Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
2. Candidatures à des commissions mixtes paritaires
3. Modification de l'article 3 du règlement du Sénat. – Adoption des conclusions du rapport d’une commission.
Discussion générale : MM. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Pierre Michel, Michel Mercier, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Clôture de la discussion générale.
Amendement no 3 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Michel Charasse, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Bernard Frimat, François Fortassin. – Rejet par scrutin public.
Adoption de l’article unique.
Articles additionnels après l’article unique
Amendement no 1 de M. Yvon Collin. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le président de la commission, le président, Jean-Michel Baylet. – Retrait.
Amendement no 2 de M. Yvon Collin. – Retrait.
MM. Jean-Pierre Michel, Alain Dufaut, Philippe Dallier, Michel Houel, François Fortassin, le président de la commission, Michel Charasse.
Adoption, par scrutin public, de la résolution.
M. le président.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
4. Crise du logement et développement du crédit hypothécaire. – Discussion d’une question orale avec débat.
MM. Thierry Repentin, auteur de la question ; Philippe Dallier, Martial Bourquin, Mmes Odette Terrade, Michèle André.
Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
5. Assurance récolte obligatoire. – Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission.
Discussion générale : MM. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi ; Daniel Soulage, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Yvon Collin, Daniel Raoul, Gérard Le Cam, Gérard César.
M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.
Adoption des conclusions du rapport de la commission tendant à ne pas adopter la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
6. Nomination de membres de commissions mixtes paritaires
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
8. Diffusion et protection de la création sur internet. – Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence.
Discussion générale : Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication ; MM. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
MM. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles ; Mme la ministre.
M. Serge Lagauche, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mlle Sophie Joissains, Mmes Françoise Laborde, Catherine Tasca, M. Richard Yung, Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme la ministre.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
10. Dépôt de propositions de loi
11. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
13. Dépôt d'un avis
14. Dépôt d'un rapport d'information
15. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
J’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi en faveur des revenus du travail.
J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
3
Modification de l'article 3 du règlement du Sénat
Adoption des conclusions du rapport d’une commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution, présentée par M. Gérard Larcher, tendant à modifier l’article 3 du règlement du Sénat afin de renforcer le pluralisme dans l’organe dirigeant du Sénat (nos 3, 44).
Dans la discussion générale, la parole est M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, mon intervention sera brève, car la proposition de résolution déposée par M. le président du Sénat n’appelle pas de longues digressions. Il s’agit de faire passer de six à huit le nombre des vice-présidents, et de douze à quatorze celui des secrétaires.
Je rappelle que nous avons déjà connu un précédent historique en 1991, lorsque le nombre des vice-présidents du Sénat a été porté de quatre à six.
Quelles raisons ont-elles incité le président du Sénat à déposer cette proposition de résolution ? Elles sont à mon avis nombreuses, et je vais m’efforcer de les résumer.
Il s’agit, en premier lieu, d’assurer une meilleure répartition de nos travaux.
Chacun a pu s’apercevoir, au cours des derniers mois, que la surcharge de travail a été considérable. Nous avons souvent dû siéger du lundi au samedi, jour et nuit, pour examiner une multiplicité de textes, dont beaucoup après déclaration d’urgence : les vice-présidents ont donc dû se succéder au « plateau » afin d’assurer le bon déroulement de nos travaux. On peut légitimement se demander, dans ces conditions, si le nombre de six vice-présidents est suffisant pour faire face à la tâche.
De même, monsieur le président, vous avez souhaité à bon escient faire passer le nombre des secrétaires de douze à quatorze. Il est en effet arrivé à plusieurs reprises qu’aucun des douze secrétaires, tous pris par de nombreuses obligations, ne soit présent en séance. Avec l’augmentation de l’effectif, la présence de certains secrétaires en séance sera donc garantie de façon plus satisfaisante.
Cette meilleure répartition du travail va de pair avec le souci d’assurer une meilleure représentation des groupes parlementaires au sein du bureau du Sénat.
Si nous appliquions un système strictement proportionnel, il est à craindre, du fait de l’importance numérique du groupe de l’UMP et du groupe socialiste, que les petits groupes comptant une quinzaine de membres ne disposent pas du nombre de représentants qu’ils souhaitent au sein d’un bureau comprenant seulement six vice-présidents et douze secrétaires.
Il faut noter que la préoccupation exprimée par le président du Sénat au travers de cette proposition de résolution correspond parfaitement à l’article 4 de la Constitution, ainsi qu’à l’article 51-1 qui vise à assurer une meilleure représentation des groupes politiques au sein des différentes instances des assemblées parlementaires.
Il s’agit là, plus globalement, des prémices des révisions constitutionnelle et parlementaire qui doivent intervenir jusqu’au mois de juin prochain.
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République nous impose d’adopter sept lois organiques, une révision de notre règlement, ainsi qu’un certain nombre de lois ordinaires. Ce travail considérable doit aboutir à la modification finale du règlement du Sénat sans doute en deux temps, en mars, puis en juin. Il ne serait donc pas opportun d’adopter d’ores et déjà des dispositions tendant à modifier trop en profondeur notre règlement.
C’est la raison pour laquelle j’émettrai un avis défavorable sur les amendements déposés sur cette proposition de résolution, car ils tendent à transformer profondément l’organisation du bureau et de la conférence des présidents, ainsi que le mode de désignation des dignitaires du Sénat. Je propose donc que ces amendements, qui soulèvent des questions aussi importantes que la parité et la représentation des groupes au sein du bureau ou des commissions, soient renvoyés à plus tard, en même temps que l’examen en profondeur de la révision du règlement du Sénat.
Je tiens enfin à souligner, afin de rassurer les uns et les autres, que le passage de six à huit vice-présidents et de douze à quatorze secrétaires se fera à dépenses constantes : pas un centime supplémentaire ne sera déboursé et nul nouveau crédit ne sera imputé au budget du Sénat. Ces modifications interviendront grâce à une meilleure répartition entre les dignitaires des indemnités et du pool automobile. La création de ces nouveaux postes ne coûtera donc pas un sou au budget sénatorial.
Mes chers collègues, je vous demande donc d’adopter sans modification cette proposition de résolution déposée par le président du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, mes chers collègues, compte tenu de la conjoncture actuelle, dans notre pays et ailleurs, on peut s’étonner de la rapidité avec laquelle nous est soumise cette proposition de résolution, dont la discussion va nous prendre un certain temps, et ce alors même que le président du Sénat nous avait annoncé le lancement d’une réflexion générale sur le règlement.
Pourquoi anticiper cette réflexion en créant, comme par un coup de baguette magique, deux postes supplémentaires de vice-président et deux postes supplémentaires de secrétaire ?
La modification de notre règlement devrait avoir pour but – mais ici, rien n’est jamais gagné d’avance ! – de faire une plus juste place à l’opposition et d’assurer à cette dernière l’exercice de ses droits, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
En réalité, monsieur le président, vous avez choisi la voie de la facilité, faute de pouvoir arbitrer entre les deux groupes de votre majorité, celui de l’UMP et celui de l’Union centriste. En récupérant quatre vice-présidences, le groupe de l’UMP a privé l’Union centriste du poste qui aurait dû lui revenir dans le cadre de la représentation proportionnelle.
Voilà pourquoi on nous soumet cette proposition, résultat de petits arrangements entre amis,…
M. Jean-Pierre Demerliat. Plutôt des meurtres !
M. Jean-Pierre Michel. ... afin qu’il n’y ait pas trop de déçus.
En 1991, déjà, le Sénat avait modifié son règlement en faisant passer de quatre à six le nombre des vice-présidents et de huit à quatorze, puis à douze, celui des secrétaires. Cette discussion avait d’ailleurs retenu le Sénat durant une longue séance de nuit, tant les oppositions à cette proposition étaient nombreuses.
Notre collègue Jean Arthuis, qui se tait bien entendu aujourd’hui car il préside une commission, avait alors fustigé les arrangements et les compromissions qui avaient présidé à cette modification du règlement.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Autre époque !
M. Jean-Pierre Michel. Par ailleurs, cette proposition introduit une dissymétrie choquante entre le bureau de l’Assemblée nationale et celui du Sénat.
L’Assemblée nationale, avec 577 députés, ne compte que six vice-présidents et douze secrétaires quand le Sénat, avec 343 sénateurs pour l’instant, comptera huit vice-présidents et quatorze secrétaires car, paraît-il, la surcharge de travail serait trop lourde ! Le doyen Patrice Gélard arguerait-il de la moyenne d’âge des sénateurs pour tenir de tels propos ?
En réalité, il ne s’agit pas du tout de cela !
Le Sénat ressemblera donc à une armée mexicaine composée surtout de dignitaires, avec nombre de vice-présidents, de présidents de commission et de secrétaires. Quant aux soutiers, ils assureront la présence en séance et feront le travail !
Le groupe socialiste est fidèle à la position qu’il a toujours défendue et qu’il a soutenue en 1991, par la voix de notre collègue Guy Allouche, en faveur de la représentation proportionnelle des groupes dans toutes les instances, c’est-à-dire au sein tant du bureau du Sénat que des bureaux des commissions. S’agissant de ce dernier point, monsieur le président de la commission des lois, l’adjonction de vice-présidents supplémentaires ne résout pas la question.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Si !
M. Jean-Pierre Michel. La représentation proportionnelle est un système objectif. Elle n’est pas dirigée contre un groupe : il s’agit non pas de déplaire ou de plaire à tel ou tel, mais de répartir les postes conformément à la représentation des groupes politiques au sein de cette assemblée. Si un groupe est trop peu important en nombre pour bénéficier d’un poste de vice-président, un poste de secrétaire doit alors lui revenir afin de lui permettre d’être représenté au bureau. Il en est d’ailleurs ainsi à l’Assemblée nationale, où les postes sont affectés d’un coefficient permettant la représentation de tous les groupes au sein du bureau.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Jean-Pierre Michel. Le groupe socialiste représente aujourd'hui un tiers environ de la Haute Assemblée, proportion qui devrait se retrouver au sein du bureau. Or, aujourd’hui, alors que le groupe UMP, qui compte cent cinquante et un membres, dispose de quatre vice-présidents, le groupe socialiste, avec cent seize membres, n’en a que deux. C’est caricatural ! Et je ne parle même pas des présidences de commission, toutes dévolues à la majorité, alors que, à l’Assemblée nationale, depuis le dernier renouvellement, la commission des finances est présidée par un socialiste.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’application de la représentation proportionnelle donnerait trois vice-présidents pour l’UMP et trois vice-présidents pour le groupe socialiste.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Parce que cent cinquante et un et cent seize, c’est la même chose ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Drôle de calcul !
M. Jean-Pierre Michel. Si le nombre de vice-présidents était augmenté, ce calcul devrait naturellement être revu en conséquence.
La proposition de résolution soulève plusieurs questions. Comment sera mise en œuvre la réforme du règlement du Sénat ? Allons-nous seulement élire les candidats aux postes nouvellement créés ou devrons-nous réélire l’ensemble des membres du bureau, hormis le président du Sénat ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !
M. Jean-Pierre Michel. Si le règlement était appliqué à la lettre, c’est selon moi cette dernière formule qui devrait prévaloir. Bien entendu, il n’en sera rien ! Il ne faut surtout pas prendre le risque de revenir sur les petits arrangements conclus entre les uns et les autres à l’occasion d’une nouvelle élection à bulletins secrets. Les coups de poignard dans le dos pourraient évidemment se multiplier ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Cela ne se fait pas ici ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Michel. Si seuls devaient être pourvus les nouveaux postes, alors les deux postes de secrétaires devraient impérativement revenir au groupe socialiste, en vertu de l’article 3, alinéa 9, de notre règlement. Le groupe socialiste serait ainsi normalement représenté au sein du bureau. Il compte pour cela sur le président du Sénat, qui a déclaré lors de son allocution du 14 octobre dernier qu’il comptait réformer un certain nombre des pratiques de la Haute Assemblée, ce en quoi il a vraisemblablement raison.
Toutefois, même si ces postes revenaient au groupe socialiste, les droits de ce dernier seraient encore insuffisamment pris en compte. Si la quantité importe, la qualité également !
M. Philippe Dallier. Ah !
M. Jean-Pierre Michel. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement n° 3 visant à modifier l’élection des vice-présidents et celle des questeurs. Nous pensons en effet que les responsabilités de vice-président et celles de secrétaire ne sont pas les mêmes. Les postes de vice-président et ceux de secrétaire doivent donc tous deux être attribués en fonction de la représentativité des groupes politiques.
Enfin, la modification de l’article 3 du règlement soulève une dernière question, brièvement abordée par M. le rapporteur, à savoir celle du financement des postes de vice-président et de secrétaire nouvellement créés. Le président du Sénat a indiqué que cette modification se ferait par redéploiement des crédits et à niveau financier constant.
Pour l’instant, nous n’avons eu aucune information supplémentaire à cet égard, ni en commission ni en séance. À partir de quels postes ce redéploiement de crédits se fera-t-il ? Va-t-on diminuer les indemnités des vice-présidents et des secrétaires aujourd'hui élus ? J’en doute, évidemment !
M. Michel Charasse. Ce serait une grande première !
M. Jean-Pierre Michel. Va-t-on rogner sur les crédits du pool automobile, du matériel, sur lesquels je ne dirai rien afin de ne pas dégrader davantage la mauvaise image du Sénat auprès de nos concitoyens ?
Toutefois, la modification de l’article 3 du règlement ne réglera absolument pas la question essentielle, à savoir le respect de la règle de la représentation proportionnelle, qui prévaut dans la grande majorité des assemblées parlementaires des pays démocratiques, sauf au Sénat !
Selon moi, cette modification n’améliorera pas l’image du Sénat, déjà ternie par un certain nombre d’articles et de livres, souvent inexacts ou caricaturaux, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah ! tout de même !
M. Jean-Pierre Michel. … mais qui sont tout de même publiés et lus, qui font la une des quotidiens et des hebdomadaires.
Je ne pense pas que le vote, dans la précipitation, de cette modification du règlement rendra un grand service à notre assemblée. Cela aurait pu attendre que l’ensemble du règlement soit modifié ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, mes chers collègues, je serai aussi bref que les deux précédents orateurs, car nous ne faisons aujourd'hui que commencer à prendre en compte les conséquences de la réforme constitutionnelle votée cet été.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Michel Mercier. Nous aurons encore souvent l’occasion, jusqu’au mois de mars prochain, …
M. Patrice Gélard, rapporteur. Jusqu’au mois de juin !
M. Michel Mercier. … de revenir sur la mise en œuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles.
La proposition de résolution qui nous est soumise aujourd'hui constitue pour le groupe de l’Union centriste un premier pas vers le nouveau règlement du Sénat. Elle vise, comme l’a rappelé M. le rapporteur, à renforcer le pluralisme dans la composition même du bureau du Sénat et à permettre aux groupes politiques d’être mieux représentés au sein de cette instance.
Cette proposition de résolution ne nous pose pas de problème particulier. Nous l’approuvons telle qu’elle nous est soumise. Nous avons d’ailleurs pris acte de la décision du président du Sénat, que nous soutenons, de procéder à cette modification du règlement dans le cadre du budget du Sénat tel qu’il a été arrêté. Cette modification ne nécessitera pas de crédits supplémentaires, ce qui serait d’ailleurs malvenu. Le bureau fera à n’en pas douter les propositions de redéploiement de crédits nécessaires, et il sera fait ainsi qu’il a été déclaré.
Permettez-moi de prendre quelques instants pour rappeler l’esprit de la révision constitutionnelle.
Si j’apprécie en général les propos tenus par notre collègue Jean-Pierre Michel, je dois dire que l’amendement n° 3 qu’il a évoqué me semble totalement contraire à l’esprit de la Constitution et de la révision constitutionnelle. Il est notamment contraire…
M. Patrice Gélard, rapporteur. … au pluralisme !
M. Michel Mercier. … aux dispositions de l’article 51-1 nouveau de la Constitution.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Exact !
M. Michel Mercier. Cet article, je le rappelle, dispose ceci : « Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’aux groupes minoritaires. »
M. Michel Charasse. Cet article résulte d’un amendement du Sénat !
M. Michel Mercier. D’un amendement pour lequel je me suis un peu battu, avec d’autres, notamment Mme Borvo Cohen-Seat.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et même votre rapporteur !
M. Michel Mercier. Et M. le rapporteur, effectivement !
Tel qu’il est rédigé, l’article 51-1 constitue aujourd'hui notre loi suprême. Il est contraire à l’application de la règle proportionnelle.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Un sénateur socialiste. Non !
M. Michel Mercier. Mais bien sûr que si !
L’idée même de « droits spécifiques » va à l’encontre de la répartition mathématique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Paul Emorine. Tout à fait !
M. Michel Mercier. Sinon, il serait sans intérêt que la Constitution prévoie que le règlement de chaque assemblée « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ». C’est parce que nous avons voulu que chaque groupe parlementaire représentant une partie de l’opinion publique de notre pays puisse s’exprimer et avoir des responsabilités que cette disposition a été inscrite dans la Constitution. Il s’agit de reconnaître des droits spécifiques certes à l’opposition – nous sommes tout à fait d’accord sur ce point –, mais également aux groupes minoritaires, c'est-à-dire à ceux qui ne sont pas les groupes dominants de la majorité ou de l’opposition.
Notre assemblée compte trois groupes minoritaires, tout à fait légitimes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tous les groupes sont minoritaires ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. C’est très bien, monsieur le rapporteur, que vous vous rendiez compte que vous êtes minoritaires ! (Nouveaux sourires.) C’est un premier pas vers la sagesse ! Si vous pouviez vous en souvenir tous les jours de la semaine, ce serait parfait. Cela m’éviterait d’être présent au Sénat dès le lundi !
Le Sénat compte deux grands groupes dominants, et c’est tout à fait normal.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la démocratie !
M. Michel Mercier. Ces groupes sont le reflet de l’état de l’opinion publique dans notre pays ; mais des groupes plus petits concourent eux aussi à l’expression du suffrage universel. Ils ont par conséquent le droit d’être représentés dans les instances dirigeantes du Sénat.
L’article 51-1 me paraît donc constituer un véritable progrès pour la démocratie. Si la représentation proportionnelle peut parfois sembler être le meilleur mode de représentation en termes de démocratie, elle peut également empêcher parfois la représentation de ceux qui, légitimement, ont à faire valoir telle ou telle position.
Je suis très heureux que, grâce à la proposition de résolution présentée par M. le président du Sénat, proposition que nous allons voter dans quelques instants, nous puissions faire un premier pas vers l’application de la disposition nouvelle que constitue l’article 51-1 de la Constitution. Nous aurons de nombreuses autres occasions d’y revenir.
Le groupe de l’Union centriste votera donc cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, mes chers collègues, ici même, au moment de la révision constitutionnelle, nous avons eu de longs débats sur les pouvoirs du Parlement, sur le pluralisme, sur les droits de l’opposition, ainsi que sur la nature et le fonctionnement de nos institutions. Nous ne sommes pas d’accord sur ces questions, comme l’ont montré nos discussions et le vote qui a suivi.
Votre réforme, chers collègues de la majorité, est tout sauf consensuelle, et vous le savez.
Pour ma part, je continue de penser et de constater que la pratique constitutionnalisée par la révision récente renforce considérablement le caractère présidentiel – pour ne pas dire monarchique – de nos institutions : le Président de la République, chef de l’exécutif, chef de la majorité et chef du parti majoritaire, dispose de pouvoirs très étendus.
Ce que l’on appelle désormais le « fait majoritaire » est donc particulièrement pesant, comme nous le constatons d’ailleurs dans le fonctionnement du couple exécutif – le Président de la République et la majorité –, que ce soit en matière d’ordre du jour du Parlement, de fabrication de la loi, de débats ou de décisions finales.
Néanmoins, la question de savoir si la réforme des règlements des assemblées à la suite de la révision constitutionnelle permettra un tant soit peu de corriger le fait majoritaire ou si, au contraire, elle le confortera, voire l’aggravera, n’est pas négligeable, tout particulièrement au Sénat.
En effet, chers collègues de la majorité, vous êtes arc-boutés contre toute modification du mode de scrutin, au mépris du plus élémentaire souci de démocratie. Au Sénat, assemblée représentant les collectivités locales, la majorité est toujours la même, quand bien même celle des collectivités locales est inverse !
Alors que l’UMP, parti du Président de la République, ne dispose plus au Sénat de la majorité absolue depuis quatre ans et qu’elle s’en est encore éloignée lors du dernier renouvellement, elle règne sans partage, ou presque – elle a le soutien de l’Union centriste –, sur la Haute Assemblée. Aujourd'hui, la majorité détient, outre la présidence du Sénat, quatre postes de vice-présidents sur six, deux postes de questeurs sur trois, six postes de présidents de commission sur six, …
M. Patrice Gélard, rapporteur. L’UMP ne préside pas six commissions !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … la présidence de la nouvelle commission des affaires européennes, celle de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, ainsi que celle de myriades d’officines diverses.
Quant à l’opposition, elle a un poste de questeur et deux postes de vice-président, tous trois attribués au groupe socialiste.
Cette domination, qui est sans commune mesure avec la réalité politique du Sénat, s’exerce notamment au sein de la conférence des présidents. Cette instance, dont la valeur constitutionnelle est incertaine – rappelons qu’aucune référence à la conférence des présidents ne figurait dans le règlement intérieur avant 1986 ! – est le symbole de l’hyperdomination majoritaire. Vice-présidents, présidents de commission et présidents de groupe y entourent le président du Sénat et décident de tout dans des proportions n’ayant rien à voir avec les rapports de force politique au sein de notre assemblée.
Pour notre part, nous estimons que seuls les présidents de groupe devraient participer à la conférence des présidents, comme c’est le cas à l’Assemblée nationale. Comme vous le constatez, les différences avec l’Assemblée nationale portent donc sur plusieurs points.
Monsieur le président, lors de votre allocution du 14 octobre dernier, vous vous êtes engagé à respecter les droits de l’opposition et à accorder toute sa place à cette dernière. Nous en prenons acte et serons vigilants quant à la concrétisation de cet engagement. Il est important de prendre en compte l’ensemble des groupes politiques et non pas les seuls groupes majoritaires, qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition.
Vous avez décidé de créer un groupe de travail sur l’élaboration de la réforme du règlement qui doit faire suite à la révision constitutionnelle. Je tiens à cette occasion à insister sur deux points essentiels que le groupe CRC défend depuis de nombreuses années et pour lesquels j’ai plaidé lors de la révision constitutionnelle.
Le premier point tient à la reconnaissance des groupes politiques, outils incontournables d’une revalorisation de la politique que vous avez souhaitée. Cette revalorisation prend, vous en conviendrez, un relief tout particulier avec la crise financière, économique et sociale extrêmement grave que nous connaissons. La confrontation des idées est plus que jamais nécessaire au Parlement.
Le second point est le respect du débat public, garantie de la transparence du travail parlementaire pour notre peuple, dont nous ne sommes que les représentants.
La présente proposition de résolution vise à créer deux postes de vice-président supplémentaires afin de maintenir la représentation du groupe communiste républicain et citoyen et celle du groupe de l’Union centriste.
Cette proposition de résolution appelle deux commentaires.
Tout d’abord, ces postes doivent être financés à budget constant, comme cela a d’ailleurs été indiqué. Tout le monde a conscience qu’il s’agit d’assurer une représentation politique et non pas de courir après un quelconque avantage. Cet aspect est important à l’heure où l’on reproche régulièrement au Sénat le manque de transparence de sa gestion.
Ensuite, si nous en sommes là, c’est parce que l’UMP dispose de quatre vice-présidents sur six et se refuse à toute idée de proportionnalité.
Monsieur le président, vous avez souhaité assurer une représentation la plus large possible des groupes politiques. Il ne s’agit pas d’un rééquilibrage politique, contrairement à ce que laisse entendre le titre de la proposition de résolution, puisque, sur huit vice-présidents, sans compter le président, six seront issus de la majorité, soit à peu près 75 %.
Il s’agit néanmoins d’un pas modeste, mais que nous approuvons, vers une prise en compte de la diversité des groupes.
J’adhère à la philosophie de l’amendement du groupe socialiste, qui porte sur la proportionnalité. Nul ne peut reprocher à mon groupe ne pas être favorable à la représentation proportionnelle en toutes circonstances, y compris pour l’élection des assemblées, mes chers collègues du groupe socialiste !
J’ai eu l’occasion de défendre la représentation automatique de chaque groupe pour la désignation des vice-présidents, assortie d’une pondération à la représentation proportionnelle. Je considère d’ailleurs que la proportionnalité devrait concerner l’ensemble des fonctions exécutives.
La réflexion que nous allons entamer devrait nous permettre de trouver un dispositif plus respectueux des groupes et de la proportionnalité que celui qui prévaut aujourd’hui, mais aussi que celui qui nous est proposé par le groupe socialiste. L’amendement n° 1, déposé par le groupe du RDSE, peut également être pris en compte dans cette optique élargie.
Pour toutes ces raisons, ces amendements et les propositions qui seront faites sur ce sujet devront à mon avis être réexaminés à l’occasion de la discussion de la révision d’ensemble du règlement du Sénat. La question de la conférence des présidents constituera un point majeur de cette discussion.
Le groupe CRC votera, avec les réserves que j’ai exprimées, la modification de l’article 3. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
Article unique
I. - Le troisième alinéa du 1 de l'article 3 du Règlement du Sénat est ainsi rédigé :
« - huit vice-présidents, »
II. - Le sixième alinéa du 1 du même article est ainsi rédigé :
« - quatorze secrétaires, ».
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Michel et Anziani, Mme Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Povinelli, Sueur, Sutour et Yung, Mme Klès, M. Tuheiava, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
III. - Le 7 de l'article 3 du Règlement du Sénat est ainsi rédigé :
« 7. - L'élection des vice-présidents et celle des questeurs ont lieu au scrutin secret et séparé et par bulletins plurinominaux selon les règles de la représentation proportionnelle. Chaque liste est établie selon le principe de la parité et comporte autant de noms qu'il y a de fonctions à pourvoir. »
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Cet amendement, que j’ai amplement évoqué dans mon intervention liminaire, vise à introduire le principe de la parité dans la constitution du bureau.
Le bureau actuel comprend vingt-deux membres, dont seulement six femmes, soit moins de 30°%. On peut y voir un signe de la grande tiédeur du groupe majoritaire sur la question de la parité.
Lors du dernier renouvellement sénatorial, le groupe socialiste est celui qui a le plus contribué à la progression de la parité dans notre assemblée. Cette progression aurait d’ailleurs été beaucoup plus importante si la représentation proportionnelle avait été applicable dès lors que trois sièges étaient à pourvoir au sein d’un département.
Nous devons instituer le principe de la parité chaque fois que nous sommes en situation de le faire. C’est la raison pour laquelle notre amendement vise à introduire la représentation proportionnelle et le principe du respect de la parité pour la désignation des vice-présidents et des secrétaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà un amendement qui soulève des questions intéressantes.
M. Bernard Frimat. Ah !
M. Patrice Gélard, rapporteur. La parité et la proportionnalité sont certes des problèmes réels, mais ils ne peuvent pas être traités à la va-vite, au détour d’un sujet aussi important que celui que nous abordons aujourd’hui, d’autant qu’ils ne pourront vraiment être mis en perspective que lorsque nous adopterons la révision définitive du règlement du Sénat.
Il faudra donc attendre l’adoption des lois organiques, voire des lois ordinaires, pour mettre en place l’article 51-1 de la Constitution qu’a évoqué M. Mercier.
Cet amendement, si nous l’adoptons, risque de tomber sous le coup de la censure du Conseil constitutionnel parce qu’il est en contradiction avec les articles 4 et 51-1 de la Constitution.
C’est la raison pour laquelle, quel que soit l’intérêt des questions soulevées, je demande à M. Michel de bien vouloir retirer son amendement. Nous pourrons y revenir ultérieurement, lors de l’examen de la refonte de notre règlement, c'est-à-dire au mois de mars, voire au mois de juin.
M. Claude Domeizel. Ou plus tard !
M. Simon Sutour. Ou jamais !
M. le président. Monsieur Michel, l’amendement est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Michel. Oui, monsieur le président ! Le groupe socialiste sera attentif au résultat du vote. S’il devait être battu, cela ne l’empêcherait pas de soulever à nouveau ce sujet lors de l’examen de l’ensemble du règlement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, j’indique tout d’abord à l’attention de nos collègues socialistes que leur amendement comporte une faute de frappe. Il vaudrait mieux écrire : « L’élection des vice-présidents et celle des questeurs a lieu », plutôt que : « l’élection des vice-présidents et celle des questeurs ont lieu ». Mais passons !
M. Jean-Michel Baylet. On relâche des violeurs à cause de telles erreurs.
M. Michel Charasse. Monsieur le rapporteur, l’article 51-1 de la Constitution est d’application immédiate. Il suffit d’une proposition concernant le règlement pour le mettre en œuvre.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non !
M. Michel Charasse. Excusez-moi ! Je lis la Constitution comme vous, monsieur Gélard ! Et lorsque je lis : « Le règlement de chaque assemblée… », je considère que nous discutons bien d’un texte sur le règlement, lequel prévoit le nombre des postes de ce que l’on appelle un peu pompeusement des « dignitaires ». Nous pouvons donc parfaitement aborder ce sujet maintenant. Par conséquent, je ne suis pas de votre avis !
La question qui se pose, monsieur le rapporteur, cher ami Patrice Gélard, c’est que, si nous n’abordons pas le sujet aujourd’hui à l’occasion de la création de deux postes supplémentaires de vice-président et, accessoirement, de deux postes de secrétaire, nous pourrions, sous réserve de ce que nous adopterons dans la réforme ultérieure du règlement, être amenés à délibérer avec la perspective de démission de collègues qui ont été désignés sur des postes actuels pour respecter les équilibres politiques nouveaux s’il y en a. Or, il serait très désagréable de devoir délibérer, demain, d’une réforme ultérieure du règlement en sachant très bien que, dans l’assemblée, deux, trois ou quatre de nos collègues qui n’auront pas démérité devront renoncer à leurs fonctions.
C’est pourquoi, monsieur le président, je considère que, dès lors que vous avez déposé votre proposition de résolution – elle se comprend et j’en partage les motivations –, il faut aller au fond des choses pour appliquer l’article 51-1. Sinon, je le répète, nous nous engageons sur une voie qui pourrait nous conduire à demander à des collègues désignés pour la durée de la législature, c'est-à-dire pour trois ans, de quitter leurs fonctions actuelles, ce qui serait parfaitement désagréable à leur égard.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Charasse, sur la forme, s’agissant de l’erreur que vous avez relevée, il semble que l’on puisse employer le pluriel ou le singulier.
M. Michel Charasse. « L’élection …a lieu » !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sur le fond, nous tirons, comme nous en avons le droit, une première conséquence de l’article 51-1 de la Constitution.
L’adoption de l’amendement no 3 serait contraire aux dispositions de l’article 51-1. Mais nous n’avons pas tiré aujourd’hui toutes les conséquences des « droits spécifiques » des groupes d’opposition et des groupes minoritaires que nous devrons faire figurer dans le règlement. Nous pourrons le faire indépendamment de la mise en œuvre des lois organiques relatives à la modification du règlement sur des points particuliers tels que l’ordre du jour. Nous conduirons ensemble une réflexion globale sur les droits spécifiques des groupes d’opposition et des groupes minoritaires.
M. Michel Charasse. Oui, mais si cela ne concerne pas le bureau, cela concernera quoi ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Aujourd’hui, nous nous exprimons sur un point. Mais nous aurons à envisager toutes les conséquences de cet article dans la révision du règlement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Moi qui ne peux pas être suspectée de ne pas être féministe, j’observe que, avant de nous pencher sur la parité pour la composition du bureau, il faudrait se préoccuper de permettre l’élection de plus de 22 % de femmes au sein de notre assemblée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les groupes doivent être représentés en tant que tels, et je considère qu’il faut réfléchir en appréhendant l’ensemble des fonctions exécutives.
Le groupe CRC adhère à la philosophie de l’amendement du groupe socialiste. Nous sommes favorables à la représentation proportionnelle. Nous avons d’ailleurs très souvent critiqué la surreprésentation majoritaire au Sénat. Nous voterons donc cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur Gélard, je vous écoute toujours avec un grand intérêt. Il faut avoir une grande imagination pour voir dans l’article 51-1 de la Constitution l’origine de nos travaux.
Monsieur le président, votre élection, dont nous vous félicitons à nouveau, est trop récente pour que nous ayons oublié les circonstances qui nous conduisent aujourd’hui à décider, à votre demande, la création de deux postes supplémentaires de vice-président.
Si nous avions procédé à la désignation des six vice-présidents à la représentation proportionnelle, il y aurait eu trois membres de l’UMP, deux membres du groupe socialiste et un membre de l’Union centriste. Le problème est donc non pas la prise en compte des groupes minoritaires, mais la surreprésentation du groupe relativement majoritaire.
Appliquée à huit vice-présidents, la représentation proportionnelle au plus fort reste – ce mode de scrutin déjà appliqué au Sénat favorise les groupes minoritaires, et nous ne nous y opposons pas ! – aurait pour résultat trois membres de l’UMP, trois membres du groupe socialiste, un membre de l’Union centriste et un membre du groupe CRC. Cherchez l’erreur !
M. Jean-Michel Baylet. Et le RDSE reste sur le carreau !
M. Bernard Frimat. Vous vous mettez où vous voulez, mon cher collègue ! Si vous êtes bien sur le carreau, je ne vous disputerai pas ce terrain de jeu !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas gentil…
M. Bernard Frimat. Le groupe socialiste a voté cet amendement sur la représentation des groupes, et j’en porte témoignage auprès de Mme Borvo et de M. Mercier. J’ai pris une part dans cette révision, et je l’ai défendue.
Mais peut-on parler d’enthousiasme pour les groupes minoritaires ? En fait, nous sommes non pas dans la représentation des groupes minoritaires, mais dans la surreprésentation du groupe majoritaire !
Le groupe socialiste est favorable à la représentation des groupes minoritaires. Le scrutin à la représentation proportionnelle au plus fort reste garantit cette représentation. Pour autant, nous devons veiller à ne pas encourager la multiplication des groupes. Il ne s’agit pas de donner des garanties aux groupes au risque de voir leur nombre s’accroître à l’infini.
Je ne peux que sourire lorsque l’on évoque le caractère anticonstitutionnel de notre amendement. La Constitution renvoie au règlement des assemblées. Nous sommes tous, dans cette enceinte, des groupes minoritaires. Nous le devons uniquement au fait que, en dépit d’un mode électoral dont le caractère injuste n’a pas été changé, la gauche a progressé.
Mes chers collègues, notre souci de la représentation proportionnelle est un souci d’avenir : nous voulons ménager demain votre opposition, lorsque nous serons majoritaires ! (Sourires. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. Certains d’entre nous – peut-être ont-ils fait leurs études chez les jésuites ? – manient la casuistique à la perfection.
M. Bernard Frimat. Moins bien que vous !
M. Bernard Frimat. Sur l’initiative de Jean-Michel Baylet, un amendement visant à assurer la représentation de tous les groupes du Sénat a été adopté à la quasi-unanimité. Il est extraordinaire de constater que certains de ceux qui l’ont voté – mais peut-être sont-ils frappés d’amnésie – trouvent aujourd’hui des arguments pour que les dispositions qu’ils ont adoptées ne s’appliquent pas !
Je serai très clair. Il s’agit de « dignitaires » du Sénat, mais je préfère pour ma part parler de « personnes qui exercent des responsabilités ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Moi aussi !
M. François Fortassin. Si l’on procède à un saucissonnage par groupes de quatre, il faut nécessairement obtenir 25 % pour être représenté.
En revanche, de quoi s’agit-il aujourd’hui ? Il s’agit de huit présidents de commissions et de huit vice-présidents. La question concerne donc seize personnes. Sur ce nombre, la place du groupe du RDSE me paraît tout à fait légitime. Je vous rappelle d’ailleurs que vous aviez voté une disposition à cet égard ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Jean-Pierre Michel applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 28 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l’article unique.
(L’article unique est adopté.)
Articles additionnels après l’article unique
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Collin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :
Après l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 8 de l'article 3 du Règlement du Sénat, il est inséré un 8 bis ainsi rédigé :
« 8 bis. L'élection des vice-présidents du Sénat et des présidents des commissions visées à l'article 7 a lieu en s'efforçant d'attribuer au moins un poste de vice-président ou de Président de commission à chaque groupe politique. »
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Le débat sur cet amendement a presque commencé, puisque les interventions relatives à l’amendement précédent ont quelque peu défloré le sujet.
Dans le prolongement de la révision constitutionnelle de juillet 2008, et notamment des articles 43 et 51-1 de la Constitution, le président du Sénat propose de porter à huit le nombre de vice-présidents de notre assemblée. Une prochaine réforme devrait encore créer deux nouvelles commissions permanentes.
Ces dispositions sont conformes à la règle, à la lettre et à l’esprit du nouvel article 51-1, qui dispose que le règlement de chaque assemblée reconnaît des droits spécifiques aux groupes minoritaires. Ces droits résultent d’ailleurs d’un amendement du Sénat, adopté sur notre initiative, et ce à l’unanimité.
Dès lors que notre assemblée comptera bientôt huit vice-présidents, huit présidents de commission permanente et trois questeurs, soit dix-neuf de ses membres investis de responsabilités particulièrement importantes, il nous paraît indispensable de préciser dans le règlement que la désignation aux fonctions confiées à ces dix-neuf sénateurs doit avoir lieu de manière à assurer la représentation de tous les groupes à l'une des fonctions visées.
Au-delà de ces postes, divers honneurs viennent compléter les attributs des groupes les plus importants, encore une fois au détriment des formations les plus faibles et néanmoins représentatives de la diversité politique de notre pays.
Mieux prendre en compte la diversité politique et l’attachement au pluralisme du Sénat, assurer la capacité d’expression des groupes politiques et garantir leur pleine participation à la conduite des travaux de notre assemblée, cela nous semble, monsieur le président, tout à l’honneur du Sénat.
Il importe de traduire désormais cette volonté par des actes. Nous nous y efforcerons tout particulièrement. Le groupe que je préside me semble exemplaire en matière d’ouverture, de pluralisme et de tolérance, excluant toute attitude dogmatique et tout propos sectaire encore trop présents dans notre vie politique, et parfois parmi nous, d’ailleurs.
Je vous invite donc à adopter cet amendement, mes chers collègues. Il fixe le principe et les droits qui en découlent pour tous les groupes, conformément à la lettre et à l’esprit de l’article 51-1 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. L’amendement n° 1 vise à favoriser l’attribution d’au moins un poste de vice-président ou un poste de président de commission à chaque groupe politique.
Il entend tirer ainsi les conséquences non seulement de la création des deux postes de vice-président – cela découle de la proposition de résolution –, mais aussi de la mise en place, encore éventuelle, de deux nouvelles commissions qui pourrait intervenir à partir du 1er mars 2009, comme le prévoit la révision constitutionnelle. En effet, l’article 51-1 ne sera applicable dans son intégralité qu’en mars 2009. Pour l’instant, tel n’est pas le cas.
M. Michel Charasse. Ça, c’est vous qui le dites !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je vous renvoie, monsieur Charasse, aux termes de l’article 46 de la loi constitutionnelle. Il précise que le présent article, dans sa rédaction résultant de l’article 26 de la même loi constitutionnelle, entrera en vigueur le 1er mars 2009. Je n’y peux rien, c’est la Constitution !
M. Michel Charasse. Oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En outre, un problème se pose dans cet amendement. En effet, les vice-présidents ne sont pas de même nature que les présidents de commission. Ces derniers sont élus par la commission et non pas, comme les vice-présidents, les secrétaires et les questeurs, par l’ensemble du Sénat.
On en revient donc à l’idée suivante, issue du pluralisme tel que vous l’aviez défendu et tel que l’avait défendu M. Mercier : la solution doit venir d’un consensus entre les différents groupes, en amont des élections.
M. Michel Charasse. C’est pourquoi il est précisé dans l’amendement : « en s’efforçant » !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela n’a pas à être inscrit dans le règlement, car cela risquerait de figer le processus. C’est au contraire par une négociation entre les groupes que ces questions devraient pouvoir se régler le plus facilement.
C’est pourquoi, dans l’attente d’éventuelles dispositions que nous pourrions prendre à partir du mois de février et de la rédaction définitive d’un nouveau règlement, je vous demande, monsieur Collin, de retirer cet amendement ; sinon, j’émettrai un avis défavorable.
Ces remarques sont également valables pour l’amendement n° 2, conséquence de l’amendement n° 1.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je rappelle, monsieur le président, que vous avez constitué un groupe de travail pluraliste sur l’application de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. C’est important. Toutes ces questions seront donc débattues au sein de ce groupe, qui travaillera à l’établissement d’un règlement adapté aux nouvelles dispositions constitutionnelles et, de surcroit, à une modernisation nécessaire de nos méthodes de travail.
M. le président. Ce groupe se réunira pour la première fois mardi prochain. Je rassure ceux qui n’ont qu’un attachement très modéré pour le terme « dignitaire » : ils ne devraient pas être déçus d’un certain nombre de propositions que nous leur ferons le moment venu !
La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, puisque la plupart de nos collègues et la quasi-totalité des groupes semblent avoir une approche plutôt positive de la nécessité d’une représentation équitable de l’ensemble des groupes dans les commissions, les vice-présidences, etc., et que ces questions ne se poseront concrètement qu’au mois de mars, nous retirons l’amendement ; nous rediscuterons de ces points le moment venu.
Par cohérence, monsieur le président, je retire également l’amendement no 2.
M. le président. L'amendement no 1 est retiré.
L'amendement no 2, présenté par M. Collin et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, est ainsi libellé :
Après l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le 1 de l'article 13 du règlement du Sénat, après le mot : « nomment », sont insérés les mots : « leur Président, sous les réserves visées au 8 bis de l'article 3, et ».
Cet amendement a été retiré.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission sur la proposition de résolution, je donne la parole à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Si le Sénat avait adopté son amendement, le groupe socialiste aurait voté la proposition de résolution. En l’état, il s’abstiendra, car le résultat de son application sera profondément injuste.
M. Baylet a cru devoir retirer son amendement, auquel nous étions favorables puisqu’il visait à poser le principe que les huit postes de vice-présidents et les huit postes de présidents de commission devaient être considérés comme un tout et qu’il s’agissait, au sein de ces seize postes, de parvenir à une représentation équitable pour tous.
M. Yvon Collin. Il y a aussi les questeurs !
M. Jean-Pierre Michel. Tel ne sera donc pas le cas puisque, lorsque s’appliquera le nouveau règlement, le groupe communiste républicain et citoyen, qui compte 23 membres, obtiendra un poste de responsabilité, probablement une vice-présidence ; le groupe du RDSE, avec ses 17 membres, n’en aura aucun ; le groupe socialiste, avec 116 sénateurs, s’en verra attribuer deux ; le groupe de l’Union centriste, fort de ses 29 membres, en aura trois, en l’occurrence deux présidences de commission et une vice-présidence ; je ne dirai rien de l’UMP.
M. Guy Fischer. Il y a les questeurs !
M. Jean-Pierre Michel. On voit donc la profonde injustice qui préside à la répartition des postes de responsabilité.
Voilà pourquoi, monsieur le président, je considère que l’adoption de cette proposition de résolution par le Sénat desservira l’image de notre institution.
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut, pour explication de vote.
M. Alain Dufaut. Je souhaitais, au nom de mes collègues du groupe UMP, féliciter le président du Sénat de son initiative. Il entend, par le biais de cette proposition de résolution, renforcer le pluralisme au sein du bureau de notre assemblée.
Comme l’a rappelé à juste titre M. Patrice Gélard, rapporteur, l’élargissement de la composition du bureau du Sénat répond à deux modifications introduites dans la Constitution par la révision du 23 juillet 2008 : d’une part, la reconnaissance, à l’article 4 de la Constitution, du principe du pluralisme ; d’autre part, l’affirmation à l’article 51-1 de droits pour les groupes parlementaires. La proposition de résolution qui nous est aujourd’hui soumise répond effectivement à cette double exigence.
Nous nous félicitons également que la création de deux postes de vice-président et de deux postes de secrétaire soit financée par un redéploiement des moyens, sans augmentation globale des dépenses ; cela nous paraît être une sage décision.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP du Sénat adoptera cette proposition de résolution, qui constitue, monsieur le président, « le premier pas de la rénovation interne de notre assemblée et de sa modernisation ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, mes chers collègues, je suis heureux d’avoir demandé la parole, car il ne me semble pas que le groupe UMP ait été saisi de cette affaire, si bien que je n’ai pas eu l’occasion d’exposer mon point de vue. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comment ? Ce n’est pas vrai !
M. Philippe Dallier. Je m’exprimerai donc à titre tout à fait personnel pour dire que, s’il n’en reste qu’un, ou s’il n’en reste que deux, nous serons ceux-là, et nous voterons contre la disposition qui nous est soumise.
Mes chers collègues, ce n’est pas une erreur que nous commettons : c’est une faute.
C’est une faute d’abord contre le bon sens. On ne fera croire à personne – plusieurs de nos collègues socialistes se sont attachés à le démontrer, mais la tâche était facile – que la solution aux problèmes de représentativité passe nécessairement par la création de deux postes de vice-président. Il était possible de procéder autrement.
C’est encore une faute contre le bon sens, parce que jamais on ne fera croire à personne que, alors que l’Assemblée nationale « tourne » avec six vice-présidents, il en faudrait huit au Sénat, pour la même charge de travail – sauf à laisser penser que les sénateurs n’ont pas la même capacité physique que les députés, ce que je conteste énergiquement. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
C’est enfin une faute contre notre institution. Dans le climat actuel, j’aurais eu honte ce soir de retourner en Seine-Saint-Denis…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Démago !
M. Philippe Dallier. Cela peut vous paraître « démago », madame, mais je tiens à dire en séance publique, pour que cela figure au compte rendu, que j’aurais eu honte ce soir de retourner en Seine-Saint-Denis…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n’avez qu’à démissionner !
M. Philippe Dallier. … et de devoir expliquer que nous avons attendu plus d’une heure et quart avant d’aborder les problèmes du logement parce qu’il fallait absolument savoir quelle était la meilleure manière de nous répartir certains postes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes bien placé pour le dire !
M. Philippe Dallier. Et je constate que le groupe socialiste, qui, après avoir critiqué, a décidé de s’abstenir, aura tout de même pris la peine d’indiquer qu’il aurait été d’accord si les postes lui avaient été attribués !
Je le dis : nous sommes en train de commettre une faute contre le Sénat. Vous verrez demain la réaction dans les journaux, vous verrez le « Zapping » de Canal Plus… Plus tard, nous pourrons ensemble pleurer sur le sort injuste qui est réservé à cette institution, qui est bien trop souvent mise plus bas que terre alors qu’elle ne le mérite pas. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste. – M. Michel Houel applaudit également.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’a pas été candidat à un poste de secrétaire, par hasard ?
M. le président. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Monsieur le président, je comprends parfaitement votre proposition de résolution. Néanmoins, elle me semble fort malvenue en un moment où la France traverse une crise économique terrible.
Notre collègue Philippe Dallier vient de le rappeler : comment, demain, expliquerons-nous à la presse que nous avons débattu de la création de deux postes de vice-président supplémentaires alors qu’au même moment des Français sont dans les difficultés et vivent avec moins que le SMIC ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une honte d’entendre ça !
M. Michel Houel. Vous insistez, monsieur le président, sur le fait que ces créations se feront à dépense constante. Je vous crois, je crois en votre sincérité, monsieur le président, parce que j’ai confiance en vous. Mais la presse le verra-t-elle de la même façon ? Est-elle prête à nous faire confiance ? Je n’en suis pas sûr.
Je considère en outre que multiplier les vice-présidences revient en quelque sorte à dévaluer la fonction, alors que les vice-présidents du Sénat sont excellents et font déjà un travail formidable. Et, si l’on rapporte leur nombre à celui des élus siégeant dans chaque chambre, on constate qu’à l’Assemblée nationale il y a un vice-président pour 96 députés, alors qu’au Sénat il en faudrait un pour 43 sénateurs…
Je crains que tout cela ne donne l’impression d’être de la « cuisine d’officine ».
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Mes chers collègues, j’aurais envie de vous dire : sachons raison garder ! Ceux qui s’offusquent à l’idée qu’il y ait huit vice-présidents au lieu de six ne s’offusquent absolument pas devant les douze adjoints que comptent certaines assemblées municipales, les douze vice-présidents que l’on trouve dans certains conseils généraux, les douze ou quatorze vice-présidents qui officient dans certains conseils régionaux… Ces assemblées sont pourtant moins nombreuses que le Sénat !
Dès lors que M. le président a pris l’engagement – que nous saluons et dont nous prenons acte – que la dépense resterait constante, dispensons-nous de ces émotions de rosière effarouchée ! (Rires et applaudissements sur certaines travées du groupe UMP et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le président, je pense que, grâce à votre proposition de résolution, les groupes minoritaires pourront effectivement être mieux représentés, que ce soit par des vice-présidents ou par des secrétaires, puisque nous créons aussi deux postes de secrétaire.
Pour ce qui me concerne, j’adore ceux qui donnent en permanence des leçons de morale.
M. Michel Mercier. Surtout quand ils ont pris les postes !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ou qu’ils n’ont pas pu les obtenir ! (M. Alain Dufaut applaudit.)
M. Michel Mercier. Ce n’est pas pareil !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La réaction est la même !
Il ne faut pas exagérer les enjeux et, mes chers collègues, je suis désolé de devoir vous dire que vos propos ne contribuent pas à la défense de l’institution. Si vous n’êtes pas heureux comme sénateurs, faites autre chose ! (Protestations.)
M. Philippe Dallier. Arrêtez !
M. Thierry Repentin. Dites-le à ceux qui ne sont pas là !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Moi aussi je suis présent autant que faire se peut, monsieur Repentin !
Démolir l’institution en permanence, ce n’est pas lui rendre service !
M. Philippe Dallier. C’est bien ce que je dis !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Dallier, M. le président a avancé des propositions – il en formulera probablement d’autres – pour mettre un terme à certaines pratiques qui ont eu cours dans notre assemblée. Aujourd’hui, ce n’est pas le sujet.
Pour l’instant, il s’agit d’assurer une meilleure répartition des postes de responsabilité entre les groupes, dans un cadre global, comme nos collègues du RDSE l’ont souhaité.
Je voudrais enfin attirer votre attention sur un point : l’Assemblée nationale n’a que six vice-présidents, mais elle compte aussi beaucoup moins de groupes ! C’est notre différence avec l’Assemblée nationale, c’est aussi notre richesse.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne nous privons pas de cette richesse et, au contraire, laissons-la s’exprimer – dans le cadre, bien sûr, qu’a défini le président du Sénat, c’est-à-dire sans augmentation des dépenses. Cet aspect me paraît important, et chacun peut faire des efforts : si les vice-présidents sont plus nombreux, chacun aura moins de travail, et moins d’indemnités complémentaires seront nécessaires !
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, quelle que soit l’estime que j’éprouve pour mes collègues qui viennent d’intervenir – et Philippe Dallier sait très bien que nous sommes très souvent en harmonie sur bien d’autres sujets –, je regrette la tournure que prend ce débat.
Venons-en au fond. D’abord, chaque assemblée s’organise comme elle l’entend !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Michel Charasse. Si tel n’était pas le cas, la Constitution l’aurait spécifié.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Exactement !
M. Michel Charasse. Les députés ont fixé, depuis fort longtemps d’ailleurs, le nombre de vice-présidents, de questeurs et de secrétaires qui leur convenait.
M. Guy Fischer. Ils vont modifier leur règlement pour passer à huit !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Huit commissions !
M. Michel Charasse. Si aujourd’hui nous faisons un choix différent, c’est parce que nous sommes libres de décider ce qui nous convient et nous ne sommes pas à la remorque ni aux ordres de l’Assemblée nationale.
Au demeurant, lorsque, au moment de la révision constitutionnelle, il est apparu que les Français de l’étranger seraient désormais représentés à l’Assemblée nationale par huit ou dix députés sur 577, alors qu’ils bénéficient de douze sénateurs sur 341, j’aurais aimé entendre s’élever la voix de certains collègues qui regrettent aujourd’hui les discordances susceptibles d’exister entre le bureau de l’Assemblée nationale et celui du Sénat.
M. Christian Cointat. Très bien !
M. Michel Charasse. Cette discordance, mon cher collègue et ami, aurait justifié d’autres protestations que celles que nous entendons aujourd’hui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! M. Dallier ne s’en était pas aperçu !
M. Michel Charasse. J’en ai assez que l’on passe son temps à vanter les prétendues vertus de l’Assemblée nationale et que l’on reproche au Sénat ses non moins prétendues turpitudes. Il est souvent question de transparence ; mais nous avons publié nos comptes bien avant l’Assemblée nationale ! Nous n’avons jamais rien eu à cacher ! Bien sûr, si les journalistes sont trop flemmards pour aller au service de la distribution retirer les rapports que le Sénat publie sur son budget et ses comptes, nous ne pouvons pas le faire à leur place ! Nous n’allons pas créer des emplois de fonctionnaires spécialement chargés de prendre les journalistes par la main pour les emmener à la distribution pour prendre les documents comptables, pour faire l’effort de les lire et d’essayer de les comprendre, mais là c’est peut-être beaucoup espérer et demander.
J’ajoute, monsieur le président, puisque nous en sommes aux comparaisons, que je n’arrive pas à comprendre pourquoi le budget de l’Assemblée nationale prévoit une augmentation de près de 4 % en 2009 alors que celui du Sénat se contentera de 1,3 % avant que vous ne rameniez la progression à zéro au moment de la discussion budgétaire, niveau suffisant pour assurer des moyens nécessaires à notre mission.
J’ai fait un rapide calcul pendant notre bref débat : les dépenses supplémentaires résultant de cette réforme du règlement qui ont été évoquées par certains sont vraiment « à la marge », puisqu’elles représenteront à peine 1 ‰ du budget du Sénat ! Un redéploiement très modeste, mes chers collègues, permettra donc très facilement de régler la question sans tomber dans la démagogie ni ameuter à tort un pays qui souffre assez comme cela !
Depuis plusieurs années, le taux d’augmentation des dépenses du Sénat a montré la modération dont cette assemblée fait preuve, ce qui n’a pas toujours été le cas de l’autre chambre.
Enfin, et ce sera mon dernier point, quoi qu’on en pense, il y a au Sénat une majorité et une opposition. La majorité a élu un président qui est aujourd’hui celui du Sénat tout entier. Je ne peux pas imaginer un seul instant que le président ait pris une telle initiative sans qu’elle ait fait l’objet d’une concertation préalable au moins avec ses amis de la majorité !
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Michel Charasse. Le Sénat vivrait sans doute très mal le fait que son président nouvellement élu et installé subisse dès aujourd’hui un camouflet de la part de sa propre majorité sur une question somme toute assez accessoire ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de résolution n° 3.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 29 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 223 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 112 |
Pour l’adoption | 219 |
Contre | 4 |
Le Sénat a adopté.
En application de l’article 61, premier alinéa, de la Constitution, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera soumise avant sa mise en application au Conseil constitutionnel.
Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir examiné ce texte, et je pense que vous ne serez pas déçus des propositions que je compte vous soumettre dans les prochaines semaines. (Très bien ! et applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux en attendant Mme la ministre.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Crise du logement et développement du crédit hypothécaire
Discussion d’une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 21 de M. Thierry Repentin à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la crise du logement et le développement du crédit hypothécaire.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Thierry Repentin attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la crise financière à laquelle est confronté notre pays depuis plusieurs jours, qui viendra immanquablement aggraver la crise du logement qui frappe la France. Après des années d’exubérance sans rapport avec la capacité des ménages à suivre les prix, l’immobilier donne des signes de faiblesse.
« Le Gouvernement a annoncé une série de mesures censées soutenir le secteur de la construction : augmentation des plafonds d’accès au prêt à l’accession sociale, subvention à l’achat de 30 000 logements de promoteurs privés qui ne trouvent pas preneurs... Un projet de loi sans rapport avec la gravité de la situation va être discuté au Sénat, et le sera bientôt à l’Assemblée nationale.
« Il souhaite connaître comment le Gouvernement compte résoudre le déficit de construction de logements à prix abordable pour tous les Français, alors que le projet de loi de finances pour 2009 présente une baisse de 30 % des crédits consacrés par l’État à la construction de logements sociaux, que les collectivités locales sont à la peine et que le secteur de la construction annonce déjà une baisse sensible d’activité et donc du niveau d’emploi.
« Au lendemain de la publication par le Conseil d’analyse économique d’un rapport sur le logement des classes moyennes, qui préconise de développer le crédit hypothécaire en France, il souhaite savoir si le Gouvernement souhaite reprendre à son compte cette proposition, alors même que la tempête qui dévaste les places financières depuis plusieurs semaines est née du marché des subprimes, ces crédits hypothécaires risqués accordés sans retenue par les banques américaines. Il souhaite rappeler que cette proposition avait d’ailleurs déjà été avancée pendant la campagne présidentielle par le chef de l’État. »
La parole est à M. Thierry Repentin, auteur de la question.
M. Thierry Repentin. Le groupe socialiste, madame la ministre – je suis sûr que vous vous en réjouirez – a choisi de consacrer une séance de l’ordre du jour réservé, non pas pour débattre d’une proposition de loi qu’il aurait pu faire inscrire à l’ordre du jour, mais pour interpeller le Gouvernement sur les difficultés des classes moyennes pour se loger dans notre pays, montrant ainsi l’intérêt qu’il porte à ces questions.
M. Thierry Repentin. C’est une idée fixe, en effet, madame la ministre, compte tenu de la situation et des difficultés rencontrées par un certain nombre de nos concitoyens pour se loger.
Un seul chiffre contribue à situer le débat que nous souhaitons aborder ici avec vous : 10 000. C’est le nombre de familles qui ont été expulsées de leur logement en 2006 pour cause de surendettement. Cette situation s’explique entre autres par le fait qu’aujourd’hui un ménage désirant accéder à la propriété doit faire face à des prix qui ont augmenté de 140 % par rapport à ce qu’ils étaient il y a dix ans.
M. Thierry Repentin. Conséquence : l’endettement des ménages a lui-même explosé. La durée des prêts s’allonge : un tiers des jeunes ménages qui accèdent à la propriété souscrivent un crédit sur trente ans. C’est le cas de 16 % du total des emprunteurs.
C’est au cœur de cette crise des prix du logement que nous sommes aujourd’hui frappés de plein fouet par la crise financière.
Que les choses soient claires : les désordres financiers ne sont pas à l’origine du manque de logements en France.
M. Thierry Repentin. Mais le déficit de logements – qui atteint aujourd’hui 900 000 unités – est rendu plus critique par les désordres financiers. Une fois le robinet du crédit stoppé net, il ne reste plus ni investisseurs ni particuliers pour réaliser, construire et acheter des logements.
Ainsi, il est évident que la récession a et aura de lourdes conséquences sur la politique du logement que nous nous devons de mener avec le plus grand volontarisme. La crise contribue, en effet, à assécher les liquidités des banques et donc à restreindre les prêts à l’accession. En conséquence, les ménages composant les classes moyennes, soit ne peuvent plus prétendre à l’accession à la propriété, même « aidée », soit doivent faire face à un taux d’effort au-delà du supportable.
Quant aux catégories populaires, il y a déjà quatre à cinq ans que le marché les a exclues de l’accession à la propriété à coup de prix prohibitifs, n’en déplaise à la pensée magique régulièrement répétée par la majorité.
La crise immobilière et financière a aussi des répercussions sur le secteur du bâtiment, les mises en chantier commençant à connaître un fort ralentissement.
Examinons les ressorts de la mécanique qui nous a conduits à la situation actuelle.
Elle trouve son « principe actif », son accélérateur, dans ce que Bernard Vorms, directeur général de l’Agence nationale pour l’information sur le logement, l’ANIL, a appelé le « paradoxe de la baisse des taux ».
Avec le maintien de taux d’intérêt bas, la part des ménages susceptibles de devenir propriétaires s’est certes trouvée élargie, mais les pourvoyeurs de crédits se sont appuyés sur cet « effet d’optique » des taux bas pour endetter plus longtemps les souscripteurs et souvent pour des montants plus élevés, flirtant sans scrupule avec la ligne des 33 % d’endettement.
Il en est résulté une augmentation continue de l’effort global des ménages depuis une dizaine d’années dans tous les pays développés. Ainsi, la très forte progression récente du coût de l’accession résulte principalement de l’effet inflationniste de la baisse des crédits à l’habitat. Dans un premier temps, cette baisse a amélioré la solvabilité des accédants, accru la demande, induit un ajustement de l’offre, mais, sur le long terme, elle a provoqué la hausse des prix.
Résultat : une augmentation considérable et inégalée du poids des dépenses de logement dans le budget des ménages.
À l’appui de mon propos, j’évoquerai deux indicateurs.
Premièrement, entre 2001 et 2006 – soit une période très courte, vous en conviendrez –, le coût moyen des opérations immobilières financées par emprunt est passé, pour un ménage accédant, de 2,6 années de revenu à près de quatre années.
Deuxièmement, la durée moyenne des crédits s’allonge : 57 % des prêts sont contractés pour une durée de vingt à trente ans, alors que, en 2003, 60,4 % des prêts étaient contractés pour une durée inférieure à vingt ans.
Voilà pourquoi les classes moyennes sont maintenant, elles aussi, touchées par cette crise. De fait, elles n’ont pas accès au logement social et elles ne sont ni assez aisées pour pouvoir prétendre à l’accession au regard de l’explosion des prix de l’immobilier, ni assez fragiles pour être concernées par les aides personnelles au logement ou à l’accession. Quant à celles qui ont accédé à la propriété quand le marché était « au plus haut », parce qu’on leur a laissé croire que c’était toujours « le moment d’acheter », elles se retrouvent aujourd’hui contraintes de revendre à un prix sensiblement plus bas.
Face à cette situation, quelle est la responsabilité de l’État ?
Non seulement, vous n’avez pas su prévoir ce déséquilibre du marché immobilier, annoncé pourtant depuis plusieurs mois par nombre d’économistes et de spécialistes de la question, mais en outre le Gouvernement a décidé qu’en 2009 pas un seul euro supplémentaire ne serait engagé par l’État dans la mission « Ville et logement ».
Pire, vous prenez l’initiative de ponctionner le budget de nos partenaires du monde HLM et menacez la pérennité du 1 % logement collecté sur la masse salariale des entreprises pour compenser les économies que vous souhaitez réaliser dans le budget de l’État.
Les crédits de paiement vont connaître une diminution très sensible de 6,9 %, diminution qui va se poursuivre, comme annoncé, dans les années à venir. Or ce choix est difficilement compréhensible à l’heure où la commission Attali estime que, d’ici à 2020, les besoins en termes de construction s’élèveront à 500 000 logements par an. La ligne budgétaire relative aux aides à la pierre – celle qui est significative pour construire et rénover – sera amputée de 30 %, rien que pour l’année prochaine.
Les arbitrages budgétaires de Bercy nous paraissent d’autant plus inquiétants que la mise en œuvre du plan de cohésion sociale et du programme national de rénovation urbaine va nécessiter un effort et un soutien tout particulier. Où est passé l’euro que l’État devait mettre sur la table pour chaque euro dépensé en faveur de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine ? Où est passé l’investissement massif nécessaire pour permettre la construction de logements économiquement abordables, que ce soit au sein du parc public ou du parc privé ? Aujourd’hui, qui garantit durablement à l’ANAH, l’Agence nationale de l’habitat, un niveau de financement lui permettant de poursuivre ses missions, alors que sa ressource est extrabudgétaire ?
Par ailleurs, vous affichez, madame la ministre, une volonté de quasi-liquidation du plan de cohésion sociale, avec un budget en baisse pour les aides au locatif social : 350 millions d’euros en 2009, contre 362 millions d’euros il y a cinq ans.
Vous avez également refusé de prolonger, au-delà de 2009, l’exonération durant vingt-cinq ans de la TFPB, la taxe foncière sur les propriétés bâties. Le plan de cohésion sociale est donc bel et bien remis en cause !
Lorsque le Président de la République avait annoncé qu’il allait faire du logement son chantier prioritaire, aurions-nous dû comprendre qu’il comptait soumettre les politiques publiques du logement aux seules exigences de la RGPP, la révision générale des politiques publiques ? Quelles que soient les circonstances, il semble accorder, coûte que coûte, la primauté au monde de la comptabilité sur celui du logement de nos concitoyens. D’ailleurs, la RGPP ne fait aucune référence à l’efficacité de la dépense publique ; seule compte la réduction, à court terme, des dépenses de l’État. Qu’importe même si cette réduction entraîne des dépenses supérieures dans un autre domaine ou à très brève échéance, dans un ou deux ans !
C’est curieux comme cette myopie rappelle celle des marchés financiers et de leurs produits à terme, que le Président de la République est pourtant le premier désormais à mettre sur le banc des accusés !
Si, au nom du groupe socialiste du Sénat, je vous interroge sur la crise du logement, madame la ministre, c’est parce que la véritable cause de la crise immobilière réside dans l’absence de relance efficace de la construction, notamment dans le parc social.
Au lieu de cette relance, vous avez encouragé les dispositifs d’aide à l’investissement locatif de manière déraisonnable, sans aucune contrepartie sociale à l’engagement financier de l’État. Cette décision est tellement déraisonnable que ces dispositifs ont permis la construction de logements inadaptés au marché local en dehors des zones non tendues. Ne correspondant à aucune demande, certains n’ont pas trouvé preneur, tandis que d’autres ont fini par trouver des preneurs qui n’avaient pas d’autre choix, même si le logement en question ne leur convenait pas en raison de son poids sur leur budget familial.
Quant au Pass-foncier, il procède de la même logique : il conduit à l’endettement des ménages sur des durées si longues que le moindre accident de la vie risque de les entraîner dans une descente aux enfers.
La situation est paradoxale. D’un côté, l’État investit plus de 30 000 euros dans un logement privé, vendu comme produit fiscal, construit en dehors de toute considération des besoins, et loué au-dessus des prix du marché, et, de l’autre, il consacre à peine 20 000 euros pour construire un logement à un prix abordable, correspondant au pouvoir d’achat des foyers populaires, dans une zone où c’est nécessaire !
Dans le même temps, l’État, mauvais payeur, reste le premier créancier des organismes d’HLM, dont il est pourtant si prompt à critiquer la gestion.
À ce budget en baisse s’ajoute une série de mesures annoncées par le Gouvernement dont on peine à comprendre l’objectif, si ce n’est celui d’envahir la presse d’effets d’annonce pour tenter de rassurer l’opinion. La subvention annoncée par Nicolas Sarkozy pour l’achat de 30 000 logements à des promoteurs privés qui ne trouveraient pas aujourd'hui preneur est un exemple parmi d’autres.
D’abord, cette mesure ne doit pas être une aide directe à des promoteurs privés, dont la modération, la sobriété et la recherche d’une réponse pertinente aux besoins n’ont pas toujours été, au cours de ces dernières années, les qualités premières.
Ensuite, cette mesure est une nouvelle occasion, tout comme le soutien aux PME grâce au livret A, de peser sur le budget de nos partenaires, sans pour autant accroître l’effort de la nation en faveur du logement. Soyons clairs : débudgétiser est non seulement une économie pour l’État, mais aussi une manière de réduire radicalement les crédits consacrés au logement. La part du gâteau se réduit !
Je souhaite vous poser plusieurs questions, madame la ministre.
Premièrement, comment comptez-vous – enfin – réagir pour combler le déficit constaté en matière de construction de logements à loyer abordable en France ?
Deuxièmement, qu’allez-vous faire pour les classes moyennes qui ont acheté leur logement au prix fort et se retrouvent aujourd’hui soit avec un taux d’effort ingérable, soit avec un prix de revente sensiblement plus bas, soit étranglées par un prêt-relais désormais insolvable ?
Troisièmement, allez-vous réellement, comme le préconise une publication récente du Conseil d’analyse économique portant sur le logement des classes moyennes, généraliser les emprunts hypothécaires pour financer l’économie ?
Vous ne pouvez pas réellement croire que de telles mesures seront favorables aux 712 000 ménages – ce sont les chiffres de la Banque de France ! – qui se trouvent aujourd’hui en situation de surendettement. Et je ne parle pas des milliers de ménages qui se sacrifient chaque jour pour faire face à leurs échéances. Le développement de ce type de crédit au profit des particuliers présente de graves dangers et produit des effets pervers sur le surendettement des ménages.
Notre inquiétude est d’autant plus légitime que le Président de la République n’a cessé de chanter haut et fort les louanges de ce dispositif.
Ainsi, il expliquait en 2006, dans une interview accordée au journal Les Echos, sa nouvelle stratégie économique en ces termes: « Je veux développer le crédit hypothécaire en France. C’est ce qui a permis de soutenir la croissance aux États-Unis. » (M. Alain Fauconnier se félicite de ce rappel.) Cette proposition se trouvait aussi dans son programme pour l’élection présidentielle : « Les ménages français sont aujourd’hui les moins endettés d’Europe. Or, une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. C’est pour cette raison que je souhaite développer le crédit hypothécaire pour les ménages. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
C’est vrai, nous ne le contestons pas, le crédit hypothécaire a dopé la croissance américaine.
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Thierry Repentin. J’utilise ce terme à dessein : il s’agissait bien de dopage. Et, comme tous les produits dopants, celui-ci a entraîné des performances artificielles et s’est révélé dangereux pour la santé ! En effet, après avoir vécu au-dessus de ses moyens, l’économie américaine a sombré dans l’overdose et est au bord de l’implosion.
Les références, répétitives, au crédit hypothécaire sont donc particulièrement préoccupantes. Je rappelle que l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, observe que les États-Unis sont sans doute entrés dans « la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale ». Ils ont d’ailleurs dû, il y a quelques semaines, nationaliser – excusez du peu ! – les deux géants du crédit hypothécaire : Freddie Mac et Fannie Mae. En effet, la tempête qui dévaste les places financières depuis plusieurs semaines est née du marché des subprimes, qui sont des crédits hypothécaires gagés sur l’estimation du bien !
Dans ce contexte, il nous paraît inacceptable de proposer aux familles de recourir à ces crédits hypothécaires risqués, dont on a vu les conséquences dans le monde anglo-saxon. La seule croissance qui est ainsi créée est une croissance des risques et de la spéculation, et non une croissance de la richesse.
Au contraire, il est indispensable d’encadrer les systèmes de prêts et de faire preuve de pédagogie pour éviter que des ménages bénéficiaires de plusieurs prêts immobiliers ou à la consommation ne se retrouvent dans des situations inextricables dont ils ne verraient pas comment sortir.
Je citerai un exemple particulièrement emblématique des conséquences de la crise financière. Les ménages soumis aux prêts-relais se retrouvent aujourd'hui étranglés entre leur promesse d’achat et l’impossibilité de trouver un acheteur pour leur propre bien : soit que l’acheteur n’obtient pas lui-même son crédit, soit qu’aucun acheteur ne fait de proposition au prix envisagé dans le plan de financement. D’autres solutions que les prêts hypothécaires paraissent donc plus adaptées.
J’en viens à ma quatrième question.
Pourquoi ne pas encourager le recentrage du prêt à taux zéro en augmentant son montant moyen – il est aujourd’hui de 15 000 euros – pour améliorer son efficacité sociale et faire en sorte qu’il devienne une aide déterminante dans l’acte d’achat ? Le rapport du Conseil d’analyse économique que j’ai cité tout à l'heure montre bien que le prêt à taux zéro a un effet déclencheur sur l’accession à la propriété et qu’il touche les ménages aux revenus moyens. Au regard de ces considérations et des dispositions contenues dans le projet de loi de finances pour 2009, je souhaiterais savoir quel avenir vous lui réservez, madame la ministre.
En effet, dans l’état actuel des textes qui nous sont soumis, le prêt à taux zéro ne sera plus financé en 2010. Son financement par crédit d’impôt sur l’impôt sur les sociétés, par exemple, qui avait été inventé à l’époque par M. Daubresse pour le débudgétiser, n’est prévu que jusqu’en 2009. À moins que vous ne comptiez le rebudgétiser, n’est-ce pas le signe que vous allez laisser disparaître ce dispositif ?
Cinquièmement, comptez-vous favoriser la disparition de l’épargne logement ? Pourtant, relancer le produit d’épargne logement constituerait un signal d’encouragement fort envers les primo-accédants ? En effet, il comporte, à nos yeux, plusieurs avantages indéniables.
L’effort consenti pour épargner constitue un apprentissage très précieux pour la phase d’accession à la propriété. L’épargne accumulée contribue à constituer l’apport personnel, même si le droit à prêt n’est finalement pas utilisé. Elle participe à la fois à la sécurité de l’accédant et à celle du prêteur. Enfin, sa contractualisation et sa contribution à une bonne partie des prêts à l’habitat contribuent à la sécurisation du système financier français. Les banques sont ainsi amenées à intégrer dans leurs bilans une forte proportion des risques et des ressources correspondantes. Cela permet de se protéger de situations comparables à celle des États-Unis, conséquence d’un trop grand recours à la titrisation.
Telles sont, madame la ministre, les quelques questions et propositions que le groupe socialiste voulait soumettre à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.
Le débat que nous souhaitons avoir ici, vous l’aurez compris, ne consiste pas à être pour ou contre l’accession à la propriété. Nous voulons simplement prévenir les dangers liés à un discours qui viserait l’accession à tout prix.
Il s’agit d’élaborer une vision raisonnée, dont l’objectif premier est de protéger tant les ménages que les collectivités d’un endettement démesuré et insoutenable. Qui plus est, comme l’indiquait l’ANIL, l’Agence nationale pour l’information sur le logement, en conclusion d’une note consacrée au récent rapport d’information présenté par Frédéric Lefebvre, un député qui vous est proche, madame la ministre, sur les emprunts immobiliers à taux variable, « ce n’est pas un excès de réglementation, ni même la fin de toute imagination commerciale que de faire en sorte que des prêts qui engagent des emprunteurs “profanes” pour plus de vingt ans ne puissent être vendus comme des téléphones portables ».
On ne peut que souscrire à cette once de sagesse dans un débat trop souvent obscurci par des arguties techniques.
Il est temps d’envoyer un signe clair à nos concitoyens. À l’heure où la majorité parlementaire fustige les aides personnelles au logement, où le crédit d’impôt prévu par la loi TEPA, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, va coûter 4,5 milliards d’euros en régime de croisière, alors qu’il n’est pas pris en compte par les banques pour apprécier la solvabilité des acquéreurs, il y a peut-être mieux à faire, en termes d’utilité de la dépense publique, que d’aider sans discernement les accédants les plus aisés à acheter un logement existant. Plus que jamais, il faut encourager la production de logements « abordables » destinés à une majorité de nos concitoyens.
Au moment où la crise atteint les classes moyennes et enfonce un peu plus les familles endettées, il ne saurait être concevable, selon nous, de généraliser les prêts hypothécaires.
Notre interpellation est donc double. Elle concerne à la fois les outils que vous comptez mettre en place et les moyens financiers que vous comptez engager au service de la politique du logement – je devrais dire les moyens que le Gouvernement vous permettra d’engager.
Par ailleurs, quelle suite entendez-vous réserver, madame la ministre, à la proposition dangereuse consistant à généraliser les prêts hypothécaires ?
Tel est l’objet de la question orale que le groupe socialiste a présentée durant les vingt minutes de temps de parole qui lui étaient accordées aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question orale de notre collègue Thierry Repentin, qui se veut d’actualité, apparaît pourtant, si l’on y regarde de près, décalée, voire dépassée.
Décalée et dépassée, parce que, voilà moins de dix jours, durant six jours et six nuits, nous avons discuté et adopté le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
Nous avons donc eu, les uns et les autres, tout le loisir de nous exprimer sur la crise actuelle et de poser un diagnostic sur l’état du logement en France. Si nous ne faisons pas tous le même constat, il est difficile de dire que nous n’avons pas pu débattre ! Nous avons également eu l’occasion, par le biais du texte proposé par Mme Christine Boutin et des amendements déposés par tous les groupes, d’examiner les voies et moyens pour construire plus de logements, favoriser l’accession sociale à la propriété, permettre l’accès au parc de logements HLM à un plus grand nombre, et lutter contre l’habitat indigne.
J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur tous ces sujets, en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances, ainsi qu’à titre personnel. Nombre de nos collègues sont également intervenus, mais, à aucun moment, me semble-t-il, le crédit hypothécaire, qui vous pose problème aujourd’hui, monsieur Repentin, n’est apparu comme un sujet sur lequel le Gouvernement souhaitait changer la donne. D’ailleurs, le projet de loi, dans la rédaction adoptée par le Sénat, n’y fait aucunement allusion.
Je ne pense donc pas qu’il soit aujourd’hui nécessaire de rouvrir le débat, une semaine seulement après l’adoption de ce texte par le Sénat.
M. Daniel Raoul. C’est contradictoire !
M. Philippe Dallier. Il revient maintenant à l’Assemblée nationale de se saisir de ce texte. Il sera temps, ensuite, pour les deux assemblées, de rechercher les voies d’un compromis équilibré. Laissons donc la procédure législative se poursuivre normalement !
Cette question orale, outre le fait d’être décalée et dépassée, entretient également la confusion entre crédit hypothécaire et subprimes. C’est absolument regrettable, car point n’est besoin d’en rajouter sur des sujets aussi complexes et sensibles, surtout en période de crise.
Je sais bien que l’on a vu récemment certains élus socialistes, notamment le président du Conseil général de Seine-Saint-Denis, se lancer dans une véritable opération d’enfumage, qui n’a probablement d’autre but que de préparer les esprits à une augmentation des impôts locaux, en comparant des emprunts à taux variables, produits somme toute assez banals, fussent-ils libellés en devises étrangères, aux produits toxiques que sont effectivement les titres composés principalement de subprimes américaines.
Cependant, mes chers collègues, nous ne sommes pas obligés de suivre ici, au Sénat, ce mauvais exemple, qui conduirait nos concitoyens à faire cet amalgame et à jeter le bébé du crédit hypothécaire bien utilisé avec l’eau du bain !
Chacun le sait, le Parlement n’a autorisé, en France, le développement du crédit hypothécaire au profit des particuliers qu’avec prudence et en veillant bien à protéger les intérêts des personnes susceptibles d’en bénéficier, comme l’a prévu la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie.
Chacun sait aussi que l’hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire sont très peu utilisés depuis la publication de l’ordonnance du 24 mars 2006, qui a traduit la réforme de l’hypothèque et créé ces deux outils.
Selon les informations dont nous disposons, seulement 10 500 hypothèques conventionnelles rechargeables ont été enregistrées au 31 août 2008. En ce qui concerne le prêt viager hypothécaire, seulement 4 400 prêts ont été autorisés sur un an, de juin 2007 à juillet 2008.
Il s’agit donc là de dispositifs marginaux, maniés avec précaution par les banques françaises, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Surtout, les dispositifs existants et ceux dont le développement, à un moment ou à un autre, a été évoqué en France, y compris par le Président de la République pendant la campagne présidentielle, sont très différents des subprimes américaines avec lesquelles certains semblent vouloir entretenir la confusion.
Ainsi, l’hypothèque rechargeable permet, comme son nom l’indique, de «recharger » l’hypothèque qui a servi à obtenir un prêt, au fur et à mesure du remboursement du prêt initial, et d’utiliser celle-ci pour emprunter de nouveau et mener à bien d’autres projets.
Toutefois, en France – c’est un principe de précaution fort utile –, l’emprunteur ne peut réutiliser l’hypothèque que dans la limite de la valeur initiale de son bien, sans tenir compte d’une éventuelle appréciation de la valeur de celui-ci. Certes, en cas d’acquisition d’un bien à un prix élevé suivie d’une dépréciation immédiate, il pourrait y avoir un décalage temporaire entre le montant de l’hypothèque et la valeur réelle du bien, mais il s’agit là d’un cas extrême. Notre système comporte, globalement et intrinsèquement, un solide garde-fou, qui n’existe pas forcément ailleurs.
Notre collègue Repentin fait le parallèle entre les subprimes américaines et le crédit hypothécaire, en reprenant un rapport du Conseil d’analyse économique rendu public ce mois-ci.
Cependant, il oublie de nous dire que les auteurs de ce rapport rejettent un système hypothécaire pur, dont les carences sont aujourd’hui bien visibles, et proposent d’instaurer un encadrement de la distribution de crédits immobiliers qui permette d’exclure les formes les plus risquées d’emprunts.
Au demeurant, ce rapport, élaboré dans un autre contexte et publié aujourd’hui, n’engage que ses auteurs. Il est, lui aussi, en décalage avec la réalité du marché du crédit et du logement.
Les choses doivent être bien claires : personne ne propose d’introduire aujourd’hui en France un système identique à celui des subprimes américaines. Le groupe UMP du Sénat y serait de toute façon totalement opposé.
La question posée par notre collègue Thierry Repentin est également décalée et dépassée par rapport aux enjeux et aux vraies questions qui se posent aujourd’hui.
Notre pays doit en effet faire face à une crise très grave du crédit et à ses lourdes répercussions, en particulier dans le secteur du logement.
Les derniers chiffres diffusés hier montrent une très nette dégradation de l’activité dans ce secteur essentiel pour l’économie et l’emploi. Le nombre de permis de construire s’est ainsi effondré en France de 23,3 % au troisième trimestre 2008 par rapport à la même période de l’année dernière, et le nombre de mises en chantier a reculé de 8,1 %.
Sans attendre, le Président de la République a annoncé, au début du mois d’octobre, un plan ambitieux pour soutenir le secteur du bâtiment et répondre aux besoins des Français.
Nous l’avons dit lors de l’examen du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, le groupe UMP salue une telle réactivité et soutient les mesures annoncées : lancement d’un programme exceptionnel d’acquisition en VEFA, vente en l’état futur d’achèvement, de 30 000 logements ; augmentation de 20 000 à 30 000 du nombre d’opérations finançables en Pass-foncier ; augmentation du plafond du prêt d’accession sociale au niveau du prêt à taux zéro pour faciliter l’octroi de prêts immobiliers par les banques ; mobilisation des terrains de l’État et de ses établissements publics, notamment ferroviaires.
Bien entendu, certaines questions se posent sur l’articulation de ce dispositif avec le projet de loi de finances pour 2009 et l’adéquation de ce dernier à la réalité du secteur du logement à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés.
Lors de la discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, j’ai évoqué le financement de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, et de l’ANAH, l’agence nationale de l’habitat, les débudgétisations programmées et la mise à contribution du 1 % logement.
Ce sont des questions importantes qui devront être abordées de nouveau lors de l’examen du projet de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, puis du projet de loi de finances pour 2009, en particulier des crédits de la mission « Ville et logement ».
Le débat que nous rouvrons aujourd’hui, entre l’adoption du projet de loi pour le logement et le débat budgétaire, n’a pas de véritable sens, puisque nous allons revenir sur ces sujets d’ici à quelques semaines. C’est la raison pour laquelle il me semble que nous sommes en décalage.
Soyez néanmoins assurée, madame le ministre, que le Sénat, et en particulier sa commission des finances, contribueront activement au débat, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, en cohérence avec les mesures de soutien annoncées par le Président de la République, auxquelles le groupe UMP apporte son soutien. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je comprends la gêne de mon collègue Philippe Dallier, qui évoque un « débat décalé » pour qualifier l’initiative de notre collègue Thierry Repentin.
Pour ma part, je ne crois absolument pas que ce débat soit décalé. En effet, nous sommes au cœur d’une crise financière mondiale. Or une erreur n’est pas grave quand elle est corrigée. S’il y avait persistance dans l’erreur, …
M. Daniel Raoul. Ce serait une faute !
M. Martial Bourquin. … nous nous « enfoncerions » dans la crise. Pour cette raison, il est important d’aborder la question du crédit hypothécaire et de sa généralisation à outrance de façon claire et sans détour. Si nous ne le faisons pas, la persistance dans l’erreur nous conduira inévitablement au même résultat.
Vouloir à tout prix séparer, d’une part, les subprimes américaines et, d’autre part, le crédit hypothécaire et sa généralisation est, à nos yeux, une erreur. Il faut s’affranchir, dans la situation que nous vivons, d’un corpus néolibéral triomphant, en tirant les enseignements concrets de la réalité des crédits hypothécaires.
