M. Paul Blanc. Ah ! Tout de même !
M. Guy Fischer. L’ouverture de ce chantier, issue d’une longue histoire avec l’abbé Pierre, nous vous la devons, monsieur le haut-commissaire.
La pauvreté et l’exclusion en France ne devraient plus exister. Utopie, me dira-t-on ! Nous partageons intensément cet objectif et le comble, pour notre société moderne industrielle et riche, serait de ne pas parvenir à l’atteindre.
La mission commune d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, dont j’étais membre, relève, dans son rapport, une aggravation de la pauvreté, indiquant que pas moins de 7 millions de travailleurs pauvres sont recensés. Pour ma part, j’affirme que 15 millions de nos concitoyens sont confrontés à de très graves difficultés.
Permettez-moi de vous livrer nos principales convictions.
Le revenu de solidarité active engendrera-t-il une forte augmentation du nombre de salariés ne parvenant pas à sortir réellement de la pauvreté et de l’exclusion ? Non, nous direz-vous sûrement ! (M. le haut-commissaire acquiesce.) Nous ne demandons qu’à le croire !
Ce dispositif favorisera-t-il la reprise d’activité pour une catégorie de nos concitoyens relativement proche de l’emploi, alors que ceux qui en demeurent le plus éloignés en raison de leurs difficultés, notamment sociales ou de santé, resteront sur le bord du chemin, stigmatisés, car jugés inactifs par choix ? Pourtant, qui accepterait de vivre dans l’oisiveté avec 447 euros par mois ! Monsieur le haut-commissaire, les personnes les plus proches de l’emploi seront-elles, pour l’essentiel, les bénéficiaires du RSA ? (M. le haut-commissaire fait un signe de dénégation.)
Mme Annie David. Oui !
M. Guy Fischer. La mise en œuvre du RSA ne conduira-t-elle pas inévitablement à l’émiettement du travail, à l’écrasement des salaires avec le risque de faire apparaître le salaire minimum interprofessionnel de croissance, le SMIC, comme la rémunération des plus « nantis », ce qui serait un comble !
Mme Annie David. Alors là, oui !
M. Guy Fischer. Sur ce point, nous aurons des arguments à développer.
Le RSA n’engendrera-t-il pas inévitablement des effets d’aubaine non négligeables pour les entreprises, qui se verront encouragées à développer le temps partiel ?
Mme Annie David. Bien sûr !
M. Guy Fischer. Ne nous dirigeons-nous pas vers une institutionnalisation de la précarité ? Les entreprises ne seront-elles pas tentées par la mise en concurrence des allocataires du RSA avec les salariés ordinaires ? En subventionnant de façon pérenne les bas salaires, le RSA ne sera-t-il pas une incitation à multiplier les emplois précaires ou à temps partiel ? Les services d’aide à la personne, les emplois dits « en tension », notamment dans les secteurs du bâtiment ou de la restauration, seront vraisemblablement les premiers concernés.
Certains allocataires du dispositif n’y perdront-ils pas également, puisque les droits connexes sont remis en cause ? La « familialisation » du calcul des ressources conduira-t-elle à des conséquences non identifiées ?
Tel qu’il est conçu, le RSA n’est-il pas un RMI avec intéressement renforcé – dispositif qui existe déjà –, sans limitation de durée ? Actuellement, un allocataire du RMI reprenant un travail bénéficie d’une prime de 1 000 euros au titre de la reprise d’activité, d’un système d’intéressement qui prévoit le cumul de la prestation et du salaire pendant trois mois, puis une allocation mensuelle de 150 euros mensuels pour une personne seule ou de 225 euros pour un couple, pendant neuf mois.
Nous sommes bien conscients qu’il s’agit là d’encourager la reprise d’emploi. Encore faut-il que cette reprise soit réellement accompagnée d’un intéressement dans le cadre du dispositif du RSA !
Nous regrettons en outre la complexité du mode de calcul de l’allocation, soulignée par tous ceux qui ont concouru à l’expérimentation.
Une critique majeure de notre part a trait au fait que votre projet de loi ne prévoit rien pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, alors qu’ils sont les premiers, avec les femmes et les séniors, à subir le chômage. L’annonce opportune, le week-end dernier, de la création d’un fonds d’expérimentation spécifique ne vise-t-elle pas à désamorcer la colère des jeunes ?
Mme Annie David. Oui !
