compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Cour des comptes et chambres régionales des comptes
Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes (nos 13, 24).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté, en deuxième lecture, le projet de loi relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes que votre assemblée lui avait transmis le 5 juin 2008.
Ce texte, modifié, et dont seuls six articles sont encore en discussion, revient aujourd’hui devant vous pour une seconde lecture.
Tout d’abord, permettez-moi d’adresser mes remerciements à la commission des lois, tout particulièrement à son président et à son rapporteur, qui ont su réaliser un remarquable travail d’analyse dans des délais, je dois bien l’avouer, relativement courts.
Vous vous en souvenez, ce projet de loi tend à modifier en profondeur les procédures juridictionnelles devant les juridictions financières, afin de les mettre en conformité avec les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Grâce à cette réforme, grâce à vous, la transparence, l’équité et l’impartialité des procédures seront renforcées ; les juridictions financières rendront leurs décisions plus rapidement. En bref, les droits des justiciables seront mieux reconnus, mieux respectés, sans qu’une quelconque atteinte soit portée à la nécessaire protection des finances publiques.
L’un des apports principaux du projet de loi est ainsi de séparer strictement les fonctions d’instruction, de poursuite et de jugement, tout en rapprochant, par souci de simplification, les procédures appliquées au jugement des comptables patents, c’est-à-dire les comptables de droit, et des gestionnaires de fait, c’est-à-dire ceux qui manient indûment les deniers publics.
Afin de sécuriser la procédure et de raccourcir les délais de jugement, le projet de loi vise également à supprimer une règle vieille de plus de deux cents ans, la règle dite « du double arrêt » : d’abord un arrêt provisoire ; ensuite, le comptable ayant été invité à faire part de ses observations, un arrêt définitif.
La première lecture dans les deux assemblées a permis d’enrichir et de préciser le texte. Elle a aussi révélé deux divergences sensibles entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
La première d’entre elles concernait la nouvelle procédure de décharge des comptables publics, la seconde le régime de la gestion de fait.
Toutefois, les amendements adoptés par l’Assemblée nationale en seconde lecture, sur l’initiative de son rapporteur, Éric Ciotti, sont, me semble-t-il, de nature à répondre aux préoccupations exprimées par votre assemblée au mois de juin.
Cette affirmation relève, non pas de la prophétie ou de l’incantation, mais du simple constat, puisque la commission des lois du Sénat a décidé, sur la proposition de son rapporteur – et je l’en remercie –, d’adopter le projet de loi tel qu’il lui avait été transmis, et à l’unanimité.
Par conséquent, ce texte, j’en suis persuadé, devrait recueillir l’assentiment de l’ensemble de la Haute Assemblée.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, le projet de loi dont vous êtes saisis pour la seconde fois constitue un texte protecteur tant des droits des justiciables que de l’indépendance du juge des comptes et des finances publiques ; il répond aux évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est pourquoi je compte sur le soutien de l’ensemble de la Haute Assemblée pour voter ce projet de loi, qui doit permettre de garantir à tous les justiciables l’application la plus complète des principes d’impartialité, de transparence, d’équité et de rapidité des décisions rendues. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Michel Mercier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes saisis en deuxième lecture du projet de loi relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes.
La plupart de ses dispositions recueillent un large consensus, qu’il s’agisse de la séparation stricte des fonctions d’instruction, de poursuite et de jugement, du renforcement du caractère contradictoire de la procédure, de la généralisation des audiences publiques, ou encore de la suppression du pouvoir de remise gracieuse reconnu au ministre chargé des comptes publics à l’égard des amendes infligées par les juridictions financières aux comptables publics ou aux gestionnaires de fait.
Telle est la raison pour laquelle seuls six articles restent en discussion après la deuxième lecture par l’Assemblée nationale, alors que le Sénat avait lui-même adopté sans modifications vingt-quatre des trente-quatre articles qui lui avaient été soumis en première lecture.
Telle est également la raison pour laquelle nous sommes saisis si rapidement de ce texte. Je m’efforcerai, à mon tour, d’être concis.
Au cours de la navette parlementaire, les principales discussions ont porté, d’une part, sur la procédure de décharge des comptables publics, prévue par le projet de loi initial, et, d’autre part, sur les dispositions relatives à la gestion de fait introduites par l’Assemblée nationale et par le Sénat.
Les solutions retenues par les députés en deuxième lecture me semblent constituer un compromis acceptable entre les positions exprimées par chacune des deux assemblées.
En conséquence, je vous indique d’ores et déjà que je vous proposerai d’adopter, sans modifications, les dispositions du projet de loi restant en discussion.
Alors que la réforme de la procédure de mise en jeu de la responsabilité des comptables publics et des gestionnaires de fait, pierre de touche du projet de loi, recueille un large consensus depuis le début de la navette, celle de la procédure de décharge des comptables publics constitue, paradoxalement, une pierre d’achoppement sur laquelle butent les tentatives d’amendement des parlementaires.
Permettez-moi de vous épargner le rappel de ces diverses tentatives, que vous trouverez dans mon rapport écrit, pour vous présenter la solution retenue par l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Tout d’abord, les comptes devront être examinés par un magistrat du siège chargé d’établir un rapport à fin de jugement. Sur la base de ce rapport, il appartiendra au représentant du ministère public de poursuivre ou non le comptable public.
En l’absence de poursuite, le comptable devra être déchargé de sa gestion par ordonnance du président de la formation de jugement ou d’un magistrat délégué à cette fin.
En cas de doute sur la régularité ou la sincérité des comptes, ce magistrat pourra demander un rapport complémentaire ; si, au vu de ce document, le ministère public persistait à ne relever aucune charge à l’encontre du comptable public, le magistrat du siège serait alors tenu de rendre l’ordonnance de décharge.
Cette solution présente l’inconvénient de rétablir une compétence liée du magistrat du siège à l’égard de celui du parquet, que le Sénat avait supprimée, au nom du principe de l’indépendance de la justice.
Elle possède, toutefois, plusieurs avantages.
Tout d’abord, il ne faut pas perdre de vue que cette compétence liée serait favorable au comptable public. Ensuite, la procédure serait plus rapide que celle que nous avions finalement retenue. Enfin, l’ordonnateur pourrait introduire un recours contre l’ordonnance de décharge, ce que le texte adopté par le Sénat en première lecture ne permettait malheureusement plus.
Cette solution n’est pas parfaite, loin s’en faut, mais elle constitue un compromis acceptable entre la volonté de l’Assemblée nationale de simplifier la procédure, celle du Gouvernement de conférer au ministère public le monopole de l’engagement des poursuites, et les tentatives de la commission des lois d’assurer le respect des principes de l’indépendance de la justice et du double degré de juridiction.
S’agissant de la gestion de fait, je rappelle qu’en première lecture l’Assemblée nationale avait inséré dans le projet de loi un article 16 bis, transférant au juge financier la compétence des assemblées délibérantes des collectivités territoriales pour apprécier l’utilité publique de dépenses ayant donné lieu à gestion de fait.
Le Sénat avait supprimé cet article pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales pourrait y faire obstacle.
Ensuite, les pouvoirs des juges financiers n’étaient pas suffisamment encadrés alors qu’ils devraient se limiter à l’appréciation de la régularité de la dépense. Or les élus locaux ont parfois l’impression désagréable – et ce n’est pas toujours qu’une impression ! – que les chambres régionales des comptes exercent un contrôle de l’opportunité de leurs dépenses, dans le cadre de leur mission d’examen de la gestion des collectivités territoriales.
Enfin, le pouvoir du Parlement sur les gestions de fait concernant les deniers de l’État, qui s’exerce dans le cadre de la loi de règlement, n’était pas remis en cause.
Sur proposition de la commission des lois, le Sénat avait inséré un article 29 ter ayant pour objet de ramener à cinq ans la durée des délais de prescription de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics et des comptables de fait.
Les dispositions proposées s’inscrivaient dans le droit-fil des positions prises par notre assemblée, en 2000 et en 2001, sur l’initiative des membres du groupe socialiste. Elles répondaient à un objectif d’harmonisation avec la réduction à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive qui venait d’être opérée par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
Elles ne revenaient pas, comme j’ai pu le lire ou l’entendre dire, à empêcher de facto toute condamnation pour gestion de fait, car le rythme des contrôles des juridictions financières est le plus souvent triennal, voire quadriennal. En outre, les règles de prescription applicables aux infractions pénales qu’un gestionnaire de fait pourrait avoir commises seraient restées inchangées.
En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a accepté de maintenir la suppression de l’article 16 bis, mais elle a modifié l’article 29 ter pour n’en conserver que les dispositions réduisant de six ans à cinq ans le délai de prescription de l’action en responsabilité contre les comptables publics. Le délai de prescription de la gestion de fait resterait donc fixé à dix ans à compter des actes constitutifs de la gestion de fait.
Ce compromis me paraît acceptable.
Il me semble préférable, compte tenu de l’absence de consensus sur ces propositions de réforme, que les règles relatives à la gestion de fait fassent l’objet d’un examen d’ensemble dans le cadre de la réforme annoncée des missions des juridictions financières et des règles relatives à la responsabilité des gestionnaires publics.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter sans modification le projet de loi relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes.
Je vous rappelle, comme l’a déjà indiqué M. le secrétaire d’État, que ce texte a été adopté à l’unanimité par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objectif de ce texte est d’adapter les procédures des juridictions financières aux exigences et aux principes de la Cour européenne des droits de l’homme afin de les mettre en conformité avec le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable.
La discussion en première lecture a principalement porté sur deux articles.
L’article 16 bis, introduit par l’Assemblée nationale, avait pour objet de supprimer la procédure de reconnaissance d’utilité publique par l’organe délibérant de la collectivité, ou de l’établissement concerné, des dépenses ayant donné lieu à gestion de fait. Nous étions favorables à l’adoption de cet article.
L’article 29 ter portait sur la question des délais de prescription de l’action en déclaration de gestion de fait. Nous avions précisé en séance que nous pourrions accepter le délai de dix ans que proposait le Gouvernement.
Dans le texte qui nous est soumis en deuxième lecture, l’article 16 bis a été supprimé, les dispositions qu’il prévoyait étant renvoyées à une réforme générale des juridictions financières, et l’article 29 ter a été amendé dans un sens que nous pouvons accepter. Le groupe socialiste estimait que ces deux articles étaient des cavaliers.
Dans ce contexte, le groupe socialiste a hésité entre l’abstention ou le vote conforme. Nous demeurerons attentifs aux évolutions à venir du rôle des magistrats financiers.
Par ailleurs, nous regrettons la procédure législative qui, une fois encore, a été utilisée pour parvenir à un texte conforme. On est loin de la revalorisation du Parlement !
Tout d’abord, on a assisté à un troc législatif, cette procédure de rationalisation des débats qui, malheureusement, tend à se répandre et qui consiste à parvenir à un accord négocié entre les deux rapporteurs du projet de loi et le Gouvernement. On fait ainsi fi de la discussion en séance publique et de la réunion de la commission mixte paritaire. Il s’agit d’une sorte de procédure d’urgence sans commission mixte paritaire.
Par ailleurs, il s’agissait « notamment d’adapter l’organisation des juridictions financières aux nouvelles exigences de la gestion publique ». On s’en serait douté, mais de quelles nouvelles exigences nous parle-t-on ?
Les principes et les modalités d’une prétendue concertation sur cette réforme ont été finalisés par cinq groupes de travail mis en place par la Cour des comptes, mais leurs conclusions sont demeurées secrètes. Elles ont été transmises par le Premier président de la Cour des comptes au Premier ministre à la fin du mois de juillet 2008.
Depuis l’été, nous n’avons eu aucune nouvelle de ce document alors que l’on nous avait indiqué, au mois de juin, que le texte de la réforme serait déposé sur le bureau des assemblées à l’automne, son examen étant prévu avant la fin de l’année 2008 et son application au début de 2009.
L’information du Parlement est, monsieur le secrétaire d’État, inexistante !
M. Jacques Mahéas. L’attitude est la même envers les personnels des chambres et les magistrats, qui craignent notamment un affaiblissement de leurs capacités de contrôle de la gestion des collectivités locales.
Vendredi dernier, le syndicat des magistrats des chambres régionales des comptes, qui s’est réuni en assemblée générale à l’École militaire, a indiqué qu’il n’avait aucune lisibilité sur l’avenir du contenu, des moyens et de l’organisation des missions.
Afin de relayer les inquiétudes des chambres régionales des comptes à propos de ce texte, j’indique, monsieur le secrétaire d’État, que, pour les socialistes, le texte à venir ne devra pas faire des chambres régionales des sections déconcentrées de la Cour des comptes, comme le Premier président en a l’idée depuis 1982.
Cette idée se traduit aujourd’hui, par exemple, par la multiplication des missions nouvelles de la Cour, qui déploie ses expertises à l’échelon international en contrôlant les commissariats aux comptes de huit organismes comme INTERPOL, l’Organisation internationale de police criminelle, l’UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’OIF, l’Organisation internationale de la francophonie, EUMETSAT, l’Organisation européenne pour l’exploitation de satellites météorologiques, l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’ONU, l’Organisation des Nations unies, l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce.
M. Jacques Mahéas. Mais alors, qui remplira les missions traditionnelles…
M. Jacques Mahéas. …de la Cour si ses magistrats multiplient les records de participation aux contrôles internationaux ?
M. Jacques Mahéas. Vous voulez dire que cela rapporte un peu d’argent à la Cour des Comptes ? Je pense, pour ma part, que sa mission première est quelque peu oubliée !
M. Jacques Mahéas. En outre, la Cour des comptes fait également partie des collèges de commissaires aux comptes de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, et de l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord.
Qui remplira les missions traditionnelles de la Cour si ce ne sont les magistrats des chambres régionales, toujours plus sollicités pour participer aux enquêtes communes, dont nombre sont d’ailleurs abandonnées en cours d’instruction ?
Selon nous, les chambres régionales ne doivent pas être simplement des démembrements de la Cour des comptes – sans que leurs magistrats soient d’ailleurs assimilés à ceux de la Cour ! – elles doivent garder leur statut actuel.
Par ailleurs, il ne faut surtout pas que leur mission d’examen de la gestion des collectivités locales soit réduite, soit parce qu’on regrouperait les moyens, soit parce qu’on leur confierait d’autres missions chronophages ne leur permettant plus d’effectuer un tel examen.
La réforme, si réforme il y a – j’ose espérer qu’elle viendra bientôt en discussion –, devra permettre aux juridictions d’être plus utiles et de remplir pleinement leurs missions actuelles et nouvelles de certification des comptes des collectivités locales notamment.
J’ai toujours rêvé que les chambres régionales des comptes puissent constituer un appui pour les collectivités territoriales et leur donner quelques conseils, mais nous sommes loin, hélas ! de cet état d’esprit.
Des réponses de M. le secrétaire d’État sur cette réforme, à laquelle nous sommes particulièrement attachés, dépendra notre vote. J’espère qu’il va nous rassurer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aborderai succinctement trois points.
Je commencerai par évoquer, monsieur le secrétaire d’État, la situation de la commune de Saint-Martin, en Guadeloupe, sur laquelle mon collègue René Dosière et moi-même vous avons interrogé.
Je vous donne acte de la lettre que vous nous avez adressée, dans laquelle vous nous faites part des interventions fortes des trésoriers-payeurs généraux. Je me permettrai toutefois d’observer, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne nous tenez pas informés des réactions des préfets successifs au titre du contrôle de légalité et à qui la situation n’a pas dû échapper.
Ensuite, je souhaite revenir sur la question de l’article 16 bis, dont vient de parler excellemment mon collègue Jacques Mahéas. Il ne sera pas possible, monsieur le secrétaire d'État, de parler de cet article aujourd'hui puisqu’il a été supprimé. Je le regrette vraiment, comme je regrette la position du Sénat et celle de l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Permettez-moi de vous lire ce qu’a dit M. Charles de Courson à l’Assemblée nationale en première lecture : « Dans l’état actuel du droit, en cas de déclaration de gestion de fait, il existe une procédure de reconnaissance d’utilité publique à l’initiative de l’assemblée délibérante compétente. »
M. Michel Charasse. Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur. « Cette procédure présente de graves inconvénients ». Cela ne vous a pas échappé, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse. Ah oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Ces inconvénients sont « une extrême lenteur ainsi qu’une certaine incohérence. En effet, si la délibération reconnaît l’utilité publique de la dépense, elle ne lie pas le juge financier. À l’inverse, si la délibération se prononce contre l’utilité publique, la décision s’impose au juge financier. On voit donc bien que cette procédure n’est pas satisfaisante. Le Gouvernement a beaucoup hésité entre la peaufiner et l’abandonner. Il l’a finalement abandonnée, peut-être à regret. Je pense que c’est dommage. »
René Dosière a brillamment expliqué en séance publique, mais aussi en commission que l’article 16 bis « avait pour objet d’éviter les situations inégalitaires au sein des collectivités territoriales, voire des règlements de comptes en cas de changement de majorité, le refus de voter une reconnaissance d’utilité publique pouvant constituer pour une nouvelle majorité le moyen d’obtenir des poursuites contre le gestionnaire de fait de la majorité précédente. »
Il ajoutait à juste titre : « Par ailleurs, l’argument de la libre administration des collectivités territoriales » – cher au rapporteur, M. Bernard Saugey – « n’est pas satisfaisant, dans la mesure où le texte voté par l’Assemblée nationale remplaçait les délibérations de reconnaissance d’utilité publique par la possibilité pour les collectivités territoriales de voter un avis. »
L’article 16 bis, introduit par l’Assemblée nationale, permettait aux collectivités territoriales de donner un avis. Ce qui n’allait pas, c’est que, dans un cas, le juge était libre de la décision qu’il prenait, dans l’autre, si la collectivité estimait que la dépense n’était pas d’utilité publique, le juge avait les mains liées et il était obligé de condamner le comptable. Cette disposition n’était pas satisfaisante.
D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, lorsque M. de Courson a défendu cet amendement à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré : « L’argumentation de M. de Courson étant vraiment exceptionnelle, le Gouvernement, qui avait effectivement hésité, donne un avis favorable à son amendement. »
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas M. de Courson que vous avez trouvé exceptionnel – il l’est certainement (Sourires.) –, c’est son argumentation ! Mais peut-être avez-vous oublié la position qui était alors la vôtre !
Enfin, dans le rapport qu’il a consacré à ce projet de loi voilà quelques jours, le député Éric Ciotti écrivait : « La procédure ne constitue nullement une garantie pour le comptable de fait : si les dépenses sont déclarées d’utilité publique par la collectivité, cette décision ne contraint pas le juge des comptes à les valider, car il reste libre d’apprécier la réalité et la régularité des dépenses alléguées. À l’inverse, si l’organe délibérant refuse de reconnaître le caractère d’utilité publique des dépenses, le juge ne peut aller à l’encontre de cette décision. Il est alors à craindre que cette procédure ne soit mal utilisée dans le cadre d’une alternance politique. »
À travers les dispositions de l’article 16 bis, qui a été supprimé, je défends les droits des personnes.
Bien sûr, nous sommes tous très attachés aux droits des collectivités territoriales, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. … et notamment au principe de leur libre administration, mais une majorité nouvelle ne doit pas pouvoir, en adoptant une simple délibération, provoquer automatiquement la condamnation de la personne qui hier était gestionnaire. Un problème de fond se pose ici.
M. Ciotti, après un certain nombre de considérations de circonstance – il fallait bien expliquer le « troc » auquel a fait allusion tout à l'heure Jacques Mahéas – écrit dans son rapport – un document que je lis toujours avec beaucoup d’intérêt, monsieur le président de la commission des lois –, à la page 20 : « Votre rapporteur veut bien admettre que cette question pourrait plus utilement être abordée dans le cadre d’une réflexion d’ensemble sur la responsabilité des gestionnaires publics ». Vous conviendrez, monsieur Garrec, qu’une telle formulation ne traduit pas un enthousiasme débordant !
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous vous engager sur l’inscription à l’ordre du jour du Parlement, dans des délais qui ne soient pas trop longs, d’un texte permettant cette « réflexion plus globale » ?
Dans ce cadre, vous paraît-il opportun de revenir sur la question que posait l’article 16 bis et qui n’est pas réglée de façon satisfaisante dans ce texte ?
En cet instant, je voudrais saluer une délégation venue d’Orléans et de Kairouan pour assister à cette séance. Compte tenu de la tradition de bienvenue qui est celle du Sénat, il aurait été dommage de ne pas évoquer leur présence dans les tribunes.
Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous interroger sur les chambres régionales des comptes. Lors de l’examen en première lecture de ce projet de loi, je vous ai posé trois questions. Vous avez bien voulu m’indiquer que vous ne disposiez pas encore de tous les éléments pour y répondre, mais vous avez sans doute pu prendre quelque information depuis lors.
Premièrement, le Gouvernement a-t-il l’intention d’accroître les compétences des chambres régionales des comptes ?
Vous m’aviez répondu en faisant état des compétences nouvelles qui seraient attribuées à la Cour des comptes. Toutefois, en ce qui concerne les chambres régionales, vous aviez seulement indiqué que leurs missions seraient adaptées, afin qu’elles puissent coopérer plus étroitement avec la Cour et mener conjointement avec elle certaines missions dans des délais abrégés.
L’évaluation des politiques publiques et la certification des comptes ont été évoquées, entre autres. Les chambres régionales des comptes se verront-elles confier des missions nouvelles ? Et si tel est le cas, lesquelles ?
Deuxièmement, vous savez, monsieur le secrétaire d'État, que le nombre des magistrats des chambres régionales des comptes n’a pas évolué depuis 1983. En effet, on dénombre aujourd'hui un total de 320 magistrats et 1100 personnels dans ces juridictions, comme il y a vingt-cinq ans.