il des explications de vote ?... (Oui ! sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. On ne va pas se coucher comme ça !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous vous souvenez qu’il y a ensuite une proposition de loi de la majorité, avec cinquante-deux articles et je ne sais combien d’amendements ! Soyez au moins tolérants !
Mme Annie David. On est au Parlement, non ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote. (Nouvelles protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre-Yves Collombat. Moi, je ne suis pas pressé ! J’ai fait mille kilomètres pour venir ici : je peux attendre cinq minutes !
Monsieur le ministre, vous le savez, les maires sont naturellement respectueux envers les représentants de l’État et du Gouvernement. Il fallait donc que la coupe fût bien pleine pour que, fait sans précédent, le Premier ministre soit sifflé lors du congrès des maires de France en évoquant le service minimum d’accueil et pour que la salle se vide à l’arrivée de votre représentant.
La coupe débordait, en effet, avec le texte sur le financement des écoles privées, la semaine des quatre jours, la sclérose des réseaux d’aide éducatifs mobiles et, cerise sur le gâteau, le service minimum d’accueil des élèves en cas de grève des enseignants. Avec ce système, c’est non plus à l’État de se substituer aux communes défaillantes, mais à elles de pallier l’incapacité du Gouvernement à régler ses conflits avec ses fonctionnaires.
En décidant de déférer, par le bras préfectoral, avec demande d’astreinte, les communes qui, croyant qu’une loi injuste ne pouvait être une loi républicaine, refusaient de se plier à cette obligation, vous avez pris une lourde responsabilité, monsieur le ministre, d’autant que les décisions de certains tribunaux administratifs, notamment celui de Toulon, n’ont fait qu’alimenter le sentiment des élus que ce qu’ils pouvaient penser vous importait peu.
Ainsi, quatre communes du Var, dont deux rurales, ont été contraintes d’organiser le service sous astreinte de 10 000 euros par heure de retard.
M. Guy Fischer. Scandaleux !
M. Michel Charasse. Et vous défendez les juges !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est le record de France !
Mme Christiane Hummel. Quelles sont donc ces communes ?
M. Pierre-Yves Collombat. Aups et Carnoules ! Il faut suivre l’actualité, chère collègue !
Le Président de la République lui-même, devant le congrès des maires de France, s’en est ému, en déclarant : « Je comprends parfaitement le sentiment d’injustice que peut avoir un maire traîné devant le tribunal administratif par son préfet parce qu’il a peu de moyens, qu’il a fait son possible et qu’il n’y est pas arrivé. Je suis tout à fait prêt à revoir cela. ».
Cependant, ce qui est jugé est jugé, et le Président de la République n’a pas – pas encore en tout cas – le pouvoir de réformer la chose jugée ! (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Michel Charasse. Ou alors, il faut rappeler Saint-Louis ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Les décisions prises, notamment les astreintes, demeurent applicables.
Comme nous l’avons fait en 2008, pour l’article 89, l’heure est donc venue de « revoir cela », comme nous y invitent le Président de la République ainsi que la présente proposition de loi.
La loi d’août 2008 pose des problèmes de principe qui justifient, à eux seuls, son abrogation, et je m’associe aux propos qui ont été tenus dans ce sens. En tout état de cause, il faut revenir sur le texte, parce qu’il est inapplicable en l’état, quelle que soit la taille de la commune.
Mais, à l’évidence, ce qui vaut pour les villes est encore plus vrai pour les communes rurales, ainsi que le reconnaît le Président de la République. Comme vous avez appris son discours par cœur, mes chers collègues, je ne vous le rappellerai pas. (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Ce n’est apparemment pas votre cas, monsieur le ministre, puisque, en refusant l’examen de la présente proposition de loi, vous ne permettez pas à l’amendement visant au moins à sécuriser les communes rurales d’être examiné et de prospérer.
Ne vous faites pas d’illusions, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur : le nombre limité de communes ayant clairement dit qu’elles ne voulaient ou ne pouvaient pas appliquer la loi cache mal la foule des résistants passifs qui se sont arrangés, souvent avec la complicité des parents, pour n’avoir pas à mettre en œuvre le service minimum, faute d’élèves, ou pour n’avoir qu’une poignée d’élèves à accueillir. Vous l’avez d’ailleurs reconnu tout à l’heure, monsieur le rapporteur, sans en tirer les conséquences.
Tant que vous ne vous déciderez pas à modifier la loi, monsieur le ministre, le conflit avec les maires restera ouvert. Sachez-le, vous avez déclenché un conflit de longue durée.
C’est pour nous une raison supplémentaire de passer outre à la fin de non-recevoir que vous venez d’opposer, avec le secours de notre commission sénatoriale, à ceux qui ouvraient une voie pour en sortir.
Nous sommes donc appelés à nous revoir, monsieur le ministre ! Nous rediscuterons de ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je commencerai par dire combien j’ai trouvé scandaleux l’anathème qui a été jeté sur les premiers magistrats des communes qui, parce qu’ils sont soucieux des conditions de sécurité dans lesquelles va devoir s’exercer ce service minimum d’accueil, ont été traités d’idéologues.
M. Philippe Richert, rapporteur. Ne provoquez pas !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je ne provoque pas ! Je me permets simplement de dire que j’ai été choquée !
Je crois que ces hommes et ces femmes ne sont pas moins que les autres attentifs aux prérogatives des jeunes enfants et de leurs administrés.
Cette réaction m’a d’autant plus irritée que, dans mon département, dix-sept communes, toutes de droite à l’évidence, ne respectent pas la loi SRU !
M. Guy Fischer. Voilà ! C’est une autre vérité !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Or toutes les communes qui ont refusé de mettre en place le SMA, parce qu’elles étaient soucieuses de respecter les conditions de sécurité, ont été déférées par le préfet devant le tribunal.
M. Guy Fischer. Un préfet aux ordres !
Mme Annie David. Deux poids, deux mesures !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Exactement !
Je regrette, par ailleurs, que la décision de la majorité de la commission des affaires culturelles, en demandant au Sénat de se prononcer sur son avis négatif quant à l’abrogation de la loi sur le SMA, aboutisse à nous empêcher d’examiner les amendements visant à trancher la question des communes de moins de 3 500 habitants en introduisant dans la loi une dérogation pour ces communes.
Notre collègue Jean-Louis Masson, auteur d’une proposition de loi tendant à modifier la loi sur le SMA, a fixé, quant à lui, le seuil dérogatoire à 1 500 habitants.
En réalité, tous tentent de préserver les petites communes, notamment les communes rurales, des effets d’une loi qu’il leur est impossible d’appliquer, je ne suis pas seule à le relever. C’est, du reste, la position que défend depuis le début l’Association des maires ruraux de France. Son nouveau président, M. Berberian, dans un communiqué daté du 2 décembre dernier, rappelait à juste titre qu’« il ne suffit pas de décider d’une loi pour qu’elle soit appliquée, encore faut-il qu’elle soit applicable ».
Les différentes actions en référé introduites par les préfets à l’encontre des communes qui n’avaient pas appliqué le service minimum ont d’ailleurs connu des issues diverses, ajoutant encore à la confusion.
Toutes ces tentatives tendant à limiter les « pots cassés » pour les petites communes montrent bien que cette loi, telle qu’elle a été conçue et votée, n’est tout simplement pas applicable de manière égale sur tout le territoire.
Le Gouvernement, faut-il le rappeler, a présenté aux parents ce service d’accueil comme un nouveau droit relevant du service public. C’est en tout cas l’analyse qu’en a faite le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2008. Or les éléments constitutifs de service public sont loin d’être réunis puisqu’il y a inégalité de traitement des enfants sachant que la loi ne leur garantit pas d’être accueillis partout par des personnels disposant des mêmes qualifications.
Par ailleurs, la notion de « qualités nécessaires » est laissée à l’appréciation du maire, comme certains de mes collègues l’ont souligné. En réalité, les maires seront contraints de faire avec les moyens du bord !
On ne peut pas dire que le Gouvernement n’avait pas conscience de ces points de blocage en décidant de faire voter cette loi en urgence, l’été dernier. J’avais, pour ma part, attiré l’attention sur cette situation. De la même façon, le Gouvernement n’avait pas tenu compte de l’échec des deux expérimentations menées avant l’adoption de cette loi.
Les lois de la République doivent s’appliquer sur notre territoire d’égale façon, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en place un nouveau service à destination des écoliers. Cette loi ne parvient manifestement pas à le faire.
C’est pourquoi je regrette vivement que la commission des affaires culturelles n’ait pas décidé de retenir le principe de son abrogation.
Quoi qu’il en soit, cela a été dit, nous serons amenés à en reparler ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Je veux rendre hommage au sens poussé de la dialectique d’un certain nombre de nos collègues, notamment de M. Richert, qui, à mon sens, a brillamment démontré que nous étions, une fois de plus, devant une application rapide, voire hâtive d’un texte mal pensé, mal ficelé et non abouti !
Je constate que ce texte a engendré beaucoup de mauvaise foi, d’hypocrisie et de mépris à l’égard des fonctions, du rôle, de la mission et des compétences de chacun. Cela ne vient pas des maires, quoi qu’on ait pu en dire !
Avant même que ce texte ne parvienne au Parlement, alors qu’il n’était qu’à l’état de projet, toutes les associations de maires se sont prononcées contre le simple principe d’une intervention des maires dans un conflit qui ne les concernait pas entre des fonctionnaires et leur ministère de tutelle.
Pour continuer dans le mélange complet des compétences, pourquoi l’État ne mettrait-il pas à notre disposition des fonctionnaires de Bercy quand les personnels des collectivités locales sont en grève et ne fournissent plus de passeports biométriques – c’est d’actualité ! – ou de cartes d’identité ?
Ce texte était une première étape sur la voie du mépris absolu vis-à-vis des élus locaux et, une fois de plus, de leur rôle, de leurs fonctions et de leurs compétences.
Ce texte exprime également du mépris à l’égard des familles. On nous dit que les familles sont contentes du service d’accueil. Sont-elles parfaitement informées des conditions dans lesquelles ce service est mis en place ? Savent-elles comment leurs enfants seront gardés, par qui et quel sera le niveau de sécurité ? Connaissent-elles les activités qui seront proposées aux enfants ?
Ce texte exprime également du mépris vis-à-vis des professionnels de la petite enfance, au regard de leurs compétences et de leur formation.
Ce texte exprime enfin, évidemment, du mépris à l’égard des enfants.
Vous brandissez comme un étendard, monsieur le ministre, le nombre des communes qui ont, tant bien que mal, mis en place ce service. Ce n’est pas parce que les maires se sentent investis de la responsabilité de faire respecter la loi que cette dernière est applicable dans des conditions normales de sécurité et d’exercice légitime de leurs compétences.
Vous me dites, monsieur le ministre, que l’État prendra ma défense en cas de problème : peu m’importe ! Si l’irréparable devait arriver, notamment à un enfant, le fait que l’État prenne ou non ma défense n’empêchera pas ma conscience de me hanter tout le reste de ma vie parce que j’aurai voulu appliquer une loi mal faite, qui m’aura contrainte à prendre des responsabilités ne me revenant pas, et dans des conditions de sécurité totalement inadéquates.
Par ailleurs, vous nous dites que l’on ne peut pas défaire une loi qui a été adoptée il y a six mois.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh bien si !
Mme Virginie Klès. Pourtant, depuis plusieurs mois, l’actualité et les faits divers gouvernent les textes qui nous sont présentés en urgence. Il suffit d’un chien mordeur pour avoir un nouveau texte de loi !
J’aimerais donc que l’on revienne sur cette loi avant que l’irréparable ne se produise !
Au mois d’août dernier, je n’étais pas encore sénatrice. J’ai donc d’autant moins de scrupules et d’autant plus de conviction à demander l’abrogation de ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. L’ordre du jour de la séance d’aujourd'hui est « réservé ». C’est une illustration de la démocratie qui est tout à l’honneur du Sénat que de permettre d’examiner, lors de ces séances, des propositions de loi issues des rangs de la majorité comme de l’opposition.
Cependant, je formulerai un regret, voire une protestation : à quoi bon faire une fois par mois un geste généreux envers l’opposition si l’on ne permet jamais à cette dernière d’aller au terme de sa démarche ?
Je constate en effet trop souvent que nous sommes confrontés soit à des conclusions de la commission qui nous obligent, dès lors qu’elles sont adoptées, à cesser toute forme de débat, soit à une motion d’irrecevabilité qui est votée par la majorité et empêche l’opposition de s’exprimer jusqu’au bout selon la voie qu’elle a choisie.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surtout par les temps qui courent !
M. Yannick Bodin. Cela s’appelle tout simplement de l’obstruction ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Richert, rapporteur. Depuis quand la majorité n’a-t-elle plus le droit d’être majoritaire ?
M. Yannick Bodin. La majorité fait de l’obstruction quand elle empêche les groupes minoritaires de s’exprimer complètement ! Car il y a plusieurs formes d’obstruction.
Un sénateur de l’UMP. Vous vous y connaissez, en la matière !
M. Yannick Bodin. Personne n’a de leçon à donner à quiconque dans ce domaine ! Pour ma part, je ne donne pas de leçon, je constate simplement une réalité, extrêmement désagréable.
À l’heure où nous discutons, au sein d’un groupe de travail réuni autour du président Larcher, de la mise en application de la réforme constitutionnelle et de notre nouveau règlement intérieur, j’espère que nous aurons quelques assurances sur les droits de l’opposition et de l’ensemble des groupes politiques. Je souhaite que nous nous entendions de manière collective et consensuelle sur le fait que chacun aura les mêmes droits.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas gagné !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est mal parti !
M. Yannick Bodin. Par ailleurs, vous nous avez plusieurs fois reproché de vouloir changer une loi qui n’avait que six mois d’existence. Pour ma part, même avant qu’elle n’en ait que vingt-quatre heures, je la trouvais déjà mauvaise ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Un sénateur de l’UMP. Quel argument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas si longtemps, on a promulgué une loi qui a tout de suite été abrogée !
M. Yannick Bodin. Le fait de demander aujourd'hui l’abrogation de cette loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires ne me gêne en rien : il y a des précédents dans l’histoire ! Il arrive même à certains gouvernements que vous connaissez bien de présenter tous les ans, par exemple sur le thème de la sécurité, une loi tendant à remanier celle de l’année précédente !
Notre sentiment, dès le vote de la loi, était que l’application d’une telle mesure serait particulièrement complexe, qu’il faudrait expliquer et réexpliquer aux parents, aux enseignants, au personnel des communes, aux maires, comment cela pouvait fonctionner. Mais depuis que j’ai entendu M. le rapporteur, je suis définitivement convaincu que cette loi est une véritable usine à gaz ! À telle enseigne, d’ailleurs, qu’elle a suscité des contentieux, et que cela continuera.
Dans mon département de Seine-et-Marne, M. le préfet a déposé des recours devant le tribunal administratif. Il a été débouté sur la totalité des cas qui ont été présentés. Selon M. le ministre, il faudrait faire la distinction entre les communes qui n’ont pas « voulu » appliquer la loi et les communes qui n’ont pas « pu » l’appliquer ? Quoi qu’il en soit, le tribunal administratif a jugé, lui, qu’il n’arrivait pas à établir la distinction entre les communes qui ne peuvent pas appliquer la loi et celles qui ne veulent pas appliquer la loi parce qu’elles ne peuvent pas l’appliquer. C’est pour cette raison que le préfet a été débouté.
Eh bien, monsieur le ministre, puisque vous ne voulez pas qu’on traite ici cette question au fond, nous en débattrons devant les tribunaux administratifs. Je vous donne donc rendez-vous, et certainement plus tôt que vous ne le pensez ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur Richert, vous vous en doutez, je ne voterai pas en faveur des conclusions de la commission des affaires culturelles.
M. Philippe Richert, rapporteur. Je m’en doutais !
Mme Annie David. Non seulement la loi sur le service minimum porte atteinte au droit de grève des enseignants et est contraire à l’intérêt et à la sécurité des enfants, mais, de plus, elle est lourde de conséquences pour les collectivités locales.
Les communes sont donc contraintes de pallier les manquements de l’État, seul responsable de la réduction des moyens de l’éducation nationale comme des conflits qui peuvent y surgir.
Ainsi, non seulement cette mesure est largement dommageable, mais encore elle porte gravement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.
En outre, un tel service est très difficile, voire impossible à organiser dans les communes rurales. Bien souvent, celles-ci sont en effet dans l’incapacité de mobiliser des personnels qualifiés en nombre suffisant dans un délai si court. Sur ce point, je suis d’accord avec ce que mes collègues qui se sont exprimés avant moi ont dit.
Dans le département de l’Isère, lors de la grève du 20 novembre dernier, de nombreuses petites communes ont été confrontées à cette difficulté et ont été dans l’incapacité de mettre en œuvre ce service. Il en fut de même pour les plus grosses communes, qui ont préféré renoncer à mettre en place ce service dans le souci de la sécurité et du bien-être des enfants. Je rejoins sur ce point ce qu’a dit mon collègue Yannick Bodin sur ceux qui ne veulent pas ou ceux qui ne peuvent pas, et ceux qui ne veulent pas parce qu’ils ne peuvent pas mettre en place ce service minimum dans les écoles.
Sept communes ont été assignées devant le tribunal administratif par le préfet de l’Isère. Si le jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble n’a fixé aucune astreinte de retard à l’encontre des localités concernées – et je m’en réjouis quand j’entends notre collègue Pierre-Yves Collombat évoquer les astreintes dans le département du Var ! –, il a toutefois assorti sa décision d’une injonction de procéder, dans un délai de trois semaines, à un nouvel examen des modalités d’application de cette loi. Le problème des communes reste donc entier : quels seront les moyens humains et financiers à leur disposition pour pouvoir appliquer cette injonction ?
Par ailleurs, comment ne pas constater avec une certaine irritation que beaucoup d’autres communes qui ne respectent pas la loi SRU n’aient pas été pareillement enjointes de mettre rapidement ce texte en œuvre. Il est bien regrettable qu’il y ait ainsi deux poids, deux mesures en ce qui concerne l’application de la loi par les communes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert, rapporteur. Monsieur Bodin, ce n’est pas parce que l’opposition peut faire inscrire des propositions de loi à l’ordre du jour de la Haute Assemblée que la majorité doit les adopter ! Il faut quand même laisser à la majorité le droit de prendre position comme elle l’entend ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Nous ne refusons pas le débat. Il est légitime que chacun puisse s’exprimer, après quoi chacun se prononce en fonction de ce qu’il croit juste. Il est important d’écouter la minorité, mais il est tout aussi important de respecter ce que la majorité décide ! Ce ne sont là que des principes qui guident le bon fonctionnement de la démocratie.
Par ailleurs, je ne mets pas en cause les élus en tant que tels. Simplement, je ne peux accepter que des gens annoncent qu’ils ne vont pas appliquer la loi, comme certains magistrats l’ont parfois fait, monsieur Charasse, en considérant que telle loi votée n’était bonne. Je ne peux admettre que certains maires disent qu’ils n’appliqueront pas la loi au motif qu’elle ne leur convient pas. (Mmes Françoise Henneron et Janine Rozier applaudissent.) Il n’est pas acceptable qu’une personne investie de l’autorité d’un élu ou d’un magistrat affirme tout uniment qu’elle n’appliquera pas la loi !
C’est en tout cas ainsi que je vois les choses. Certains peuvent avoir une autre conception, mais je ne céderai pas aux injonctions des uns et des autres. Je pense que nous devons, par principe, avoir la volonté de voir la loi votée s’appliquer.
Plusieurs sénateurs du groupe CRC-SPG. Et la loi SRU ?
M. Philippe Richert, rapporteur. La loi qui a été votée est-elle d’une application aisée ? Lors de l’examen du projet de loi, j’avais clairement indiqué que ce ne serait pas facile. Cependant, s’il faut d’avance renoncer à tout ce qui est facile, chers amis, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Lorsque l’application d’une loi se révèle complexe, il convient d’examiner à quels objectifs elle répond précisément. En l’occurrence, ce service d’accueil minimum, qui ne se substitue pas à l’enseignement ni ne le complète, qui ne porte pas une atteinte au droit de grève – le Conseil constitutionnel l’a dit, ce n’est donc pas la peine de faire comme si la question de la constitutionnalité de cette loi n’était pas tranchée ! –, offre aux familles la possibilité d’une prise en charge de leurs enfants. Ainsi évite-t-on que leurs enfants ne se retrouvent des jours entiers sans être gardés ou sans que les parents aient à trouver par eux-mêmes et à leurs frais une solution de garde. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
C’est pourquoi la majorité de la commission des affaires culturelles a décidé qu’elle ne souhaitait pas, aujourd’hui, abroger la loi votée il y a six mois, même si son application mérite sans doute d’être améliorée.
On peut reconnaître à la majorité qui s’est ainsi exprimée le droit de ne pas changer d’opinion, tout en étant respectueux des autres avis. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le climat de ce débat est très désagréable, car, sous la pression des passions, nous sommes en train, les uns et les autres, de perdre de vue l’essentiel.
Une loi a été votée, et nous sommes en république, et en démocratie ; elle plaît à certains et ne plaît pas à d’autres. Il n’empêche qu’elle a été votée, qu’elle est la loi de la République, et, à mon avis, quoi qu’on en pense – et quoi que j’en pense personnellement –, nul ne peut soutenir sans manquer à la République la position de ceux qui, sciemment, ont fait savoir leur volonté de ne pas l’appliquer.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Très bien !
M. Michel Charasse. Accepter cela, c’est piétiner la République et la volonté générale, dont la loi est l’expression,…
Mme Christiane Hummel. Très bien !
M. Michel Charasse. … c’est appeler à la désobéissance civile, au désordre, à l’anarchie, à la dictature. Je ne suis pas de ce côté-là. Tout ce qui est du domaine de la loi doit être appliqué.
J’entendais tout à l’heure des collègues nous dire : « On ne peut pas réquisitionner dans ce cas ! » Si, chers collègues, on peut et on doit réquisitionner, parce que la continuité du service public et de la vie nationale est un principe de valeur constitutionnelle, affirmé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel.
Cela dit, mes chers collègues, est-il interdit, en démocratie, de poser la question de savoir si une loi est réaliste et donc applicable en pratique ? C’est une chose que de dire « cette loi est stupide, mal faite et contraire à ce que je pense, je ne l’applique pas » et c’en est une autre que de dire « je ne l’applique pas parce qu’elle est compliquée et impossible à mettre en œuvre ». Cela, ce n’est quand même pas interdit ! Du reste, le Conseil constitutionnel rappelle toujours que, pour que la loi soit conforme à la Constitution, il faut qu’elle soit compréhensible et claire.
Personnellement, dans une vie parlementaire ou politique longue de trente à quarante années, peut-être plus, j’ai quand même vu défiler – et je ne suis pas le seul – un certain nombre de textes qui ont été votés et se sont avérés inapplicables, qu’on a donc abandonnés ou abrogés,…
Mme Annie David. Eh bien, abrogeons celle-ci !
M. Michel Charasse. … quand on n’a pas décidé de ne pas les appliquer le jour même où on les promulguait, comme cela s’est produit, n’est-ce pas, il n’y a pas si longtemps. Tout cela n’ajoute pas vraiment à la dignité du Parlement et du législateur, tout cela n’est pas très glorieux pour la notion de loi et pour la volonté nationale, mais passons !
Par conséquent, cela arrive tous les jours, et il n’est pas rare que, deux ou trois mois après le vote d’un texte, on abroge une de ses dispositions parce qu’elle est mal conçue, qu’elle n’est pas applicable, etc. Je me souviens, entre autres, de la loi sur le minitel rose, qu’on n’a jamais pu appliquer. Je me souviens aussi de ce qu’on avait appelé la « taxe conjoncturelle », surnommée la « serisette », du nom de M. Serisé, conseiller du président Giscard d’Estaing. Et je pourrais citer beaucoup d’autres exemples.
Par conséquent, c’est un outrage à la République et à la loi de dire « je ne l’appliquerai pas », mais non de dire « elle est mal faite et il faut la revoir ». Mes chers collègues, ce n’est quand même pas être contre la République que de constater qu’une loi ne correspond pas à la réalité pratique !
Permettez-moi de vous le dire, je sais ce que le Président de la République a fait au congrès des maires – je n’étais pas le seul sénateur présent – sans que personne ne se lève dans la salle pour lancer : « Mais quelle atteinte au sacré et à l’autorité de la loi ! » Or il a dit clairement que, de son point de vue, il y avait une distinction à faire. On peut juger que ce n’est pas assez, mais il a en tout cas reconnu qu’il fallait distinguer entre la situation des villes, c’est-à-dire des collectivités dans lesquelles on considère malheureusement trop souvent, et à tort, que l’école est avant tout une garderie familiale – ce que suggère la loi dont il est question ici, raison pour laquelle je ne l’ai pas votée –, et les communes rurales, où, lorsqu’il n’y a pas classe pour une raison ou pour une autre, on n’envoie pas les gamins à l’école parce qu’on a une autre manière de voir les choses.
Monsieur le ministre, je pensais naïvement qu’après le congrès des maires le Gouvernement, à partir du constat qu’avait fait le Président de la République, nous proposerait une modulation, qui paraît inévitable, entre villes et campagnes, même si certains peuvent préférer l’abrogation pure et simple du dispositif.
Cher Xavier Darcos, tout à l’heure, à la tribune, vous avez affirmé que « cela introduirait une rupture du principe d’égalité ». Pas du tout ! Depuis les années soixante, et avec une belle constance, le Conseil constitutionnel, que l’on a beaucoup invoqué ici, a une position très simple : on doit traiter d’une façon égalitaire les gens qui sont exactement dans la même situation. Or habiter une ville de deux ou trois millions d’habitants, comme Paris, et habiter un village de trois cents habitants, permettez-moi de vous le dire, cher ami, ce n’est pas tout à fait la même chose ! Par conséquent, il me paraît difficile de considérer que le principe d’égalité serait mis à bas par une distinction entre grandes et petites communes, distinction qui existe déjà dans un certain nombre de textes.
Avec plusieurs collègues qui, comme Pierre-Yves Collombat, étaient avec moi au congrès des maires, je nourrissais quelque espoir, après les déclarations du Président de la République, de voir proposer une solution favorable au moins pour les toutes petites communes.
Dès lors, mes chers collègues, qu’on ne nous propose pas cette modulation que j’attendais, et qu’elle ne figure pas non plus, monsieur le ministre, dans votre circulaire adressée aux inspecteurs d’académie et aux préfets, et dont vous avez, vendredi ou samedi dernier, révélé la teneur aux présidents d’associations départementales des maires, aucune distinction n’est faite entre villes et campagnes, entre villes et petites communes, étant entendu que le Président de la République n’a pas fixé de seuil et qu’on peut donc toujours en discuter indéfiniment.
Bref, aucune des instructions que vous avez adressées ne permet de penser que les petites communes seront dispensées de mettre en œuvre une loi qui, pour des raisons pratiques – ce n’est pas un problème de dogme, de théorie, de clivage gauche-droite, de conception du service public – ne peut pas l’être.
Pour ma part, je ne sais pas, dans une commune de trois cents ou quatre cents habitants, où les services communaux se résument à un secrétaire de mairie, un cantonnier et un garde champêtre, à qui on peut faire appel pour garder les enfants le jour où les enseignants ne sont pas là !
M. Guy Fischer. Aux instituteurs en retraite !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aux bonnes sœurs !
M. Michel Charasse. Alors, mes chers collègues, dans la mesure où il n’y a pas d’ouverture, je n’ai d’autre solution que d’accepter le texte proposé par nos collègues communistes, c’est-à-dire la suppression pure et simple de la loi.
Cher Philippe Richert, je regrette la conclusion expéditive de la commission. Parce que celle-ci aurait très bien pu déclarer qu’elle maintenait son point de vue sur le texte voté l’été dernier – après tout, la majorité a bien le droit de penser ce qu’elle veut ! – mais que, réaliste, ayant les pieds sur terre, n’étant pas composée de piétons de l’espace qui raisonnent en apesanteur, entendant ce que disent les maires des petites communes, elle proposait d’aller dans le sens du Président de la République et de faire une distinction entre les communes selon qu’elles sont petites ou grandes. Je regrette que vous ne l’ayez pas fait.
De ce point de vue, je vous le dis amicalement parce que nous nous connaissons depuis longtemps, je trouve que le Sénat a, en l’occurrence, manqué à son devoir de représentation des collectivités territoriales de la République.
M. Philippe Richert, rapporteur. Pas du tout !
M. Michel Charasse. C’est la raison pour laquelle je voterai la proposition du groupe communiste.
Bien entendu, madame le président, si les conclusions de la commission sont rejetées, nous pourrons examiner les amendements qui ont été déposés, parce que rien ne l’interdit, et je serai alors de ceux qui soutiendront l’exception pour les petites communes. J’ai déposé un amendement, comme d’autres collègues. J’ai proposé un seuil de 3 500 habitants, mais on peut en trouver un autre. Peu importe : nous n’allons pas nous battre sur un problème de seuil de population !
Il faudra bien, aussi, aborder la question de la disposition qui prévoit, depuis la loi Jules Ferry si je ne m’abuse, que le directeur de l’école doit être présent et accueillir les élèves même s’il est gréviste – c’est la loi ! –, quitte à porter un brassard marqué « gréviste ». Que devient cette disposition ? Si elle est toujours en vigueur, je vous le dis, monsieur le ministre, à l’occasion des prochaines grèves, en tant que président de l’association des maires de mon département, je recommanderai à ceux-ci de ne pas donner suite si les directeurs d’établissement ou leur représentant ne sont pas là, car l’autorité communale ne peut organiser le service scolaire que dans la mesure où ces fonctionnaires sont sur place puisque ce sont eux les seuls « patrons » à l’intérieur de l’école, et non pas nous, les élus locaux ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – Mmes Françoise Henneron et Janine Rozier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai demandé la parole pour m’exprimer sur la procédure.
C’est un fait : la majorité est majoritaire, pour autant qu’il y ait une majorité dans cet hémicycle, où, chacun le sait, l’UMP n’est pas majoritaire à elle seule. Quoi qu'il en soit, au Parlement, c’est évident, la majorité a toujours raison.
Cela dit, il y a deux poids, deux mesures puisque, par la volonté de la commission, on peut clore très rapidement le débat. Et je fais abstraction des pressions exercées sur l’opposition pour qu’elle présente des propositions de loi courtes et consensuelles, qui ne posent pas de problèmes et qui ne remettent pas en cause ce que la majorité aurait pu décider au préalable.
Mme Jacqueline Panis. Pour qui se prend-elle ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Indépendamment de toutes ces pressions, nous savons que la majorité peut empêcher le débat sur une proposition de l’opposition, ce que nous déplorons.
M. Philippe Richert, rapporteur. C’est faux ! Nous n’empêchons pas le débat !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si ! Vous allez clore le débat et nous ne pourrons pas discuter des amendements.
M. Philippe Richert, rapporteur. Vous, vous proposez l’abrogation pure et simple !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais vous ne savez pas ce que nous aurions fait ni ce qu’auraient fait vos collègues si nous avions pu examiner les amendements ! Peut-être certains d’entre eux auraient-ils voté certains des amendements qui ont été déposés.
Vous voyez donc bien qu’il y a deux poids, deux mesures, et que les droits de l’opposition sont limités.
M. Philippe Richert, rapporteur. Il fallait proposer un texte différent !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous déposons les textes que nous voulons ! Nous sommes des parlementaires libres !
Notre collègue Charasse dit que la loi votée s’applique.
M. Michel Charasse. C’est la loi de la République !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, je suis tout à fait partisane de la clause de conscience, mais nous n’en sommes pas encore là. (Vives protestations sur les travées de l’UMP.) Je ne vous rappellerai pas certaines époques passées, mais je suis tout à fait favorable à la clause de conscience.
En tout cas, si une loi se révèle inapplicable, le rôle du Parlement peut être de l’abroger, même si elle a trois jours, deux mois ou six mois d’existence !
M. Philippe Richert, rapporteur. C’est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous rappelle quand même que plusieurs lois ont été remises en cause, notamment celle du 13 août 2004, à travers l’article 89 sur le financement des écoles privées,…
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. …puisqu’il s’est avéré que, là aussi, les élus locaux, toutes tendances confondues, étaient mal à l’aise pour appliquer cet article et nous l’avons réexaminé.
Dois-je rappeler également que sous un gouvernement précédent, qui ne vous était pas étranger, avait été votée puis promulguée la loi comportant le contrat première embauche, le CPE, et que l’article qui instituait ce dispositif a été abrogé avant même que cette loi soit appliquée ?
M. Philippe Richert, rapporteur. Très juste !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi ? Parce qu’il eût été très difficile de le mettre en application.
Il en est de même de la loi que vise à abroger la présente proposition de loi. Les maires – nous sommes l’assemblée des collectivités territoriales – sont tous très ennuyés d’avoir à mettre en œuvre cette loi,…
Plusieurs sénateurs UMP. Pas tous !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. …même s’ils sont légalistes et qu’ils veulent l’appliquer. Le droit du Parlement, c’est justement de se pencher sur une loi qui n’est pas applicable. Je regrette que vous preniez les choses par-dessus la jambe et que vous disiez : nous avons voté cette loi, nous la maintenons, basta !
M. Philippe Richert, rapporteur. C’est n’importe quoi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S’il vous plaît, faites preuve de responsabilité à l’égard de la loi elle-même ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. - Protestations sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Mes chers collègues, avant que vous ne votiez, je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'il s'agit de conclusions tendant à ne pas adopter la proposition de loi.
Autrement dit : ceux qui ne sont pas favorables à la proposition de loi doivent voter « pour » les conclusions de la commission ; ceux qui sont favorables à la proposition de loi et souhaitent passer à la discussion des articles doivent voter « contre » les conclusions de la commission.
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission sur la proposition de loi n° 147.
Je suis saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission et, l'autre, du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 90 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
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Mise au point au sujet d'un vote
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date du 19 janvier adressée à M. le président du Sénat, M. Gérard Longuet, qui a été porté comme ayant voté pour l’ensemble du projet de loi sur l’audiovisuel, a indiqué qu’il avait souhaité s’abstenir lors de ce vote.
Acte est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Exécution des décisions de justice
Discussion des conclusions du rapport d’une commission
(Ordre du jour réservé)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées, présentée par M. Laurent Béteille (nos 31, 161).
La parole est à M. Laurent Béteille, auteur de la proposition de loi.
M. Laurent Béteille, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées, que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, a une histoire ancienne.
En 2007, j’avais présenté une première proposition de loi concernant exclusivement les frais de l’exécution forcée des décisions de justice. Elle répondait d’ailleurs à une précédente question écrite du président de la commission des lois.
Par la suite, après le dépôt du rapport de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard et après avoir rencontré les représentants de différentes professions juridiques et judiciaires concernées, j’ai été conduit à déposer une seconde proposition de loi reprenant et complétant la réforme que j’avais initialement proposée.
Les vingt-six articles de la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice des professions réglementées ont assurément des objets divers.
Ces articles répondent cependant à trois objectifs clairs, qui me semblent pouvoir être partagés par tous ici. Il s’agit, tout d’abord, d’améliorer l’exécution des décisions de justice. Il s’agit, ensuite, de redéfinir l’organisation des compétences des juridictions pour en simplifier le travail. Il s’agit, enfin, de rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées.
Comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, l’exécution des décisions de justice fait partie intégrante du droit à un procès équitable reconnu par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En quoi, mes chers collègues, serait équitable un procès irréprochable quant au respect des droits de chacune des parties, à l’indépendance absolue du juge, si la juste sentence rendue par cette juridiction sans reproche reste lettre morte ?
Le praticien que j’ai été pendant trente ans a pu se rendre compte combien était insupportable la situation d’un justiciable qui a obtenu de légitimes dommages et intérêts et qui ne peut pas accéder à son indemnisation.
Plusieurs dispositions de la proposition de loi sont destinées à améliorer l’exécution des décisions civiles.
La première donne au juge, saisi d’un litige en droit de la consommation, la faculté de mettre à la charge du débiteur qui refuse de s’acquitter spontanément de sa dette, s’il s’agit d’un professionnel, l’intégralité des frais de l’exécution forcée.
Une partie des frais d’huissier est en effet actuellement à la charge du créancier – cela n’a pas toujours été vrai –, ce qui s’avère dissuasif pour celui qui doit recouvrer une créance d’un faible montant. Bien souvent, les professionnels, qui sont parfaitement solvables, profitent de ces dispositions pour refuser de payer en comptant sur le découragement de leur adversaire. Les dispositions proposées devraient les inciter à s’acquitter spontanément de leur dette.
La proposition de loi permet ensuite aux huissiers de justice, pour l’accomplissement de leurs seules missions de signification, d’accéder aux dispositions d’appel et aux boîtes à lettres particulières des immeubles à usage d’habitation. Là aussi, le praticien que je suis pourrait vous donner de multiples exemples qui se sont avérés catastrophiques pour un certain nombre de justiciables.
La signification d’une décision de justice constitue en effet la condition permettant au créancier d’en poursuivre l’exécution forcée, le point de départ du délai d’appel contre la décision et une modalité d’information du débiteur sur les voies de recours dont il dispose. Il paraît donc essentiel que les huissiers de justice puissent s’acquitter effectivement de cette mission.
Je dois vous préciser que le Sénat avait déjà voté des dispositions analogues lors de l’examen du texte qui est devenu la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Mais le Conseil constitutionnel les avait censurées au motif qu’elles étaient dépourvues de tout lien avec cette réforme.
La proposition de loi améliore également l’accès des huissiers de justice aux informations nécessaires à l’exécution des titres exécutoires – décisions de justice et actes notariés, essentiellement – en supprimant le filtre actuel du procureur de la République.
Ces informations portent sur l’adresse du débiteur, celle de son employeur et les organismes auprès desquels un compte est ouvert au nom du débiteur, à l’exclusion de tout autre renseignement.
Le filtre du procureur de la République alourdit la tâche des magistrats du parquet, ralentit l’exécution des titres exécutoires et ne paraît pas indispensable, compte tenu du caractère limité du contrôle opéré par l’autorité judiciaire et de la qualité d’officier public et ministériel de l’huissier de justice. De plus, cette disposition n’est pas appliquée dans tous les cas, puisqu’un certain nombre de mesures dispense de ce filtre dans divers domaines.
La proposition de loi prévoit, en outre, la ratification de l’ordonnance du 21 avril 2006 réformant la saisie immobilière, qui a permis de moderniser une procédure, jusque-là très particulière, dont la lenteur, la complexité et le coût étaient unanimement dénoncés.
Enfin, elle permet au procureur de la République de requérir directement la force publique pour faire exécuter les décisions de justice rendues sur le fondement des instruments internationaux et communautaires relatives au déplacement illicite international d’enfants, en particulier de la convention de La Haye de 1980.
On recense, chaque année, entre 250 et 300 affaires de déplacements illicites internationaux d’enfants, dont une centaine concerne des enlèvements d’enfants de l’étranger vers la France.
Majoritairement requérante dans le traitement de ces affaires, la France ne saurait exiger des autres États l’exécution des décisions de retour d’enfants sur son territoire si elle n’assure pas elle-même l’exécution de ses propres décisions.
Si elle doit constituer un ultime recours, l’intervention de la force publique peut apparaître nécessaire dans certaines circonstances, à condition d’être vigilant quant aux modalités selon lesquelles elle s’exerce. À cet égard, il paraît singulier qu’en matière civile le procureur de la République soit tenu de passer par l’intermédiaire du préfet, alors qu’il peut directement requérir la force publique pour l’exécution d’une décision pénale. Les dispositions proposées comblent cette lacune et unifient notre droit.
La redéfinition de l’organisation et des compétences des juridictions constitue le deuxième axe de réforme de la proposition de loi.
Les dispositions proposées reprennent toutes des recommandations de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard, qui m’ont paru pertinentes et, surtout, consensuelles, notamment auprès des professionnels et des associations de consommateurs.
Elles prévoient de regrouper le contentieux de l’exécution mobilière devant le juge de l’exécution du tribunal d’instance, qui deviendrait également compétent en matière de surendettement et de rétablissement personnel, et le contentieux de l’exécution immobilière ou quasi immobilière devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance, ce dernier devant nécessairement, aux termes du texte que j’avais proposé, être un juge de l’exécution du tribunal d’instance. La commission reviendra sur cette mesure qui me paraissait souhaitable. J’avoue ne pas y voir d’inconvénient majeur.
Il est également prévu de transférer aux huissiers de justice la compétence actuellement dévolue aux greffiers en chef des tribunaux d’instance pour la mise en œuvre, généralement à la demande de ceux qui prétendent avoir une vocation successorale, des mesures conservatoires après un décès, telles que l’apposition des scellés.
Ces dispositions prévoient, en outre, de conférer au notaire une compétence exclusive pour le recueil du consentement des membres d’un couple désirant bénéficier d’une procréation médicalement assistée avec recours aux gamètes d’un tiers, alors que cette compétence est actuellement partagée avec le président du tribunal de grande instance ou son délégué.
Il s’agit, enfin, de décharger les greffiers en chef des tribunaux d’instance de leur tâche de recueil du consentement à l’adoption, qu’ils partagent actuellement avec les notaires, les agents diplomatiques ou consulaires français et les services de l’aide sociale à l’enfance, étant précisé que le tarif actuel des notaires est d’un peu plus de 25 euros.
La commission des lois a repris toutes ces dispositions, à l’exception de celle qui prévoyait la déjudiciarisation du recueil du consentement à une procréation médicalement assistée.
J’en suis quelque peu surpris, car le rôle du juge se borne à informer les membres du couple des conséquences de leur décision, alors qu’en matière d’accueil d’embryon ou de don d’organe, par exemple, il est chargé de délivrer une autorisation.
Il me semblait donc possible de tirer la conséquence de cette différence. Toutefois, je prends acte de la décision de la commission. Pour ma part, c’est un point de divergence – il en fallait bien un ! – avec la commission et son rapporteur.
Enfin, après en avoir discuté avec leurs représentants, il m’a paru nécessaire de rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées, en prévoyant : de renforcer la valeur probante des constats établis par les huissiers de justice, commis par justice ou à la requête de particuliers ; de soumettre les huissiers de justice et les notaires en exercice à une obligation de formation continue, qui s’impose déjà aux avocats ; de donner aux huissiers de justice et aux greffiers des tribunaux de commerce la possibilité, déjà reconnue aux notaires, d’exercer leur profession en qualité de salariés ; de permettre aux greffiers des tribunaux de commerce de créer des sociétés de participations financières de professions libérales, c’est-à-dire des holdings de sociétés d’exercice libéral ; de consacrer la possibilité, pour les huissiers de justice et les notaires, de constituer des syndicats professionnels et, pour ces derniers, de participer aux négociations collectives avec les organisations représentatives des personnels des études, conformément à une jurisprudence du Conseil d’État qui date de 2005 ; enfin, de réformer le régime disciplinaire applicable aux huissiers de justice sur le modèle des dispositions prévues en 2004 pour les notaires.
Le champ de cette énumération peut paraître assez vaste. Il est vrai qu’à partir de quelques articles, cette proposition de loi a eu tendance à faire en quelque sorte « boule de neige ». Il s’agissait, avant tout, de répondre aux demandes des professions concernées et de s’adapter aux évolutions de la société, comme à la réforme de la carte judiciaire.
Je me réjouis que la commission des lois les ait non seulement reprises mais aussi étendues, notamment aux commissaires-priseurs judiciaires, et j’approuve les aménagements dont elles ont fait l’objet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le bon fonctionnement du service public de la justice, auquel la commission des lois du Sénat porte une attention constante, implique de faciliter l’accès à la justice et au droit, d’accroître la célérité des juridictions, d’assurer la qualité de leurs décisions et de rendre leur exécution effective.
Les dispositions présentées par notre collègue Laurent Béteille, auquel je tiens, au nom de notre commission, à rendre hommage, apportent une pierre de plus à ce vaste chantier. Aussi la commission des lois y a-t-elle très largement souscrit, sous réserve de plusieurs aménagements et compléments, sur lesquels je concentrerai mon propos.
Sur deux points seulement, les dispositions de la proposition de loi n’ont pas été reprises dans le texte qui vous est soumis.
Tout d’abord, la commission n’a pas retenu celles qui interdisent d’apporter la preuve de l’inexactitude d’un constat d’huissier établi contradictoirement entre les parties.
Elle juge légitime, compte tenu de la qualité d’officier public et ministériel des huissiers de justice, de prévoir qu’en matière civile les constats qu’ils établissent font foi jusqu’à preuve contraire. Telle est d’ailleurs la pratique suivie par les juges.
En revanche, il lui a semblé excessif d’interdire à celui ou à celle qui, impressionné par la présence et le statut de l’huissier de justice, et privé le plus souvent de la présence d’un conseil, n’a pas osé formuler des réserves au moment de l’établissement du constat de rapporter par la suite la preuve contraire par témoin.
Ensuite, la commission n’a pas non plus jugé souhaitable de conférer au notaire une compétence exclusive pour le recueil du consentement des membres d’un couple désirant bénéficier d’une procréation médicalement assistée avec recours aux gamètes d’un tiers.
Sans doute, et Laurent Béteille l’a fait valoir, le rôle du juge se borne-t-il à délivrer une information et non, comme en matière d’accueil d’embryon, une autorisation.
Toutefois, le recours à la procréation médicalement assistée emporte de lourdes conséquences, puisque la filiation de l’enfant à l’égard des deux membres du couple ne pourra pas être remise en cause. Leur consentement doit donc être parfaitement éclairé et entouré d’une certaine solennité.
J’ajoute que le rôle actuel des juges est apprécié tant par les intéressés que par les couples qui se présentent devant eux. Il ne paraît donc pas opportun de le remettre en cause.
Les autres dispositions de la proposition de loi ont toutes été reprises, sous réserve de modifications souvent peu substantielles.
Les principaux aménagements dont elles ont fait l’objet concernent la répartition du contentieux de l’exécution.
Afin d’éviter de désorganiser les juridictions, la commission a ainsi supprimé l’obligation de confier les fonctions de juge de l’exécution du tribunal de grande instance à un juge de l’exécution du tribunal d’instance. Ces fonctions resteraient dévolues au président du tribunal de grande instance, qui pourrait les déléguer aux magistrats du siège de son choix, qu’ils soient ou non juges d’instance.
Pour ne pas pénaliser ou inquiéter inutilement les praticiens du code du travail, la commission a également souhaité maintenir dans ce code la mention de la compétence du juge de l’exécution du tribunal d’instance en matière de saisie des rémunérations.
De même, afin de lever les interrogations qu’avait pu faire naître la rédaction de la proposition de loi, il est apparu souhaitable de rappeler que le contentieux de l’exécution immobilière ou quasi immobilière n’obéit pas aux mêmes règles d’assistance et de représentation que le contentieux de l’exécution mobilière : compte tenu de sa technicité et de ses enjeux financiers, la constitution d’avocat y est, en principe, obligatoire.
Enfin, en concertation avec les professionnels concernés, les dispositions relatives aux conditions d’exercice des professions d’huissier de justice et de notaire ont fait l’objet de précisions ou d’actualisation, et certaines d’entre elles ont été étendues aux greffiers des tribunaux de commerce et aux commissaires-priseurs judiciaires.
J’en viens aux trois principaux compléments ajoutés par la commission des lois au texte présenté par notre collègue Béteille.
Si le premier n’a fait l’objet d’aucune contestation en commission, il me semble avoir compris qu’il a suscité un certain émoi au sein de la profession d’huissier de justice. De quoi s’agit-il ?
Comme vous le savez, un logement destiné à la location doit faire l’objet d’un état des lieux lors de la remise et de la restitution des clés.
En principe, cet état des lieux est établi contradictoirement par les parties. À défaut, il est réalisé par huissier de justice, sur l’initiative de la partie la plus diligente et à frais partagés par moitié.
La commission des lois a souhaité favoriser la réalisation d’états des lieux amiables entre les propriétaires de logements et leurs locataires en prévoyant : d’une part, que l’état des lieux est, en principe, dressé par les parties contradictoirement, amiablement et sans frais pour le locataire ; d’autre part, qu’en cas d’intervention de l’huissier de justice à la demande d’une seule partie sans l’accord de l’autre, le coût de l’état des lieux est intégralement supporté par le demandeur de l’acte. Je ne vois là rien de choquant.
Les deux autres compléments retenus par la commission des lois consistent à instituer une procédure participative de négociation assistée par avocat et à organiser la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle.
Ces points ont suscité, c’est vrai, davantage de débats, à la fois sur la méthode et sur le fond.
Trois arguments principaux, dont je m’empresse de vous dire qu’aucun ne me paraît convaincant, ont été avancés pour contester l’insertion de ces dispositions dans la proposition de loi, indépendamment de toute considération de fond.
D’abord, elles seraient dépourvues de tout lien avec l’objet de la proposition de loi présentée par Laurent Béteille.
Le seul intitulé de la proposition de loi atteste du contraire. La profession d’avocat constitue une profession réglementée, et non la moindre, qui apporte un concours décisif au bon fonctionnement du service public de la justice.
Ensuite, les décisions prises par la commission seraient précipitées, irréfléchies.
Il n’en est rien.
La fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle est envisagée depuis plusieurs années. Les instances représentatives de ces professions, qui en ont souvent délibéré, ont approuvé ce projet.
Les textes, qui ont fait l’objet de longues discussions, sont prêts depuis plusieurs mois. Ils m’ont été communiqués par les représentants du Conseil national des barreaux et de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, lors de leur audition par la commission des lois.
Personne ne peut donc, de bonne foi, se dire pris au dépourvu !
Je rappelle que la procédure participative de négociation assistée par avocat est déjà pratiquée par certains cabinets, à l’exemple des cabinets anglo-saxons, et que la commission sur la répartition des contentieux, présidée par M. Serge Guinchard, a proposé, avant l’été 2008, de lui donner un cadre légal et sécurisé.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. François Zocchetto, rapporteur. En outre, l’écrasante majorité des professionnels, avocats et magistrats notamment, y est favorable, comme un certain nombre de mes collègues et moi-même avons eu l’occasion de le vérifier au cours des auditions auxquelles la commission des lois a procédé.
Sans doute le texte adopté par la commission des lois est-il perfectible. Est-ce pour autant une raison pour le rejeter ? N’est-ce pas précisément le rôle de la navette parlementaire, puisque ce texte fera l’objet d’une deuxième lecture, que de contribuer à l’améliorer ?
Enfin, la portée des réformes proposées serait telle qu’elles ne pourraient résulter d’un amendement, voire d’une initiative parlementaire. Cet argument me semble pour le moins contestable.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, il ne manquerait plus que ça !
M. François Zocchetto, rapporteur. Devrions-nous, parlementaires, tous autant que nous sommes, nous interdire de déposer des amendements, voire des propositions de loi, ayant pour objet une réforme substantielle, au motif que nous serions incapables de la concevoir et nos collègues de la comprendre ?
Il serait pour le moins paradoxal, alors que nous avons révisé la Constitution au mois de juillet dernier pour renforcer les pouvoirs du Parlement, de nous interdire de prendre des initiatives législatives.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !
M. François Zocchetto, rapporteur. Le présent texte est même, pour nous, l’occasion d’expérimenter la future procédure.
M. Simon Sutour. Expérimentation hasardeuse !
M. François Zocchetto, rapporteur. Sur le fond, l’institution d’une procédure participative de négociation assistée par avocat est destinée à faciliter le règlement amiable des litiges.
En l’état actuel du droit, les parties qui entendent régler à l’amiable le litige qui les oppose ne disposent, en dehors de la médiation et de la conciliation, d’aucun autre cadre sécurisé pour la négociation de solutions transactionnelles. En cas d’échec de leurs pourparlers, la procédure judiciaire est conduite comme si aucun échange préalable n’avait eu lieu. En d’autres termes, il faut tout recommencer à zéro, avec les délais que vous imaginez !
La procédure que la commission des lois vous propose s’inspire du droit collaboratif qui est en vigueur dans un certain nombre de pays, où elle connaît un réel succès. Cette procédure serait la suivante. La négociation serait facultative. L’état et la capacité des personnes étant indisponibles, la commission des lois a prévu, après une réflexion approfondie, qu’aucune convention de procédure participative ne pourrait être passée en la matière, du moins dans un premier temps. Pour ce qui est du divorce, la commission a souhaité s’en tenir aux règles introduites par la loi du 26 mai 2004, qui a déjà considérablement simplifié les procédures quand existe un accord entre les parties. Pendant le déroulement de la négociation, la saisine de la juridiction serait impossible. Un accord, même partiel, pourrait être soumis à homologation judiciaire, afin de garantir le respect du droit et l’équilibre entre les parties. En cas d’échec de la procédure participative, une saisine simplifiée de la juridiction permettrait un traitement accéléré de l’affaire, ce qui paraît intéressant. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, pour que tout justiciable puisse bénéficier de la procédure participative, le recours à celle-ci ouvrirait droit à l’aide juridictionnelle.
Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès, dit l’adage.
La procédure participative que la commission des lois propose d’instituer devrait permettre de concilier le respect du droit, l’intervention éventuelle du juge et la rapidité dans la résolution d’un certain nombre de conflits.
Quant à la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle – point qui a également fait couler beaucoup d’encre et qui a suscité bien des paroles –, elle constitue un instrument essentiel au service du renforcement de la compétitivité des professionnels français face à la concurrence étrangère.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
On recense un peu moins de 700 conseils en propriété industrielle, qui travaillent dans 200 cabinets, pour environ 50 000 avocats.
Ces deux professions libérales réglementées interviennent de manière à la fois concurrente et complémentaire pour l’obtention et la défense des droits de propriété intellectuelle.
Les conseils en propriété industrielle, s’ils peuvent réaliser des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé, ne peuvent pas plaider. Par ailleurs, les avocats ne disposent généralement pas des compétences techniques suffisamment pointues et doivent donc s’adjoindre les services d’ingénieurs.
Or les membres de ces deux professions ne peuvent travailler au sein d’une même structure.
Il en résulte une offre de services désunie, confuse et peu attractive pour les utilisateurs français ou étrangers, de sorte que les professionnels français ne sont guère compétitifs dans un marché fortement concurrentiel.
Les mandataires agréés allemands – l’équivalent des conseils en propriété intellectuelle – traitent ainsi environ 70 % des dépôts de brevets européens pour le compte d’entreprises japonaises et 33 % des dépôts de brevets européens pour des entreprises américaines. Seulement 3 % à 4 % de ces dépôts sont traités par des mandataires français.
Le nombre de litiges relatifs aux brevets en France est de l’ordre de 300 par an, contre 700 en Allemagne. Loin de se féliciter de ce résultat, il faut y voir la preuve qu’il s’agit d’une matière qui n’est pas traitée dans notre pays, mais qui l’est notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Or, en Allemagne, les professions de conseil en brevets et d’avocat peuvent travailler ensemble dans des structures interprofessionnelles et les conseils peuvent représenter leurs clients, voire plaider sous certaines conditions.
Un rapprochement des professions de conseil en propriété industrielle et d’avocat paraît donc souhaitable. Ses avantages seraient multiples.
Tout d’abord, il permettrait de proposer aux entreprises, au sein d’une même entité, une offre de services globale, structurée et lisible.
Ensuite, il orienterait la profession d’avocat vers de nouveaux marchés et constituerait une étape vers la création d’une grande profession du droit, aux contours de laquelle la commission présidée par M. Jean-Michel Darrois est actuellement chargée de réfléchir.
Il permettrait également aux professionnels français de faire face à la concurrence des cabinets étrangers.
Enfin, il donnerait sans doute à la France quelques atouts pour attirer la future juridiction européenne des brevets, alors que notre pays est actuellement en position de faiblesse.
Deux formes de rapprochement sont possibles : l’interprofessionnalité ou l’unification. Les représentants des professions concernées ont marqué leur préférence pour la seconde solution.
Les dispositions adoptées par la commission des lois organisent cette fusion, tout en maintenant, je le précise dès à présent, la possibilité pour les entreprises françaises qui le souhaiteraient de faire appel aux services de leurs propres salariés. La réforme proposée sur ce point me semble équilibrée, même s’il est évidemment possible, au cours de la navette parlementaire, de prévoir des garanties supplémentaires.
Tels sont les ajouts de la commission à l’excellente proposition de loi présentée par notre collègue Béteille. Sous le bénéfice de ces explications, la commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte de ses conclusions. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier M. Laurent Béteille d’avoir pris l’heureuse initiative de cette proposition de loi, qui participe à l’amélioration de l’efficacité de notre justice.
Mes remerciements vont également au rapporteur, M. François Zocchetto, qui a accompli un travail particulièrement important et, en tous points, excellent.
Je veux aussi saluer le président de la commission des lois, qui a soutenu et encouragé ses collègues. Je le dis publiquement : monsieur le président Hyest, notre justice vous doit beaucoup.
Le texte qui vous est aujourd’hui soumis constitue une avancée significative dans le processus de modernisation de la justice qui a été engagé. Il a trait non seulement à l’exécution des décisions de justice, mais également aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, ce texte contribue très largement à restaurer la confiance des Français dans leur justice grâce à quatre avancées essentielles. Il améliore l’exécution des décisions rendues ; il rénove les conditions d’exercice de certaines professions réglementées ; il confirme les officiers publics ou les avocats dans leur rôle d’interlocuteurs privilégiés des personnes et des familles ; enfin, il propose l’unification des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, créant ainsi une nouvelle dynamique pour l’offre en propriété industrielle.
Premièrement, ce texte améliore l’exécution des décisions de justice.
Ainsi, la disposition présentée à l'article 1er rétablit l’équilibre entre le consommateur et le professionnel pour le paiement des frais d’huissier.
Aujourd’hui, les frais d’exécution sont, pour partie, à la charge des créanciers. Ils sont considérés comme des honoraires et le débiteur est, a priori, réputé être dans une situation économique difficile.
Ce mécanisme est parfois choquant, notamment lorsque le débiteur est un professionnel dont la solvabilité ne fait aucun doute. On peut penser aux opérateurs de téléphonie ou d’internet, aux banques ou aux assurances, et aux professionnels de la vente à distance.
Dès lors, il est opportun de donner au juge la possibilité de mettre à la charge du professionnel condamné, au regard de l’équité ou de la situation économique de celui-ci, l’intégralité du droit de recouvrement.
Vous proposez ensuite de renforcer la force probante des constats.
Aujourd'hui, les constatations matérielles réalisées par les huissiers de justice « n’ont que la valeur de simples renseignements ». Pourtant, dans la pratique, le constat d’huissier est souvent retenu par les juridictions comme un élément de preuve important, voire décisif.
Ce texte renforce la valeur probatoire des constatations matérielles faites par les huissiers de justice. Le constat fera foi jusqu’à preuve du contraire.
Plusieurs autres mesures sont destinées à l’amélioration de la signification des actes et des procédures d’exécution.
Tout d’abord, les huissiers de justice pourront avoir accès aux boîtes à lettres des immeubles collectifs. Il s’agit d’une mesure de bon sens, qui facilitera la délivrance des actes à la personne même de leur destinataire.
De manière plus générale, l’accès aux informations sera amélioré. Un huissier de justice muni d’un titre exécutoire pourra s’adresser directement aux administrations susceptibles de lui communiquer l’adresse et l’employeur du débiteur. Il n’aura plus besoin de demander l’assistance du parquet.
La réforme du juge de l’exécution s’inscrit également dans la volonté d’améliorer l’efficacité de notre justice.
La commission présidée par le recteur Guinchard a préconisé de rationaliser la répartition des contentieux entre le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance.
Le texte qui vous est aujourd'hui soumis s’inspire de ses réflexions, mesdames, messieurs les sénateurs. Le juge de l’exécution du tribunal de grande instance connaîtra des voies d’exécution les plus complexes – les immeubles, les navires et les avions –, tandis que le juge de l’exécution du tribunal d’instance sera chargé des procédures d’exécution mobilière et de surendettement.
En outre, il s’agit d’autoriser les procureurs de la République à requérir directement la force publique pour faire exécuter des décisions rendues sur le fondement de conventions internationales ou de règlements communautaires en matière de déplacement illicite d’enfants d’un État à un autre. Cette disposition mettra la France en pleine conformité avec ses engagements internationaux.
Deuxièmement, et cela constitue également une avancée importante, ce texte modernise les conditions d’exercice de plusieurs professions judiciaires et juridiques.
Ainsi, il modifie certaines dispositions statutaires. Le pouvoir disciplinaire sera confié aux chambres régionales des huissiers de justice et non plus aux chambres départementales des huissiers de justice, pour plus d’impartialité. En outre, les chambres régionales disposeront d’un pouvoir de contrôle en matière d’organisation et de fonctionnement des études. Cette proposition novatrice permettra de renforcer la déontologie de la profession.
Instance de proximité, la chambre départementale des huissiers de justice conservera un rôle important, puisqu’elle pourra dénoncer les fautes disciplinaires commises par les huissiers de justice. Cela constitue une réelle avancée en termes de proximité.
Depuis son instauration en 2004, l’obligation de formation continue pour les avocats a connu un véritable succès. Cette exigence est particulièrement nécessaire à notre époque, où les changements dans le domaine du droit sont complexes et nombreux. Il est indispensable, comme le prévoit la proposition de loi, que les notaires, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce et les commissaires-priseurs judiciaires y soient également soumis.
De la même manière, la faculté donnée aux huissiers de justice et aux greffiers des tribunaux de commerce d’exercer en qualité de salariés, comme peuvent déjà le faire les notaires et les avocats, sera de nature à moderniser et ouvrir ces professions.
Avec raison et sur ce même modèle, il est prévu pour les sociétés d’exercice que le nombre de salariés ne pourra pas dépasser celui des associés composant l’office. Grâce à cette précaution, ce nouveau mode d’exercice restera un outil de promotion interne.
Enfin, s’agissant des greffiers des tribunaux de commerce, il convient d’aligner leurs structures sur celles des autres professions judiciaires et juridiques. Il est souhaitable de leur ouvrir la possibilité de créer des sociétés de participation financière de professions libérales. Ainsi sera octroyé à cette profession consacrée au service public de la justice un nouvel instrument de développement.
La proposition de loi est bienvenue et très opportune, car elle permet l’expression d’une plus grande démocratie lors des négociations collectives dans ces professions. En effet, depuis 1945, les instances représentatives des huissiers de justice, des notaires et des commissaires-priseurs judiciaires disposent d’un monopole pour la négociation des conventions gouvernant les relations entre les professionnels et leurs personnels. Ce monopole n’était pas compatible avec la liberté syndicale consacrée par les conventions internationales et par le préambule de la Constitution. Le Bureau international du travail et le Conseil d’État ont eu l’occasion de le rappeler.
Il était nécessaire de traduire ces décisions. Vous le faites, mesdames, messieurs les sénateurs, en prévoyant une compétence concurrente des instances représentatives et des organisations d’employeurs, qui pourront être constituées en syndicats.
Troisièmement, ce texte renforce les missions de certaines professions judiciaires. L’article 23 a pour objet de consolider la compétence des notaires lorsqu’il s’agit de recueillir le consentement en matière d’adoption. Aujourd’hui, ce dernier peut être reçu soit par les greffiers en chef des tribunaux d’instance, soit par les notaires. Il vous est proposé de décharger les greffiers en chef des tribunaux d’instance de cette formalité, au profit des notaires.
Cette mesure est conforme aux préconisations du rapport de la commission Guinchard. Elle va décharger les tribunaux d’interventions qui n’ont pas de caractère juridictionnel, sans sacrifier les impératifs de discrétion et de sécurité juridique qui entourent un acte touchant à l’intimité personnelle et familiale.
Dans ce même esprit est confié aux huissiers de justice le soin de procéder aux mesures conservatoires s’imposant après un décès, mesures qui étaient également accomplies, jusqu’à présent, par les greffiers en chef des tribunaux d’instance. Elles consistent à apposer, si nécessaire, les scellés dans les locaux qui étaient habités par le défunt et à réaliser des états descriptifs du mobilier. Cette modification était, elle aussi, préconisée par la commission Guinchard.
Enfin, je me réjouis de l’initiative de la commission des lois, qui a décidé de mettre en œuvre la préconisation de la commission Guinchard tendant à créer une procédure participative. Cette disposition permettra à des personnes ayant un différend de le régler à l’amiable, avec l’assistance de leur avocat.
Les avocats, par leurs connaissances juridiques et judiciaires, par les conseils qu’ils donnent et par leurs qualités de rédacteurs d’actes juridiques, peuvent éviter bien des actions en justice.
La convention de procédure participative apportera à ces professionnels un cadre adapté et sécurisant pour aider les parties à résoudre un conflit. Le juge n’interviendra qu’en cas de difficultés irréductibles. Dès sa conclusion, la convention suspendra le cours de la prescription pendant toute la durée de la négociation. Ce texte répond ainsi à la préoccupation que vous aviez exprimée, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de l’élaboration de la loi portant réforme de la prescription en matière civile. Certains ont pu craindre que la procédure participative puisse empiéter sur le domaine de l’acte authentique. Ce n’est nullement le cas.
Les conclusions de la commission Guinchard ont été claires sur ce point. Je confirme que le texte qui vous est soumis ne s’écarte pas de ces conclusions. Il ne saurait y avoir place à l’incertitude ou à l’ambiguïté et les règles régissant la publicité foncière s’appliqueront aux actes résultant de l’accord dans les conditions du droit commun.
Je suis convaincue que ce dispositif est promis à un grand avenir. C’est une nouvelle opportunité offerte à la profession d’avocat et un outil dont le succès permettra d’apaiser les conflits et de recentrer l’activité des juridictions sur ceux qui sont les plus difficiles à résoudre.
Enfin, quatrièmement, je suis favorable à la proposition de fusion entre les avocats et les conseils en propriété industrielle. Aujourd’hui, les deux professions, bien que complémentaires, sont juridiquement incompatibles. Afin de créer une synergie en matière de propriété intellectuelle, leurs représentants appelaient de leurs vœux une unification, que vous allez réaliser.
Une telle réforme est de nature à renforcer l’efficacité du service en propriété industrielle dans un contexte international où ce marché est fortement concurrentiel. J’ai entendu des craintes s’exprimer. Je tiens à vous le dire, elles ne sont pas fondées.
En premier lieu, les dispositions relatives à la formation ont été mûrement réfléchies. Des passerelles ont été créées pour ne pas décourager les jeunes ingénieurs par des études qui seraient excessivement longues, tout en gardant une exigence de formation juridique adaptée.
En deuxième lieu, les dispositions ne font aucunement obstacle à ce que des salariés spécialistes en propriété industrielle continuent de représenter leur entreprise en matière de dépôt de brevets et de marques. Elles ne font pas non plus obstacle aux allers-retours entre un exercice libéral et un exercice salarié.
En troisième lieu, les entreprises ne doivent pas s’inquiéter de la qualité des prestations fournies. La mention de spécialisation jouera tout son rôle pour éclairer les clients sur les compétences de ceux auxquels ils s’adressent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les propositions que vous allez adopter recueillent la pleine adhésion des professionnels du droit. Ils savent qu’elles sont de nature à renforcer la qualité des services qu’ils offrent.
Pour l’essentiel, ces améliorations bénéficieront directement à nos concitoyens.
Le Gouvernement est très favorable à l’ensemble des dispositions qui sont proposées. Je souhaite à nouveau rendre hommage au travail remarquable effectué par le président Hyest et par MM. Béteille et Zocchetto, guidés par une très haute idée du service public de la justice. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jean Milhau applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le bon fonctionnement du service public de la justice est une exigence démocratique qui répond à une attente forte et unanime de nos concitoyens. Les Français veulent une justice plus efficace.
Une justice plus efficace, c’est une justice plus rapide, plus simple, plus lisible, qui répond mieux à leurs besoins et fait respecter les décisions qu’elle rend.
C’est également une justice qui accompagne les mouvements de la société et qui donne tout son sens à l’intervention du juge. En effet, comme l’indique le rapport de la commission Guinchard, la mission du juge doit être « recentrée sur ce qui constitue le cœur de sa double fonction juridictionnelle : trancher les litiges qui ne peuvent être résolus autrement, mais aussi dire le droit ».
Une justice plus efficace, c’est, enfin, une justice accessible, orientée vers la satisfaction des besoins des justiciables, qui place la personne au cœur de l’institution judiciaire.
En près de cinquante ans, la nature des contentieux et la façon dont le besoin de justice est ressenti ont profondément évolué. La répartition des contentieux entre les juridictions du premier degré et les règles de procédure induites par cette organisation doivent être simplifiées. Il convient donc, comme la commission des lois l’a souligné à diverses reprises, non seulement de renforcer les moyens des juridictions et des auxiliaires de justice, mais également de redéfinir le périmètre et les conditions d’exercice de leurs missions.
Le chantier est vaste mais bien engagé. Aujourd’hui, on assiste, en effet, à un mouvement positif pour ce qui concerne l’exécution des décisions de justice et l’amélioration du fonctionnement de l’ensemble des maillons de la chaîne.
Dès sa constitution, le Gouvernement a engagé une profonde réforme de notre système judiciaire afin de mieux protéger les Français et de conforter la place des victimes dans ce système.
Mme Nathalie Goulet. Ah bon ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La volonté légitime d’améliorer l’efficacité de notre justice est également une préoccupation majeure et constante du Parlement, à laquelle la commission des lois du Sénat accorde une attention toute particulière.
La proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille qui nous est aujourd’hui soumise apporte une nouvelle pierre à ce vaste chantier. Elle poursuit trois objectifs majeurs et ambitieux.
Tout d’abord, elle tend à améliorer l’exécution des décisions de justice. Ensuite, elle vise à redéfinir l’organisation et les compétences des juridictions en reprenant plusieurs recommandations formulées par la commission Guinchard. Enfin, elle a pour objet de rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées, auxiliaires indispensables du service public de la justice.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des mesures que comporte ce texte et qui ont été fort bien présentées par M. Béteille. Ces dispositions nous paraissent particulièrement utiles dans la mesure où elles facilitent les procédures et améliorent le fonctionnement de la justice, dans l’intérêt de toutes les parties.
Je souhaite axer mes propos sur les deux réformes majeures que nous soumet aujourd’hui la commission, sur l’initiative de M. le rapporteur, réformes qui intéressent les avocats.
La première d’entre elles consiste à instaurer une procédure participative de négociation assistée par avocat, proposition qui a été formulée par la commission Guinchard. Il s’agit d’une formidable innovation introduite dans notre système juridique et judiciaire dans lequel les parties à un différend ne sont pas incitées à négocier et préfèrent souvent, par réflexe, aller en justice.
Cette procédure s’inspire directement de la pratique nord-américaine dite du « droit collaboratif » qui a connu un fort développement depuis une quinzaine d’années aux États-Unis, où il est né, et a fait une percée remarquable en Europe. Face à l’ampleur du phénomène, des avocats français ont pris l’initiative, depuis plusieurs années, de recourir à des processus collaboratifs dans le cadre de contentieux familiaux.
Une telle procédure présente la particularité de reposer sur une charte collaborative qui oblige non seulement les parties au litige, mais également leurs avocats, à tout mettre en œuvre pour aboutir à une solution consensuelle.
Les membres du groupe UMP soutiennent cette réforme novatrice qui constitue, en raison de la convention formalisée et de son articulation avec le système judiciaire, un cadre juridique prévisible et sécurisant pour les parties, incitant ces dernières à résoudre leur litige à l’amiable, avec l’assistance de leurs avocats.
Cette procédure permettra, en outre, une évolution profonde de la profession d’avocat dans le souci de l’intérêt des parties. En effet, les avocats impliqués dans une procédure participative auront un rôle d’impulsion dans la recherche d’une solution amiable en vue d’éviter le procès. Dès lors, cette profession pourra occuper la place qui lui revient dans le champ de la négociation des conflits au côté de l’institution judiciaire.
La seconde réforme qui nous est aujourd’hui proposée consiste à organiser la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle. Il s’agit, là aussi, d’une réforme moderne, ambitieuse. Je tiens à féliciter M. le rapporteur de cette excellente initiative.
Cette réforme a été pensée dans l’intérêt non seulement des citoyens, mais aussi de l’ensemble des professionnels qui interviennent en matière de propriété intellectuelle. Elle constitue un instrument essentiel au service du renforcement de la compétitivité des professionnels français face à la concurrence étrangère.
Je tiens à souligner, comme l’a dit M. le rapporteur, que cette fusion est souhaitée non seulement par le Conseil national des barreaux et par la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, qui y travaillent depuis de longs mois, mais également par une très large majorité des membres de ces deux professions.
Quelle est la situation actuelle ? En matière de propriété intellectuelle, les avocats et les conseils en propriété industrielle interviennent de manière à la fois concurrente et complémentaire pour l’obtention et la défense des droits de propriété intellectuelle. Toutefois, les conseils en propriété industrielle ne peuvent plaider, ce qui pourrait pourtant s’avérer particulièrement utile dans le domaine des brevets où les avocats n’ont pas la formation technique qui s’impose et sont donc obligés de s’adjoindre le soutien d’un conseil en propriété industrielle.
De leur côté, certains avocats, sous l’influence essentiellement des cabinets anglo-saxons, sont de plus en plus actifs dans le domaine de la propriété intellectuelle et concurrencent directement les conseils en propriété industrielle.
Il en résulte une offre de services désunie, confuse et peu attractive pour les utilisateurs français ou étrangers, de telle sorte que les professions ne sont guère compétitives dans un marché fortement concurrentiel.
Certains chiffres rappelés par M. Zocchetto dans son rapport sont, de ce point de vue, particulièrement éloquents : les mandataires agréés allemands traitent environ 70 % des dépôts de brevets européens pour le compte d’entreprises japonaises et 33 % des dépôts de brevets européens pour le compte d’entreprises américaines ; 3 % à 4 % seulement de ces dépôts sont soumis à des mandataires français. Le nombre de litiges relatifs à des brevets est de l’ordre de 300 par an en France, alors qu’il s’élève à 700 en Allemagne.
Face à cette situation, un rapprochement des professions de conseil en propriété industrielle et d’avocat est très souhaitable et comporte de multiples avantages. Cette fusion permettra de fournir aux entreprises, au sein d’une même entité, une offre de services globale et structurée, plus lisible pour les utilisateurs. Elle permettra également aux professionnels français de faire face à la concurrence des cabinets étrangers et favorisera la promotion de la filière française à l’étranger.
Telles sont les raisons pour lesquelles les membres du groupe UMP sont très favorables à cette fusion, qui contribuera à dynamiser la recherche et le développement, à créer une véritable culture de la propriété intellectuelle au sein des entreprises, tout en donnant à la France des atouts pour attirer la future juridiction européenne des brevets.
Au total, cette proposition de loi nous permet de franchir une nouvelle étape en faisant en sorte que notre justice soit plus efficace, plus moderne et plus proche des justiciables.
D’autres étapes, tout aussi importantes, nous attendent demain afin, notamment, de transcrire dans notre ordre juridique interne les règles pénitentiaires européennes et d’accorder toute sa place aux impératifs d’insertion et de réinsertion à la sortie de prison. À cet égard, nous nous félicitons de la discussion prochaine du projet de loi pénitentiaire que nous appelons de nos vœux.
Soyez assurée, madame le garde des sceaux, de notre ferme détermination à contribuer, à vos côtés, à l’amélioration du fonctionnement de notre justice.
Pour l’ensemble de ces raisons et sous réserve de ces observations, les membres du groupe UMP du Sénat adopteront les conclusions de la commission des lois sur l’excellente proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si nous saluons le travail de l’auteur de la proposition de loi, M. Laurent Béteille, tout comme celui, important, qui a été accompli par M. le rapporteur, nous nous sentons néanmoins autorisés à exprimer quelques divergences sur une partie des dispositions proposées.
Certes, nous sommes favorables à l’initiative parlementaire, dont le développement illustre l’évolution que nous appelons de nos vœux pour le Parlement, mais le rôle d’une proposition de loi n’est pas nécessairement d’éviter d’éventuelles ordonnances gouvernementales !
Une première question se pose : l’esprit de simplification et la recherche d’une codification synthétique sont-ils compatibles avec des textes qui ont l’apparence d’un patchwork, tant leurs articles, très disparates, ne sont peut-être reliés, et encore partiellement, que par une volonté de « déjudiciarisation » ?
Ce texte comporte une série de mesures qui mettent en cohérence ou font évoluer dans le bon sens les professions du droit. Certaines sont tout à fait positives, en ce qui concerne l’exécution des décisions de justice, la signification des actes et des procédures d’exécution, l’harmonisation du contentieux du juge de l’exécution, l’obligation de formation continue ou le salariat des professions réglementées. Nous sommes tout à fait sensibles à ces évolutions.
Toutefois, un texte d’apparence anodine emporte souvent des conséquences importantes pour le citoyen, l’inverse étant vrai aussi, d'ailleurs.
Cette proposition de loi comporte également des mesures nouvelles, apparues soudainement. Nous pouvons d'ailleurs nous interroger sur leur arrivée inopinée dans ce texte, même si celle-ci est acceptable dans le cadre de l’initiative parlementaire. Il s'agit, en particulier, de deux éléments fondamentaux : d'une part, la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle ; d'autre part, la convention de procédure participative.
Quel rapport y a-t-il entre ces deux dispositions, qui sont apparues lors de l’examen en commission, et l’intitulé de la proposition de loi sur l’exécution des décisions de justice ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Celle-ci porte également sur « les conditions d’exercice de certaines professions réglementées » !
M. Jacques Mézard. Je vous avoue, monsieur le rapporteur, que je ne le vois pas clairement ! Vous vous êtes livré à un exercice intellectuel très intéressant, mais qui, vous le comprendrez, ne nous a pas vraiment convaincu.
Les dispositions, qui, selon nous, posent problème, suivent en général un fil conducteur : elles découlent d’une politique de « déjudiciarisation » qui vise, comme certains de nos collègues l’ont souligné, à désengorger les tribunaux en situation d’asphyxie en éloignant le citoyen du magistrat.
Par exemple, l’huissier ne devra plus recourir au parquet pour enquêter sur la situation des débiteurs, parce que les procureurs n’ont pas de temps à consacrer à cette procédure.
Le greffe d’instance se voit éliminé du consentement à adoption, au profit des notaires, qui ont déjà pourtant du mal à assumer leur tâche dans toute leur ampleur et qui ne revendiquent pas sérieusement ce monopole. C’est donc bien d’une volonté de « déjudiciarisation » qu’il s’agit.
Quant à la convention de procédure participative, qui est présentée comme une innovation d’une importance cardinale, qu’apporte-t-elle par rapport au droit actuel ? Les articles 2044 et suivants du code civil, qui vont être complétés, visent déjà la transaction. De même, aux termes de l’article 1441-4 du code de procédure civile, le juge auquel on présente une transaction peut déjà donner à celle-ci un titre exécutoire.
La transaction existe donc dans notre droit. Le problème, c’est qu’elle n’est pas suffisamment utilisée. Quant à la conciliation, elle figure déjà dans le code de procédure civile, qui enjoint au juge de concilier les parties chaque fois qu’il le peut.
Je rappellerai également que la procédure de requête conjointe, elle aussi, existe déjà dans notre droit, même si elle n’est sans doute pas assez employée : aux termes des articles 57 et 793 du code de procédure civile, deux parties peuvent présenter une telle requête devant le président du tribunal de grande instance.
On nous a affirmé au cours des auditions devant la commission qu’il s’agirait de résoudre les petits litiges, alors même que le juge de la conciliation sans frais est le tribunal d’instance. Mais dans ce cas, pourquoi avoir créé le juge de proximité ? S’agit-il d’une mesure de compensation pour les petits barreaux à la suite de la réforme de la carte judiciaire et de la création de pôles d’instruction qui sont parfois éloignés de plus de cent cinquante kilomètres du siège du tribunal de grande instance ?
Madame la ministre, mes chers collègues, préserver les droits de ceux qui sont les plus fragiles, maintenir la place de la justice dans la prévention et le règlement des litiges, donner les moyens nécessaires à une justice de qualité : telles sont nos préoccupations.
Selon certains, cette réforme viserait à inciter les avocats à résoudre les problèmes sans recourir à la procédure civile. Toutefois, pour avoir exercé cette honorable profession pendant presque quarante ans, je suis convaincu que la majorité de ces auxiliaires de justice s’efforcent déjà de trouver des solutions amiables et transactionnelles aux litiges, et qu’ils continueront de le faire !
En conclusion, au lieu de sortir le traitement des contentieux du palais de justice, ne serait-il pas plus sage de donner aux magistrats et aux greffes les moyens nécessaires ? Une justice plus efficace, c’est une justice qui a les moyens de ses ambitions ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux d’intervenir aujourd’hui devant notre assemblée, au nom du groupe socialiste, au sujet de la proposition de loi, déposée par M. Laurent Béteille, relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées.
En effet, le sénateur que je suis souhaiterait que le Parlement puisse davantage proposer et voter les textes de loi.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui est a priori relativement consensuelle, même si quelques aménagements doivent y être apportés, dont je vous exposerai les motivations et le contenu dans la suite de mon intervention.
Cependant, j’ai tout de même une interrogation à formuler : de quel texte, de quelle proposition de loi débattons-nous aujourd’hui ?
Est-ce la proposition de loi déposée par notre collègue Laurent Béteille le 15 octobre dernier, ou bien ce texte tel qu’il a été adopté par la commission des lois le 14 janvier dernier ?
Si j’émets cette interrogation aujourd’hui, c’est tout simplement parce que le rapporteur de ce texte, M. François Zocchetto, a introduit deux ajouts, faisant passer à plus de cinquante articles un texte qui en comptait vingt-six au départ.
Ces additions ne sont pas anodines : elles introduisent des réformes aussi substantielles que l’instauration d’une procédure participative de négociation assistée par avocat, à l’article 31, ou que l’organisation de la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, aux articles 32 à 50.
Ce sont là deux véritables nouvelles propositions de loi, et les délais pour l’examen de telles réformes sont bien évidemment trop courts.
En outre, monsieur le rapporteur, comme l’a souligné lors des travaux de la commission notre collègue Richard Yung, il convenait d’attendre les conclusions de la commission présidée par M. Jean-Michel Darrois avant de se prononcer sur la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, d’autant que cette proposition est extrêmement controversée et que les auditions à ce sujet n’ont pas été menées à leur terme, les usagers de la propriété industrielle, les représentants des entreprises ou encore les avocats spécialistes n’ayant pas été entendus.
C’est pourquoi, mes chers collègues, sans même entrer dans le détail des dispositions ajoutées par la commission des lois, sur proposition de M. le rapporteur, je vous indique que le groupe socialiste s’opposera à l’adoption des articles 31 à 50, pour lesquels il présentera des amendements de suppression.
Si j’ai commencé mon propos en me félicitant d’une discussion relative à une proposition de loi qui comporte – il faut le souligner, et je vais le démontrer – de nombreuses mesures utiles et relativement consensuelles, force est de constater que mon relatif engouement s’est rapidement estompé pour laisser place à une certaine déception.
C’est le cas, notamment, quand la niche parlementaire est dévoyée pour faire passer des réformes qui, à elles seules, mériteraient un texte de loi, ce qui décrédibilise l’initiative parlementaire !
À cet égard, nous pouvons nous interroger sur les motivations qui ont conduit notre rapporteur à faire d’une proposition de loi consensuelle un texte complètement différent, par l’ajout de ce qui aurait donné matière à deux nouvelles propositions de loi.
Mon groupe et moi-même sommes très attachés à l’initiative parlementaire. Je me contenterai donc aujourd’hui de débattre de la proposition de loi initiale de notre collègue Laurent Béteille.
Ce texte a pour objet de compléter les différentes réformes entreprises par le Gouvernement et le Parlement depuis 2007 et tendant à améliorer l’exécution des décisions de justice, à redéfinir l’organisation et les compétences des juridictions et à rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées, comme les notaires, les huissiers de justice ou les greffiers des tribunaux de commerce.
Les dispositions de la présente proposition de loi sont tout à fait positives, tant le bon fonctionnement du service public de la justice constitue le maillon indispensable du bon fonctionnement de notre démocratie.
Certes, la question des moyens se pose naturellement et revient chaque année en discussion lors de l’examen de la loi de finances. Toutefois, au-delà de ces aspects matériels, il est des mesures simples qui peuvent contribuer à améliorer le fonctionnement de ce service public.
Les professionnels du secteur et les citoyens attendent des réformes effectives pour faciliter l’accès à la justice et au droit. Ils veulent que des réponses soient apportées et mises en œuvre rapidement.
La justice fait partie intégrante de notre vie quotidienne. Nous devons tous œuvrer à la rapprocher de nos concitoyens.
Le chantier est vaste et permanent. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond en partie à l’attente des professionnels concernés par ces dispositions, en même temps qu’elle prend en compte les recommandations formulées par la commission sur la répartition des contentieux, présidée par le recteur Guinchard, dans son rapport remis à Mme le garde des sceaux en juin 2008.
En ce qui concerne l’amélioration de l’exécution des décisions de justice, la proposition de loi, dans son article 1er, modifie les règles des frais d’exécution forcée en droit de la consommation, en renvoyant au juge la décision de mettre à la charge de l’entreprise, soit d’office, soit à la demande du consommateur, l’intégralité des éventuels frais d’huissier.
Grâce à ce dispositif, les professionnels seraient plus enclins à se libérer spontanément de leurs dettes. En outre, concernant les petites créances, les prêteurs sont souvent dissuadés de récupérer les sommes qu’ils ont avancées, car les frais d’huissier sont alors à leur charge.
Je souscris pleinement à ce dispositif. Toutefois, comme nos collègues du RDSE, j’aurais souhaité que le champ d’application de ces mesures soit étendu à l’ensemble des contentieux civils, et non pas limité au seul droit de la consommation. Nous voterons d'ailleurs l’amendement présenté dans cette perspective par le RDSE.
Toujours en ce qui concerne l’exécution des décisions de justice, la proposition de loi, en son article 4, tend à permettre à l’huissier porteur d’un titre exécutoire de s’adresser directement aux tiers susceptibles de lui communiquer l’adresse et l’employeur du débiteur, sans avoir à requérir l’assistance du procureur de la République, comme la loi l’y oblige actuellement.
Je comprends parfaitement que l’on veuille faciliter le travail de l’huissier de justice et accroître son efficacité, ce qui est tout à fait louable. Toutefois, notre groupe proposera la suppression de cet article, car il souhaite que le filtre du procureur de la République soit maintenu, afin d’éviter certaines dérives et la multiplication de demandes directes à destination, notamment, des collectivités territoriales.
Par ailleurs, la proposition de loi tend à redéfinir l’organisation et les compétences des juridictions et à mettre en œuvre certaines recommandations formulées par la commission Guinchard dans la seconde partie de son rapport.
Ainsi, les articles 8 et 9 visent à regrouper le contentieux de l’exécution mobilière – la saisie des rémunérations et le paiement des pensions alimentaires, notamment – devant le juge de l’exécution du tribunal d’instance.
Le contentieux de l’exécution immobilière ou quasi immobilière, comme la saisie des navires et autres bâtiments de mer, sera porté devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance.
Enfin, la proposition de loi tend à rénover les conditions d’exercice de certaines professions réglementées : les professions concernées ici sont celles d’huissier de justice, de notaire et de greffier des tribunaux de commerce.
Ainsi, l’article 2 de la proposition de loi vise à modifier l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1845 relative au statut des huissiers de justice, en renforçant la valeur probante des constats d’huissier : il est prévu que, sauf en matière pénale, où elles n’ont valeur que de simples renseignements, les constatations d’huissier font foi jusqu’à preuve contraire.
Or, comme le soulignent à juste titre les membres du RDSE, que je cite à nouveau, il convient d’être prudents, de protéger l’équilibre entre les parties et de ne pas remettre en cause les constatations contradictoires.
Les huissiers voient également le régime disciplinaire qui leur est applicable réformé aux termes de la proposition de loi. Les dispositions applicables en l’occurrence sont directement inspirées de la réforme de la discipline des notaires issue de la loi du 11 février 2004.
Ces mesures propres à la profession d’huissier marquent un progrès certain dans le statut de ces professionnels.
Les huissiers de justice, mais également les greffiers des tribunaux de commerce, auront la possibilité, déjà reconnue aux notaires, d’exercer leur profession en qualité de salariés : cette disposition permettra à l’huissier de justice d’exercer sa profession en qualité de salarié d’une étude.
Toujours pour les huissiers de justice, mais aussi pour les notaires, la proposition de loi vise à donner la possibilité aux membres de ces professions réglementées de former des associations et des syndicats professionnels.
Il y est également prévu, aux articles 13 et 17, de soumettre ces deux professions à une obligation de formation continue, étant précisé qu’une telle formation existe déjà pour les avocats.
Enfin, les greffiers des tribunaux de commerce auront la possibilité de créer des sociétés de participations financières de professions libérales.
Tels sont, mes chers collègues, les aspects positifs du texte initial proposé à la discussion aujourd’hui. Si toutes ces mesures peuvent paraître anodines, elles contribuent néanmoins à améliorer l’efficacité du service public de la justice et font entrer les professions réglementées dans une ère plus moderne et plus rationnelle.
Nous regrettons vivement que la modification substantielle de la proposition de loi initiale ne nous permette pas de nous prononcer favorablement sur le nouveau texte issu de la commission.
Une bonne et sérieuse organisation du travail parlementaire – en commission, ce matin, le mot « bâclé » a même été prononcé par certains de nos collègues – devrait nous conduire à renvoyer pour un examen plus approfondi les deux nouvelles propositions de loi que constituent l’article 31, relatif à la procédure participative de négociation assistée par avocat, et les articles 32 à 50, concernant la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle. C’est l’objet d’amendements du groupe socialiste.
L’article 4 nous paraîtrait aussi devoir être supprimé et nous soutenons la prise en compte des amendements aux articles 1er, 2, 23 et 26 présentés par le groupe du RDSE.
Si ces observations ne sont pas prises en compte, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui appelle de nombreuses critiques, aussi bien sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, tout d’abord, je dois avouer ma surprise de constater que cette proposition de loi, qui comportait à l’origine vingt-six articles, en compte, après son passage en commission des lois, mercredi dernier, le double, à savoir cinquante-deux.
Cette méthode est critiquable, pour plusieurs raisons.
Elle prouve à quel point le travail parlementaire peine à se faire respecter : nous n’avons que quelques jours pour travailler sur une proposition de loi aux dispositions disparates et au champ d’application très vaste, ce qui n’est pas acceptable. Je connais toutefois la réponse qui me sera objectée : il a été procédé à de nombreuses auditions, et nous avons travaillé depuis très longtemps sur ces questions.
Cependant, il est également inacceptable que les propositions de loi se transforment, au fil des années, en antichambres des projets gouvernementaux : personne ne se méprend sur l’origine gouvernementale de certaines dispositions de cette proposition de loi.
Or, cela constitue un moyen habile et discret pour le Gouvernement de distiller des propositions au compte-gouttes au travers de propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat, tout en évitant le contrôle du Conseil d’État, qui aurait pourtant été nécessaire s’agissant de la répartition au sein des tribunaux d’instance et de grande instance – ce sur fond de réforme de la carte judiciaire – du contentieux en matière immobilière et mobilière, ou encore de la création de la procédure participative négociée par avocat.
À l’heure actuelle, des discussions ont lieu sur la réforme du règlement, à l’Assemblée nationale comme ici, au Sénat, dans le cadre du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement. Aussi, ne prenons pas les choses à l’envers en nous réjouissant que les textes d’initiative parlementaire puissent être plus nombreux à être adoptés ! En réalité, le détournement qui est fait par le Gouvernement de l’initiative parlementaire est flagrant : fort de l’empressement de la majorité à le satisfaire, il fait adopter par le Parlement certaines de ses propositions.
J’en viens aux remarques sur le fond.
Je déplore, une fois de plus, la méthode retenue pour nous présenter les dispositions de cette proposition de loi. Le fond et la forme se rejoignent.
En effet, cette proposition de loi regroupe diverses dispositions applicables à certaines professions réglementées, elle procède à une nouvelle répartition du contentieux des juridictions civiles en matière mobilière et immobilière, mais, surtout, elle reprend quelques recommandations de la commission Guinchard sur la répartition des contentieux, dont le rapport vous a été remis, madame le garde des sceaux, le 30 juin dernier.
À cette occasion, vous annonciez « qu’un projet de loi [serait] élaboré à partir des propositions et du rapport pour être présenté à la rentrée ».
Or, depuis la rentrée, nous retrouvons plusieurs recommandations de la commission Guinchard éparpillées dans différents textes : dans la proposition de loi de notre collègue député M. Jean-Luc Warsmann, de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures, sont reprises trois d’entre elles ; dans la présente proposition de loi figurent également certaines.
Ces recommandations ont été formulées dans un projet cohérent de répartition des contentieux, et font partie d’un ensemble qu’il aurait fallu examiner, pour des raisons de pertinence, dans son intégralité.
Le rapport Guinchard ne constitue pas un catalogue dans lequel on pourrait venir piocher quelques dispositions et délaisser les autres.
Or, c’est exactement ce qui se passe, puisque, dans la proposition de loi originelle, sont reprises quatre recommandations, et que la commission des lois, après en avoir supprimé une, en a également repris une autre.
Cette méthode de travail est pour le moins contestable.
Certaines dispositions le sont également, à l’instar de la suppression du filtre du procureur de la République pour l’accès des huissiers aux informations nominatives dans le cadre de l’exécution d’un titre exécutoire.
Jusqu’à présent, un accès direct des huissiers à ces informations n’est possible que dans le cas du recouvrement des pensions alimentaires. Cette possibilité constitue une exception au principe de la protection de données à caractère personnel, puisque c’est par le seul biais du procureur de la République que l’huissier peut avoir accès à ces informations.
Dans la proposition de loi, il est prévu d’étendre cette exception à tous les cas de recouvrement de créances, autrement dit de supprimer le filtre du procureur de la République. Cela constitue une atteinte au principe de protection de la vie privée, et c’est d’ailleurs pourquoi nous avons déposé un amendement de suppression de l’article 4.
Dans la proposition de loi issue des travaux de la commission, il est également prévu de déjudiciariser le recueil du consentement à l’adoption. Dans la version d’origine, il était prévu de déjudiciariser le recueil du consentement en cas de procréation médicalement assistée, ce que, heureusement, la commission des lois, dans son ensemble, a rejeté.
S’agissant de l’adoption, la déjudiciarisation serait motivée par le fait que le rôle des greffiers en chef des tribunaux d’instance se limite à vérifier le consentement éclairé des personnes qui se présentent devant eux.
Une compétence exclusive est ainsi donnée au notaire pour recueillir le consentement à l’adoption.
On nous avance l’argument selon lequel le tarif de cette procédure devant le notaire ne serait « que » de 25,55 euros.
Cependant, ce tarif restera-t-il fixe ?
Par ailleurs, sur le principe, c’est au service public de la justice d’assurer ce service, dont l’accès est gratuit, alors qu’il deviendrait ainsi une procédure exclusivement payante, ce qui favoriserait une privatisation rampante de la justice.
Nous avons donc également déposé un amendement de suppression de cette disposition.
Enfin, deux dispositions ont été ajoutées à la dernière minute par M. le rapporteur de la commission des lois, alors qu’elles constituent pourtant des réformes importantes, et que leur présentation devant les parlementaires aurait dû prendre la forme d’un projet de loi.
La première instaure la procédure participative de négociation assistée par avocat, qui n’est autre que la recommandation n° 47 de la commission Guinchard.
Sur la forme, je l’ai dit, il n’est pas acceptable d’introduire dans une proposition de loi, moins d’une semaine avant son examen en séance publique, un article tendant à créer une procédure qui vient modifier en profondeur la procédure de règlement des litiges.
Le temps de la réflexion était d’autant plus nécessaire que cette réforme, telle qu’elle est présentée, n’est pas sans poser quelques problèmes.
Je n’en soulèverai pour l’heure que quelques-uns, me réservant d’entrer davantage dans les détails lors de la présentation de l’amendement que nous avons déposé à cet article 31.
L’un des dangers de cette procédure concerne le droit du travail, puisque seuls les avocats pourront assister les parties : les défenseurs syndicaux se retrouvent de fait dans l’impossibilité de protéger des salariés, ce qui ne nous étonne absolument pas, puisque le Gouvernement souhaite que le règlement des conflits du travail se fasse entre personnes privées.
Par ailleurs, cette procédure sera coûteuse, car le temps de conseil assuré par l’avocat sera plus important : elle ne sera, en fait, réservée qu’à ceux qui en auront les moyens.
Il aurait donc fallu présenter cette réforme à un stade de réflexion plus abouti et laisser le temps aux parlementaires de faire des propositions constructives en sa faveur.
Ma dernière remarque concerne la fusion entre les professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, introduite par M. le rapporteur en commission des lois.
Ce n’est pas la première fois que la majorité tente d’imposer cette fusion en catimini : lors de l’examen du projet de loi visant à adapter le droit des sociétés au droit communautaire, le Gouvernement avait déposé un amendement l’autorisant à procéder à cette fusion par ordonnances, amendement retiré in extremis avant la séance.
Il convient également de souligner que cette fusion fait partie des thèmes de réflexion de la commission Darrois, mise en place par le Président de la République le 30 juin dernier, et chargée de créer une « grande profession du droit ».
Cette commission n’a pas encore rendu son rapport. M. François Zocchetto, notre rapporteur, qui en est membre, n’a pas pu attendre plus longtemps et a donc introduit un projet de fusion des deux professions dans cette proposition de loi. La méthode est plus que douteuse, et c’est pourquoi nous avons également déposé un amendement de suppression de l’article 32.
En conclusion, je tiens à le dire, ces différentes modifications éparses et disparates traduisent une logique rampante de transfert d’une partie du contentieux, qui, sans doute, s’inscrit dans la droite ligne de la diminution du nombre de tribunaux et, donc, des moyens de la justice, en négociation entre les parties.
Comme cela a été dit, les négociations, les médiations et les conciliations sont tout à fait possibles aujourd'hui dans notre droit, mais sous contrôle des tribunaux.
Ce que vous voulez, ce sont des arbitrages totalement privés, ce qui entraînera des inégalités entre les parties, selon les moyens financiers dont elles disposeront pour assurer leur défense.
Peut-être est-ce une contrepartie donnée aux avocats, mécontents de la suppression de nombre de tribunaux d’instance ? Cependant, je le précise il ne s’agit pas des mêmes avocats ? Ceux que vous voulez satisfaire, ce sont non pas les « avocats à la française », mais ceux des grands cabinets d’avocats, pour qu’ils puissent concurrencer les cabinets étrangers qui s’installent sur notre territoire et qui drainent déjà une partie des affaires lucratives.
Votre conception de la justice n’est pas la nôtre. Elle est très dangereuse et, en tout cas, contraire à l’égalité des citoyens devant la justice. Nous tenons au service public. C’est pourquoi nous nous battons pour que le service public de la justice dispose des moyens lui permettant de continuer à fonctionner. Nous n’entendons pas le brader aux grands cabinets privés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Simon Sutour applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. J’ai entendu, cet après-midi, un certain nombre de remarques pour le moins curieuses sur les initiatives parlementaires.
À ceux de mes collègues qui sous-entendent que le Parlement ne serait pas capable de faire des propositions sur des sujets divers et importants, je rappellerai tout de même que les prescriptions en matière civile ont été réformées sur la base d’une proposition de loi du Sénat. Que je sache, il s’agissait d’une tâche bien plus ardue que celle qui consiste à aménager l’exercice de certaines professions réglementées !
La présente proposition de loi a été déposée le 15 octobre dernier, le rapporteur désigné avant Noël et le texte inscrit à l’ordre du jour du mois de janvier. M. le rapporteur a ouvert toutes ses auditions aux membres de la commission qui souhaitaient dialoguer avec les professions concernées et qui étaient intéressés par le sujet.
Du reste, les amendements proposés sont non pas ceux du rapporteur, mais ceux de la commission, qui les a votés après un débat. On peut ne pas être d’accord avec ces propositions, mais on ne peut nous contester le droit d’amender une proposition de loi, sauf à dose homéopathique. Nous avons tout de même le droit de réformer !
Certes, la fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle avait déjà été examinée par la commission des lois, laquelle en avait même voté le principe voilà quelques mois, avant de retirer sa proposition devant l’incompréhension de certains barreaux et de l’ensemble de la profession d’avocats.
M. Yves Pozzo di Borgo. Elle existe toujours !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument, mon cher collègue !
De toute façon, on ne fait pas la loi pour un cabinet d’avocats, fût-il spécialisé ! (M. Yves Pozzo di Borgo acquiesce.) On fait la loi pour servir l’intérêt général, et M. le rapporteur a bien expliqué en quoi cette réforme répondait à cet objectif. Certes, on peut toujours discuter, mais je vous signale que nos collègues de l’Assemblée nationale partagent notre position et que la commission Darrois n’est pas vraiment hostile, elle non plus, à cette fusion des deux professions.
Madame la présidente, aujourd'hui, il s’agit de la journée mensuelle réservée aux groupes parlementaires. Le groupe CRC-SPG a demandé l’inscription d’une proposition de loi, et nous l’avons examinée jusqu’au bout. Le groupe UMP a demandé l’inscription d’une proposition de loi : elle doit être examinée jusqu’au bout !
Mme Catherine Troendle. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La discussion d’un texte, qui plus est adopté par la commission, ne peut être ainsi interrompue. Si certaines propositions de la commission sont contestées, la grande majorité d’entre elles sont attendues par les professionnels.
Mme Catherine Troendle. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La journée d’initiative parlementaire a-t-elle encore un sens si le débat peut être interrompu et reporté à un ou deux mois ?
Madame la présidente, je tenais tout de même à soulever ce problème, surtout compte tenu du travail énorme fourni par la commission des lois sur ce sujet. (Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Catherine Troendle et M. Jackie Pierre. Absolument !
Mme la présidente. Monsieur le président de la commission, vous savez très bien que, ce soir, à vingt-deux heures, le Sénat doit discuter, sous la présidence de M. Gérard Larcher, d’une question orale sur les enseignements de la présidence française de l’Union européenne.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cette question orale a été inscrite à l’ordre du jour après notre proposition de loi ! Quand allons-nous achever l’examen de ce dernier texte ? Après le débat européen ?
Mme la présidente. Monsieur Hyest, la conférence des présidents qui se tiendra demain soir évoquera sans doute ce sujet et examinera, en fonction des disponibilités de Mme le garde des sceaux, les dates envisageables pour reprendre ce débat.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
6
Enseignements de la Présidence française de l'Union européenne
Discussion d'une question orale européenne avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat n° 3 de M. Hubert Haenel à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes sur les enseignements de la présidence française de l’Union européenne.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Hubert Haenel demande à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes de tirer les enseignements de l’exercice par la France de la présidence de l’Union européenne. Il lui demande, notamment, si les changements semestriels de présidence ne risquent pas de retarder les progrès des dossiers en cours et s’il considère que la gestion des crises par l’Union européenne au cours du dernier semestre a fait apparaître un nouvel équilibre entre les différentes institutions de l’Union. »
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, auteur de la question.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la séance d’aujourd’hui pourrait préfigurer la semaine mensuelle réservée au contrôle parlementaire.
M. le président. Absolument, mon cher collègue ! Et peut-être ces séances se dérouleront-elles en un lieu plus adapté !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. La conférence des présidents devrait en effet décider, selon votre souhait, monsieur le président, que ces réunions auront lieu à un étage inférieur.
Je tiens également à souligner que c’est sans doute la première fois que le président du Sénat en personne préside une séance de nuit consacrée à la discussion d’une question orale européenne avec débat. Comme vous pouvez le constater, nous innovons !
Je ne vais pas m’attarder sur le bilan proprement dit de la présidence française. Vous nous avez adressé un document fort bien réalisé et très complet sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État. Tous les ministres nous ont d’ailleurs fait parvenir, ces derniers jours, le bilan de la présidence française dans leur secteur de responsabilité.
Chacun d’entre nous, et c’est légitime, peut avoir son jugement sur ce bilan. En cherchant bien, on peut toujours estimer que, sur tel ou tel point, on aurait pu obtenir un meilleur résultat.
Je voudrais cependant rappeler, une fois de plus, qu’il ne faut pas aborder les réalités européennes avec les habitudes de pensée de la vie politique nationale, avec des « lunettes françaises ». Une présidence européenne dure peu. Elle est le maillon d’une chaîne et le pays qui l’exerce ne préside, en fait, que deux institutions : le Conseil européen, qui comprend les chefs d’État et de gouvernement, ainsi que le président de la Commission, et le Conseil de l’Union, qui réunit les ministres compétents en fonction des sujets abordés.
Le rôle d’une présidence est de faire en sorte que ces deux institutions parviennent, en coopération avec les autres institutions de l’Union, à des résultats répondant aux grandes attentes des citoyens européens. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est le très large accord qui s’est manifesté pour estimer que la présidence française avait particulièrement bien rempli ce rôle.
Ce qui caractérise l’Europe, nous le savons tous, c’est sa très grande diversité sur de nombreux plans, et notamment sur le plan politique. Et pourtant, à chaque fois que j’ai rencontré, durant cette présidence, des collègues des autres parlements nationaux ou du Parlement européen, j’ai constaté le même soutien à la manière dont la France exerçait sa présidence. Cela fut le cas, notamment, lors de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union, la COSAC, qui s’est déroulée au Sénat, au mois de novembre, en présence du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale : tous les représentants des parlements nationaux ont salué ce qu’avait accompli la présidence française pour débloquer, au cours de l’été et au début de l’automne, un certain nombre de situations.
Il y a donc des enseignements à tirer de cette présidence, qui vont bien au-delà des quelques mois qu’elle a duré. Qu’est-ce qui lui a donné une valeur particulière ?
Elle n’a pas été une présidence pour les thèses françaises, les intérêts français, cela va de soi : ce n’est pas le rôle d’une présidence européenne. Mais elle n’a pas non plus été une présidence de « bon élève ». Bien des habitudes ont été largement bousculées. Il y a eu des réunions de formats très différents, certaines très restreintes, d’autres très larges. L’activité a été importante en plein mois d’août. Lors de son audition, la semaine dernière, devant la commission des affaires européennes du Sénat, M. Pierre Sellal nous a déclaré qu’il semblait inimaginable de pouvoir réunir des fonctionnaires européens les 13 et 14 août et de mobiliser sa propre équipe, au sein de la représentation permanente, dès le retour de vacances de certains de ses membres. Et nous avons vu, sous l’effet d’une présidence volontariste, les institutions collaborer très étroitement entre elles au lieu de défendre, comme d’habitude, leurs « prés carrés » respectifs.
On dira qu’il faut faire la part des circonstances, que la présidence française a eu plusieurs crises à gérer, que les institutions et les États membres ont compris que faire cavalier seul serait mal perçu. C’est assurément vrai, mais cela ne suffit pas à expliquer la capacité d’entraînement particulière qui a caractérisé la présidence française.
Ce qui explique cette capacité d’entraînement, c’est, me semble-t-il, le fait que la présidence française est allée plus loin que d’habitude dans le sens d’une affirmation de l’Europe. Ce fut vrai lors de la crise géorgienne, ce fut vrai lors de la crise financière, ce fut vrai aussi lors de la négociation du paquet « énergie-climat », animée par l’ambition que l’Europe reste en tête dans ce domaine.
Chacun a pu constater que rien, à part ses propres inhibitions, n’empêchait l’Europe, quand elle le voulait, de s’affirmer davantage de manière autonome. C’est naturellement une leçon essentielle à tirer de la présidence française. Car nous sommes entrés dans un monde dont l’une des caractéristiques est le recul relatif de la puissance américaine, qui reste considérable, mais n’est plus « l’hyper-puissance » évoquée par Hubert Védrine dans les années quatre-vingt-dix. Bon gré mal gré, l’Europe ne pourra plus, qu’elle le veuille ou non, se contenter de vivre à l’ombre des États-Unis. Elle est désormais condamnée à assumer davantage de responsabilités. Nous avons vu durant la présidence française que, dans certains domaines au moins, L’Europe était parfaitement capable de le faire.
Or cette affirmation de l’Europe est inséparable d’une place accrue du politique dans son fonctionnement ; cela ne peut que vous faire plaisir, monsieur le président, car c’est votre leitmotiv pour le Sénat ! Le Président Nicolas Sarkozy avait déclaré vouloir mettre plus de politique dans la vie de l’Union, et c’est bien ce qu’il a fait : le Conseil européen, qui avait tendance à devenir le déversoir des questions non résolues par le Conseil, a rempli effectivement le rôle que lui confient les traités et qui est de donner à l’Union des « impulsions politiques ».
Nous avons ainsi souligné lors de votre audition, monsieur le secrétaire d’État, ce fait presque miraculeux : au lieu des vingt ou trente pages habituelles, les conclusions du Conseil européen tenaient en cinq pages. Enfin, nous pouvions lire ses décisions !
Chacun a pu constater que lorsque les institutions les plus « politiques », le Conseil européen et le Parlement, occupent le devant de la scène, le fossé souvent souligné entre les opinions publiques et l’Europe a tendance à se résorber. Lorsque les responsables de l’Union se sont engagés résolument dans l’action contre la crise financière, lorsqu’ils ont agi en faveur d’un cessez-le-feu en Géorgie, personne n’a jugé que l’Europe était lointaine, coupée des préoccupations des citoyens, ou bien qu’elle en faisait trop.
À cet égard, une autre leçon de la présidence française est bien le faible intérêt – tant mieux ! – de certaines controverses institutionnelles qui ont tant agité l’Union au cours des dix ou quinze dernières années. La présidence française s’est située en dehors des controverses pour viser avant tout des résultats. Et une vérité fort simple est apparue : l’Europe est efficace lorsque ses institutions coopèrent pleinement entre elles et que l’Union et les États membres travaillent dans le même sens. Pour obtenir ce résultat, il faut une présidence active, volontaire, sachant écouter, mais aussi provoquer la décision, c’est-à-dire une présidence capable d’entraîner.
Allons-nous – et c’est tout le sens de ma question ! – être capables de préserver cette nouvelle manière de fonctionner de l’Union ?
Bien entendu, si, comme je l’espère, ainsi qu’un certain nombre de mes collègues, le traité de Lisbonne entre en vigueur avant un an, le Conseil européen sera doté d’un « président stable », élu par celui-ci pour deux ans et demi renouvelables.
M. Jacques Blanc. C’est sûr !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Il est clair, désormais, que ce choix sera capital.
Car s’il y a un enseignement à tirer de la présidence française, c’est bien celui-là : l’Europe a besoin d’une vraie présidence. Est-ce que cette exigence s’imposera ? Je l’espère, mais nous n’avons pas de certitude : il sera facile, comme c’est la tendance habituelle des chefs d’État et de gouvernement, de choisir un « monsieur bons offices », habile et prudent, auquel tous pourront se comparer sans que leur vanité en souffre.
La tentation sera d’autant plus grande qu’en raison du report de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne il y a toutes les chances que les différentes nominations qui auront lieu dans la deuxième moitié de 2009 – président du Conseil européen, président de la Commission, Haut représentant de l’Union – prennent malheureusement la forme d’un marchandage global.
Or, monsieur le secrétaire d’État, nous savons bien comment se passent ces marchandages. Il faut un équilibre entre institutions, entre grands courants politiques, entre « petits » et « grands » États, entre anciens et nouveaux membres. Est-ce qu’il en sortira une présidence dotée d’une véritable capacité d’entraînement ? La priorité de la France sera-t-elle de faire en sorte que l’on ne revienne pas en arrière ? Même si notre pays n’assure plus la présidence de l’Union européenne, il doit faire en sorte que les acquis des six derniers mois de l’année 2008 soient conservés.
Pour ma part, ces incertitudes me font regretter que n’ait pas été retenue la suggestion du président Giscard d’Estaing, durant la Convention, qui souhaitait – mais l’idée n’était pas mûre – que le président du Conseil européen soit élu par un congrès des peuples réunissant des parlementaires européens et nationaux, ce qui aurait donné au président l’autorité nécessaire pour exercer pleinement sa fonction.
M. Jacques Blanc. C’est une grande idée !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Il n’aurait pas été un simple choix, en catimini et à huis clos, des chefs d’État et de Gouvernement.
La présidence française a montré que l’Europe pouvait s’affirmer davantage et fonctionner de manière plus active, plus pragmatique, plus différenciée. Notre collègue Pierre Fauchon travaille d’ailleurs, au sein de la commission des affaires européennes, sur la manière dont les coopérations renforcées entre certains pays membres pourraient être mieux utilisées pour faire progresser la construction européenne.
On voit donc bien le sens de ma question : après avoir expérimenté une nouvelle manière de faire fonctionner l’Union, monsieur le secrétaire d’État, allons-nous revenir maintenant plus ou moins clairement aux anciennes habitudes ? Ou bien allons-nous tout faire pour que cette expérience ne soit pas sans lendemain ? J’espère que c’est cette seconde solution qui sera choisie ; en ce début d’année, c’est le vœu que je forme pour l’Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait.
M. André Dulait, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union européenne a été unanimement saluée comme une grande réussite.
Une réussite pour notre pays, d’abord. Pendant les six mois de sa présidence, la France a su faire avancer les priorités qu’elle s’était fixées. Je pense, en particulier, au lancement de l’Union pour la Méditerranée, à l’adoption du pacte européen sur l’immigration et l’asile, au bilan de santé de la politique agricole commune, ou encore à la relance de l’Europe de la défense.
Une réussite pour l’Europe, ensuite. Grâce aux efforts de la présidence française, l’Union européenne s’est davantage affirmée au cours de ces six derniers mois sur la scène internationale.
Ainsi, lors de la guerre russo-géorgienne d’août dernier, l’Union européenne a été pour la première fois en mesure de mettre un terme à un conflit armé, d’obtenir un cessez-le-feu, d’envoyer une mission d’observation et de négocier un accord en six points, qui a été accepté par les deux parties.
Face à un partenaire aussi difficile que la Russie, l’Union européenne a montré qu’elle pouvait jouer un rôle majeur sur la scène internationale, dès lors qu’elle parlait d’une seule voix et qu’elle avait su trouver en son sein un accord permettant cette unité d’action.
De même, avec l’adoption du paquet « énergie-climat », l’Union européenne a confirmé son rôle moteur dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique au niveau international.
Mais c’est surtout dans sa gestion des crises que la présidence française aura démontré sa capacité à rebondir.
Outre le conflit géorgien, la crise économique et financière internationale aura fortement marqué cette présidence. Face à une crise d’ampleur mondiale, qui touche désormais l’économie réelle, l’Europe, première puissance économique et commerciale, ne pouvait pas rester inactive. Là encore, la présidence française a joué un rôle majeur pour promouvoir une approche coordonnée, obtenir des autorités américaines la réunion du G20 à Washington et poser les bases d’une régulation du système financier international.
Enfin, rappelons que la présidence française avait débuté quelques jours seulement après le « non » irlandais au traité de Lisbonne. Face à la menace d’une nouvelle paralysie institutionnelle, elle a su réagir.
La feuille de route, qui a été adoptée lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre dernier, devrait permettre une entrée en vigueur du traité de Lisbonne avant la fin de l’année 2009. L’actuelle présidence tchèque aura, à cet égard, une grande responsabilité, et l’on peut espérer, monsieur le secrétaire d’État, que le courant eurosceptique, représenté en République tchèque au plus haut niveau de l’État, ne mettra pas trop d’obstacles à sa ratification.
À l’aune de ce bilan très positif, quels enseignements peut-on tirer de la présidence française ? Pour ma part, j’en retiens trois.
Premier enseignement, si l’Europe a pu s’affirmer sur la scène internationale, c’est d’abord grâce à l’action déterminante du Président de la République, porté par la conviction qu’il nous faut agir. Car le temps ne joue pas en notre faveur, ainsi qu’il l’exprimait vendredi dernier, lors de ses vœux au corps diplomatique. C’est grâce à son volontarisme que l’Union européenne a réussi à mettre un terme à la phase aiguë du conflit russo-géorgien, qu’elle s’est engagée résolument contre la crise financière ou qu’elle est parvenue à un accord historique sur le paquet « énergie-climat ».
L’Europe a donc besoin avant tout d’un véritable leadership. Le Conseil européen est, par définition, l’organe d’impulsion de l’Union européenne. Mais, comme on le sait, il souffre actuellement du système de la présidence tournante tous les six mois.
Avec le traité de Lisbonne, l’Union européenne disposera d’un président stable du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelable une fois. Ce sera un facteur de progrès considérable pour la visibilité et l’efficacité de l’action de l’Union européenne, pour peu que ce président ne se contente pas de jouer le rôle d’un honnête courtier. Plus que d’un « président chairman », l’Europe a besoin d’un président fort, qui soit capable de donner des impulsions politiques et de jouer tout son rôle en matière internationale, aux côtés du Haut représentant et du président de la Commission européenne. C’est de cette manière que l’Europe pourra s’affirmer davantage sur la scène internationale et aussi vis-à-vis des citoyens. Le choix de la personnalité pour occuper cette fonction sera donc déterminant.
Deuxième enseignement, une coopération entre les différentes institutions européennes et entre celles-ci et les États membres est indispensable.
Qu’il s’agisse de l’Union pour la Méditerranée, du paquet « énergie-climat », ou encore du traité de Lisbonne, la présidence française a su écouter, dialoguer et proposer des compromis de nature à lever les réticences de certains de nos partenaires européens.
Si la France a été unanimement saluée en Europe pour sa présidence, c’est parce qu’elle a su jouer collectif et représenter véritablement les intérêts de l’Union européenne dans son ensemble.
Ainsi, il était légitime de prendre en compte les préoccupations des pays d’Europe centrale et orientale à l’égard du paquet « énergie-climat ». Personne ne pourrait reprocher à la Pologne d’être dépendante du charbon. Je me réjouis à cet égard que le renforcement des relations avec ces pays depuis plusieurs mois ait porté ses fruits.
Je me félicite aussi du dialogue permanent entretenu par la présidence avec la Commission européenne et le Parlement européen. Là aussi, il faut reconnaître que notre pays avait, par le passé, quelque peu négligé l’importance de ces deux institutions.
L’hommage appuyé rendu par le Parlement européen au Président de la République lors de son discours de clôture a montré qu’à l’occasion de sa présidence la France était parvenue à nouer des relations de confiance avec ces deux institutions.
Il faut espérer que, lors du prochain renouvellement du Parlement européen et de la Commission européenne, l’influence de notre pays en sortira encore renforcée.
Troisième enseignement, enfin, une démarche pragmatique est souvent plus efficace que des belles déclarations. J’en veux pour preuve les progrès enregistrés en matière de politique européenne de sécurité et de défense, dont la France avait fait l’une de ses priorités.
Je rappelle tout d’abord que, du point de vue de l’implication de l’Union européenne dans la gestion des conflits, les mois écoulés ont été particulièrement actifs. L’EUFOR s’est pleinement déployée au Tchad et l’installation de la mission EULEX au Kosovo a démarré avec succès. Une mission civile d’observation a été envoyée en Géorgie. Enfin, la première opération maritime de l’Union européenne a été décidée, pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie.
Dans le même temps, la présidence française s’est attachée, avec succès, à réunir nos partenaires sur un certain nombre d’orientations à court et à moyen termes de nature à renforcer la politique européenne de sécurité et de défense.
L’ambition européenne constitue, le Livre blanc l’a fortement souligné, une dimension essentielle de notre politique de défense. Mais, sauf à demeurer dans un registre purement incantatoire, elle doit s’appuyer sur une analyse objective et réaliste des conceptions et du niveau d’ambition de nos partenaires européens.
C’est, à mon sens, à juste titre qu’a été privilégiée une approche concrète et pragmatique, qui n’a certes pas donné lieu à des annonces spectaculaires, mais qui consolidera et développera les acquis de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD.
La méthode des « petits pas », chère à Jean Monnet, reste bien au cœur de la construction européenne.
Au-delà de la nécessaire mise à jour de la stratégie européenne de sécurité, il me paraît très utile que l’Union européenne définisse de manière beaucoup plus précise la nature et l’ampleur des opérations civiles et militaires qu’elle entend pouvoir mener dans les années à venir.
À cet égard, les objectifs qui ont été approuvés dans le cadre de la déclaration sur les capacités constituent pour la PESD un véritable contrat opérationnel. Ils sont de nature à mobiliser les pays européens autour d’efforts bien identifiés pouvant améliorer concrètement nos capacités d’action.
Ce nouveau niveau d’ambition est en effet une déclinaison vivante et intelligente des objectifs fixés lors du Conseil européen d’Helsinki, il y a dix ans, d’après lesquels l’Union européenne devrait être en mesure de déployer au moins 60 000 hommes en 60 jours sur un théâtre d’opération. Chacun avait alors à l’esprit le schéma d’une opération lourde du type Kosovo. Aujourd’hui, comme le montrent les opérations menées actuellement, il s’agit davantage pour l’Union européenne d’être en mesure de déployer rapidement des dispositifs militaires ou civils sur plusieurs théâtres d’opérations, en s’adaptant à chaque type de situation.
On peut également se féliciter de l’accord intervenu en novembre dernier entre les ministres de la défense autour de projets concrets sur les hélicoptères, le transport aérien, les capacités aéronavales, ou encore le lancement en commun d’une nouvelle génération de satellites d’observation.
En revanche, il faut regretter que le blocage persiste sur le développement de capacités autonomes de planification et de conduite d’opérations. Un centre d’opération de taille raisonnable, sensiblement plus étoffé qu’aujourd’hui, représenterait un vrai progrès pour nos opérations européennes. L’administration américaine elle-même en a reconnu l’intérêt, faisant d’ailleurs tomber l’argument peu convaincant du risque de concurrence avec le SHAPE.
Je me félicite néanmoins qu’un accord soit intervenu sur la création d’une structure unique de planification stratégique civilo-militaire pour les opérations et missions de la PESD, ce qui permettra d’améliorer les synergies et de gagner en efficacité. On le souligne souvent, la possibilité de réunir dans une même main les moyens militaires et civils de gestion de crise constitue l’une des originalités de l’Union européenne. Il s’agit là d’une dimension que nous avons tout intérêt à développer et à perfectionner, car la complexité des crises actuelles exige la mise en œuvre d’une large gamme d’instruments.
J’espère donc, monsieur le secrétaire d’État, que nous continuerons à faire avancer ce dossier, comme d’ailleurs celui des relations Union européenne-OTAN, tant avec la nouvelle administration américaine qu’avec nos partenaires britanniques.
Pour conclure, je voudrais dire un mot des relations franco-allemandes.
Si la présidence française a été une réussite, c’est aussi la preuve que le moteur franco-allemand continue de fonctionner. Mais comme le soulignait récemment le Président Valéry Giscard d’Estaing, il semble que, même si les relations franco-allemandes ont toujours connu certaines tensions, les deux pays se soient quelque peu éloignés ces dernières années.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous connaissez très bien ce pays. Je sais aussi que, dès votre prise de fonction, vous vous êtes rendu en Allemagne afin d’avoir des entretiens avec les plus hautes personnalités. Peut-être pourrez-vous nous dire les principaux enseignements que vous retirez de ce déplacement concernant l’état des relations entre nos deux pays.
Comme nous le savons tous ici, la relation franco-allemande, même si elle ne doit pas être exclusive, reste le principal moteur de la construction européenne. Il est donc indispensable de dissiper les malentendus et de renforcer nos relations, car c’est la seule manière de faire progresser l’Europe politique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union européenne vient de s’achever. L’heure est donc au bilan. Disons-le sans attendre, ce bilan est globalement positif, du moins en apparence.
M. Jacques Blanc. Et même en réalité !
M. Yvon Collin. Les médias ont salué l’investissement personnel du Président de la République, qui n’a pas ménagé ses efforts, ses déplacements et ses rencontres. C’est un fait !
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Yvon Collin. Mais cela ne suffit pas à adresser un satisfecit à notre Président et à son Gouvernement dans cette mission de six mois à la tête de l’Union européenne. En effet, il convient de rester modeste : la majorité des dossiers n’a-t-elle pas fait que suivre son cours ? (M. Pierre Bernard-Reymond s’exclame.) Finalement, très peu de nouveaux chantiers ont été ouverts. Certains, très urgents et très attendus par nombre de professionnels, notamment français – je pense à la politique de santé et plus encore à la PAC – n’ont presque pas bougé.
Seul le paquet « énergie-climat » sort très nettement du lot.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Yvon Collin. Il a connu une accélération remarquable, faisant de l’Europe l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique et pour la sécurité énergétique. Bien qu’assorti in extremis de réelles concessions aux Allemands et aux Polonais, ce plan précis et contraignant est un pas très important dans un domaine où il était urgent d’intervenir vigoureusement.
Pour le reste, il faut le reconnaître, ce sont avant tout des événements exceptionnels qui ont donné du relief à la présidence française de l’Union européenne. Force est de constater, en effet, que ce sont des crises – les crises internationales, la crise financière, la crise économique – qui ont mis en exergue l’action de la France pendant ces six derniers mois.
Au passage, il faut aussi rappeler que la conjoncture internationale était des plus favorables, puisque notre présidence s’est exercée durant la période de transition que traversait l’administration américaine, laissant par là même le champ libre, sur la scène internationale, à un intérim européen pour le leadership des relations internationales.
M. Simon Sutour. Très juste !
M. Yvon Collin. Comme très souvent, il faut reconnaître que notre Président de la République est expert pour s’emparer des opportunités politiques qui s’offrent à lui.
M. Jacques Blanc. Cela vaut mieux !
M. Yvon Collin. La crise géorgienne et la crise financière ont donc fourni l’occasion de mettre l’Europe à l’épreuve. Ces deux « accidents » majeurs, même s’ils étaient prévisibles, ont bousculé l’Union européenne et ont conduit les autorités françaises à affirmer un style de gouvernance axé sur l’urgence, la réactivité et la cohésion.
Sur le plan diplomatique, l’activisme du Président de la République a certainement été très déterminant pour la préservation de l’unité de vues des États membres et l’obtention rapide d’un cessez-le-feu entre la Géorgie et la Russie. Le danger de voir les troupes russes s’enfoncer dans ce pays était en effet bien réel. En créant les conditions d’un dialogue, qui n’est jamais facile, avec les dirigeants russes, le pire a été évité, en tout cas jusqu’à ce jour.
Sans donner un quelconque assentiment aux initiatives parfois hésitantes du Président de la République – souvenons-nous des errements avec la Chine sur la question tibétaine –, il est toutefois normal de saluer chaque geste politique ou diplomatique portant la moindre espérance de paix.
S’agissant de la crise économique et financière, on peut là aussi reconnaître les efforts qui ont été fournis par la présidence française pour apporter une réponse rapide destinée à rétablir la confiance qui était en train de disparaître et ainsi permettre le retour à un fonctionnement plus régulé du secteur financier. De la réunion informelle de Nice en septembre jusqu’au sommet international de Washington en novembre, les initiatives ont été nombreuses et ambitieuses. Dans cette affaire, consciente de la gravité de la crise, l’Europe est apparue déterminée aux yeux du monde, ce qui est important.
Cependant, au terme de ces six mois de présidence française, nous devons, comme souvent avec ce gouvernement, faire la part entre ce qui relève de l’affichage et la réalité.
Oui, l’Europe a souvent parlé d’une même voix ! Mais il faut aussi constater que sa stratégie économique durant cette période a surtout consisté à valider une série de plans nationaux. Une Europe véritablement unie, ce serait une Europe aux politiques budgétaires et économiques coordonnées. Hélas ! on en est encore très loin.
La crise en a peut-être diffusé l’idée, mais le discours sur les vertus d’une action concertée peine à se concrétiser dans les faits. Pourtant, comme l’indique le rapport intitulé La coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ?, que j’ai corédigé avec mon collègue Joël Bourdin – permettez-moi de vous dire que vous avez d’excellentes lectures, monsieur le secrétaire d’État (Sourires) –, la coordination des politiques économiques devrait représenter un engagement politique majeur dans le processus de construction européenne. Le traité fondateur ne dispose-t-il pas que « les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil ».
Malheureusement, cette volonté est jusque-là restée formelle. Même le pacte de stabilité, brandi comme un instrument de la coordination, n’est en fait qu’un simple corps de règles plus ou moins contraignantes ; il fixe des objectifs, sans toutefois fournir les outils pour les atteindre. Ce pacte se révèle d’ailleurs impossible à tenir en cas de grave récession. Nous en avons aujourd’hui la preuve, puisque notre pays prévoit de laisser filer les déficits publics à plus de 4 % du PIB en 2009.
Malgré la crise, l’Europe se caractérise donc toujours par une grande diversité d’options nationales qui s’opposent et la survivance d’intérêts nationaux qui s’affrontent. Cette stratégie est bien évidemment contre-productive.
Pourtant, des modèles macro-économiques ont démontré, par exemple, qu’une relance par la demande dans un pays isolé apparaissait près de moitié moins efficace que lorsqu’elle est conduite à l’unisson et que son efficacité est réduite des trois quarts quand, en plus, les autorités monétaires prennent des mesures pour la contrecarrer.
Compte tenu du degré d’interdépendance des économies européennes, la régulation conjoncturelle de l’activité est une question d’intérêt commun. Or la politique monétaire mise à part, les politiques de régulation de la conjoncture – politiques budgétaires ou salariales – sont des politiques nationales. Cette situation favorise les stratégies individuelles des États membres de la zone.
Par exemple, la France et l’Allemagne mènent souvent des politiques budgétaires divergentes, aboutissant à une compétition entre elles. Et le plus souvent – on peut le regretter ! – cette compétition est favorable à l’Allemagne en termes de marché, grâce à sa politique de désinflation compétitive.
Aujourd’hui, l’affaire est plus grave que celle d’une hyper-compétition interne, puisque c’est l’ensemble de la zone euro qui entre en récession, avec un recul du PIB estimé à 1,9 %. La grande crise économique actuelle doit être une opportunité à saisir pour approfondir et réellement enclencher le processus de coordination des politiques économiques à l’échelle de l’Union.
Durant la présidence française, il aurait été important de traiter l’origine immédiate de la crise en favorisant davantage la mise en place d’instruments destinés à revoir et à réguler le système financier mondial. Certes, ce fut l’objet de quatre directives européennes dont le Président de la République, et il avait raison, a souhaité l’adoption rapide.
Il était également important de traiter les difficultés sociales à venir en adoptant des plans de relance, même dispersés, destinés à relancer l’activité et à retrouver le chemin de la croissance. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir demain.
Mais, au-delà de ces impératifs, il faudra, je le répète, s’atteler à rendre l’Europe davantage maîtresse de son destin par le renforcement de ses fondations économiques dans le sens d’une véritable coordination. Ses institutions sont, elles aussi, encore fragiles, avec les quelques incertitudes qui pèsent sur la ratification du traité de Lisbonne par certains pays.
La présidence française a marqué les esprits par son volontarisme. C’est indéniable ! Mais que restera-t-il demain de cette période caractérisée par des situations d’urgence et de crises, empêchant finalement un approfondissement concret de la coordination économique ?
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe est née dans la crise. Je ne désespère pas qu’elle tire les leçons de celle que nous vivons actuellement.
La zone euro connaîtra des turbulences qui engendreront des solutions de court terme. Mais n’oublions pas l’essentiel : le défaut de coordination des politiques économiques aboutit à une confrontation qui ne fait, au bout du compte, que des perdants et compromet ainsi sérieusement toutes les ambitions affirmées dans le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à souligner que nous sommes heureux que le débat européen fasse son retour dans l’hémicycle. Il n’y a ni petit ni grand hémicycle ; il n’y a qu’un hémicycle : le lieu où nous débattons !
La question qui nous réunit ce soir est pour nous l’occasion d’aborder les problématiques européennes.
« Si je veux parler avec l’Europe, quel numéro dois-je composer ? » : telle était l’interrogation d’Henry Kissinger en 1974, pointant déjà du doigt le manque de visibilité de l’Europe en construction.
En 1975, le rapport Tindemans proposait d’étendre la présidence du Conseil à douze mois, projet que les États membres d’alors avaient refusé, craignant que l’Union européenne ne devienne l’otage d’un seul État.
La question institutionnelle de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne n’est donc pas nouvelle ; elle s’est toujours posée, pour des raisons à la fois de visibilité et de continuité des travaux. À mesure que cette fonction a pris de l’importance et que l’Union européenne s’est élargie, elle est devenue de plus en plus pertinente. Le bilan de la présidence française du Conseil s’inscrit donc dans un débat institutionnel plus large, plus long. Si celle-ci n’a pas créé cette question, elle l’a cependant alimentée.
Je me réjouis de l’énergie déployée par le Président de la République. Ce dynamisme a permis des avancées, notamment lors de la crise en Géorgie l’été dernier.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Simon Sutour. Mais ce dynamisme s’est parfois transformé en politique du coup de poker, bien loin du jeu collectif européen qu’il était censé organiser.
Ainsi, lors du sommet Union européenne–Russie en novembre dernier, on a vu le président de l’Union européenne se prononcer contre le bouclier antimissiles américain sans mandat européen. À la suite des protestations de la République tchèque et de la Pologne, il a dû faire machine arrière, ce qui a rendu peu lisible la position de la France en matière de défense européenne ; nous y reviendrons.
De même, les débuts du projet d’Union pour la Méditerranée ont été marqués par une vision unilatérale de la France, laissant de côté non seulement l’Allemagne, mais également l’ensemble du processus existant et les institutions communautaires déjà impliquées dans ce domaine.
M. Jacques Blanc. Heureusement qu’il l’a fait !
M. Simon Sutour. Or la construction européenne est, par définition, un travail collectif, monsieur Blanc ! La présidence du Conseil a pour responsabilité d’encourager ce travail collectif et de le respecter.
En quoi le changement de présidence de l’Union pourrait-il « retarder les progrès des dossiers en cours » ? Je suis étonné que la question de mon collègue et ami Hubert Haenel soit présentée en ces termes. En effet, il n’est pas difficile de constater que, pour la très grande majorité des dossiers européens, chaque présidence fait évoluer les dossiers qui n’ont pu être conclus par la précédente …
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !
M. Simon Sutour. … ou qui ne lui ont pas semblé prioritaires. J’imagine facilement que ce sera le cas pour l’attribution de moyens importants en faveur du lancement de projets européens de grandes infrastructures, notamment en matière d’interconnexion énergétique, dont l’urgence n’est plus à démontrer.
Après l’échec d’un accord sur ce sujet fin décembre, il faudra bien compter sur la présidence tchèque pour trouver une solution qui permette à l’Union européenne, en tant que telle, de contribuer à la relance économique.
En outre, la présidence française ne s’est pas toujours montrée exemplaire en matière de continuité des travaux, et il serait bien inapproprié d’en tirer des conclusions sur « le progrès des dossiers ».
Dès le début, la présidence française avait été accusée de préempter la troïka afin de garantir son succès, en ralentissant le travail de la présidence slovène sur certains sujets majeurs et en discréditant à l’avance la présidence tchèque, mettant ainsi en péril la coopération entre les trois.
Je pense que l’Europe, c’est aussi une question de confiance dans ses partenaires européens. Il est frappant de voir avec quelle méfiance, quelle arrogance parfois, est accueillie la présidence tchèque. Je regrette que certains estiment qu’il faille se méfier de la capacité de la présidence tchèque à reprendre les dossiers ou à trouver des solutions aux problèmes. Un bon travail au sein de la troïka devrait normalement éviter que cette question soit posée. Rien ne permet de présupposer qu’un grand pays réussira mieux sa présidence qu’un petit pays ou qu’un État ayant récemment rejoint l’Union européenne.
En raisonnant par analogie, mes chers collègues, les sénateurs que nous sommes le savent bien : dans nos départements, il n’y a pas de petites ou de grandes communes ; il y a tout simplement des communes !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Ça, c’est vrai !
M. Simon Sutour. L’application du traité de Lisbonne stabiliserait la présidence du Conseil de l’Union européenne. Mais cette fonction sera également temporaire et fortement encadrée ; elle ne remplacera pas la présidence tournante des conseils des ministres qui, elle, est maintenue.
De plus, nous aurions souhaité que la présidence française réfléchisse à une application anticipée du traité sur des sujets essentiels pour nos concitoyens. Je veux parler de la mise en œuvre de la clause sociale transversale, qui oblige les acteurs européens à intégrer une dimension sociale dans l’élaboration des politiques européennes.
Je pense également – nous n’avons cessé de le répéter et de vous le demander depuis des mois – à la mise en place d’un calendrier pour l’élaboration d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général, qui offrirait enfin à ces derniers toutes les garanties d’exercice, ce dont les citoyens ont encore plus besoin en ces temps de crises.
Les crises ont toujours constitué un moteur de la construction européenne. À cet égard, la présidence française s’est inscrite dans un contexte particulier difficile. On pourrait regretter, d’ailleurs, qu’à part la crise géorgienne aucune crise n’ait accouché d’une solution européenne et que certaines n’aient trouvé aucune réponse.
Ce n’est pas seulement le recensement des différents outils européens qui permet de gérer des crises : c’est l’usage qu’en fait la présidence en exercice.
Comme le Président de la République n’a cessé de le rappeler, « on ne peut agir seul » ; « on ne s’en sortira pas tout seul ». Pourtant, les faits semblent démentir ces affirmations. Quelle a été l’action de la présidence française pour trouver une véritable solution européenne, avec tous les moyens dont dispose l’Union, afin d’instaurer une réelle contribution communautaire et réfléchir vraiment à la mise en place d’un dispositif de long terme au niveau européen ?
Nous attendions que soit suggéré le lancement d’un grand emprunt européen, ce qui aurait permis de faire d’une pierre deux coups, en contribuant à la fois à la relance de l’économie européenne et à la lutte contre le changement climatique. Je sais que la faisabilité d’un tel emprunt a été étudiée de près en novembre et décembre par la Commission et le Parlement européen.
Nous attendions de la présidence française qu’elle propose un véritable fonds européen de financement des mesures de lutte contre le changement climatique, alimenté par les enchères des émissions de quotas.
Nous souhaitions également que la présidence française se penche sur la préparation de la révision des perspectives financières et qu’elle engage une réflexion commune en amont sur le financement des politiques de l’Union.
La réponse commune aura été en trompe-l’œil : on a assisté à un habillage communautaire de plans de relance nationaux. D’ailleurs, la plupart des mesures étaient déjà budgétées ou prévues par les États membres.
En outre, monsieur le secrétaire d’État, comment traiter la crise économique sans traiter la crise sociale qui lui est intrinsèquement liée ? La liste des licenciements s’allonge et, d’après les chiffres publiés par Eurostat le 8 janvier dernier, le taux de chômage a augmenté de 6,5 % à 7,4 % dans la zone euro et de 6,3 % à 7 % dans l’Union européenne, soit un total de 17,5 millions de chômeurs en Europe.
Quelle a été la réponse de la présidence française ? L’allongement de la durée légale du temps de travail en Europe ? Une réforme a minima de la directive sur les comités d’entreprise européens ?
De même, la forte volatilité des prix mondiaux des denrées alimentaires, devenues valeurs refuges pour la spéculation financière, a provoqué une crise alimentaire mondiale. Croyez-vous que la réforme de la PAC que vous avez conclue, et qui renonce à la plupart des outils de régulation du marché, permettra à l’avenir de garantir un revenu décent aux agriculteurs et la sécurité alimentaire à moyen terme de l’Union européenne ?
Vous estimez que l’équilibre institutionnel s’est modifié, mais ce ne sont pas les crises qui l’ont modifié : ce sont méthodes de la présidence française qui ont esquissé un retour à l’Europe intergouvernementale.
Faut-il considérer que le retour de la diplomatie classique non seulement d’État à État, mais avec un directoire constitué des « grands États » membres de l’Union européenne, est une véritable mise en œuvre de l’Europe politique ?
L’Europe politique, ce n’est pas une Europe intergouvernementale. Or, sous la présidence française, c’est une Europe de la coopération, au détriment d’une Europe de l’intégration, qui a été privilégiée, en affaiblissant délibérément l’esprit et l’intérêt communautaires.
En réintroduisant l’unanimité au Conseil européen pour adopter les orientations du paquet « énergie-climat », la présidence française a mis à mal une vision intégrée de la construction européenne et la prééminence d’un intérêt européen commun.
Cette valorisation de l’unanimité est une régression. En effet, elle met en cause la légitimité européenne, en autorisant une minorité à ne pas reconnaître la majorité et à considérer qu’il n’existe pas d’entité politique unique.
Dans cette vision des négociations européennes, chaque État membre redevient le garant de son seul intérêt. À cet égard, le Pacte européen sur l’immigration et l’asile a bien été l’illustration de ce nouveau virage pris par la présidence française, qui a privilégié une sorte d’accord de non-intervention dans les politiques des États membres.
Il ne faut pas négliger les incidences de cette conception du rôle de l’Europe sur la conception même de la solidarité européenne.
Les déclarations d’amitié à l’égard du président de la Commission européenne ne tromperont personne, tant la présidence française s’est attachée à affaiblir l’exécutif communautaire, réduisant son rôle à celui d’un bureau d’enregistrement des décisions du Conseil.
Les plans de relance des États membres en sont un bel exemple, ces derniers déniant à la Commission le rôle d’évaluation et de contrôle de ces plans.
La multiplication des sommets informels entre chefs d’État, dont la Commission ne serait plus qu’une invitée dépendant du bon vouloir de la présidence en exercice, priverait, à terme, la Commission de son pouvoir d’initiative et de son rôle moteur dans une construction européenne intégrée.
Quant au Parlement européen, il a su s’affirmer sur de grands sujets politiques – le temps de travail, par exemple –, mais il a subi une très forte pression de la part de la présidence pour accélérer le rythme de ses travaux.
Je comprends l’importance des trilogues, négociations en amont entre les trois institutions, pour faciliter un accord en première lecture et boucler le programme législatif avant les élections européennes. Pour autant, sur de grands sujets, il ne faudrait pas que cette pratique court-circuite le débat démocratique, qui doit normalement se tenir dans l’enceinte du Parlement européen. Je regrette ainsi que le vote dans l’hémicycle sur le paquet « énergie-climat » n’ait duré que vingt minutes.
De même, alors que la présidence française avait promis d’appliquer par anticipation le traité de Lisbonne et la codécision en matière agricole, il n’en a rien été. Il s’en est même fallu de peu que l’avis du Parlement européen intervienne avant la décision du Conseil des ministres !
Enfin, dans son discours au Parlement européen le 16 décembre dernier, le Président de la République a déclaré que le Parlement européen était plus conciliant sur certaines politiques – par exemple, l’immigration – qui, sur le plan national, ne donnent pas toujours « l’exemple du respect des personnes, du calme, de la pondération et de l’esprit de responsabilité ».
Cela veut-il dire que lorsque le débat démocratique ne se plie pas à la volonté de l’exécutif il n’est plus légitime ? En outre, si le Parlement européen est plus « compréhensif » que le Parlement national, pourquoi le court-circuiter sur certains sujets ?
En tout état de cause, cette approche, qui se veut pragmatique, pourrait être très dommageable à la veille d’élections européennes, pour lesquelles, trop souvent, les citoyens ne se sentent pas concernés ou ne discernent pas les enjeux.
Il est normal que le président en exercice fasse tout pour rendre le plus positif possible son bilan – il est également normal que ses amis politiques l’y aident, comme c’est le cas ce soir – ; il en a fait largement la démonstration devant le Parlement européen, sur tous les sujets, y compris sur ceux qui n’ont pas été traités ! L’Europe sociale en est l’exemple le plus flagrant, et ce malgré les déclarations du Gouvernement. Il suffit de se rappeler que les services sociaux d’intérêt général, fortement menacés aujourd’hui, n’ont été traités que dans le cadre d’un forum. Le thème de la sécurité privée a également eu droit à son colloque. C’est dire l’importance donnée à l’avenir des services sociaux et des millions de personnes qui en bénéficient en France.
De même, le droit de grève et à l’action collective, menacé par de récents arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, n’a fait l’objet que d’un échange de vues entre ministres, sans proposition d’action concrète permettant d’apporter une réponse politique aux menaces jurisprudentielles qui pèsent sur l’action collective en Europe.
La relance de la politique européenne de sécurité et de défense était l’une de quatre priorités de la présidence française de l’Union européenne. L’abondante rhétorique présidentielle avait promis monts et merveilles en matière de défense européenne. Or, sur un point clé – la création d’une cellule de planification et de commandement au sein de la PESD –, l’échec est patent. Ainsi, on vérifie que la politique de « retour dans l’OTAN » du Président Nicolas Sarkozy a donné le signal d’un recul de facto de la France sur le dossier de la PESD. En effet, certains pays membres se demandent pourquoi, maintenant que la France devient un pays de l’OTAN comme les autres, il faudrait continuer à proposer un organisme qui donnerait de l’autonomie et des marges de manœuvre propres à l’Union européenne.
Nous regrettons également les dérives de l’« Europe protection », dont la France avait fait un slogan. Mais l’Europe doit-elle protéger ou se protéger ?
M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure ! Vous avez dépassé votre temps de parole de cinq minutes !
M. Simon Sutour. Le président de la commission des affaires européennes et M. André Dulait, qui est intervenu en remplacement du président de la commission des affaires étrangères, ont parlé seize à dix-sept minutes !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. J’ai parlé onze minutes !
M. le président. Monsieur Sutour, c’est moi qui préside le débat !
M. Simon Sutour. Je conclus, monsieur le président !
Il est clair que la présidence française, en définissant les moyens de se protéger, en choisissant d’exclure plutôt que d’inclure, a clairement défendu la vision d’une Europe qui se replie sur elle-même.
Le pacte européen sur l’immigration et l’asile relaye sans conteste une volonté de durcissement des politiques d’immigration : dispositif commun d’éloignement, sélectivité renforcée et élitiste des candidats, alignement du principe de regroupement familial sur les politiques les plus restrictives des États membres, pour ne citer que quelques exemples. Rien, en somme, qui présente l’immigration comme un atout pour nos sociétés vieillissantes ou moins dynamiques, et comme une chance à saisir.
La technicité toujours plus poussée des procédures, sans parler du fichage, remplace définitivement toute approche constructive et évolutive.
La défense d’une vision sécuritaire de l’Europe rejoint bien celle d’une Europe dérégulatrice. L’adoption définitive de la directive « retour » sous votre présidence en est l’amère illustration, puisqu’elle ouvre la voie à une révision de notre législation nationale, pourtant plus protectrice que les minimas européens adoptés.
S’il fallait résumer les enseignements à tirer de l’exercice de la présidence française, ce que nous sommes invités à faire aujourd’hui, je dirais que, dans la pratique, il couronne les orientations et les tentations d’années de domination des forces conservatrices en Europe, monsieur Fauchon, eu égard au contenu des politiques néolibérales et sécuritaires, à la réticence à financer véritablement les projets décidés en commun et à la volonté assumée de replacer les politiques menées au nom de l’Union européenne et, aujourd’hui, les institutions, sous le contrôle des États membres.
On a le sentiment qu’a été privilégiée l’Europe financière, l’Europe de la sélection des migrants économiques utiles, l’Europe du seul marché, et que la grande ambition de faire une Europe plus protectrice des citoyens a été perdue en route.
Les socialistes européens ont un autre projet à proposer aux citoyens, comme en témoigne leur programme politique commun, appelé « manifeste » : celui d’une Europe plus juste, avec une vraie relance de l’économie européenne, d’une Europe garante des libertés et des droits, d’une Europe leader en matière de protection de l’environnement, d’une Europe qui place les citoyens au centre du débat politique. Tel est le projet que nous défendrons ces prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous n’aurons malheureusement pas le temps, M. Sutour ayant quelque peu dépassé celui qui lui était imparti (Sourires), de retracer le bilan de ce semestre de présidence française comme il le mériterait !
Cela est bien dommage, parce que, à tous égards, ce semestre a été remarquable. Il sera inoubliable par l’ampleur et la fécondité de ses résultats, aussi bien que par la qualité des méthodes d’action mises en œuvre,…
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. Pierre Fauchon. … qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont permis d’obtenir des consensus inédits…
M. Simon Sutour. C’est trop pour être crédible !
M. Pierre Fauchon. … et, avouons-le, monsieur Sutour, inespérés.
Au total, on peut bien le dire, rarement politiques auront été aussi bons diplomates, et rarement diplomates auront été aussi bons politiques !
On voudrait avoir plus d’autorité pour célébrer une séquence qui permet d’affirmer que l’Europe est sortie de sa léthargie, qu’elle a pris conscience de la vraie dimension de ses intérêts, de ses responsabilités et de ses pouvoirs, et pour exprimer notre reconnaissance à celui sans qui rien de tout cela ne se serait produit : je parle évidemment du chef de l’État. Grâce à lui, la furia francese, transmuée en savoir-faire français, aura fait merveille. (M. Jacques Blanc applaudit.)
Pour l’avenir, deux sortes de réflexions me paraissent s’imposer, l’une dans l’ordre institutionnel, l’autre dans l’ordre de l’action.
La première réflexion concerne l’exécutif. Il ne faut plus désormais opposer, comme on le faisait traditionnellement, la supposée paralysie de l’Europe des États et des gouvernements à la supposée créativité de l’Europe « communautaire ». Il faut dépasser cette opposition stérile en affirmant, à la lumière des expériences vécues au cours de l’année 2008, la capacité des Européens à retrouver la voie du progrès dans un processus sans doute nouveau, mais qui vient de faire la preuve de son efficacité.
Nous sommes maintenant en présence d’un exécutif de type nouveau, d’une certaine manière bicéphale – ce qui ne devrait pas surprendre les Français, qui y sont habitués : d’un côté, une Commission, privée sans doute aussi bien de son privilège monopolistique que des effets supposés bénéfiques d’une concentration qui se serait révélée à l’expérience, j’en suis convaincu, très handicapante, mais qui conserve tout de même à la fois sa spécificité et son caractère propre de conscience communautaire, ainsi que les immenses moyens de son appareil technique ; de l’autre, un Conseil, détenteur de la légitimité la plus enracinée, et qui maintenant se sait capable d’engager et même de conduire les affaires communes.
Le traité de Lisbonne, supposé simplificateur – qui en réalité est un monstre formel, entre nous soit dit –, ne fera que conforter cette situation par la consolidation de la présidence.
À partir de là, les choses iront comme elles pourront aller, au gré de la personnalité des dirigeants et des événements auxquels ils seront confrontés. Schéma imprévu peut-être, différent sans doute de celui dont certains – j’en suis – avaient rêvé, mais qui ne saurait être récusé pour des raisons de principe alors qu’il a fait la preuve de son efficacité. La question de savoir si l’Europe avance importe beaucoup plus que celle de savoir comment elle avance.
Comment l’Europe peut-elle avancer ? C’est précisément la seconde réflexion que je propose, et qui se situe dans la perspective des interrogations du président Haenel, qui a d’ailleurs devancé en partie mon propos.
Ma réflexion porte sur le constat selon lequel, dans la réalité des faits, l’Europe des vingt-sept, en attendant celle des vingt-huit et davantage, a énormément de mal à dégager, au-delà des déclarations de solidarité et de bonnes intentions, des politiques communes qui soient réellement communes et opérationnelles. Les intentions ne manquent pas, mais les actions font généralement défaut.
Le temps manque pour énumérer des exemples, mais nul ne peut ignorer que l’extension des missions de l’Union à l’ensemble des domaines de la vie publique opérée par le traité de Maastricht n’a pu donner lieu qu’à des démarches certes utiles et méritoires, mais qui sont généralement de caractère plus symbolique et exploratoire qu’opérationnel, et qui s’enlisent vite dans les méandres et les atermoiements où se complaisent ceux qui, en réalité, ne sont pas décidés à aller de l’avant.
À défaut de prendre des décisions réellement communes, réellement opérationnelles, on se réfugie de plus en plus dans la fabrication de « livres verts » qui ne sont souvent que des catalogues de difficultés ne faisant guère avancer les choses.
Les impulsions de ces derniers mois ont sans doute ravivé les ardeurs – espérons-le –, mais rien ne permet d’affirmer pour autant que les mises en œuvre authentiquement unanimes seront beaucoup plus aisées demain qu’elles ne l’étaient hier.
Dès lors que l’on ne peut pas agir tous ensemble, il est clair – il ne faut pas hésiter à le dire – qu’il convient d’agir à quelques-uns et que les plus décidés et les mieux disposés ne doivent pas hésiter à donner l’exemple.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. Pierre Fauchon. C’est la voie des « coopérations renforcées » qu’il convient donc d’emprunter, sinon selon la procédure particulière qui les concerne – si soigneusement encadrée que l’on n’en connaît encore aucune –, du moins dans leur esprit et dans leur principe.
En vérité, ne faut-il pas prendre conscience du fait que la réalité des avancées européennes, si l’on veut bien y réfléchir, chers collègues, ne se fait guère que par cette voie ? Ni l’euro ni Schengen ne réunissent la totalité des États. Les coopérations de moindre envergure abondent qui montrent tout à la fois que la seule façon d’avancer est de le faire à quelques-uns et que l’exemple ainsi donné emporte peu à peu l’adhésion des autres.
J’en veux pour preuve le casier judiciaire européen, qui procède d’un accord particulier conclu voilà trois ou quatre ans entre la France, l’Allemagne et une partie du Benelux, et qui s’est étendu en quelques années à dix-sept participants, auxquels se joindront presque inévitablement les plus particularistes, tels que le Royaume-Uni.
La commission des affaires européennes prépare un rapport approfondi sur cette question, qui nous tient particulièrement à cœur, des coopérations renforcées ; mais nous y reviendrons.
Ma conclusion sera que notre pays, d’autant qu’il n’est plus chargé du leadership global – même si l’on joue ici ou là les prolongations, y compris au Caire –, doit reporter son dynamisme, son imagination et son savoir-faire, qui est si grand, sur ces coopérations avancées, qui constituent bien souvent le plus sûr moyen de faire en sorte que l’Europe poursuive sa marche en avant. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de ce débat sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne, auquel nous invite Hubert Haenel.
L’Europe reste en effet un sujet trop souvent absent de nos travaux, alors même que les enjeux de sa construction concernent directement nos concitoyennes et nos concitoyens, et que la plupart de nos lois sont des transpositions de directives. Ma satisfaction est d’autant plus grande que ce débat se déroule ce soir dans notre hémicycle, comme l’a souligné notre collègue Simon Sutour.
De manière quasiment unanime, le monde médiatique, les politiques, les experts et l’administration européenne ont loué un bilan jugé exceptionnel.
Nicolas Sarkozy aurait fait preuve de détermination, de dynamisme et de charisme pendant cette présidence de l’Union européenne à l’image de son mandat national. Balayant tous les obstacles sur son passage, redorant le blason de la politique, permettant des consensus sur des sujets réputés difficiles, il aurait parfaitement maîtrisé les crises politiques, financières, économiques et sociales survenues lors de ces six derniers mois : c’est en tout cas le message que l’on nous assène depuis la mi-décembre !
Au-delà de l’agitation médiatique, je me concentrerai sur le véritable bilan de la présidence française de l’Union et sur la mise en œuvre des quatre priorités annoncées au début de ce mandat.
Certains mérites peuvent, bien sûr, être reconnus à cette présidence. Comme le souligne Hubert Haenel dans sa question, les événements de ce second semestre auront permis de replacer le Conseil européen au cœur des choix et des politiques de l’Union européenne. Nous ne pouvons que souscrire à cette repolitisation du débat.
Cependant, n’oublions pas deux questions fondamentales.
Premièrement, pour rendre véritablement sa légitimité politique à l’Union européenne, il ne s’agit pas seulement de redonner du poids au Conseil européen ; encore faut-il renforcer les pouvoirs du Parlement européen.
Dans cette perspective, comment ne pas reconnaître que cette institution a été malmenée sous cette présidence ? En particulier, comment expliquer que le conseil des ministres ait entériné le rehaussement des relations avec Israël le 8 décembre dernier, alors même que le Parlement européen s’était prononcé pour un report de ce projet cinq jours plus tôt ?
Deuxièmement, si le rôle politique de l’Union a été renforcé, ce renforcement s’est accompagné d’un retour important de l’échelon intergouvernemental, mes collègues Yvon Collin et Simon Sutour l’ont rappelé.
La méthodologie choisie pour la mise en place du plan de relance européen s’est bornée à l’addition de plans nationaux dans le cadre des compétences des États membres. Ce plan a finalement été financé par les États à hauteur de 170 milliards d’euros, pour un effort annoncé de 200 milliards d’euros.
Nous regrettons que cette méthode, laissant beaucoup de place aux tractations interétatiques, écarte la recherche d’un « intérêt général communautaire ». Pourtant, de la définition de cet intérêt communautaire découle directement celle des protections minimales des citoyens et des services publics à mettre en œuvre pour garantir les droits.
De plus, le Président de la République ne cache pas qu’il estime que le leadership de l’Union doit revenir non seulement au Conseil européen, mais également à un petit groupe de pays : l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne. Il a ainsi estimé que « c’est aux grands pays de prendre des initiatives. Ils n’ont pas plus de droits, mais plus de responsabilités. » C’est, je le rappelle, en pleine contradiction avec l’esprit de la construction européenne.
Pour en finir avec les aspects institutionnels, je relèverai qu’Hubert Haenel souligne, dans sa question, les difficultés de la présidence semestrielle. Celles-ci sont certes réelles, mais cette observation suscite un certain étonnement de notre part. Pourquoi un tel regain d’intérêt pour les difficultés liées à la présidence semestrielle ? Tout simplement parce que chacun espérait que la présidence française serait la dernière d’une durée de six mois avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, permettant de porter la durée de la présidence à deux ans et demi. J’attire une nouvelle fois votre attention, mes chers collègues, sur les risques que l’on encourt à vouloir préjuger du vote des peuples, et surtout de leur absence de vote.
La question de l’adoption du traité de Lisbonne illustre parfaitement le déficit démocratique profond de la construction européenne, dont la résorption n’a pas été la priorité de la présidence française, tant s’en faut. En effet, sa mission première, dans ce domaine, aura été de trouver une issue pour contourner le vote des Irlandais.
Afin de soumettre une nouvelle fois ce traité au peuple d’Irlande, le Conseil européen a fait le choix de céder à des revendications nationalistes du gouvernement irlandais, concessions qui ne vont pas dans le sens d’une Europe de progrès.
Ainsi, il est notamment acquis que la Charte des droits fondamentaux ne s’appliquera pas à l’Irlande dans certains domaines, comme la famille. Nous étions déjà inquiets de l’absence de portée contraignante de ce document, mais s’il est vidé de son contenu, sa fonction sera vraiment très limitée, voire inexistante.
Au-delà des questions institutionnelles, l’ambition politique de la présidence française, qui s’est traduite par ses quatre priorités, appelle des commentaires. À cet égard, je dois dire que le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche n’approuve pas le bilan de cette présidence.
La gestion de la crise s’est révélée être simplement de circonstance, puisqu’elle n’a pas permis d’en mettre en lumière les causes profondes et de réorienter les politiques de l’Union européenne.
En effet, selon les sénateurs de mon groupe, les racines de la crise sont à rechercher dans les politiques de libéralisation et de marchandisation de l’ensemble des activités humaines, qui conduisent à la déconnexion des marchés financiers de l’économie réelle.
Alors que la Commission annonce pour cette année, dans ses prévisions économiques révisées, une récession à hauteur de 1,9 % du PIB au sein de la zone euro et la suppression de 3,5 millions d’emplois, rien n’est fait pour protéger les citoyens européens contre la crise sociale.
Bien au contraire, les politiques de déréglementation sont plus que jamais à l’ordre du jour, tout comme l’indépendance de la Banque centrale européenne, le pacte de stabilité et de croissance ou la proscription des aides d’État.
En matière de politique agricole, le bilan de santé de la politique agricole commune, qui devait préfigurer une réforme plus importante de celle-ci, permet de renforcer encore la position des grands exploitants et entérine la suppression des quotas laitiers à l’horizon de 2014.
Sur le plan énergétique, le plan climat européen, qui devait être un succès – l’objectif ambitieux d’une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre a été annoncé –, s’est révélé bien décevant, de l’aveu même des associations concernées.
En effet, de nombreuses dérogations ont été concédées aux industries les plus polluantes, du fait de la pression de pays tels que l’Allemagne, l’Italie ou les pays d’Europe de l’Est.
Outre qu’il impose le principe « pollueur-payeur », qui ne nous semble pas particulièrement satisfaisant, le système des quotas d’émission, placé au cœur de ce plan, laisse en suspens la question des modes de production énergétique, qui est, elle, essentielle. En effet, il ne suffit pas de définir des objectifs environnementaux pour transformer les modes de production dans les cas où ils reposent principalement sur le charbon.
Sur le fond, la libéralisation des marchés de l’énergie ne peut coïncider avec une meilleure prise en compte du facteur environnemental. Comme le souligne le rapport de la mission commune d’information sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, ce secteur ne peut pas être laissé à la « main invisible » du marché. Il faut donc une véritable politique énergétique commune, reposant sur la diversification du bouquet énergétique au profit des modes de production les moins polluants.
Par ailleurs, loin d’offrir l’image d’une Europe accueillante, la politique extérieure de l’Union, illustrée par le fameux pacte sur l’immigration et l’asile présenté le 7 juillet dernier, premier acte fort de la présidence française, pose les bases d’une forteresse défensive. Ce pacte permet non seulement la détention provisoire pendant une durée de dix-huit mois, mais également le renvoi des enfants. De plus, le concept de l’« immigration choisie » ne respecte ni le droit des migrants ni la dignité humaine. Monsieur le secrétaire d’État, tous les murs dressés ne serviront à rien tant qu’un déséquilibre important continuera d’exister entre le Nord et le Sud.
Sur le plan international, le rehaussement des relations avec Israël est scandaleux, notamment au regard de la politique d’occupation menée par cet État. Loin de subir les foudres de l’Union, l’État d’Israël se voit offrir par les Vingt-Sept, comme une récompense, une participation aux programmes communautaires. Nous en sommes choqués et nous demandons la suspension immédiate de cet accord.
En effet, le projet d’Union pour la Méditerranée ne dispense pas l’Union européenne de prendre ses responsabilités au Proche-Orient et de peser plus encore, au-delà de l’aide humanitaire, en faveur d’une résolution politique du conflit, d’une paix juste et durable et de la reconnaissance d’un État de Palestine dans les frontières de 1967, à côté de celui d’Israël.
Je conclurai en évoquant la politique sociale, qui devait être une priorité de la présidence française, à en croire le discours prononcé par le Premier ministre devant l’Assemblée nationale le 18 juin dernier. Le Président de la République avait même affirmé : « Je veux une Europe à l’intérieur de laquelle aucun État ne puisse pratiquer le dumping social. »
Dans cet hémicycle, M. Xavier Bertrand avait désigné comme des priorités de la présidence française la santé et la sécurité au travail, au titre desquelles devaient être prises en compte la pénibilité, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ou encore la responsabilité sociale des entreprises. Ces priorités devaient trouver leur traduction concrète dans des directives, mais on ne peut que déplorer l’immobilisme de la Commission et du Conseil européen sur ces questions !
Ainsi, le rapport de Gabi Zimmer, qui a été adopté à l’unanimité et qui proposait l’instauration d’un salaire minimum à l’échelon européen, n’a pas eu de traduction législative. Je le regrette.
En outre, la reconnaissance d’un droit à la santé n’a pas avancé d’un pouce. Au contraire, un tel droit est sans cesse remis en cause par l’abandon de l’hôpital public au profit de l’initiative privée, qui ne garantit pas l’accès aux soins pour tous.
La seule proposition concrète, heureusement repoussée par le Parlement européen, aura été la fameuse directive sur le temps de travail, symbole du moins-disant social. Sous prétexte d’instaurer des normes minimales, cette directive proposée par M. Xavier Bertrand prévoyait notamment la mise en œuvre de la semaine de soixante-cinq heures, faisant craindre une « régression sociale jamais vue », selon l’expression de la Confédération européenne des syndicats. Nous sommes donc très loin de cette Europe sociale, protectrice, que nous a décrite l’ambassadeur permanent de la France auprès de l’Union européenne lors de sa récente audition par la commission des affaires européennes.
En définitive, la présidence française n’aura pas fait avancer l’Europe sociale. Bien au contraire, elle a persisté dans la voie des politiques libérales qui ont conduit l’Europe dans le mur…
Les élections européennes de juin prochain seront, je l’espère, une occasion pour les peuples de peser en faveur d’une Europe dont les maîtres mots seront non plus « libre concurrence » et « marché roi », mais « justice économique, sociale et environnementale », permettant le développement de tous et le progrès social pour chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.
M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union qui vient de s’achever apparaît comme la plus dense, la plus dynamique et la plus réussie de toutes celles que l’Europe a connues. Ce jugement n’est pas frappé du sceau de l’arrogance française ; il est, au contraire, partagé par la plupart de nos partenaires.
La difficulté des défis qui se sont présentés, l’excellente préparation des dossiers sectoriels, le grand professionnalisme de nos hauts fonctionnaires, mais surtout la clairvoyance, la volonté et l’habileté du Président de la République ont permis de faire avancer l’Europe dans bien des domaines et de la faire apparaître comme un acteur majeur de la vie internationale.
La crise russo-géorgienne, si elle n’avait pas été maîtrisée, aurait pu avoir des conséquences incalculables pour notre continent et ressusciter pour longtemps la guerre froide. Tout n’est pas réglé, mais l’Europe a adressé les deux messages qui convenaient à la Russie : l’Europe ne peut pas transiger avec la liberté des peuples, mais, dans le même temps, elle offre à ce grand pays les perspectives d’un partenariat de paix et de prospérité de l’Atlantique à l’Asie.
Certes, le chemin sera long pour amener progressivement la Russie à comprendre que plus de liberté et plus de démocratie chez elle lui apporteront plus de poids et de considération dans le monde.
De notre côté, il nous faudra également du temps pour aider les anciennes républiques soviétiques à dépasser les craintes et les réflexes qu’elles ont acquis sous le joug de l’Union soviétique, afin d’ouvrir une ère nouvelle de coopération sur l’ensemble du continent eurasiatique.
Cependant, la manière très énergique et très équilibrée avec laquelle le Président de la République a traité cette crise autorise tous les espoirs.
Le deuxième grand dossier de la présidence française fut évidemment le passage brutal de la crise financière à la crise économique. Ce moment crucial réclamait une réaction rapide et de grande ampleur. Il en fut ainsi. Il fallait des mesures immédiates et des résolutions à long terme.
S'agissant des premières, on peut regretter que l’intégration économique de l’Europe ne soit pas arrivée à un stade suffisant pour que la réponse soit essentiellement communautaire. Chaque pays a voulu adapter sa réponse à ses efforts passés, à ses capacités, à sa culture économique. Pour autant, les 11 et 12 décembre derniers, l’Union européenne, pressée par la présidence, a tout de même mis en place des éléments de relance importants, qui s’ajoutent aux politiques nationales et qui démontrent un plus grand souci de cohésion.
Les perspectives à long terme sont encore plus importantes et lourdes de sens. Il s’agit, d’une part, de mieux réguler et de moraliser davantage l’économie mondiale, et, d’autre part, d’associer désormais les grandes nations émergentes aux décisions importantes. Souhaitons à ce propos que le G 20 convoqué à Londres le 2 avril soit à la hauteur des enjeux et de sa nouvelle représentativité.
Ces deux éléments peuvent et doivent changer la face de la mondialisation. Les solutions existent ; elles sont connues, mais il faudra une énergie extraordinaire, un grand courage et beaucoup de solidarité pour parvenir à nos fins.
La troisième action porteuse d’avenir réside dans la relance du processus du traité de Lisbonne, stoppé trois semaines avant le début de la présidence française par le référendum irlandais. Certes, nous eussions préféré avoir à mettre en œuvre ce traité, mais les Français sont mal placés pour critiquer les résultats d’un référendum en Europe ! Le compromis qui a été proposé par la présidence française et adopté par le Conseil nous laisse entrevoir une issue à cette crise, pour peu que nous laissions un peu de temps au temps.
En matière institutionnelle, on pourrait être tenté de considérer, au terme de cette présidence, que la qualité des présidences peut s’exprimer avec des institutions inachevées et que les hommes comptent plus que les institutions, mais les dispositions du traité de Lisbonne sont néanmoins indispensables pour les inévitables périodes de croisière ou de doute que connaîtra encore l’Union européenne demain.
Enfin, l’Union pour la Méditerranée est lancée. Il est bon qu’elle ait gardé son caractère communautaire. Il s’agit d’un objectif très difficile à atteindre et extrêmement ambitieux, mais si le succès est au bout du chemin, ce processus sera porteur de paix, de prospérité et de justice. Il revêtira un caractère exemplaire pour le dialogue Nord-Sud et contribuera, espérons-le, à ce qu’une solution puisse enfin être trouvée au Proche-Orient.
Tels sont, me semble-t-il, les grands dossiers qui vont déterminer dans une large mesure le destin de l’Europe. Chacun d’eux a été traité avec beaucoup d’intelligence et de force. Les germes du progrès sont là : espérons que la conjoncture internationale, l’action des futures présidences et, surtout, la sagesse des hommes permettront leur épanouissement et leur réussite.
Si l’Europe a pu parvenir à de tels résultats et apparaître plus présente que jamais sur la scène internationale, cela est dû à l’énergie d’un homme, le Président de la République française.
Cela est également dû au fait qu’une question institutionnelle lancinante est désormais tranchée. C’est à partir du Conseil européen, et non de la Commission, que se construit le pouvoir exécutif communautaire. Cette question a longtemps fait débat en Europe, mais il ne pouvait pas en être autrement.
Dans le même temps, le Président a bien compris que c’est en respectant la Commission, en acceptant son rôle et en entretenant les meilleures relations avec son président que les institutions atteignent leur efficacité maximale. La guérilla institutionnelle appartient au passé, avant même l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Cela est également à mettre au crédit de la présidence française.
Cette atmosphère positive a permis de faire avancer des dossiers préparés de longue date, qui ont trouvé une traduction concrète sous l’impulsion de la France.
Le bilan de santé de la politique agricole commune, la politique d’immigration, la lutte contre le changement climatique et les progrès obtenus en matière de sécurité et de défense sont autant de pierres apportées par la France à l’édifice européen.
M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, qui avait rendu visite à chacun de ses homologues avant la présidence française, a conduit avec beaucoup d’expertise et de finesse les négociations sur le bilan de la politique agricole commune et les réflexions sur l’évolution de celle-ci.
L’accord du 20 novembre, tout en prenant en compte les évolutions nécessaires, préserve les intérêts français, qui ne sont pas minces en la matière.
Le maintien de l’intervention, un encadrement programmé de la sortie des quotas laitiers, la possibilité de maintenir le couplage pour certaines productions, l’amélioration des dispositifs de couverture des risques climatiques et sanitaires, une plus grande souplesse dans la réorientation possible des aides et, enfin, la limitation du transfert vers le second pilier sont autant d’objectifs atteints, qui rassureront nos agriculteurs tout en prenant en compte la nécessaire évolution de la PAC au-delà de 2013.
La présidence française présente également un bilan très solide en matière d’immigration.
Avant cette présidence, beaucoup de Françaises et de Français avaient le sentiment que la politique française d’immigration était isolée en Europe. Le ministre Brice Hortefeux a démontré le contraire : les fondamentaux de cette politique sont désormais partagés par nos vingt-six partenaires.
Le pacte européen sur l’immigration, préparé à Cannes et conclu à Bruxelles, la politique d’intégration entérinée à Vichy, l’établissement des bases d’une politique contractualisée avec les pays d’origine, réalisé à Paris et d’ores et déjà concrétisé par la signature de sept accords, constituent désormais les fondements de la politique européenne d’immigration, d’intégration et de coopération pour la prochaine décennie.
En matière de lutte contre le changement climatique, cinq directives et un règlement constituant le paquet « énergie-climat » proposé au début de l’année dernière par la Commission ont pu être adoptés les 11 et 12 décembre derniers par le Conseil européen et approuvés par le Parlement.
Moins d’une année pour parvenir à un tel résultat : cela relève de la performance. Les situations très différentes qui prévalent dans les vingt-sept pays pouvaient laisser craindre l’échec. La solidarité entre États membres a permis de transcender les difficultés.
Un plan d’action opérationnel va pouvoir être mis en place, tendant, à l’horizon 2020, à diminuer d’au moins 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à améliorer de 20 % l’efficacité énergétique et à recourir dans une proportion de 20 % aux énergies renouvelables. L’Europe se place ainsi en tête du mouvement pour la transition écologique et énergétique.
Par ailleurs, la France avait annoncé qu’elle entendait dynamiser la politique de défense européenne. Plusieurs initiatives à cette fin ont été lancées pendant sa présidence et leur mise en œuvre a été accélérée.
Nous pouvons donc être fiers et très satisfaits de la façon dont le Président de la République a conduit cette présidence et des résultats qu’il a obtenus.
À cette occasion, nous mesurons les formidables chances que l’Europe offre pour le rayonnement dans le monde d’un pays comme le nôtre. Les eurosceptiques devraient y réfléchir.
En retour, l’Europe bien conduite mesure la place qu’elle est capable d’occuper dans la vie internationale pour peu qu’elle soit unie. Cette présidence a démontré, s’il en était besoin, que l’Europe ne peut être que politique. Que les partisans d’une Europe qui ne serait qu’un simple espace économique y réfléchissent.
Que serions-nous aujourd’hui face à la crise, sans l’euro ? Que ceux qui n’ont pas voulu adopter la monnaie unique s’interrogent à leur tour.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Pierre Bernard-Reymond. Les pays européens ont élaboré un consensus, une politique commune de l’immigration ; qui s’en plaindra ?
Avec le paquet « énergie-climat », l’Europe va apparaître au premier rang de la classe internationale en termes de lutte contre le changement climatique ; qui pourra le regretter ?
Finalement, la plus grande réussite de cette présidence française, c’est d’avoir fait la démonstration que l’Europe n’a jamais été aussi indispensable à notre avenir : une Europe plus proche de ses citoyens, une Europe plus protectrice des intérêts de ses peuples, une Europe qui compte sur la scène internationale et qui agit pour un monde plus libre, plus démocratique, plus pacifique, plus solidaire, plus moral. Oui, on peut le dire ce soir, c’est possible ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien ! Excellente intervention !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État, que j’accueille avec plaisir pour la première fois dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi à la fois un très grand honneur et un plaisir de participer à ce débat engagé par M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Je suis particulièrement sensible au fait que le président du Sénat ait pris sur son précieux temps pour présider personnellement cette séance.
Je dirai tout d’abord, pour paraphraser M. Pierre Fauchon, que, diplomate d’origine, je vais m’efforcer d’être politique dans mes réponses ; mais si je le suis trop, vous me demanderez de redevenir diplomate ! (Sourires.)
Quels enseignements peut-on tirer de la présidence française de l’Union européenne ?
Plutôt que d’en dresser le bilan, ce qui a d’ailleurs déjà été fait, je souhaiterais adopter une vision prospective et envisager ce que l’Union européenne peut entreprendre à l’avenir.
Je retiendrai trois enseignements de notre présidence, qui a été considérée unanimement, aussi bien au Parlement que dans les autres institutions européennes, comme un succès.
Le premier enseignement, c’est le caractère indispensable du sens du compromis.
Comme toujours lorsqu’il s’agit d’affaires européennes, se traitant donc à l’échelle d’un continent, il est nécessaire de trouver un équilibre entre des exigences parfois contradictoires. Le sens du compromis permet de tenir compte des préoccupations des différents États, ainsi que de garantir que nous inscrivons dans la durée ce qui a été décidé au cours d’une présidence de six mois. Je rejoins les excellents propos tenus sur ce point par le président Haenel.
Si nous forçons les décisions sans les fonder sur le compromis, si nous allons contre la volonté, c’est-à-dire contre les intérêts, d’un certain nombre d’États membres, nous pouvons être certains soit qu’elles ne se traduiront pas en actes, soit qu’elles seront remises en cause par des présidences futures.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un premier exemple, celui de la négociation du plan climat.
Si nous avons pu obtenir des résultats, après des heures de négociations, c’est uniquement parce que, précisément, nous avons su prendre en compte les intérêts contradictoires des États membres, mais aussi leur histoire.
On ne peut pas demander à la Pologne, à des pays qui, pendant des années, ont subi la domination communiste, sans pouvoir choisir leur politique énergétique, et se sont vu imposer la construction de centrales au charbon pour toutes sortes de raisons que vous connaissez mieux que moi, de changer d’orientation énergétique du jour au lendemain, de supporter des obligations réglementaires insoutenables pour leur économie. L’Union ne peut leur imposer de telles décisions : cela est impossible au regard de leurs intérêts et, surtout, de leur histoire.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État. Il est donc important que, sur chaque sujet, nous soyons en mesure de tenir compte des intérêts, de l’histoire et de la mémoire des peuples qui composent l’Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État. Sinon, nous retomberons dans ce qui fut à mon sens le travers principal de la construction européenne, à savoir considérer qu’il existe une vérité technocratique contre la mémoire des peuples. Or, l’histoire européenne nous l’a montré, c’est la mémoire des peuples qui l’emporte sur la vérité technocratique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Le deuxième exemple que je prendrai relève d’un sujet essentiel, qui engage véritablement aujourd’hui les équilibres européens pour les années, voire les décennies à venir : il s’agit du choix qui a été fait en matière d’institutions européennes et de négociation du traité de Lisbonne.
Monsieur Sutour, à l’évidence, il aurait été agréable de pouvoir mettre en œuvre, de manière anticipée, le traité de Lisbonne, que nous considérons presque unanimement comme un progrès important dans la construction des institutions européennes, même s’il n’est pas parfait.
Toutefois, si nous avions cédé à cette tentation alors que l’Irlande n’avait pas encore exprimé ses attentes et que nous n’avions pas trouvé ensemble un compromis, nous aurions tout simplement tué définitivement le traité de Lisbonne ! Même s’il était tentant et possible de s’engager dans cette voie, nous l’aurions regretté à long terme.
À cet égard, l’un des mérites de la présidence française est d’avoir obtenu des succès non seulement pour aujourd’hui, mais aussi, s’agissant notamment du plan climat et du domaine institutionnel, pour le long terme.
Un troisième exemple de la mise en œuvre du sens du compromis a trait à la coopération avec les institutions européennes.
La présentation qui a été faite des relations entre le Conseil européen et la Commission au cours de la présidence française est, me semble-t-il, quelque peu fallacieuse.
Pour ma part, j’ai la conviction profonde qu’une Europe qui marche, c’est une Europe qui donne sa véritable place à chacune de ses institutions.
Oui, le Conseil doit avoir l’initiative, comme l’a très bien dit M. Hubert Haenel, mais il faut une Commission forte, un Parlement fort, un Haut représentant fort. C’est lorsque toutes les institutions européennes sont fortes que l’Union européenne est forte en tant que telle.
Ainsi, le Parlement européen a un rôle essentiel à jouer, monsieur Sutour. Il nous a d’ailleurs aidés sur tous les sujets, y compris sur la directive dite « retour », qui a été votée par la majorité du groupe socialiste au Parlement européen. Vous me permettrez cette remarque quelque peu malicieuse à l’adresse de l’opposition !
Cette déférence à l’égard du Parlement européen s’est manifestée de plusieurs manières, au travers notamment des débats que nous avons eus et des déplacements effectués tant par le Président de la République que par de nombreux ministres. Ma conviction personnelle est que nous avons énormément à gagner à travailler beaucoup plus étroitement avec les parlementaires européens, ce qui suppose d’ailleurs que nous fassions quelques progrès, en France, quant à la façon dont nous considérons ces derniers !
Le deuxième enseignement, plus général, que je tire de cette présidence, c’est qu’il est indispensable de réintroduire le sens de la décision et de l’initiative au sein de l’Union européenne.
En effet, la capacité d’entraînement de l’Union dépend de la capacité de décision de l’ensemble des institutions qui la composent. M. Bernard-Reymond, qui a été le premier secrétaire d’État aux affaires européennes de la Ve République,…
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est exact !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État. … sait ce qu’il en est : nous avons autant, sinon davantage, besoin de décisions que de délibérations si nous voulons que l’Union européenne réponde aux attentes de nos concitoyens.
Des décisions, nous en avons prises, en dépit des risques que cela comportait, au sujet de la Géorgie, quand il s’agissait de mettre fin à la guerre entre ce pays et la Russie, mais aussi, beaucoup plus récemment, concernant Gaza, lorsque Bernard Kouchner a convoqué une réunion des ministres des affaires étrangères européens à Paris, le 30 décembre dernier, et lorsque le Président de la République s’est rendu sur place avec la présidence européenne. Avoir le sens de la décision, ce n’est pas vouloir diriger, exercer une autorité sur un autre pays ou dominer dans une situation difficile, c’est comprendre que nos concitoyens ne peuvent pas attendre, accepter que l’Union européenne prenne enfin des risques, sans se contenter d’avancer uniquement quand tout a été décidé et clairement établi. Dans le monde actuel, la décision implique le risque, mais mieux vaut le risque que l’impuissance et le déshonneur qui lui est généralement associé ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président Haenel a demandé si cette gestion particulière des crises avait fait apparaître un nouvel équilibre entre les institutions.
Sans aucun doute, l’action du Président de la République dans le cadre de la présidence française a renforcé le Conseil européen, qui, aux termes du traité d’Amsterdam, donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et définit les orientations politiques générales.
De ce point de vue, la présidence française n’a fait que répondre à l’esprit même des institutions.
Par ailleurs, les temps particuliers de crise économique, financière et géopolitique durant lesquels s’est exercée cette présidence française appelaient une présidence forte et un Conseil assumant toutes ses responsabilités.
Cela étant, la présidence française n’a pas porté atteinte aux autres institutions ni à l’approche communautaire, à laquelle, naturellement, je suis profondément attaché. Au contraire, tant l’action de la Commission que celle du Parlement européen auront été déterminantes en ce qui concerne le pacte européen sur l’immigration, le bilan de santé de la PAC et le paquet « énergie-climat » : chaque fois, les institutions ont joué tout leur rôle.
Au-delà de ces considérations sur les institutions, je reviendrai sur un point qui a été abordé aussi bien par M. Yvon Collin – c’était l’un des axes principaux de son intervention, et j’approuve entièrement ses propos – que par Mme David : il est désormais impératif que s’instaure une plus étroite coordination en matière de politiques économiques.
Il s’agit là d’une conviction personnelle, que je m’applique à mettre en œuvre depuis que j’exerce les fonctions m’ayant été confiées par le Président de la République et le Premier ministre.
À cet égard, l’exemple qui me vient immédiatement à l’esprit, parce que j’y ai travaillé toute la journée avec le Premier ministre, Christine Lagarde et Luc Chatel, est celui de l’industrie automobile.
Certes, il est très bien de mettre en place des plans nationaux ; cela est même nécessaire dans la mesure où ils peuvent être décidés dans des délais très brefs.
Il est très bien que l’Allemagne apporte son soutien à l’industrie automobile allemande et que la France en fasse autant pour l’industrie automobile française. Je ne pense pas, madame David, que vous me contredirez sur ce point, car je sais le souci de votre groupe de défendre l’industrie automobile, notamment l’usine Renault de Sandouville, en Haute-Normandie, pour laquelle vous connaissez mon attachement.
Cela étant, ce serait encore mieux si, de surcroît, ces plans nationaux étaient coordonnés. C’est tout l’objet des démarches que j’ai entreprises depuis un mois et qui ont abouti à la déclaration commune du Président de la République et de Mme Merkel, ainsi qu’à la réunion d’aujourd'hui.
Ce serait encore mieux si, au lieu d’une prime à la casse de 2 500 euros en Allemagne, de 1 000 euros en France et de 850 euros en Italie, existait une seule prime, ce qui permettrait d’éviter les distorsions de concurrence entre les États membres.
Ce serait encore mieux si, en plus des milliards d’euros que chaque État devra dépenser pour l’industrie automobile, la Banque européenne d’investissement, au-delà des premiers actes qu’elle a posés et que je veux saluer, concernant les aides d’État et les investissements publics, pouvait être en mesure de réagir encore plus rapidement en provoquant par exemple une réunion en vue de décider de débloquer davantage de crédits en faveur de la filière automobile que les 4 milliards d’euros prévus à l’échelon européen, somme insuffisante au regard des 25 milliards de dollars consacrés par les États-Unis à la seule entreprise General Motors. C’est cela, l’Europe dont nous avons besoin ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Vous m’avez enfin interrogé, monsieur le président de la commission des affaires européennes, sur les éventuelles incidences du rythme semestriel de la présidence sur les progrès de l’Union.
J’observerai tout d’abord que des progrès ont été faits, depuis plusieurs années, pour assurer la continuité des travaux du Conseil. Par exemple, depuis maintenant trois ans, la présidence en exercice entretient des contacts très réguliers avec celle qui l’a précédée et celle qui la suivra. Je travaille étroitement avec mes homologues tchèque et suédois. Je me suis déjà rendu deux fois à Prague, où j’ai eu des entretiens très approfondis avec M. Vondra, le vice-premier ministre tchèque, qui suit très directement les questions européennes et qui est la véritable cheville ouvrière de la présidence tchèque. Je lui parle au téléphone deux fois par semaine et j’ai passé beaucoup de temps avec lui hier. Nous avons également des contacts avec M. Topolanek, avec qui j’ai eu des discussions poussées sur tous les sujets intéressant la présidence tchèque, et j’ai même eu un échange tout à fait sympathique avec M. Vaclav Klaus, qui n’a pas porté sur les questions européennes, ceci expliquant peut-être cela ! (Sourires.)
Je le dis avec beaucoup de gravité : je n’ai aucun doute sur la volonté de la République tchèque de poursuivre le travail engagé et de faire de sa présidence un vrai succès. Elle en a les moyens, elle en a la volonté, et tous les propos que je peux entendre ici ou là, tous les doutes qui peuvent être émis sur la présidence tchèque me semblent particulièrement malvenus. La façon dont MM. Topolanek et Vondra ont géré la très difficile crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine, où il était bien malaisé d’établir les responsabilités respectives de ces deux États, sauf à les renvoyer dos à dos, a montré qu’ils étaient tout à fait à même de bien conduire la mission qui est la leur aujourd'hui. Je puis donc rassurer MM. Dulait et Sutour sur ce point. Nous travaillons main dans la main avec les Tchèques, nous les aidons lorsqu’ils nous le demandent et nous leur apportons tout notre soutien.
Bien sûr, il faut plus de continuité, tous les orateurs l’ont souligné. Le traité de Lisbonne a précisément pour objet, entre autres, de créer une présidence stable du Conseil européen. C’est pourquoi la ratification de ce traité par tous les États est un enjeu majeur pour 2009. M. Pierre Bernard-Reymond a insisté sur ce point : c’est la condition de l’Europe politique que nous appelons de nos vœux.
Je terminerai par quelques considérations plus personnelles, qui orientent mon action à ce secrétariat d’État, sous l’autorité de Bernard Kouchner, du Premier ministre et du Président de la République.
Je souhaite tout d’abord affirmer devant vous que la présidence française a marqué le retour à la responsabilité politique : c’est ce dont nous avons le plus besoin en Europe à mon sens. Nos concitoyens veulent savoir qui fait quoi et selon quelle légitimité.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Voilà !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. L’Europe a pâti, pendant des années, du décalage existant entre les déclarations de responsables politiques français qui, à Paris, disaient : « ce n’est pas ma faute, c’est celle de Bruxelles », et qui, à Bruxelles, disaient : « faites ce que vous voulez, mais faites-le discrètement, parce que cela passera difficilement chez moi »… Ce n’est pas un discours responsable, et le citoyen ne s’y retrouve pas.
Tel est le premier impératif, qui devra mobiliser nos efforts dans les mois et dans les années à venir si nous voulons que l’Europe reste le grand projet politique auquel nous sommes attachés.
Pour éclairer mon propos, je prendrai l’exemple de la crise économique. Si nous ne sommes pas en mesure de savoir qui fait quoi et selon quelle légitimité, qui fixe les règles applicables aux banques et contrôle leur application, qui définit une position pour le prochain G 20, qui apportera son soutien à la filière automobile, qui présentera une politique de soutien global à l’industrie, qui coordonnera les différentes politiques nationales, les citoyens penseront que l’Europe ne prend pas ses responsabilités, pas plus que les responsables politiques français, incapables de défendre nos positions à Bruxelles, conformément à leur mandat.
Cela rend d’autant plus importante l’échéance des élections européennes de juin prochain. Je le dis sans aucun esprit polémique, il est absolument essentiel que nous considérions désormais qu’être député au Palais-Bourbon – ce fut pour moi un immense honneur –, siéger au Sénat ou être député européen a la même valeur et la même importance pour la défense des intérêts français.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Je passe du temps au Parlement européen. Je discute avec les représentants français qui y siègent, mais aussi avec les représentants allemands et britanniques. Or je constate – il ne s’agit pas pour moi de stigmatiser quiconque – que certains pays sont mieux organisés et défendent mieux leurs intérêts que d’autres.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. L’Allemagne !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Alors que l’on étend le champ de la codécision, c'est-à-dire la capacité du Parlement européen à infléchir la norme à laquelle tous nos concitoyens seront obligés de se soumettre, il serait tout de même normal d’envoyer siéger à Bruxelles et à Strasbourg, à l’instar de ce qui se pratique dans tous les autres grands pays européens aujourd’hui, nos meilleurs responsables politiques, les plus compétents, les plus doués, afin qu’ils défendent nos intérêts nationaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La seconde conviction personnelle que je souhaite exprimer devant vous est qu’il est nécessaire d’établir ce que j’appellerai une double coopération.
Tout d’abord, il convient d’instaurer une coopération étroite entre les institutions européennes. J’en reviens à l’importance que toutes soient fortes, y compris, madame David, le Parlement européen, qui doit jouer son rôle et occuper un espace politique essentiel.
Cette exigence vaut également pour le Conseil et pour la Commission. Je souhaite que le prochain président de la Commission et les futurs commissaires soient forts, de même, bien entendu, que le Haut représentant de l’Union, qui sera le visage de l’Europe sur les théâtres extérieurs.
Nous avons besoin pour cela – M. Hubert Haenel a employé une expression que je reprends volontiers à mon compte – de faire émerger des personnalités fortes à l’échelon de l’Europe : il ne faut pas que la vie politique n’en compte qu’à l’échelle des nations.
Cela étant, je vous le dis en praticien des affaires étrangères depuis maintenant un certain nombre d’années, il n’y aurait rien de pire que de faire preuve de naïveté dans ce domaine. À côté de la coopération des institutions, une coopération des nations est nécessaire.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Ne croyons pas que nous pourrons nous reposer uniquement sur la coopération des institutions. Il faut également une coopération des États membres de l’Union, comme l’a suggéré M. Fauchon.
À cet égard, je ne vous étonnerai pas en vous disant toute l’importance que j’attache à un renforcement des liens entre la France et l’Allemagne, à une nouvelle conception de leurs relations, non seulement parce que l’histoire européenne s’est construite autour de celles-ci – la frontière du Rhin est peut-être la frontière essentielle de cette histoire –, mais aussi parce que c’est notre intérêt économique, politique et culturel.
Il faudra également élargir nos relations avec d’autres grands États, notamment l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni, tout en prenant en compte l’identité – j’en reviens au premier point de mon intervention – d’un certain nombre de pays que nous négligeons trop souvent, à savoir ceux d’Europe centrale. C’est sans doute une des initiatives importantes du Président de la République que de s’être engagé dans cette voie. J’ai passé du temps à Prague et à Bratislava, je connais bien Varsovie : je puis vous dire que ces États ont une identité, une mémoire, des difficultés, une cohésion propres. Si nous les laissons de côté, si nous ne savons pas prendre en considération ces éléments, tout ce que nous entreprendrons avec les Allemands ou avec les Britanniques restera lettre morte sur le long terme, car les États d’Europe centrale n’y participeront pas et nous diront : « Ce n’est pas l’Europe que nous voulons ! »
Cette coopération me paraît essentielle, notamment face à la nouvelle administration américaine. Ce point a été souligné, notamment, par M. Collin. Nous nous trouvons à un moment particulier de l’histoire du monde, où un espoir considérable a été suscité par l’élection américaine. Il faut que, en regard, les institutions européennes soient fortes et en ordre de marche, que les États membres coopèrent entre eux et dialoguent constamment afin de dégager les compromis que j’évoquais tout à l’heure. Sinon, nous ne pèserons pas face aux États-Unis, et nous ne les intéresserons même pas.
À ce titre, j’aurais aimé évoquer de manière plus approfondie la défense européenne et l’OTAN, sujet qui me tient à cœur, mais l’heure tardive m’en empêche.
Je me bornerai donc à souligner que des progrès importants ont été accomplis dans ce domaine. Un éventuel retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, envisagé par le Président de la République, suppose que deux conditions soient réunies.
En premier lieu, nous devons poursuivre le renforcement de la défense européenne. Des avancées significatives ont été obtenues sur le terrain à cet égard, que ce soit au Kosovo, en Afrique ou en Afghanistan, mais il importe que nous continuions à progresser, notamment sur cette question difficile et importante du commandement stratégique et du centre de planification.
À ce sujet, nous devons commencer par balayer devant notre porte. Lorsque je suis entré au Quai d’Orsay, voilà maintenant presque une dizaine d’années, je me souviens très bien, pour avoir été chargé de ces questions à la direction des affaires stratégiques, que le problème majeur sur ce thème de la défense européenne était que les Américains s’opposaient aussi bien à l’idée d’un centre de planification stratégique qu’à celle d’un centre de conduite d’opérations. Aujourd'hui, non seulement ils ne s’y opposent plus, mais ils y sont favorables. La balle est maintenant dans notre camp : si nous voulons mettre en place une défense européenne, nous devons aussi nous en donner les moyens, nous doter des budgets et de la volonté politique nécessaires.
J’insiste sur ce point, car les Européens ont parfois du mal à concevoir qu’ils ont des intérêts stratégiques propres, ne se confondant pas point par point avec ceux des Américains, et qu’ils seraient donc bien avisés d’apprendre à les défendre seuls.
Je voudrais enfin exprimer ma conviction qu’il est urgent, pour l’Europe, de repenser son rôle historique dans le monde.
La force de l’Europe, c’est la mémoire sur laquelle elle s’appuie, c’est l’histoire qu’elle a vécue, dont je vous ai déjà longuement parlé et qui a été marquée, en particulier, par la guerre froide, le totalitarisme, le souvenir de la Shoah, le refus de la guerre, la volonté de promouvoir la paix et de régler les différends par le droit. Tout cela est au cœur de la construction européenne.
Cependant, cette imprégnation culturelle européenne, qui est essentielle et à laquelle j’attache une importance fondamentale, ne doit pas nous empêcher de voir que l’histoire se joue aussi ailleurs. Il ne faut pas continuer à considérer tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés à travers le seul prisme de la guerre froide, de l’OTAN, de l’affrontement entre les blocs, d’idéologies qui sont parfois dépassées.
Lorsque je rencontre nos amis tchèques ou d’autres pays d’Europe centrale, je leur explique que la meilleure garantie de sécurité qu’ils peuvent avoir, ce n’est pas forcément la présence de troupes américaines sur leur territoire, c’est peut-être le renforcement de leurs liens avec l’Europe et la mise en place d’une défense européenne.
Oui, il y a une mémoire européenne, mais elle ne doit pas nous conduire à l’immobilisme ni à oublier de voir le monde tel qu’il est. L’Europe doit donc considérer que l’histoire du monde aujourd'hui, ce n’est pas simplement sa propre histoire, aussi tragique soit-elle ; c’est aussi celle de l’immigration et du développement de l’Afrique, indispensable si nous voulons régler définitivement ce problème migratoire qui préoccupe tant nos concitoyens. Le développement de l’Afrique est une priorité absolue, madame David, je vous rejoins sur ce point : il fait partie de l’histoire qui se joue à nos portes.
De la même façon, le poids acquis par les pays musulmans dans les équilibres géopolitiques est une donnée de l’histoire à laquelle l’Europe doit maintenant prêter plus d’attention qu’aux conséquences de la chute du mur de Berlin, qui est maintenant derrière nous. L’émergence du Brésil, de l’Inde, de la Chine sur la scène internationale, notamment économique, doit également nous préoccuper davantage que d’anciennes questions aujourd'hui dépassées.
Dans le même ordre d’idées, nous devons non pas vivre dans le souvenir de l’ancien empire soviétique, mais prendre en considération le fait que la Russie est un pays immense mais en même temps fragile, dont l’économie évolue lentement et reste insuffisamment développée en raison de la nature principalement minière et gazière de ses ressources. Nous devons donc impérativement renforcer nos liens économiques et stratégiques avec ce pays.
Voilà l’histoire dans laquelle l’Europe doit entrer si elle veut véritablement peser de tout son poids dans le monde.
Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe n’est pas qu’une affaire d’institutions, elle est aussi une affaire de conscience et de vision. Si elle a l’audace de voir le monde tel qu’il est, elle retrouvera sa place dans l’histoire au moment où les États-Unis s’apprêtent à le faire. C’est ce qui se joue en 2009, et ce que je souhaite de tout cœur ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. En application de l’article 83 ter du règlement, je constate que le débat est clos.
7
Retrait de questions orales
M. le président. J’informe le Sénat que les questions orales n° 359 de M. Claude Biwer et n° 389 de Mme Marie-Thérèse Hermange sont retirées du rôle des questions orales, à la demande de leurs auteurs.
8
Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la performance énergétique des bâtiments (refonte).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4222 et distribué.
9
Dépôt d'un rapport d'information
M. le président. J’ai reçu de MM. Didier Boulaud et André Trillard un rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur l’évolution de la présence internationale au Kosovo après l’indépendance.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 174 et distribué.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 21 janvier 2009, à quinze heures et le soir :
1. Projet de loi (n° 154, 2008-2009), adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2009.
Rapport (n° 162, 2008-2009) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
2. Projet de loi (n° 157, 2008-2009), adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés.
Rapport (n° 167, 2008-2009) de Mme Élisabeth Lamure, fait au nom de la commission des affaires économiques.
Avis (n° 163, 2008-2009) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Avis (n° 164, 2008-2009) de M. Laurent Béteille, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 21 janvier 2009, à zéro heure cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD