M. Yves Krattinger. Nous voulons une compensation intégrale !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. … mais vous nous reprochez en même temps de procéder à une extension de compétences au lieu d’un transfert de compétences. En 2003, vous prétendez avoir été « grugés » avec le transfert de compétences mais, aujourd’hui, nous vous proposons une extension de compétences avec une clause de rendez-vous pour éviter ces inconvénients…
M. Yves Krattinger. On se fait avoir dans les deux cas !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mais, justement, nous ne cherchons pas à tromper les départements ! Nous voulons aider les uns et les autres et assurer un suivi conjoint associant les départements et l’État afin qu’une relation de confiance puisse s’établir sur ces nouvelles bases.
Troisième exemple : vous mettez en regard les 15 milliards d’euros d’allégements fiscaux du projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, qui n’auraient profité qu’aux ménages les plus aisés, et le 1,5 milliard d’euros que coûte le RSA, en affirmant que nous faisons financer ce dernier par les ménages modestes et les classes moyennes qui paieront la taxe de 1,1 %. Mais, si ceux qui paieront la taxe ont des revenus modestes ou moyens, alors ils ont bénéficié de la défiscalisation des heures supplémentaires et de la déduction des intérêts d’emprunt. Il faut donc que vous choisissiez où placer la barre !
Nous nous sommes fondés sur des notions de revenus très strictes. Je le répète, 60 % de la taxe sera payée par les 10 % de ménages qui ont les revenus les plus élevés et que nous ne considérons pas comme faisant partie des classes modestes ni des classes moyennes.
Vous affirmez que le gel de la prime pour l’emploi rognerait le pouvoir d’achat de 9 millions de personnes. Non, ce n’est pas le cas. Cela ne concerne que la moitié supérieure de ceux qui perçoivent la prime pour l’emploi, c'est-à-dire ceux qui ont les revenus les plus élevés. Ainsi, 6 euros de moins par mois de perte virtuelle permettront de réintégrer 400 millions d’euros au profit de ceux qui sont au plus bas de l’échelle de la prime pour l’emploi. Donc, il s’agit d’une redistribution entre personnes, à hauteur de 400 millions d’euros.
Je rappelle en outre que l’on peut percevoir la prime pour l’emploi lorsque l’on est à 4,7 SMIC, ce qui n’est pas tout à fait normal.
Vous vous interrogez sur la pérennité du financement. À mesure que le système fonctionnera, nous pourrons relâcher le financement ; cela me paraît être la moindre des choses.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Lorsque, dans les zones où est expérimenté le RSA, ou dans les départements qui l’expérimentent sur la totalité de leur territoire – c’est le cas de la Haute-Corse –, les conseils généraux constatent que les dépenses du RMI commencent à diminuer, ils s’en réjouissent. Cela leur permet éventuellement de réaffecter à d’autres dépenses les économies ainsi réalisées. Par conséquent, la pérennité est assurée.
Les départements ne sont pas mis en cause ; ils sont traités tout à fait loyalement de manière que cette réforme leur soit une aide.
Les personnes en difficulté verront leurs revenus régulièrement augmenter grâce au revenu de solidarité active.
Nous avons posé l’ensemble des éléments sur la table en toute transparence, afin de pouvoir en débattre. S’agissant de la part du revenu d’activité dans le calcul du revenu garanti, nous avons adopté le taux de 62 %, supérieur à celui qu’avaient retenu un certain nombre de conseils généraux n’appartenant pas forcément à la majorité, car nous avons considéré devoir garantir à ceux qui reprennent un emploi au moins 62 % des revenus.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 115, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Jarraud-Vergnolle et Le Texier, MM. Godefroy, Daudigny, Desessard, Cazeau, Krattinger et Le Menn, Mmes Printz et Chevé, MM. Lise, Gillot et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 89.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion (n° 7, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, auteur de la motion.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, une crise peut en cacher une autre.
Malgré les assurances de Mme Christine Lagarde quant à la solidité financière et bancaire de notre pays, nous voyons venir la vague à laquelle seuls les plus forts sauront survivre.
Malgré une communication habile, nous ne pouvons nous empêcher de redouter une généralisation de la crise.
Le plus grand risque est sans doute que cette crise systémique, aux conséquences graves sur l’économie, sur l’emploi, sur le pouvoir d’achat et, à terme, sur le quotidien du plus grand nombre, ne débouche sur une crise de sens sans précédent.
Comment faire avaler une pilule de 360 milliards d’euros, prescrite en quelques jours à peine, pour sauver un système qui offrait à certains – fussent-ils incompétents – parachutes dorés et boucliers injustifiables ?
M. Jean Desessard. Absolument !
Mme Raymonde Le Texier. Comment faire avaler cette pilule alors qu’il vous a fallu faire preuve de persuasion pour obtenir du « président du pouvoir d’achat » un financement du RSA à hauteur d’un malheureux milliard et demi d’euros, soit très en dessous de ce que vous aviez initialement prévu ?
C’est dans ce tumulte que nous sommes appelés à nous soucier du sort des pauvres, au pas de course, comme d’habitude.
Or l’urgence n’est pas propice à l’examen d’un tel dossier.
Malgré les conditions et le contexte, il nous appartient de concentrer notre attention sur le sujet et de prendre le temps d’examiner très scrupuleusement ce projet de loi qui fait mine d’aller dans le bon sens alors qu’il suscite de nombreuses réserves.
Parlons d’abord des expérimentations.
Le RSA est en expérimentation depuis juillet 2007, période à laquelle vous vous étiez engagé à élargir cette expérimentation sur trois ans dans trente-quatre départements avec, à la clé, un bilan approfondi s’appuyant sur des bases solides et des expériences confirmées avant la généralisation de ce dispositif.
À ce jour, certains départements n’ont mis en place le RSA que depuis mars dernier. Pour les autres, nous ne disposons que d’un bilan d’étape pour une expérimentation opérée seulement auprès de 15 000 ménages.
L’estimation de ce bilan d’étape porte le taux de retour à l’emploi des allocataires du RMI à 30 %. Ce chiffre encourageant ne suffit pas à déclencher la généralisation du dispositif, de l’aveu même du président du comité d’évaluation, M. François Bourguignon, qui déclare ceci, dans une interview au journal Le Figaro du 9 septembre 2008 : « Les premiers résultats obtenus sont encore imprécis et provisoires, et on a besoin de plus d’observations pour parvenir à une conclusion définitive. C’est pourquoi il est impossible, à ce stade, d’en extrapoler un résultat national ».
Notre système de solidarité a tant souffert de la mise en place précipitée de dispositifs successifs, aussi visibles et flatteurs politiquement que concrètement inefficients, que nous ne pouvons, monsieur le haut-commissaire, partager aveuglément votre enthousiasme, si sincère soit-il.
Qui plus est, votre argument pour arrêter les expérimentations ne nous convainc que très moyennement, quant à la maturité de votre projet de loi. Il n’est pas suffisant d’estimer que le RMI a montré ses limites depuis longtemps pour justifier de la viabilité d’un autre dispositif. Il ne suffit pas non plus qu’une réflexion autour des minima sociaux et de l’insertion soit en cours pour que cette réflexion soit pertinente. Il se peut que les fruits de cette dernière soient encore verts. Et il convient de prendre le temps de penser, distinctement du temps d’agir.
Si vous le permettez, prenons même le temps de nous souvenir de ce que disait Jean-Louis Destans, président du conseil général de l’Eure, département de la première expérimentation du RSA : « À l’issue des trois ans, nous voulions regarder comment modifier le dispositif, l’amender ou même l’abandonner si les résultats n’étaient pas là. Annoncer dès maintenant la généralisation du RSA tue le côté expérimental. Qualitativement, nous ne sommes pas du tout dans la même approche. Il ne faudrait pas, par sa généralisation, que le RSA perde toute sa valeur d’impulsion pour les bénéficiaires. Ma vraie crainte est sur l’accompagnement. Je ne veux pas perdre sur le qualitatif, qui est la vraie valeur ajoutée de notre travail, en plus du complément de rémunération, bien entendu. Je pense qu’il vaut mieux mener à terme les expérimentations pour qu’elles réussissent. »
Mais nous reviendrons plus en détail sur l’accompagnement, qui est la clé de voûte du succès d’un dispositif d’insertion.
Monsieur le haut-commissaire, au lieu d’emprunter au laborantin la sagesse qui le fait aller au bout de ses expériences avant de tirer des conclusions, vous nous faites voter dans le flou général.
Tout d’abord, le flou est artistique, avec effet de masque, pour un premier bilan chiffré qui ne prend pas en compte la notion de temps, et qui soulève de sérieuses interrogations quant à la situation des personnes les plus éloignées, voire exclues de l’emploi.
Le contexte institutionnel dans lequel ce projet de loi est proposé constitue d’ailleurs un réel problème
Je soulignerai d’abord le démarrage du pôle emploi, avec tous les problèmes de dysfonctionnements inhérents à la mise en place d’une nouvelle organisation du travail comme dans toute entreprise.
Mme Bernadette Dupont, rapporteur du projet de loi, ne déclarait-elle pas récemment ceci : « la réussite du RSA repose sur l’efficacité de l’accompagnement et sur la capacité du nouvel opérateur à soutenir des publics qu’il n’a pas eu l’occasion d’accueillir dans le passé » ?
Mme Bernadette Dupont, rapporteur. Je l’ai dit !
Mme Raymonde Le Texier. Le flou est également politique, tant les intentions sont trahies par les faits. Le RSA s’inscrit bel et bien dans une politique de précarisation culpabilisatrice, marquée par la loi relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi et la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, mais aussi par la baisse du nombre de contrats aidés. Cette politique de précarisation, renforcée par le bouclier fiscal et la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, creuse les injustices.
La réussite de ce texte dépend pourtant de la mise en œuvre d’une politique de cohérence globale en faveur des plus démunis.
Le RSA se veut un outil de lutte contre la pauvreté, mais il est à craindre qu’il ne parvienne pas à réduire les inégalités croissantes de notre société.
Enfin, le flou est total sur le financement, comme cela vient d’être dit longuement et clairement. Je n’y reviendrai donc pas.
En revanche, je citerai à nouveau Jean-Louis Destans : « Il est nécessaire que la clé de répartition des financements entre les départements et l’État soit claire et satisfaisante. Bref, qu’on ne reproduise pas les travers de la décentralisation du RMI en 2004. »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est vrai aussi pour l’allocation personnalisée d’autonomie !
Mme Raymonde Le Texier. On peut noter également que l’aide financière accordée aux caisses d’allocations familiales et à la Mutualité sociale agricole par le fonds national des solidarités actives, le FNSA, prévue dans ce projet de loi, est une première et qu’elle rompt avec le système actuel dans lequel ces organismes effectuaient leurs missions à titre gratuit.
Ce sont autant de raisons qui nous incitent à douter de la viabilité de votre bilan. Si ce dernier était moins flou, il serait plus convaincant. Malheureusement, ce bilan très approximatif est franchement peu fiable.
De surcroît, le président du conseil général du département pionnier déclarait dans le document cité plus haut : « Nous avons très vite intégré dans le RSA des personnes qui étaient relativement proches de l’emploi. Au bout de quelques mois, nous nous sommes confrontés au groupe de personnes qui ont davantage de difficultés. » Voilà encore un défaut de ce bilan qui ne tient pas compte du « noyau » le plus éloigné de l’emploi.
Les effets pervers de toute loi ne sont visibles qu’après une certaine période d’application.
Nous comprenons votre empressement. Nous ne le cautionnons pas. Trop de personnes sont concernées pour que nous légiférions dans l’urgence.
Nous avons bien sûr conscience de l’urgence dans laquelle se trouvent de nombreux foyers en situation précaire, mais il s’agit d’un mal profond qui nécessite un traitement d’envergure. Nous craignons que le RSA ne soit qu’un placebo pour ces familles. Dans un premier temps, le dispositif sera porteur d’espoir, de quoi rendre moins difficiles les fins de mois, mais sans autre horizon.
Très vite, nous vérifierons que le vrai problème de la précarité n’est pas résolu, si nous n’intégrons pas la notion du temps nécessaire à la contractualisation territoriale et à la coordination des acteurs pour simplifier les parcours et permettre une insertion durable.
Au cours du travail mené par la mission commune d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, qui a été initié par Bernard Seillier durant le premier semestre de 2008, nous avons privilégié une approche globale et transversale des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Nous avons souligné, dans nos conclusions, « la complexité excessive de la gouvernance de la lutte contre les exclusions, qui devient illisible au niveau territorial, et appelle à une nécessaire simplification ».
Je souhaite encore attirer votre attention sur deux points.
D’abord, s’agissant du problème des jeunes de moins de vingt-cinq ans, je rappellerai que le conseil d’analyse économique s’est montré favorable à l’élargissement du RSA aux jeunes travailleurs.
Le gouvernement Jospin, par l’entremise de Martine Aubry, a développé le programme TRACE, ou trajet d’accès à l’emploi, pour les jeunes sans qualification ou cumulant des difficultés psychosociales. Les résultats de ce programme ont été plus que concluants. Est-ce pour cela que le gouvernement de M. Raffarin a tout stoppé ?
Près de 30 % des jeunes sont au chômage. Les jeunes sont les premières victimes de la précarisation du marché du travail. Ils sont nombreux à travailler en intérim ou à temps partiel.
Vous proposez une expérimentation pour ce public. Nous y sommes favorables, à condition que cette expérimentation soit effective, qu’elle soit menée à son terme et ne masque pas des pratiques de recrutement à bas coûts.
Pour vous convaincre de la nécessité de revoir ce texte en commission, nous vous invitons sur un terrain que certains d’entre nous connaissent bien pour y avoir œuvré pendant de nombreuses années : je veux parler de l’insertion par le travail.
Ce texte souffre d’un manque de concertation avec les partenaires sociaux, certes consultés lors du Grenelle de l’insertion, mais que vous avez omis d’associer dans l’élaboration de ce projet de loi. (M. le haut-commissaire manifeste son étonnement.) Or si, dans l’intention, la loi reste fidèle aux conclusions du Grenelle, ses dispositions et mesures d’application s’en éloignent dangereusement.
Ce texte ne tient pas compte des freins à la reprise du travail. Il les ignore. Pis, il les méconnaît.
« Nul n’est inemployable » ; c’est selon vous, monsieur le haut-commissaire, le septième des principes fondateurs de la loi que vous avez exposés devant l'Assemblée nationale le 25 septembre dernier. Il faut tenir compte des spécificités de chacun face au travail, mettre en œuvre toutes les dispositions nécessaires à la reprise du travail en fonction des difficultés de chacun, et se donner le temps de leur effectivité. Dans sa mouture actuelle, le RSA ne garantit aucun dispositif d’accompagnement fiable pour ces populations.
Lancée par les travailleurs sociaux à la fin des années soixante-dix, mus par la volonté de changer les approches professionnelles dans le champ du travail social et, notamment, de dépasser les limites de l’assistanat, l’insertion par l’activité économique s’est développée pour répondre à la montée massive de l’exclusion sociale et économique.
En 1974, un an avant que la France ne franchisse pour la première fois le cap du million de chômeurs, René Lenoir, dans son livre Les exclus, nommait déjà « les oubliés de la croissance ». Depuis maintenant plus de trente ans, initiatives publiques et expériences privées se sont multipliées pour insérer professionnellement des personnes rencontrant des difficultés particulières d’accès à l’emploi. C’est le cas du secteur de l’insertion par l’activité économique, qui intervient pour redonner une place dans le monde du travail à ceux qui en sont exclus, au travers d’activités économiques multiples.
Ce sont d’ailleurs les premières communautés d’Emmaüs, qui, au début des années cinquante, inventent le concept d’activité qui permet de retrouver une dignité. Ces initiatives de terrain vont se multiplier et se structurer. Dans son rapport au ministre de la solidarité et au ministre du travail, intitulé Les structures d’insertion par l’économique et publié en 1990, Claude Alphandéry notait ceci : « l’insertion par l’activité économique est un moyen éprouvé de lutte contre l’exclusion ». Il ajoutait : « Il faut donner [une] chance [aux exclus] de se prendre en charge, de se rendre utiles, de retrouver leur dignité par un travail autonome et responsable réalisé sur un marché ouvert qui leur permet de mesurer leurs capacités ». Il précisait également que l’insertion par l’activité économique procure une forme d’emploi, des ressources et « évite une destruction plus grave encore des conditions de vie et des capacités des personnes concernées ».
Ancrées territorialement, partenariales par nécessité, les structures d’insertion par l’économique jouent un rôle primordial dans leur fonction de tremplin, d’acquisition de savoir-faire et de savoir-être professionnels, essentiels dans tout itinéraire d’insertion.
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. Elles résistent face à l’idée d’inemployabilité de certaines personnes rencontrant de grandes difficultés ou à celle d’un chômage structurel qui toucherait les bénéficiaires du RMI.
M. Jean Desessard. Bien analysé !
Mme Raymonde Le Texier. La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 consacre un volet propre à l’insertion par l’activité économique. Elle a l’ambition de clarifier ses missions et de lui donner une définition unique. Elle reconnaît également trois catégories dans le champ de l’insertion par l’activité économique : celles qui relèvent du secteur marchand et produisent des biens et des services en vue de leur commercialisation, telles les associations intermédiaires, les entreprises d’insertion, et les entreprises de travail temporaire d’insertion ; celles qui mettent en œuvre une activité d’utilité sociale, à l’instar des régies de quartier ou des CAVA ; celles dont l’activité est mixte, à l’image des chantiers école.
En 2006, plus d’un million de personnes étaient accueillies dans le cadre de l’insertion par l’activité économique, mais seulement 207 400 étaient salariées du secteur marchand de l’insertion par l’activité économique, dernier tremplin vers l’insertion durable.
Même si le RSA est reconnu par l’ensemble des acteurs du secteur de l’insertion par l’activité économique, cette loi n’atteindra ses objectifs en matière de lutte contre la précarité et de retour à l’emploi qu’à une double condition : d’une part, pourvoir des moyens pour mettre en œuvre un réel accompagnement de ses bénéficiaires, d’autre part, coordonner cet accompagnement avec les autres services d’insertion du département.
Nous devons d’ailleurs nous féliciter de l’adoption par l'Assemblée nationale de l’article 9 bis qui, au travers des groupes économiques solidaires, structure les parcours d’insertion en assurant une complémentarité des actions à entreprendre sur un territoire.
Au final, nous nous interrogeons sur les contrats spécifiques de l’insertion par l’activité économique, qui s’éloignent de plus en plus du droit commun. Pourquoi prévoir une durée minimale susceptible d’être pénalisante dans un parcours ?
Le glissement juridique de ce contrat de travail – temps minimum de six mois et durée hebdomadaire de vingt heures – introduit une dérogation au droit commun. Cette disposition est antinomique avec les conclusions du Grenelle de l’insertion. L’effet induit conduit à limiter les embauches de personnes en difficulté. Cela va priver les entreprises d’insertion de la possibilité d’embaucher sur des contrats très courts des jeunes de moins de vingt-six ans, privés par ailleurs du dispositif du RSA. Ces contrats permettaient de découvrir les métiers et étaient organisés en concertation avec les missions locales.
L’insertion par l’activité économique a démontré toute sa pertinence, et ce à moindre coût.
Claude Alphandéry, dans le rapport précité, a évalué les coûts évités pendant le passage en structure d’insertion. En fonction des difficultés des personnes, ces coûts évités étaient de l’ordre de 1 400 euros à 30 260 euros par an et par personne, montants récemment validés par lui-même.
C’est donc au travers de ce projet de loi que peut se développer une offre équilibrée d’insertion sur un territoire. La réforme de l’insertion par l’activité économique est nécessaire, mais elle peut être déstabilisante et contre-productive si elle est menée dans la précipitation.
Il serait socialement dangereux de réduire les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion à des objectifs exclusivement quantitatifs et à court terme.
Pour ces diverses raisons, nous demandons un renvoi du projet de loi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Bernadette Dupont, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines, je me suis attelée avec conscience et détermination à l’étude du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
J’ai eu l’occasion d’auditionner de nombreuses associations, des personnalités qualifiées, l’ensemble des organisations syndicales salariées et patronales, l’Union des centres communaux d’action sociale, et l’Assemblée des départements de France. Les membres de la commission des affaires sociales ont été informés de ce calendrier et invités à participer à ces réunions préparatoires s’ils le souhaitaient. Je ne peux donc imaginer que le Gouvernement n’ait engagé aucune concertation avec les organisations syndicales.
J’ai également effectué un déplacement en Côte-d’Or, département expérimental du RSA, afin de prendre la mesure de la réalité du terrain, notamment pour la mise en œuvre du contrat unique d’insertion.
Si ce texte a été effectivement déclaré d’urgence, il a cependant été préparé et concerté selon une démarche très innovante choisie par Martin Hirsch, celle du Grenelle de l’insertion. Tous les acteurs ont pu présenter leurs propositions ou objections et répondre aux questions posées par le Livre vert. Un certain nombre de ces conclusions ont d’ailleurs été reprises dans le projet de loi.
Enfin, et ceux d’entre vous qui sont élus dans les conseils généraux volontaires en la matière le savent bien, l’expérimentation a permis d’appréhender les modalités concrètes de mise en œuvre du RSA, d’éviter certains écueils et de surmonter les obstacles éventuels.
J’ajoute que la commission des affaires sociales, familiarisée à ces questions, a déposé des amendements propres à améliorer le dispositif qui nous est présenté. Ce dernier est certainement perfectible ; l’évaluation qui doit en être faite chaque année permettra, le cas échéant, des ajustements.
Pour ces motifs, mes chers collègues, la commission n’a pas jugé utile de procéder à un nouvel examen de ce texte et a émis un avis défavorable à cette motion tendant au renvoi à la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Madame la sénatrice, les intentions qui sont les miennes dans ce texte ne révèlent aucune logique culpabilisatrice. Bien au contraire, j’ai parfois l’impression d’être victime d’une grande culpabilisation lorsque j’entends que le RSA entretiendrait la précarité, ce qui n’est ni notre but – bien évidemment – ni la réalité de ce texte.
Pour motiver votre demande de renvoi à la commission, vous nous avez reproché d’avoir agi dans la précipitation et de n’avoir pas mené suffisamment d’expérimentations. Il me semble que, au contraire, il arrive rarement qu’un texte à caractère social soit présenté devant le Parlement accompagné d’autant de données accumulées en grandeur réelle, d’autant de moyens mis dans l’évaluation, d’autant d’enquêtes menées et d’autant d’implication des personnes concernées et des différents acteurs. Certes, on peut toujours faire plus, mais il y a un moment où il faut passer à l’acte.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. De plus, vous avez axé votre demande de renvoi à la commission sur le seul objectif du taux de retour à l’emploi. Mais, avec cette réforme, le Gouvernement cherche à atteindre trois objectifs.
Le premier, c’est de simplifier : tout le monde en conviendra, le dispositif sera simplificateur. (M. Jean Desessard s’exclame.)
Le deuxième, c’est de réduire la pauvreté et d’augmenter les revenus des plus pauvres : je n’ai pas besoin de continuer l’expérimentation pendant deux, trois, ou quatre ans pour pouvoir affirmer que le revenu de ces personnes augmentera effectivement.
Le troisième, c’est le retour à l’emploi, qui est bien une réalité. Je vous l’ai dit, il y a 95 % de chances que ce ne soit pas le fruit du hasard.
Les deux premiers objectifs, qui sont déjà extrêmement importants, justifieraient à eux seuls la redistribution de 1,5 milliard d’euros vers les personnes les plus modestes.
Il était donc temps de passer de l’expérimentation à la généralisation, d’autant que le dispositif proposé n’est pas figé : c’est un système que nous pourrons faire évoluer, pour lequel des rendez-vous sont d’ores et déjà prévus, et qui est justement conçu de façon à ne pas poser de critères juridiques tels que nous soyons coincés et empêchés d’y toucher pendant plusieurs années.
Madame Le Texier, vous nous avez ensuite reproché un manque de concertation des partenaires sociaux. Permettez-moi de vous faire remarquer que nous les avons associés avant d’élaborer au printemps un Livre vert qui leur a permis de répondre, ce qu’ils ont fait. Le 9 juillet dernier, nous avons organisé une conférence de concertation à laquelle tous les partenaires sociaux étaient présents. Nous avons consulté le Conseil supérieur de l’emploi sur le projet de loi – il n’y a pas eu une seule voix défavorable des partenaires sociaux appelés à se prononcer – et le conseil d’administration de la CNAF – dix-sept administrateurs ont voté pour, trois ont voté contre et quelques-uns se sont abstenus.
Afin que nous puissions tenir compte de leur avis, il nous a paru important de consulter les partenaires sociaux aux différents stades de l’élaboration de ce projet de loi, et pas simplement au moment des étapes préalables.
Enfin, la séance de travail au sein de la commission des affaires sociales du Sénat a été tout à fait remarquable. Je suis sorti épuisé de mon audition au cours de laquelle vous m’avez posé des questions nombreuses, intéressantes et exigeantes ! J’ai essayé d’y répondre le mieux possible afin de bien préparer ce débat.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement n’est pas favorable à cette motion tendant au renvoi à la commission.