compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

Mme Monique Cerisier-ben Guiga,

M. Jean-Paul Virapoullé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures quarante.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication audiovisuelle

Nomination des présidents de sociétés de l'audiovisuel public

Suite de la discussion d’un projet de loi et d'un projet de loi organique déclarés d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France et du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, adoptés par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence (nos 144, 145, 150, 152 et 151).

Comme nous en sommes convenus hier, nous examinerons en premier lieu les trois motions portant sur le projet de loi organique et, en second lieu, les trois motions portant sur le projet de loi ordinaire.

projet de loi organique

Exception d’irrecevabilité

 
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Assouline et Bel, Mmes Blandin et Bourzai, M. Lagauche, Mmes Lepage, Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°1 rectifiée.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (n° 144, 2008-2009).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention a pour objet de démontrer, ce qui ne sera pas très ardu, que le texte du projet de loi organique est contraire à la Constitution de la République française.

Madame la ministre, je présenterai successivement trois arguments.

Le premier argument, c’est tout simplement la Constitution, telle qu’elle a été modifiée il y a peu de temps.

Au préalable, je rappellerai l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui nous inspire constamment : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme […] ».

Conformément à ce texte fondateur, notre Constitution prévoit, dans son article 34, récemment modifié, que la loi fixe les règles concernant « les droits civiques et les garanties fondamentales accordés au citoyen pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias […] ».

Or, madame la ministre, il ne vous a pas échappé - d’ailleurs, nous avons bien compris que vous aviez quelques difficultés à répondre sur ce point – que le texte du projet de loi organique était tout à fait contraire à l’article 34 de la Constitution puisqu’il porte atteinte au principe de l’indépendance des médias.

Dans tous les pays du monde, on comprend facilement qu’il y a contradiction absolue entre, d’une part, l’indépendance des médias et, d’autre part, la nomination des présidents des chaînes audiovisuelles publiques par décret du Président de la République. Cette contradiction est tellement évidente qu’on ne peut l’ignorer.

On mesure l’imprudence d’avoir présenté cette mesure ainsi que cela a été fait. D’ailleurs, lorsque M. Nicolas Sarkozy, président de la République, l’a annoncée, tout le monde a été surpris, abasourdi. Vous-même, madame la ministre, l’avez été, comme bon nombre de personnes présentes ici, les membres de l’UMP comme d’ailleurs ceux du groupe socialiste.

Personne n’imaginait que l’on pût revenir à cette règle du passé selon laquelle la télévision publique était sous la dépendance directe du pouvoir exécutif.

M. Alain Gournac. Cela a toujours existé !

M. Jean-Pierre Sueur. Voilà le premier argument, dont je dirai presque qu’il se suffit à lui-même, monsieur le président. Mais, comme j’ai à cœur d’occuper le temps qui m’a été imparti (Exclamations sur plusieurs travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. Non, ce n’est pas la peine !

M. Jean-Pierre Sueur. …- je vous remercie, mes chers collègues ! - j’en viens derechef au second argument, qui ressort de la décision du Conseil constitutionnel en date du 11 octobre 1984 sur la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.

Une remarque préalable s’impose à ce sujet. Vous pensez bien, mes chers collègues, qu’en octobre 1984 ce ne sont pas les membres de l’actuelle opposition qui ont saisi le Conseil constitutionnel sur un tel projet de loi.

M. Michel Mercier. Moi non plus !

M. Jean-Pierre Sueur. Je vous épargnerai l’énumération des brillants personnages - dont certains siègent d'ailleurs dans notre assemblée - qui ont signé ce recours.

Le Conseil constitutionnel, dans son considérant 37, qui est essentiel et qui depuis fait autorité, a déclaré : « S’agissant d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou de principes de valeur constitutionnelle ».

Madame la ministre, ce projet de loi rend-il les garanties plus effectives qu’elles ne le sont en l’état actuel ? Vous connaissez, bien entendu, la réponse. On nous a répété à satiété toutes les considérations qui aboutissent, par un grand effort de dialectique, à prouver le contraire. Comme mes collègues, notamment Mmes Tasca et Blandin, ainsi que MM. Assouline et Lagauche, l’ont abondamment souligné hier, les conditions de nomination des membres du CSA sont telles que la consultation de cet organe et l’exigence de son avis conforme ne changeront rien, nous le savons tous très bien, au résultat du processus

En ce qui concerne l’idée, que nous avons combattue lors du débat sur la réforme constitutionnelle, selon laquelle il suffirait que 80 % des membres des commissions parlementaires concernées s’opposent à la nomination pour qu’elle ne puisse pas prendre effet, vous savez bien qu’il s’agit d’une garantie parfaitement illusoire !