M. Guy Fischer. Monsieur le haut-commissaire, l’institution d’un contrôle drastique du train de vie des allocataires, notamment de leur patrimoine mobilier et immobilier – on croit rêver ! –, sous l’intitulé pudique « droits et devoirs du bénéficiaire du RSA », s’apparente aux mesures prises dans mon département à l’encontre des titulaires de minima sociaux dans le cadre de la fameuse opération « perdus de vue » !
Finalement, cette opération a eu pour seul effet, à mon sens, de stigmatiser les plus pauvres, car, en fin de compte, pour la grande majorité des titulaires des minima sociaux, ces contrôles se sont révélés infructueux. Toutefois, le battage médiatique a été tel que, dans l’esprit des gens, bon nombre des bénéficiaires de ces allocations – je pense notamment aux RMIstes – apparaissaient comme des fraudeurs.
M. Jean Desessard. Oui !
M. Guy Fischer. Serez-vous fier de cette politique où les devoirs pèseront plus lourd que les droits,…
M. Jean Desessard. Non !
M. Guy Fischer. … de cette politique insidieuse, faite de répression et de sanctions à l’encontre des plus pauvres, orchestrée et rythmée par la loi relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi votée cet été et le décret concernant l’évaluation du train de vie des chômeurs, puis des allocataires des minima sociaux ?
Je serai volontairement provocateur en affirmant que le RSA « tombe à pic ». En effet, nous vivons la plus grave crise bancaire et financière depuis le début du XXe siècle. De toute évidence, elle sera suivie d’une crise économique et sociale, s’accompagnant de la destruction massive de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d’emplois.
Selon M. Dinin, président-directeur général de Nexity, promoteur immobilier, filiale des caisses d’épargne, le secteur de la construction pourrait perdre 180 000 emplois. Par ailleurs, des plans de suppressions d’emplois dans les entreprises privées ont déjà précipité quelque 31 000 personnes dans le chômage, sans parler des suppressions de postes dans la fonction publique.
L’Union interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, l’UNEDIC, annonce 46 000 demandeurs d’emploi supplémentaires, alors qu’elle en prévoyait 80 000 de moins.
Il y a fort à parier que la généralisation du RSA, qui concernera près de 3,5 millions de nos concitoyens, pèsera sur les salaires et les emplois.
Nous constatons que les caisses de l'État, qui étaient vides en mai 2007, comme nous l’avaient affirmé MM. Sarkozy et Fillon, peuvent aujourd’hui aider les banques à hauteur de 360 milliards d’euros : 320 milliards d’euros sous forme de garantie d’emprunts, 40 milliards d’euros sous forme de mise à disposition de fonds propres.
M. Éric Doligé, rapporteur pour avis. Mais non !
M. Guy Fischer. Contrairement à ce qu’affirme M. Éric Woerth, ces 40 milliards d’euros contribueront bien à creuser la dette publique, alors que les critères posés par le traité de Maastricht nous imposent de la réduire.
Le porte-monnaie s’ouvre pour les plus riches ; pas un centime n’est prévu pour le pouvoir d’achat, la revalorisation des minima sociaux, des retraites, des salaires et du SMIC. Le Gouvernement vient d’annoncer, en outre, que la prime pour l’emploi ne bénéficierait pas d’un coup de pouce !
Qui financera donc le RSA ?
Mme Annie David. C’est une bonne question !
M. Guy Fischer. Ce sont les moins pauvres ! Alors que l’État ne trouvait pas 1,5 milliard d’euros à consacrer à ce dispositif au début du mois de septembre – je compatissais, monsieur le haut-commissaire, en vous voyant chercher désespérément cette somme –,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il l’a cherchée à la loupe !
M. Guy Fischer. … il a été décidé qu’il reviendrait aux salariés aux revenus moyens, aux petits épargnants, de financer les plus pauvres, par la création d’une taxe de 1,1 % sur les revenus du patrimoine. Les placements des détenteurs des plus hauts revenus, protégés par le bouclier fiscal, ne seront pas concernés par le financement de cette mesure.
Pour mémoire, en juillet 2007, le Gouvernement avait voté quelque 14 milliards d’euros de cadeaux aux entreprises et aux familles les plus aisées dans le cadre de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi TEPA, qui instaurait l’expérimentation du RSA. Il continue dans cette direction en refusant de taxer les stock-options ou les parachutes dorés, sous le prétexte fallacieux que les stock-options sont vouées à disparaître, car elles sont affectées par la fiscalité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tu parles !