Cette crise constitue en effet l’occasion de redéfinir nos priorités. Plus que jamais, dans un contexte très difficile, nous avons besoin de clarté. Celle-ci est indispensable pour nos concitoyens – je pense en particulier, comme Thierry Repentin, à ceux qui ont contracté des crédits et sont en situation difficile –, indispensable pour les établissements bancaires et pour nos négociations internationales.
La position des élus socialistes est nette. Notre responsabilité d’élus aux prises avec les difficultés sociales est non pas de promouvoir à marche forcée le slogan du Président de la République, qui aime à évoquer « la France des propriétaires », mais de prévenir « la France de l’endettement maximum », d’aider des ménages modestes à accéder à la propriété dans des conditions sécurisées. Pour une famille, en effet, il n’y a rien de pire que l’échec d’une accession à la propriété, échec qui se traduit souvent par un endettement important pour, au final, n’aboutir à rien.
Notre responsabilité n’est pas d’inciter, par tous les moyens, à la consommation déraisonnée, à la hausse artificielle du pouvoir d’achat et de nier euphoriquement les éventuels accidents de la vie. Vous connaissez notre position, mais je ne suis pas sûr de comprendre celle que vous entendez défendre sur le long terme.
M. Martial Bourquin. Je crains que la modération que vous affichez aujourd’hui ne soit qu’une façade et que, d’ici à quelques mois, ressortent des projets allant encore plus loin. Nous avons quelques raisons de nous inquiéter. À cet égard, je me permettrai d’effectuer un rappel des textes ou rapports que vous avez soutenus ces dernières années.
En 2005, alors que Nicolas Sarkozy était ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, il avait entrepris « l’import juridique » du système de l’hypothèque rechargeable. Pour éviter le débat, le Gouvernement avait alors choisi de procéder par voie d’ordonnance. C’est ainsi que, dans le but de permettre aux personnes propriétaires de pouvoir dégager des revenus et contracter d’autres prêts, l’ordonnance du 24 mars 2006 relative aux sûretés avait ouvert deux nouvelles formes de crédit. La première, l’hypothèque rechargeable, autorise l’emprunteur qui a déjà constitué une hypothèque pour l’achat d’un bien immobilier à affecter une partie de celle-ci, proportionnelle au montant du crédit déjà remboursé, à la garantie d’un autre crédit. La deuxième, le prêt viager hypothécaire, permet d’obtenir un prêt garanti par un bien immobilier à usage exclusif d’habitation, sachant que le prêt n’est remboursé qu’au décès de l’emprunteur par la vente de son bien.
L’adoption de cette ordonnance, faute de débat parlementaire, avait fait l’objet d’une grande campagne au sein de l’UMP, où la fascination pour des méthodes de distribution de crédit immobilier explicitement inspirées des États-Unis était flagrante. Déjà, à l’époque, le groupe socialiste s’était élevé contre ces propositions.
Autre source d’inquiétude : un rapport sur l’hypothèque et le crédit hypothécaire, commandé par Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, proposait, dès 2004, d’accroître la fluidité du crédit hypothécaire tout au long de la vie du prêt. L’idée exposée était simple : « Une hypothèque initialement inscrite à l’appui d’un premier prêt, le plus souvent immobilier, peut être réutilisée, sans nouvelle formalité de mainlevée ou d’inscription, pour garantir de nouveaux prêts. »
Il s’agissait ni plus ni moins du système américain, à une nuance près : la recharge servait à financer des « dépenses de travaux ou d’équipement ». Aux États-Unis, elle est utilisée pour contracter un autre prêt à la consommation. C’est le crédit revolving sans barrières, où prêts à la consommation et prêts immobiliers se confondent sans limite, pour la plus grande insécurité des emprunteurs.
Là encore, nous avions fait part de très vives préoccupations. Nous savons que le dispositif existant en France n’est pas strictement identique au dispositif américain. C’est peut-être même l’une des raisons pour lesquelles il ne s’est pas développé : le système du cautionnement, combiné au maintien d’une étanchéité entre les prêts à la consommation et les prêts immobiliers, a préservé notre pays des conséquences les plus dramatiques de ce système.
Depuis, il est vrai, certaines personnes ont ouvert les yeux et sont revenues, sinon à un enthousiasme plus modéré, du moins à une position plus raisonnable.
Dans un récent rapport, Frédéric Lefebvre, député UMP, se félicite de l’échec de la mise en œuvre de ces nouveaux produits. Il y voit même l’une des principales explications de la meilleure résistance du marché français à la crise.
Le problème, c’est que plusieurs faits intervenus depuis cette ordonnance de 2006 nous conduisent à penser que ce retour à une position plus mesurée ne peut être que conjoncturelle. Les propositions du candidat Sarkozy en 2007 et la publication d’un récent rapport du Conseil d’analyse économique, le CAE, vont, en effet, dans le sens du développement du crédit hypothécaire.
En septembre 2006, Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République, et dont l’objectif était de voir 70 % des Français devenir propriétaires de leur logement principal, déclarait : « En France, nous privilégions la garantie sur les personnes, ce qui conduit les établissements bancaires à écarter du marché du crédit tous ceux dont la situation professionnelle n’est pas assez stable pour assurer des revenus durables. Cette tradition n’est pas une fatalité. Il suffit de changer les règles prudentielles imposées aux banques, de simplifier le recours à l’hypothèque et d’en réduire le coût. ».
Avouez quand même, mes chers collègues, qu’un tel discours traduisait une fascination pour le système américain qui, aujourd’hui, paraît pour le moins décalée !
Il ne fait aucun doute que cette proposition visait les ménages les plus modestes. Comme aux États-Unis, il s’agissait d’établir un lien direct entre la valeur du bien estimée sur le marché et la capacité d’accès au crédit.
On sait qu’aux États-Unis, la baisse des prix des actifs immobiliers a d’abord entraîné une diminution des capacités d’emprunt et d’accès au crédit, avant de rendre la demande de logements moins solvable et, enfin, un peu comme un jeu de dominos qui s’écroule, d’entamer la capacité de consommation des ménages. Les ménages les plus modestes ont vu leurs logements saisis, les banques ne pouvant espérer retirer de la vente de ces biens qu’une valeur très inférieure à celle estimée initialement. Finalement, c’est l’économie en général qui en a pâti, et qui se trouve aujourd’hui plongée dans une crise durable.
Le deuxième fait marquant, et qui alimente nos craintes, madame la ministre, c’est le rapport du Conseil d’analyse économique, qui vous a été remis le 30 septembre dernier.
Les auteurs de ce rapport estiment qu’en matière de crédits immobiliers, « la France n’a pas intérêt à défendre à tout prix une exception dont les vertus sont établies, mais qu’il n’est pas illégitime de faire évoluer », que les premiers pas accomplis par l’ordonnance de 2006 « restent pour le moins insuffisants », et que « le développement d’un marché financier de titrisation hypothécaire est la condition du développement du marché de l’hypothèque en France ».
Les propositions contenues dans ce rapport sont-elles encore défendables aujourd’hui, madame la ministre ?
Pour leur part, les socialistes ont une vision du logement qui n’est pas strictement patrimoniale. Dès vos premières propositions, nous avions tiré la sonnette d’alarme et nous nous étions prononcés contre la généralisation du crédit hypothécaire rechargeable. Croyez-nous, madame la ministre, nous aurions préféré ne pas avoir raison sur ce thème ! Aujourd’hui, il est encore temps de réagir avant que le train ne déraille. C’est ce que nous vous invitons à faire !
Aussi, madame la ministre, nous nous permettrons de vous poser plusieurs questions précises.
Souhaitez-vous poursuivre l’œuvre entreprise et importer purement et simplement en France le système américain, dans lequel les crédits à la consommation sont adossés aux prêts au logement ?
Voulez-vous faire des ménages français des spéculateurs malgré eux, qui consommeraient au-delà du raisonnable mais qui vivraient en permanence avec la menace de la dépréciation de leurs biens immobiliers planant au-dessus de leur tête et de celle de leurs enfants ?
Souhaitez-vous continuer à promouvoir un système de retraite par capitalisation, dont il faut rappeler qu’il repose de plus en plus sur les valeurs financières et immobilières, au détriment des valeurs de solidarité entre les actifs et les inactifs ?
Souhaitez-vous persister à n’apporter que des solutions bancaires et financières à la crise du logement, alors que celle-ci est avant tout une crise de la construction, d’où découle un défaut d’adaptation de l’offre à la demande, et une crise du foncier constructible ?
Souhaitez-vous exiger des banques, auxquelles l’État s’apprête à donner 10 milliards, qu’elles recourent avec la plus grande mesure à ces crédits ?
Au fond, madame la ministre, quels risques êtes-vous finalement prête à faire prendre aux ménages les plus modestes ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’examen, en première lecture et en urgence, du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, le débat que nous avons aujourd’hui prend une autre tournure.
Cette discussion prend une allure de redite et de bilan des débats qui nous ont occupés la semaine dernière.
Mme Odette Terrade. Dire qu’il existe une crise du logement dans notre pays relève du lieu commun. Les déclarations triomphales faites, voilà quelques mois, sur le niveau exceptionnel de construction de logements, y compris de logements sociaux, semblent avoir mal supporté l’épreuve de la crise économique, dont l’une des conséquences les plus immédiatement perceptibles est le ralentissement de l’activité du bâtiment et de l’immobilier.
Chute de 25 % des mises en chantier, chute de 30 % des transactions immobilières, émergence d’une situation dramatique pour 30 000 accédants à la propriété victimes des prêts-relais, aggravation de l’endettement des ménages, notamment en raison des prêts immobiliers à taux variable : tout cela concourt à la crise ! Au demeurant, s’il fallait encore se convaincre des désordres constatés dans le secteur, on pourrait rappeler qu’un des principaux opérateurs immobiliers, Nexity, a annoncé l’abandon de 110 programmes et le licenciement de 500 salariés, tandis qu’un important réseau d’agences immobilières, ORPI, s’apprête à fermer 30 agences.
Je donnerai également quelques indications à propos de la situation qui prévaut sur le front de l’emploi. Le secteur de la construction, avec une moyenne de 18,2 heures supplémentaires sur le second trimestre 2008, continue de solliciter avec une constance avérée le dispositif instauré par la loi TEPA. Mais, dans le même temps, les services du ministère du travail nous indiquent que 8 500 emplois intérimaires ont disparu dans le secteur, tandis que les créations d’emplois n’ont finalement progressé que de 4 000 postes sur la période.
Alors qu’en principe, au deuxième trimestre, les beaux jours favorisent l’activité du bâtiment, le ralentissement est sensible au niveau de la création d’emplois. Il faut dire que la loi TEPA, qui incite les entreprises à arbitrer au mieux entre heures supplémentaires, intérim et embauches fermes, pèse lourdement sur l’emploi. À force de donner priorité au mirage du « travailler plus pour gagner plus », vous allez, par la chute de l’intérim et celle des embauches directes, priver l’industrie française du bâtiment des forces dont elle aura besoin, demain, pour relever les défis, à commencer par celui du logement pour tous et partout.
Cette crise du logement est donc aussi la crise d’un secteur économique. Elle est aggravée par des choix politiques néfastes, et elle appelle un certain nombre d’observations complémentaires.
II y aurait, selon les associations de lutte pour le droit au logement, 2,5 millions de ménages mal logés, sans-abri, précairement hébergés ou résidant dans des logements insalubres ou surpeuplés.
En guise de réponse, le Gouvernement a essentiellement, ces dernières années, développer l’offre de logements, avant de s’inquiéter des caractères de la demande. Des centaines de millions d’euros ont ainsi été distraits des ressources publiques pour inciter les particuliers à réaliser des investissements locatifs – les régimes « Robien » et « Borloo » – tandis que des millions ont été mobilisés pour permettre aux établissements de crédit d’entraîner des ménages moyens et modestes dans la spirale de l’endettement, sans le moindre risque pour ces établissements.
La dépense publique pour le logement a été profondément dénaturée. Les crédits de la mission « Ville et logement » se limitent désormais à la prise en charge partielle des aides personnalisées au logement. Quant à la part des crédits destinés à la construction de logements locatifs sociaux neufs et à la réhabilitation du parc existant, ils ne cessent de diminuer, par la voie de la régulation budgétaire et des ajustements réalisés par les collectifs de fin d’année.
Je me contenterai d’énumérer quelques signes, bien connus, de cette politique que nous condamnons depuis 2002.
Ainsi, l’État n’a jamais respecté les engagements qu’il avait pris dans le cadre du programme national de rénovation urbaine, alors même qu’il s’apprête aujourd’hui, avec le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, à solder son découvert en faisant main basse sur le 1 % logement !
Les engagements non respectés trouveront d’ailleurs en 2009 une nouvelle illustration, puisque la prime à l’amélioration des logements à usage locatif, PALULOS, va passer par pertes et profits pour toute opération qui n’entrerait pas dans le cadre des programmes menés par l’ANRU.
La crise du logement, c’est aussi cela, mes chers collègues !
Dans la dernière période, la construction de logements sociaux tient, d’une part, à la montée en charge des logements PLS, peu consommateurs d’aides publiques directes, et, d’autre part, au fait que les communes présentant un déficit de logements sociaux dans leur habitat ont finalement décidé, dans leur majorité, de mettre en œuvre la loi SRU.
C’est pourquoi, remettre en cause la loi SRU, ce serait aujourd’hui prendre le risque d’aggraver les crises du logement, de l’emploi et de l’activité dans le bâtiment ! Madame la ministre, je ne pense pas que le projet du Gouvernement soit d’augmenter le nombre des sans-emploi dans notre pays !
Pensez-y avant de chercher comment vous allez faire rétablir par le Palais Bourbon l’article 17 du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, que le Sénat a massivement, et justement, rejeté ! (M. Repentin sourit.)
Pensez-y aussi quand vous laissez croire que l’accroissement de la mobilité des locataires, en mettant dehors les locataires en sous-occupation ou prétendument privilégiés – un couple d’enseignants sans enfant, par exemple -, permettra de répondre aux besoins.
Toutes ces propositions ne font que tourner autour de la solution, à savoir la construction de logements sociaux de qualité, en quantité suffisante pour inverser le processus d’aggravation de la crise du logement.
La construction, parlons-en ! Ce qui pose problème, mes chers collègues, depuis 2002, c’est que la majorité a voté des lois dont il résulte que 70 % de l’offre de logements existante n’est destinée en fait qu’à 30 % des demandeurs de logements.
Les logements « Robien », c’est bien quand ils sont loués ! Mais quand ils ne correspondent pas aux attentes des demandeurs de logement, c’est un gâchis sans nom ! Par quel miracle voudriez-vous qu’un couple, dont les revenus se situent sous les plafonds HLM, soit prêt à payer 1 500 ou 1 600 euros par mois pour se loger dans du « Robien », logement par ailleurs largement défiscalisé ? En revanche, le même couple est autorisé à voir le produit de ses impôts dispendieusement utilisé pour aider des investisseurs immobiliers qui pourraient se contenter des modalités normales d’imposition des revenus fonciers !
S’agissant de l’offre locative, comment ne pas relever encore que la loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 ou que la loi relative à l’habitat du 21 juillet 1994 ont favorisé la poussée urticante des loyers et la flambée des quittances ?
De fait, mes chers collègues, le parc social n’existe quasiment plus, la loi de 1948 n’étant qu’un lointain souvenir de temps révolus ! Ce qui existe, en revanche, c’est un parc locatif privé qui n’a pas été véritablement entretenu et dont les loyers ont, eux, pris l’ascenseur !
La crise du logement, ce sont aussi ces studettes parisiennes à 900 euros ou ces studios construits dans les années vingt ou trente, à 700 euros en province ! C’est aussi le développement de copropriétés dégradées, dont certaines procèdent du démembrement, fort rentable pour le vendeur, d’immeubles anciens par congé-vente, dans le droit fil de la loi Méhaignerie.
Devant nos concitoyens, devant les demandeurs de logement, devant les mal-logés, devant les sans-abri, les auteurs de ces lois sont aujourd’hui responsables !
Je me permettrai enfin, mes chers collègues, de faire le point sur l’accession à la propriété, puisque nous sommes passés en quelques années d’un dispositif destiné aux ménages – prêts principaux bonifiés et réductions d’impôt – à un dispositif destiné aux prêteurs !
Notre groupe pense qu’il est grand temps de revenir aux fondamentaux.
Le prêt à taux zéro, s’il doit persister, doit être recentré sur les ménages les plus modestes et couvrir la majeure partie de la valeur d’achat du bien immobilier.
Il est temps, et même grand temps, d’abandonner les prêts à taux variable et de réduire le niveau des taux d’intérêt, en exigeant des établissements de crédit qu’ils réduisent quelque peu leur marge opérationnelle. On n’en prend pas le chemin, faut-il le rappeler !
En rackettant les collecteurs du 1 %, vous privez des milliers de familles de salariés de la possibilité de contracter des prêts à faible taux d’intérêt, qui permettaient jusqu’ici à ces ménages de structurer de manière « supportable » leur dette immobilière !
Madame la ministre, pourquoi ne prenez-vous pas immédiatement une mesure sur les prêts-relais ? Exigez donc des banques des abandons de créances sur les intérêts courus à la mesure des financements consentis dans le récent collectif budgétaire ! Avec 360 milliards d’euros, vous devriez pouvoir trouver, n’est-ce pas ?
Enfin, recyclez le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt prévu par la loi TEPA en le transformant, par exemple, en capacité de remboursement anticipé pour les emprunteurs, sous forme d’une aide budgétaire directe. En effet, en l’état actuel, ce dispositif ne fait qu’encourager la hausse des taux d’intérêt !
La crise du logement que traverse notre pays exige, de notre point de vue, la remise en cause des choix antérieurs, notamment de ceux que vous avez faits, mes chers collègues. En effet, cette crise ne se résoudra pas par le développement de subprimes à la française – c’est bien ainsi qu’il faut appeler le crédit hypothécaire –, mais par la remise en question du cadre législatif et financier qui l’a fait naître.
C’est ce que le groupe CRC tenait à rappeler à l’occasion du débat sur cette question orale relative à la crise du logement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le thème de la question orale avec débat que pose notre collègue Thierry Repentin est d’une acuité chaque jour plus grande compte tenu de l’ampleur de la crise financière, qui, malheureusement, se transforme en une crise économique qui n’a rien de virtuel.
Les solutions apparaissent très peu nombreuses tant la crise semble frapper durement la construction, et donc le logement. Le ressort paraît brisé. Alors même que, le mois dernier encore, se profilait une reprise d’activité dans le secteur du bâtiment, nous nous trouvons collectivement confrontés à un ralentissement notable des mises en chantier, tandis qu’un doute profond s’installe parmi les professionnels du secteur.
L’annonce, hier, d’une chute de 23,3 % des demandes de permis de construire et de 8,1 % des mises en chantier au troisième trimestre nous le confirme.
Pour reprendre l’adage cher aux Auvergnats, qui ont en partie construit Paris, « quand le bâtiment va, tout va ! ». De fait, si les temps s’annoncent durs pour ce secteur et pour l’emploi, on peut craindre que tout aille de plus en plus mal.
Il n’en reste pas moins que, aujourd’hui et depuis plusieurs années, de nombreux Français ont du mal à se loger. Il leur est difficile de devenir non seulement propriétaire, aspiration bien légitime, mais encore de trouver une location.
L’indice du coût de la construction, qui permet d’apprécier la richesse nécessaire pour devenir propriétaire dans du neuf, entre également dans le calcul de l’indice de référence des loyers. Or cet indice a progressé de manière exceptionnelle depuis 2000 : s’il a été valorisé de 13,4 % entre le premier trimestre de 1990 et le quatrième trimestre de 1999, il a augmenté de 44,22 % depuis le premier trimestre de 2000. De ce fait, nombreux sont ceux qui n’ont pu trouver un premier logement ou un nouveau logement à un prix suffisamment raisonnable pour leur permettre de faire face à leurs autres dépenses quotidiennes, le fameux « reste à vivre ».
Cette frénésie du marché de l’immobilier s’explique par différentes raisons, les unes tenant à la confrontation naturelle de l’offre et de la demande, les autres à des paramètres que la collectivité pourrait maîtriser.
Des taux d’intérêt bas, une TVA à 5,5 % dans la rénovation, un désir d’acquérir exacerbé ont eu pour conséquence que la demande a surpassé largement une offre souvent « insuffisante et mal adaptée », pour reprendre les termes du rapport du Conseil d’analyse économique. La croissance à deux chiffres des prix et des loyers a conduit les gouvernements précédents à mettre en place des dispositifs fiscaux qui ont accéléré et amplifié ce mouvement bien au-delà du raisonnable.
Il suffit pour s’en convaincre de voir la très forte croissance de « l’indice du prix des logements rapporté au revenu disponible par ménage et des montants de transactions de logements anciens rapportés à leur tendance longue », disponible dans le rapport du Conseil d’analyse économique. S’il variait depuis les années soixante jusqu’en 2000 entre 0,9 et 1,1, il a vu sa courbe s’envoler pour atteindre 1,7.
L’immobilier d’aujourd’hui participe malheureusement au creusement des inégalités, car, faute de logements sociaux en nombre suffisant, les prix pourraient continuer encore de grimper, excluant les plus défavorisés de toute possibilité de se loger.
Paris symbolise cruellement ce mécanisme qui aboutit aujourd’hui à ce que des employés de plus en plus nombreux soient contraints de trouver des solutions de fortune, pour ne pas dire de misère.
Notre pays connaît déjà des prix supérieurs à ce qu’ils sont dans de nombreux pays de l’OCDE.
En résumé, et ce constat est partagé par tous, les plus défavorisés, ainsi que les classes moyennes, ne trouvent pas de logements correspondant à leur capacité pécuniaire.
Comme je l’expliquais ici-même, le projet de loi dont nous avons débattu dernièrement ne constitue pas une bonne réponse. Existe-t-il d’ailleurs une bonne réponse ? Je ne saurais le dire. À tout le moins, il en existe de meilleures. La réduction, par le Gouvernement, au cours des trois prochaines années, des crédits de la mission « Ville et logement » fait partie de ces mauvaises solutions.
Je fais mien le constat que dresse le rapport du CAE et souscris à certaines de ses préconisations, en particulier l’incitation à libérer du foncier par la captation de plus-values par les collectivités lors du changement de destination d’un terrain, le regroupement à l’échelle intercommunale des compétences « urbanismes », l’amélioration de la gestion du parc social par une adaptation du logement aux évolutions du ménage et du loyer à la rémunération de ses occupants. En revanche, ce serait faire un « cadeau empoisonné » aux ménages que de concentrer les efforts fiscaux de l’État sur le prêt à taux zéro aux dépens du plan d’épargne logement, qui contribue à la responsabilisation de chacun, de faciliter les procédures juridiques de recouvrement des actifs gagés, de permettre le développement de la titrisation hypothécaire, bref, de mettre en place des mécanismes dont les travers ont conduit à la crise des subprimes.
Dans le contexte actuel, ne devrions-nous pas nous concentrer sur des offres de location raisonnables plutôt que de proposer des crédits à des ménages qui, demain, faute de pouvoir les rembourser, seront peut-être contraints de céder leur bien, acquis trop chèrement, à leur banque, devenue seul acquéreur possible ?
L’hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire, autorisés par l’ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés, représentaient déjà un risque non négligeable. Réduire le coût d’une hypothèque et assouplir son cadre juridique, ainsi que le préconise le CAE, ce serait, à mon sens, persister dans l’erreur. Nous recréerions, cette fois-ci dans notre pays, les conditions d’une nouvelle crise. De tels changements sont inenvisageables s’ils aboutissent à une croissance de la demande telle qu’elle conduirait les prix ou les loyers à des niveaux aussi peu réalistes que déraisonnables.
Aujourd’hui, les programmes immobiliers privés basés sur les plans « Robien » ou « Borloo » sont légion. Le Gouvernement s’apprête à se substituer aux promoteurs privés qui ne trouvent plus preneurs. À quel prix ? Au profit de qui ? Madame la ministre, nous apprécierions que cette question orale avec débat vous donne l’occasion de nous apporter des précisions à ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai une réponse globale à M. Repentin, Mme Terrade, M. Bourquin et Mme André. Quant à M. Dallier, je le remercie de son intervention. Je n’ai rien à ajouter à ce qu’il a dit du crédit hypothécaire, sinon que l’inquiétude que suscite ce dernier chez certains des orateurs qui se sont succédé à la tribune tient davantage de la propension morbide à échafauder de fausses hypothèses que de la réalité.
Voilà à peine une semaine, la Haute Assemblée s’est prononcée sur le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. Ce fut l’occasion d’un débat riche, dense et de qualité. Et, puisque je suis de nouveau amenée à m’exprimer dans cet hémicycle, j’en conclus que ma présence y est appréciée. (C’est vrai ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Ce projet de loi a donné lieu à plus de cinquante heures de débat, ce qui prouve l’intérêt que nous portons tous à la question du logement.
M. Daniel Raoul. Nous avons débattu jour et nuit !
Mme Christine Boutin, ministre. Le texte que vous avez adopté, qui sera examiné au mois de décembre par l’Assemblée nationale, conserve la quasi-totalité des dispositions inscrites dans le projet de loi initial. Il a été conçu pour apporter des réponses opérationnelles à la crise du logement par une mobilisation de tous les acteurs, sans opposer inutilement secteurs public et privé, logement locatif et accession. Tous les outils doivent être utilisés !
La crise financière a des effets importants sur l’immobilier. Les réponses proposées dans ce texte sont indispensables, car, pour progresser, il faut d’urgence compléter les instruments à la disposition de l’État, des bailleurs sociaux, des collectivités territoriales et des associations.
Monsieur Repentin, vous avez beaucoup insisté sur la chute du nombre des mises en chantier. Sincèrement, permettez-moi de vous dire que vous ne manquez pas de toupet ! (M. Thierry Repentin rit.) J’aurai, pour ma part, l’outrecuidance de vous montrer de nouveau la courbe des constructions de logements neufs que j’ai déjà produite la semaine dernière. (Mme la ministre brandit une feuille sur laquelle est reproduit un graphique.) L’intervalle compris entre les deux traits bleus indique la période au cours de laquelle l’actuelle opposition était au pouvoir. Vous pouvez donc voir facilement comment cette courbe a évolué après notre retour, en 2002 !
M. Thierry Repentin. Merci à la loi SRU !
Mme Christine Boutin, ministre. Pas uniquement, monsieur Repentin ! Vous le savez fort bien ! En 2007, 437 000 logements ont été construits, dont 108 000 logements sociaux !
M. Thierry Repentin. Grâce au dispositif « Robien », c’est vrai !
Mme Christine Boutin, ministre. Bien évidemment, le logement social a son rôle, mais faites preuve un tant soit peu de modestie et sachez reconnaître la vérité ! La seule vision de ce graphique devrait vous dispenser de tout commentaire sur les supposés désengagements de l’actuelle majorité en matière de logement !
L’effort de construction a été fortement accru, le nombre de logements réalisés passant de 308 000 en 2002 à 435 000 l’année dernière, niveau jamais atteint depuis trente ans. Ce résultat a été obtenu en raison de la remarquable mobilisation des organismes de logement social. En outre, grâce aux nouvelles aides de l’État, davantage de particuliers ont investi dans un logement, soit pour l’occuper, soit pour le mettre en location.
De même, le Gouvernement a réagi à l’impact brutal de la crise financière sur l’immobilier. En effet, celle-ci a touché en premier lieu le secteur de l’immobilier : la restriction de l’accès au crédit, tant pour les particuliers que pour les professionnels, bloque le marché.
Le ralentissement sérieux que nous subissons depuis le mois de juin, et que personne ne conteste, nous laisse à penser que nous terminerons l’année avec environ 360 000 mises en chantier. Le retournement est rapide, mais le niveau de construction reste élevé, puisque le nombre de logements mis en chantier cette année sera identique à ce qu’il était en 2004 et bien supérieur à ce qu’il était entre 1997 et 2002.
Comme vous, nous sommes très attachés à la construction de logements. Le nombre des mises en chantier baissera en 2008 en raison de la crise financière, mais, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité et de l’opposition, nous ne devons pas avoir honte de ce résultat, car, je le répète, il est très supérieur à ce qu’il était lorsque l’opposition actuelle était au pouvoir.
Vous le savez, la non-production d’un seul logement représente deux chômeurs de plus. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, nous sommes donc obligés de rattraper le retard qui s’est accumulé en matière de construction lorsque vous étiez au pouvoir. C’est indispensable, mais, vous le savez, cela prend du temps. J’ajoute, monsieur Repentin, que le projet de loi que j’ai eu l’honneur de défendre devant la Haute Assemblée participe à l’effort que nous accomplissons en la matière.
Ce projet de loi a trois objectifs majeurs : soutenir l’activité de construction pour la location et l’accession populaire à la propriété ; permettre aux classes moyennes et modestes d’accéder au logement ; enfin, lutter contre le mal-logement, qu’aucun d’entre vous n’a évoqué cet après-midi, bien qu’il s’agisse d’un sujet important.
Mon premier objectif a toujours été de soutenir l’activité de construction. Plusieurs mesures prévues dans le projet de loi serviront de support au plan de relance annoncé par le Président de la République, plan consistant en la mise en œuvre d’un programme d’achat de 30 000 logements en VEFA, vente en l’état futur d’achèvement, qui doit permettre à des opérateurs sociaux d’acheter des programmes n’ayant pu être lancés à ce jour par les promoteurs privés, faute d’une « pré-commercialisation » suffisante.
Des critiques ont été émises tout à l’heure sur cette opération. Mais comment pouvez-vous vous y opposer ? Actuellement, certains programmes ne sont pas lancés, parce que les banques refusent d’octroyer des prêts au promoteur au motif que tout n’est pas commercialisé !
M. Daniel Raoul. Nous n’avons jamais contesté cela !
Mme Christine Boutin, ministre. Monsieur Raoul, j’ai parfaitement entendu certains orateurs mettre en cause ce plan !
Ce levier est primordial, puisque, outre les 30 000 logements qui vont être réalisés par les bailleurs sociaux subventionnés par l’État, la totalité des programmes seront finalisés grâce à cette mesure. Je ne comprends pas comment on peut mettre en doute la VEFA !
M. Daniel Raoul. Mais c’est nous qui l’avons créée !
Mme Christine Boutin, ministre. Monsieur Raoul, peut-être n’étiez-vous pas en séance à ce moment-là, mais j’ai entendu quelqu’un contester le bien-fondé de la décision du Président de la République concernant les 30 000 logements. Et je ne peux pas laisser passer de tels propos !
La disposition du projet de loi qui simplifie et sécurise la procédure de vente en l’état futur d’achèvement aux organismes d’HLM permettra d’accélérer et de rendre pleinement opérationnel ce plan d’achat.
Le plan de relance du Président de la République prévoit également la réalisation de 30 000 logements d’accession populaire à la propriété grâce au Pass-foncier. Là encore, la disposition du projet de loi qui permet d’étendre au logement collectif le dispositif du Pass-Foncier viendra renforcer cette ambition, en particulier en zone urbaine, là où le logement individuel est moins adapté aux besoins.
Le plan de relance vise en outre à accélérer la mise en œuvre du programme de cession de terrains publics décidé lors du Comité interministériel pour le développement de l’offre de logements du 28 mars 2008, afin d’atteindre rapidement l’objectif de production de 70 000 logements sur le foncier ainsi libéré. Ce programme sera complété par des cessions issues des restructurations militaires annoncées en juillet dernier et du plan patrimonial réactualisé de Réseau ferré de France.
Par ailleurs, la « boîte à outils » visant à faciliter les cessions des biens immobiliers de l’État sera enrichie, au-delà de la simple vente, par la possibilité de recourir à des baux permettant un intéressement ultérieur de l’État à la valeur créée.
Enfin, le foncier de l’État cédé pour réaliser des opérations en Pass-foncier pourra faire l’objet d’une décote comme pour la construction de logements locatifs sociaux afin de favoriser l’accession populaire à la propriété.
Une circulaire du 17 octobre signée par le Premier ministre a été adressée aux préfets. Elle prévoit notamment une déclinaison régionale de la mise en œuvre du rachat en VEFA de 30 000 logements. À ce titre, l’ensemble des acteurs concernés ont été réunis par les préfets de région, et des cellules de suivi local les accompagneront dans leur démarche. Comme vous pouvez le constater, nous n’avons pas perdu de temps !
Sur le plan national, un comité du pilotage se réunira dès la semaine prochaine pour faire le point sur les initiatives engagées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous ont une nouvelle fois parlé des crédits budgétaires. Comme l’a fort bien dit M. Dallier, nous aurons l’occasion d’y revenir. En attendant, je vais vous répéter ce que j’ai dit la semaine dernière.
La mise en œuvre des dispositions prévues dans le projet de loi pourra s’appuyer sur un budget dont je n’ai pas à rougir. En effet, pour avoir une image exacte du budget du ministère du logement et de la ville, il faut prendre en compte les moyens des agences, qui jouent un rôle essentiel dans la conduite des politiques du logement et de la ville, en particulier l’ANRU et l’ANAH.
En prenant en compte ces moyens, les crédits du ministère passent à 8,9 milliards d’euros, ce qui représente plus de 200 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2008. Cette augmentation provient en particulier d’une contribution, qui a été négociée avec les partenaires sociaux du 1% logement, de 800 millions d’euros au financement de l’ANRU et de l’ANAH.
Cette contribution, prévue pendant trois ans, a été rendue possible grâce à l’optimisation et à la réorientation des emplois du 1% logement vers les priorités de la politique du logement, en particulier vers les plus fragiles d’entre nous.
Je cite deux exemples : le Pass-travaux est rendu inutile par la création de l’éco-prêt pour les travaux d’amélioration énergétique, qui a été mis en œuvre dans le cadre du Grenelle de l’environnement ; les subventions à la Foncière sont rendues plus efficaces dans la mesure où il n’est pas nécessaire de subventionner à plus de 50 % les logements construits par cet organisme.
Pour être plus précise, je rappellerai que la baisse de 30 % des moyens affectés au financement du logement social, qui a été avancée par certains, n’est pas exacte. En effet, c’est le périmètre de cette ligne budgétaire – la ligne fongible – qui a fait l’objet d’une redéfinition pour 2009. Cette subtilité leur a peut-être échappé …
Certaines actions inscrites sur cette ligne fongible, tels les travaux de réhabilitation du parc existant ou les dépenses d’humanisation des structures d’hébergement, seront financées en 2009, soit par des ressources extrabudgétaires, soit par d’autres lignes. Compte tenu de ce changement de périmètre, ce sont près de 100 millions d’euros de dépenses qui ne relèveront plus de la ligne fongible en 2009. En outre, les organismes de logement social bénéficieront l’année prochaine de ressources extrabudgétaires plus importantes que par le passé.
Les subventions du 1% logement au logement locatif social vont croître de 33 %, conformément à ma demande, pour atteindre 300 millions d’euros.
Par ailleurs, si j’en crois les déclarations du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, une baisse du taux du livret A pourrait intervenir au 1er février, permettant ainsi une baisse des taux des prêts au logement social, qui sont financés, vous le savez tous, sur les ressources du livret A.
En ce qui concerne le budget, je vais simplement vous indiquer quelques chiffres.
Je vous le dis clair et net, les crédits de paiement du logement locatif social augmentent de 5,63 %. Ceux de l’ANAH augmentent de 23,06 %. Dans ces conditions, est-ce le budget qui est en baisse ou est-ce que ce sont les capacités de paiement ? Je vous laisse le soin de répondre à cette question.
Pour ce qui concerne le logement locatif social, le budget pour 2009 permettra de financer 120 000 logements, soit 20 % de plus qu’en 2007. Je le rappelle, cette année, 108 000 logements sociaux ont été réalisés, ce qui correspond aux capacités des organismes sociaux.
En matière d’accession à la propriété, monsieur Repentin, je vous rappelle toutes les mesures qui ont été prises ces dernières années : l’extension à l’ancien du prêt à taux zéro, d’où 250 000 prêts au lieu de 80 000 ; la TVA à 5,5 % pour l’allocation d’accession sociale, qui est utilisée notamment par les coopératives d’HLM ; la TVA à 5,5 % pour le Pass-foncier, qui passe de 20 000 à 30 000 ; l’augmentation des plafonds de ressources des prêts d’accession sociale à la propriété, qui a été décidée par le Président de la République et dont j’ai peu entendu parler tout à l’heure.
Toutes ces aides publiques ne figurent pas dans le budget en tant que telles, mais elles favorisent bien l’accession sociale à la propriété.
Vous avez également fait allusion au recentrage du dispositif « Robien ». Je vous indique les chiffres afin que tout le monde les ait bien en tête : sur les 250 000 logements qui ont été réalisés depuis 2003, 5 000 sont vacants.
En ce qui concerne les aides publiques, puisque l’on dit toujours que cela coûte cher, je rappellerai que le dispositif « Robien » correspond à une dépense fiscale de 15 000 euros par logement, et non de 30 000 euros, comme vous l’avez indiqué, et qu’un logement construit grâce au dispositif « Robien » rapporte environ 20 000 euros à l’État par le biais de la TVA.
Il faut donc regarder les choses dans leur ensemble et non de façon sectorielle.
Plusieurs intervenants ont évoqué le rapport du Conseil d’analyse économique intitulé « Loger les classes moyennes : la demande, l’offre et l’équilibre du marché du logement », ainsi que la question du crédit hypothécaire, qui est au centre des préoccupations d’un grand nombre d’entre vous.
Le rapport du Conseil d’analyse économique m’a été remis le 30 septembre dernier. Je tiens à en souligner la qualité. Il aborde de nombreux thèmes de la politique du logement. Tous ont été examinés dans le cadre de la préparation du projet de loi et certains, comme la modernisation du monde des bailleurs sociaux, ont été retenus.
Monsieur Repentin, je n’accepte pas que vous puissiez faire un lien direct entre la crise des subprimes et celle du crédit hypothécaire. M. Dallier l’a très bien dit : les subprimes sont des prêts qui ont été octroyés sans contrôle de la capacité de remboursement des ménages. En France, vous le savez, cette capacité de remboursement est contrôlée et les prêts aux ménages modestes sont sécurisés.
Vous avez cité l’ANIL. À mon tour, je veux vous citer l’un de ses documents d’avril 2007 : « Le système français offre aux accédants à la propriété le crédit le moins cher d’Europe et dans les meilleures conditions de sécurité. » On peut lire plus loin : « … le taux de défaillance est plus faible et les saisies restent exceptionnelles ».
Si vous voulez que je vous rassure encore, voici un passage d’une enquête typologique de la Banque de France sur le surendettement : « Les situations de surendettement dit “passif” demeurent très majoritaires et augmentent de deux points. Mais la part de l’endettement immobilier se réduit. Aujourd’hui, 8 % des dossiers comportent au moins un crédit immobilier, contre 10 % en 2004 et 15 % en 2001. La tendance est à la diminution ». L’enquête typologique de la Banque de France poursuit : « L’endettement immobilier au sein de la population française orientée vers la procédure de rétablissement personnel ne représente qu’une part infime de l’endettement total ».
Maintenant que j’ai apporté toutes ces précisions, je pense que nous n’aurons pas l’occasion de nous revoir la semaine prochaine à votre demande, …
M. Thierry Repentin. C’est dommage ! (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Cela pourrait devenir une addiction !
Mme Christine Boutin, ministre. Ce n’est pas toujours une bonne chose d’avoir des habitudes, monsieur Raoul. (Nouveaux sourires.)
Comme je viens de le souligner, le système français de prêts immobiliers a un très bon suivi, avec un nombre très faible de défaillances de la part des emprunteurs. Devons-nous nous en plaindre ? Il serait hasardeux aujourd’hui de nous engager dans des montages complexes pour lesquelles nous devrions attendre le retour d’expérience.
L’urgence est de redonner de la stabilité au système financier, de redonner confiance aux acteurs. Le Président de la République a engagé des actions très fortes pour sécuriser les ressources des banques. On ne peut que le reconnaître. Même s’il est difficile à certains de l’admettre publiquement, la façon dont le Président de la République gère cette crise financière mondiale force l’admiration de tous.
M. Gérard César. Très bien !
Mme Christine Boutin, ministre. Dans le domaine plus spécifique de l’immobilier, il a été décidé, à la demande du Président de la République, d’améliorer les conditions de garantie du fonds de garantie pour l’accession sociale. Vous le savez, cela fait partie du « paquet ». Le plafond de ressources des ménages bénéficiaires du PAS a ainsi été augmenté au niveau du plafond du prêt à taux zéro jusqu’à la fin de 2009. Outre l’effet de soutien à la demande en matière d’accession, cette mesure est de nature à sécuriser davantage les banques prêteuses et donc à diminuer le coût de leurs refinancements.
Par ailleurs, à la suite de mon appel, les banques ont annoncé la mise en place d’aménagements pour les particuliers ayant souscrit un prêt relais. M. Georges Pauget s’y est engagé et des mesures sont en train d’être mises en œuvre. Il y a en effet des familles qui se trouvent aujourd’hui en grande difficulté. Les banques appliqueront donc leurs procédures en matière de crédits relais avec plus de souplesse pour répondre à mon appel à la clémence.
Je souligne aussi que les banques qui se sont associées au projet de la maison pour 15 euros par jour se sont engagées à prolonger jusqu’au 1e janvier 2009 le taux préférentiel à 5 % pour les prêts aux particuliers.
En conclusion, je vous dirai que, pour faire face aujourd’hui à la crise de l’immobilier et pour répondre en profondeur à la crise du logement qui touche nos concitoyens depuis de nombreuses années, il est nécessaire que tous les acteurs se mobilisent.
Vous avez demandé, monsieur Repentin, que le logement devienne une grande cause nationale. Pour ma part, je vous invite à une véritable union politique. Nous ne devons pas nous opposer les uns aux autres. Au contraire, nous devons être unis pour répondre à ce droit fondamental, qui est celui de chaque homme, de chaque femme et de chaque enfant, d’avoir un logement. Le projet de loi que j’ai défendu devant vous la semaine dernière poursuit cet objectif.
Mon ambition est que chacun donne le meilleur de lui-même et que toutes les énergies soient orientées vers un même objectif : donner un toit à tous en fonction de ses choix et de ses besoins. Pour y parvenir, il est nécessaire d’intervenir sur l’ensemble de la chaîne du logement, qui est une chaîne de solidarité entre tous les citoyens de notre pays.
