M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. David Assouline. Alors, notre République connaîtrait une de ses heures sombres, oubliant ce que Victor Hugo nous conseillait quand il déclarait devant l’Assemblée nationale, le 11 octobre 1848 : « [la] liberté [de l’Assemblée], [...] sa dignité même sont intéressées à la plénitude de la liberté de la presse [...] ». On dirait aujourd’hui : à la liberté des médias.
Mais je sais que le Sénat est capable de provoquer le sursaut. Ce sera son honneur et la démonstration spectaculaire de son utilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Madame la ministre, permettez-moi tout d’abord de vous faire part de la désapprobation, pour ne pas dire de l’indignation, du Sénat quant aux conditions dans lesquelles nous devons examiner ce projet de loi.
Mme Françoise Laurent-Perrigot. C’est juste !
M. Hervé Maurey. Nous devons en effet examiner un texte dont la mesure principale, aux yeux mêmes de son instigateur, le Président de la République, est la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, disposition désormais sans objet puisqu’elle a été obtenue par une décision du conseil d’administration de France Télévisions, à la demande expresse de son actionnaire, l’État.
Nous y voyons – je le dis avec mesure, mais gravité ! – une marque de mépris pour le Parlement, dont on nous dit pourtant qu’il convient de revaloriser le rôle, tout particulièrement pour ce qui concerne la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Le Président de la République a souligné ce matin, lors de ses vœux aux parlementaires – vous y assistiez, madame la ministre –, qu’il souhaitait un Parlement fort. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
La suppression de la publicité sur France Télévisions n’avait certainement pas un caractère d’urgence de nature à justifier que l’on fasse ainsi fi de notre assemblée. Je rappelle que la commission Copé, au sein de laquelle siégeait notre collègue Mme Morin-Desailly, avait recommandé la mise en œuvre de cette mesure en septembre 2009.
Je ne vois pas en quoi l’allongement excessif des débats à l’Assemblée nationale justifie que le Sénat soit privé d’un examen au fond de cette mesure, sauf à considérer, comme un nombre trop élevé de nos concitoyens, que le Sénat ne sert à rien. (Et voilà ! sur les travées du groupe socialiste.)
Il aurait été certainement plus correct et plus respectueux des droits et prérogatives du Sénat de différer d’un mois, voire de deux, l’application de cette disposition plutôt que de procéder ainsi.
Mme Françoise Laurent-Perrigot. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Hervé Maurey. Cette décision ne crée pas, et je le regrette, le climat de confiance et de sérénité qui me semble pourtant nécessaire aux relations entre le Gouvernement et le Sénat, d’autant plus, vous le savez, que notre assemblée reste à convaincre du bien-fondé de votre réforme.
Pour tout dire, on peut même s’interroger sur la nécessité d’examiner ce projet de loi dès lors que la mesure centrale en est exclue !
Bien entendu, nous ne voterons pas les motions de procédure proposées par l’opposition, car nous souhaitons un débat au fond sur l’autonomie du service public de l’audiovisuel, c’est-à-dire sur son financement et, plus particulièrement, sur la question de la redevance et des différentes taxes que vous proposez.
Nous souhaitons également engager avec vous une véritable discussion permettant d’améliorer ce texte.
Avant d’en venir à ces questions qui constituent pour nous, vous l’avez compris, le « point dur » de ce débat, j’évoquerai d’autres aspects du texte, également importants, qui sont contenus dans les titres Ier et Il de ce projet de loi, les titres III et IV étant plus techniques, même si nous serons attentifs à certains aspects de la transposition de la directive de 2007.
Nous nous réjouissons que France Télévisions devienne un média global regroupant chaînes hertziennes, internet avec télévision de rattrapage, vidéo à la demande, télévision mobile personnelle.
Nous nous félicitons également, madame la ministre, de la transformation en une entreprise unique du groupe France Télévisions, qui compte aujourd’hui quarante-neuf sociétés et 11 000 collaborateurs. Nous y voyons clairement une mesure positive qui permettra de dégager – du moins l’espérons-nous – de réelles économies, évaluées à 140 millions d’euros par la commission Copé.
Ce projet de loi permet donc d’espérer que le service public de l’audiovisuel sera rationalisé et attractif. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.
Pour être en mesure de rivaliser avec ses principaux concurrents européens, le service public de l’audiovisuel doit aussi être autonome.
