M. Guy Fischer. C’est la vérité !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Dans la réflexion que nous avons menée sur la question des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, y compris avec les organisations syndicales et les organisations de jeunes, aucun consensus ne s’est dégagé sur la question de savoir si le dispositif devait être appliqué aux jeunes âgés de plus de vingt-cinq ans n’ayant pas d’enfant à charge.
La situation de ces jeunes, coincés entre différentes politiques publiques, est extrêmement difficile. Pour y remédier, nous vous proposerons une démarche voisine de celle que nous avions appliquée aux familles, voilà trois ans et demi, et qui avait débouché, avec le consensus de tous les acteurs, sur une quinzaine de propositions intéressantes, dont, notamment, la réduction de la pauvreté et l’instauration d’un revenu de solidarité active. Il faut avoir la même approche en ce qui concerne les jeunes et élaborer des programmes expérimentaux permettant d’améliorer leur situation.
Puis, vous avez évoqué les caisses d’allocations familiales, en soulignant que leur réseau sera en première ligne et qu’elles auront besoin de moyens. J’ai indiqué au conseil d'administration de la caisse nationale d’allocations familiales, la CNAF, que j’étais en mesure de mettre à sa disposition une enveloppe supplémentaire pouvant aller jusqu’à 100 millions d'euros afin de permettre de supporter le déploiement du revenu de solidarité active dans les CAF.
Vous le voyez, nous essayons d’élaborer une réforme qui marche, et non pas une réforme qui dérange, qui paralyse, qui bloque. Vous aurez donc satisfaction sur ce point. En effet, il me paraît tout à fait normal de tenir compte de l’alourdissement de la charge de travail, lié au dispositif du RSA, pour le réseau des caisses d’allocations familiales.
Vous m’avez demandé si je comptais démissionner au vu du budget dont je dispose. Dans mes déclarations, que vous pouvez reprendre, j’ai dit que le revenu de solidarité active nécessitait la mobilisation d’une somme se situant dans une fourchette comprise entre 2 et 3 milliards d'euros.
La contribution sur les revenus du capital doit nous apporter 1,5 milliard d'euros. À cela s’ajoutent les 500 millions d’euros du fonds de mobilisation départementale pour l’insertion qui a été reconduit. L’indexation de la prime pour l’emploi permet d’orienter 400 millions d'euros supplémentaires vers les revenus modestes. Nous en sommes donc à 2,4 milliards d'euros. Mais mon sort importe peu dans l’affaire ! C’est celui des plus pauvres qui me préoccupe. Si ces derniers peuvent bénéficier d’une redistribution se situant dans cet ordre de grandeur, tant mieux ! Mais pour cela, il ne faut pas que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité soit votée.
Vous avez cité les dixième et onzième alinéas du préambule de la constitution de 1946.
Pour ma part, je considère qu’il y a violation des principes constitutionnels lorsque certaines personnes ne gagnent pas d’argent et sont taxées à 100 % quand elles reprennent un travail, lorsque certains peuvent échapper complètement aux contributions grâce aux niches fiscales et, enfin, lorsque la dignité n’est pas assurée.
Enfin, je m’inscris en faux contre une vision selon laquelle il faudrait faire un tri entre pauvres méritants et non méritants. Simplement, je ne suis pas schizophrène ! Les associations auxquelles j’ai appartenu n’avaient qu’une seule parole : il s’agissait de faire en sorte que les gens puissent se tenir debout à nouveau et vivre dignement de leur travail, sans être lâchés par la solidarité nationale. Il ne s’agit pas là d’une formule. C’est une quête permanente.
D'ailleurs, au-delà des indicateurs de pauvreté qui sont fondamentalement importants, le juge de paix de l’efficacité du revenu de solidarité active sera la proportion de personnes d’âge actif tirant la majorité de leurs revenus de leur travail : ce nombre augmentera-t-il ou non ? C’est sur ce point, ainsi que sur la réduction de la pauvreté, qu’il peut y avoir consensus de la demande.
Que les revenus soient ensuite complétés par des aides au logement, des prestations familiales, une prime pour l’emploi, un revenu de solidarité active, cela me paraît normal. Mais il faut faire en sorte d’éviter la logique du tout ou rien : soit vous avez des revenus du travail et vous vous en sortez, soit vous dépendez des prestations sociales. Il faut envisager un panachage entre les deux situations.
Il n’y a pas de vraie divergence entre nous. Nous aspirons tous à ce que chacun dans la société ait un emploi bien rémunéré, intéressant, qui permette de s’en sortir vraiment.
La question qui me taraude est de savoir comment organiser la transition de façon à ne pas faire chuter les gens qui sont déjà sur la pente et à faire remonter ceux qui le peuvent, par marches intermédiaires. C’est toute l’ambition de ce projet de loi. D’où l’importance des indicateurs, des systèmes de suivi, du rôle respectivement du Parlement lors des rendez-vous annuels, des partenaires sociaux pour le suivi, des comités de pilotage mis en place par les départements, y compris avec les personnes concernées.
Vous ne pouvez pas nier que, parmi les principes forts de notre droit figure le fait de donner la parole à ceux qui ont le plus de difficultés. Vous ne pouvez pas nier que nous avons associé très utilement nombre d’allocataires du RMI aux programmes expérimentaux et aux groupes de travail. Un certain nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que président ou vice-président de conseil général, ont vu ces groupes fonctionner.
Le projet de loi prévoit leur association obligatoire aux différentes instances, y compris à celles du service public de l’emploi. J’indique d’ailleurs que ce dernier aura pour la première fois un médiateur chargé des relations entre les usagers et les agents du pôle emploi.
Je vous trouve donc injuste dans les jugements que vous portez.
Si le Sénat adoptait cette motion et si ce texte n’allait pas jusqu’à son terme, quelle serait la solution de remplacement ? Ce serait le statu quo ! Ce seraient 447 euros dont on déduit les revenus du travail ; ce seraient des chômeurs reprenant un emploi avec les contrats aidés et n’ayant pas droit à l’intéressement ; ce serait des travailleurs pauvres et des salariés modestes sans complément de revenu ; ce serait une situation beaucoup plus difficile.
Je ne me sens vraiment pas en mesure d’annoncer aux 3,5 millions de personnes qui pourraient bénéficier de revenus complétés par le RSA que, compte tenu de l’adoption de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, elles n’y auront pas droit ! Je vous demande donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de ne pas adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. M. le haut-commissaire a souligné que le nombre de travailleurs pauvres a progressé de plus de 20 % sur les trois dernières années.
Il a également évoqué les quinze propositions de la conférence de la famille de 2005 consacrée aux moyens de lutte contre la pauvreté. Ce que nous récusons, c’est que vous ne traitiez que d’un problème parmi les quinze propositions de la conférence de la famille.
Nous savons tous que la pauvreté et l’exclusion doivent être combattues globalement.
Par ailleurs, la Caisse nationale des allocations familiales et les caisses d’allocations familiales sont sous la contrainte de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, c'est-à-dire d’une convention d’objectifs et de moyens qui a déjà entraîné la perte de 4 000 emplois au cours des trois dernières années. Or, pour que ces caisses puissent véritablement se tenir à la disposition des futurs bénéficiaires du RSA, il faudrait créer 2 000 emplois.
Juste avant la suspension de séance, monsieur le haut-commissaire, vous avez justifié la non-augmentation des minima sociaux par le fait qu’une telle augmentation rendrait financièrement moins intéressante la reprise d’une activité professionnelle. C’est votre logique et votre philosophie.
Cela vous surprendra peut-être, mais je dirai que vous avez presque raison. Cependant, vous ne dites qu’une partie de la vérité ! En effet, Mme Isabelle Pasquet a signalé tout à l’heure que nous assistons depuis quelques années, plus particulièrement depuis dix-huit mois avec M. Sarkozy, à un détricotage du pacte social : nous en sommes très inquiets.
Si, en augmentant aujourd'hui l’aide sociale, la reprise d’activité n’est pas rémunératrice dès la première heure, c’est, d’une part, qu’il s’agit trop souvent de temps partiel et, d’autre part, que les salaires sont très faibles.
Une théorie est en train de se mettre en place, qui récuse le SMIC comme norme sur laquelle s’appuyer. Je sais que le Gouvernement prépare une conférence qui se tiendra au début du mois de novembre et qui proposera comme référence le RSA en remplacement du SMIC.
M. Guy Fischer. Si, monsieur le haut-commissaire, et je vous réserve demain la primeur de mes informations !
C’est pourquoi le groupe CRC a déposé un amendement, rejeté par la commission des finances sur le fondement de l’article 40 de la Constitution, qui visait à prévoir l’augmentation des minima sociaux et du SMIC.
Aujourd'hui, le débat est extrêmement sérieux. Il en va de la dignité des pauvres et de tous ceux qui sont exclus, et du respect que nous leur portons. Nous avons d’ailleurs travaillé ensemble pour monter à Vénissieux l’un des plus grands centres Emmaüs de France, que nous avons inauguré avec l’Abbé Pierre.
M. Guy Fischer. Le groupe communiste républicain et citoyen a la volonté de conduire une véritable politique sociale. Or votre projet de loi ne le permet pas, et je tenais à le souligner en ce début de débat.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 283, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 19 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 165 |
Pour l’adoption | 138 |
Contre | 190 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Krattinger, Mmes Bricq, Le Texier et Jarraud-Vergnolle, MM. Godefroy, Daudigny, Desessard, Cazeau et Le Menn, Mmes Printz et Chevé, MM. Lise, Gillot et Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°115.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion (7, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Yves Krattinger, auteur de la motion.
M. Yves Krattinger. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, les signataires de la présente motion estiment que ce projet de loi recèle des dispositions beaucoup trop contestables, en particulier concernant le financement, pour pouvoir poursuivre fructueusement notre débat.
La généralisation du revenu de solidarité active et la réforme des politiques d’insertion partent d’un constat qui pourrait être partagé : la situation d’exclusion qui frappe plus de 7 millions de Français vivant avec moins de 650 euros par mois est très grave.
Il faut donc aujourd’hui combattre la pauvreté avec des mécanismes volontaristes et renforcer les dispositifs de retour à l’emploi.
Il est effectivement nécessaire de réviser les différents minima sociaux, d’en simplifier les dispositifs, de les unifier et de les adosser à un accompagnement efficace.
Vingt ans après la création du RMI, une nouvelle étape s’avère nécessaire. Un autre revenu de solidarité active figurait d’ailleurs dans notre programme en 2007.
Malheureusement, le dispositif que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le haut-commissaire, a élevé nos craintes encore plus haut que nos attentes !
Les modalités de financement du RSA, injustes et d’ailleurs intensément critiquées dans votre majorité, ainsi que les très faibles compensations financières apportées aux départements ne permettent pas d’engager sereinement un débat de fond à la hauteur de l’urgence sociale à laquelle nous souhaitons remédier.
Le coût net de votre dispositif a été ramené à 1,5 milliard d’euros. C’est une somme insuffisante, vous le savez, monsieur le haut-commissaire, que le Gouvernement peine cependant à trouver, ne disposant désormais d’aucune marge financière.
Vous avez d’abord tenté, sans succès, de remettre en cause la prime pour l’emploi. Ensuite, vous avez décidé de réduire de 70 % à 62 % la part du revenu d’activité dans le calcul du revenu garanti, de créer une nouvelle taxe et de supprimer l’indexation de la prime pour l’emploi en 2009.
Le gel de l’indexation du barème de la prime pour l’emploi vous permettra de réaliser l’année prochaine près de 400 millions d’euros d’économies, mais vous les réaliserez en rognant sur le pouvoir d’achat des 9 millions de salariés qui bénéficient de cette prime.
M. Guy Fischer. Et voilà !
M. Yves Krattinger. Cette décision paraît d’autant plus injuste que le Gouvernement a récemment décidé d’indexer automatiquement les seuils et les barèmes de l’impôt de solidarité sur la fortune !
Par ailleurs, l’article 6 du projet de loi vise à supprimer la possibilité de paiement de la prime pour l’emploi par acomptes ou par versements mensuels, y compris à des personnes qui ne relèveront pas du RSA. Permettez-moi de vous interroger sur les raisons et la légitimité de la mise en place d’un tel dispositif dans le cadre de ce projet de loi.
J’en viens à la création d’une taxe additionnelle de 1,1 % sur les revenus du patrimoine et les produits de placements, destinée à alimenter le fonds national de solidarité active. Monsieur le haut-commissaire, 2,2 millions de Français, souvent assez modestes, perçoivent des revenus locatifs, et, sur les 12 millions de titulaires d’un contrat d’assurance vie, 40 % sont des ménages classés « ouvriers » et 38 % des ménages classés « employés ».
Financer principalement le RSA par la taxation de l’épargne populaire, souvent constituée en vue de compléter la pension de retraite, relève donc d’un choix difficilement compréhensible de la part d’un président de la République autoproclamé « président du pouvoir d’achat ».
M. Guy Fischer. Mensonge !
M. Yves Krattinger. Il s’était engagé devant les Français à réduire le taux des prélèvements obligatoires de quatre points en cinq ans ; où en sommes-nous de cette promesse ?
Vous proposez aujourd’hui d’aider les personnes dont la situation est particulièrement précaire en prélevant principalement sur les revenus des gens modestes. Comment pourrions-nous voter en faveur d’une nouvelle taxation des classes moyennes pour trouver 1,5 milliard d’euros, quand 15 milliards ont été distribués en juillet 2007 lors de l’adoption du paquet fiscal ?
M. Jean Desessard. Quinze milliards…
M. Yves Krattinger. Cela relève de la provocation !
Cette option est d’autant plus injuste que les contribuables les plus aisés seront exemptés par l’intégration de cette taxe dans le bouclier fiscal, abaissé à 50 % en juillet dernier !
M. Guy Fischer. C’est incroyable !
M. Yves Krattinger. Le coût de cette exonération est estimé à 40 millions d’euros, alors que le remboursement moyen s’élève déjà à 84 700 euros pour chacun de ces contribuables, soit 400 fois les 200 euros supplémentaires mensuels que devrait procurer le RSA à ses allocataires !
Les quelques économies supplémentaires réalisées grâce à la suppression du dégrèvement d’office de la taxe d’habitation et de la redevance audiovisuelle dont bénéficiaient jusqu’alors les allocataires du RMI ne pourront nous rapprocher davantage !
Monsieur le haut-commissaire, la décision de soustraire ainsi les Français les plus aisés à l’effort de financement de la solidarité nationale est en rupture totale avec les principes essentiels qui fondent notre « vivre ensemble » ! Dans le contexte de crise financière, économique et sociale qui se profile pour les prochains mois et peut-être pour plus longtemps, il est impensable que les plus riches soient dispensés de cet effort.
Face à la forte montée des critiques, M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique s’est engagé à débattre d’un plafonnement global des niches fiscales lors du prochain débat budgétaire. Pour l’heure, le gain espéré est insuffisant : environ 250 millions d’euros, soit un sixième du besoin de financement redimensionné ! Nous voyons plutôt dans ce plafonnement une parade politique visant à mettre un terme à la polémique sur le bouclier fiscal, mais il ne répond pas, sur le fond, à la question importante du financement du RSA.
Permettez-moi, par ailleurs, de vous interroger sur la pérennité de la recette apportée par la taxe que vous voulez instaurer. Dans son discours prononcé à Toulon, le Président de la République a affirmé que la taxe sur les revenus du capital sera diminuée au fur et à mesure que le RSA aura permis à ses allocataires de retrouver des postes suffisamment rémunérés. Un amendement à l’article 2 a d’ailleurs été adopté en ce sens par l’Assemblée nationale.
Si une telle évolution se produit, elle sera appréciée par tous mais, dans le cas contraire – et la crise qui se profile n’annonce rien de bon –, aucun dispositif conduisant à un accroissement de la ressource n’est envisagé au cas où il s’avérerait nécessaire. Nous pouvons en déduire que les conseils généraux paieront à la place de l’État. Mais avec quelles ressources ?
Ce débat autour du financement nous invite à rappeler que les différents dispositifs de solidarité individuelle, dont la création, les montants et les conditions de mise en œuvre sont fixés nationalement, devraient être totalement financés par la solidarité nationale, leur application étant assurée à l’échelon local, plus efficace et réactif.
J’en viens enfin aux maigres garanties accordées par ce projet de loi aux départements en matière de compensations financières.
En 2003, le législateur avait considéré le transfert aux départements de la charge de l’allocation du RMI comme un transfert de compétence, faisant ainsi naturellement jouer la garantie posée par l’article 72-2 de la Constitution. Les départements, par ailleurs, étaient déjà compétents pour l’insertion sociale et professionnelle des publics concernés.
Aujourd’hui, contrairement à 2003, le Gouvernement a décidé, à l’article 3 du projet de loi, de considérer comme une extension de compétence l’intégration dans le nouveau dispositif des personnes relevant de l’allocation de parent isolé. En privilégiant l’extension et non le transfert de compétences, vous n’offrez aux départements aucune garantie constitutionnelle en termes de compensations financières, puisque l’extension de compétences n’est accompagnée que de ressources déterminées par la loi : en fait, c’est la loi de finances de chaque année qui déterminera le niveau de la compensation apportée.
Certes, quelques amendements à l’article 3, adoptés par les députés, ont essayé de lever certaines ambiguïtés autour de la contribution des départements au financement du RSA, mais rien n’est définitivement assuré. Vous nous permettrez ainsi de douter de la sincérité de l’engagement du Gouvernement à assurer dans le long terme le financement de ce transfert. C’est ce que nous décelons derrière cette décision si lourde de risques pour les conseils généraux.
Vous nous assurez, monsieur le haut-commissaire, que le système du RSA sera vertueux et coûtera de moins en moins cher, mais la réalité constatée peut aussi être différente, comme nous l’avons appris au fil des transferts.
En effet, la ressource affectée pourrait progressivement diminuer, à partir de l’exercice 2010, passant en dessous du coût supporté par l’État au titre de l’API en 2008. Les recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers évoluant à la baisse de façon assez constante, la compensation des transferts de charges posera de gros problèmes dans les prochaines années.
Les craintes des conseils généraux sont d’autant plus légitimes que l’évaluation budgétaire de l’API fait l’objet depuis de nombreuses années de sous-estimations chroniques de la part du Gouvernement. Par exemple, en 2007, 909 millions d’euros ont été budgétés alors que 1 090 millions d’euros ont été dépensés. De plus, de 2006 à 2008, le budget de l’API a augmenté de 20 %, dépassant cette année un milliard d’euros. Le nombre de ses allocataires a fait un bond de 22 % depuis 2003. Cette évolution va-t-elle continuer ? Et si tel est le cas, qui va payer ?
Dans le contexte actuel de crise financière et économique, les départements seront une fois de plus contraints de compenser les transferts financiers insuffisants de l’État ! Ce n’est pas acceptable !
Monsieur le haut-commissaire, les conseils généraux ont toujours en mémoire l’expérience coûteuse en matière de gestion du RMI et l’insuffisance du financement de l’État. Celui-ci acceptera-t-il – mais vous ne répondrez pas, bien sûr ! – de leur rembourser les 2 milliards d’euros cumulés dus au titre de ce transfert ?
Nous avons d’ores et déjà relevé un autre facteur de dérapage concernant le droit à compensation de l’extension de compétence au titre du RSA. En effet, vous l’estimez provisoirement à 322 millions d’euros en 2009 et à 644 millions d’euros en année pleine à compter de 2010. Pourquoi la compensation pour 2009 ne prend-elle en compte que la moitié des dépenses de l’année 2008, alors que le RSA sera mis en œuvre à compter du 1er juin 2009, soit une durée de sept mois pour l’année prochaine ? Dans le même temps, le projet de loi finances pour 2009 ne prévoit le financement de l’API que jusqu’au 1er juin, date de la généralisation du RSA, et la somme est insuffisante compte tenu des dernières évolutions. Qui assumera la charge financière de la mise en place du RSA pour le mois de juin ?
Monsieur le haut-commissaire, ces sollicitations répétées des budgets départementaux ne sont pas acceptables dans le contexte actuel de récession économique, qui entraîne une baisse de nos recettes – tout particulièrement des droits de mutation –, et du fait de la glaciation des dotations de l’État aux collectivités.
Voilà autant de préalables à la mise en œuvre de ce dispositif qui, par-delà la diversité de nos opinions politiques, devraient nous conduire, mes chers collègues, à prendre un temps de réflexion supplémentaire avant de voter un projet de loi dont les modalités de financement ne sont, à ce jour, ni justes ni pérennes, n’offrant aucune garantie sérieuse à ceux qui devront mettre en œuvre la loi, à savoir les départements.
À travers ce projet de loi, le Gouvernement semble prendre acte, et cela pour la première fois, du fait qu’un nombre très significatif de nos concitoyens ne pourra accéder à un emploi normalement rémunéré par le marché.
En n’introduisant dans ce texte aucun dispositif de dégressivité des aides, en ne liant pas le versement de l’aide à l’emploi à un accompagnement social, à une tutorisation en entreprise, à une formation, le texte du Gouvernement n’ouvre pas beaucoup de perspectives et prend le risque d’installer durablement dans le dispositif un nombre croissant de nos concitoyens.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Yves Krattinger. Il prend le risque de pérenniser un nouveau type de contrat de travail à temps partiel complété financièrement par les départements, avec des conséquences financières qui s’avéreront désastreuses pour ces collectivités, au point que les conseils généraux seront probablement demandeurs, à très court terme, d’un bouclier anti-transfert de charges !
Monsieur le haut-commissaire, ce projet de loi suscite trop d’incertitudes et d’injustices pour permettre un débat de qualité et recueillir en l’état l’assentiment du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Bernadette Dupont, rapporteur. Vous affirmez, mon cher collègue, qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur ce texte en raison des modalités qu’il propose pour le financement du RSA.
Vous évoquez tout d’abord le risque que ces modalités n’entravent la mise en œuvre du RSA. Ce faisant, je constate que vous en admettez le principe et que vous êtes donc favorable à la généralisation du RSA, ce dont je ne peux que me réjouir !
Ensuite, vous faites part de vos réserves sur la création du fonds national des solidarités actives. Or celui-ci garantit, me semble-t-il, la transparence de la participation de l’État au financement du dispositif et assure un équilibre entre dépenses et recettes.
Enfin, vous exprimez votre inquiétude sur les modalités de compensation des nouvelles charges transférées aux départements. L’Assemblée nationale a cependant adopté des amendements à ce sujet qui apportent, à mon sens, des garanties aux départements. Je pense que nous aurons néanmoins un débat sur ces questions lors de l’examen de l’article 3, débat que je souhaite constructif et facteur d’améliorations. J’estime, pour ma part, que nous ne pouvons priver notre assemblée d’une telle discussion, pas plus que les populations en difficulté qui risqueraient de ne jamais voir naître le RSA.
Aussi comprendrez-vous, mon cher collègue, que la commission ait rendu un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le Gouvernement ne partage pas l’avis de M. Krattinger.
Monsieur le sénateur, vous avez terminé en invoquant la nécessité d’un débat de qualité. Les dernières heures prouvent qu’un tel débat est possible sur ce sujet. Bien évidemment, on peut toujours émettre des critiques ; mais celles-ci gagneraient à une argumentation rigoureuse.
M. Yves Krattinger. Nous avons l’habitude de la rigueur des chiffres !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je m’explique avec un premier exemple : vous avez évoqué le problème du financement du RSA en 2009 en fonction de sa date d’entrée en vigueur, laissant entendre que les dépenses du mois de juin ne seraient pas couvertes.
Le revenu de solidarité active sera versé à partir du 1er juillet 2009, en étant calculé sur les revenus de juin : son coût s’élèvera donc à la moitié du coût prévu en année pleine. Nous l’avons calculé ainsi, ouvertement, après discussion avec l’Assemblée des départements de France, qui a été associée à toutes les discussions financières : vous ne pouvez pas citer un seul chiffre ou une seule donnée que nous aurions contesté, un seul rendez-vous que nous aurions refusé sur ces questions !
Deuxième exemple : vous critiquez les modalités des transferts de compétences intervenus en 2003,…