C’est pourquoi il est essentiel d’agir tous ensemble. Chacun a son rôle à jouer et il serait contre-productif, voire dangereux, d’opposer les propriétaires aux locataires, le locatif social à l’accession populaire à la propriété, les bailleurs sociaux aux promoteurs privés. La mobilisation de tous est indispensable.
Il faut agir sur l’ensemble des leviers et avec tous les acteurs concernés. Ce n’est qu’à cette seule condition que l’on parviendra à affronter la crise que nous traversons aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, en attendant M. le ministre de l’agriculture et de la pêche, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Assurance récolte obligatoire
Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 214, 2007-2008) tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, présentée par MM. Yvon Collin et Jean-Michel Baylet.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début de l’année, Jean-Michel Baylet et moi-même avons déposé une proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire.
Nous nous réjouissons d’avoir aujourd’hui la possibilité de défendre ce texte, qui, je le crois, répond à une attente exprimée depuis longtemps par de nombreux agriculteurs.
En effet, le dispositif assurantiel existant, qui comprend l’assurance récolte telle qu’issue de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 et le système d’indemnisation public via le Fonds national de garantie des calamités agricoles, se révèle trop limité pour répondre efficacement aux conséquences des aléas climatiques.
Depuis quelques années, on observe une augmentation de l’intensité et de la fréquence des intempéries. On en connaît les effets dévastateurs sur les récoltes et, in fine, sur les revenus des exploitants. En moyenne, un agriculteur subit une perte de revenu de 20 % tous les trois à quatre ans. S’agissant plus particulièrement des arboriculteurs, leur revenu chute en moyenne de 30 % tous les 3,6 ans, en raison d’averses de grêle, malheureusement de plus en plus fréquentes.
Bien sûr, l’agriculture est par nature – si j’ose dire ! – fortement dépendante des conditions climatiques, mais c’est là une donnée avec laquelle les agriculteurs ont toujours su qu’ils devaient composer. Il reste que, d’une façon générale, ces derniers sont confrontés à de nouveaux défis susceptibles d’accroître leurs difficultés.
Ils doivent faire face à des risques émergents dans le domaine sanitaire, tels que l’encéphalopathie spongiforme bovine, hier, ou la fièvre catarrhale, aujourd’hui. Il leur faut aussi s’accommoder de la volatilité des marchés qui peuvent, au gré des variations des cours, déstabiliser leurs revenus.
Alors, quand les caprices du ciel s’ajoutent aux aléas d’ordre économique et sanitaire, les agriculteurs les plus fragiles se retrouvent parfois bien démunis pour gérer les risques. C’est pourquoi, avec mon collègue Jean-Pierre Baylet, également sénateur de Tarn-et-Garonne, j’ai souhaité renforcer quelque peu la sécurité des agriculteurs contre l’un de ces risques.
La proposition de loi est simple puisqu’elle tient en deux articles. Le premier vise à rendre obligatoire l’assurance récolte, définie dans son principe par l’article L. 361-8 du code rural, et à l’étendre à l’ensemble des productions agricoles ; le second compense les conséquences financières pour l’État des dispositions du premier.
En réalité, cette simplicité dans la présentation recouvre une situation plus complexe.
Le monde agricole est hétérogène : on n’appréhende pas les risques de la même façon selon le territoire sur lequel on se trouve. On se satisfait plus ou moins de l’actuel système d’indemnisation selon que l’on est dans la monoculture ou dans la polyculture, ou selon que l’on s’occupe d’une grande ou d’une petite exploitation. Cette diversité ne facilite pas la mise en place d’un outil uniforme et accessible à tous.
C’est l’une des raisons – car il y en a d’autres – pour lesquelles, monsieur le rapporteur, vous jugez prématurée l’adoption d’une telle proposition de loi.
Vous avez bien sûr différents arguments pour justifier votre position.
Vous invoquez d’abord un obstacle juridique : les assurances n’étant obligatoires que lorsque se trouve en jeu la responsabilité à l’égard de tiers, l’assurance récolte ne pourrait guère avoir ce caractère obligatoire.
Je ne suis pas, je le confesse, un spécialiste du droit des assurances, mais il me semble que rien n’est figé dès lors que la volonté politique existe, du moins tant que l’on reste dans les limites posées par notre Constitution. Il est vrai que tout cela relève d’un plus vaste débat, qu’il serait impossible de trancher aujourd’hui.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur, de mettre en avant la question de la responsabilité de l’agriculteur et d’évoquer le respect de la liberté de s’assurer ou pas. Cependant, venant d’un département confronté aux mêmes problèmes que ceux qui se posent dans le mien, vous savez bien que ce choix n’est pas totalement libre pour l’exploitant : il existe une contrainte, qui est financière.
Sans vouloir mésestimer l’engagement des pouvoirs publics sur le plan budgétaire, convenons que le taux de prise en charge par l’État d’une partie de la prime d’assurance – aujourd’hui 35 %, peut-être demain 40 % – n’est pas suffisamment incitatif. De plus, le montant des primes d’assurance contre les risques climatiques reste trop élevé pour certaines filières. Il en résulte un engouement inégal pour l’assurance récolte selon le type de production.
Sur les 20 % d’exploitations ayant souscrit un contrat, en 2007, la couverture concernait 27 % des superficies pour les grandes cultures et seulement 0,93 % pour les cultures fruitières. Cet écart montre combien, s’agissant des souscriptions de contrat d’assurance, les disparités sont grandes.
Voilà qui atteste la nécessité de conforter l’assurance récolte et de mutualiser le risque, ce qui fait l’objet de la présente proposition de loi.
Bien entendu, monsieur le rapporteur, j’ai conscience que cette mesure serait coûteuse.
M. Gérard César. Eh oui !
M. Yvon Collin. Certes, comme mon collègue et moi-même le précisons dans l’exposé des motifs de notre proposition de loi, la généralisation de l’assurance récolte à l’ensemble des productions permettrait d’élargir l’assiette de cotisants. Cependant, avant que celle-ci atteigne une masse critique, il est vrai que l’État serait plus fortement mis à contribution du fait de la prise en charge partielle des primes et cotisations d’assurance et de l’apport de garanties en termes de réassurance.
Doit-on toujours compter sur l’État ? Il faut reconnaître qu’il est très sollicité en ce moment. Néanmoins, s’agissant de l’agriculture, à laquelle on reproche souvent – et souvent à tort – d’être trop aidée, il ne me semblerait pas anormal que l’État tienne au moins ses engagements, ce qui est loin d’être toujours le cas, comme certains de mes collègues et moi-même avons l’occasion de le rappeler lors des débats budgétaires.
Les articles 62 et 63 de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 ont réaffirmé le principe du développement de l’assurance récolte, à côté de l’indemnisation publique au titre des calamités agricoles. Il s’agissait là d’une excellente avancée, sur laquelle je m’appuie pour aller encore un peu plus loin. Mais il est dommage que le soutien au dispositif ne se traduise pas systématiquement en loi de finances initiale et que la commission des affaires économiques, que je félicite au passage pour sa vigilance sur ce sujet, soit obligée, chaque année, de s’élever contre la sous-dotation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, qui assure pourtant la gestion des primes prises en charge par l’État au sein de l’assurance récolte.
Espérons en tout cas que, sensibilisé par notre débat d’aujourd’hui, monsieur le ministre, vous ferez le nécessaire pour que soient honorés en 2009 les objectifs de la dernière loi d’orientation. Peut-être – sait-on jamais ! – irez-vous même au-delà en soutenant la présente proposition de loi.
Je rappelle que l’Espagne a consacré 280 millions d’euros au financement de son système d’assurance récolte en 2008. Cette mobilisation considérable permet de fournir une couverture relativement bonne aux exploitations espagnoles.
L’idée de l’assurance récolte n’est donc pas une exception française, ce qui a d’ailleurs permis – et nous avons peut-être là une « fenêtre d’espoir » – son inscription au « bilan de santé » de la PAC. Nous y reviendrons sans doute dans la suite de la discussion générale.
Je souhaite que ce dossier évolue favorablement au niveau européen, car il nous permettra de réorienter une partie des aides communautaires vers l’assurance récolte, tout en mettant celle-ci en conformité avec les règles de l’OMC.
Mes chers collègues, je sais que l’idée d’une extension de l’assurance récolte fait presque l’unanimité dans notre assemblée. Peu à peu, l’usage de la couverture du risque progresse chez les exploitants, et la loi d’orientation du 5 janvier 2006 a de ce point de vue donné un coup d’accélérateur. En revanche, je sais aussi que l’idée de la rendre obligatoire ne recueille pas l’adhésion de la majorité de la Haute Assemblée.
J’ai exprimé les raisons qui ont conduit au dépôt de la présente proposition de loi. Sans y revenir, je conclurai en réaffirmant mon attachement au principe de solidarité nationale et à la mutualisation du risque, qui me paraît nécessaire pour optimiser le dispositif.
La commission des affaires économiques n’est pas cet avis. J’en prends acte, tout en remerciant son président ainsi que notre collègue Bernard Soulage, rapporteur, du remarquable travail d’analyse qui a été accompli sous leur direction. M. Soulage souligne notamment dans son rapport l’intérêt qu’il y a à débattre sur un sujet qui concerne nombre d’entre nous, sur toutes les travées de cet hémicycle.
J’espère, quoi qu’il en soit, faire avancer cette cause, à laquelle sont particulièrement attachés les élus du Sud-Ouest, mais aussi ceux d’autres territoires où se pratique, notamment, l’arboriculture.
Nous serons bien entendu, monsieur le ministre, attentifs aux réponses que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Soulage, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà maintenant trois ans, lors de l’examen de la dernière loi d’orientation agricole, nous décidions, par un amendement de notre collègue Gérard César, vivement soutenu par le président Emorine et notre ancien collègue Dominique Mortemousque, auteur d’un excellent rapport, de prévoir l’extension progressive de l’assurance récolte à l’ensemble des productions. Nous nous étions alors mis d’accord – et une intervention de M. Dominique Bussereau, alors ministre de l’agriculture, l’avait précisé explicitement – pour conserver à l’assurance récolte son caractère facultatif.
Faut-il aujourd’hui aller au-delà, en la rendant obligatoire ? C’est ce à quoi tend la proposition de loi de nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet.
Avant de vous faire part des conclusions de la commission, qui a examiné cette proposition la semaine dernière, je voudrais rappeler en quelques mots le contexte dans lequel elle s’inscrit.
Les exploitations agricoles vivent sous la menace constante d’un accident climatique : coup de grêle ou de gel, période de sécheresse, excès d’humidité, inondation, etc. Le Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA, a longtemps été l’unique moyen d’indemniser les agriculteurs. Il connaît cependant certaines limites : longueur des délais d’indemnisation, nécessité d’une reconnaissance du caractère de calamité agricole, faiblesse des montants versés. Aussi, monsieur le ministre, avez-vous décidé très opportunément de « sortir » progressivement certaines productions couvertes par le fonds et de renvoyer, pour leur couverture, à des mécanismes assurantiels.
En dépit des inconvénients que présente le FNGCA et quelles que soient ses imperfections, il joue et devra continuer à jouer un rôle très important. On pourra certes retirer certaines filières du fonds si les exploitants trouvent effectivement des produits d’assurance adaptés – ce sera d’ailleurs le cas des grandes cultures dès 2009 –, mais on ne saurait le supprimer complètement ; il est en effet seul à même de couvrir les pertes de fonds ou les cultures non assurables. Prenons grand soin de ne pas sortir trop vite du fonds les secteurs de l’arboriculture, de la viticulture et des légumes avant que les assurances récoltes les concernant n’aient été totalement étudiées, tant en ce qui concerne leur mécanisme que le nombre de contrats souscrits. C’est de toute manière un outil à conserver et, à mon avis, il doit constituer un « filet de sécurité » réactivable ponctuellement, en cas de besoin.
Je voudrais vous présenter brièvement le système, à mes yeux indispensable, existant aux États-Unis et appelé « assurance catastrophe » : celui-ci indemnise les agriculteurs uniquement en cas de « coup dur », c’est-à-dire de pertes supérieures à 50 % du rendement historique de l’exploitation. L’exploitant ne paie pas de prime d’assurance, celle-ci étant entièrement prise en charge par l’équivalent du ministère de l’agriculture.
Parallèlement au FNGCA, se sont développés depuis longtemps des produits d’assurance contre la grêle, le gel, puis, plus récemment, contre plusieurs risques combinés – grêle, gel, sécheresse, inondation ou excès d’eau, ainsi que vent –, et ce avec le soutien de l’État, voire des collectivités locales, qui versent une partie des primes d’assurance à des taux variant selon les productions et en fonction de leur situation économique.
À la suite du décret du 14 mars 2005 et de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, l’assurance récolte a démarré en fanfare dans notre pays, avec environ 60 000 contrats signés. Sa progression a ensuite été beaucoup plus lente, puisque moins de 70 000 contrats sont aujourd’hui souscrits, trois ans après le lancement du dispositif.
L’assurance récolte couvre désormais plus du quart des surfaces assurables, avec des différences notables selon les productions : près de 30 % pour les grandes cultures, 12 % pour la viticulture – celle-ci est du reste en progression à cet égard –, mais moins de 1 % pour les cultures fruitières – et elles seraient même en régression !
L’assurance récolte présente de nombreux avantages, notamment par rapport au système d’indemnisation classique. Elle permet en effet des remboursements plus rapides et plus élevés, ainsi qu’une gestion des risques plus responsable de la part de l’agriculteur.
Le soutien résolu des pouvoirs publics à son développement est une condition de son succès. Les risques sont tels, en effet, qu’un grand nombre d’exploitants ne pourraient pas payer la prime d’assurance en l’absence de soutien public.
Par ailleurs, il est indispensable que l’État s’engage et donne de nouvelles possibilités de réassurance pour permettre le développement des secteurs déjà couverts ainsi que celui d’autres secteurs, dont l’élevage.
Le Président de la République a justement annoncé jeudi dernier qu’il demanderait que la Caisse centrale de réassurance, organisme qui bénéficie de la garantie de l’État, intervienne afin de faciliter l’assurance des crédits aux entreprises. Or un engagement similaire au profit de l’assurance récolte est demandé depuis longtemps par les milieux agricoles comme par les professionnels du secteur.
Je voudrais à ce sujet saluer l’action du Gouvernement et surtout votre propre action, monsieur le ministre. À Bruxelles, ces derniers mois, à l’occasion du « bilan de santé » de la PAC, vous avez en effet défendu avec beaucoup d’intelligence et d’opiniâtreté notre modèle agricole. Vous avez également amorcé le débat sur l’après-2013, voilà quelques semaines, à Annecy. Vous avez d’autant plus de mérite que la partie n’est pas facile dans les négociations pour notre pays, bien qu’il assume la présidence de l’Union.
Grâce à votre insistance, en particulier, l’article 69 du règlement du Conseil sur les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs devrait être révisé de telle manière que l’assurance récolte bénéficie d’importants soutiens communautaires. Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’actuel article 69 permet aux États membres de réattribuer jusqu’à 10 % des aides qu’ils perçoivent au titre du premier pilier pour financer des mesures liées à la protection ou à l’amélioration de l’environnement, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité et de la commercialisation des produits agricoles. Or, aux termes du nouvel article 68, les États seraient autorisés à réallouer une partie – 2,5 % au maximum – de ces 10 % sous la forme de contributions au paiement des primes d’assurance récolte. Le nouvel article 69 prévoit les conditions de ce soutien : 60 %, voire 70 % dans certains cas, de la prime seraient pris en charge par les fonds publics, dont les deux tiers par des financements communautaires.
Cette mesure, si elle venait à être finalement adoptée – et nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour œuvrer en ce sens – permettrait de renforcer très substantiellement le soutien à l’assurance récolte dès 2010, date de son entrée en application. Par ailleurs, il faut mentionner que le nouvel article 70 permet aux États membres de financer des fonds de mutualisation assurant le paiement aux agriculteurs d’indemnités destinées à couvrir les pertes économiques découlant de l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale.
Le principe d’une extension de l’assurance récolte fait l’objet, j’ai pu le constater, d’un accord assez large chez tous les acteurs concernés. Il reste à déterminer comment atteindre cet objectif. La proposition de loi qui est soumise à votre examen propose de la rendre obligatoire.
En effet, un système d’assurance ne fonctionne bien que lorsque les risques sont mutualisés entre le plus grand nombre de personnes. Si les seuls qui s’assurent sont ceux qui présentent un risque important, les primes vont être très élevées et même exorbitantes : les assureurs font évidemment un calcul économique et modèlent les primes sur le risque à couvrir. Si tout le monde participe, le coût pour chacun peut être beaucoup moins élevé. C’est la logique suivie par nos collègues MM. Collin et Baylet, qui évoquent dans leur exposé des motifs un « principe de solidarité ».
Pour séduisante que paraisse cette proposition, il me semble que la solution n’est pas si simple que cela. Il faut bien voir que la mise en place d’une assurance récolte obligatoire pose un certain nombre de problèmes. J’en mentionnerai quatre.
En premier lieu, les assurances obligatoires sont une « espèce » très répandue chez nous. Les juristes en ont compté plus de quatre-vingt-dix dans le droit français. Le fondement en est, presque toujours, la responsabilité à l’égard d’un tiers. Quand vous conduisez une voiture, vous devez être assuré parce que, si vous êtes responsable d’un accident, il faut que la victime soit indemnisée, même si les frais dépassent vos capacités financières ; c’est là que l’assureur entre en jeu.
En deuxième lieu, nous allons bientôt examiner le projet de loi de finances pour 2009, et l’on sait que les marges budgétaires de l’État sont extrêmement réduites. Or le financement d’une assurance récolte représente 32 millions d’euros aujourd’hui, mais elle représenterait sans doute dix fois plus si tout le monde devait être assuré, et cela sans compter le secteur de l’élevage.
Au demeurant, puisqu’on parle de solidarité, si certains agriculteurs ne s’assurent pas aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas solidaires à l’égard de leurs collègues et qu’ils se reposent sur le FNGCA, c’est tout simplement parce que les assureurs ne sont pas en mesure de proposer aujourd’hui des produits d’assurance adaptés à toutes les situations. Je pense en particulier aux cultures fourragères, mais aussi à de nombreux arboriculteurs, qui devraient payer des primes d’assurances insupportables.
En troisième lieu, une obligation d’assurance signifie de nouvelles formalités, de nouvelles procédures de contrôle, venant s’ajouter à toutes celles qui existent déjà, véritable fardeau pour les exploitants. Il faudrait en outre vérifier que certains ne trichent pas, et même sans doute prendre des sanctions ; mais lesquelles ? Tous ces points seraient très difficiles à régler et peuvent difficilement l’être dans le cadre de cette proposition de loi.
En dernier lieu, je m’appuierai sur les exemples des États-Unis, où le président Emorine s’est rendu en 1997 avec notre collègue M. Deneux pour étudier notamment cette question, et de l’Espagne, que M. Mortemousque a également très bien décrit. Ces pays sont très en avance sur la France en matière d’assurance récolte. Pour autant, ils ne l’ont pas rendue obligatoire. Les personnes que j’ai auditionnées n’ont pas su me citer un seul pays dans le monde où l’assurance récolte soit obligatoire. D’ailleurs, en Espagne, qui est en quelque sorte le modèle européen, l’État dépense dix fois plus qu’en France pour l’assurance récolte, mais la moitié seulement des exploitations sont assurées ; il semble que l’on se trouve face à un plafond.
D’une manière générale, l’agriculture est aujourd’hui une activité entrepreneuriale. Évitons d’imposer aux exploitants de nouvelles obligations sans avoir la certitude qu’elles vont réellement améliorer la situation.
L’ensemble de ces éléments m’a conduit, en tant que rapporteur du texte, à faire état de conclusions négatives à son égard et notre commission à suivre lesdites conclusions. Il n’en reste pas moins que je juge cette proposition de loi bienvenue aujourd’hui en ce qu’elle permet de faire le point sur ce dossier alors que se fait le basculement entre le système du FNGCA et celui de l’assurance récolte et que vous le défendez, monsieur le ministre, devant les instances de Bruxelles, où il devrait faire l’objet d’un accord le 19 novembre prochain.
Nous souhaitons donc saisir l’occasion de ce débat pour vous appuyer dans ces négociations, monsieur le ministre, mais également pour vous rappeler qu’un engagement ferme des pouvoirs publics et une visibilité à long terme sur l’assurance, ainsi que sur la réassurance, sont les seuls facteurs de réussite pour le développement de l’assurance récolte. Pour aller plus loin aujourd’hui, la France doit pouvoir accorder, comme les États-Unis ou l’Espagne, la garantie de l’État par l’intermédiaire, par exemple, de la Caisse centrale de réassurance.
Notons, à regret, que dès 2009, le taux de subvention par l’État de la prime d’assurance pour les grandes cultures passera de 35 % à 25 % ; on le comprend à la vue des prix du marché pour les céréales l’année dernière, mais la situation est aujourd’hui bien différente puisque leur cours s’est replié de manière catastrophique ; les cours du maïs sont ainsi aujourd’hui inférieurs de moitié à ceux de l’année dernière.
Le signal donné est en revanche positif pour les productions arboricoles et viticoles, dont le taux de soutien devrait être réévalué à 40 %. On peut par ailleurs noter, avec satisfaction, la bonification de 5 % pour les jeunes agriculteurs, ainsi que l’apport de certaines collectivités locales qui aident déjà à la prise en compte de ces risques. En outre, le relèvement de la DPA, la déduction pour aléas, constitue un autre signal positif, même s’il est à nuancer avec la diminution de la déduction pour investissements.
En conclusion, après avoir remercié les auteurs de la proposition de loi de susciter très utilement la discussion sur l’assurance récolte, je vous invite cependant, mes chers collègues, à ne pas l’adopter, pour les raisons que j’ai exposées. Bien entendu, cela ne doit pas nous empêcher, bien au contraire, de faire le point avec vous, monsieur le ministre, sur l’extension de l’assurance récolte ni d’échanger sur les perspectives de son développement.
Permettez-moi enfin, monsieur le ministre, de vous remercier personnellement de votre engagement pour l’agriculture, et de remercier aussi tous ceux qui se sont battus pour l’assurance récolte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens de nouveau dans la discussion générale, mais cette fois pour exprimer tout le bien que mon groupe pense de la proposition de loi visant à rendre obligatoire la souscription d’une assurance récolte par tous les exploitants. (Sourires.)
En effet, à nos yeux, une telle solution est seule à même de réduire le niveau moyen des primes exigées par les assureurs, grâce à l’élargissement de l’assiette des cotisants, et de rendre ainsi le dispositif plus accessible et plus protecteur pour le monde agricole.
Apparemment, le Gouvernement et la commission jugent cette proposition inenvisageable ou, plutôt, prématurée. Nous pouvons entendre certains arguments.
Toutefois, tout le monde, y compris M. le rapporteur, s’accorde sur la nécessité d’une extension aussi large que possible de la couverture assurantielle. Or cela exige un soutien massif tant au niveau national qu’à l’échelle européenne. Nous constatons hélas que les crédits consacrés à l’assurance récolte, qui s’élèveront à 32 millions d’euros en 2009, ont jusqu’à présent été insuffisants.
Comment le ministère de l’agriculture entend-il atteindre les objectifs qu’il s’était fixés en termes de taux de pénétration ? Au vu de ce que d’autres pays consacrent au financement de leur dispositif d’assurance récolte, on est amené à considérer que le Gouvernement ne semble pas décidé – c’est le moins qu’on puisse dire – à donner le coup de rein nécessaire en la matière.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez décidé de réduire de dix points le taux de subventionnement des grandes cultures, alors même qu’elles vont sortir du champ du Fonds national de garantie des calamités agricoles, tout en continuant à y cotiser. Même si ces cultures ne sont pas celles qui ont le plus besoin de soutien, je pense que le dispositif sera difficile à leur vendre sur le terrain. (M. le rapporteur acquiesce.) Or c’est sur elles que reposent les principes de solidarité et de mutualisation !
En outre, sur une demande française, l’assurance récolte a été inscrite au « bilan de santé » de la PAC, qui doit être voté d’ici à la fin de l’année. La Commission européenne propose d’utiliser le régime des soutiens spécifiques pour favoriser le développement de l’assurance récolte, mais également d’un fonds de mutualisation, en cas de maladies animales ou végétales.
Le nouvel article 68 du règlement du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la PAC permettrait aux États d’utiliser 10 % de leurs plafonds nationaux au titre du premier pilier, en vue d’octroyer une contribution financière aux agriculteurs au paiement des primes. Ce niveau de financement est sûrement optimiste ; d’autres politiques seront à financer par ce canal. Une hypothèse de 1 % à 3 % des droits à paiement unique fléchés vers l’assurance récolte me paraît plus réaliste.
Quoi qu’il en soit, le soutien public, prévu par l’article 69 de ce même règlement, pourrait s’élever à 60 %, voire à 70 %, du coût de la police d’assurance. Il serait pris en charge par l’Union européenne pour les deux tiers et, si j’ai bien compris, par les États membres pour le tiers restant.
Dans l’ensemble, cette assurance récolte « à la sauce européenne » est finalement assez proche du système français, à un ou deux détails près, comme le taux de franchise fixé à 30 %, contre 25 % en France. D’ailleurs, cela semble se justifier par le fait que l’assurance récolte proposée par la Commission est calibrée pour être déclarée en boîte verte à l’OMC, ce qui n’est pas le cas de l’actuel système français de l’assurance récolte. Néanmoins, cela reste gênant.
Le principal point d’interrogation a trait au cofinancement obligatoire entre la France et l’Europe. Le budget français sera-t-il à la hauteur ? En tout cas, il semble que le débat s’annonce vif.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dresser un « état des lieux » ? Nous vous demandons instamment de faire de cette question une priorité lors de la dernière ligne droite des négociations du « bilan de santé » de la PAC.
La gestion des risques, notamment climatiques, est un enjeu majeur pour l’agriculture, déjà confrontée à la raréfaction du foncier agricole et à la volatilité des prix. À mon sens, l’assurance récolte est un instrument adapté, répondant à une logique d’entreprise, et je suis convaincu qu’il faut la rendre obligatoire. Encore faut-il lui donner une image forte, exprimant la volonté du Gouvernement de miser sur cette nouvelle formule.
Monsieur le ministre, nous savons que vous vous y emploierez avec toute la pugnacité, l’ardeur et la compétence qui sont les vôtres. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de mon point de vue, le sujet abordé par cette proposition de loi est tout à fait d’actualité. En tout cas, il n’est certainement pas « décalé », pour reprendre l’adjectif utilisé tout à l’heure par certains collègues à propos d’une question orale avec débat.
Quatre raisons au moins justifient que nous nous saisissions d’une telle question.
Premièrement, nous sommes confrontés à une fragilité accrue des revenus des agriculteurs, phénomène illustré par l’ensemble des accidents survenus ces dernières années du fait des intempéries et des épizooties, qui se multiplient. Selon certains scientifiques, une accélération liée aux changements climatiques est d’ailleurs à prévoir.
Deuxièmement, comme cela a été souligné par M. Yvon Collin et par M. le rapporteur, l’Union européenne a jugé utile de mener une réflexion en ce sens. En effet, chaque année, l’Europe, l’État et les collectivités locales sont sollicités pour faire face à des crises, ainsi qu’à leurs conséquences en termes de perte de revenus.
Troisièmement, seule une mutualisation peut permettre de garantir une solvabilité – j’y reviendrai –, donc de créer une solidarité. Or, et notre collègue Yvon Collin vient de le rappeler, chaque année, les engagements de l’État ont du mal à être respectés et il est difficile de trouver les financements.
Quatrièmement, à mon avis, la présente proposition de loi survient au bon moment, au regard des négociations que vous conduisez au niveau communautaire, monsieur le ministre. Je pense notamment aux articles 68 et 69 du règlement évoqué voilà quelques instants.
Le principe de la généralisation doit être juste, efficace et équitable. Mais deux obstacles se dressent actuellement devant cette généralisation.
D’une part, le milieu agricole est très disparate. Je peux le constater à la seule échelle de mon département. Ainsi, les contraintes financières qui s’imposent actuellement aux agriculteurs ne sont pas vécues de la même manière par tous. En effet, seuls ceux qui disposent de hauts revenus sont en mesure de s’assurer, les petits producteurs ne dégageant pas une marge suffisante pour se le permettre. Même dans les filières où ce serait financièrement possible, seuls les agriculteurs des régions à risques, à fortes variations climatiques, souscrivent une assurance. Mais des productions entières fragiles en sont actuellement écartées.
D’autre part, l’État ne semble pas aujourd'hui en mesure d’assurer les financements nécessaires au bon fonctionnement d’un système généralisé.
Par conséquent, bien que nous soyons favorables à l’instauration d’une assurance récolte obligatoire, nous sommes conduits à penser que la mise en place d’un tel système ne pourrait sans doute être que progressive.
À cet égard, je voudrais vous soumettre deux solutions possibles. La première consisterait à ne généraliser ce mécanisme que sur un type de production, par exemple les céréales, mais en impliquant l’ensemble de la filière. La seconde tendrait à l’expérimenter sur des filières qui, tout en étant indispensables économiquement et écologiquement, n’auraient pas les moyens d’appliquer le dispositif ; je pense notamment à la filière ovine et à celle des fruits et légumes.
Pour notre part, nous sommes favorables au principe qui nous est proposé, mais également réalistes. C'est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi en la considérant comme un texte d’appel (M. Yvon Collin acquiesce) et d’appui à la position que vous défendez dans les négociations, monsieur le ministre, négociations que nous espérons voir aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de son caractère global et impératif, la proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, déposée par nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet, appelle un certain nombre d’observations.
En posant le principe de l’obligation de l’assurance récolte sans envisager la question de son financement, de ses modalités de mise en œuvre et de son inscription dans le cadre communautaire et international, le texte soulève beaucoup d’interrogations sans y apporter de réponses.
Mais c’est également là sa principale qualité, car elle suscite ainsi, dans notre assemblée, un débat – d’ailleurs nécessaire – sur la prise en compte des difficultés chroniques auxquelles doivent faire face les agriculteurs, les éleveurs, les maraîchers, les arboriculteurs, les viticulteurs, bref, le monde paysan dans sa globalité.
En effet, leur protection contre les aléas climatiques, sanitaires et économiques n’est pas assurée de manière satisfaisante et semble assez disparate, voire inexistante, selon les filières concernées.
Il existe plusieurs produits d’assurance sur le marché contre la grêle, contre le gel ou encore contre plusieurs risques combinés, avec le soutien de l’État et, souvent, des collectivités locales. Malgré ses imperfections, le Fonds national de garantie des calamités agricoles reste un mécanisme nécessaire dans bien des situations de crise. Cependant, si l’assurance récolte a progressé grâce à l’adoption de la loi du 5 janvier 2006 d’orientation agricole, c’est surtout en direction des grandes cultures.
À ce titre, selon les indications fournies par le rapport de la commission, le taux de prise en charge de la prime d’assurance par le Fonds national de garantie des calamités agricoles a été le même pour toutes les cultures de 2005 à 2008. Compte tenu de la disparité des revenus et des risques entre les cultures, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une telle décision. C’est pourquoi il est heureux que, pour 2009, soit prévu un taux différencié favorisant les cultures les plus exposées.
Avant d’entrer dans le détail des difficultés posées par l’assurance récolte, dont le constat semble être largement partagé, j’aimerais soulever le problème du revenu des agriculteurs et, à travers lui, évoquer la notion d’« assurance revenu ».
La question de l’assurance récolte ne peut être déconnectée de la question de la garantie des prix aux agriculteurs. Il serait nécessaire de réfléchir à la mise en place d’un mécanisme assurant les volumes produits, peut-être même les prix, afin de tendre vers une régularisation des revenus.
Si le revenu net par actif de l’ensemble de la branche agriculture a augmenté entre 2006 et 2007, ce résultat positif est essentiellement dû à la forte progression de la valeur de la production agricole, qui s’explique à 85 % par les céréales oléagineuses et protéagineuses, dont le prix avait augmenté de 51 % par rapport à 2006. Cette augmentation a notamment entraîné une forte hausse du coût de production de l’alimentation animale, ce qui a mis en difficulté nombre d’éleveurs, parfois déjà affaiblis par des crises sanitaires.
Il faut noter de fortes disparités dans les revenus non seulement entre les grandes cultures susmentionnées et l’élevage, mais également entre celles-là et les autres productions végétales. Or ce sont également ces grandes cultures qui sont le mieux assurées.
Vous le voyez, on ne peut pas traiter la question assurantielle sans prendre en compte les difficultés économiques de bon nombre d’exploitations. Si certains agriculteurs ne s’assurent pas, c’est tout simplement qu’ils n’en ont pas les moyens !
C’est pourquoi, selon nous, il devient urgent que les sénateurs se saisissent de la question d’un prix rémunérateur des produits agricoles dans le cadre de la réflexion sur l’assurance récolte.
Nous le sentons bien, le véritable obstacle à la proposition de loi déposée par nos collègues réside dans l’engagement financier de l’État. En effet, un soutien budgétaire beaucoup plus important que celui qui est prévu aujourd'hui serait nécessaire si l’assurance récolte devenait obligatoire.
Ainsi, les 32 millions d’euros qui sont mobilisés aujourd'hui seraient à multiplier par dix. L’Espagne, pays cité en exemple, a consacré 280 millions d’euros au financement de son dispositif assurantiel.
Dans le contexte actuel de crise économique et financière, alors que le Gouvernement a vidé les caisses de l’État au profit des ménages les plus aisés, alors que le sous-engagement financier de l’État s’accompagne d’une sous-dotation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, il serait illusoire de croire que la puissance publique est disposée à engager les sommes nécessaires à la viabilité du système d’assurance obligatoire.
De plus, les décisions relatives au soutien financier d’origine communautaire et à la compatibilité du soutien interne des États membres, c’est-à-dire à la participation aux primes d’assurance, n’ayant pas encore été définitivement prises, il nous semble opportun de ne pas imposer aux agriculteurs des obligations qui les mettraient en difficulté financière.
Lors des débats en commission, M. le rapporteur a souligné que, si certains agriculteurs ne s’assurent pas aujourd’hui, c’est en raison de l’absence d’un produit assurantiel adapté à leurs besoins. Nous partageons cette idée. Avant de rendre l’assurance obligatoire, peut-être serait-il intéressant de réfléchir sur ses modalités et d’envisager des solutions par filières.
La question de la concurrence entre les assureurs se pose également. Comme le notait déjà le rapport de Dominique Mortemousque, deux assureurs proposent des contrats d’assurances multirisques : Groupama, qui détenait, en 2005, les neuf dixièmes des contrats, et Pacifica, filiale du Crédit agricole. Selon le même rapport, si la bonne diffusion de l’assurance récolte pour les grandes cultures peut s’expliquer en partie par la bonne concurrence entre les deux opérateurs, cet élément ne sera certainement pas durable, a fortiori dans un système d’assurance obligatoire.
Il ne faudrait pas non plus sous-estimer le risque que les assureurs profitent de la subvention publique pour augmenter leurs primes, autrement dit que des tarifs prohibitifs consomment l’aide.
Enfin, la présente proposition de loi reste muette quant à la mutualisation puisqu’elle renvoie pour l’essentiel à un décret, et le rapport n’envisage la question qu’en quelques lignes, au travers du principe de l’extension progressive de l’assiette des cotisants.
Il est essentiel de déterminer quel niveau de mutualisation nous voulons dans le cadre d’un système d’assurance récolte obligatoire.
Si nous ne sommes pas catégoriquement opposés au principe d’une assurance obligatoire, nous estimons que sa mise en œuvre est quelque peu prématurée.
À l’heure de la réforme de la politique agricole commune, la présidence française n’a pas su proposer de mesures fortes pour défendre les cultures les plus fragiles et assurer un revenu décent aux agriculteurs. Les politiques européennes de suppression des quotas, de réforme des aides à la production vont dans le sens d’une déstabilisation des revenus et renforcent les inégalités au sein du monde agricole.
Nous considérons donc qu’il convient d’approfondir cette réflexion en prenant en compte un traitement assurantiel par filière, un haut niveau de mutualisation des risques, une participation substantielle de l’État et de l’Union européenne, sans oublier des prix rémunérateurs, une régulation des volumes de production et des marges de la grande distribution.
Or, si j’ai bien compris, notamment à la lecture du rapport de Dominique Mortemousque, ce qui se prépare, c’est le désengagement total de l'État dans ce domaine et son abandon aux appétits des assurances privées.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard César.
M. Gérard César. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous assistons depuis quelques années à une multiplication des incidents climatiques, qui a entraîné des difficultés croissantes de financement du Fonds national de garantie des calamités agricoles, fonds qui indemnise les agriculteurs dans le cadre du régime « calamités naturelles ».
Les pouvoirs publics ont donc souhaité que le relais de ce régime soit pris par des mécanismes d’assurance récolte couvrant non pas un, mais plusieurs risques, conformément aux préconisations du rapport du député Christian Ménard, intitulé : « Gestion des risques climatiques en agriculture », remis le 11 février 2004 à M. Hervé Gaymard, alors ministre de l’agriculture.
Le dispositif d’assurance récolte, lancé par le Gouvernement dès février 2005, vise cet objectif en combinant un financement provenant, pour l’essentiel, des exploitants sur une base volontaire et, d’autre part, des subventions incitatives de l’État.
Cependant, s’il amorce de façon très opportune un développement progressif de l’assurance récolte, ce dispositif reste, en l’état, insuffisant. En effet, il laisse la souscription de contrats d’assurance à la seule initiative des agriculteurs. Or seul un dispositif reposant sur une assiette de cotisants aussi large que possible aurait une réelle portée.
Dans cette perspective, j’avais proposé, en ma qualité de rapporteur du projet de loi d’orientation agricole et avec le soutien appuyé du président de la commission des affaires économiques, Jean-Paul Emorine, d’inscrire dans la loi le principe d’une extension progressive du mécanisme d’assurance récolte à l’ensemble des productions agricoles, un décret devant en fixer les conditions d’application.
En adoptant l’amendement que j’avais déposé au nom de la commission des affaires économiques, le Sénat a étendu de manière progressive le mécanisme d’assurance récolte à l’ensemble des productions agricoles, ce qui a donné lieu à l’article 68 de la loi d’orientation agricole de février 2006.
Développer le recours par les exploitants agricoles à des polices d’assurance multirisques couvrant les sinistres occasionnés à leurs récoltes par des aléas climatiques, telle est la voie dans laquelle le Sénat a demandé que l’on s’engage. Le but de l’initiative de notre commission des affaires économiques était de favoriser une montée en puissance rapide des instruments d’assurance mis en place par le Gouvernement.
En permettant de mutualiser les sources de financement et de responsabiliser les exploitants, le dispositif d’assurance récolte a vocation, à terme, à prendre le relais du mécanisme de solidarité nationale, mécanisme qui, s’il a fait la preuve de son utilité jusqu’à présent, est désormais considéré comme insuffisamment efficace.
Un second rapport, rendu public le 28 février 2007, émanant de mon ancien collègue du groupe UMP, Dominique Mortemousque, parlementaire en mission, est venu compléter la réflexion sur le développement de l’assurance récolte, dressant un nouveau bilan. Intitulé : « Une nouvelle étape pour la diffusion de l’assurance récolte », ce rapport préconise trois grandes orientations.
Premièrement, la gestion des risques et des crises sera un élément majeur des prochains rendez-vous communautaires, notamment s’agissant du « bilan de santé » de la PAC pour l’après-2013 et les propositions françaises en vue d’un cofinancement ne seront crédibles que si l’assurance récolte continue vigoureusement sa progression selon une feuille de route claire et, surtout, consensuelle.
Deuxièmement, les lourds investissements que l’entreprise agricole doit consentir pour une adaptation plus étroite au marché de l’après-2013 nécessitent une couverture plus forte contre les aléas, donc mieux individualisée, tant par une amélioration de la déduction fiscale pour aléas que par l’assurance récolte, plutôt que par la procédure forfaitaire du régime des calamités agricoles, qui correspondait aux besoins de premiers secours d’une agriculture en cours de modernisation.
Troisièmement, les aléas économiques, climatiques et sanitaires n’étant pas indépendants, l’organisation de producteurs est la base logistique appropriée pour bien raisonner s’agissant de l’adaptation au marché, des investissements, des pratiques de prévention, ainsi que des prises de risque individuelles mesurées.
Pour choisir un objectif raisonnable de diffusion de l’assurance récolte, trois scénarios ont été étudiés suivant qu’elle reste cantonnée aux grandes cultures, qu’elle est étendue aux cultures spécialisées, comme la vigne ou les fruits et légumes, ou que l’ensemble des productions, fourrage compris, de la « ferme France » soient couvertes.
Le rapport Mortemousque conclut que, en tout état de cause, l’assurance récolte doit être non pas obligatoire, mais incitative.
Les années qui viennent de s’écouler ont montré que les problèmes rencontrés par les agriculteurs concernent non pas seulement les récoltes, mais également les troupeaux.
Au cours de la dernière décennie, les productions animales ont été touchées par des crises sanitaires majeures. Dans la quasi-totalité des cas, les crises sanitaires ont eu pour origine des contaminations extérieures aux élevages, que les mesures d’hygiène et de prévention appliquées par les éleveurs n’ont pas permis d’éviter.
Ces risques sanitaires, accentués par l’augmentation des échanges à l’échelle de la planète, deviennent des facteurs prédominants de déstabilisation économique et de déséquilibre des marchés. L’influenza aviaire et la fièvre catarrhale en sont des exemples, malheureusement plus que jamais d’actualité.
Il est donc essentiel aujourd’hui de pouvoir couvrir tous les risques, tant climatiques que sanitaires, ces derniers s’étant considérablement accrus ces dernières années du fait de la globalisation.
La question est posée : comment les Américains ont-ils mis en place l’assurance obligatoire ? Le rapporteur l’indiquait tout à l’heure, selon le système américain, l’assurance est obligatoire pour ceux qui empruntent de l’argent auprès des banques. Il faudra sans doute entamer une réflexion en France sur ces problèmes.
C’est la raison pour laquelle il faut englober tous les risques et parler d’« assurance aléas ».
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Gérard César. À cet égard, l’échéance de 2013 sera l’occasion de dresser un premier bilan de l’assurance récolte et d’étudier plus sérieusement l’opportunité de la relayer par un mécanisme d’assurance plus globalisé, et ce à l’échelon communautaire, comme Mme Fischer Boel et vous-même, monsieur le ministre de l’agriculture, l’avez proposé, précisément dans le cadre des articles 68 et 69 du règlement européen.
L’entreprise agricole doit pouvoir désormais être accompagnée plus étroitement dans les nouvelles évolutions qui l’attendent, notamment après 2013. Il s’agit de repositionner les financements de l’État et la mutualisation professionnelle sur un investissement d’avenir pour l’agriculture, qui doit mobiliser toutes les énergies.
La nouvelle étape qui s’ouvre aujourd’hui est celle de la transition du régime des calamités agricoles vers la diffusion d’une « assurance aléas » dans les différentes catégories de productions ou d’élevage.
Si nous adhérons pleinement à l’objectif d’extension de l’assurance récolte, nous ne pouvons toutefois souscrire à la proposition de loi de nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet, qui vise à rendre l’assurance récolte obligatoire.
Sans reprendre les arguments développés par notre excellent rapporteur de la commission des affaires économiques, Daniel Soulage, il est certain qu’une telle mesure se heurte dans l’immédiat à de fortes objections, tenant notamment au coût supplémentaire qu’elle induirait pour l’agriculteur.
En conclusion, le groupe UMP se rallie aux conclusions négatives de la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen aujourd'hui par votre assemblée de cette proposition de loi déposée par Yvon Collin et Jean-Michel Baylet, et tendant à rendre obligatoire l’assurance récolte, nous donne en réalité l’occasion de débattre d’une question centrale.
Même si, je le dis d’emblée, je ne souhaite pas que l’on ferme la discussion aujourd'hui en approuvant ce texte orienté dans une seule direction, je veux vous remercier, monsieur Collin, ainsi que M. Baylet, d’avoir soulevé, par votre initiative, un sujet névralgique, celui de l’exposition des entreprises agricoles aux risques, permettant ainsi au Gouvernement de donner une indication assez précise de ce qu’il souhaite faire à cet égard.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons le même constat, celui de la nécessité de développer les outils de couverture des risques, à commencer par les risques climatiques, et d’en faire, le plus rapidement possible, bénéficier le plus grand nombre. C’est une priorité de mon action depuis dix-huit mois, tant sur le plan communautaire qu’à l’échelon national.
Vous vous en souvenez, sous l’impulsion de votre assemblée, grâce à la force de conviction du président de la commission des affaires économiques, Jean-Paul Emorine, le Gouvernement, par les voix successives d’Hervé Gaymard et de Dominique Bussereau, s’était engagé dans le développement de l’assurance récolte. Le principe de l’extension progressive de cette dernière à l’ensemble des productions agricoles a été ainsi introduit dans la loi d’orientation agricole de 2006 grâce à un amendement de Gérard César, alors rapporteur du texte.
M. Gérard César. Merci !
M. Michel Barnier, ministre. La question qui nous est posée aujourd'hui, par le biais de la présente proposition de loi, est simple : il s’agit de savoir si la meilleure des solutions pour aller plus vite ne consisterait pas à rendre l’assurance récolte obligatoire.
Je serai tout à fait franc : le Gouvernement s’était lui-même posé cette question dès 2005, et je me la suis posée lorsque le Président de la République, à Rennes, m’a fixé comme priorité dans ma feuille de route « la généralisation de l’assurance récolte ».
Finalement, le Gouvernement n’a pas retenu l’obligation d’assurance. Il entend privilégier la responsabilisation des agriculteurs en renforçant de façon significative l’incitation à l’assurance et en inscrivant l’assurance récolte dans le cadre de la politique agricole commune.
Pourquoi avons-nous fait le choix de l’incitation ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai acquis une double conviction, renforcée depuis dix-huit mois.
En premier lieu, notre environnement a changé, devenant plus incertain. M. Raoul l’a excellemment dit, les risques se multiplient et s’amplifient. Les aléas climatiques, les crises sanitaires, l’explosion n’importe où, n’importe comment, de multiples agents pathogènes émergents sous le double effet du réchauffement climatique et de la mondialisation des échanges sont encore aggravés par le récent retournement des marchés. M. Le Cam a évoqué la situation économique liée à cette volatilité.
Tel est le quotidien des entreprises agricoles, qui sont, dans l’économie française, parmi les plus exposées et les plus vulnérables, et en même temps les moins bien protégées de nos entreprises.
Nos outils ne sont plus adaptés. C’est ce que je constate chaque semaine à l’occasion des échanges que j’ai, crise après crise, avec les agriculteurs, avec mes services, avec les élus.
En second lieu, seule une politique globale cohérente de la gestion des risques peut offrir aux agriculteurs une couverture complète. C’est d’ailleurs ce que votre ancien collègue Dominique Mortemousque avait mis en lumière dans son rapport.
Nous allons donc combiner épargne de précaution défiscalisée, assurance récolte volontaire, mais subventionnée, et indemnisation des risques sanitaires, à partir d’un cofinancement des agriculteurs que les pouvoirs publics pourront rendre obligatoire. Gérard César l’a bien rappelé, tous les risques sont liés.
C’est cette double conviction qui m’a conduit, dès mon arrivée rue de Varenne, à plaider l’introduction de la couverture des risques au sein de la politique agricole commune. C’est une première.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Michel Barnier, ministre. Nous avions une occasion avec le « bilan de santé » de la PAC, pour lequel nous abordons la dernière ligne droite. J’ai présidé hier et avant-hier le Conseil des ministres à Luxembourg. J’ai réuni dans des « triangulaires » mes collègues au cours de vingt-six réunions successives avec la Commission pour essayer de trouver les chemins du compromis et du consensus. Je pense pouvoir annoncer que nous sommes sur la voie d’un accord politique concernant ce « bilan de santé » pour le 19 ou le 20 novembre prochain, après avoir pris en compte l’avis du Parlement européen.
Cette grande politique qu’est la PAC – la première politique économique européenne – ne peut pas se réduire à des aides découplées et à un renforcement de la politique de développement rural. Elle doit intégrer cette montée des risques, notamment climatiques et sanitaires. Alors que la Commission avait initialement envisagé de les prendre en compte dans le cadre du second pilier de la PAC, nous avons obtenu que leur couverture devienne un des outils du premier pilier de la PAC.
Je veux dire à Gérard César et à Daniel Raoul, que je remercie de leurs encouragements, que je compte bien mobiliser tous les articles du règlement qui est en discussion dans cette boîte à outils pour aboutir à ce résultat.
C’est pour moi, une avancée importante et une perspective pour l’avenir.
Je rappelle le calendrier : la boîte à outils du « bilan de santé », nous en disposerons, si tout se passe bien, dès le mois de novembre ; il nous faudra six mois pour décider, après un débat franco-français auquel le Parlement sera associé, de la façon dont seront utilisés les outils et dont seront réorientées les aides à l’intérieur du premier et du second piliers ; les décisions que nous prendrons en 2009 seront applicables en 2010.
Nous allons donc pouvoir, dès 2010, mobiliser des moyens prélevés sur les aides pour financer le développement de l’assurance récolte et mieux indemniser les conséquences économiques des crises sanitaires. Nous en négocions dans le détail les modalités pour en améliorer l’efficacité.
Voilà pour l’avancée.
C’est également une perspective pour l’avenir, car nous avons ouvert la voie à d’autres dispositifs assurantiels pour l’après-2013. Nous avons ainsi mis le pied dans la porte pour demain. Monsieur Le Cam, on ne peut envisager pour l’avenir une « assurance revenu » dans la politique commune, puisque c’est ce que vous appelez de vœux, sans avoir préalablement développé, dans cette même politique commune, l’assurance récolte ; de mon point de vue, c’est la première étape.
La double conviction que j’ai acquise m’a également conduit à réorienter fondamentalement notre dispositif national parce que, même si son bilan est positif, il montre des signes d’essoufflement.
Quels enseignements peut-on tirer de ce bilan ?
Le premier est que les mécanismes actuels se « vampirisent » les uns les autres. Coexistent à la fois l’indemnisation publique et l’assurance privée subventionnée, avec en plus une déduction pour aléas qui ne fonctionne pas réellement. Il faut, donc, les clarifier et proposer aux agriculteurs un ensemble cohérent, mais diversifié dans ses outils.
Le deuxième enseignement est que l’assurance s’est développée, mais sa diffusion a été très inégale selon les secteurs. Vous avez donné les chiffres, monsieur le rapporteur : l’assurance récolte est restée concentrée sur les productions les moins risquées. Les secteurs les plus exposés aux risques – les fruits et légumes, ainsi que la viticulture – se sont peu assurés ou ne se sont pas assurés. On sait en outre que, pour les fourrages, l’offre de produits d’assurance n’en est qu’au stade d’une expérimentation, chez un seul assureur.
Il faut, donc, une approche différenciée et inscrite dans le temps, avec une vraie progressivité.
Le troisième enseignement est que la voie du contrat, en l’occurrence du contrat d’assurance, reposant sur la responsabilisation des agriculteurs et un engagement des pouvoirs publics est la voie plus efficace. Elle permet d’atteindre les objectifs de couverture chez le plus grand nombre tout en participant à l’intégration des risques dans la gestion des entreprises agricoles. Je serais tenté de dire : le contrat plutôt que la contrainte !
Il faut, donc, dans un contexte budgétaire tendu – disons la vérité ! –, mobiliser les moyens suffisants.
Au regard du bilan que je viens d’exposer sommairement, notre dispositif évoluera profondément en 2009. Ce sera, mesdames, messieurs les sénateurs, la première étape d’une refonte substantielle de la couverture des risques.
Ainsi, le soutien à l’assurance récolte sera renforcé dans le secteur des fruits et légumes et dans celui de la viticulture ; il passera à 40 %, et à 45 % pour les jeunes agriculteurs. En contrepartie, il sera ajusté à 25 % pour les grandes cultures.
Par ailleurs, les grandes cultures, dont le taux de surfaces assurées est supérieur aujourd'hui à 27 %, ne seront plus indemnisées au titre du Fonds national de garantie des calamités agricoles pour la perte de récolte, mais elles continueront à l’être pour les pertes de fonds.
De surcroît, la déduction pour aléas, la DPA, qui permet aux agriculteurs de constituer une épargne de précaution défiscalisée sera réformée. Son plafond de 23 000 euros sera indépendant du plafond de la déduction pour investissement, la DPI, dont le montant sera de 15 000 euros.
Enfin, pour assurer la cohérence entre les différents outils, le niveau de la DPA sera conditionné à la souscription d’une assurance. Cette épargne pourra être mobilisée pour prendre en charge la franchise non couverte par l’assurance.
Le Gouvernement a donc fait le choix d’une politique ambitieuse de la couverture des risques climatiques en l’inscrivant dans la durée et en augmentant significativement les moyens qui lui sont consacrés.
Ainsi, en 2009, les moyens publics affectés à l’assurance récoltes s’élèveront à 38 millions d’euros. Ils passeront à 100 millions d’euros en 2010, financement communautaire compris et hors FNGCA. À ces sommes, il convient d’ajouter l’impact de la DPA sur les rentrées fiscales, estimé, lui, à 80 millions d’euros.
Pour répondre à Yvon Collin sur la question du financement du Fonds national de garantie des calamités agricoles, je rappelle que le Gouvernement le dote chaque année en loi de finances rectificative, la moyenne sur dix ans s’établissant à environ 90 millions d’euros. Pour mémoire, la sécheresse de 2003 a coûté, elle, plus de 600 millions d’euros.
Je souhaite doter le Fonds national de garantie des calamités agricoles en loi de finance initiale, ce qui a toujours été mon idée. Cependant, cela n’a pas été possible compte tenu des contraintes qui pèsent sur le projet de loi de finances pour 2009 et de la nécessaire maîtrise des dépenses publiques. Ce sera prévu en 2011, dans le plan triennal budgétaire, à hauteur de près de 40 millions d’euros.
Pour répondre encore à une question de M. Collin, je précise que ce n’est qu’en 2010 que le coût budgétaire du développement de l’assurance jouera à plein, en raison du décalage entre le paiement des primes et la souscription des contrats.
En 2010, le financement de l’État est prévu à hauteur de 60 millions d’euros, soit le double de ce qui est actuellement payé. En 2011, le coût total sera supérieur à 100 millions d’euros, mais le financement européen en assurera plus de la moitié. Je négocie actuellement, je vous le répète, dans le cadre du « bilan de santé » un taux de cofinancement européen aussi élevé que possible pour accroître nos marges de financement.
Pourquoi, en fin de compte, n’avons-nous pas opté pour l’obligation d’assurance ?
Selon les auteurs de la proposition de loi, si j’ai bien compris leur intention, l’obligation d’assurance amorcerait un cercle vertueux : tous les agriculteurs étant assurés, les risques seraient mutualisés et le coût de l’assurance en serait réduit.
Cela me paraît relever d’une vision un peu idyllique.
M. Yvon Collin. Je suis un rêveur ! (Sourires.)
M. Michel Barnier, ministre. Elle sous-estime les questions de fond et les difficultés qu’une telle obligation engendrerait et que votre rapporteur a rappelées avec pertinence.
Je voudrais revenir brièvement sur les objections qu’appelle une telle proposition.
D’abord, l’assurance récolte n’est pas une assurance responsabilité. La rendre obligatoire, c’est interférer avec la responsabilité individuelle de l’agriculteur dans l’appréciation du risque de son entreprise. C’est peut-être aussi la fausser.
Ensuite, l’obligation d’assurance suppose, pour être efficace, que tous les agriculteurs aient accès à des contrats. Or le faible taux de souscription dans certains secteurs est le résultat de l’insuffisance, voire de l’inexistence – je pense aux fourrages – de l’offre des assureurs. L’obligation ne réglerait pas cette question.
Par ailleurs, l’obligation d’assurance ne sera efficace que si des sanctions sont prévues et appliquées. C’est une simple règle de droit : il n’y a pas d’obligation sans sanction. Mais cette sanction serait-elle acceptée aujourd'hui par les agriculteurs, qui pourraient argumenter que leur refus de s’assurer ne concerne qu’eux et qu’ils ne causent aucun tort à autrui ?
Enfin, l’obligation d’assurance exige la mise en place d’une réassurance publique et de mécanismes publics garantissant à tous la possibilité de s’assurer.
J’ai bien lu, monsieur le rapporteur, votre analyse sur les limites de la réassurance privée et j’ai pris bonne note de votre demande de réassurance publique, à l’instar de ce qui se pratique aux États-Unis ou en Espagne. C’est un point que nous avons discuté avec les assureurs et le ministère de l’économie. Nous sommes convenus de faire le point au fur et à mesure du développement de l’assurance.
Nous n’avons donc pas fermé la porte de la réassurance publique, mais nous devons miser aujourd’hui sur le développement de la réassurance privée, avec le souci de l’évaluation régulière.
J’ai bien entendu votre proposition relative à la Caisse centrale de réassurance, à laquelle le Président de la République vient de demander de faciliter l’assurance des crédits aux entreprises. Cette annonce ne vous avait certainement pas échappé, monsieur Soulage ! Je serai évidemment très attentif au suivi de cette question.
J’ajoute que l’obligation d’assurance, telle qu’elle est envisagée par les auteurs de la proposition de loi, se traduirait, comme M. le rapporteur l’a rappelé, par un coût inscrit en loi de finances multiplié par dix.
Je ne voudrais pas sous-estimer les risques d’exclusion que vous avez mis en avant, monsieur le rapporteur, en soulignant que, malgré ses imperfections, le FNGCA, qui indemnise en moyenne 30 % des dommages, avait été en quelque sorte une caisse d’« assurance coups durs ».
J’ai bien compris vos craintes d’une sortie trop rapide de certaines filières de l’indemnisation du Fonds national de garantie des calamités agricoles. Je veux vous rassurer : la décision n’est prise que pour les grandes cultures. Nous serons très vigilants quant à la sortie des autres secteurs, surtout s’ils sont très exposés aux risques.
Nous allons aussi travailler avec les assureurs au contenu des contrats d’assurance pour en améliorer les conditions. Une « assurance coups durs » pourrait avoir sa place dans une palette de contrats offerts aux agriculteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que, en tout cas, nous ne laisserons pas d’agriculteurs au bord du chemin. L’engagement du Gouvernement repose sur le principe de la solidarité, qui se manifeste, premièrement, par un taux de subvention des contrats d’assurance plus élevé pour les secteurs les plus exposés – notamment la viticulture et les fruits et légumes – et, deuxièmement, au travers du Fonds national de garantie des calamités agricoles.
Nous avons déjà cette préoccupation : les exploitations victimes d’orages de grêle, qui ne sont pas éligibles aux indemnisations du FNGCA, peuvent actuellement, sous condition de revenu, bénéficier d’une prise en charge de leurs cotisations sociales ou d’un dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Il me semble ainsi plus judicieux d’orienter de telles exploitations vers ces dispositifs pour ne pas entraver l’incitation à souscrire une assurance récolte.
Enfin, le Comité national de l’assurance en agriculture devra chaque année faire le bilan du dispositif que je viens de décrire à grands traits, et nous en tirerons les conséquences pour l’adapter.
Si le Gouvernement partage l’objectif de la proposition de loi, s’il remercie ses auteurs d’avoir soulevé cette question, il ne souscrit pas au moyen envisagé pour l’atteindre, c’est-à-dire l’obligation d’assurance. Mais, en la matière, je n’ai pas d’idéologie : pour les risques sanitaires, nous nous orientons vers une contribution obligatoire des professionnels et une indemnisation publique.
Pour toutes ces raisons, tout en considérant que cette proposition de loi nous ait fourni une bonne occasion de faire le point, jouant un rôle de levier pour la réflexion politique et les décisions à prendre dans le cadre du « bilan de santé » de la PAC, je souhaite que votre assemblée suive les conclusions de la commission des affaires économiques et n’adopte pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Y a-t-il des explications de vote sur les conclusions de la commission des affaires économiques tendant à ne pas adopter la proposition de loi n° 214 ?...
Je les mets aux voix.
(Ces conclusions sont adoptées.)
Mme la présidente. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
6
Nomination de membres de commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : M. Nicolas About, Mmes Bernadette Dupont, Brigitte Bout, Françoise Henneron, Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, M. Guy Fischer.
Suppléants : MM. Gilbert Barbier, Jean Boyer, Yves Daudigny, Mmes Annie David, Isabelle Debré, M. Jean Desessard, Mme Christiane Kammermann.
Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi en faveur des revenus du travail.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : M. Nicolas About, Mmes Isabelle Debré, Brigitte Bout, Catherine Procaccia, Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Annie David.
Suppléants : M. Gilbert Barbier, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Guy Fischer, Mme Françoise Henneron, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Bernard Frimat.)
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Conférence des présidents
M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
Jeudi 30 octobre 2008
À 9 heures 30 :
Ordre du jour prioritaire :
1°) Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (n° 405, 2007-2008) ;
À 15 heures et le soir :
2°) Questions d’actualité au Gouvernement ;
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;
Ordre du jour prioritaire :
3°) Suite de l’ordre du jour du matin.
Mardi 4 novembre 2008
À 16 heures et, éventuellement, le soir :
1°) Éloge funèbre du président Michel Dreyfus-Schmidt ;
Ordre du jour réservé :
2°) Conclusions de la commission des lois (n° 61, 2008 2009) sur la proposition de loi visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006 64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 39, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 3 novembre 2008, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;
Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 3 novembre 2008) ;
3°) Proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste (n° 54, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 3 novembre 2008, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;
Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 3 novembre 2008) ;
4°) Proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet, présentée par M. Marcel-Pierre Cléach et plusieurs de ses collègues du groupe UMP (n° 423, 2007 2008) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 3 novembre 2008, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;
Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 3 novembre 2008).
À partir de 18 heures :
Désignation :
- des dix-huit sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;
- de dix sénateurs au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé (le président de la commission des affaires sociales ainsi que le rapporteur en charge de l’assurance-maladie dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale étant membres de droit) ;
- des quinze membres de la délégation du Sénat pour la planification ;
(Les candidatures présentées par les groupes à ces trois offices et délégation devront être remises au service de la séance au plus tard le mardi 4 novembre 2008, à 17 heures).
Mercredi 5 novembre 2008
Ordre du jour prioritaire :
À 15 heures et, éventuellement, le soir :
- Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Jeudi 6 novembre 2008
Ordre du jour prioritaire :
À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :
1°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après déclaration d’urgence, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 (n° 55, 2008-2009) et déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur les prélèvements obligatoires ;
(La conférence des présidents a décidé de joindre le débat sur les prélèvements obligatoires à la discussion générale de ce projet de loi.
À la suite des représentants des commissions des finances et des affaires sociales (dix minutes pour chacun d’eux), interviendront les porte-parole des groupes (dix minutes pour chaque groupe et cinq minutes pour les sénateurs non inscrits) ;
Après la réponse du Gouvernement aux orateurs des groupes aura lieu un débat organisé sous la forme de questions/réponses (UMP et SOC : quatre questions chacun ; UC, CRC et RDSE : deux questions chacun ; NI : une question). La durée de discussion de chaque question est limitée à cinq minutes réparties de façon égale entre l’auteur de la question et le Gouvernement.
La conférence des présidents a fixé au mercredi 5 novembre 2008 à 16 heures le délai limite pour les inscriptions de parole et le dépôt des amendements) ;
2°) Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Éventuellement, vendredi 7 novembre 2008
Ordre du jour prioritaire :
À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :
- Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Mercredi 12 novembre 2008
À 16 heures et le soir :
1°) Sous réserve de l’entrée en application de la résolution, adoptée par le Sénat le 29 octobre 2008 et soumise au Conseil constitutionnel, modifiant l’article 3 du règlement du Sénat afin de renforcer le pluralisme dans l’organe dirigeant du Sénat, élection de deux vice-présidents du Sénat ;
(Le scrutin secret pour l’élection de deux vice-présidents du Sénat se déroulera dans la salle des conférences et sera ouvert pendant une heure ;
Les candidatures devront être déposées au service de la séance, à 11 heures, le mercredi 12 novembre 2008) ;
Ordre du jour prioritaire :
2°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (A.N., n° 1157) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- au mercredi 12 novembre 2008 à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;
Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 11 heures, le mercredi 12 novembre 2008).
Au plus tard à 19 heures : Désignation de secrétaires du Sénat
(Sous la présidence de M. Gérard Larcher, président du Sénat, les présidents de groupe et le délégué des sénateurs non inscrits se réuniront dans le cabinet de départ le même jour à l’issue de la proclamation du résultat du scrutin pour l’élection des deux vice-présidents afin de dresser la liste des candidats selon le principe de la répartition proportionnelle des sièges).
Jeudi 13 novembre 2008
À 9 heures 30 :
Ordre du jour prioritaire :
1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
(La conférence des présidents a décidé d’organiser un débat thématique sur « l’hôpital en question », avant le début de la troisième partie du projet de loi « dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre général pour 2009 » ;
À la suite du rapporteur de la commission des affaires sociales (dix minutes), interviendront les porte-parole des groupes (dix minutes pour chaque groupe et cinq minutes pour les sénateurs non inscrits) ;
Après la réponse du Gouvernement aux orateurs des groupes aura lieu un débat organisé sous la forme de dix questions/réponses avec droit de réplique de l’auteur de la question (UMP et SOC : trois questions ; UC, CRC, RDSE et NI : une question) (question : deux minutes trente ; réponse : deux minutes trente ; réplique : une minute) ;
Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 12 novembre 2008) ;
À 15 heures et le soir :
2°) Questions d’actualité au Gouvernement ;
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;
Ordre du jour prioritaire :
3°) Suite de l’ordre du jour du matin.
Lundi 17 novembre 2008
À 10 heures :
1°) Questions orales ;
Ordre du jour prioritaire :
À 15 heures et le soir :
2°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.
Mardi 18 novembre 2008
Ordre du jour prioritaire :
À 9 heures 30 :
1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
À 16 heures et le soir :
2°) Éloge funèbre de André Boyer ;
Ordre du jour prioritaire :
3°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.
Mercredi 19 novembre 2008
Ordre du jour prioritaire :
À 15 heures et le soir :
- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.
DÉTERMINATION DES SEMAINES DE SÉANCE
En application de l’article 28 de la Constitution et de l’article 32 bis, alinéa 1, du règlement, le Sénat a déterminé les semaines de séance. Le Sénat pourra siéger en séance plénière :
- jusqu’au lundi 22 décembre 2008 ;
- du lundi 5 janvier 2009 jusqu’au vendredi 20 février 2009 ;
- du lundi 2 mars 2009 jusqu’au vendredi 10 avril 2009 ;
- du lundi 27 avril 2009 jusqu’au mardi 30 juin 2009.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
8
Diffusion et protection de la création sur internet
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (no 405, 2007-2008 ; nos 53, 59) (urgence déclarée).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre aujourd’hui vise à ce que la France saisisse pleinement la chance inédite que représente internet pour la culture, aussi bien pour sa démocratisation que pour tirer parti du potentiel de développement économique qu’elle recèle.
Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux dispose d’un accès à internet haut débit, et 62 % de ceux qui sont âgés de plus de onze ans se connectent au moins une fois par mois. Dans quelques années, chacun devrait pouvoir accéder librement, facilement et rapidement à un catalogue presque illimité de films, de titres de musique, bientôt d’œuvres littéraires, mais aussi d’expositions virtuelles, de captations de pièces de théâtre, d’opéras.
Il est de notre responsabilité de faire en sorte que cette nouvelle offre se développe dans sa richesse et sa diversité, au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens : consommateurs, créateurs, entreprises de toutes les filières des industries culturelles et des réseaux de communication. Elle ne doit donc, en aucun cas, aboutir à spolier de leurs droits certains acteurs au bénéfice d’une frange peu scrupuleuse ou inconsciente des internautes.
Des progrès remarquables ont été accomplis, au cours des deux dernières années, par les opérateurs qui offrent légalement accès à la musique et aux films sur internet.
Plus de 3 200 films et plus de 3 millions de morceaux de musique sont aujourd’hui disponibles auprès des plates-formes de téléchargement, des chaînes de télévision, ou encore des fournisseurs d’accès à internet. Certaines de ces offres sont gratuites, financées par la publicité ; d’autres sont payantes mais forfaitaires et permettent, notamment en matière de musique, de télécharger de façon permanente, pour quelques euros par mois, au sein de catalogues de plusieurs centaines de milliers de titres.
Le coût de cette offre pour le consommateur décroît donc rapidement, y compris pour le cinéma puisqu’il est possible pour un foyer de consulter un film pour moins de cinq euros, ou plusieurs dizaines de films pour moins de dix euros par mois.
Il ne sera toutefois possible de faire des réseaux numériques un outil de distribution des biens culturels qui présente toutes les qualités en matière de sûreté, de richesse et de coût que si les droits de propriété intellectuelle y sont respectés.
Nous devons pour cela lever le principal obstacle : le piratage des œuvres sur internet, commis sur une très grande échelle dans notre pays, qui détient une sorte de record mondial puisqu’un milliard de fichiers ont en effet été piratés en France en 2006. Ce véritable désastre économique et industriel auquel nous assistons se traduit également sur le terrain du renouvellement et de la diversité de la création.
Le marché de la musique enregistrée est le plus atteint, avec une baisse de 50 % en valeur au cours des cinq dernières années, assortie d’un fort impact sur l’emploi - 30 % des effectifs des maisons de production - et sur la création, de nombreux contrats d’artistes ayant dû être résiliés et le nombre de nouveaux artistes « signés » chaque année ayant diminué de 40 %.
Le cinéma s’engage sur la même pente : il y a déjà, à l’heure actuelle, autant de téléchargements illégaux journaliers – 450 000 – que d’entrées en salles. Le marché de la vidéo a perdu un quart de sa valeur, comparable à celle de la musique enregistrée, au cours des quatre dernières années, alors même que le prix moyen des nouveautés diminuait d’un tiers.
L’année où un film français a rencontré un succès historique – Bienvenue chez les Ch’tis - devrait être une année de forte hausse de la fréquentation : or ce n’est pas le cas. Tous les exploitants de salles s’en inquiètent, car ils ont, ces dernières années, énormément investi pour rénover leurs équipements, qu’il s’agisse de multiplexes ou de petites salles rurales. Les producteurs, en particulier les PME de la production indépendante dont l’économie repose en grande partie sur le crédit, voient que les coûts des crédits bancaires renchérissent.
Quant au livre, après avoir découvert, à la Foire de Francfort, les prouesses technologiques qui seront bientôt proposées au public, j’ai la certitude que ce secteur entrera, à son tour, dans l’ère numérique, s’il n’y est d’ailleurs déjà. Il serait en tout cas coupable de notre part de feindre de l’ignorer et de ne pas prendre préventivement toutes les mesures nécessaires pour éviter que cette filière, à son tour, ne pâtisse des effets ravageurs du piratage.
La situation des créateurs et des entreprises françaises ne serait pas si alarmante si l’effondrement du marché des biens « physiques », CD et DVD, était compensé par l’essor des ventes dématérialisées. Mais, à l’heure actuelle, ce naufrage n’est absolument pas rééquilibré, dans aucun secteur, par les ventes numériques. En effet, alors que dans la plupart des grands pays aux habitudes de consommation comparables aux nôtres ces ventes décollent – elles représentent désormais déjà plus de 25 % du marché aux États-Unis – le taux dépasse péniblement 7 % dans notre pays.
Il est donc urgent d’endiguer cette hémorragie des œuvres sur internet qui laissera bientôt exsangues la création et l’économie de la culture. Il est également urgent, pour cette raison, de responsabiliser davantage l’internaute, qui vit parfois dans une sphère d’irréalité et une certaine bulle d’apesanteur.
Il se livre, en effet, à une sorte de déni de réalité, qui consiste à méconnaître les conséquences de son comportement, d’abord, pour les autres – créateurs et entreprises des industries culturelles - et, ensuite, pour lui-même.
Il convient en effet de rappeler que la loi pose d’ores et déjà le principe de la responsabilité de l’abonné à internet, qui est tenu, par le code de la propriété intellectuelle, de veiller à ce que son accès au réseau ne fasse pas l’objet d’une utilisation qui méconnaisse les droits de propriété littéraire et artistique.
Surtout, l’internaute qui pirate en mettant à disposition ou en téléchargeant des œuvres protégées se rend coupable du délit de contrefaçon. À ce titre, il tombe sous le coup de sanctions - c’est la loi de 2006 - pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende, sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts.
Parce que ces sanctions paraissent disproportionnées et inadaptées au cas du piratage dit ordinaire, les ayants droit répugnent aujourd’hui à y recourir et les actions engagées se limitent en fait à quelques centaines à ce jour.
Mais il est douteux qu’ils puissent s’offrir le luxe d’hésiter longtemps s’ils devaient constater que les pouvoirs publics renoncent à mettre en place une solution alternative, à la fois mieux proportionnée à l’enjeu et plus efficace car praticable sur une grande échelle.
Le principe de cette solution a été envisagé en concertation avec les artistes et les industries culturelles. Cette démarche, encouragée par le Président de la République, dès son élection, a eu pour effet de modérer les contentieux jusqu’à ce jour. Nul doute qu’en l’absence de cette initiative les procédures pénales se seraient multipliées, comme c’est d’ailleurs le cas en Allemagne, où les tribunaux pénaux sont saisis actuellement de plusieurs dizaines de milliers d’actions.
Je veux mentionner, enfin, les dangers du piratage qui concernent plus particulièrement les jeunes ou très jeunes internautes.
En effet, s’ils manient l’outil numérique avec une grande virtuosité, ils n’en demeurent pas moins singulièrement vulnérables dans leur navigation sur un internet affranchi de toute régulation.
Or on constate sur les réseaux de pair à pair une offre illégale massive de films pornographiques ou violents présentés sous les apparences de films grand public. Pour se limiter à un seul exemple, celui du réseau eDonkey, 60 % des fichiers d’Astérix aux Jeux Olympiques et du Renard et l’enfant, ou encore 45 % des fichiers de Bienvenue chez les Ch’tis sont en réalité des films pornographiques.
L’existence d’une offre pirate porte donc une atteinte grave, pour laquelle il n’existe pas de parade technique, à la protection des mineurs, que seule l’offre légale est susceptible de garantir.
La méthode suivie par le Gouvernement pour répondre à cette situation a reposé sur la conviction que, pour être efficaces, les solutions mises en œuvre devaient faire l’objet d’un large consensus préalable entre les acteurs de la culture et les acteurs de l’Internet.
C’est le sens de la mission qui avait été confiée à Denis Olivennes, alors président-directeur général de la FNAC, mission destinée à favoriser la conclusion d’un accord entre les professionnels de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel et les fournisseurs d’accès à internet.
Le résultat, c’est l’accord historique signé à l’Élysée, le 23 novembre 2007, par quarante-deux entreprises ou organisations représentatives de la culture et de l’Internet. Cet accord s’est encore renforcé depuis avec cinq nouveaux signataires. Ce sont donc près de cinquante acteurs de la culture et de l’Internet qui se sont rassemblés autour d’un plan d’action, en deux volets.
Premier volet : il s’agit de rendre l’offre légale facilement accessible, plus riche et plus souple.
D’abord, les maisons de production de disques se sont engagées à retirer les mesures techniques de protection « bloquantes » – les fameux « DRM » – des œuvres françaises. Ces dispositifs empêchent, par exemple, de consulter un même titre sur plusieurs lecteurs : l’ordinateur, le baladeur, l’autoradio, etc.
Selon les accords de l’Élysée, les DRM devaient disparaître un an après la mise en œuvre du présent projet de loi. Toutefois, à l’issue d’un dialogue particulièrement constructif, les grandes maisons de disques – et particulièrement la première d’entre elles, Universal – sont disposées à avancer de plus d’un an la concrétisation de leur engagement et à retirer très rapidement, dans les jours qui viennent, les DRM. C’est un geste très significatif en direction du consommateur. Je crois qu’il faut le saluer. Il démontre que l’industrie musicale a pleinement pris conscience du lien entre piratage et offre légale. Il convient de veiller à ce que les pirates en prennent à leur tour conscience.
Ensuite, le délai d’accès aux films par les services de vidéo à la demande – VOD – sera ramené dès l’application de la loi au niveau de celui qui est applicable aux DVD, c’est-à-dire à six mois après la sortie du film en salles. Puis les discussions interprofessionnelles devront aboutir, dans un délai maximal d’un an, à un raccourcissement des fenêtres, de tout ce que l’on appelle la chronologie des médias. Il est évident que l’on souhaite que ces engagements soient mis en œuvre le plus tôt possible et, bien sûr, de façon anticipée par rapport au calendrier prévu. Un dialogue est actuellement engagé avec les filières du cinéma pour y parvenir.
Je salue à cet égard les amendements adoptés par votre commission des affaires culturelles. Ils visent à donner aux engagements de la filière cinématographique en matière de chronologie des médias, et à leur mise en œuvre, un cadre juridique plus précis et une visibilité accrue, notamment du point de vue des consommateurs, tout en respectant l’autonomie des acteurs économiques.
Il est fondamental que les internautes puissent percevoir sans tarder la contrepartie tangible de l’approche plus responsable d’internet que nous entendons promouvoir au travers de ce projet de loi.
Le second volet des accords de l’Élysée porte sur la lutte contre le piratage de masse. Celle-ci doit changer de logique. La nouvelle approche proposée par le Gouvernement est tout d’abord préventive et graduée, puisque aucune sanction ne pourra intervenir au premier acte de piratage. Elle vise, d’autre part, à décriminaliser le piratage : une éventuelle sanction ne nécessitera plus forcément l’intervention du juge, même si elle demeurera sous son contrôle.
À propos de ce deuxième point des accords, quel dispositif le projet de loi instaure-t-il ?
La base juridique sur laquelle il repose existe déjà – je l’ai mentionnée : c’est l’obligation de surveillance de l’accès internet. Le texte du Gouvernement vise en fait à préciser le contenu de cette obligation et à mettre en place un mécanisme de réponse dite graduée en cas de manquement de la part de l’abonné. Il convient de souligner qu’il s’agit bien de la responsabilité de l’abonné, et non de celle du pirate, qui peut être un autre membre du foyer familial. Ainsi, les parents titulaires de l’abonnement pourront se voir avertis des conséquences d’actes de piratage commis par leurs enfants.
Un tel dispositif connaît évidemment de nombreux précédents dans notre droit. Par exemple, en matière d’infractions routières, le titulaire du certificat d’immatriculation est redevable de l’amende même s’il n’est pas lui-même l’auteur d’un excès de vitesse : il a au moins commis un défaut de surveillance de son véhicule ou de l’usage qui en est fait. J’estime en outre naturel qu’il incombe aux parents de relayer auprès de leurs enfants la pédagogie développée à leur égard par les pouvoirs publics dans le cadre de la réponse graduée.
Cette réponse prendra une forme qui, dans un premier temps, sera préventive, puis, dans un deuxième temps, transactionnelle, et, enfin, pourra éventuellement déboucher sur une sanction de nature administrative, prononcée par une autorité indépendante chargée de la gestion du mécanisme mais placée sous le contrôle du juge judiciaire.
Que se passera-t-il, concrètement, pour l’abonné, en cas de piratage ?
La première phase, celle de la constatation des faits, ne connaîtra en fait aucun changement par rapport à la situation actuelle. Aujourd’hui, il appartient effectivement aux ayants droit de repérer les actes de piratage sur internet par l’intermédiaire des agents assermentés des sociétés de perception et de répartition des droits et de leurs organisations professionnelles. Pour ce faire, ces structures utilisent des traitements automatisés qui collectent les adresses IP, sortes de plaques d’immatriculation, permanentes ou provisoires, des ordinateurs. Il faut le souligner, ces traitements automatisés font l’objet d’une autorisation délivrée par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Sur la base des constats dressés, les ayants droit peuvent saisir le juge, mais le projet de loi leur offrira une alternative : ils pourront aussi, s’agissant de pirates ordinaires, saisir une autorité administrative indépendante sur le fondement du manquement de l’abonné à son obligation de surveillance.
L’objectif du Gouvernement est que l’efficacité du mécanisme pédagogique et gradué géré par l’autorité administrative dissuade les ayants droit de recourir à la voie pénale.
En fait, la voie administrative n’entraîne pas la disparition de la voie pénale, mais vient la compléter. Il n’est effectivement pas envisageable de priver les ayants droit, par principe, du recours direct au juge, compte tenu, notamment, du fait que certains actes de piratage, par leur ampleur, par les moyens employés ou encore par le but poursuivi, ne pourraient recevoir une réponse adéquate que sous la forme d’une sanction pénale ou de dommages et intérêts. Il appartiendra aux ayants droit de choisir la modalité la plus adaptée.
La procédure administrative, à la fois rapide et peu coûteuse, s’imposera naturellement dans tous les cas de piratage ordinaire, ludique, qui constituent bien sûr l’immense majorité des cas.
S’agissant de ce que certains appellent une double peine, c’est-à-dire du risque de voir une même personne sanctionnée à la fois par le juge pénal et par l’autorité administrative, je tiens à souligner que la difficulté soulevée n’est pas de nature juridique, car la jurisprudence constitutionnelle admet qu’un même fait soit passible à la fois de sanctions administratives et de sanctions pénales. C’est notamment le cas lorsque des infractions bancaires ou boursières sont sanctionnées ou quand des agents publics sont l’objet de sanctions disciplinaires et pénales.
Nous estimons cependant qu’un cumul des sanctions, sanction pénale et sanction administrative, sur la tête d’une même personne n’est pas souhaitable et doit être évité. Il n’est effectivement pas compatible avec le souci de prévention et de décriminalisation qui sous-tend le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Pour autant, il n’est pas envisageable de priver les créateurs et les entreprises de l’accès au juge. Il faut donc adopter des solutions de nature essentiellement pratique.
Tout d’abord, à l’occasion de la demande à la CNIL de l’autorisation des traitements automatisés leur permettant de repérer les infractions, les ayants droit s’engageront à n’utiliser les constats ainsi dressés que dans le cadre de l’une ou de l’autre voie – pénale ou administrative. Ils organiseront ainsi un aiguillage à la source entre les deux procédures.
Ensuite, il convient d’insister sur le fait que les ayants droit qui saisiront l’autorité administrative à partir de l’adresse IP d’un ordinateur ne connaîtront jamais l’identité de l’abonné mis en cause. La loi ne prévoit en effet aucun retour d’information de la part de la haute autorité compétente en direction des auteurs de la saisine.
Ladite autorité demeurera donc pour les ayants droit une « chambre noire », un écran venant s’interposer entre eux-mêmes et l’identité de l’abonné. Ce n’est pas le cas – je tiens à le souligner – lorsque le tribunal correctionnel est saisi.
Quel sera le rôle de l’autorité administrative à laquelle sera confié le traitement des constats dressés par des agents assermentés ?
Cette autorité sera en fait l’Autorité de régulation des mesures techniques créée en 2006 sur l’initiative de votre Haute Assemblée afin de veiller à l’interopérabilité des mesures techniques de protection et au respect de l’exception pour copie privée. Elle est actuellement présidée par le conseiller d’État Jean Musitelli. Pour mieux refléter l’étendue de ses nouvelles compétences, elle sera rebaptisée Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ou HADOPI.
La Haute autorité ne pourra agir que sur le fondement des constats dressés par les représentants des ayants droit. Elle ne disposera donc d’aucune faculté d’auto-saisine ni a fortiori d’aucune compétence de surveillance des réseaux de communication électronique.
Elle enverra tout d’abord aux pirates des messages d’avertissement pédagogiques, dénommés recommandations. Ensuite, après l’envoi d’un courrier électronique, elle fera usage du procédé de la lettre remise contre signature, de façon à s’assurer que l’abonné a bien pris connaissance du comportement qui lui est reproché. C’est important : les parents seront ainsi nécessairement avertis des actes de piratage qui pourraient être commis à leur insu par leurs enfants, et les entreprises des agissements de leurs collaborateurs.
Une phase préventive, que le droit ne permet pas jusqu’à présent, précédera donc une éventuelle sanction – elle la précédera même obligatoirement. L’infraction ne sera effectivement constituée qu’après renouvellement du manquement dans l’année qui suit la réception de l’avertissement.
La visée pédagogique et préventive de ce mécanisme est essentielle et constitue le cœur du projet de loi. Selon une récente étude menée en Grande-Bretagne et publiée en mars 2008, 70 % des internautes cesseraient de télécharger dès le premier message d’avertissement et 90 % dès le deuxième. Ces données sont cohérentes avec les taux relevés aux États-Unis, un dispositif du même type ayant été mis en place dans certains États fédérés.
En cas de manquement répété de l’abonné, la Haute autorité pourra prendre à son encontre une sanction administrative consistant en une suspension de l’accès internet. La suspension de l’abonnement sera assortie de l’impossibilité de souscrire pendant la même période un autre contrat auprès de tout opérateur, de façon à éviter la migration des abonnés d’un fournisseur à un autre. Ce point est également important car les opérateurs de communication qui feront diligence pour mettre en œuvre les décisions de la Haute autorité ne doivent pas être pénalisés par rapport à ceux qui se montreraient moins coopératifs dans le but de capter de façon déloyale la clientèle de leurs concurrents.
En principe, la durée de la suspension de l’abonnement est comprise entre trois mois et un an. Cependant, la Haute autorité pourra proposer à l’abonné une transaction : s’il s’engage à ne pas renouveler le comportement qui lui est reproché, sa suspension pourra être ramenée à une durée comprise entre un et trois mois. Cette phase transactionnelle instaurant un dialogue entre la Haute autorité et l’abonné accentue encore l’aspect pédagogique du mécanisme.
Nous sommes bien sûr conscients des difficultés que pourrait poser ce dispositif aux entreprises ou à d’autres personnes morales, notamment publiques, telles les universités. Le projet de loi prévoit donc que la Haute autorité pourra recourir à des mesures alternatives à la suspension de l’accès lorsque les effets de cette sanction seraient disproportionnés. L’employeur pourra ainsi être invité par la Haute autorité à prendre des mesures de type pare-feu pour éviter que les employés ne s’adonnent au piratage à partir des postes informatiques de l’entreprise. De telles techniques sont d’ailleurs déjà largement utilisées dans les collectivités publiques ou privées d’une certaine taille.
La Haute autorité pourrait également enjoindre de telles mesures dans les cas, plus que rares, où il pourrait s’avérer techniquement impossible ou particulièrement complexe et coûteux de suspendre l’accès à internet sans suspendre également les services de téléphonie et de télévision.
Afin de garantir le respect des mesures de suspension, les fournisseurs d’accès à internet seront tenus de vérifier, à l’occasion de la conclusion de tout nouveau contrat, que leur cocontractant ne figure pas sur le répertoire des personnes dont l’abonnement a été suspendu. La Haute autorité pourra décider de prendre des sanctions pécuniaires d’un montant maximal de 5 000 euros à l’encontre des fournisseurs d’accès qui s’abstiendraient de procéder à ces vérifications ou qui ne mettraient pas en œuvre les mesures de suspension qu’elle décide.
Bien entendu, toutes les sanctions – suspensions d’abonnement, mesures alternatives à cette suspension et sanctions pécuniaires à l’encontre des fournisseurs d’accès – sont susceptibles de recours devant le juge.
Enfin, le texte précise les conditions, classiques, dans lesquelles le titulaire de l’accès à internet pourra s’exonérer de sa responsabilité : cas de force majeure ou détournement frauduleux de son accès par un tiers. Il encourage également les abonnés à prendre des mesures de sécurisation de leur poste, sur le modèle de ce qui existe déjà en matière de contrôle parental. En effet, la mise en œuvre d’un tel dispositif figurant sur une liste de moyens efficaces dressée par la Haute autorité vaudra exonération de responsabilité.
Telle est l’économie générale du mécanisme pédagogique et gradué envisagé par les accords de l’Élysée qu’il vous est proposé de traduire dans la loi.
Un débat assez vif s’est engagé dans les médias et l’opinion publique à propos de ce projet. Il y a des revendications légitimes de part et d’autre. Nous devons évidemment en tenir compte. Cependant, certains arguments semblent caricaturaux et d’autres plus inquiétants.
Je m’attarderai donc sur trois questions soulevées au sujet de ce projet de loi.
En premier lieu, la pertinence du choix comme sanction ultime d’une mesure de suspension de l’abonnement internet, de préférence, par exemple, à une amende, est contestée.
Tout d’abord, cette solution a été choisie pour manifester clairement la volonté du Gouvernement de décriminaliser le piratage ordinaire et d’instaurer à cet effet une procédure vraiment différente de celle qui est suivie devant le juge correctionnel. Il me semble qu’une sanction de nature pécuniaire aurait brouillé ce message, le juge pouvant également prononcer une sanction de ce type.
Ensuite, le rapport direct entre le comportement en cause – à savoir l’utilisation inappropriée de l’accès internet – et la nature de la sanction tend à renforcer l’efficacité pédagogie de celle-ci.
Enfin, le caractère non pécuniaire de la sanction évite de créer une inégalité devant le piratage entre des abonnés qui seraient en mesure d’acquitter facilement leurs amendes et ceux qui se trouveraient dans une situation difficile.
Certains voient dans la suspension de l’abonnement à internet une atteinte aux droits de l’homme, et plus précisément à la liberté de communication.
Je leur répondrai en premier lieu, tout simplement, que la résiliation de l’abonnement est déjà prévue – c’est bien normal – dans les contrats passés par les fournisseurs d’accès à internet avec leurs abonnés, dans les cas où ceux-ci ne s’acquittent pas de leurs factures ou se livrent à un usage inapproprié de leur abonnement. La mise en œuvre de cette clause ne requiert ni l’intervention du juge ni celle de l’autorité administrative : il suffit d’une mise en demeure adressée par le prestataire lui-même.
Ainsi donc, le préjudice économique infligé aux fournisseurs d’accès par les mauvais payeurs pourrait sans l’ombre d’un doute – voilà qui est étrange – justifier la résiliation unilatérale de l’abonnement. En revanche, une suspension d’abonnement prononcée dans le cadre d’une procédure contradictoire, par une autorité administrative indépendante, pour sanctionner un autre préjudice, porté cette fois aux industries culturelles, violerait gravement les droits de l’homme. Quelle approche étrange et paradoxale !
En second lieu, à supposer que la disposition permanente, à domicile, d’un accès à internet puisse être considérée comme une liberté fondamentale, on ne peut méconnaître le fait qu’aucun droit n’est inconditionnel : il doit être concilié avec les autres libertés et ne saurait être invoqué pour les violer impunément.
La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi souligné, tout récemment, la nécessité de concilier les droits des artistes et des industries culturelles avec la liberté de communication sur les réseaux numériques. Et la Cour de cassation a jugé que le respect du droit des auteurs ne constitue pas une entrave à la liberté de communication, à la liberté d’expression ou à celle du commerce et de l’industrie.
Concilier le droit de propriété et le droit moral des créateurs avec la liberté de communication, ce n’est pas porter atteinte à celle-ci, c’est, au contraire, lui donner toute sa portée.
Tout notre droit est traversé par la nécessité d’assurer un équilibre entre des droits et libertés par nature antagonistes. Il n’y aurait aucune logique à ce que seul l’environnement numérique échappe à cette règle. En effet, il n’abolit pas les principes les plus élémentaires qui gouvernent la vie en société.
Autre objection fréquemment soulevée, la Haute autorité violerait la vie privée et elle permettrait le fichage des internautes et la surveillance généralisée des réseaux.
Il y a un paradoxe dans cette assertion : en effet, dans les autres pays qui pratiquent l’envoi de messages d’avertissement aux internautes, voire la suspension de l’accès à internet – les États-Unis, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni depuis quelques semaines –, cette politique se passe entièrement de l’intervention publique. Elle est purement contractuelle et résulte d’accords entre les fournisseurs d’accès et les ayants droit.
La particularité de l’approche française, c’est justement d’interposer entre les parties en présence – ayants droit, fournisseurs d’accès et internautes – une autorité indépendante, qui assure la prévention du piratage tout en protégeant le secret de la vie privée.
Ainsi que je l’ai déjà indiqué, seule la Haute autorité pourra se procurer les données personnelles de l’abonné – nom et coordonnées postales et électroniques – strictement nécessaires à l’envoi des messages d’avertissement.
L’identité du pirate demeurera donc cachée aux ayants droit. À cet égard, la procédure devant la Haute autorité sera donc plus protectrice du secret de la vie privée que celle qui peut se dérouler devant le juge.
Au sein de la Haute autorité, la commission qui traitera les dossiers présentera toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance : elle sera composée de magistrats et disposera d’agents publics dont l’absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables.
La procédure suivie devant la Haute autorité, qui sera détaillée dans un décret en Conseil d’État, répondra à toutes les exigences du « procès équitable » au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Quant aux données nécessaires pour mettre en mouvement le mécanisme de prévention, ce sont celles qui sont d’ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires, à savoir les adresses IP. Aucune donnée nouvelle, je le répète, ne sera relevée par les agents assermentés pour dresser les constats nécessaires à la mise en œuvre de la réponse graduée.
J’en viens à présent à la troisième objection : cette loi serait dictée par les majors. Je tiens à le souligner, et tous ceux qui sont en contact avec les milieux culturels le savent bien, le présent projet de loi a reçu le soutien massif des créateurs et des entreprises du cinéma, de la musique et de l’Internet. Ce soutien provient tout particulièrement des petites et moyennes entreprises de la culture, de ces entreprises indépendantes qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques en soutenant de jeunes talents. Plus de 95 % des entreprises dans le domaine de la musique sont des PME employant moins de vingt salariés : elles représentent 67 % de l’emploi et 44 % du chiffre d’affaires dans ce secteur.
Ces structures indépendantes, qui sont au cœur du dynamisme et de la diversité de notre scène artistique et de la scène européenne, se sont réunies sur mon initiative jeudi et vendredi dernier, au Muséum d’histoire naturelle, pour dresser leurs perspectives d’avenir dans le cadre des premières « Arènes européennes de l’indépendance ». Cette rencontre s’est achevée par la signature d’une déclaration en dix points, parmi lesquels figure le soutien massif au projet de loi, qui revêt à leurs yeux une importance considérable.
Cette loi n’est donc pas celle des majors, c’est celle de tous les créateurs et de toutes les industries culturelles.
Ce n’est pas non plus la loi des artistes les plus réputés, mais celle des jeunes talents. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ce n’est pas, enfin, une loi pour les multinationales, c’est une loi pour les centaines de milliers d’acteurs des filières économiques concernées, du technicien à l’artiste, de l’auteur au producteur, en passant par le réalisateur et le diffuseur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui se joue au travers de ce projet de loi, c’est la place que nous entendons réserver aux artistes au sein de notre société.
La France est, depuis plusieurs siècles, extrêmement attachée au droit d’auteur et à la défense des artistes. Nous avons toujours su, face à chaque innovation technique, défendre ces principes essentiels.
Lorsque les appareils de reproduction mécanique ont fait leur apparition, nous avons inventé la rémunération pour copie privée et le droit de reprographie.
Quand l’explosion des radios libres a fait de la diffusion radiophonique le vecteur essentiel d’accès à la musique pour les jeunes, nous avons inventé la « rémunération équitable ».
Au moment des technologies numériques et de l’Internet, il est essentiel de faire vivre avec toujours plus de force et de conviction la défense du droit des auteurs. Ce n’est pas aux technologies de nous dicter leurs règles, c’est à nous de leur imposer celles que notre société a choisi de se donner à elle-même. Tel est le sens de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès son élection, le Président de la République a voulu « réconcilier » l’univers de l’Internet et celui du droit d’auteur.
À cet effet, il a engagé une démarche fondée sur la concertation avec les acteurs concernés, consacrée par des accords – les accords de l’Élysée de novembre 2007 – dont la traduction est le projet de loi que vous avez présenté, madame la ministre, au conseil des ministres le 18 juin dernier et qui est soumis au Parlement. Je m’honore du fait que le débat s’ouvre dans la Haute Assemblée, et j’en remercie, en notre nom à tous, le Gouvernement.
Je le dis d’emblée, le Président de la République et le Gouvernement ont raison de vouloir réconcilier internet et la création. Nous devons donner un coup d’arrêt au piratage des œuvres. Nous devons tout mettre en œuvre pour permettre le développement d’une économie des œuvres sur internet, respectueuse du droit des auteurs et de ceux qui travaillent dans les industries de la création.
Je suis convaincu qu’il est possible de permettre à la fois l’accès à toutes les formes de culture et le respect des droits des créateurs.
Je suis tout aussi convaincu qu’il est possible d’avoir accès à toutes les œuvres, d’hier et d’aujourd’hui, ici et partout dans le monde, tout en respectant l’économie qui est liée à la création.
En effet, il est possible d’offrir aux internautes toutes les facilités d’accès aux œuvres de leur choix et de respecter le travail des centaines de milliers de femmes et d’hommes qui permettent, grâce à leurs compétences et leurs talents, l’émergence et la diffusion de ces œuvres.
Nous ne devons pas oublier que 2,4 % des Français ont un emploi dans les filières culturelles.
Voilà l’enjeu qui est au cœur du texte dont nous allons débattre : la réconciliation pour aller de l’avant.
Il ne s’agit donc pas d’opposer le créateur et l’internaute. Surtout pas ! Il faut qu’ils avancent l’un avec l’autre, le créateur étant souvent lui-même internaute, et l’internaute étant parfois créateur. Non pas l’un contre l’autre, mais bien l’un avec l’autre !
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Michel Thiollière, rapporteur. Il nous faut donc un texte qui favorise, et accompagne dans une certaine mesure, de nouveaux usages, à la fois protecteurs des œuvres et ouverts au monde de la création, venant se substituer aux pratiques qui nuisent à la création.
Dans ce monde nouveau, les pratiques culturelles de nos concitoyens profiteront pleinement des formidables avancées des technologies. Mais ce monde nouveau ne foulera plus au pied le travail de la création. Il permettra, au contraire, son développement, son épanouissement et sa juste rémunération.
Ce monde nouveau doit aussi être celui dans lequel la France ne verra pas sa culture sombrer – ou, pire, dépérir – dans l’anonymat de la mondialisation, celui dans lequel nous lui donnerons les moyens de jouer à nouveau un rôle précurseur.
Que serait la France dans le monde sans ses créateurs ? Que serait notre pays sans son industrie de la création d’œuvres écrites, musicales ou cinématographiques, de créations audiovisuelles ou de jeux vidéo ? Que serait-il sans ses écrivains, ses musiciens, ses cinéastes ?
Si la France venait à s’enliser dans les sables de la mondialisation culturelle, à quoi bon se battre pour la diversité ?
Si nous ne nous battons pas pour défendre le droit des créateurs, la France, nous le savons, verra s’éteindre irrémédiablement son rayonnement et disparaître une part essentielle de son économie, liée à la « matière grise » et à la créativité.
La bataille se joue maintenant. Beaucoup disent que c’est la bataille de la dernière chance.
Le rayonnement de notre pays passe en effet par une lutte acharnée pour défendre et promouvoir ce que nous avons de plus précieux : la richesse créative.
Voilà pourquoi nous devons livrer la bataille de la réconciliation entre internet et la création. Car c’est la bataille pour la création !
J’ajoute, à l’intention de tous ceux qui mettent en avant, à juste titre, la liberté, l’indépendance et les droits en Europe, qu’il n’y aura pas d’Europe sans création proprement européenne.
Il n’y aura pas une Europe qui compte dans le monde, une Europe qui trouve sa place entre l’Asie et l’Amérique, une Europe lumineuse, sans une volonté farouche de promouvoir les œuvres de l’esprit. II n’y aura pas une Europe de la culture sans la défense acharnée du droit d’auteur.
La bataille que nous menons aujourd’hui, nous la devons à ceux dont le génie jalonne l’histoire de nos peuples. Nous la devons à l’histoire de la création dans notre pays et en Europe. Nous la devons à ceux qui nous regardent, dans la solitude et la difficulté de la création. Ils sont le plus souvent silencieux et inquiets. Mais je sais qu’ils attendent beaucoup de nous.
Nous devons aussi et surtout cette bataille à toutes les générations qui nous succéderont.
C’est à eux que nous devons dire notre confiance et notre soutien. Mais nous devons agir en conséquence et leur dire haut et fort que nous avons de la considération pour leur travail et que nous ne le laisserons pas piller.
II est de notre devoir non seulement de favoriser l’accès au plus grand nombre de toutes les œuvres, mais aussi de protéger tous les droits liés à la création, avec la même détermination, la même énergie, la même volonté républicaine.
Nous avons l’obligation de tisser d’indéfectibles liens entre cette part fascinante d’humanité qui invente les technologies les plus avancées et cette part fascinante d’humanité qui est la profondeur et l’essence même de la création. C’est l’une et l’autre, pas l’une sans l’autre, et encore moins l’une contre l’autre !
Je parle de fascination. En effet, le monde qui s’ouvre devant nous est fascinant.
Il est fascinant parce que tous les possibles s’ouvrent à nous, à l’image de toutes ces fenêtres qui clignotent sur internet et que nous ouvrons d’un clic. Il est également fascinant parce qu’il suscite des appétits de culture, à l’image de tous ces sites sur lesquels prospèrent films et musiques, jeux et œuvres audiovisuelles. Il est fascinant, enfin, parce qu’il propose aux créateurs une scène immense, dont on peut lever le rideau en quelques clics.
Mais la fascination peut aussi engendrer une forme d’aveuglement. Alors, la technologie prend le pas sur l’homme et réduit son pouvoir créatif à une marchandise parmi les plus vulgaires, car elle n’a même pas de prix ; le pillage devient la règle, au mépris du droit ; la source de la création tarit.
Voilà pourquoi nous devons nous ressaisir.
Le Président de la République, je le redis, a mis en œuvre une méthode très constructive : des rencontres, placées sous le patronage de Denis Olivennes, se sont tenues à l’automne 2007 ; des accords ont été signés à l’Élysée entre les différentes parties prenantes ; un projet de loi a été présenté par le Gouvernement et un débat s’engage aujourd'hui au Parlement ; une fois le texte adopté, la mise en œuvre de la loi et du plan d’action interviendront : d’une part, entre les partenaires auxquels sont fixés un cap et des obligations et, d’autre part, par le travail que réalisera une haute autorité indépendante.
Nous en sommes donc aujourd’hui à une étape importante du processus.
Avant de présenter les modifications que la commission des affaires culturelles propose d’apporter au texte, je voudrais évoquer le débat européen, en vous priant de m’excuser de reprendre des propos qui ont déjà été tenus, mais la répétition est aussi une forme de pédagogie, qui n’est peut-être pas inutile pour y voir plus clair. Le débat européen suscite à la fois intérêt et émotion.
Intérêt, car notre pays n’est pas le seul concerné par un piratage massif : c’est pourquoi le projet de loi est regardé avec beaucoup d’attention au-delà de nos frontières. D’ailleurs, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, certains pays ont déjà mis en place des dispositifs proches, mais dans le cadre d’accords contractuels passés entre les sociétés d’ayants droit et les fournisseurs d’accès à internet. Tel est déjà le cas aux États-Unis, mais aussi, depuis cet été, en Grande-Bretagne, où des avertissements sont adressés aux internautes contrevenants. Les faits confirment l’efficacité de la démarche : aux États-Unis, 70 % des internautes renoncent au téléchargement illicite dès réception du premier message, 85 % à 90 % à la réception du deuxième et 97 %, soit la quasi-totalité, à la réception du troisième.
Parallèlement à l’intérêt suscité par le texte, je parlais aussi de l’émotion. Je pense à celle qu’a provoquée l’adoption d’un amendement du Parlement européen sur le « paquet Télécom », sur l’initiative du député Guy Bono. Il a suscité de nombreuses réactions, car certains tentent d’instrumentaliser le débat sur ce projet de directive en vue de bloquer la démarche française.
Or, à Bruxelles, tant les rapporteurs du texte que les plus grands détracteurs du droit d’auteur et du présent projet de loi ont insisté sur le fait que le « paquet Télécom » ne portait pas et ne devait pas porter sur les contenus.
Le processus législatif européen de codécision n’est évidemment pas achevé et la France demandera que cet amendement ne figure pas dans le texte définitif, car il entretient la confusion dans les esprits.
Cela étant, quand bien même il serait adopté, sa portée juridique n’apparaît ni avérée ni suffisante pour remettre en cause notre démarche.
En effet, le projet de loi satisfait aux principes posés par la Cour de justice des Communautés européennes et par les textes.
En premier lieu, aucun texte communautaire n’affirme que l’accès à internet est un droit fondamental. On conçoit mal comment le dispositif de réponse graduée pourrait porter atteinte au droit fondamental de la liberté d’expression et d’information des citoyens inclus dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. On n’oppose pas les droits, on les rend compatibles, sans introduire de hiérarchie entre eux. En second lieu, le projet de loi respecte le principe de proportionnalité. En troisième lieu, il apporte les garanties exigées en matière de protection de la vie privée.
Il nous faut donc relativiser ce débat et nous recentrer sur l’objectif, qui consiste à trouver un équilibre de bon sens entre les différents droits en présence pour qu’internet reste un formidable espace de liberté, sans être une zone de non-droit.
Les Français sont désormais conscients de la nécessité d’une régulation équilibrée d’internet. Ce besoin de régulation est ressenti dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres.
Plusieurs arguments complémentaires plaident aujourd’hui en faveur d’un rappel à l’équilibre des droits régissant notre société, au bénéfice de l’ensemble des secteurs concernés.
Le premier de ces arguments, c’est l’encombrement des réseaux électroniques, lequel résulte pour partie de l’importance des fichiers illicites qui y transitent : 50 % à 80 % de la bande passante des fournisseurs d’accès à internet serait occupée par les réseaux de pair à pair, une utilisation qui aurait quadruplé entre 2003 et 2007.
Aux États-Unis, cette situation incite d’ailleurs les fournisseurs d’accès à internet à réfléchir à un niveau de facturation dépendant de l’importance des flux. Si ce principe de « net neutrality » était appliqué, il est évident que le piratage serait sensiblement moins attractif.
Le deuxième argument, c’est l’intérêt bien compris des industries de réseaux, qui ont besoin de satisfaire l’attente de leurs abonnés en termes de contenus créatifs.
Le troisième argument, enfin, c’est l’offre commerciale légale, qui s’est considérablement enrichie.
J’en viens au texte lui-même, que nous avons bien sûr examiné avec une grande attention. Je vous remercie, madame la ministre, ainsi que vos proches collaborateurs, de votre disponibilité et de votre écoute. Je remercie également toutes les parties prenantes, que j’ai eu plaisir à rencontrer et qui m’ont beaucoup apporté, ainsi que les collègues qui ont travaillé avec moi et au nom desquels je présenterai des amendements.
Nous souhaitons aujourd’hui, à travers ces amendements, renforcer encore l’équilibre et l’efficacité du dispositif proposé : d’une part, pour encourager le développement de l’offre légale des œuvres musicales, cinématographiques, audiovisuelles, voire littéraires, mais aussi des jeux et des logiciels ; d’autre part, pour endiguer de manière significative les pratiques répréhensibles de téléchargement.
Voilà deux ans, le Sénat avait initié le principe d’une autorité administrative de régulation des mesures techniques. Aujourd’hui, cette autorité existe. Elle deviendra la Haute autorité pour la protection des œuvres et la protection des droits sur internet.
Comme son nom l’indique, cette haute autorité a d’abord pour objet de favoriser la diffusion des œuvres dans un cadre légal et de protéger le droit d’auteur et les droits voisins.
Nous souhaitons que sa mission et son fonctionnement soient encore plus précis. Ils le seront, au travers de ce projet de loi, parce que nous, législateurs, aurons encore mieux dessiné les contours de son action.
Je résumerai en cinq points les avancées qui sont proposées par la commission des affaires culturelles.
Premièrement, la Haute autorité doit être irréprochable et efficace.
Pour lui conférer toute son indépendance, nous voulons qu’elle se voie conférer la personnalité morale. Nous voulons également que ses membres soient irréprochables et tenus au secret professionnel. Les règles d’incompatibilité seront renforcées. Nous proposons aussi de renforcer son pouvoir d’expertise. Les agents qu’elle nomme seront assermentés, et pas seulement habilités.
Deuxièmement, la Haute autorité doit être encore plus au service des pouvoirs publics.
Ses missions seront précisées. Elle pourra recommander toute modification législative. Elle pourra être consultée par le gouvernement ou par les commissions parlementaires sur toutes les questions relevant de sa compétence. Elle pourra contribuer à la position française dans les négociations internationales. Elle rendra compte annuellement de son travail au gouvernement et au Parlement.
Troisièmement, il faut mieux concilier les droits des internautes et ceux des créateurs.
Nous souhaitons que la Haute autorité puisse, à la demande des fabricants, labelliser les moyens de sécurisation jugés efficaces et qu’elle ait également la possibilité d’établir et de mettre à jour régulièrement une liste des sites permettant un accès commercial légal – payant ou pas – respectueux du droit d’auteur. Il s’agit d’éclairer utilement l’internaute et de faciliter un accès sécurisé, dans un monde en perpétuelle évolution.
Quatrièmement, il faut adapter les obligations pesant sur les opérateurs de communications électroniques.
La pédagogie est l’axe essentiel du dispositif qui nous est proposé. C’est pourquoi, en tout premier lieu, les fournisseurs d’accès à internet devront, dès la signature des contrats, puis par le biais d’annonces informatives régulières, expliquer le droit et la nécessité de son respect. Ils devront, pour les mêmes raisons, informer leurs clients de la liste des moyens techniques permettant de sécuriser leur accès, selon la liste publiée par la Haute autorité.
Toujours dans le même esprit, nous souhaitons une parfaite information des enfants dès l’école, afin que les nouvelles générations connaissent et comprennent ce merveilleux droit d’auteur. Dans le cercle de famille, l’accès à internet deviendra ainsi un acte responsable partagé.
Cela permettra aussi d’éviter de soumettre les enfants à des images choquantes. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, de nombreux sites n’offrent pas un accès sécurisé, ce qui met en danger les enfants, donc la famille. Les enfants peuvent en effet être en situation de voir des films pornographiques ou violents. Je ne suis pas persuadé que tous les parents en soient aujourd’hui pleinement conscients.
Enfin, madame la ministre, vous avez exposé la procédure qui pourra conduire la HADOPI à prévoir la suspension de l’accès à internet. Nous proposons d’ajouter la possibilité d’une sanction alternative, consistant en une limitation des services ou de l’accès à ces services. Ainsi, la HADOPI pourra décider, à la condition – j’insiste sur ce point – que le droit des auteurs soit scrupuleusement protégé, et en fonction de l’avancée des technologies, de laisser à l’abonné, outre la téléphonie et la télévision, dans le cas d’un abonnement « triple play », par exemple un service de messagerie.
Cinquièmement, il faut renforcer l’équilibre du texte pour favoriser le développement de l’offre légale.
Les accords de l’Élysée préconisent l’ouverture, par les partenaires privés concernés, de discussions sur l’évolution nécessaire de leurs métiers.
Nous suggérons que la Haute autorité évalue régulièrement, en matière de filtrage, les expérimentations engagées par les professionnels.
Dans le même temps, nous proposons de supprimer le mot « filtrage » du projet de loi. En effet, il n’apporte rien à la rédaction actuelle et introduit même une ambiguïté, dans la mesure où n’est ainsi cité que l’un des types de moyens supposés permettre, en l’état actuel des technologies, une suspension des contenus illicites.
Nous voulons aussi garantir que la chronologie des médias sera rapidement révisée. Indispensable à l’équilibre du financement du cinéma dans notre pays, celle-ci devra néanmoins être revue afin de favoriser le développement de l’offre légale de contenus sur internet, dès lors que la loi sera mise en œuvre.
Ces cinq points résument tout à la fois l’avis de la commission des affaires culturelles et l’objet des amendements qu’elle a déposés.
Si j’ai été long sur ce point, c’est parce que je ne veux pas que l’exégèse du texte prête à confusion. Ce que nous voulons, c’est mettre un terme au piratage des œuvres protégées par le droit d’auteur et les droits voisins.
Je ne veux pas non plus que les explications données sur ce projet de loi inquiètent inutilement nos concitoyens : les sanctions ne tomberont que si l’abonné persiste et récidive, malgré les nombreuses recommandations et les rappels à la loi.
L’accès aux œuvres est une liberté magnifique. Elle s’étend chaque jour davantage. Saisissons cette chance, mais faisons en sorte que, car c’est le devoir qui incombe à notre génération, l’on puisse jouir de cette liberté tout en garantissant une autre liberté formidable, la liberté de créer et de voir le travail de sa création protégé et justement rémunéré.
Je considère en effet qu’il y aurait un grand risque à vouloir hiérarchiser nos libertés. L’une ne doit pas passer devant l’autre, sous peine de l’anéantir. Toutes deux sont consacrées au même niveau dans notre République.
Ici, en France, mais aussi partout en Europe et dans de nombreux pays du monde, notre travail législatif est observé avec un grand intérêt. Ici, et partout en Europe, le monde de la création nous observe.
Je souhaite, au nom de la commission des affaires culturelles, que nous soyons à la hauteur de la responsabilité qui nous incombe. En enrichissant le projet de loi de nos débats et de nos amendements, je suis convaincu que nous y parviendrons. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le monde numérique change très vite.
Voilà vingt ans, on comptait seulement 100 000 internautes sur l’ensemble de la planète. Aujourd’hui, ils sont près de 1,5 milliard.
Voilà dix ans, naissait tout juste le baladeur MP3, sur lequel on pouvait, performance extraordinaire pour l’époque, télécharger huit morceaux de musique. Aujourd’hui, ces appareils peuvent enregistrer jusqu’à 40 000 pièces, y compris des vidéos.
Voilà cinq ans, la télévision régnait en maître sur la distribution des images au sein de tous les foyers et les étoiles du web 2.0 étaient à peine naissantes. Aujourd’hui, sur de très grands sites de partage de vidéos, ce sont 13 heures de vidéo qui sont postées chaque minute.
C’est donc peu de dire que nous vivons une véritable révolution numérique, planétaire, et que cette révolution change notre façon de vivre, de travailler, de nous divertir, de communiquer, de nous informer.
Cette révolution se développe sous l’effet de trois ruptures profondes.
Tout d’abord, une rupture technologique : sur internet, les débits vont croissants et sont multipliés par presque cinquante tous les dix ans dans les pays industrialisés.
Ensuite, une rupture culturelle, avec l’émergence de nouvelles pratiques, de nouveaux modes de consommation. C’est notamment le cas pour l’image. Avec ce que l’on appelle, dans le jargon informatique, la délinéarisation, les internautes souhaitent prendre le contrôle de la programmation. Cela signe sans doute la fin du modèle vertical de distribution des programmes.
Enfin, une rupture économique, avec l’émergence de nouveaux acteurs, la démultiplication des offres et, surtout, une réallocation dans la chaîne de la valeur.
Cette révolution est telle qu’elle bouleverse aussi les équilibres fragiles de nos industries culturelles et qu’elle pourrait même atteindre jusqu’au droit d’auteur, qui, vous le savez, est une très belle invention française.
Une nouveauté radicale dans l’écosystème internet est à l’origine de ce phénomène et permet de le comprendre. En effet, un bien culturel, immatériel par essence, numérisé possède une propriété toute particulière : on peut le donner et le répliquer sans aucune limite et, surtout, sans risque de le perdre, pour celui qui le possède.
C’est peut-être cette fantastique et terrible propriété qui perturbe profondément les modèles économiques habituels. En annulant les coûts de reproduction et de distribution, les « coûts marginaux », comme disent les économistes, sont nuls. La tarification peut donc tendre vers zéro. On arrive ainsi à l’avènement d’une gratuité presque généralisée, principe constitutif d’internet, comme le montrent les travaux collaboratifs, les échanges, notamment à travers l’exemple de l’encyclopédie Wikipédia.
Pourtant, cette gratuité doit faire l’objet d’un questionnement. Bien sûr, la gratuité se généralise, mais elle n’est pas aussi nouvelle qu’on peut nous le dire et, surtout, elle n’est peut-être que faciale.
En dehors du champ légal et économique, cette gratuité prend la forme du piratage. Il n’est absolument pas nécessaire de justifier la lutte contre cette pratique inacceptable. À l’intérieur du champ légal et économique, la gratuité ou quasi-gratuité passe par la publicité ou les forfaits, un forfait étant un prix fixé pour une offre illimitée et pratiquement infinie, comme vous l’avez dit, madame la ministre. Les forfaits se développent à tous les niveaux. Dans le domaine de la musique, les majors ont signé des accords pour quelques euros, avec des plates-formes, que je ne veux pas citer, afin de distribuer leurs catalogues, en contrepartie de la publicité. Mais il existe aussi d’autres modèles de vente, plus ou moins liés, du reste, et sur lesquels je ne m’étendrai pas.
Dans le cinéma, FilmoTV, un distributeur français, a pris récemment l’initiative d’un fonctionnement par forfaits. Aux États-Unis, la réponse des grands studios – sans doute à Google – a été « Hulu » où avec trente secondes de publicité, vous visionnez vos films et vos séries.
Enfin, dans la presse, l’événement emblématique a eu lieu il y a un an, lorsque le New York Times a donné l’accès gratuit, en échange de publicité, à ses nouvelles mais aussi à ses archives.
Progressivement, tout le monde en vient à ce modèle de quasi-gratuité. Tous les acteurs entrent en concurrence sur un modèle plus ou moins fondé sur l’audience, où chacun veut capter la publicité.
Vous avez eu raison de le dire tout à l’heure, madame le ministre, nous sommes actuellement dans un trou noir. On assiste à une captation de la valeur et on ne parvient pas, avec les nouveaux modèles qui émergent du numérique, à monétiser cette audience à proportion de ce qui peut être par ailleurs perdu. C’est ce qui rend l’exercice difficile.
Mais soyons optimistes, mes chers collègues ! La publicité sur internet augmente de 25 % par an. En France internet est déjà devenu le troisième support publicitaire, devant la radio et l’affichage, et, bien sûr, derrière la presse et la télévision. Progressivement ce support va s’imposer.
Deuxième caractéristique de cette gratuité : elle n’est pas aussi nouvelle qu’on voudrait bien nous le faire croire. En effet, la gratuité a accompagné l’essor même des télécommunications. C’était le cas jadis du téléphone fixe gratuit, puis du téléphone mobile subventionné et autrefois du minitel, mais c’est aussi le cas de la radio et de la télévision qui proposent des programmes, bien entendu, gratuitement en échange de publicité.
Je m’attarderai davantage sur la troisième caractéristique de cette gratuité. Telle qu’on nous la présente, il s’agit d’une fausse gratuité, d’une gratuité faciale. En effet, ce que ne paient pas les uns, d’autres le paient et, parfois, d’autres le perdent aussi, lorsqu’il s’agit des créateurs.
En ce sens, cela n’annonce pas un monde idéal débarrassé du profit et de l’argent. C’est même l’acmé de la logique marchande, la contrepartie d’une société où les biens abondent. Sur internet, l’économie réelle finance l’économie virtuelle. Vous connaissez le slogan de la ville de Palo Alto près de San Francisco : « Make money, change the world » ! Make money…
Réfléchir à ces nouveaux modèles nous conduit à deux questions. D’une part, doit-on accepter cette atteinte massive aux droits des créateurs ? Bien sûr que non, il n’en est pas question ! Et d’autre part, peut-on penser que la seule lutte contre le piratage suffira à tout régler ? Une logique défensive sera aussi vouée à l’échec. En effet, il est vraisemblable que les technologies auront toujours un train d’avance sur la loi.
Comme Michel Thiollière l’a dit voilà un instant, il faut apporter une double garantie. Celle-ci concerne d’abord le créateur parce que internet ne doit pas tuer la création et parce qu’il s’agit d’un espace de création. Mais il faut en même temps garantir aux internautes un large accès à tous les contenus et aux applications, dans des conditions légales, bien entendu.
Concrètement, madame le ministre, nos propositions viennent compléter celles de Michel Thiollière, que je remercie d’ailleurs de sa grande patience. Pour concilier nos objectifs je vous propose trois pistes de travail que nos amendements développeront.
Première piste, il faut que le piratage devienne un risque inutile, grâce à, ou à cause de, la riposte graduée mais, surtout, par le biais du développement de l’offre légale. M. Olivennes l’avait dit clairement, avant de « désinciter », il faut encourager. Aussi, nous étions un peu surpris que, dans le texte, il y ait bien peu de chose sur l’encouragement à l’offre légale.
La filière nous rétorquera : « Endossez d’abord la responsabilité politique, ensuite, on discutera ! » En tant que législateurs, nous sommes prêts à tout endosser mais nous voulons aussi, comme Michel Thiollière, poser des jalons. Nous souhaitons en poser au sujet de la chronologie des médias, de l’interopérabilité. Par exemple, les aides à la production du CNC pourraient être subordonnées à l’engagement de rendre le film disponible en vidéo à la demande, ou VOD, en respectant la chronologie des médias.
Deuxième piste, les mécanismes que nous sommes prêts à instituer par la loi ne doivent pas menacer ce qui fait l’essence même d’internet. Nous avons parlé de « filtrage ». Ce terme était absent des accords Olivennes, on y parlait plutôt d’une « expérimentation ». Le filtrage des réseaux est inacceptable. Michel Thiollière propose un amendement de suppression ; nous souhaitons aller un peu plus loin.
En effet, derrière le filtrage se profile une menace. Le principe de neutralité est tout simplement un principe de liberté. Le système internet procède par différentes couches, le réseau transporte des applications, des services et des contenus. Les réseaux ne doivent pas avoir d’autorité sur les contenus !
Cela est d’autant plus important dans notre pays que c’est la France qui, au moment du sommet des Nations unies sur la société d’information a notamment porté ce souci de neutralité. Ce principe est fondamental si nous voulons que demain internet reste un gisement de création, de valeur et de valeur ajoutée, pour tout le monde !
Enfin, troisième piste, la loi doit protéger le droit de propriété intellectuelle, sans tomber dans le travers d’une société d’hyper-surveillance, ce qui est aussi l’une des menaces d’internet. Nous vous proposerons, dans la riposte graduée, au troisième étage de la fusée, pour la sanction, de substituer une amende à l’interruption.
Nous sommes sans doute en désaccord sur ce point. En démocratie, les désaccords sont bien naturels et il est normal que chacun puisse s’exprimer. Mais ce que nous proposons ne menace en rien la riposte graduée, au contraire. Notre proposition présente les mêmes bénéfices mais sans les désavantages de la coupure d’accès.
D’abord, dans des cas très rares selon vous, mais en réalité dans de trop nombreux cas, si vous coupez l’accès à internet, vous coupez la France en deux. En effet, dans certaines zones qui concernent environ 1 150 000 lignes, vous ne parviendrez pas à faire le tri entre les services de télévision, de téléphone fixe et d’internet. Par conséquent, la suspension est une mesure discriminatoire.
Deuxième avantage : pas de coupure, pas de fichier ; on évite les discussions sur ce point.
Enfin, le troisième avantage, c’est la pédagogie. Mais où est la pédagogie quand on veut réorienter les comportements vers l’offre légale si précisément on coupe le fil qui permet d’y accéder ?
Par ailleurs, j’ai entendu Éric Besson, prononçant les mots du Président de la République, déclarer à l’Élysée que le haut débit internet doit devenir une commodité essentielle. Déjà aujourd’hui internet a une très grande importance. Une coupure de plusieurs mois à un an privera des personnes de la recherche d’emploi, de moyens de formation et d’information. On peut obtenir le même bénéfice avec une autre mesure tout autant respectueuse de ce qui constitue, madame le ministre, le cœur de votre texte.
Je conclurai en me référant à l’un de nos grands anciens, Victor Hugo. Passons donc du net à Victor Hugo, de Gutenberg à McLuhan ! Victor Hugo déclarait lors du Congrès littéraire du 21 juin 1878 : « Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n'est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l'un des deux droits, le droit de l'écrivain et le droit de l'esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l'écrivain. » Mes chers collègues, faisons en sorte que ni le droit des auteurs, ni le droit de l’esprit humain ne soit sacrifié. C’est le travail qu’il nous importe désormais d’accomplir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Organisation des débats
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Je voudrais apporter quelques précisions concernant l’organisation de nos travaux avant d’entendre les orateurs des groupes.
La commission souhaite que la discussion des articles ne commence que demain matin, compte tenu du délai tardif, aujourd’hui à midi, qui avait été fixé par la conférence des présidents.
M. le président. Monsieur le président de la commission, je vous donne immédiatement mon accord : nous arrêterons nos travaux après la réponse de Mme la ministre aux orateurs qui seront intervenus dans la discussion générale.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. En outre, la commission demande la réserve de l’amendement n °145 tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er et de l’article 1er jusqu’à la fin du texte, après l’amendement n °93 visant à insérer un article additionnel après l’article 11.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur la demande de réserve formulée par la commission ?
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite « loi DADVSI », adoptée définitivement par le Parlement le 30 juin 2006, visait à garantir le respect du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre des échanges culturels par le biais de l’Internet.
Deux ans après le vote de cette loi censée notamment apporter des réponses efficaces au contournement du droit d’auteur sur le net, on constate qu’elle n’a pas été dissuasive et que le piratage s’est amplifié.
Le contournement sur internet des règles de la propriété intellectuelle demeure à ce jour assimilé au délit de contrefaçon, passible dans notre arsenal juridique de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.
Parce qu’elles sont excessives et totalement inadaptées, ces sanctions n’ont pour ainsi dire jamais été appliquées, et le pillage des œuvres par le biais des réseaux de pair à pair n’a cessé de prendre de l’ampleur jusqu’à mener les industries culturelles, musicales et cinématographiques au point de rupture.
Les chiffres du piratage des œuvres sont éloquents. En ce qui concerne la musique, un milliard de fichiers – soit l’équivalent des ventes physiques de titres – auraient été téléchargés en 2007, dont seulement 20 millions sur des plates-formes de téléchargement légales.
L’industrie phonographique française dans son ensemble, majors et labels indépendants, se trouve actuellement dans une situation des plus délicates. Le marché du disque a globalement chuté de 22 % en 2006 et encore de 20,5 % pour les neuf premiers mois de 2007, avec une baisse vertigineuse en volume et en valeur de plus de 50 % depuis 2002.
J’insiste sur le fait que cette baisse concerne aussi bien les grands éditeurs, dits majors du disque, que les petites structures qui ne représentent pas moins de 80 % de l’offre musicale en France. Les uns ne peuvent pas exister sans les autres. C’est le principe même de l’équilibre de la culture et de la contre-culture qui est en jeu, de l’équilibre entre une offre grand public et une offre plus pointue mais garante de la diversité et de la richesse de la production phonographique française.
En ce qui concerne le cinéma, le constat n’est pas plus brillant.
Secteur pourtant régulé par le Centre national de la cinématographie, ou CNC, le cinéma est désormais touché de plein fouet par le téléchargement et la mise à disposition illégale sur internet : 450 000 films seraient téléchargés illégalement chaque jour, et une étude récente du CNC et de l’ALPA, l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, nous enseigne qu’en 2006 plus de 40 % des films sortis en salle étaient déjà disponibles sur les réseaux peer to peer, sur lesquels près de 94 % des films piratés pouvaient être téléchargés avant même leur sortie en DVD.
En 2008, malgré le succès phénoménal de Bienvenue chez les Ch’tis – plus de 20 millions d’entrées-salles –, la fréquentation stagne par rapport à l’année précédente : le pic de fréquentation que l’on attendait du succès de ce film ne s’est pas produit.
L’ensemble du système de financement du cinéma et de rémunération des ayants droit sur les différentes fenêtres d’exploitation d’un film risque de s’effondrer si rien n’est fait pour endiguer le piratage des œuvres et développer en parallèle – c’est important ! – une offre légale attractive et respectueuse de la propriété intellectuelle. Il est donc urgent d’agir sur ces deux volets.
La méthode employée, consistant à réunir sous l’égide de M. Denis Olivennes l’ensemble des acteurs concernés par le pillage des œuvres sur internet, s’est avérée positive. Les accords dits « de l’Élysée » nous semblent un compromis équilibré permettant de répondre à une situation d’urgence.
La « riposte graduée », issue de ces accords signés par quarante-deux organisations professionnelles, sociétés d’ayants droit et fournisseurs d’accès à internet et dont ce projet de loi est la transcription législative, constitue une démarche consensuelle, pédagogique et novatrice pour lutter contre le piratage des œuvres sur internet. Nous ne pouvons qu’y souscrire.
Permettez-moi toutefois un certain nombre de remarques.
Il est tout d’abord particulièrement regrettable que certains fournisseurs d’accès à internet se croient permis, sous le fallacieux prétexte qu’on leur aurait fait signer une page blanche, de retirer leur signature de ces accords. L’avenir de la création musicale et cinématographique risque de pâtir de telles volte-face, qui en disent long sur l’attitude que certains opérateurs se croient autorisés à adopter pour des raisons qui leur sont propres.
Sans revenir sur le détail du dispositif de la « riposte graduée », qui nous a été parfaitement décrit par M. le rapporteur et par vous-même, madame la ministre, je regrette à mon tour les vicissitudes de l’amendement no 138, dit « amendement Bono », qui a le mérite de rappeler aux États membres un principe essentiel de l’ordre juridique communautaire : toute atteinte aux libertés fondamentales nécessite l’intervention d’une autorité judiciaire.
Si l’on ne peut nier que la possibilité pour tous les citoyens d’accéder à internet est un objectif de développement important, il nous paraît excessif qu’un encadrement de son utilisation soit considéré comme une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide. Ajoutons que les garanties offertes dans le projet de loi pour assurer la sécurisation des données personnelles qui seront collectées par la HADOPI et l’anonymat des internautes sanctionnés ont été respectées, grâce en partie aux amendements de la commission des affaires culturelles.
Une telle démarche est d’autant plus navrante qu’elle tente de faire passer les auteurs et l’ensemble de la chaîne des ayants droit pour de terribles censeurs de l’internet, alors qu’il s’agit ni plus ni moins de faire respecter, sur le net comme ailleurs, les règles de la propriété intellectuelle tout en les adaptant au nouvel environnement numérique.
Cependant, madame la ministre, votre projet de loi ne nous satisfait pas pleinement en ce qu’il ne reflète pas suffisamment la philosophie des accords de l’Élysée. Ces derniers reposaient sur un équilibre entre les droits et les obligations des ayants droit. En d’autres termes, la mise en place d’un système innovant de riposte graduée doit avoir pour corollaire un certain nombre d’obligations dont le respect permettra le développement de l’offre légale de musique et de films.
Le respect du volet fondamental du développement parallèle de l’offre légale est essentiel.
En ce qui concerne la graduation de la « riposte » – nous aurions préféré le terme « réponse », moins agressif –, le volet pédagogique n’est pas assez développé. Vous vous appuyez sur la peur du gendarme en espérant – et, sincèrement, nous le souhaitons également – que, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, 70 % des internautes cesseront de pirater des œuvres lors de la réception du premier message d’avertissement et que ce taux atteindra 90 % lors de la réception de la lettre recommandée avec accusé de réception. Il manque, madame la ministre, un engagement ferme du Gouvernement de développer une campagne d’information ayant pour objet de faire de la pédagogie à destination des internautes, en particulier des plus jeunes, afin de leur expliquer de façon simple l’enjeu du respect par tous des règles de la propriété intellectuelle.
Nous souscrivons aux propositions de la commission des affaires culturelles du Sénat visant à sensibiliser les élèves, dans le cadre des enseignements scolaires, aux risques liés aux usages d’internet et aux dangers du piratage des œuvres culturelles pour la création. Il s’agit d’un point fondamental, qui déterminera l’efficacité de ce texte : la riposte graduée ne sera comprise et acceptée par l’opinion qu’à cette seule condition. Sans cette campagne d’information, les systèmes de brouillage risquent de se développer – car la technique est toujours en avance sur le législateur – et tous les efforts déployés pour protéger et rémunérer la création auront été vains.
Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui, madame la ministre, présente par ailleurs des lacunes en matière d’encouragement des industries de la culture à développer l’offre légale, développement qui est le corollaire, voire la justification, de la riposte graduée. Les accords signés étaient très clairs sur ce point : l’engagement pris par les pouvoirs publics de mettre en place un dispositif efficace de réduction du piratage sur internet doit s’accompagner d’un engagement des professionnels de l’industrie culturelle de développer leur offre légale et de faire des efforts significatifs. Il s’agit, pour le cinéma, de réviser la chronologie des médias et d’abaisser le délai de diffusion de la vidéo à la demande, la VOD, de sept mois et demi à six mois ; et, pour l’industrie musicale, de renoncer à recourir aux DRM, les mesures de gestion des droits numériques, ce qui réglerait les multiples problèmes d’interopérabilité entre les différents supports d’écoute et de lecture.
Certes, l’offre légale s’est développée de manière significative depuis le vote de la loi DADVSI, et de nouveaux modèles de consommation légale des œuvres ont vu le jour. Il est désormais possible d’écouter une grande quantité et une grande diversité d’œuvres musicales sur des plates-formes légales de lecture et de téléchargement ; des centaines de milliers de titres sont d’ores et déjà accessibles, soit en streaming, soit par le biais de la vente à l’acte.
Mais, si la vente de musique numérique représente un chiffre d’affaires de 50,8 millions d’euros en 2007, soit une augmentation de 16,6 % par rapport à l’année précédente, elle reste marginale au regard du chiffre d’affaires global de l’industrie phonographique, qui s’élève à 713 millions d’euros.
L’offre légale de cinéma en ligne connaît une progression comparable, et le marché de la vidéo à la demande est en forte croissance, avec des catalogues de plus en plus étoffés qui viennent directement concurrencer les locations physiques en vidéoclubs. Pour 2007, l’observatoire de la vidéo à la demande faisait état d’une augmentation de l’offre de 45,2 % par rapport à l’année précédente. En revanche, si 67 % des internautes déclarent connaître ce service, ils ne sont que 9 % à y recourir.
Que ce soit pour le cinéma ou pour la musique, l’offre légale numérique n’a donc pas encore rencontré la demande.
À ce titre, l’engagement des professionnels du cinéma d’aligner, au sein de la chronologie des médias, la fenêtre de la VOD sur celle du DVD serait un signe fort qui rendrait la VOD plus attractive. Il est à cet égard très regrettable que certains représentants de la profession aient refusé de siéger à la première réunion organisée par le CNC pour faire évoluer la chronologie des médias.
Votre projet de loi, madame la ministre, ne suffira pas à poser le cadre de la rencontre entre la demande et l’offre légale de musique et de films. La pédagogie à travers une sanction du piratage, même graduée, est indispensable pour inciter les internautes à se diriger vers l’offre légale numérique. À défaut, la lettre des accords de l’Élysée serait certes respectée, mais leur esprit, qui fait prévaloir un équilibre entre la lutte contre le piratage et le développement de l’offre légale, serait fragilisé. Il faut d’urgence rétablir cet équilibre afin d’assurer aussi bien la diversité de l’offre que l’attractivité de son prix.
L’enjeu de cet équilibre, nous le connaissons tous : c’est celui de l’environnement culturel dans lequel nous souhaitons vivre. Ce sera un monde de pseudo-gratuité qui s’organisera autour des annonceurs publicitaires, avec des productions françaises financées et formatées par la publicité, ou bien un monde de diversité que les auteurs continueront de mettre en musique et en image, en toute indépendance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà deux ans, lors de la discussion du projet de loi DADVSI, nous avons souligné que les discussions sur la régulation des droits d’auteur dans l’univers numérique intervenaient trop tard ou trop tôt. Trop tard, car le projet de loi visait à transposer une directive européenne de 2001 issue d’accords internationaux de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’OMPI, signés en 1996 ; trop tôt, car la révolution numérique était en cours et les modèles économiques émergeaient à peine. Aujourd’hui, l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet vient le confirmer.
En effet, que reste-t-il de la loi DADVSI ? Comme nous le pressentions alors, le dispositif de sanctions adopté à l’époque pour lutter contre le téléchargement illégal s’est révélé totalement inefficace. Certes, la rapidité des évolutions technologiques dans le secteur numérique rend difficile notre travail de législateur ; mais les sanctions juridiques prévues se sont révélées inapplicables et sont restées inappliquées, nous obligeant aujourd’hui à remettre l’ouvrage sur le métier.
Cependant, à la différence du précédent projet de loi, dont la gestation, nous nous en souvenons tous, avait été douloureuse et la naissance difficile, je pense et j’espère que celui-ci contribuera de la manière la plus efficace possible à la nécessaire régulation de l’univers numérique.
D’abord, la mission menée par Denis Olivennes – mission dont vous avez pris l’initiative, madame la ministre – a réussi à asseoir autour d’une table des professionnels dont les intérêts, nous avions pu le constater au moment de la préparation de la loi DADVSI, sont très divergents. Il faut saluer les « accords de l’Élysée », qui engagent, aux côtés des pouvoirs publics, quarante-sept représentants des différents secteurs de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel, et des fournisseurs d’accès à internet à trouver des solutions pour favoriser le développement et la protection des œuvres et programmes culturels sur les réseaux. Qu’un consensus ait pu être trouvé entre ces acteurs, qu’ils aient pris conscience de leurs responsabilités et que chacun ait accepté de souscrire à des engagements forts et concrets pour faire aboutir ce projet est à saluer.
Ensuite, il faut rappeler que le projet de loi est plus qu’attendu par les artistes et les ayants droit. Il est en effet nécessaire aujourd’hui d’apporter une réponse au téléchargement illégal : nous connaissons les effets redoutables, voire extrêmement négatifs, de ce phénomène, et nombre d’exemples en ont été évoqués à cette tribune.
Nous constatons tous qu’avec le numérique nous vivons une révolution des modes de diffusion et de consommation des œuvres, comme l’a si bien rappelé notre collègue Bruno Retailleau, révolution à laquelle les industries culturelles n’ont pas toujours su s’adapter en temps utile. L’important aujourd’hui est de dissuader les internautes de se fournir en fichiers musicaux, cinématographiques ou audiovisuels sans que les auteurs et les ayants droit perçoivent la juste rémunération à laquelle ils sont en droit de prétendre. C’est la raison pour laquelle je défendrai un amendement tendant à ce que les sommes liées au prix de l’abonnement versé durant la suspension de l’accès à internet reviennent directement aux artistes, dans le cadre des actions d’aide à la création et à la diffusion du spectacle vivant : c’est en quelque sorte une réparation pour les artistes des usages illicites de leurs œuvres.
Notre pays, je le rappelle, a toujours défendu le droit d’auteur, seul garant de l’indépendance des artistes, de leur liberté, mais surtout du renouvellement de la création. L’essentiel aujourd’hui est de changer les comportements, car nous savons bien que l’évolution technologique sera toujours en avance sur la loi. C’est pourquoi je crois fondamental d’agir en amont et de renforcer la pédagogie.
Madame la ministre, vous proposez un dispositif préventif, et les sondages réalisés montrent que 70 % des Français seraient effectivement dissuadés de télécharger à la première recommandation reçue. Nous insisterons donc pour que la sanction – la suspension de l’accès à internet – garde son statut d’« arme de dissuasion » ; car nous savons tous qu’aujourd’hui internet est devenu, comme l’indiquait M. Éric Besson en présentant le plan France numérique 2012, « une commodité essentielle comme l’eau ou l’électricité ». Sans revenir sur la question des offres double ou triple play, je soulignerai que la suspension de l’accès à internet peut aujourd’hui devenir handicapante, un nombre croissant de services de la vie quotidienne passant désormais par internet.
Cela étant, la réponse graduée reste la solution qui paraît aujourd’hui la plus adaptée et la plus réaliste. C’est d’ailleurs cette solution, je tiens à le rappeler, que le groupe Union centriste–UDF avait défendue au Sénat en 2006. Nous y sommes donc, vous l’aurez compris, très favorables.
S’agissant de la future haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ou HADOPI, nous sommes attachés à ce que soient garanties son impartialité et son indépendance. Cet objectif nous semble atteint grâce à la distinction opérée entre le collège et la commission de protection des droits, composée exclusivement de magistrats.
Nous sommes donc attachés à faire de ce projet de loi un texte équilibré fidèle aux engagements pris par chacun lors des « accords de l’Élysée » : équilibre entre le droit de propriété et le droit moral des créateurs, et la protection de la vie privée des internautes ; équilibre entre les sanctions et les offres légales ; équilibre entre les droits et les devoirs des internautes ; équilibre entre prévention et sanction.
Comme d’autres orateurs, j’ai le sentiment que le projet de loi est plus particulièrement centré sur les mesures de la réponse graduée, c’est-à-dire les mesures d’avertissement et de sanction. Or, vous le savez tous, deux volets étaient prévus dans les « accords Olivennes » : le premier vise à améliorer l’offre légale en ligne, le second tend à lutter plus efficacement contre les téléchargements illégaux. J’aurai donc à cœur de défendre plusieurs amendements ayant pour objet de favoriser le développement des offres légales, afin que les internautes et les consommateurs soient réellement « désincités » à télécharger illégalement.
La commission des affaires culturelles a également exprimé ce souhait et a déjà amendé largement le texte dans ce sens. Je proposerai que nous allions un peu plus loin.
S’agissant du développement de l’offre légale, s’il revient principalement aux représentants du secteur de prendre les mesures nécessaires en ce sens, le législateur peut toutefois avoir un rôle d’impulsion. Cela est d’autant plus important que, pour l’instant, aucune annonce n’a été faite – sauf celle de dernière minute ce matin par Universal – et que les négociations, notamment sur la chronologie des médias, sont, force est de le reconnaître, au point mort.
Or, pour deux raisons au moins, il me semble qu’il revient aux pouvoirs publics d’initier le mouvement d’une amélioration de l’offre légale.
Tout d’abord, parce qu’il s’agit du pendant indispensable au volet « sanctions » de ce projet de loi. Il est difficile de mettre en place un système tel que la réponse graduée sans dire aux internautes qu’ils pourront avoir une offre élargie, diversifiée et facile d’utilisation de musique et de cinéma sur internet. Pour que la loi soit bien acceptée par l’opinion publique, et notamment par les jeunes générations, ce volet est indispensable.
Cela est d’autant plus justifié que la disponibilité des œuvres sur les plates-formes légales, œuvres autant cinématographiques que musicales, a été améliorée mais reste encore largement perfectible. S’agissant de la musique, si les catalogues tendent à s’étoffer et à offrir une gamme de plus en plus large, la disponibilité technique des œuvres achetées reste insatisfaisante pour de nombreux consommateurs.
En d’autres termes, comme le rappelle la mission Olivennes, « le manque d’attractivité de l’achat en ligne d’œuvres musicales est très lié aux contraintes d’utilisation que les mesures techniques de protection imposent. L’achat d’une œuvre numérique n’est intéressant que s’il permet la même liberté d’usage que le support physique. ».
Il est ainsi tout à fait regrettable qu’aujourd’hui lorsque vous changez d’ordinateur, vous ne puissiez pas conserver les fichiers achetés sur internet, le transfert d’une bibliothèque à une autre étant impossible. De même, vous ne pourrez pas lire une musique achetée si le format du fichier n’est pas compatible avec le logiciel de lecture de l’ordinateur. Ce sont autant de contraintes qui font que « le consommateur se refusera à acheter ».
Or l’interopérabilité est une condition indispensable à l’acceptation de ce qui est proposé aujourd’hui et à l’émergence d’une offre légale plus attrayante face à la gratuité de l’offre illégale. J’avais déjà insisté sur la nécessaire interopérabilité lors de l’examen du projet de loi DADVSI, et je constate aujourd'hui que de vrais progrès doivent être faits dans ce domaine.
Pour cette raison, je vous proposerai, en m’inspirant des conclusions de la mission Olivennes, un amendement prévoyant que les professionnels du secteur du phonogramme s’accordent pour mettre en place un standard de mesures techniques assurant l’interopérabilité des fichiers musicaux, et pour permettre l’offre au détail de tous les fichiers musicaux en ligne sans mesures techniques.
S’agissant maintenant de l’offre légale en matière de cinéma, s’il n’est pas question de remettre en cause la chronologie des médias, qui est nécessaire, il semble indispensable aujourd’hui de raccourcir les délais d’exploitation des films pour s’adapter à l’univers numérique. Les fenêtres actuelles de la chronologie des médias, de six mois à trente-six mois, sont inadaptées au rythme actuel de consommation des films. Ces délais longs constituent, à n’en pas douter, une invitation au téléchargement illégal. Chacun en est conscient, il faut se rapprocher des délais observés chez nos voisins européens, dont l’exemple montre que des fenêtres d’exploitation plus courtes n’empêchent pas la bonne exploitation des films lors de leur sortie en salle.
Ainsi, les délais de disponibilité des films en VOD doivent être impérativement raccourcis pour se situer autour de trois ou quatre mois. Le rapporteur, M. Michel Thiollière, a fait un premier pas en fixant un cadre aux négociations professionnelles. Il faut aller plus loin et donner des signes tangibles aux internautes consommateurs en indiquant les fenêtres dans lesquelles les professionnels devront négocier. C’est le sens de l’un des amendements que je présenterai.
Au-delà de ce nécessaire rééquilibrage entre la réponse graduée et l’amélioration de l’offre légale, je m’interroge sur l’équilibre entre les obligations de surveillance de son accès internet par l’abonné et les droits de se défendre ainsi que les garanties données aux internautes face à la procédure mise en œuvre par la Haute autorité.
À ce titre, nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant à protéger les droits des internautes. Partant d’une obligation de surveillance de l’accès internet par l’abonné, et non d’une obligation pesant sur l’internaute malveillant, le projet de loi pose la question de l’identification du contrevenant et de sa responsabilité. En effet, comment savoir si c’est l’abonné et non une tierce personne qui a téléchargé illégalement ? Cette question est d’autant plus importante qu’il est fréquent qu’un abonnement soit utilisé par plusieurs personnes. Une présomption de culpabilité pèse sur l’abonné.
En outre, il est « simple » de faire accuser un internaute innocent en fournissant son adresse IP, celle de son routeur wi-fi, voire celle de son imprimante, en dépit des systèmes de surveillance.
L’internaute, en l’occurrence l’abonné, devra donc prouver qu’il a été piraté et qu’il a mis tous les moyens en œuvre pour ne pas l’être, ce qui pour un simple internaute profane – ce qui est le cas de la grande majorité des internautes – sera difficile, voire improbable.
Ce constat d’incertitude juridique et de perfectibilité des systèmes informatiques nous a conduits à déposer plusieurs amendements visant à garantir les droits de l’abonné. Ainsi, à ce stade, je l’avoue, nous nous interrogeons sur la possibilité de pouvoir contester le bien-fondé des recommandations comme toute décision administrative. Cela nous semble d’autant plus important que la recommandation entraîne de facto une inscription dans le fichier géré par la HADOPI.
Si l’abonné doit pouvoir se manifester à la suite d’une recommandation, il doit le faire en connaissance de cause. C’est pourquoi nous trouverions normal que la première recommandation, acte générateur de la réponse graduée, soit motivée.
Dans un même souci de consolidation juridique du texte, nous proposerons de préciser le caractère graduel du dispositif en inscrivant clairement dans la loi que la sanction puisse être prononcée uniquement si l’abonné a reçu une deuxième recommandation.
Je proposais également de rendre obligatoire la transaction qui est prévue entre la HADOPI et l’abonné pour l’établissement de la sanction afin de donner plus de souplesse aux décisions de la Haute autorité, mais, surtout, de renforcer le caractère pédagogique avec les internautes contrevenants. C’est aussi dans cet esprit que nous avions suggéré que la HADOPI mette à disposition des internautes contrevenants une hot line gratuite pour permettre d’engager le dialogue. Nous regrettons que la commission des finances ait opposé l’article 40 de la Constitution à ces amendements.
Un dernier amendement vise à empêcher une double action et donc une double peine. En l’état actuel du texte, rien n’interdit que l’internaute puisse faire l’objet à la fois d’un recours devant le juge pénal pour un délit contrefaçon et d’une procédure devant la HADOPI pour défaut de surveillance de son poste. Un même fait, à savoir le téléchargement illégal d’une œuvre protégée, peut conduire à la mise en œuvre de ces deux procédures. La règle non bis in idem peut donc s’appliquer.
Enfin, je terminerai en évoquant la prévention. Je l’ai déjà dit, l’objectif avec la réponse graduée est de faire évoluer les mentalités et les comportements.
L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. En 2006, nous avions plaidé l’importance de l’éducation de nos concitoyens à la culture tant ces pratiques de téléchargement peuvent accréditer l’idée que tout est gratuit et que la culture ne coûte rien. Or c’est méconnaître l’investissement personnel et financier et le travail des artistes. Ainsi, je me félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale. Il est également bien venu que les fournisseurs d’accès à internet soient mis à contribution dans les actions de sensibilisation des internautes par des messages appropriés.
En tout cas, il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu de ce projet de loi est bien la création culturelle. II faut garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est internet. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes ce soir sur un terrain où se posent des questions complexes qui touchent aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et à l’imaginaire de notre époque. Nous n’avons pas à arbitrer un débat myope entre technophiles, technophobes, technophages, voire technolâtres.
Notre problème est de prendre le temps de la maîtrise éthique, esthétique et sociale de ces processus inédits, pourvu que l’homme soit au centre de tout.
Qu’on le veuille ou pas, est et reste posé le statut de l’œuvre, de la création, des créateurs, des auteurs, des artistes et de leur juste rémunération.
Les droits d’auteur, qu’ils soient moraux ou patrimoniaux, sont des droits fondamentaux. Ils font partie de l’héritage démocratique de la France. Nous avons toujours eu à cœur de défendre la création et, par conséquent, les artistes. Il est des plus légitimes que leur travail soit justement rémunéré. Or, si certains vivent très bien de leur œuvre, c’est loin d’être le cas de la grande majorité d’entre eux. (Mme Maryvonne Blondin opine.)
C’est pourquoi je regrette que ce projet de loi porte trop sur les aspects répressifs et apporte trop peu de réponses aux questions pourtant primordiales de la prévention du piratage, du développement de l’offre légale, de l’expérimentation de nouveaux modèles économiques des filières musicales et cinématographiques, qui permettraient d’assurer une rémunération équitable aux auteurs de contenus et de conforter toute la création et la production à venir.
Par ailleurs, s’il est normal que les internautes soient mis à contribution pour la rémunération du travail de création, il serait légitime que les fournisseurs d’accès à internet y participent également puisqu’ils engrangent d’énormes profits via la publicité, se servant des œuvres comme produits d’appel.
On le constate, l’évolution des nouvelles technologies et les nouveaux usages qu’elles génèrent entraînent aussi des gains nouveaux et considérables permis par la révolution numérique.
Pourtant, rien ne garantit que la riposte dite « graduée » conduise à une hausse des revenus des ayants droit, d’autant plus qu’une grande partie des fichiers actuellement téléchargés gratuitement ne seront pas automatiquement convertis en achat, dans un contexte de pouvoir d’achat en souffrance.
De toute évidence, la loi ne peut présenter un réel intérêt que si la question du financement de la culture est remise à plat, ce qui suppose une réflexion neuve et ouverte sur la question des prélèvements, de leur perception et de leur répartition.
Ces sujets sont trop vitaux pour la création et les artistes pour se contenter de réponses législatives partielles et inadaptées économiquement et juridiquement. De ce point de vue, la loi dont nous discutons est plus une loi d’adaptation qu’une loi d’anticipation.
De fait, nous naviguons sur un océan de contradictions. Le 24 septembre dernier, dans le cadre de l’examen du « paquet Télécom », les eurodéputés ont voté un amendement qui dispose : « en vertu du principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire, en application notamment de l’article 11 de la charte sur les droits fondamentaux, sauf en cas de menace à la sécurité publique où la décision judiciaire peut intervenir postérieurement. ». Ce faisant, nos collègues du Parlement européen ciblent la coupure d’accès à internet.
Lors de la présentation du plan France numérique 2012, rappelé dans une séance commune de la commission des affaires économiques et la commission des affaires culturelles, M. Éric Besson, secrétaire d’État, a déclaré que comme l’eau ou l’électricité, l’accès à internet haut débit était « une commodité essentielle » à laquelle tous les Français doivent pouvoir accéder. Rappelant que « un à deux millions de Français demeurent exclus des réseaux du haut débit », M. Besson souhaite instaurer un « droit opposable » visant à permettre cet accès à un coût inférieur à 35 euros par mois.
N’est-il pas paradoxal de vouloir suspendre l’accès à internet pourtant reconnu comme une commodité essentielle ?
Comment vont être gérées ces contradictions ?
N’est-il pas également contradictoire de mettre à disposition des outils permettant des flux et des capacités de stockage croissants et d’interdire aux citoyens de s’en servir ? Pourquoi les industriels s’opposent-ils à l’extension de la redevance pour copie privée au domaine du téléchargement illicite alors qu’ils en favorisent les conditions ?
On peut s’interroger aussi sur la coupure d’accès à internet. Ce type de sanction est mis en cause par la CNIL car il constitue la négation de l’importance prise par internet dans la vie sociale, professionnelle et éducative pour correspondre, s’exprimer, étudier, s’informer, accomplir des démarches administratives, faire sa déclaration fiscale ou des opérations bancaires en ligne. De plus, il instaure un dispositif de surveillance inédit et un fichage généralisé de millions d’internautes contraire aux libertés. Et tout cela pour un résultat des plus incertains. Comme l’a déclaré le président de la CNIL, notre collègue Alex Türk : « Dans la nouvelle société numérique qui se prépare, le combat pour nos libertés me paraît aussi essentiel que la lutte pour la protection de l’environnement ».
Autre question : ce projet de loi adopté ne sera-t-il pas rapidement mis en échec par de nouvelles parades techniques ? Les usagers d’internet ont toujours eu plusieurs longueurs d’avance sur une industrie qui a bien du mal à se mettre à l’heure numérique. Les nouvelles générations de réseaux pair à pair permettent de masquer l’adresse IP des utilisateurs qui partagent des fichiers. Ce projet est d’ores et déjà est en décalage avec la réalité des usages et des techniques et donc complètement anachronique, comme ce fut le cas de la loi DADVSI.
De plus, on ne peut pas parler à proprement dit de sanctions graduées. Le projet de loi vise non pas les contrevenants, mais les abonnés à internet, qui doivent veiller à ce que leur connexion ne soit pas utilisée pour pirater. Or une connexion peut faire l’objet d’utilisation par des inconnus, notamment en cas de connexion wi-fi non sécurisée. Ce projet de loi crée donc une responsabilité du fait d’autrui, ce qui est une première dans le système juridique français.
De plus, ce n’est plus la présomption d’innocence qui préside, mais une présomption irréfragable de culpabilité. Comment un abonné utilisant des moyens de filtrage pourra-t-il prouver sa bonne foi s’il est accusé du contraire ?
Cela dit, la question des droits d’auteur et des droits voisins à l’ère numérique est non seulement un enjeu de société capital, mais également un défi majeur pour le monde de la création et de sa relation au public, afin que l’exception culturelle de notre pays, toujours plus menacée par les lois d’un marché « sans conscience ni miséricorde », en sorte renforcée.
En ce sens, l’irrésistible extension du numérique est une belle occasion d’approfondir les fondements mêmes des conquêtes culturelles et sociales de notre société en lui donnant de nouvelles ailes : renforcer la création et les moyens de la création et, parallèlement, favoriser la démocratisation des œuvres grâce à un accès facilité. Je ne pense pas que l’on puisse avancer sur la question des droits d’auteur en opposant les artistes à leur public, en opposant les droits fondamentaux aux droits d’auteur.
Cela étant dit, une grande partie des internautes adhérerait sans réserve à un code de bonne conduite, dès lors qu’il s’agit de remettre l’auteur et les artistes au cœur de la rémunération. Plusieurs études montrent que les utilisateurs qui téléchargent sont ceux qui dépensent le plus pour des produits culturels. Ceux qui aiment la musique, le cinéma, la littérature et l’émotion irremplaçable que procurent les arts admirent les créateurs et n’ont aucune envie de les léser. Ce sont les majors qui ont la prétention de vouloir arrêter un phénomène de société qu’elles ont elles-mêmes favorisé par leur attentisme et leur conservatisme étriqué. Ne les laissons pas dicter des mesures dont l’obsolescence n’a d’égale que l’inefficacité ! Incapables d’être en phase avec leur temps, les industries culturelles sont en train de vouloir arrêter le progrès au nom du profit !
Dès lors, pourquoi ne pas construire une nouvelle économie de la culture au service de la création et de sa diversité ? L’évolution des technologies ouvre de fantastiques perspectives pour stimuler la création et permettre une circulation sans précédent des œuvres de l’esprit et des savoirs pour peu que le droit s’appuie sur l’intérêt général, favorisant ainsi un saut de civilisation pour l’ensemble de l’humanité. Les industries culturelles ont tort de ne voir internet que comme une menace. Le problème, c’est que ce secteur considère que la rente du paiement à l’acte reste encore lucrative et essaye de la préserver.
Cela dit, on constate des évolutions. De plus en plus, les industries cherchent à exploiter les artistes comme des marques. Afin de dégager des profits, le producteur de disques devient à la fois éditeur, organisateur de concerts, patron de salle, manager et vendeur de produits dérivés.
Je crains que nous n’assistions à un véritable jeu de dupes où ceux qui crient au voleur et dénoncent les internautes comme des pirates sont parfois les premiers à vouloir exproprier les auteurs de leurs droits. Les multinationales de l’industrie culturelle n’ont pas attendu le législateur pour s’accaparer un maximum de droits d’exploitation des œuvres, concentrant ainsi les contenus culturels : après l’appropriation des tuyaux, celle des contenus, afin de mieux exploiter la propriété intellectuelle.
Si l’on a beaucoup parlé de gratuité à propos d’internet, celle-ci est un mythe ! L’immatériel est devenu l’or d’aujourd’hui et de demain.
Certes, les industries culturelles sont en crise, il faut donc trouver des solutions. Pour ce faire, il importe de poser le bon diagnostic. La crise du secteur n’est pas uniquement liée au téléchargement illicite, même s’il n’est pas question de nier ce phénomène, ni même de l’accepter et de faire n’importe quoi.
En ce qui concerne l’industrie audiovisuelle, il est évident que la chronologie des médias est aujourd’hui inadaptée. S’il est fondamental d’en conserver le principe, des aménagements sont nécessaires. Les jeunes, tout en restant le premier public des salles de cinéma, sont aussi les plus sensibles à la gratuité. Les différents dispositifs mis en place, au titre de l’éducation à l’image, dans les écoles, les collèges et les lycées, sont l’occasion d’une sensibilisation pédagogique, afin d’informer les jeunes des conséquences du téléchargement illégal. Madame la ministre, où en est l’éducation nationale sur cette question ? Les articles concernés de la loi DADVSI n’ont pas même été étudiés, et encore moins appliqués.
Nous estimons que la seule question qui vaille est la suivante : comment rémunérer équitablement les auteurs de contenus et les interprètes ? Veillons à ce que le droit d’auteur à la française ne cède la place au copyright anglo-saxon, lequel réglemente l’usage, la reproduction et la diffusion d’un bien, mais sans reconnaître le droit moral essentiel pour les artistes et la protection de leur création. Le copyright favorise ainsi les investisseurs au détriment des artistes.
Enfin, compte tenu de l’expérience décevante de la précédente loi, il est essentiel d’évaluer, dans les deux ans au plus tard, le dispositif qui sera adopté dans les prochaines heures, en vue de le corriger, voire de l’abandonner complètement. Considérant l’évolution rapide des technologies, il est plus sage d’expérimenter et d’en tirer les enseignements ; nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Le groupe CRC en a la conviction, le numérique et internet sont potentiellement des innovations bénéfiques pour les ayants droit et leur public, comme ce fut le cas avec les nouvelles technologies qu’ont été, un temps, le cinéma, la radio, puis la télévision. L’internet peut être une arme de construction massive. Toutes ces innovations, révolutionnaires lors de leur démarrage, n’ont jamais manqué de conforter le droit d’auteur, qui est maintenant remis en cause. Cela étant dit, notre souci – qui va nous guider au cours du débat et dans notre vote final – sera de préserver l’intérêt des auteurs et des artistes interprètes et, je le répète, de veiller à leur juste rémunération pour garantir l’avenir de la création et de la production dans notre pays. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains, dont je salue la première intervention à la tribune de la Haute Assemblée.
Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le champ des œuvres téléchargeables s’étend, et la capacité des équipements permet d’absorber toujours plus de contenus numérisés.
Certains aspects de cette extraordinaire liberté bouleversent l’équilibre de la sphère culturelle. Le téléchargement illicite de musique, de films, de programmes informatiques ou de jeux vidéo pénalise lourdement, économiquement et culturellement, ceux qui en vivent, directement ou indirectement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on recense, chaque année, en France environ 1 milliard de fichiers piratés ; le chiffre d’affaires de l’industrie musicale a été divisé par deux en quelques années ; le taux d’emploi dans les maisons de disques a été réduit d’un tiers ; le nombre d’artistes « signés » a chuté de 40 % par an. La liste des dégâts est donc importante.
Toutes les études relèvent la responsabilité considérable portée par le « petit piratage de masse » dans cet effondrement du secteur culturel. Les créateurs et les industries culturelles réclament, à juste titre, une réaction des pouvoirs publics.
L’offre légale s’est considérablement étoffée, mais elle demeure, nous en avons conscience, insuffisante. De plus, elle ne pourra jamais se développer dans des conditions normales si l’on laisse subsister un piratage massif.
Nous allons donc continuer d’œuvrer pour répondre au défi qui est le nôtre aujourd'hui en conduisant deux approches en parallèle : la dissuasion et l’augmentation de l’offre légale.
Internet doit rester un lieu de liberté partagée, et non devenir l’espace de tous les pillages. Il est urgent de rétablir l’équilibre entre les droits fondamentaux des internautes et ceux, non moins légitimes, des artistes. Je salue ici le terme de « réconciliation » employé tout à l’heure par M. le rapporteur.
Comment peut-on demander à nos auteurs d’être dans l’innovation musicale ou cinématographique, de porter haut l’exception culturelle française, s’ils ne peuvent vivre de leur travail parce que celui-ci est disponible gratuitement sur la toile.
Vous le savez, cette demande formulée par tous les secteurs de la sphère culturelle, y compris les distributeurs, a conduit à une négociation avec le Gouvernement, qui a débouché sur un accord historique associant quarante-sept organisations et entreprises de la musique, du cinéma, des médias et de l’internet. Du jamais vu !
Je ne détaillerai pas l’ensemble du dispositif prévu, car il a été brillamment décrit par Mme la ministre, M. le rapporteur et l’ensemble des orateurs, mais je tiens à souligner les éléments qui me paraissent constituer sa force.
Conformément à la solution prônée par la commission des affaires culturelles, et par le Gouvernement, le groupe UMP souhaite s’inscrire dans une logique pédagogique visant à décriminaliser le piratage ordinaire.
Ce projet de loi vise à instaurer un régime gradué et proportionné de sanctions. Il n’est pas question de supprimer les peines lourdes pour les personnes qui fournissent les moyens de contourner les mesures de protection ou qui font commerce du téléchargement massif. En revanche, il s’agit de permettre une application mesurée de la loi, qui ne traite pas nos adolescents, fervents internautes, comme des délinquants, mais qui suscite une prise de conscience salutaire. Internet n’est pas, et ne doit pas être, une zone de non-droit. Les internautes ont droit au respect de leur vie privée, les auteurs à celui de leur droit moral garant de leurs conditions d’existence et du développement de leur talent.
Ce dispositif législatif, tel qu’il est conçu, présente une réponse graduée, souple et adaptable. Il s’inspire des résultats obtenus, via des outils très similaires, dans d’autres États confrontés aux mêmes difficultés. Et nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés !
Ainsi, aux États-Unis et au Canada, pays dans lesquels un avertissement est adressé aux contrevenants, 90 % des internautes – j’insiste sur ce pourcentage – renoncent au téléchargement illégal dès le deuxième message. La dissuasion est plus efficace que la sanction.
Le groupe UMP s’est prononcé contre le principe de la sanction financière, car celle-ci risquerait de créer une inégalité entre les internautes capables d’acquitter leurs amendes et ceux dont la situation matérielle ne le permet pas.
La dissuasion par la suspension respecte l’égalité entre internautes et constitue une solution pédagogique idéale pour tous les publics. Il s’agit là, me semble-t-il, de l’esprit même de la loi.
Aujourd’hui, la seule mesure existante est d’ordre pénal : le délit de contrefaçon. L’internaute s’expose alors à des poursuites devant le tribunal correctionnel avec des possibilités de sanction au premier téléchargement illégal. Les peines prononcées par les tribunaux à l’encontre des pirates sont des amendes qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros, parfois assorties de prison avec sursis.
Encore une fois, la prévention est mille fois préférable. L’expérience étrangère démontre que, en l’absence d’une solution alternative, la justice pénale finit par être saisie massivement. Ainsi, en Allemagne, des milliers de plaintes sont enregistrées par les parquets.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’équilibre entre les droits fondamentaux.
Encore une fois, internet doit rester un espace de liberté ; en aucun cas, il ne doit être une zone de non-droit. Les garanties présentées dans ce texte réconcilient le droit de propriété, le droit moral des créateurs, aujourd’hui bafoués, mais également en danger – car il s’agit de leur moyen de subsistance –, et celui du respect de la vie privée des internautes.
La suspension temporaire ne peut en aucun cas être considérée comme une atteinte à un droit fondamental. Elle est déjà couramment appliquée par le juge et elle l’est aussi, mes chers collègues, par les opérateurs, qui n’hésitent pas à suspendre les mauvais payeurs. Serait-il plus grave d’oublier le paiement d’une facture que de se rendre coupable d’un vol, vol qui met l’ensemble du monde culturel en danger ? Quel étrange renversement des valeurs et quelle considération pour nos auteurs, qui, je le rappelle, constituent la richesse culturelle de notre pays !
Les mécanismes préventifs seront mis en place par une autorité administrative indépendante, la HADOPI, selon un modèle qui a déjà fait ses preuves dans notre droit. La CNIL est l’exemple qui s’en rapproche le plus.
Cette haute autorité sera composée par des membres et selon des procédures offrant toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance nécessaires. Je précise, au passage, que la prise de sanctions se fera, bien sûr, sous le contrôle du juge. La HADOPI n’exercera aucune surveillance généralisée des réseaux et des internautes, pas plus d’ailleurs que les fournisseurs d’accès Internet. Comme c’est déjà le cas aujourd’hui, toutes les procédures partiront de la constatation, ponctuelle, par les ayants droit, de téléchargements illicites. Ce sont donc les œuvres, et elles seules, qui seront «surveillées » et seul le constat de leur piratage pourra donner lieu à l’envoi d’avertissements et, éventuellement, à une suspension temporaire d’accès internet.
Cette haute autorité sera habilitée à obtenir uniquement les informations strictement nécessaires – le nom et les coordonnées – à l’envoi du message d’avertissement, des informations d’ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour engager leurs actions judiciaires. En aucun cas le contenu des œuvres téléchargées ne sera porté à sa connaissance, ce qui confirme, si besoin était, le respect dont fait preuve le législateur à l’égard de la vie privée des internautes.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
Mlle Sophie Joissains. Pour ce qui concerne la question du piratage des œuvres culturelles, de nombreuses initiatives sont menées par les différentes institutions communautaires, dont la Commission européenne. Celle-ci a ouvert une consultation avec les États membres et les partenaires concernés pour étudier l’approche française. C’est bien la preuve que nos voisins cherchent également une solution en ce sens.
Au sein de notre commission des affaires culturelles, il a été proposé de renforcer encore l’indépendance et le professionnalisme des membres composant la Haute autorité, en la dotant de la personnalité morale, en lui permettant de consulter les représentants du monde culturel et d’être consultée par eux, en prévoyant aussi les incompatibilités de fonction de ses membres. Elle pourra labelliser certains systèmes de sécurité et certaines offres légales. Un rapport annuel permettra de faire régulièrement le point sur son activité et, dans le même temps, de la faire évoluer de façon adaptée.
À l’avenir, l’offre légale doit se rapprocher au plus près de l’attractivité, qui conduit aujourd'hui aux téléchargements illicites, en proposant une politique tarifaire adaptée. Il y va de l’intérêt des producteurs et des distributeurs.
À cet égard, les amendements déposés visent à encourager fortement le développement de l’offre légale et la révision de la « chronologie des médias ». Internet n’a pas de frontière. Cet espace international doit être un enrichissement et ne pourra être viable que dans le respect des libertés individuelles.
Canaliser les voies de l’internet par des règles simples et aussi évidentes que le respect des droits de chacun, c’est aussi permettre une prise de conscience de l’altérité, notion d’autant plus difficile à percevoir que l’on se trouve derrière un écran. Nous ne sommes qu’au début du chemin, sur un terrain en perpétuelle mutation.
Pour finir, je tiens à remercier le rapporteur, M. Michel Thiollière, et le président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Legendre, pour la qualité de leurs travaux. Je remercie également Mme la ministre pour son écoute rare et la diligence qu’elle a toujours témoignées à l’égard des auteurs et de la création.
Je pense que ce texte posera les bases nécessaires à une relation saine et constructive entre auteurs et internautes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, dont je salue la première intervention à la tribune de la Haute Assemblée.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui nous plonge directement au cœur d’une problématique centrale : quelle société de l’information et de la création culturelle voulons-nous transmettre en héritage aux générations futures ?
Il y a dix ans exactement commençait une véritable révolution technologique, celle de la croissance exponentielle des échanges de données et du développement des premiers logiciels de téléchargement d’œuvres musicales sur internet. Les industriels avaient alors mis en place les premiers verrous anti-copie sur les fichiers numériques musicaux référencés dans leurs catalogues.
Depuis, cette évolution s’est accélérée, au niveau tant des supports que des conditions d’échange des œuvres culturelles, avec l’apparition de nouvelles plateformes et logiciels de téléchargement, donnant ainsi au consommateur l’accès à une offre quantitative et qualitative très large, inconnue jusque-là.
Nous assistons à une véritable révolution de l’économie culturelle, dont les mutations nous transportent de la civilisation du support matériel à celle du support numérique et du virtuel.
Nous ne pouvons encore mesurer, pour les années à venir, les conséquences de ces bouleversements sur notre société. En tant que parlementaires, nous nous devons pourtant de les anticiper et d’imposer de nouveaux outils pour garantir la juste rémunération des auteurs, ainsi que la pluralité et la diversité des œuvres produites.
Or, dans un contexte de récession internationale, force est de constater que le secteur de l’économie culturelle est aujourd’hui en péril, parce qu’il n’a pas anticipé les changements technologiques, juridiques et financiers qu’il traverse. Plusieurs modèles économiques cohabitent : téléchargement gratuit en ligne, téléchargement payant, abonnement.
Les enjeux économiques de la copie par les particuliers sont considérables. En témoignent les téléchargements quotidiens de films en France, équivalents au nombre d’entrées en salle, sans oublier une chute des ventes de disques de 50 % en cinq ans.
La réponse apportée par le Gouvernement s’inspire des préconisations du rapport Olivennes et des accords de l’Élysée, conclus entre les professionnels de la filière à la fin de l’année 2007, qui reposent sur trois piliers : la dissuasion, la transaction et la sanction. Ce texte de loi place le consommateur au cœur du dispositif et invite les parlementaires à entériner la mise en place d’une autorité de régulation indépendante, la HADOPI, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ayant pour mission de lutter contre le piratage en instituant le principe de riposte graduée, la constitution d’un fichier des internautes contrevenants et la mise en œuvre de sanctions.
Ce dispositif de dissuasion prévoit l’envoi de messages préventifs aux internautes indélicats, de courriers et, enfin, une suspension de l’abonnement en cas de récidive. Ces outils auront une vertu pédagogique, et les industriels, en contrepartie du fichage des pirates présumés, se sont engagés à supprimer les DRM des œuvres référencées dans leurs catalogues, comme cela nous a été confirmé dans la presse aujourd’hui.
En tant que parlementaire et adjointe au maire déléguée à la culture d’une commune de 23 000 habitants, dotée d’une salle de spectacle de 950 places, d’un cinéma et d’une médiathèque, je suis concernée au premier plan par ces mesures et, comme beaucoup de mes collègues élus locaux, par les questions du financement de la production et de la diversité des œuvres culturelles, ainsi que de la rémunération des auteurs.
Les dispositions de ce texte vont engager non seulement la responsabilité des particuliers abonnés, mais aussi celle des élus des collectivités locales qui mettent à la disposition de leurs concitoyens des accès internet dans les lieux publics, notamment les points multiservices, les bibliothèques et les médiathèques.
Pour autant, le principe de riposte graduée, qui s’appliquerait dans la sphère familiale et éducative, apparaît comme un bon outil pédagogique. La sensibilisation des consommateurs à la notion de droit d’auteurs est devenue nécessaire.
C’est pour cette raison que les membres du groupe du RDSE, que je représente ce soir, voteront ce texte sous réserve de l’adoption d’un certain nombre d’amendements.
Pour être nécessaire, ce dispositif n’en est pas pour autant suffisant, madame la ministre. Le Gouvernement doit se rendre à l’évidence. La technologie évolue plus vite que les lois et la relance de la filière ne se fera pas sans prendre des mesures d’accompagnement plus ambitieuses, qui donnent des moyens substantiels à une politique culturelle digne de ce nom : subventionner la création indépendante, faciliter l’accès à la diffusion des œuvres les moins commerciales, renforcer le tissu associatif culturel, pérenniser les structures municipales, et responsabiliser les fournisseurs d’accès à internet et les industriels, notamment les majors.
L’abonné, qui a une obligation de vigilance et de surveillance de l’usage de son accès internet, est bien isolé au cœur du dispositif de riposte graduée. Le fichage des internautes pirates – je rappelle à cette occasion que ces deux mots ne sont pas synonymes – doit avoir, pour être accepté, une contrepartie à sa mesure, à savoir la régulation des rapports entre les industriels, les auteurs et les labels indépendants. C’est pourquoi je regrette que ce texte ait été déposé devant la Haute Assemblée sans que deux préalables soient levés. D’une part, il aurait fallu dresser le bilan complet de l’application de la loi DADVSI, qui a été votée en 2006 et qui ne semble pas avoir porté ses fruits. D’autre part, il aurait fallu évoquer la logique industrielle et celle de la juste rémunération des auteurs.
En substance, ce projet de loi soulève un grand nombre d’interrogations auxquelles il n’apporte pas de réponse, notamment parce que la prévention et la répression, même progressive, ne suffiront pas pour sauver ce secteur d’activités.
J’aborderai, en premier lieu, la question de la rémunération des auteurs. Bien que les moyens de diffuser leurs œuvres se soient considérablement élargis, ils n’ont pas pour autant bénéficié de ces progrès et ils redoutent, dans ce contexte, la mise en place de licences collectives qui dissocieraient l’acte de consommation de leur propre rémunération.
Faut-il vous rappeler, madame la ministre, qu’ils sont déjà à la merci des majors, qui monopolisent leurs catalogues pendant des années et en déterminent les conditions de diffusion ? Il faudra bien pousser les industriels à innover pour mettre en place de nouveaux modes de rémunération des auteurs, en contrepartie de l’adoption de la riposte graduée. En effet, aujourd’hui, il est plus rentable pour un auteur indépendant de vendre directement son œuvre par internet que de passer par un distributeur.
Sur ces questions, le projet de loi reste muet. Nous étions pourtant en droit d’attendre la mise en place d’une politique culturelle plus ambitieuse, notamment en faveur des producteurs indépendants et des artistes.
Le deuxième point sur lequel je reviendrai est celui qui concerne le consommateur. Sa responsabilisation constitue une avancée, mais elle ne peut être le seul levier du changement pour pérenniser l’avenir de la filière culturelle. Par ailleurs, nous ne pouvons pas rester indifférents à la vive inquiétude que soulève la mise en place du fichier des internautes présumés pirates et à la possibilité de suspendre leur abonnement, deux mesures qui pourraient être considérées comme des atteintes aux libertés individuelles. Mais je veux bien croire, madame la ministre, à l’étanchéité de la boîte noire !
Enfin, ce projet de loi soulève une polémique à l’échelle européenne et expose la France à des recours. En effet, il est contraire aux dispositions adoptées par le Parlement européen, en septembre dernier, à l’occasion du vote de l’amendement n° 138 du « paquet Télécom », texte qui confère à l’accès à internet un caractère de droit fondamental pour les citoyens. Par conséquent, la décision d’une telle rupture devrait être prise par une autorité judiciaire.
J’exprimerai un dernier regret avant d’achever mon intervention. Le Gouvernement n’a pas entendu les principales préconisations des professionnels de la filière et du monde associatif, qui attendent la rénovation totale du système de rémunération des auteurs et proposent de nouveaux leviers : responsabiliser les fournisseurs d’accès à internet, les inciter à informer l’internaute sur la législation en vigueur, instaurer une taxe auprès d’eux pour financer un fonds d’aide aux jeunes artistes, envisager, notamment, le développement des nouveaux supports, dont il n’est pas question dans ce texte – téléphonie mobile, disques durs externes et autres MP3 –, l’achat avec période d’essai et le différentiel de TVA, etc..
Telles sont les raisons pour lesquelles les membres du groupe du RDSE resteront très vigilants quant à la mise en œuvre de la répression, notamment l’usage qui sera fait du fichier des contrevenants.
Pour conclure, je rappellerai que la révolution numérique nous impose de trouver un nouvel équilibre des droits : innover pour rémunérer la création, même de façon imparfaite, plutôt que de laisser les auteurs seuls face aux majors, aux diffuseurs et aux annonceurs, pourquoi pas en relançant le débat avec les professionnels autour du concept de licence collective. Il y va de la pluralité, de la diversité, bref, de la pérennité de la création culturelle en France. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux années après la loi DADVSI, le Parlement est de nouveau saisi du problème du piratage de masse des œuvres, notamment musicales et cinématographiques.
Au-delà du témoignage qu’il apporte de l’échec de la loi DADVSI, le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet offre l’occasion de redéfinir les mécanismes de lutte contre le piratage et d’actualiser notre réflexion sur la rémunération des artistes, l’accès pour tous à la culture, le soutien à la création, autant d’objectifs qui doivent être ceux d’une politique culturelle ambitieuse dans un contexte de révolution des techniques et des comportements. Le défi n’est pas mince, et je ne suis pas certaine qu’il soit pleinement relevé.
Pourtant l’urgence est là. Je n’évoque pas par ces mots la procédure d’urgence qui a été déclarée une fois de plus par le Gouvernement, mais l’urgence face à la détérioration massive de l’économie de la culture.
On évalue, pour l’année 2006, à un milliard le nombre de fichiers d’œuvres musicales échangés illégalement en France, avec des conséquences dramatiques pour le secteur du disque, dont le marché a baissé de 22 % en 2006 et encore de plus de 20 % sur les neuf premiers mois de l’année 2007.
La loi DADVSI avait été la source d’affrontements caricaturaux entre les partisans du « tout-gratuit », aspiration illusoire, et les tenants d’une répression à grande échelle, sourds aux pratiques nouvelles qu’offre la révolution numérique.
Le moment est peut-être venu, avec ce nouveau projet de loi, de mettre enfin un terme, au moins pour un temps, à ce combat, qui ne sert pas plus la création que les utilisateurs, comme l’illustre l’inefficacité de la loi DADVSI. Or force est de constater que cette opposition perdure aujourd’hui, et la responsabilité du Gouvernement dans ce domaine est réelle.
Nous attendons trois choses de cette loi.
Tout d’abord, la réaffirmation du principe et du respect du droit d’auteur. Malmené par le piratage massif qui s’opère sur internet, ce droit est fragilisé dans le débat public, la montée des nouveaux usages « on line » revenant à nier le lien entre l’œuvre et son créateur. Il est donc nécessaire et urgent de rappeler la raison d’être du droit d’auteur, la nécessité d’en assurer le respect et de contrer les manquements.
L’occasion est donnée, avec ce projet de loi, de réaffirmer que le droit d’auteur est à la fois un droit matériel à une juste rémunération et un droit moral à disposer personnellement de ses œuvres. Il est la condition sine qua non de l’émergence et de la vitalité de la création. Remettre en cause le droit d’auteur, c’est risquer de tarir la source de la création. C’est parce qu’il est assuré de pouvoir plus ou moins bien vivre de son œuvre que l’artiste peut trouver sa juste place dans notre société. Enfin, le droit d’auteur est aussi, face à la puissance de certains producteurs, un rempart contre la marchandisation de la culture.
Il ne fait aucun doute que l’abandon du droit d’auteur, la rupture avec ce qui constitue tout à la fois une conquête sociale, culturelle et politique, signerait l’arrêt de mort de la création.
Ce serait d’abord sacrifier tout un tissu d’entreprises culturelles – ce qui aurait de graves répercussions sur l’emploi –, mais aussi renoncer à une ambition ancienne et toujours réaffirmée, par la gauche notamment, de soutien à la création originale. Les premiers à subir les conséquences d’une rupture avec la logique du droit d’auteur seraient les petites entreprises culturelles, les créateurs et les producteurs indépendants.
Le projet de loi réaffirme le principe de ce droit et la nécessité de son respect. C’est une bonne chose, pour nous, socialistes, qui sommes profondément attachés à la création, à sa vitalité, à sa diversité, ainsi qu’à ceux qui la font vivre.
Ensuite, la révolution des techniques et des comportements, avec le numérique, ne peut servir de prétexte à la remise en cause du droit d’auteur, sans offrir d’issue alternative.
À cette occasion, nous devons évoquer le débat sur les libertés et droits fondamentaux. Dans la situation actuelle, qui se caractérise par un piratage de masse, seule la liberté des créateurs de disposer de leur œuvre et d’en tirer une juste rémunération est véritablement menacée.
Invoquer un droit fondamental d’accès à internet, alors qu’il s’agit moins d’un droit que d’une facilité, celle de télécharger sans contrainte, ne me paraît pas légitime. Dans notre société, tous les droits sont assortis d’obligations légales ou réglementaires. L’égalité d’accès à la culture n’a d’avenir que si elle s’accompagne d’un certain nombre de règles s’imposant à tous, producteurs comme utilisateurs. Notre vision des libertés s’inscrit dans le respect d’un état de droit.
À l’évidence, les pratiques sur internet évoluent aujourd’hui plus vite que le cadre juridique. Raison de plus pour ne pas autoriser un usage illégal, dont le premier résultat serait d’éliminer des pans entiers de la création !
Sans nier le caractère perfectible de ce projet de loi, la mécanique dite de riposte graduée qu’il introduit nous semble, par sa logique pédagogique et de dissuasion, présente le mérite de ne pas ouvrir les vannes de façon irresponsable et irréparable.
Enfin, nous sommes conscients que nous légiférons à un moment qui appelle des mesures d’urgence. Pour autant, cette volonté de préserver le droit d’auteur par un mécanisme de dissuasion ne doit pas être prétexte à un statu quo qui reviendrait à nier les aspirations culturelles des internautes. C’est sur ce point que le projet de loi nous semble déséquilibré.
Madame la ministre, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles du Sénat, vous déclariez que « la montée en puissance de l’offre ne se poursuivra qu’à condition que la lutte contre le piratage porte ses fruits ». De même, les accords Olivennes affirmaient la nécessité d’avancer dans un même mouvement sur la lutte contre le piratage et sur la montée en puissance de l’offre légale.
Or, le texte que vous proposez semble conditionner l’offre légale à la lutte contre le piratage. Vous participez ainsi à entretenir un sentiment de défiance chez les internautes. C’est la raison pour laquelle la responsabilité du Gouvernement est réelle dans l’opposition qui persiste entre internautes et créateurs. Nous ne voulons pas de cette guerre-là !
Pour opérer la conciliation chère aux accords « Olivennes », il nous paraît indispensable de travailler à ce que le droit d’auteur conquière de nouveaux territoires et prenne le tournant de la révolution numérique, tout en tenant compte des aspirations des internautes.
La situation vous crée, madame la ministre, au moins trois obligations.
En premier lieu, il faut favoriser l’émergence et le développement de nouveaux services en ligne sur internet. Je pense par exemple aux services comme le Deezer ou le magnétoscope en ligne, pour lesquels nous présenterons un amendement, et qui peuvent constituer tout à la fois des offres adaptées, faciles d’accès et bon marché pour les internautes, ainsi que de nouvelles sources de financement de la création.
En deuxième lieu, il faut revoir rapidement la chronologie des médias – nous présenterons un amendement en ce sens – pour réduire la durée des fenêtres, l’étude des nouvelles pratiques révélant que la rapidité de la disponibilité de l’œuvre vient s’ajouter à la gratuité comme mobile du téléchargement.
En troisième lieu, enfin, il faut développer un véritable espace numérique public dense, riche et accessible, dans l’esprit d’un service public, à l’image de ce que sont aujourd’hui, par exemple pour la lecture, les médiathèques publiques. Nous avions évoqué cela lors de l’examen du texte qui est devenu la loi DADVSI. Où en est-on ?
Sur toutes ces questions, nous attendons de votre part, madame la ministre, des signes clairs et forts témoignant de votre volonté d’encourager et d’accompagner cette évolution de l’internet dans le respect du droit d’auteur, au bénéfice de la culture et de ceux qui y aspirent.
Vous l’aurez compris, les sénateurs socialistes souhaitent soutenir ce texte. Ils seront donc particulièrement attentifs à vos propos. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir est nécessaire. Tout le monde a souligné l’échec de la loi du 1er août 2006 qui, sur les sujets du téléchargement illégal, de la copie et du piratage, n’a nullement empêché le viol du droit moral des créateurs.
En dépit des sanctions très lourdes fixées par ce texte – trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende –, toute une génération a vécu, et vit toujours, avec l’idée, du moins pour les plus jeunes d’entre eux, que les biens culturels doivent être gratuits. Le pillage des œuvres continue de faire des ravages dans l’industrie culturelle. Plusieurs de mes collègues l’ont rappelé ; je n’y reviendrai donc pas.
Mais quel temps perdu ! En effet, le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis aurait dû être adopté en 2006, en lieu et place de la loi DADVSI. Souvenons-nous de ce débat brouillon au cours duquel les positions du Gouvernement avaient varié d’un extrême à l’autre. La très polémique licence globale était venue parasiter l’examen d’un texte comprenant des dispositions totalement inapplicables.
Je le redis, après tant d’autres : la défense des créateurs doit être au cœur de nos préoccupations. Le respect de leurs droits est un impératif catégorique qui fonde notre exception et notre politique culturelle française. L’enjeu est immense car il nous faut protéger ce système unique en Europe – et même, probablement, au monde – si nous ne voulons pas passer sous les fourches caudines de la culture anglo-saxonne.
Sans droit d’auteur, Gounod, Bizet et Saint-Saëns, pour ne citer que ceux-là, ne nous auraient jamais offert leurs opéras et leurs symphonies. Le cinéma français aurait disparu depuis longtemps. Mais c’est surtout aux jeunes créateurs qu’il faut penser car, plus que d’autres, ils dépendent du droit d’auteur pour consolider leurs premiers pas.
Le présent projet de loi est équilibré, dans la mesure où il concilie les droits des créateurs et la liberté des utilisateurs du réseau internet. En ce sens, il est mieux adapté à l’ère numérique que la loi précédente.
Contrairement à la polémique qui fait rage, il ne s’agit pas d’un texte liberticide. Ce qui est liberticide, c’est de nier la création et le droit d’auteur qui doit la rémunérer. Il est faux et déraisonnable d’affirmer que l’accès à internet constitue une liberté fondamentale. Aucune jurisprudence française n’a dégagé un tel principe. Si tel devait être le cas, qu’en serait-il alors de l’accès au téléphone ? Quand vous ne payez pas vos factures de téléphone, on vous coupe bien la ligne… Cela dit, il ne me semble pas scandaleux que la suspension de l’abonnement soit prononcée par une autorité administrative indépendante, de surcroît composée de magistrats et de fonctionnaires chargés de fonctions juridictionnelles.
D’autres garanties doivent être soulignées. Les agents de la HADOPI, qui seront chargés du traitement des saisines, seront astreints au secret professionnel et devront respecter un code de déontologie. Les données qui leur seront transmises ne porteront pas sur les correspondances des internautes et seront effacées à l’issue de la période de suspension de l’abonnement. Les DRM seront supprimées : c’est tout de même un progrès considérable !
Par ailleurs, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, la possibilité de proposer une transaction à l’internaute passible d’une sanction me semble être une réponse intéressante, à mi-chemin entre pédagogie et sanction. Sur ce point, je pense même qu’il serait concevable que la HADOPI ait la possibilité de réduire le débit de la connexion internet afin d’empêcher les fraudeurs de récidiver.
Au cours de la discussion des articles, nous proposerons de consolider le mécanisme de la riposte graduée. D’autres garanties peuvent en effet être apportées, notamment en matière de respect de la vie privée.
Le projet de loi attire également une critique majeure en ce qu’il fait l’impasse sur le développement de l’offre légale. Ce point a déjà été souligné à plusieurs reprises mais je tiens à y revenir. Si le projet de loi pose la question de la démocratisation de l’accès à la culture, il fait en revanche l’impasse sur le développement de l’offre légale. Dans ce domaine, on ne constate aucun progrès, mais au contraire une grande lenteur, peut-être même un peu de mauvaise volonté de la part de certains. Il est pourtant urgent d’agir ! Nous nous devions, aujourd’hui, de le rappeler !
Je souhaite également insister sur la nécessité de créer une plate-forme publique gratuite destinée à promouvoir le travail d’artistes n’ayant pas accès aux plates-formes commerciales. À cet égard, madame la ministre, la loi DADVSI prévoyait l’élaboration d’un rapport qui ferait le point sur toutes ces questions. Nous l’attendons toujours ! C’est tout à fait regrettable !
On pourrait également imaginer quelques propositions « collatérales ». Je les livre très rapidement. Certaines dispositions devraient ainsi être adoptées afin de protéger les internautes contre certaines dérives. Je pense notamment aux systèmes de limitation d’accès pour les mineurs, que l’on devrait rendre obligatoires, mais aussi à la protection de nos concitoyens contre l’exploitation commerciale de leurs données personnelles.
Telles sont, pour l’essentiel, les observations que nous voulions faire au stade de la discussion générale. Vous l’aurez compris, nous aborderons ce projet de loi de façon positive, et avec la volonté de l’enrichir.
Pour conclure, laissez-moi vous livrer cette citation d’un auteur aujourd’hui oublié, Denis de Rougemont : « toute œuvre humaine, même la plus simple, exige et suppose un avenir ». Évidemment, il ne pensait pas à internet. Mais notre devoir, ce soir, c’est d’offrir un avenir aux œuvres de l’esprit ! (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sauver la création artistique et culturelle, dont la fragilisation nous est présentée comme le motif de ce projet de loi, c’est d’abord permettre l’expression et la reconnaissance des créateurs, notamment par la rémunération.
Sauver la création, c’est précisément ce qui nous motive, à l’inverse d’un Gouvernement qui a fragilisé le régime de l’intermittence, qui a annoncé l’assèchement des recettes de l’audiovisuel public avant même de mettre en débat l’ambition que celui-ci mérite, qui a supprimé la ligne « culture » de la politique de la ville et qui, aujourd’hui, boucle le budget du spectacle vivant en vendant le patrimoine.
Sauver la création, c’est réintroduire le créateur au centre du droits d’auteur, mais c’est aussi encourager le public dans son rôle de spectateur, d’auditeur, voire de participant aux contenus culturels et artistiques le plus diversifiés possible.
L’autorité administrative indépendante, l’HADOPI, qui est au cœur de ce texte, néglige beaucoup d’artistes et d’interprètes et n’envisage le public que comme un délinquant potentiel. C’est pourtant lui, le public, qui a été, depuis dix ans, harcelé de publicités par les fournisseurs vantant les flux rapides pour téléchargement, alors même que rien de légal n’existait.
C’est lui, le public jeune, que l’on représente le casque sur les oreilles, à qui les fournisseurs vantent « l’offre » de musique « gratuite » sans aucune précaution de fléchage de ce qui est légal ou non.
La HADOPI répond davantage aux puissants acteurs que sont les sociétés de perception ou les bénéficiaires de droit d’exploitation, tandis que rien n’est envisagé pour les conduire à mieux rémunérer les artistes.
Alors que le rapport Besson veut faire d’internet l’alpha et l’oméga du quotidien des citoyens, allant jusqu’à prévoir l’ordinateur familial comme outil pour les dépôts de plaintes, la sanction envisagée in fine est précisément la suspension de la connexion.
Le secrétaire d’État Éric Besson veut vraiment donner des arguments aux détracteurs de la loi, car il nous promet au plus vite « une deuxième phase de déploiement de l’administration électronique, avec une dématérialisation des échanges de bout en bout et l’unification des sites d’accès aux services publics ».
Où est la cohérence entre cette promotion d’une société où le seul lien est numérique et le mode de sanction envisagé ?
L’amendement des députés européens MM. Bono et Cohn-Bendit, que les ministres vont sans doute récuser, n’est pas hors sujet dans le « paquet télécom » : rappelons aux opérateurs que ce n’est pas le tuyau qui fait la règle !
Quand on transporte des contenus culturels et que l’on relie les individus entre eux, on ne peut ni s’abstraire de la propriété intellectuelle ni être l’instrument de la violation des libertés, dont le respect de la vie privée.
En revanche, les termes « atteintes aux besoins élémentaires » ou « liberticide » pour qualifier ce projet de loi doivent être réservés à des situations bien plus graves.
Il n’empêche, madame la ministre, que vous nous proposez un dispositif qui, une fois de plus, repose sur l’éviction du juge, répond aux injonctions de structures, s’appuyant sur des sortes de détectives privés numériques, s’appuie sur des procédures ne séparant pas la fonction d’instruction et la fonction de poursuite, qui a eu et aura une vocation régulatrice de mesures techniques, préventives, certificatrices, répressives, voire prescriptives. Bref, il s’agit d’un objet juridique non identifié.
Certes, il est hors de question de priver les créateurs de la ressource liée à la diffusion de leurs œuvres, mais nous devons tirer les leçons de la loi DADVSI. Truffée de complexités technologiques, enrayant les systèmes et privant le consommateur du droit à la copie privée, dont les DRM, alourdie de contradictions, lestée d’armes répressives hors du commun – 300 000 euros et trois ans de prison –,cette loi était promue par la majorité comme la solution parfaite et encensée par ceux qui ne jurent aujourd’hui que par ce nouveau projet de loi.
La loi a fait pschitt ! Les DRM ont vécu. Des majors qui nous traitaient d’irresponsables pour avoir osé réfléchir à la licence globale ont fait leur le principe forfaitaire, oubliant au passage la juste rémunération des acteurs et des interprètes. Et personne, évidemment, n’a réclamé une condamnation excessive.
Quant au seul apport positif de la loi DADVSI, à savoir une plateforme publique de téléchargement, celle-ci n’a pas été mise en œuvre. Cette loi n’a fait qu’ancrer dans la durée les pratiques de téléchargement qu’elle était censée réguler.
D’ailleurs, la majorité des jeunes et beaucoup d’adultes ne pensent même pas à un délit, et encore moins à la fragilisation des revenus des artistes qu’ils aiment. Ils envisagent encore moins qu’ils puissent remettre en cause l’existence durable de ces derniers.
Les ventes de CD et de DVD s’effondrent. Même les entrées en salles stagnent : la survie de ces dernières n’est due qu’au hasard d’un film suscitant l’engouement.
Les représentants des éditeurs, des producteurs, des diffuseurs, des réalisateurs et des artistes que nous avons rencontrés pointent tous le téléchargement. Ce dernier participe sans doute à l’érosion du marché. Mais est-on certain que ce qui ne serait pas téléchargé serait acheté ?
L’effondrement du pouvoir d’achat n’est, quant à lui, pas virtuel. Le budget des ménages n’est pas extensible ; il est d’abord mobilisé sur l’essentiel : le loyer, l’alimentation, les soins, les déplacements. Quant aux dépenses moins vitales, quel sort leur est réservé ?
La réussite absolue du marketing du téléphone portable tient au fait qu’on en a fait un objet de consommation considéré comme indispensable. Le racket que représente l’encouragement aux SMS alourdit la facture. Alors, avant de parler de manque de scrupules, il faut aussi évaluer le manque de moyens et le pouvoir d’achat des citoyens !
Il est vrai que ce n’est pas une raison pour que soient spoliés les artistes. Aussi allons-nous chercher dans ce texte, dans le respect des libertés, tout ce qui peut les aider.
Pour conclure, et en toute franchise, madame la ministre, pensez-vous réellement que ce texte permettra la promotion et la reconnaissance des créateurs et des artistes interprètes, afin qu’ils vivent de leurs œuvres, tout en préservant l’accès à la culture pour tous ? Quant à nous, les élus Verts, nous n’en sommes pas convaincus.
J’exprimerai un dernier regret. Si les créateurs ont besoin d’être rémunérés pour leur travail, la création a aussi besoin d’être financée. Or ce projet de loi n’apporte pas un centime de plus à la création, ce que nous regrettons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Albanel, ministre. Les propos qui ont été tenus font ressortir des points de divergence, mais aussi des points de convergence, ce qui me semble extrêmement important et réconfortant.
Sur le fond, l’ensemble des intervenants ont montré combien ils étaient attachés aux droits d’auteur, fidèles en cela à notre grande tradition française vieille de plusieurs siècles et au nom de laquelle nous reconnaissons l’acte de création et les créateurs. Cette nécessité, qui dépasse de loin les clivages partisans, a été fortement réaffirmée ce soir.
Des diagnostics communs ont été établis sur la situation actuelle. Quoique très alarmistes, les descriptions qui en ont été faites, tout en étant subtiles, sont en même temps très proches de la réalité. Il a bien été montré que ce ne sont pas seulement les majors qui se plaignent et qui essaient d’instrumentaliser artistes et créateurs : des filières entières sont aujourd’hui directement touchées, parmi lesquelles énormément de PME.
Les Arènes européennes de l’indépendance, qui se sont tenues la semaine dernière sous l’égide de mon ministère, réunissaient des PME de tous les secteurs ; les unes et les autres ont manifesté une très grande inquiétude. Il est important de rappeler que, à côté des grands acteurs du secteur, il existe une multitude de petites, voire de très petites structures ; ce sont elles qui sont directement touchées, alors même qu’elles prennent souvent les risques les plus importants et qu’elles réalisent un travail d’innovation irremplaçable.
Il a également été rappelé l’exigence d’équilibre qui s’attache à ce projet de loi. Ma démarche se veut à la fois pédagogique, comme l’ont souligné avec beaucoup de finesse différents intervenants, et porteuse de message : la réponse graduée vaut mieux que la riposte ; la réponse doit être mesurée, adaptée aux actes commis et dissuasive. Telle est bien l’idée ! Nul n’a envie que le processus aille à son terme, à savoir la suspension de l’abonnement ; il est préférable de s’en tenir aux recommandations, voire à la lettre personnalisée, qui ne fait pas grief en elle-même.
Là où ce mécanisme a été expérimenté, il a donné d’excellents résultats. Il n’y a aucune raison qu’il en aille différemment en France. Beaucoup d’internautes n’ont pas clairement conscience de mal agir en procédant à des téléchargements illégaux massifs, parfois sans savoir précisément ce qu’ils veulent voir ou entendre. Aussi, la seule réception d’un message peut les amener à changer de comportement.
La responsabilisation de l’abonné n’est en rien une démarche incongrue. Bien sûr, les parents dont les enfants téléchargeraient pourraient être touchés. Mais il n’y a là rien d’exceptionnel. Par exemple, aux termes du code de la route, le titulaire de la carte grise peut être amené à devoir payer des amendes. Ce principe de responsabilisation, tout à fait pertinent, sous-tend le présent projet de loi.
L’ensemble sera porté par une autorité composée de juges et qui offrira toutes les garanties de confidentialité ; elle fonctionnera comme une boîte noire faisant écran entre les ayants droit et les pirates. Ce point est crucial et répond à de nombreuses objections qui ont été soulevées.
La notion d’équilibre est importante, car l’attente en matière d’offre légale est forte ; cela a été dit par tout le monde. La commission des affaires culturelles a eu pour préoccupation de créer les conditions d’un plus grand développement de l’offre légale.
Il est assez logique que le projet de loi prévoie la création d’une autorité indépendante, parce que c’est un processus que nous maîtrisons. L’offre légale, quant à elle, relève de mécanismes de marché et de processus industriels. Nous ne pouvons enjoindre par voie législative à tous les industriels de la musique et du cinéma d’utiliser des modes particuliers de production et de diffusion. En revanche, nous pouvons essayer de créer les conditions les meilleures pour les y inciter.
Durant la phase de négociations et de préparation du projet de loi, le nombre de plateformes de vidéos à la demande a doublé en l’espace d’un an, passant de 20 à 43. Voilà moins d’un an, on comptait 1 000 films disponibles ; on en compte aujourd’hui 3 200. Bien sûr, ces chiffres sont encore faibles, mais ils progressent fortement.
Parallèlement, l’offre musicale s’est elle aussi considérablement accrue. Les tarifs sont plus attractifs. Ainsi, le prix d’un morceau de musique en téléchargement est passé de 85 à 73 centimes. Actuellement, la location d’un film coûte de 1 à 5 euros et il existe de très intéressantes formules d’abonnement, au forfait, qui préservent les droits des auteurs, puisque ces derniers sont rémunérés au prorata du nombre de téléchargements. La licence globale ne permettait pas une telle rémunération.
Les choses vont très vite, puisque Universal a fait aujourd’hui une importante annonce s’agissant des DRM. Alors que nous avions prévu que les industries puissent bénéficier d’un délai d’adaptation pour leur permettre de faire progresser l’offre légale à compter de l’entrée en vigueur de la loi, les événements s’accélèrent avec la suppression des DRM. Or, comme l’a notamment rappelé Mme Morin-Dessailly, l’interopérabilité est essentielle si l’on veut que se développe l’offre légale. C’est ce qui est en train de se produire. Il n’est pas imaginable qu’une grande maison de disques supprime les DRM sans qu’elle soit suivie dans sa démarche. Cela ira sans doute assez vite.
Il faut accélérer le calendrier : tel est le sens du travail effectué par la commission des affaires culturelles. Néanmoins, je rappelle que nous sommes dans le cadre d’accords interprofessionnels.
Certains orateurs ont évoqué les exemples étrangers, notamment les cas du Canada et des États-Unis. De fait, il est très intéressant de voir ce qui se passe ailleurs.
L’amendement Bono a été évoqué ; j’ai été très sensible aux analyses qu’en ont faites les membres du groupe socialiste. Je pense que cet amendement n’a pas de portée juridique. C’est d’ailleurs l’avis de la Commission européenne, qui, par la voix de son porte-parole, a dit qu’il s’agissait d’un simple rappel, d’un principe général ne faisant nullement obstacle à la possibilité pour chaque État de se doter des meilleurs moyens possibles de lutter contre le téléchargement.
Cela étant, cet amendement crée un effet de brouillage et ouvre une possibilité de manipulation. Dans un souci de clarté, nous souhaitons donc qu’il soit retiré. Nous avons de bonnes raisons de croire qu’il le sera.
La distinction, par de nombreux intervenants, de la notion de liberté et du droit est cruciale. S’il est enrichissant et commode, voire nécessaire, d’avoir accès à internet, on peut discuter du fait qu’il s’agisse d’une liberté fondamentale, comme Mme Tasca l’a très finement souligné. En tout cas, ce serait une liberté bornée par d’autres libertés, un droit devant s’articuler avec d’autres droits.
Je le rappelle, le projet de loi vise à suspendre l’accès à internet chez soi, ce qui n’interdit nullement d’aller chez son voisin ou dans n’importe quel cybercafé pour procéder à des formalités ou aux obligations de la vie courante. Ce n’est pas comme si l’on vous privait de votre permis de conduire, auquel cas vous ne pourriez plus conduire votre voiture ni aucune autre. Ne mettons donc pas sur le même plan une liberté comme celle d’aller et venir et la liberté de naviguer sur le net.
Une autre préoccupation est également partagée par tous : l’importance de l’éducation. La démarche pédagogique doit en effet être relayée. Cette idée figurait dans la loi DADVSI, mais il faut aller plus loin en complétant le code de l’éducation voire le programme du brevet informatique et internet. C’est tout à fait dans l’esprit du texte, qui vise à créer très tôt une prise de conscience.
Ce sujet a évidemment donné lieu à des interprétations différentes. Ainsi, M. Retailleau préconise d’infliger des amendes. Je continue à penser que cette mesure créerait une inégalité et serait mal perçue par les internautes. En fait, on reviendrait aux sanctions prévues par la loi DADVSI, …
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Non !
Mme Christine Albanel, ministre. … qui prévoyait une peine de prison et des amendes.
Les amendes ne seraient certainement pas très élevées, puisque vous avez précisé qu’elles seraient graduées, monsieur le rapporteur pour avis, mais une sanction pécuniaire n’est pas de même nature qu’une interruption de l’accès à internet.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Ce ne sont pas des peines pénales !
Mme Christine Albanel, ministre. Oui, mais il y aurait forcément des inégalités selon l’état de fortune de chacun.
En ce qui concerne les offres triple play, la possibilité de couper simplement l’accès à internet avait été actée par l’ensemble des participants dans les accords de l’Élysée. Ces derniers jours, nous avons repris contact avec les fournisseurs d’accès, qui nous ont bien confirmé que les cas où le découplage est impossible sont extrêmement rares. Lorsque l’opération s’avère irréalisable, reste la possibilité à la Haute autorité de prononcer d’autres injonctions, comme celle de se doter d’un pare-feu ou de logiciels empêchant le piratage.
Pour toutes ces raisons, je continue à être réservée sur le fait d’infliger des amendes, même si cette proposition vient enrichir un débat dont l’objet est de mieux lutter contre le piratage et de défendre les auteurs par les voies les plus efficaces.
Je le répète, il n’est pas prévu de créer un fichage généralisé des réseaux. Les accords de l’Élysée prévoient, quand cela est possible, le marquage des œuvres, ce qui mettrait fin à de nombreuses difficultés.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Christine Albanel, ministre. Pour l’instant, cette technique n’est pas maîtrisée et elle aurait évidemment un coût pour les producteurs. En tout cas, c’est cette idée qui est au cœur du projet de loi, et certainement pas le fichage généralisé des réseaux.
M. Retailleau a fait une brillante description de l’accélération fantastique des techniques que nous sommes tous en train de vivre. C’est vrai que celles-ci nous dépassent sans cesse et que nous risquons toujours d’avoir un métro de retard. Pour autant, le projet de loi est suffisamment souple pour pouvoir s’adapter. À l’évidence, son objet est non pas d’éradiquer le piratage, mais de le faire diminuer massivement en créant une prise de conscience et en favorisant une offre alternative légale. Avec une diminution du piratage de 60 % à 70 %, par exemple, la situation deviendrait radicalement différente pour les industries culturelles et pour les créateurs.
Ce texte ne porte pas à lui seul toute une politique culturelle. Cela étant, en dépit des dangers du téléchargement illégal, on peut ne pas être trop mécontent de nos résultats : le cinéma ne se porte pas trop mal ; il suffit de voir la moisson de récompenses que nous avons glanées cette année.
N’oublions pas non plus que nous avons un système de soutien financier pour les œuvres cinématographiques et les œuvres audiovisuelles unique en Europe et même dans le monde. Notre offre culturelle est donc considérable.
L’ambition française pour la culture est telle que l’Europe regarde avec beaucoup d’attention ce que nous allons faire concernant le téléchargement illégal, d’autant qu’il existe d’autres expériences ailleurs. Dans une lettre très récente, Viviane Reding qualifiait même de tentatives de bonnes pratiques l’expérience anglaise, qui se déroule hors intervention étatique, et l’expérience française.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que la défense des créateurs soit une ambition à ce point partagée par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
Dépôt de projets de loi
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal et de son avenant.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 68, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire, du protocole relatif à la gestion concertée des migrations et du protocole en matière de développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 69, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
10
Dépôt de propositions de loi
M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Claude Étienne une proposition de loi relative à la création d’une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 64, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de M. Alain Fouché une proposition de loi relative à l’aide active à mourir.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 65, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
11
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de virement de crédits n° DEC 31/2008 - Section III –Commission - Budget général - Exercice 2008 (NCE).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4051 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de virement de crédits n° DEC 30/2008 – Section III – Commission – Budget général – Exercice 2008 (DNO).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4052 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de virement de crédits n° DEC 32/2008 – Section III – Commission – Budget général - Exercice 2008 (DNO).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4053 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Projet de directive de la Commission modifiant la directive 2006/87/CE du Parlement européen et du Conseil établissant les prescriptions techniques des bateaux de la navigation intérieure.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4054 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil autorisant la mise sur le marché de produits contenant du soja génétiquement modifié MON89788 (MON-89788-1), consistant en ce soja ou produits à partir de celui-ci, en application du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4055 et distribué.
12
Dépôt de rapports
M. le président. J’ai reçu de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet (n° 423, 2007 2008).
Le rapport sera imprimé sous le n° 60 et distribué.
J’ai reçu de M. Laurent Béteille un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 39, 2008-2009).
Le rapport sera imprimé sous le n° 61 et distribué.
J’ai reçu de M. Jean-Jacques Hyest un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations (n° 54, 2008 2009).
Le rapport sera imprimé sous le n° 62 et distribué.
J’ai reçu de M. Jean Faure un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale (n° 499, 2007-2008).
Le rapport sera imprimé sous le n° 66 et distribué.
13
Dépôt d'un avis
M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Patrick Courtois un avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale (n° 499, 2007 2008).
L’avis sera imprimé sous le n° 67 et distribué.
14
Dépôt d'un rapport d'information
M. le président. J’ai reçu de M. Roland du Luart un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la gestion de l’aide juridictionnelle par les caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats (CARPA).
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 63 et distribué.
15
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 30 octobre 2008 :
À dix heures :
1. Suite de la discussion du projet de loi (n° 405, 2007-2008) favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (Urgence déclarée) ;
Rapport (n° 53, 2008-2009) de M. Michel Thiollière, fait au nom de la commission des affaires culturelles.
Avis (n° 59, 2008-2009) de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques.
À quinze heures et le soir :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
Délai limite d’inscription des auteurs de questions : jeudi 30 octobre 2008, à onze heures.
3. Suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 30 octobre 2008, à zéro heure cinquante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD