compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d'un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Robert Laucournet, qui fut sénateur de la Haute-Vienne de 1968 à 1995 et vice-président du Sénat.

Je rappellerai simplement, à un moment où nous parlons de mobilisation pour le logement, que Robert Laucournet a souvent été ici, en particulier, le défenseur actif et respecté du logement social.

3

Transmission d'un projet de loi

M. le président. J’ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, adopté par l’Assemblée nationale.

Le projet de loi a été imprimé sous le n°22, distribué et renvoyé à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

4

Dépôt d'un rapport

M. le président. J’ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, adopté par l’Assemblée nationale (n° 22, 2008-2009).

Le rapport a été imprimé sous le n° 23 et distribué.

5

 
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie
Discussion générale (suite)

Loi de finances rectificative pour le financement de l'économie

Adoption définitive d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour le financement de l’économie (nos 22, 23).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise financière internationale que nous avons vécue, que nous vivons encore actuellement, est à bien des égards une crise des excès.

Elle résulte tout d’abord d’un excès de spéculation, qui a conduit à l’apparition d’une bulle immobilière aux États-Unis et dans un certain nombre d’États européens, y compris dans des pays proches comme l’Irlande ou l’Espagne.

Elle résulte aussi d’un excès de crédit, en particulier aux Etats-Unis, où un système de distribution des prêts sans garde-fous a jeté tout un peuple dans une crise immobilière sans précédent.

Elle résulte également d’un excès de complexité, la profession financière ayant perdu la maîtrise des outils qu’elle avait elle-même créés.

Je n’aurai garde de passer sous silence l’excès de cupidité, se traduisant par des politiques de rémunération qui incitaient par trop à saisir immédiatement des bonus faciles pour laisser généralement à d’autres le soin de gérer plus tard des risques incommensurables.

Plus récemment, la crise a été encore aggravée par un dernier excès, celui qui a saisi les marchés depuis la défaillance de la banque Lehman Brothers, le 15 septembre dernier : excès d’irrationalité et de panique chez les investisseurs et les boursiers. C’est ainsi que des entreprises industrielles peuvent aujourd’hui valoir moins que l’immeuble dans lequel elles sont logées depuis toujours !

M. Jean-Pierre Michel. Excès de libéralisme !

Mme Christine Lagarde, ministre. Face à tous ces excès, il fallait réagir avec vigueur et détermination. En effet, quand l’irrationnel prend racine au cœur du système financier, c’est toute l’économie qui menace de s’arrêter de fonctionner : c’est un drame pour l’activité économique, pour l’emploi, pour nos entreprises. Au final, c’est l’appauvrissement non pas tant des banquiers que de tout un peuple, de tout un pays.

M. Jean-Pierre Michel. Vous croyez au peuple ? C’est nouveau ! (Chut ! sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Un peu de sérénité, monsieur le juge ! (Sourires.)

Mme Christine Lagarde, ministre. Avec ce projet de loi de finances rectificative, nous proposons d’opposer la solidité de l’État à la volatilité des marchés, la permanence de l’État à l’évanescence de la liquidité.

Il s’agit tout simplement de mettre la solidité et la permanence de l’État – par le biais de sa garantie, sur laquelle je reviendrai – au service de nos concitoyens pour vaincre la défiance.

Le plan que nous vous proposons pour relancer et réamorcer le refinancement du système financier doit nous permettre d’éviter aujourd’hui des conséquences qui pourraient être beaucoup plus graves pour l’ensemble du pays si nous ne mettions pas rapidement ces mesures en œuvre.

La force du plan du Gouvernement tient aussi au fait que celui-ci s’appuie sur un élan de toute l’Europe. Le plan adopté lundi en conseil des ministres est l’aboutissement d’un processus de coordination internationale qui a été lancé par le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, le 4 octobre dernier, lors du sommet européen du G4, qui s’est poursuivi à seize, le 6 octobre, avec l’Eurogroupe, puis à vingt-sept, le 7 octobre, avec les ministres de l’Ecofin.

Ce processus a ensuite été élargi aux États-Unis, au Canada et au Japon, à l’occasion de la réunion du G7 qui s’est tenue le 10 octobre, puis, le 11 octobre, à l’ensemble des pays du G20 – qui comprend notamment, entre autres pays émergents, l’Afrique du Sud, l’Inde, la Thaïlande, les pays émergents – qui sont eux aussi affectés par la situation. C’est aussi le 11 octobre que le comité monétaire et financier international du Fonds monétaire international, fort de ses 178 États membres, a endossé les principes fondamentaux de ce plan.

Ce mouvement a finalement débouché sur l’accord historique des chefs d’État et de gouvernement des seize pays membres de l’Eurogroupe, signé le 12 octobre à Paris. Cet accord est historique eu égard à la portée des engagements qui ont été pris, mais aussi parce que c’est la première fois que les chefs d’État et de gouvernement de l’Eurogroupe décident ensemble et en liaison avec la Banque centrale européenne.

M. Jean-Pierre Michel. Vive la Grande-Bretagne !

Mme Christine Lagarde, ministre. Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous propose d’adapter cet accord à notre situation nationale.

Le texte présente la caractéristique d’avoir été élaboré dans l’urgence grâce à l’attention extrêmement concentrée de l’ensemble des acteurs. Imaginez un projet de loi rédigé dans une première version vendredi, examiné dimanche après-midi par le Conseil d’État, présenté lundi en conseil des ministres, réuni exceptionnellement ce jour-là, examiné par les commissions des finances des assemblées hier matin, voté à l'Assemblée nationale hier soir, et présenté au Sénat cet après-midi, après avoir fait l’objet d’un travail très fécond – je le qualifierai même de fondateur – de la part de votre commission des finances. Qu’on me permette ici d’en remercier son président et son rapporteur général. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

Concrètement, le Gouvernement vous soumet trois mesures de bon sens, toutes fondées sur une valeur sûre : la garantie de l’État.

Nous vous proposons tout d’abord de créer une société de refinancement. Avec la crise de confiance, les banques ont aujourd’hui du mal à se financer, car elles hésitent à se prêter entre elles. Sans financement, elles arrêteront de consentir des prêts aux ménages, aux entreprises et aux collectivités locales. Ce sont l’investissement et l’emploi qui en souffriront : nous ne pouvons l’accepter.

Cette société de refinancement lèvera des fonds sur les marchés avec la garantie de l’État, ce qui lui permettra de bénéficier de taux d’intérêt particulièrement bas. L’État est en effet, aujourd'hui, l’emprunteur le plus séduisant pour les investisseurs : il est sûr. La société prêtera les ressources ainsi recueillies aux banques, qui pourront à leur tour assurer le financement normal des ménages, des entreprises et des collectivités locales.

II s’agira d’une société privée dont l’État détiendra 34 % du capital, c'est-à-dire la minorité du blocage. Elle sera présidée par M. Michel Camdessus, qui accepté cette responsabilité, et son directeur général sera M. Thierry Coste.

Au-delà des droits que lui conférera sa présence au capital, l’État exercera un contrôle étroit sur toutes les décisions susceptibles d’avoir une incidence pour le contribuable au travers de la garantie de l’État. À cet effet, en plus des administrateurs dont disposera l’État en tant qu’actionnaire minoritaire, des commissaires du Gouvernement siégeront au conseil d’administration et auront un droit de veto.

La Banque de France exercera également un contrôle, notamment quant à la qualité du collatéral, c'est-à-dire des titres apportés en garantie par les banques pour bénéficier de la mise à disposition de fonds.

Le Gouvernement souhaite enfin une structure totalement transparente. À cet effet, nous associerons la représentation nationale à son fonctionnement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent !

Mme Christine Lagarde, ministre. C’est un travail que je souhaite mener, dans les prochains jours, en liaison avec les commissions des finances des deux assemblées.

Je souhaite à présent aborder la question de la garantie de l’État.

D’autres pays ont choisi de garantir directement l’intégralité de la dette de toutes leurs banques. Nous avons fait, en France, le choix d’une solution tout aussi efficace, mais plus protectrice des intérêts du contribuable.

Le contribuable français bénéficiera en effet de deux protections.

En premier lieu, je l’ai dit, cette société de refinancement lèvera des fonds sur les marchés avec la garantie de l’État, bénéficiant ainsi de taux d’intérêt faibles. Cette garantie de l’État a un prix, nous la facturerons.

En second lieu, les prêts que la société de refinancement fera aux banques seront assortis d’un gage, sous la forme d’actifs de bonne qualité, dont la Banque de France assurera le contrôle. Cela signifie que, si la banque emprunteuse ne parvient pas à rembourser la société de refinancement, pour quelque raison que ce soit, celle-ci pourra liquider les actifs déposés en gage par la banque défaillante pour se rembourser.

Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas d’instaurer une structure de défaisance. Il ne s’agit pas non plus pour l’État d’acquérir des actifs comme le prévoient le plan Paulson ou le plan espagnol. L’État n’acquerra pas de titres, l’État n’allégera pas les bilans des banques sous prétexte de les remettre en état de fonctionnement. L’État donnera sa garantie à une société qui, ayant emprunté à taux bas, prêtera à un taux plus élevé, la différence entre les deux taux constituant la rémunération de l’État, en contrepartie de la garantie qu’il consent.

Voilà pour ce qui est en quelque sorte le premier guichet, celui du refinancement nécessaire pour réamorcer la pompe à liquidités, aujourd'hui totalement bloquée.

Nous vous proposons de créer par ailleurs un deuxième guichet, destiné à renforcer les fonds propres des organismes financiers qui le souhaitent et bénéficiant, lui aussi, de la garantie de l’État.

Au cours des récentes réunions internationales que j’ai évoquées, qu’elles soient européennes ou mondiales, nous avons tous constaté que les États devaient se donner les moyens, en cas de nécessité, de renforcer les fonds propres de leurs organismes financiers afin de rétablir la confiance. Cela est si vrai que les États-Unis – vous l’aurez constaté à la lecture de la presse ce matin –, qui avaient envisagé de ne réamorcer la pompe et de ne restaurer la confiance que par le biais d’une structure de défaisance, ont renoncé, en tout cas partiellement et temporairement, à l’institution d’une telle structure et décidé, eux aussi, de mettre en place deux guichets : un guichet de refinancement et un guichet de recapitalisation.

Je vous le dis très clairement : les fonds propres des banques françaises excèdent aujourd'hui largement les minima réglementaires. Pour autant, compte tenu des démarches entreprises outre-Manche et ailleurs, la France ne doit pas être en reste. Nous devons disposer des mêmes moyens que nos partenaires pour renforcer les fonds propres de nos établissements financiers, s’ils le souhaitent. Ce sera leur décision, en fonction de la stratégie qu’ils auront arrêtée.

Ce dispositif viendra compléter l’engagement pris par l’État d’intervenir pour stabiliser la situation de toute banque qui connaîtrait des difficultés.

Premier cas de figure : une banque décidera, dans le cadre de sa stratégie et compte tenu de la concurrence internationale, de demander à l’État de renforcer ses fonds propres. Second cas de figure : l’État pourra intervenir au plus haut niveau du bilan en prenant une participation dans le capital d’un établissement de crédit en difficulté.

Ces dispositifs sont la mise en œuvre des engagements solennels du Président de la République : l’État ne laissera tomber aucune des banques françaises et aucun déposant français n’aura à souffrir de la défaillance d’un établissement financier opérant sur le territoire français.

Pour ce qui est du renforcement des fonds propres – participation au capital ou participation en titres subordonnés immédiatement en dessous du capital –, nous envisageons un plafond de 40 milliards d’euros.

La troisième garantie que le Gouvernement vous propose d’adopter aujourd'hui, c’est celle que nous avons mise en œuvre pour le sauvetage du groupe Dexia. Il fallait stabiliser cette banque belge, française et luxembourgeoise, car elle représentait un risque systémique. Par ailleurs, cette banque est un financeur des collectivités locales. L’État a donc pris ses responsabilités en intervenant aux côtés des gouvernements belge et luxembourgeois.

L’urgence étant réglée, il nous fallait évidemment assurer la pérennité de l’activité. C'est la raison pour laquelle chacun des trois États a également consenti une garantie au groupe Dexia, à proportion de la part qu’il détient dans le capital du groupe, au niveau de la société de tête.

J’en viens maintenant au montant du plafond de ces garanties.

Je rappelle qu’il s’agit de garanties et non pas d’engagements. Il ne faut pas se laisser aveugler par l’impression que des milliards valsent dans tous les sens. Il est non pas question de décaisser des milliards, mais d’assortir de la garantie de l’État des mécanismes d’emprunts et de prêts, d’emprunts et de participation aux fonds propres des banques.

Il est hautement probable que ces garanties ne seront jamais mobilisées dans leur intégralité. Pour autant, il était nécessaire de prendre une mesure forte afin de restaurer la confiance.

La garantie pouvant être accordée par l’État, pour un refinancement d’un établissement de crédit ou une prise de participation au capital d’un établissement de crédit, si cela s’avère nécessaire, sera plafonnée à 360 milliards d’euros.

Ces 360 milliards d’euros se répartissent de la manière suivante : 40 milliards d’euros serviront à renforcer les fonds propres des banques et 320 milliards d’euros seront affectés au refinancement.

Ces mesures permettront bien sûr de réamorcer utilement la « pompe à finance » et de stabiliser les établissements financiers, mais nous ne réaliserions pas de grands progrès si nous ne modifiions pas le comportement des acteurs. C'est la raison pour laquelle nous demanderons aux établissements de crédit qui solliciteront soit une recapitalisation, soit un refinancement, de prendre des engagements, que nous appellerons des contreparties, dans le cadre de conventions qui, seules, permettront l’octroi de la garantie de l’État.

Nous ne pouvons pas en effet tolérer que l’État, alors qu’il s’impliquerait en permettant soit une recapitalisation, soit un refinancement, cautionne des pratiques – nous les connaissons tous – que nous n’approuvons pas.

Nous imposerons donc aux banques, dans le cadre de ces conventions, deux catégories de contreparties : des contreparties d’ordre économique, d’une part, parce que nous souhaitons contrôler l’usage qui sera fait des financements, et des contreparties éthiques, d’autre part, parce que nous ne supporterons pas la poursuite de comportements prédateurs.

Dans le cas des banques en difficulté et au capital desquelles nous entrerions au plus haut niveau, nous appliquerions tout simplement la doctrine qui a prévalu dans le cas Dexia. Les dirigeants et les actionnaires doivent supporter le fardeau de leurs erreurs et les conséquences d’une intervention de l’État au capital. Cela signifie dilution des actionnaires en place et départ des dirigeants qui ont fauté.

M. Charles Pasqua. Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre. Autrement dit, les dirigeants seront remerciés, les parachutes dorés resteront pliés et l’État prendra sa part dans le contrôle de la société.

Par ailleurs, nous exigerons que les refinancements obtenus par les banques et les établissements de crédit soient affectés à l’économie, c'est-à-dire aux ménages, aux entreprises et aux collectivités locales. Nous demanderons aux banques de fixer des objectifs pour le refinancement de l’économie. Ces objectifs devront être évidemment d’un montant égal ou supérieur à celui des refinancements qui seront consentis. Les directions des banques nous rendront compte régulièrement de leurs réalisations et proposeront, le cas échéant, chaque fois que nous le demanderons, des mesures correctrices.

En résumé, des volumes déterminés seront affectés au financement de l’économie et les établissements auront l’obligation de nous adresser un compte rendu régulier, mensuel sur leurs engagements et trimestriel sur leurs performances.

En matière éthique, je demanderai un encadrement strict de la rémunération des dirigeants, l’interdiction de cumuler un contrat de travail et un mandat social, le plafonnement des indemnités de départ et l’institution d’un comité des rémunérations partout où il n’en existe pas. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur quelques travées de l’Union centriste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

Je demanderai également aux établissements qui souhaiteraient bénéficier d’un refinancement de présenter à la commission bancaire une politique de rémunération de tous leurs opérateurs. En effet, il ne faut pas simplement se concentrer sur la rémunération des dirigeants, il convient également de se pencher sur celle des opérateurs, en particulier des traders, afin que ces rémunérations n’incitent pas à des comportements excessifs et qu’elles rendent chacun tout à la fois responsable et raisonnable.

Dans un souci de transparence, je souhaite que les commissions des finances des deux assemblées soient associées à la préparation de la convention qui sera passée entre l’État et chaque banque participante. Ainsi, l’ensemble des autorités de l’État sera associé à cet effort.

Enfin, dans le cas des banques bien capitalisées, mais qui souhaitent un renforcement de leurs fonds propres, j’irai plus loin : je demanderai la renonciation aux parachutes dorés s’ils existent, l’interdiction des rachats d’actions et l’association de l’État aux performances futures de l’établissement. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Telles sont les mesures immédiates que nous vous proposons pour réamorcer la pompe, stabiliser le système et restaurer un certain nombre de boussoles éthiques et économiques que certains établissements avaient parfois perdues de vue.

Notre travail ne s’arrêtera pas là. Même si cela n’est pas prévu dans le projet de loi, nous devrons évidemment engager dans les plus brefs délais un chantier à moyen et à long terme qui concernera non seulement les établissements français, mais également les établissements européens et, plus généralement, l’ensemble des acteurs de la « planète finance ».

Cette rénovation, cette réinvention des règles de financement du capitalisme figure en tête de la liste des priorités du Président de la République, qui ne manquera pas d’évoquer ce sujet avec l’ensemble de ses partenaires dès aujourd'hui à Bruxelles, où je m’apprête à le rejoindre.

Il souhaite ensuite, afin que les mesures relatives à une meilleure régulation et à une meilleure gouvernance des systèmes financiers soient applicables, étendre ce débat au G8, à un G13 ou à un G14, en fonction de l’accord qu’il obtiendra pour cela de ses partenaires.

M. Jean-Louis Carrère. Et les amis du Fouquet’s ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Vous l’avez compris, monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vous abordez dans l’urgence est un texte important et fondateur. Je vous remercie infiniment de l’attention que vous lui accorderez et du travail que vous y avez déjà consacré.

Je demande à mon collègue Hervé Novelli, qui va me remplacer puisque je dois partir pour Bruxelles dans quelques minutes, de bien vouloir répondre à toutes vos questions et à toutes les propositions que vous formulerez. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a une semaine, nous débattions de la crise en termes généraux.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet après-midi, nous en venons aux exercices pratiques avec un texte tout à fait exceptionnel pour une situation d’exception.

Madame le ministre, je tiens tout d’abord, avant que vous ne soyez contrainte de nous quitter, à vous féliciter et à vous remercier, ainsi que vos collaborateurs.

Je vous remercie en particulier de la transparence dont vous avez bien voulu faire preuve vis-à-vis du président de la commission des finances et de moi-même alors que le dispositif que vous nous soumettez n’était pas encore totalement finalisé, arrêté. En effet, au cours des négociations qui se sont déroulées durant le week-end dernier, vous avez pris soin de nous en tenir informés, puis, dans les heures qui ont suivi, vous nous avez associés à votre réflexion et à la mise au point de ce texte.

Sa rédaction est une performance, non seulement en termes de temps, mais surtout en termes de fond, car elle fait preuve d’un véritable esprit de créativité juridique et financière. Nous assistons à un retour aux fondamentaux du droit financier, c’est-à-dire à un droit financier non puisé aux sources jusque-là omniprésentes de l’univers anglo-saxon.

N’oublions pas que ce texte est, par ailleurs, la conséquence directe d’une série de réunions internationales essentielles et que le caractère très pugnace de cette séquence d’événements est tout particulièrement dû à la personnalité du président du Conseil européen en exercice, je veux naturellement parler du Président Nicolas Sarkozy. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

Au demeurant, mes chers collègues, si nous observons une résurgence de l’État, nous observons également une résurgence des États en Europe. Après tout, au moins pendant ce semestre, la présidence tournante ne paraît pas être une si mauvaise institution que cela...

J’en viens au texte proprement dit, qui est bien un projet de loi de finances rectificative et non un collectif budgétaire, contrairement à l’appellation malheureuse qui est apparue assez rapidement dans le débat. Ce texte n’a rien de budgétaire,…

M. Jean-Louis Carrère. Ni de collectif ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. … sauf formellement, car n’y est inscrit aucun euro de dépense supplémentaire.

M. Philippe Marini, rapporteur général. S’il s’agit d’un projet de loi de finances rectificative, c’est pour obéir à l’heureuse discipline de la loi organique relative aux lois de finances, qui impose l’autorisation du Parlement à l’octroi d’une garantie financière par l’État.

Soit dit entre parenthèses, lors de la réunion de la commission des finances, ce matin, j’ai indiqué que c’était la première fois depuis le début de la Ve République que l’on assortissait une loi de finances rectificative d’un intitulé précis, en l’occurrence « pour le financement de l’économie ». Je le confesse, je me suis trompé, car j’ai trouvé un précédent : la loi du 21 juillet 1960 portant loi de finances rectificative pour 1960, avait pour objet, selon son intitulé, « la régularisation et l’orientation des marchés agricoles ».

M. Charles Revet. Belle référence !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce projet de loi comporte deux volets étroitement complémentaires : la préservation de la liquidité et celle de la solvabilité du système bancaire. Vous me permettrez, mes chers collègues, de borner mon exposé liminaire à l’article 6, qui est particulièrement innovant. Nous aborderons les articles 1 à 5 lorsque nous passerons à l’examen des amendements.

Comme je l’ai déjà indiqué à cette tribune il y a une semaine, le blocage du financement interbancaire au-delà de quelques jours porte en germe l’apparition de graves problèmes de solvabilité bilantielle pour certains établissements de crédit, parmi les plus importants pour notre économie.

L’État joue donc ici un rôle de garant en dernier ressort sur le marché interbancaire. Il ajoute une intervention spécifique et temporaire aux fonctions exercées par la Banque centrale européenne. Il ne s’agit pas de créer une banque centrale bis ou un instrument supplémentaire de création monétaire, mais de mettre en place un outil de transformation susceptible de susciter la confiance entre les établissements de crédit, entre les acteurs du marché interbancaire. Cela vise essentiellement à éviter la raréfaction, le renchérissement, voire l’effondrement du crédit, ce que les économistes appellent le credit crunch, qui est facteur de crise de l’économie réelle et que nous sommes tous en mesure de redouter.

Ce texte porte une autorisation de garantie plafonnée à 360 milliards d’euros. Mme Lagarde nous a indiqué qu’ils se répartissaient ainsi : 40 milliards d’euros seront destinés à garantir un outil public susceptible de prendre des participations en fonds propres dans les établissements de crédit et 320 milliards d’euros seront destinés à garantir le bon fonctionnement du marché interbancaire grâce à un dispositif que je m’efforcerai de résumer dans quelques instants.

Si le chiffre sur lequel on nous demande de nous prononcer est global, c’est tout simplement parce qu’il n’est pas possible aujourd’hui, à quelques milliards d’euros près, de procéder à une ventilation de façon arithmétique. Mais les ordres de grandeur sont donnés et ils sont très voisins, voire analogues à ceux des plans de même finalité de nos partenaires de la zone euro ainsi que – j’allais dire surtout – de ceux du Royaume-Uni.

Nous voyons donc se mettre en place deux outils, à savoir une société de prise de participation de l’État et une caisse de refinancement, qui ne sont pas encore créés, mais dont le régime juridique et les modalités d’intervention sont prévus par ce projet de loi. S’y ajoutent les conséquences à tirer de l’accord intergouvernemental déjà intervenu pour le sauvetage du groupe Dexia.

Mes chers collègues, 360 milliards d’euros, cela représente dix-neuf points de produit intérieur brut et plus de sept fois le déficit budgétaire prévu pour 2008 et 2009. Mais j’arrête aussitôt les comparaisons, car, je le répète, il s’agit d’un outil de nature dissuasive et le projet de loi que nous examinons n’est pas véritablement un texte budgétaire.

Néanmoins, son impact comptable sur les finances de l’État sera, à l’évidence, très significatif. Dans les semaines qui viennent, il appartiendra à l’Union européenne, en particulier à Eurostat, qui n’est en vérité qu’une unité administrative de la Commission, d’indiquer si ces opérations sont susceptibles d’entrer dans le ratio de la dette publique par rapport au produit intérieur brut et, si oui, de quelle manière.

À l’évidence, la dette que contractera la société de prise de participation sera consolidée avec celle de l’État puisque cette société appartiendra à 100 % à l’État. En revanche, pour ce qui concerne la caisse de refinancement, bien que garantie par l’État et n’intervenant que sur son ordre et pour son compte, l’interprétation est moins évidente.

Cela étant, au-delà des données dites maastrichtiennes, l’important est l’appréciation macroéconomique, et celle-ci est moins liée aux finesses des classifications comptables bruxelloises.

J’en viens à la caisse de refinancement ou société de refinancement comme l’appelle le texte, car elle comporte des éléments tout à fait innovants et essentiels.

Elle agira un peu comme une pompe aspirante et refoulante. D’une certaine manière, c’est comme si l’on implantait un pacemaker pour s’assurer que le muscle cardiaque projette le liquide financier à un rythme régulier dans tout l’organisme économique. (Sourires.) Espérons que ce pacemaker ne sera que temporaire et que nous pourrons nous en passer dès que la crise que nous vivons actuellement sera derrière nous !

Ses concours seront assortis de nombreuses contreparties.

Tout d’abord, l’État accordera sa garantie à titre onéreux. Le coût sera donc refacturé aux établissements bénéficiaires.

Ensuite, le montant des prêts alloués aux établissements sollicitant le guichet dépendra de la qualité des actifs financiers qu’ils apporteront en gage, en garantie ou en pension à la caisse de refinancement. Une équipe issue de la Banque de France ou de la Commission bancaire assurera la cotation de ces différentes catégories d’actifs financiers, de telle sorte que les montants de crédit alloués dépendent bien de la nature des garanties ou des contre-garanties ainsi apportées par les bénéficiaires.

En outre, le taux des concours, taux de marché, dépendra de la qualité de la signature des bénéficiaires. Cela signifie que l’on examinera les risques à partir de l’analyse des bilans et de la connaissance que les marchés ont de l’actif et du passif de chacun des établissements bénéficiaires.

Enfin, et Mme Lagarde a justement insisté sur ce point essentiel, les décisions seront en réalité prises davantage par le ministre de l’économie que par la caisse elle-même. Chaque fois que la garantie de l’État sera engagée, un arrêté ministériel le permettra. Chaque fois qu’un établissement demandera à accéder à ces concours, il devra souscrire une convention, non avec la caisse de refinancement, mais avec l’État lui-même.

Cette convention comportera deux types de conditionnalité : l’un de nature comportementale, l’autre de nature économique et financière.

S’agissant du comportement, qu’il me suffise de dire synthétiquement qu’il sera demandé aux établissements bénéficiaires de bien se tenir dans un monde difficile et en crise, leurs dirigeants étant concernés au premier chef par cet appel, de manière à éviter tout mode de rémunération ou toute posture qui serait incomprise de l’opinion, dans une phase où l’on risque de demander bien des efforts à nos concitoyens et aux différentes catégories d’agents économiques.

Quant aux contreparties de nature économique et financière, elles représenteront simplement la nécessaire traçabilité des sommes allouées : il s’agira de s’assurer qu’elles ne sont pas thésaurisées par les établissements mais bien investies en crédits. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)

M. Carrère a-t-il des questions à formuler à ce sujet ?