Sur ce point, la question de la nomination du président de France Télévisions est importante.
Le projet de loi prévoit que le président de France Télévisions soit nommé par décret en conseil des ministres après avis conforme du CSA et avis des commissions parlementaires compétentes.
Critiqué par certains de nos collègues, y compris au sein de notre groupe, ce dispositif ne me pose pas de problème à titre personnel, pas plus qu’à la majorité du groupe de l’Union centriste.
Il n’est pas anormal, en effet, que le dirigeant de France Télévisions soit choisi par son actionnaire, et nous considérons que la procédure proposée – avis conforme du CSA et avis des commissions compétentes – permet d’encadrer ce pouvoir de nomination. Le vote négatif émis récemment par la commission des affaires économiques sur la nomination d’un candidat à la présidence du Haut Conseil des biotechnologies démontre que les parlementaires, notamment les sénateurs, savent exercer pleinement et souverainement leurs prérogatives.
Je pense que les députés ont également bien fait de calquer la procédure de révocation sur la procédure de nomination, car les conditions de révocation sont, en termes d’indépendance, au moins aussi importantes que celles de nomination. Un dirigeant aisément révocable ne jouit en effet d’aucune autonomie.
Bref, tout irait bien sans la question du financement de France Télévisions !
J’ai dit tout à l’heure ce que nous pensions des conditions hâtives et cavalières de cette suppression.
Sur le principe, j’avoue, à titre personnel, ne pas être convaincu que publicité et télévision de qualité sont antinomiques.
Je crois que France Télévisions a pu, malgré la publicité, prouver au cours des dernières années sa spécificité de chaîne publique avec une programmation de qualité.
L’émission Des racines et des ailes en est la preuve, comme le sont également un certain nombre de fictions réalisées à partir d’œuvres littéraires, telles que Guerre et Paix et des romans de Maupassant.
Je crois également qu’une chaîne publique ne doit pas être totalement déconnectée de l’audimat pour, selon les termes du nouveau cahier des charges dont je salue le caractère ambitieux, « intéresser sans ennuyer » et « garder la dimension populaire ». Chaîne d’ores et déjà exigeante, France Télévisions doit, à mon sens, garder sa spécificité.
Toujours sur le principe même de la suppression de la publicité, j’ai du mal à comprendre que l’on s’attaque à des problèmes qui ne se posent pas quand il y en a, par ailleurs, tant à régler dans notre pays !
Qui donc demandait la suppression de la publicité à la télévision ?
Mme Catherine Tasca et M. Jean-Pierre Sueur. Personne !
M. Hervé Maurey. Personne, et, en tout cas, certainement pas les téléspectateurs, qui, je le reconnais, ne peuvent pas y être défavorables.
N’y avait-il pas des sujets plus urgents à traiter ? Aujourd’hui même, en pleine crise économique, ne devrions-nous pas plutôt discuter d’autres sujets qui intéressent plus directement les Français ? J’avoue avoir quelques scrupules à nous voir aujourd’hui débattre de ce texte déclaré d’urgence ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et du groupe socialiste.)
Rassurez-vous, je ne suis pas hostile à la suppression de la publicité !
M. Dominique Braye. C’est sûr !
M. Hervé Maurey. Cette solution a été retenue par les principaux pays européens.
C’est une demande maintes fois formulée par les socialistes, qui devraient donc se réjouir de la voir acceptée et applaudir ce projet de loi. Les centristes eux-mêmes l’avaient réclamée en 2002.
Mais, très honnêtement, cette suppression n’est pas opportune en ce moment, et elle n’est pas acceptable dans ces conditions.
M. David Assouline. Eh oui !
M. Hervé Maurey. Lorsque, le 8 janvier 2008, le Président de la République a annoncé sa décision, la situation du pays n’était pas celle que l’on connaît aujourd’hui.
Je rejoins pleinement Édouard Balladur – il est peu suspect d’« antisarkosysme » – qui, le 13 octobre, suggérait que l’on « suspende la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision pour dispenser l’État de les aider ».
Je rejoins également Édouard Balladur qui, à l’époque, suggérait que cette économie soit affectée au financement du RSA plutôt que de créer encore – ou devrais-je dire « déjà » ? – une nouvelle taxe !