M. Guy Fischer. C’est se moquer du monde !
Quant aux niches fiscales, vous envisagez de prélever 200 millions d’euros sur l’avantage global de quelque 73 milliards d’euros qu’elles représentent, autant dire une goutte d’eau. Les plus riches ont encore de beaux jours devant eux !
Sur la question de la pérennité du financement et de son coût réel pour les départements dans les années à venir, le silence est total. Depuis 2002, les départements ont doublé le budget qu’ils consacrent à l’action sociale. À cela s’ajoute le transfert de charges non compensées : la pression financière risque fort de s’accroître.
Il est permis de s’interroger, car le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le haut-commissaire, n’est avare ni de promesses ni de reniements.
Tel est le triste bilan d’une politique menée au gré d’un vent soufflant surtout dans la direction d’un capitalisme effréné et ravageur ! Vous faites entrer la société française dans l’ère de l’instabilité, en taillant tous les acquis en pièces.
En tout état de cause, ce dispositif du RSA ne sera efficace que s’il est accompagné d’un ensemble de mesures positives en matière d’emploi, de formation, donc d’insertion, de transports, de santé, de garde d’enfant. Nous reviendrons sur ce point lors du débat sur les amendements.
En effet, les femmes, souvent isolées, qui subissent les emplois à temps partiel seront contraintes de refuser un emploi si les modes de garde collectifs ne sont pas développés. Elles seront les premières touchées. Comment ferez-vous pour mettre à leur disposition, sur leur demande expresse et à la dernière minute, la place de crèche tant attendue ?
Par ailleurs, les discriminations s’accentuent à l’encontre des étrangers demandant le bénéfice du RSA, mais aussi de leurs conjoints. Nous reviendrons également sur ce point.
Pour en terminer, nous sommes convaincus que la création du RSA est bien cohérente avec les textes votés depuis le début de la mandature.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Guy Fischer. L’objectif est louable, mais ces textes concourent tous à la stigmatisation des pauvres, à la précarisation de l’emploi, à la réduction des droits des salariés dans l’entreprise, à l’écrasement des salaires et des retraites.
La volonté du Gouvernement est d’en finir avec les dix minima sociaux. Le rapport de MM. de Raincourt et Mercier nous a beaucoup éclairés sur les deux principaux d’entre eux : le RMI et l’API. La route est tracée vers un contrat unique d’insertion nivelé par le bas, ce que nous refusons. Nous n’avons pas la même conception que vous des moyens à mettre en œuvre pour asseoir la dignité humaine, qui s’articule, à nos yeux, autour de quatre droits fondamentaux : l’emploi, le logement, la santé et l’éducation. Or tous les textes relatifs à ces droits les attaquent frontalement, surtout ces dix-huit derniers mois.
Pour toutes ces raisons, monsieur le haut-commissaire, nous ne pourrons que manifester notre opposition au texte qui nous est présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Je tiens tout d’abord à saluer votre détermination, monsieur le haut-commissaire, ainsi que votre engagement constant en faveur des plus défavorisés.
Le présent projet de loi est la concrétisation de nombreuses réflexions menées sur la pauvreté en France, la situation des plus démunis et la valeur que représente le travail.
On le sait, le Président de la République s’est fixé pour objectif de réduire d’un tiers, d’ici à cinq ans, le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté. Pour parvenir à un tel résultat, la réforme engagée devait être ambitieuse.
La pauvreté et l’exclusion sociale sont des réalités difficiles à comprendre. C’est pourquoi une mission commune d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, présidée par notre collègue Christian Demuynck, a été constituée au début de cette année. J’ai participé aux travaux de cette mission qui a analysé les causes et les composantes de la pauvreté, et tenté d’y voir clair dans le « maquis » des multiples acteurs concernés.
Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale pour 2007-2008 dresse un constat accablant de la pauvreté en France. Elle concerne environ 7 millions de personnes. Cela signifie que 12 % de la population française vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.
La pauvreté touche plus particulièrement les personnes âgées isolées, les familles monoparentales, les jeunes et les personnes handicapées.
Par ailleurs, le fait d’occuper un emploi n’est plus une garantie absolue contre la pauvreté et l’exclusion. Je suis frappé que, selon les sondages, six Français sur dix de moins de cinquante ans craignent de devenir un jour des exclus.
Le lien entre conjoncture économique et pauvreté reste partiel. Outre un bon fonctionnement du marché du travail, il faut un système éducatif efficace, capable d’aider les jeunes à trouver un emploi, et une politique du logement qui limite la création de ghettos.
Or, chaque année, 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans formation ni qualification. La France compte 3 millions de mal-logés. Le Gouvernement, à juste titre, a fait de ces deux chantiers, l’éducation et le logement, ses priorités.
La mission commune d’information a entendu une cinquantaine de spécialistes, et vous êtes venu clore ce programme d’auditions, monsieur le haut-commissaire, en nous présentant les conclusions du Grenelle de l’insertion et les perspectives de mise en place du RSA.
Le Grenelle de l’insertion a donné la parole aux acteurs de terrain : professionnels, associations et bénéficiaires, entreprises et employeurs publics. Le texte qui été élaboré et que nous étudions aujourd’hui, fruit d’une longue réflexion, suscite beaucoup d’espoir. En présentant deux réformes ambitieuses, celle des minima sociaux et celle des contrats aidés, il donnera un nouvel élan à notre politique sociale.
Le RSA vient apporter des solutions à deux types de problèmes.
S’agissant tout d’abord de la pauvreté des sans-emploi, les prestations sociales – aides au logement, revenu minimum d’insertion et autres minima sociaux – jouent un rôle majeur dans sa réduction. Mais la lutte contre l’exclusion ne doit pas se réduire à la mise en place d’une assistance pour tous, dont le seul objet serait de permettre à ses bénéficiaires de faire face aux besoins élémentaires de l’existence.
M. Jean Desessard. Ce serait déjà pas mal !
M. Paul Blanc. Certes, mais ce n’est pas suffisant !
Si notre société fait son devoir en assurant aux plus fragiles un minimum de sécurité matérielle, elle doit également tout mettre en œuvre pour ouvrir aux personnes aidées la voie de la réinsertion et du retour à l’emploi.
Le RMI devait être une réponse à des phénomènes de grande exclusion. Près de vingt ans après sa mise en place, on constate que tel n’est pas le cas.
Le RMI est devenu la seule ressource d’un nombre considérable de ménages, souvent de manière durable. Trop fréquemment, il maintient ces personnes dans l’inactivité et dans la rupture du lien social. Aujourd’hui, reprendre un travail, pour un RMIste, est synonyme de perte de revenus et de certains droits.
La réinsertion doit être encouragée, car elle brise le cercle vicieux de la destruction du lien social et de la perte de l’estime de soi.
Le RSA garantira à celui qui retrouvera un emploi une véritable hausse de son niveau de vie. Il lui donnera donc une vraie motivation.
De plus, le texte réforme les droits connexes. Désormais, ces derniers seront liés à un niveau de revenu plutôt qu’à un statut, ce qui permettra aux travailleurs de bénéficier de droits auxquels ils ne peuvent aujourd’hui prétendre parce qu’ils possèdent un emploi.
À la demande du haut-commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté, la SOFRES a interrogé un échantillon représentatif de personnes allocataires du RMI depuis plus d’un an : 86 % d’entre elles pensent que le revenu de solidarité active les encouragera à retrouver une activité professionnelle.
Finalement, en écartant les personnes de l’emploi, le RMI les pénalisait au lieu de les protéger. Comme son nom l’indique, le RMI a été conçu comme un dispositif d’insertion, assorti de diverses obligations pour l’administration comme pour les bénéficiaires : désignation d’un référent, conclusion d’un contrat d’insertion, suspension de l’allocation en cas de non-respect des obligations.
Cependant, l’application de ce dispositif n’a guère été satisfaisante. En 2006, le taux de contractualisation ne dépassait pas 53 %, et les suspensions de l’allocation pour non-respect des obligations d’insertion sont restées très peu nombreuses.
Le projet de loi présente un cadre novateur pour le RSA, avec des droits et des devoirs pour les bénéficiaires. Le droit à l’insertion sera désormais inséparable d’une obligation de rechercher activement un emploi, sauf exceptions justifiées. Le dispositif sanctionnera les abus.
Je tiens à souligner que l’intention qui a motivé la rédaction du texte a bien été de ne pas stigmatiser les personnes vulnérables, déjà très pénalisées par leur parcours d’insertion. Il s’agit avant tout d’éviter les fraudes, malheureusement encouragées par le système actuel.
Le RSA n’est pas seulement une assistance pour les personnes sans travail, il est également un moyen de lutte contre la misère des travailleurs pauvres.
Je l’indiquais tout à l’heure en présentant les conclusions de la mission sénatoriale : occuper un emploi n’est plus une garantie absolue contre la pauvreté et l’exclusion. Notre pays compte ainsi 1,8 million de travailleurs pauvres. Il s’agit, le plus souvent, de personnes dont la rémunération n’est pas régulière, qui enchaînent sur une longue période des emplois à court terme. Puisqu’elles ont un emploi, fût-il à temps partiel, ces personnes n’ont pas le droit de percevoir le RMI. Elles percevront dorénavant le RSA, sans limitation de durée.
Il s’agit là d’une aide considérable pour les travailleurs à revenus modestes, qui seront ainsi encouragés à rester actifs. Il est essentiel que le travail permette de ne pas être pauvre et de vivre dignement.
Les grandes réformes ont un coût. Le Président de la République a annoncé que le financement du RSA serait assuré par une taxe de 1,1 % sur les revenus du capital – et non sur le capital, comme cela a souvent été dit par les médias.
Ce financement est nécessaire, car nous ne pouvons courir le risque d’un échec du RSA. Il est également responsable : nous ne pouvons creuser davantage le déficit public.
Le mode de financement a été longuement étudié par le Gouvernement et les députés, afin de garantir son caractère équitable. La question du bouclier fiscal a été posée. Il s’agit pourtant d’un faux problème, utilisé à des fins politiciennes, puisque l’on sait que le bouclier fiscal protège nombre de foyers à revenus modestes. (Mme Jacqueline Gourault s’exclame.)
Le moyen d’assurer une participation des foyers à très hauts revenus au financement du RSA est le plafonnement des niches fiscales. La Haute Assemblée et sa commission des finances se sont déjà penchées sur cette question.
Aussi notre groupe se réjouit-il de la décision gouvernementale permettant, lors du prochain examen du projet de loi de finances pour 2009, de rediriger les sommes perçues à ce titre vers le financement du RSA.
Je voudrais maintenant dire quelques mots au sujet des contrats aidés.
L’extrême complexité du système d’aide au retour à l’emploi imposait une réforme en profondeur. La Cour des comptes a publié, en 2006, une enquête soulignant les défauts du système : éclatement, complexité, forte instabilité. Un rapport rendu par notre collègue Serge Dassault au nom de la commission des finances est parvenu aux mêmes conclusions.
En effet, malgré un début de simplification apporté par le plan de cohésion sociale, les dispositifs restent peu lisibles pour leurs bénéficiaires et leur application est difficile pour les opérateurs. Les différents types de contrats – au nombre d’une dizaine – ont connu d’incessantes modifications, coûteuses en termes d’efficacité et de délais de mise en œuvre.
Comme vous l’avez souvent dit, monsieur le haut-commissaire, les contrats aidés doivent être non pas des impasses, mais des passerelles vers l’emploi durable.
Conformément au souhait du Président de la République, le projet de loi tend à créer un contrat unique d’insertion, qui s’adapte à la diversité des situations. L’accompagnement professionnel et les actions de formation sont privilégiés, les possibilités de renouvellement des contrats sont assouplies.
Je voudrais souligner que la clef de la réussite du dispositif est son évaluation constante. Mme le rapporteur l’a rappelé, et a demandé que l’accompagnement et la pertinence de l’orientation des bénéficiaires fassent l’objet d’une vigilance particulière. Je tiens à la féliciter de la qualité de son travail.
Je voudrais pour ma part attirer votre attention, monsieur le haut-commissaire, sur la situation des travailleurs handicapés. Cela ne vous étonnera point.
La revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés et sa réforme ont été annoncées lors de la conférence nationale du handicap du 10 juin dernier par le Président de la République. Pourriez-vous, bien que cela ne relève pas directement de votre compétence, nous préciser quelles seront les conditions du cumul de l’allocation et du salaire de la personne handicapée, ainsi que les modalités de calcul de l’AAH dans cette hypothèse ?
Par ailleurs, monsieur le haut-commissaire, je souhaiterais vous poser une question intéressant le secteur agricole : de nombreux salariés saisonniers sont embauchés ; quelles seront pour eux les conditions d’accès au RSA ?
En 2005, le rapport de la commission que vous présidiez, monsieur le haut-commissaire, et qui préconisait des innovations sociales, dont la création du RSA, a été unanimement salué. Cependant, je pense que peu d’observateurs croyaient en la mise en œuvre de ces propositions. Aujourd’hui, vous faites heureusement mentir ce pronostic ; je m’en félicite avec tous les membres du groupe de l’UMP, qui approuve et soutient cette réforme contribuant au combat pour la dignité des plus modestes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, la France compte, hélas, encore beaucoup trop de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté. Est-il acceptable, en 2008, dans une société d’abondance comme la nôtre, de laisser 7,8 millions d’individus vivre dans la précarité, avec des revenus tout juste décents ? Bien sûr que non !
Depuis longtemps, les pouvoirs publics mettent en place des dispositifs de lutte contre la pauvreté parce que notre pays a une obligation morale, dictée par le Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
C’est dans cet esprit que le gouvernement Rocard a décidé, il y a tout juste vingt ans, la mise en place du revenu minimum d’insertion. Au regard de sa longévité, ce dispositif n’a pas été inutile, même si l’on en mesure aujourd’hui les limites. À ce jour, il permet d’offrir des conditions minimales d’existence à 1,2 million de personnes très éloignées du marché du travail.
Cependant, force est de constater que cette prestation, qui s’ajoute à de nombreuses autres, ne suffit plus à enrayer l’intensification de la pauvreté ni à répondre à un phénomène récent, la croissance du nombre de travailleurs pauvres, que M. Paul Blanc évoquait à l’instant.
Le RMI n’est plus adapté. Pensé à l’origine comme un outil conjoncturel, il est devenu structurel en raison de la forte dégradation du marché du travail dans les années quatre-vingt et de l’émergence du chômage de longue durée. Le caractère statutaire de l’allocation limite également la portée du dispositif en matière de réinsertion, car le différentiel entre les revenus liés à l’absence d’activité et ceux qui sont tirés de la reprise d’un emploi n’est pas suffisamment incitatif.
Pour ces raisons, un consensus selon lequel le RMI doit être réformé afin de passer le relais au revenu de solidarité active s’est dégagé depuis quelques années.
Vous le savez, mes chers collègues, cette idée figurait dans le programme de la gauche, sous le nom de revenu minimum d’activité. À ce titre, nous pourrions donc applaudir et approuver les yeux fermés une disposition voulue par la gauche et proposée par la droite, grâce à votre persévérance, monsieur le haut-commissaire.
Sur le principe, mon groupe est favorable à la mise en place d’une prestation unique…
M. Paul Blanc. Ah !
M. Yvon Collin. … remplaçant le RMI et l’allocation de parent isolé, assortie de mécanismes d’intéressement à la reprise d’activité. D’ailleurs, les conseils généraux qui expérimentent le RSA depuis 2007 sont globalement satisfaits, qu’ils soient de droite ou de gauche, ce qui incite à la généralisation du dispositif.
Cependant, nous nous interrogeons sur deux points.
Tout d’abord, comment être certains de la portée du RSA dans le contexte actuel de récession ? Le RSA est un nouvel instrument particulier de la politique sociale qui ne peut pas être isolé de la politique économique globale. Comment favoriser le retour à l’emploi, s’il n’y pas d’emplois créés ?
Nous le savons, la crise financière commence à produire ses effets négatifs sur l’économie réelle. Sans vouloir tenir le gouvernement français pour responsable des événements actuels, on peut tout de même lui reprocher certains des choix nationaux dictés depuis un an et demi par une vision trop idéologique de la situation. Affaibli par la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat puis par la loi de modernisation de l’économie et la réduction des services publics, notre pays n’est pas en mesure d’amortir les effets de la crise, donc encore moins de favoriser le retour à l’emploi.
Cela est d’autant plus vrai que le RSA risque d’engendrer une dérive, que certains de mes collègues ont déjà dénoncée, à savoir la proposition d’emplois à temps très partiel aux anciens RMIstes, bien que tous les partenaires sociaux s’accordent à dire que l’insertion se réalise avant tout par l’activité, et plus particulièrement par l’activité économique, même lorsque celle-ci est minime. Ce qui est certain, c’est que le RSA restera au moins pour quelques années un dispositif très demandé, donc très coûteux.
J’en viens à ma seconde interrogation, qui, d’ailleurs, n’en n’est pas une, car je crois détenir déjà la réponse. Je l’énonce tout de même : qui va payer ?
En ne touchant pas au bouclier fiscal pour alimenter le nouveau fonds national des solidarités actives, vous avez fait le choix de protéger les plus démunis en protégeant les plus riches : difficile équation. Même si l’adoption par l’Assemblée nationale du plafonnement global des niches fiscales est venue adoucir la polémique, vous écartez les plus gros contribuables du financement du RSA.