Depuis le début de la Ve République, il ne s’est pas trouvé une seule occurrence de composition des commissions concernées des deux assemblées qui aurait conduit à désavouer dans ces proportions le pouvoir exécutif. Cette idée est totalement utopique, inenvisageable et n’apporte aucune garantie.

Nous avions proposé que la nomination à une fonction aussi importante que celle de président de France Télévisions fasse l’objet d’une décision positive prise par les trois cinquièmes des membres des deux commissions concernées. Dans ce cas, il aurait fallu que les groupes de la majorité, les groupes d’opposition et minoritaires trouvent un accord sur une personnalité incontestable. Comme nous avons pu le constater récemment, une telle possibilité est envisageable puisque la commission des lois du Sénat a donné un avis unanime sur la nomination de M. Jean-Marie Delarue comme contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous avons estimé que cette personnalité offrait toutes les garanties nécessaires. Une telle solution est donc possible, mais, reconnaissez-le, vous n’en voulez pas.

Nous ne tournons pas autour du pot. « Le Président de la République devient désormais l’initiateur et le titulaire du pouvoir de nomination », comme le soulignait M. Frédéric Allaire, maître de conférences à la faculté de droit de Nantes dans la revue AJDA.

Pour Mme Monique Dagnaud, qui est experte de ces sujets, le fait « que l’exécutif nomme directement le président de France Télévisions marque un recul par rapport aux libertés publiques ». Quoi qu’on puisse en dire, il est patent aujourd'hui que cette nomination est l’apanage exclusif d’une autorité indépendante. Ce projet de loi organique sera peut-être voté, mais je doute très sérieusement de sa conformité à la Constitution, puisque le président de France Télévisions, dont les responsabilités sont si importantes, sera nommé demain essentiellement, et dans les faits exclusivement, par décret du chef de l’État.

Mes chers collègues, dans ce cas, le Président de la République imposerait, révoquerait, instrumentaliserait. Il procède déjà ainsi puisque le pouvoir exécutif a obtenu de M. de Carolis qu’il mette en œuvre une telle disposition avant qu’elle soit votée, et même discutée, par le Sénat, ce qui a entraîné notre si légitime indignation.

Permettez-moi de vous lire ce qu’un observateur avisé a écrit en décembre dernier dans l’hebdomadaire Le Point : « Au moins les choses seront-elles claires, répètent, avec une intarissable jubilation, les thuriféraires du sarkozysme cathodique.

« Au moins sortira-t-on de l’hypocrisie qui faisait croire à l’indépendance d’une autorité de régulation dont chacun sait qu’elle était à notre botte.

« L’argument est insultant pour ceux qui, de la Haute Autorité de Michèle Cotta au CSA d’Hervé Bourges ou de Dominique Baudis ont été un peu mieux que des pantins et ont tenté de remplir leur mission avec probité.

« Mais il est surtout choquant par l’idée que l’on se fait du fonctionnement d’une société : quand une institution marche mal, faut-il la détruire ou l’amender ? […] Faut-il, sous prétexte que d’aucuns se conduisent comme des larbins, institutionnaliser le larbinat ? Fallait-il, en un mot, que le vice se prévalût de ses propres turpitudes ? » (Sourires.)

Comment ne pas s’insurger contre cette manière « d’arguer des failles d’un système pour le remplacer par un système ouvertement délinquant, cette façon de se gausser de la faillibilité des hommes pour décréter nul et non avenu l’effort lent, patient, parfois ingrat que l’on fait pour y remédier et qui est l’essence même de la démocratie » ?

Vous l’aurez reconnu, l’auteur de ces lignes est Bernard-Henri Lévy.

J’en viens maintenant à mon troisième argument. Madame la ministre, cela ne vous surprendra pas, j’ai quelques scrupules à l’aborder tant les deux premiers sont confondants par la clarté qui se dégage non pas de mes propos, mais de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la lettre même de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 26 juillet 1989 sur la loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, précise que, « s’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, c’est à la condition que l’exercice de ce pouvoir n’aboutisse pas à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».