Lorsque le Président de la République a annoncé la suppression de la publicité, le déficit prévisionnel du budget de l’État pour 2008 était de 41 milliards d’euros. On sait qu’il dépassera 57 milliards d’euros en 2008 et ira sans doute bien au-delà de 60 milliards d’euros en 2009.
A-t-on vraiment les moyens de se passer aujourd’hui de recettes publicitaires ? Assurément non !
Je partage également l’avis du rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, le député UMP Gilles Carrez, qui, au-delà des réserves émises sur les taxes que vous proposez et dont nous reparlerons, a regretté que l’on supprime la publicité, « moteur de la consommation au moment où la croissance bat de l’aile ».
Je rappellerai, enfin, que le secteur audiovisuel doit faire face non seulement à la crise économique mais également à des surcoûts liés à la double diffusion analogique et numérique jusqu’en 2012 et au passage à la télévision haute définition.
Incontestablement, et c’est ce que nous regrettons, le moment ne pouvait pas être plus mal choisi pour mettre en place cette réforme ; il aurait été beaucoup plus sage d’attendre 2012.
Plus grave, cette suppression n’est pas acceptable dans les conditions proposées, car elle n’offre pas à France Télévisions la garantie d’un financement autonome et pérenne.
Le financement autonome et pérenne est le seul véritable garant de l’avenir du service public, de sa qualité et de son autonomie, bien davantage que le mode de nomination de son président.
Dès lors que la télévision publique ne bénéficie plus de recettes publicitaires, le seul mode de financement possible, c’est la redevance. Tous les pays occidentaux, sans exception, ont procédé ainsi.
On sait ce qu’il en est en France, où la redevance s’élève à 116 euros quand elle est supérieure à 200 euros en Grande-Bretagne et en Allemagne.
En Allemagne, la redevance rapporte à la télévision publique le double de notre redevance, offrant ainsi à l’audiovisuel allemand les moyens de ses ambitions.
La redevance en France n’a pas augmenté depuis 2001, et elle a même légèrement diminué en 2004. La Cour des comptes a eu l’occasion de souligner que cette situation « correspond à une baisse en termes réels de l’ordre de 10 %, ce que déplore avec constance la commission des affaires culturelles.
Nous ne proposons naturellement pas de porter la redevance au même montant que dans les principaux pays européens, mais nous considérons qu’il convient d’augmenter son produit.
Nous proposerons, pour cela, d’élargir son assiette aux personnes qui ne la payent pas, car elles n’ont pas de téléviseur, mais reçoivent la télévision par un ordinateur ou un portable incluant une offre de télévision. Cette mesure, qui se pratique déjà en Allemagne, permettrait de dégager environ 30 millions d’euros.
Nous demanderons également qu’une redevance bénéficiant d’un abattement de 50 % soit payée par les occupants de résidences secondaires, ce qui rapporterait 120 millions d’euros. Quand on a une résidence secondaire, on peut acquitter, me semble t-il, moins de 60 euros par an !
M. Henri de Raincourt. Ce sont les riches !
M. Hervé Maurey. Sinon, il vaut mieux la vendre !
En tout état de cause, le montant total de la redevance serait plafonné à une redevance et demie par foyer.
Nous suggérons également que la redevance soit augmentée de 3 ou 4 euros, c'est-à-dire d’environ 3 %. Je rappelle qu’elle n’a pas augmenté depuis 2001.
Quelles que soient leurs difficultés, je ne connais pas de Français qui ne puissent faire face à une augmentation de ce niveau.
Je rappelle par ailleurs que cinq millions de foyers sont exonérés de la redevance.
Je suis affligé – et je pèse mes mots – que le Gouvernement, par un manque de courage politique évident, se soit opposé à l’augmentation de 2 euros adoptée par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, à la demande de notre commission des affaires culturelles et de notre commission des affaires économiques. On ne fait pas de réformes quand on n’a pas le courage de les financer !
Vous préférez recourir à des taxes, car vous pensez qu’elles passeront mieux politiquement, parce qu’elles sont réputées indolores ; mais vous savez très bien qu’elles seront finalement répercutées sur le consommateur. Il n’y a pas de taxe indolore !
Si les opérateurs de télécommunications doivent verser l’équivalent de 8 % de leurs résultats, ils augmenteront d’autant la facture des abonnés. Cela sera bien pire en termes de pouvoir d’achat pour nos concitoyens, car la hausse sera largement supérieure à 3 ou 4 euros par an !
La commission des affaires économiques évalue cette hausse à 15 euros minimum par an. Je pense, pour ma part, que l’on sera plus proche d’une treizième facture mensuelle par an !
En vérité, il n’y a pas d’autre solution que la redevance pour assurer le financement autonome et pérenne du service public de l’audiovisuel. Et si vous considérez vraiment que la redevance n’est pas juste, alors, réformez-la !
Mettez en place la commission de modernisation de la redevance dont le Premier ministre a annoncé la création !
Fixez-lui un calendrier « serré » et revenez dans quelques mois nous proposer un financement par une redevance réformée !
Mieux vaut attendre un peu et mettre en place une solution adaptée aux enjeux de l’audiovisuel public. En tout état de cause, dire qu’on va en débattre après le vote de ce texte, ce n’est pas sérieux ! C’est bel et bien dans le cadre de ce débat que cette question doit être tranchée !
Aujourd'hui, vous prévoyez l’instauration de deux taxes – encore des taxes, ai-je envie de dire ! – après le 1,1 % créé pour financer le RSA.
Dois-je rappeler que nous appartenons à une majorité qui s’est engagée à réduire les prélèvements sur les entreprises pour favoriser l’emploi ? Au-delà, ces taxes présentent de nombreux inconvénients.
Tout d’abord, elles ne sont pas affectées au financement de France Télévisions, ce qui ne manque pas de nous inquiéter, car on a vu dans le passé un certain nombre de taxes se perdre dans la masse globale du déficit de l’État.
Sans remonter à la défunte vignette automobile, l’exemple de la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, la TACA, qui rapporte plus de 600 millions d’euros pour 80 millions d’euros affectés au Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, est, hélas ! révélateur.
France Télévisions n’a donc aucune garantie quant à ses ressources au-delà de 2011 puisque son financement n’est assuré que pour trois ans.
Comment peut-on construire un secteur audiovisuel public fort que nous appelons tous de nos vœux sans lui assurer les moyens de ses ambitions ?
Comment peut-on affirmer des ambitions fortes pour France Télévisions et laisser le devenir de son financement au bon vouloir des gouvernements futurs ?
Fait plus préoccupant peut-être, ces taxes sont illégitimes.
Pourquoi, en effet, taxer les recettes publicitaires des chaînes privées pour financer le service public ? Quelle curieuse démarche de financer une société par la taxation de ses concurrents et de lier, par là même, les ressources du service public à la réussite du secteur privé !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est étrange, en effet ! C’est même complètement paradoxal !
M. Hervé Maurey. Je rappelle, par ailleurs, que la publicité à la télévision et à la radio est déjà taxée et que la pression fiscale sur les recettes publicitaires est aujourd’hui estimée à 6,28 %.
L’Assemblée nationale a quelque peu amélioré le dispositif initial en réservant cette taxation à l’effet d’aubaine, et non à la totalité du chiffre d’affaires.
Mais aujourd’hui, le dispositif est complexe, et personne ne sait ce qu’il rapportera, en tout cas certainement pas les 80 millions d’euros initialement prévus !
Quant à la taxation des opérateurs de télécommunications, ce dispositif est encore plus « baroque » que le précédent, et je m’associe pleinement aux propos de M. Bruno Retailleau sur ce sujet.
Il n’y a, en effet, aucun rapport entre l’activité de ces sociétés et la télévision, d’autant que, comme l’a rappelé M. Retailleau, la partie audiovisuelle de leurs activités, extrêmement faible au demeurant, a été exclue de l’assiette de la taxation, ce qui est quand même un comble ! Comment ne pas s’étonner que 85 % des recettes destinées à compenser la suppression de la publicité n’ont aucun rapport avec la production et la diffusion d’images ?
Je vous rappelle par ailleurs que les fournisseurs d’accès à internet, en acquittant un versement au Compte de soutien à l’industrie cinématographique et à la production audiovisuelle, le COSIP, qui sert à financer le Centre national de la cinématographie, le CNC, participent déjà au financement de la création.
Quitte à instaurer une taxe, j’aurais trouvé plus logique de taxer les ventes de téléviseurs. Il existe en effet un lien entre téléviseur et télévision. De surcroît, les sites de production étant implantés bien loin de notre pays, une telle taxe n’aurait eu aucun effet sur l’emploi.
En réalité, vous cherchiez une assiette large pour dégager des recettes et votre choix s’est, malheureusement, porté sur ce secteur, qui paye ainsi son dynamisme. Taxer ceux qui réussissent me semblait pourtant aux antipodes du projet du Président de la République.
Dans quelques jours, nous allons débattre du plan de relance du Gouvernement. Ce plan ne mentionne à aucun moment le numérique comme moteur de l’économie.
Aux États-Unis, le président Obama a fait le choix inverse, en centrant son plan de relance sur les télécommunications et le numérique. Nous, nous préférons taxer ce secteur, l’un des plus dynamiques et des plus stratégiques de l’économie, alors que nous savons, selon les prévisions de l’INSEE, que près de 170 000 emplois seront détruits au premier semestre de cette année.
Nous demandons en outre à ce secteur de financer le plan France numérique 2012, présenté en octobre par le Président de la République lui-même.
Comment ce plan, dont il convient de saluer l’ambition et le bien-fondé, sera-t-il réalisé si les entreprises sur lesquelles il repose sont lourdement taxées ?
La couverture numérique du territoire, que ce soit du point de vue de l’internet haut débit ou de la téléphonie mobile, constitue pour nous une priorité. Et, en tant que sénateurs, nous sommes bien placés pour savoir que trop de territoires en sont encore privés. Je le dis solennellement, je préfère que les opérateurs soient incités à couvrir ces zones blanches, voire contraints de le faire, plutôt que les voir, une fois encore, « ponctionnés ».
Aussi, si cette taxe devait être adoptée par le Sénat, nous demanderions, au minimum, que les investissements réalisés pour assurer la couverture du territoire soient déduits de l’assiette taxable et que le taux de 0,5 % proposé par la commission Copé soit préféré à celui de 0,9 %.
Enfin, toujours sur la question du financement, nous devrons veiller à ce que l’objectif d’économie de 140 millions d’euros évoqué par le rapport Copé soit atteint. Naturellement, le service public de l’audiovisuel devra chercher, lui aussi, à optimiser ses coûts.
Voilà, madame la ministre, mes chers collègues, les principaux points que je voulais évoquer à ce stade de la discussion.
Vous l’aurez compris, ce texte comporte à nos yeux des éléments positifs.
Nous nous réjouissons de votre volonté de rationaliser le service public audiovisuel ; nous soutenons les ambitions que vous lui fixez ; en revanche, nous ne comprenons pas votre refus d’en tirer les conséquences financières. C’est pour cela que votre projet de loi n’est pas, en l’état, acceptable par les membres de l’Union centriste.
Vous le savez, madame la ministre, nous avons à cœur d’apporter notre soutien au Gouvernement et nous souhaitons réellement pouvoir voter en faveur de ce projet de loi. Mais il faudra pour cela que vous acceptiez de nous entendre et que vous preniez en compte nos remarques et nos propositions.
Nous sommes vos partenaires ; nous avons toujours été des alliés loyaux et nous entendons le rester. Mais être dans la majorité ne signifie pas être des « godillots ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. On verra !
M. Hervé Maurey. Être partenaire n’implique pas de dire toujours oui, même quand on refuse de nous entendre. La solidarité n’implique pas d’approuver le contraire de ce à quoi l’on croit. (Sourires ironiques sur les mêmes travées.)
Le groupe du Nouveau Centre a montré à l’Assemblée nationale qu’il souhaitait être davantage entendu. C’est dans le même esprit que le groupe Union centriste du Sénat aborde l’examen de ce projet de loi, avec le sincère espoir, je le répète, de pouvoir apporter son soutien au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 5 février 2008, de seize heures à vingt heures, la commission des affaires culturelles avait réuni une table ronde sur le thème : « Quelles réformes pour le secteur de l’audiovisuel ? »
Étaient présents, outre des sénateurs, les cinq chaînes historiques et des organisations professionnelles. Vingt-six personnes extérieures étaient conviées mais aucun syndicaliste, aucun journaliste, aucun artiste, aucun chercheur, aucun représentant des téléspectateurs ne l’était ! Nous nous situions dans la foulée du coup d’éclat présidentiel du 8 janvier qui, sans même que la ministre de la culture ou le président de France Télévisions n’en soient préalablement avertis, annonçait la suppression de la publicité à la télévision publique.
Une étude du cabinet Goldman et Sachs du 6 novembre 2007 annonçait : « Nous nous attendons à ce que le secteur audiovisuel français connaisse des changements importants dans les mois qui viennent, ce qui devrait être un facteur positif pour TF1 et M6. » Une étude de la Société Générale du 2 novembre 2007 tonnait contre le « cadre réglementaire le plus contraignant en Europe » pour la télévision. Quant au Livre blanc, ou plutôt au cahier de doléances de TF1, il présentait dans le détail la réforme du Président de la République. Cela illustre, au passage, le lien étroit entre économique et pouvoir politique. Comme si les affaires du Gouvernement étaient désormais réduites au « Gouvernement des affaires »…
Pour sa part, Mme la ministre était intervenue au MIPCOM - marché international des contenus audiovisuels - d’octobre 2007. Un courtier en bourse avait alors commenté : « Tout est positif dans ce projet ! » Les grands diffuseurs commerciaux avaient déjà reçu une cascade de cadeaux en 2006 et 2007, tout cela sous le régime du « nouvel esprit des lois », à savoir le dogme libéral franco-européen de « la concurrence libre et non faussée ».
Le 9 janvier 2008, le secrétaire général de l’UMP, M. Devedjian, jugeait qu’il y avait « peut-être un peu beaucoup de chaînes publiques » et suggérait « quelques privatisations ». Pour sa part, le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Jean-François Copé, estimait que France Télévisions pourrait faire des économies.
Depuis, toutes les questions que je viens de rappeler ont été illustrées par l’instruction du dossier de la télévision publique. La dernière preuve en a été apportée sur France Inter, le 3 décembre dernier, quand le député UMP Frédéric Lefebvre a expliqué que la télévision publique comptait 11 000 employés alors que toutes les télévisions privées n’en comptaient que 8 500.... CQFD ! Il oubliait que l’essentiel des effectifs de la télévision publique est lié au maillage du territoire par les équipes d’information et de production de France 3, facteur majeur de démocratie et de cohésion sociale. Ce point est essentiel pour les sénateurs qui sont proches des collectivités territoriales.
Sans malice, j’ajouterai qu’au printemps dernier Christine Lagarde affirmait : « La France est un pays qui pense. » Aujourd’hui, j’aimerais vous dire : assez pensé, maintenant, retroussons nos manches !
Eh bien, je vais retrousser mes pensées, enrichi de toutes les auditions que j’ai pu conduire, et examiner quatre grandes questions traitées par les deux projets de loi Sarkozy qui nous sont soumis : l’élection du président de France Télévisions, l’organisation de son financement, le traitement du pluralisme et, enfin, la politique de création.
S’agissant de la présidence de France Télévisions, je noterai que c’est la première fois en Europe, aux États-Unis et au Canada qu’un président d’un groupe de chaînes de télévision publique est nommé par le chef de l’État. C’est contraire à la démocratie ! Le chef de l’État n’est ni un patron ni, seulement, un actionnaire. La télévision et la radio publiques appartiennent aux citoyens ; elles sont leur affaire et ceux-ci doivent s’en mêler au premier chef, directement et par l’intermédiaire de leurs élus. L’État et, a fortiori, le Gouvernement n’y agissent que par délégations et ne doivent y exercer qu’une influence minimale, voire nulle. La pratique d’autonomie de cette responsabilité de l’audiovisuel public vis-à-vis de l’ensemble des auditeurs et téléspectateurs est et doit demeurer un principe cardinal de notre démocratie. On ne peut se contenter de répéter l’antienne « ce qui est bon pour General Motors est bon pour le pays »… Comme le rappelle Pierre Legendre, « État vient du latin stare - se tenir debout. Autrement dit, ce curieux mot intraduisible en dehors de la civilisation de tradition ouest-européenne renvoie à certaines opérations destinées à faire tenir quelque chose debout - en France faire tenir debout c’est ce que nous appelons la République ».
Or le projet de loi organique met en cause l’indépendance et l’autonomie des chaînes publiques. Pire, le droit monarchique de nommer est complété du droit princier de révoquer : c’est une première dans la tradition du service public à la française ! Quand TF1 a été privatisée, on a parlé de « mieux-disant culturel », ici c’est « le mieux-disant autoritaire ». Ce n’est pas la fin d’une hypocrisie mais le début de l’arbitraire. L’avis demandé au CSA est effarant puisqu’il a été qualifié d’« hypocrite » par le Président de la République lui-même. Quant à l’avis du Parlement, c’est une joyeuseté indécente quand on sait comment le pouvoir actuel le traite et annule des décisions, fussent-elles unanimes !
Nous proposons quant à nous un processus : les assemblées créeraient une commission permanente spécialisée en matière d’audiovisuel, de médias et de pluralisme qui traiterait de toutes les questions concernant le domaine des images et des sons. Cette commission proposerait une liste de cinq noms de candidats à la présidence de France Télévisions, laquelle serait examinée par le CSA, lui-même reconfiguré. Enfin, le Conseil d’administration de France Télévisions, lui aussi recomposé afin d’être plus représentatif, procéderait à l’élection de son président. Une telle formule serait mieux à même de respecter l’autonomie des entreprises publiques. Le Président de la République n’aurait pas le pouvoir de révocation, tant il est vrai que ce dernier ne saurait être utilisé que pour des fautes très graves, qui relèvent de la justice ordinaire.
Dans ces conditions, la loi organique n’a plus lieu d’être et nous en demandons la suppression, l’élection du président de France Télévisions étant mentionnée à l’article 8 du projet de loi ordinaire.
Pour le financement de France Télévisions, le constat est clair. Il est insuffisant dans la première période, de 2009 à fin 2011 : il faudrait 650 millions d’euros et l’État n’en apporte que 450 millions. De surcroît, il n’est pas pérenne puisque ses modalités ne sont pas précisées au-delà des trois ans, alors qu’une gestion responsable exigerait une garantie de recette induite par une redevance fixée à l’avance pour au moins dix ans, comme dans le cas de la BBC, où le montant indexé de la redevance est un pilier essentiel du contrat passé entre les citoyens, via le Parlement et l’opérateur public.
Au-delà de 2011, l’insuffisance du financement devient une béance et une menace majeure pour le périmètre de France Télévisions. Il faudra alors trouver un milliard d’euros – 830 millions d’euros pour la suppression de la publicité et 200 millions d’euros pour les programmes de remplacement. Il est dramatique que l’État mette ainsi en abîme la télévision publique. Précisons que la compensation actuelle des 450 millions d’euros proposée par l’Élysée coûtera bien plus cher que prévu au budget général, puisque la majorité de l’Assemblée nationale a déjà minoré les taxes assises sur la publicité des télévisions privées ainsi que sur les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d’accès à internet, les FAI. De plus, ce financement doit encore être examiné par la Commission européenne, dont l’opinion reste incertaine. Comment le Gouvernement ose-t-il présenter un plan de financement aggravant dans d’aussi fortes proportions le sous-financement déjà récurrent de France Télévisions et pour lequel le Président de la République avait même envisagé une augmentation de la publicité ?
Nous avançons pour le financement trois propositions.
Première proposition : une augmentation de la redevance et sa modulation selon les revenus. C’est la seule authentique, significative et légitime mesure garantissant la pérennisation du service public. Le Premier ministre propose qu’une commission parlementaire et professionnelle soit créée pour étudier un produit de substitution à la redevance. Nous récusons ce projet, y compris la composition d’une telle commission. L’expérience de la commission Copé est suffisante pour ne pas être renouvelée. Les parlementaires représentent l’intérêt général. Ils doivent donc avoir la maîtrise de l’élaboration des solutions. Certes, ils doivent auditionner mais ils ne coproduisent pas la loi avec une partie des intéressés, notamment avec des lobbies industriels ou autres groupes de pression. Vous pourrez toujours, mes chers collègues, chercher dans la proposition du Premier ministre les syndicalistes, les artistes, les techniciens, les chercheurs et les représentants des téléspectateurs. Ils sont introuvables ! Mais il est vrai que cela devient une habitude…
La deuxième ressource financière proviendrait d’une taxe de 1 % sur la totalité des investissements publicitaires bruts dans et hors médias, à l’exception de ceux concernant le spectacle vivant, la presse écrite quotidienne, l’édition et le cinéma. Une telle taxe, assise sur une assiette de 32 milliards d’euros, rapporterait plus de 300 millions d’euros par an.
La troisième proposition serait de renoncer à la suppression de la part de publicité demeurant sur France Télévisions en 2012.