Sur ce fondement, il a admis que le législateur dote d’un président commun les deux sociétés nationales de programme de télévision et prévoie que le Conseil supérieur de l’audiovisuel procède à une nouvelle nomination dans le mois suivant la publication de la loi, « considérant que les modifications ainsi apportées à la loi du 30 septembre 1986 n’affectent pas le mode de désignation des présidents des sociétés nationales de programme ; que leur nomination relève toujours d’une autorité administrative indépendante » – ce membre de phrase est très important –, « et la durée de leur mandat reste fixée à trois ans ; que ces modifications n’aboutissent donc pas à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».

Madame la ministre, il est patent que votre projet de loi organique est contraire à ces considérants du Conseil constitutionnel. J’ai d’ailleurs été très frappé par la lecture du rapport de notre collègue de l'Assemblée nationale, M. Christian Kert. Vous le savez bien, vous qui êtes une fine lettrée, il est très important de chercher la dimension subliminale des textes.

À la page 432 du rapport – je me suis donné la peine d’aller jusque-là ! –, il est indiqué que « des garanties équivalentes, ou des garanties suffisantes, peuvent donc permettre d’assurer la constitutionnalité d’une disposition législative, même lorsqu’elle peut sembler s’inscrire, sur certains points, en retrait par rapport à des dispositions législatives antérieures ».

Madame la ministre, la formulation qui a été employée et que je savoure : « même lorsqu’elle peut sembler s’inscrire […] en retrait » est un aveu subliminal. Le rapporteur de l'Assemblée nationale est très ennuyé, comme nous, comme vous, parce que ce mode de désignation est contraire à la Constitution.

À la page suivante de son rapport, M. Kert s’est surpassé et a atteint des sommets en ajoutant : « Il est donc possible de considérer que le dispositif qui est proposé […] est donc conforme aux exigences constitutionnelles. » Madame la ministre, vous rendez-vous compte de la portée de tels écrits ?

Cette formulation trahit l’embarras du rapporteur. Lorsqu’on entend vraiment défendre qu’un texte est conforme à la Constitution, lorsqu’on en est convaincu, on ne dit plus qu’il est « possible de considérer » qu’il est conforme à la Constitution ! (Sourires.) Madame la ministre, le rapporteur est aussi gêné que vous et nous !

Pour conclure, je voudrais citer de nouveau Bernard-Henri Lévy : « La France avait le choix entre plusieurs solutions pour non pas casser le système, mais le faire avancer.

« Il y avait le cas de l’Espagne, où les dirigeants des chaînes sont nommés par le Parlement.

« Celui de la ZDF allemande, qui les voit nommés par un collège issu de la société civile.

«  Il y avait le BBC Trust, modèle d’indépendance.

« [La France] a choisi la machine à remonter le temps.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. « Elle a opté, bien dans l’esprit de l’époque, pour le cynisme ricaneur de la toute-puissance assumée.

« Puissent les sénateurs prendre la mesure de cette inédite régression ! »

Mes chers collègues, j’espère que nous aurons tous à cœur de nous opposer à ce projet de loi organique, qui, à l’évidence, bafoue notre Constitution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission est défavorable à cette motion, qui conteste dans son principe même le texte dont nous discutons.

La commission tient à le préciser, le projet de loi organique ne remet pas en cause les dispositions de l’article 34 de la Constitution, qui confie au législateur le soin de fixer les règles garantissant la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. Le texte se contente de tirer les conclusions logiques de l’article 13 de la Constitution, qui, tel que modifié par la récente réforme constitutionnelle, vise précisément à apporter des garanties supplémentaires pour un certain nombre de nominations particulièrement essentielles pour la vie démocratique, économique et sociale de notre pays, parmi lesquelles figure la nomination du président de France Télévisions. La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un peu court !

M. Alain Gournac. Mais clair !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement émet bien évidemment un avis défavorable sur cette motion. Comme j’ai eu l’occasion de m’en expliquer hier soir à l’issue de la discussion générale, j’estime que le mode de nomination tel qu’il est prévu par le projet de loi organique représente une prise de responsabilité de la part de l’État actionnaire et s’inscrit dans le droit-fil d’une logique selon laquelle celui-ci fixe des missions et garantit des ressources, dans le contexte d’une vaste offre audiovisuelle.

Cette nomination est assortie de fortes précautions.

Il y a, tout d’abord, l’avis conforme du CSA. J’observe d’ailleurs que le CSA est tantôt présenté comme un fantoche, tantôt loué pour son indépendance. En l’espèce, son avis conforme représente une réelle garantie.

Il y a, ensuite, le débat public au Parlement devant les commissions compétentes, qui, j’en suis convaincue, sera dense. La personnalité à laquelle il sera fait appel et qui sera ensuite auditionnée sur son projet devra tenir la rampe et présenter de nombreuses garanties de compétences.

Voilà pourquoi cette mesure a toute sa légitimité. Le Conseil d’État, bien qu’il ne soit pas le Conseil constitutionnel, est aussi un juge de la constitutionnalité ; or il a approuvé le projet de loi organique.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 71 :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 330
Majorité absolue des suffrages exprimés 166
Pour l’adoption 143
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France
Demande de renvoi à la commission (début)

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par M. Ralite, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 3.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (n° 144, 2008-2009).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jack Ralite, auteur de la motion.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand j’étais ministre de la santé, j’ai acquis l’idée que la façon dont un État traite la psychiatrie, la folie, en sachant qu’« un fou est aussi quelqu’un qui dit des vérités que la société ne veut pas entendre », disait beaucoup sur sa politique. Je dirai la même chose de la télévision, que certains ont d’ailleurs appelée la « folle du logis ».

La télévision touche à tout, aux institutions – elle est une parmi les plus grandes –, à la politique, à l’information, à la création, aux divertissements, aux savoirs, à l’imaginaire, à toutes « les allures de la vie » privées et publiques quelles que soient les générations. On ne s’en préoccupe donc pas à la légère.

Le Président Sarkozy a une ambition : il veut une réforme « historique ». Il n’affabule pas. Ses projets de loi, nous devons donc les traiter à la même hauteur, non pas comme un sujet technique annexe, en discutant seulement de la suppression de la publicité ou de la soirée TV commençant à vingt heures. Si on se limitait à cela, on cacherait le fond des choses. Or c’est sur le fond des choses que nous devons réfléchir, débattre et décider.

Notre assemblée est bafouée de voir que le projet de loi est déjà appliqué depuis le 5 janvier, par décision imposée à la direction de France Télévisions, alors que nous avons commencé son examen hier, mercredi 7 janvier. Nous devons répliquer pour défendre notre dignité en posant les vraies questions.

La première, la plus importante, c’est le cadre politique. Il s’agit de la manière dont la réforme a été préparée et imposée en défiant notamment le Parlement.

Nicolas Sarkozy se considère comme le « manager » de la France, qu’il veut, à marche forcée, transformer en « entreprise France ».

M. Alain Gournac. Il a raison, là aussi !

M. Jack Ralite. S’il n’est pas l’inventeur de cette idée berlusconienne, il la porte dans une situation de crise, de concurrence exacerbée, rendue non libre et toujours faussée par un capitalisme financier devenu prédateur.

Selon cette vision, nous serions dans une « guerre économique » avec un « front avant » de compétiteurs, notamment les grands groupes audiovisuels qualifiés de « champions nationaux », et un « front arrière » assurant la logistique à l’aide des secteurs publics de la santé, de l’éducation, de la culture et des services à la personne. D’un côté, la compétitivité et, de l’autre, la cohésion sociale. Voilà cette philosophie libérale dangereuse et simpliste !

C’est pourquoi le Président de la République pense qu’il doit concentrer tous les pouvoirs, comme un P-DG, exigeant la performance et des obligations de résultats de chacun. Mais la France n’est pas une entreprise et sa stratégie ne se fait ni à la corbeille ni au CAC 40.

La forteresse élyséenne a un cabinet pléthorique et onéreux avec des relations extérieures choisies, le tout assurant une « expertise d’excellence », base d’une véritable « industrie politique » autoréférentielle, en interaction avec un MEDEF qui s’est délivré de toute considération humaine à l’égard des non ou peu solvables. Le tout est un ordre de contraintes, un véritable bloc historique où étatisme et affairisme sont entremêlés. Le Président Sarkozy fabrique un État de droit privé qui détricote au sécateur le droit public, un État privé de droit en quelque sorte ...

Nous, parlementaires, sénateurs ou députés, qu’avons-nous face à cette « démocrature » naissante mais déjà proliférante à travers une RGPP verticale s’ajoutant à une LOLF et à ses dérives que beaucoup de ses auteurs n’avaient pas prévues ?

Nous avons notre statut de représentants des citoyens et nos liens avec les collectivités locales. Mais soyons lucides, les problèmes sont de plus en plus complexes et volontairement techniques.

Nous avons les lobbies qui nous visitent avec leurs projets d’amendements tout prêts. Or l’intérêt général exige autre chose.

Nous avons une administration très compétente. Mais le Sénat devrait aussi bénéficier d’un service d’expertise et de recherche en relation étroite avec des universités. Le président Larcher devrait y songer vite dans son souci déclaré de favoriser notre travail. Autrement, nous risquons de devenir une représentation non représentante.

Nous menons un combat, surtout quand l’exécutif nous presse pour « alléger » nos travaux, écourter nos débats, et écorne à la machette notre droit d’amendement. Le terme « amendement » est d’origine rurale et signifie « modification dans le sens d’une amélioration de la fertilité du sol ». L’examen des projets de loi sur l’audiovisuel en est une expérimentation grandeur nature !

Le Président de la République instaure en fait un bougé constitutionnel. Il s’est arrogé le droit de nomination et de révocation des présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. Certes, cette nomination, qui demeure le fait du Prince manager, pourra être celle d’une personnalité d’ouverture. J’imagine même qu’il le fera, comme nous en avons l’expérience depuis son élection. Cependant, rien ne l’a empêché de muter M. Bockel, de bloquer Mme Amara, d’amoindrir M. Kouchner, de « caritativiser » M. Hirsch, de perdre M. Jouyet et d’absorber M. Besson.

M. Alain Gournac. Et ce n’est pas fini !

M. Jack Ralite. Cela touche même la majorité. Il n’a pas tenu compte de l’avis de M. Copé ni de sa commission, présentée publicitairement, puis ignorée péremptoirement. Il a même imposé à M. de Carolis de supprimer lui-même la publicité avec son conseil d’administration.

Il veut une télévision publique dont il rêve d’être le grand organisateur d’abord et le grand éducateur ensuite, en écho à la déclaration de Mme Parisot pour qui chaque chef d’entreprise devrait être comme un instituteur du « début du XXe siècle ».

La télévision n’est pas un pouvoir absolu, elle est un pouvoir important, surtout si l’on sait l’utiliser. À ce jour, Nicolas Sarkozy s’en sort bien : il maîtrise la TV du flot. Il utilise avec mépris la télévision à qui il fait faire tous les métiers ! Que sera-ce quand il aura les mains libres ? C’est ce que prévoit le projet de loi, malgré de faux freins : le CSA, qu’il a qualifié d’« hypocrite », et les commissions chargées des affaires culturelles des assemblées parlementaires. À cet égard, on a vu comment la nôtre, par exemple, a été traitée lorsqu’elle a osé proposer d’augmenter raisonnablement la redevance, le 19 décembre dernier.

Et puis quel vocabulaire présidentiel ! Le débat à l’Assemblée nationale, qui ne lui convient pas, c’est la pagaille, comme les jeunes de la banlieue qui ne lui reviennent pas, c’est la racaille. Triste attirail verbal ! Qu’il ne s’étonne pas d’avoir maille à partir avec beaucoup, y compris dans son sérail.

Nous ne voulons pas que les libertés constitutionnelles déraillent, et cela n’est pas un détail. La télé mérite notre travail.

M. Dominique Braye. Aïe aïe aïe !

M. Jack Ralite. Nous, parlementaires, ne devons pas être sages, nous devons être courageux, assumant même dans la circonstance d’être désobéissants, et je pèse mes mots.

Mes chers collègues, courage donc ! Les lois auxquelles nous sommes confrontés sont une coproduction à trois. Elles visent à relever des défis : le fleurissement des nouvelles technologies, notamment du numérique qui a plus de trente ans, la multiplication massive des supports de diffusion, le lancement de la TNT, la télévision numérique terrestre, et son succès, les nouveaux entrants à dimension industrielle comme Lagardère, Bolloré et France Télécom, une nouvelle répartition des ressources – la redevance qui baisse, la publicité qui recule, les abonnements qui progressent et même la gratuité qui combat – et enfin la suppression de l’analogique pour 2011.

Le premier coproducteur de ces lois est le Président Sarkozy. Il suffit de relire la lettre de mission qu’il a adressée à Mme Albanel le 1er aout 2007, les discours du 8 janvier 2008 sur la suppression de la publicité sur France Télévisions et du 25 juin 2008 sur la stratégie qu’il a arrêtée.

Le deuxième coproducteur est le groupe Bouygues, qui possède TF1 et qui a transmis, avant les vœux de 2007, un Livre blanc de multipropositions – je devrais dire d’injonctions –, dont quatre fondamentales structurent le présent projet de loi.

La première, c’est l’assouplissement des contraintes pesant sur les groupes d’édition, c’est-à-dire la suppression du dispositif anti-concentration plurimédia voté en juillet.

La deuxième, c’est l’assouplissement de l’accès à la ressource publicitaire, c’est-à-dire l’application intégrale de la directive européenne SMA, services de médias audiovisuels, ce qu’a fait, à un chouïa près, contrairement à tous les autres pays d’Europe, le gouvernement français.

La troisième, c’est le financement du service public exclusivement par des fonds publics, c’est ce que décide, sans y parvenir, le projet de loi qu’on veut nous imposer d’adopter.

La quatrième, c’est libérer la programmation de ses obligations de production, c’est-à-dire gommer la définition de l’œuvre audiovisuelle. Ah qu’il gênait le vote unanime des deux assemblées du 22 novembre 2006 sur cette définition qui attend toujours un décret gouvernemental ! Il ne viendra jamais, le Gouvernement ayant préféré remettre cette définition à la négociation des acteurs, qu’une partie d’entre eux ont signée avec une diminution des obligations de production pour TF1.

Le troisième coproducteur est la philosophie libérale du rapport Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel, élaboré par l’inspection des finances et la publicité réunies. Devenu feuille de route du Gouvernement, il impose une vision comptable et financière du savoir et de la culture, traités comme de simples actifs financiers.

Quand on a cette coproduction à l’esprit et qu’on en lit dans la loi le bégaiement servile, nous ne pouvons y répondre que par un « Non » majuscule de résistance. Avec le groupe CRC-SPG, nous allons faire notre devoir en pensant aux citoyens-téléspectateurs et à ceux qui exercent les métiers nécessaires à la télévision, des artistes aux techniciens et aux personnels administratifs. Nous ne jouerons pas au « non » parce que d’autres disent « oui », au « oui » parce que d’autres disent « non », nous essaierons d’être, comme le disait si finement Scott Fitzgerald, « la marque d’une intelligence de premier plan [...] capable de se fixer sur deux idées contradictoires sans pour autant perdre la possibilité de fonctionner ».

Nous voulons que la télévision de service public vive en France avec son héritage qui est grand, sans ses défauts qui ne sont pas petits, mais surtout avec un accomplissement que nous sentons voir venir. La loi Sarkozy est une loi fermée, une sorte d’« acte noir », dirait Hamlet, une déclinaison de la dogmatique managériale. On dirait que le Président veut conclure l’histoire de la télévision dans l’immédiat, en en pétrifiant le sens.

Quant à nous, nous proposons une Responsabilité publique de l’audiovisuel, de l’information et de la communication, la RESPAIC – qui est le féminin de respect –, locale, nationale et internationale. Dès 1987, les états généraux de la culture, avec des milliers d’artistes de toutes disciplines, sensibilités et esthétiques, ont avancé cette idée dans une Déclaration des droits de la culture qui fut traduite en quatorze langues – la japonaise, la chinoise, l’arabe.

Les médias et les moyens de communication électroniques sont devenus aujourd'hui un besoin essentiel pour la vie quotidienne de chacun, la société, l’économie, la démocratie et les échanges internationaux. Ce sont des biens communs, des biens publics mondiaux qui doivent être régulés à chaque niveau territorial de responsabilité. Ces biens publics doivent être reconnus dans un droit universel à la communication actualisé comme un droit de l’homme, conformément à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il est urgent de construire ce droit en France, en Europe et dans le monde : pour combattre les inégalités dans l’accès à l’information et à la communication et favoriser l’association humaine universelle, pour refuser la guerre économique fratricide des nations et développer les coopérations économiques et les échanges culturels, pour rejeter les enfermements dogmatiques et soutenir le développement de la culture, de la recherche, de la création et de l’innovation.

Pour se fassent la reconnaissance et la mise à jour de ce droit universel à la communication, nous avons besoin de cette RESPAIC, qui fixe les principes fondamentaux de la régulation et de l’éthique universelles.

Cette RESPAIC se définit par des missions, des droits et des obligations d’intérêt général appliqués à l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel et des communications électroniques, qu’ils soient privés ou publics, locaux, nationaux ou internationaux.

J’en profite pour vous dire que M. Meirieu a rédigé dans Le Monde un article de très grande qualité sur la responsabilité des médias, sur lequel nous devrions beaucoup réfléchir.