M. Jean-Luc Mélenchon. Ah bon ! Comment le savez-vous ?
M. Jean François-Poncet. Il est vrai que certains prétendent que ce sont les Américains eux-mêmes… Peut-être en êtes-vous ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Non !
M. Jean François-Poncet. Je suis heureux de votre dénégation.
M. Didier Boulaud. C’est Jean-Marie Bigard qui dit cela !
M. Jean-Luc Mélenchon. Reste ma question : comment êtes-vous sûrs de ce que vous affirmez ?
M. le président. Mes chers collègues, veuillez écouter en silence !
M. Jean François-Poncet. Les talibans s’étaient rendu maîtres du pays à l’issue d’une sanglante guerre civile.
Ces événements sont dans toutes les mémoires. Si je les ai rappelés, c’est pour situer l’embuscade dont dix soldats français ont été les victimes héroïques, le 18 août dernier, dans son véritable contexte : celui du combat de l’Occident et de ses alliés contre le terrorisme international, qui n’a pas cessé, depuis septembre 2001, de s’étendre, en organisant des attentats meurtriers au Maroc, en Algérie, en Angleterre, en Espagne, ainsi qu’en Asie du sud-est.
Je tiens à m’incliner, au nom de l’UMP, devant le sacrifice de nos dix soldats, piégés à cinquante kilomètres à l’est de Kaboul, et à saluer leur admirable courage. Ils se sont battus toute la nuit, sous un feu meurtrier, obligeant, au petit matin, leurs adversaires à se retirer. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
Je ne m’arrêterai pas sur la polémique, aussi malveillante que constamment renaissante, concernant le déroulement des combats. Certains tentent de mettre en cause l’armement de nos soldats, ou l’aide qu’ils auraient dû recevoir et n’auraient pas reçue.
Un journal canadien a ainsi fait état d’un rapport secret de l’OTAN qui authentifierait ces rumeurs. Ces accusations ont été une fois de plus catégoriquement démenties, y compris par les soldats engagés dans les combats. Quant au prétendu rapport de l’OTAN, son existence a été officiellement niée par l’organisation elle-même.
Sans doute y aura-t-il des enseignements à tirer du déroulement de l’embuscade. Cela n’aurait rien d’étonnant. Le commandement des forces françaises s’en est d’ailleurs immédiatement chargé. Nous lui faisons, en ce qui nous concerne, une totale confiance.
J’en viens, mes chers collègues, à l’enjeu que constitue pour la France et ses alliés le destin de l’Afghanistan, ainsi qu’à la stratégie qui préside à l’engagement de nos forces et à l’objectif qui leur est assigné.
L’enjeu en Afghanistan est triple : il concerne la sécurité de notre pays face au terrorisme, la stabilité de l’Asie méridionale et centrale et, enfin, l’avenir de la démocratie afghane.
Pouvons-nous laisser l’Afghanistan redevenir le sanctuaire principal du jihad international ? Telle est la question très simple qui nous est posée.
Mme Michelle Demessine. Chaque jour, cela s’aggrave !
M. Jean François-Poncet. Pouvons-nous laisser ce pays redevenir le havre où Ben Laden, le mollah Omar et leur état-major réinstalleront, en toute sécurité, leurs camps d’entraînement et, un jour, pas si lointain peut-être, des sites de fabrication d’armes de destruction massive ? (Exclamations sur diverses travées du groupe socialiste.)
À quoi bon traquer les jihadistes au Moyen-Orient, en Afrique du Nord ou en Europe s’ils disposent, en Afghanistan, d’une base arrière d’où ils peuvent, en toute impunité, se préparer à nous frapper ? C’est l’intérêt national qui est en cause. L’opinion publique a du mal à le comprendre. Il est de notre responsabilité de l’éclairer.
Pouvons-nous laisser l’Afghanistan mettre en péril la stabilité du Pakistan et des républiques d’Asie centrale ? Les islamistes ont, depuis longtemps, essaimé en dehors des zones tribales du Pakistan. La « talibanisation » rampante de ce grand pays deviendrait irrésistible si les jihadistes pakistanais trouvaient, demain, en Afghanistan, la profondeur stratégique qui leur manque. Le Pakistan, ne l’oublions pas, possède un arsenal nucléaire. L’attentat suicide qui vient de détruire l’un des principaux hôtels d’Islamabad montre la terrifiante réalité de ce danger.
Est-il, enfin, imaginable que nous livrions l’Afghanistan à l’une des dictatures les plus obscurantistes de la planète, celle-là même qui s’est illustrée par des exécutions publiques dans les stades, celle qui a fait des femmes des citoyens de seconde zone dans leur pays ? Est-il pensable que la France, le pays des droits de l’homme, tourne aussi ouvertement le dos à la mission qu’il assume depuis la Révolution française ?
Poser ces questions, c’est y répondre. L’enjeu que constitue pour nous l’Afghanistan est évident : il a une dimension littéralement historique. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP du Sénat votera l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces françaises en Afghanistan demandée à notre assemblée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UC-UDF.)
J’en viens à la stratégie à mettre en œuvre face à un tel enjeu. La montée en puissance des talibans est un fait. Les attentats qu’ils ont perpétrés ont augmenté de 30 % en un an et sont caractérisés par une audace croissante, comme en témoignent l’attentat en plein Kaboul visant le président Karzaï, l’attaque contre l’ambassade de l’Inde, également à Kaboul, ou celle contre la prison de Kandahar.
Il est donc parfaitement légitime, devant l’aggravation de la situation, de s’interroger sur la stratégie mise en œuvre. Encore faudrait-il ne pas la caricaturer, dans le seul but de la critiquer ou d’affirmer, contre toute évidence, qu’elle n’existe pas.
Si la situation s’est dégradée, c’est, en premier lieu, ne l’oublions pas, parce que, après avoir chassé, en quelques semaines, les talibans du pouvoir, les États-Unis ont transféré en Irak l’essentiel de leurs moyens militaires et financiers, laissant plus ou moins l’Afghanistan à son sort.
La stratégie mise en œuvre, après ce demi-abandon, n’a jamais été celle du « tout-militaire ». Contrairement à ce que certains déclarent, elle a toujours comporté plusieurs volets : un volet militaire, bien évidemment, mais aussi un important volet économique, ainsi qu’un volet politique, qui reste, il est vrai, à développer.
J’aborderai, tout d’abord, le volet militaire.
Les 50 000 hommes de la Force internationale d’assistance à la sécurité, sous commandement de l’OTAN, et les 20 000 soldats des forces spéciales américaines suffiront-ils à pacifier l’Afghanistan,…
M. Jean-Louis Carrère. Non !
M. Jean François-Poncet.… un pays grand comme la France, dont le relief est l’un des plus tourmentés du monde ? Le secrétaire général de l’OTAN ne le pense pas ; le président des États-Unis non plus, qui s’est déclaré prêt à envoyer en Afghanistan 3 700 soldats en 2008…
M. Jean François-Poncet.… et trois brigades supplémentaires, soit 10 000 hommes, l’année prochaine. Comme vous le savez, les deux candidats à l’élection présidentielle américaine sont sur la même ligne et annoncent qu’ils demanderont aux Européens de s’associer à l’effort américain.
C’est dans ce contexte que le Président de la République a décidé l’envoi en Afghanistan d’un renfort de 700 soldats, ce qui porte à près de 3 000 hommes l’effectif de nos forces et témoigne concrètement de notre solidarité avec nos alliés européens et américains.
Certes, l’efficacité militaire dépend non pas seulement de l’importance numérique des forces engagées et de leur armement, mais aussi, bien entendu, des conditions de leur engagement. À cet égard, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, je dois le dire, il n’est plus acceptable que certains pays imposent des restrictions, des caveat, au développement et au déploiement de leurs forces,…
M. Roland du Luart. Absolument !
M. Jean François-Poncet.… interdisant ainsi que celles-ci soient engagées dans les zones dangereuses de l’est et du sud du pays. Il est essentiel que les forces de l’OTAN constituent un ensemble homogène, sous un même commandement et à la disposition de la coalition, et que la coordination entre elles et les forces spéciales américaines soit améliorée.
Personne, pour autant, ne pense que les armes seules décideront de l’issue du conflit. Nos militaires sont les premiers à le dire.
M. Jean François-Poncet. Aussi la stratégie mise en œuvre comporte-t-elle, depuis le premier jour, un important volet économique.
Une guerre anti-insurrectionnelle ne se gagne qu’avec le soutien de la population. Or celle-ci, après trente ans de troubles sanglants, connaît une immense misère. Les ONG, financées par l’ONU, ne sont pas les seules à y faire un admirable travail. Depuis plusieurs années, nous tendons à l’oublier, les gouvernements ont mis en place des équipes régionales de reconstruction, qui s’efforcent de rétablir, région par région, des conditions de vie normale. Cet effort, bien entendu, doit être développé.
Cela étant, des résultats importants ont d’ores et déjà été obtenus ; vous l’avez-vous-même rappelé, monsieur le Premier ministre, en donnant des précisions à ce sujet. Je n’y reviens donc pas. Il reste, à l’évidence, énormément à faire. C’est vrai, notamment, en matière de justice, de police, et peut-être surtout, en matière de lutte contre la corruption, qui est endémique à tous les niveaux du pouvoir.
Il est bien évident aussi que la reconstruction économique est difficile et probablement impossible dans les régions qui n’ont pas été pacifiées. Pour développer, il faut d’abord sécuriser.
Il reste à aborder le volet politique de notre stratégie. Les talibans ne constituent pas un bloc homogène. Il y a des extrémistes, endoctrinés au Pakistan. Il y a des éléments étrangers – arabes, ouzbeks, européens –, encadrés par Al-Qaïda : nombre d’entre eux ont été formés en Irak, d’où ils refluent. Toutefois, parmi les membres des tribus pachtounes du sud et de l’est de l’Afghanistan, nombreux sont ceux qui combattent les troupes étrangères par simple nationalisme. C’est avec eux qu’un dialogue peut et doit être noué. Ce dialogue, l’Occident doit l’encourager, mais c’est au président Karzaï, pachtoun lui-même, qu’il incombe de persuader ces éléments que l’intérêt du pays est de se débarrasser d’Al-Qaïda et de ses alliés, dont les objectifs n’ont rien à voir avec l’indépendance et la prospérité de l’Afghanistan.
Mes chers collègues, notre propre objectif mérite, lui aussi, d’être clairement défini. Il ne s’agit pas, en effet, de remporter une victoire, comme si nous étions confrontés à une guerre conventionnelle. Il s’agit, la France s’y emploie d’ailleurs depuis le début, de former et d’équiper les forces de sécurité afghanes et de les préparer à assumer elles-mêmes la responsabilité de pacifier le pays.
Sans doute auront-elles encore longtemps besoin d’un soutien occidental, mais, plus le passage de témoin interviendra rapidement, mieux cela vaudra. Le Président de la République vient d’annoncer que le processus était déjà engagé dans le district de Kaboul – vous nous l’avez confirmé, monsieur le Premier ministre – et qu’il serait poursuivi dans la région centre de l’Afghanistan, dont la France assure le commandement pendant un an.
J’en viens, pour terminer, à nos alliés américains.
Un débat sur l’ensemble de la stratégie occidentale devra être ouvert avec eux aussitôt après l’installation de la nouvelle administration. Il ne pourra pas s’agir seulement de débattre des effectifs à engager, de leur commandement ou de la reconstruction économique et politique du pays. Le problème crucial de l’avenir du Pakistan et de la situation dans les zones tribales du nord-ouest de ce pays devra être clairement posé. Les talibans y règnent en maîtres et alimentent en armes et en combattants les insurgés afghans. Cette situation doit, d’une façon ou d’une autre, cesser.
Le problème de la drogue devra lui aussi être débattu. La culture du pavot entretient une corruption qui gangrène l’État, même si certains progrès, comme vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ont été accomplis. C’est de la drogue que les talibans tirent leurs ressources. C’est elle qui soutient une hiérarchie de seigneurs de la guerre défiant l’autorité du président Karzaï.
Mes chers collègues, ne sous-estimons pas la détermination et l’esprit politique des Américains. Nul n’a désormais plus d’expérience qu’eux de la lutte contre une insurrection, dont les attentats suicides et les explosifs dissimulés au bord des routes, sont les armes favorites. Ils ont réussi, ce qui n’avait rien d’évident, à détacher d’Al-Qaïda les tribus sunnites irakiennes.
Certes, la partie est loin d’être gagnée en Irak, mais les résultats obtenus après, il est vrai, cinq années de sanglants combats et plus de 4 000 soldats tués sont significatifs.
L’Amérique est un partenaire désormais aguerri. Pour autant, il est essentiel que l’Europe, en raison de l’importance de son effort militaire et financier, soit, dans tous les domaines, traitée en partenaire égal.
Mes chers collègues, l’Afghanistan n’est pas le seul théâtre de lutte contre le terrorisme international. Mais il constitue, avec la création d’un État palestinien et l’arrêt du programme nucléaire iranien, un défi qu’il est fondamental de relever si nous voulons éviter que le choc des civilisations ne devienne un jour une réalité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 18 août dernier, avec la mort de dix de nos soldats tombés dans une embuscade en Afghanistan, l’opinion publique découvrait brutalement que la France était en guerre.
Je voudrais, tout d’abord, rendre hommage à ces soldats et sous-officiers qui, au nom de notre pays, exercent une mission souvent difficile et parfois périlleuse.
Je voudrais également, au nom de mon groupe, m’associer à la douleur de leurs familles.
Mais au-delà de l’émotion, je veux aussi dire que nos concitoyens ne connaissent ni ne comprennent les raisons de notre présence dans ce pays. Reviennent à leur mémoire, sans similitude pourtant, les périodes noires des aventures algérienne et vietnamienne. C’est certainement ce qui explique que, dans un récent sondage, 62 % des Français se prononcent contre le maintien de nos troupes en Afghanistan.
En effet, pour la première fois depuis bien longtemps, des soldats français engagés comme supplétifs des Américains dans une guerre qui n’est pas la nôtre, menée, de surcroît, de façon peu cohérente, sont morts sans que la nation sache vraiment pourquoi.
À ce propos, ces jours-ci, la presse fait état du compte rendu d’un officier américain pointant un sous-équipement de nos troupes en munitions et en moyens de communication.
Ces rumeurs alimentent les suspicions sur le manque de transparence des informations qui nous sont données. Le Gouvernement doit donc, une bonne fois pour toutes, dire toute la vérité sur les conditions et les causes de la mort de nos soldats, ou démentir clairement ces informations.
Mme Michelle Demessine. C’est cet événement tragique du 18 août qui vous oblige aujourd’hui, messieurs les ministres, à justifier devant la représentation nationale la politique menée par le Président de la République dans ce pays lointain.
Or, loin de tirer les enseignements de l’impasse dans laquelle conduit cette politique, vous nous demandez de donner notre accord à la prolongation de cette intervention militaire.
Nous vous refuserons cet accord pour deux raisons principales. La première, c’est que cette intervention a changé plusieurs fois de nature, sans d’ailleurs que le Parlement ait eu à en débattre. La seconde raison est que la stratégie qui la sous-tend a totalement échoué.
Rappelons-nous qu’à la fin de l’année 2001 il s’agissait, sous couvert d’une opération du Conseil de sécurité de l’ONU, d’une intervention américaine en coalition, ayant trois objectifs : détruire le sanctuaire d’Al-Qaïda, renverser le régime des talibans et établir un État de droit.
En France, c’est sur ces bases qu’a été prise la décision, que nous avons approuvée, d’intervenir aux côtés des États-Unis.
Par la suite, les conditions comme les raisons de l’intervention ont beaucoup évolué : les talibans ayant été chassés du pouvoir, il s’agissait de sécuriser et de reconstruire l’Afghanistan grâce à l’aide militaire, civile et financière de la communauté internationale.
En 2003, la Force internationale d’assistance à la sécurité, FIAS, est alors passée en catimini sous le commandement de l’OTAN, sans aucune consultation parlementaire sur les objectifs de la mission conférée à nos forces armées.
Sous cette nouvelle bannière, elles avaient, semble-t-il, un rôle de maintien de la sécurité, d’appui et de formation de l’armée afghane.
Enfin, en avril 2007, avec l’envoi de 700 hommes supplémentaires, décision prise par le Président de la République, seul, pour satisfaire une demande des Américains, nos militaires sont passés du maintien de la sécurité à des missions de combat.
Nous sommes donc aujourd’hui très éloignés du cadre et des objectifs initiaux de notre présence militaire en Afghanistan.
Aujourd’hui, malgré toutes les dénégations du ministre de la défense, nous participons directement à des opérations de guerre définies par les Américains dans le cadre de l’OTAN. Le drame du 18 août en est l’illustration tragique.
En envoyant massivement des renforts en Afghanistan, en étendant la guerre aux « zones tribales » du Pakistan sans solliciter l’avis de ce pays ni celui de leurs alliés, les États-Unis nous entraînent désormais dans une aventure aveugle qu’il faut avoir le courage politique de refuser ! L’attentat si meurtrier qui a eu lieu ce week-end à Islamabad nous y appelle fortement. C’est pourquoi il faut mettre fin à cette escalade et redéfinir la stratégie globale de notre présence.
La redéfinition de cette stratégie s’impose. En effet, quand le Président de la République a pris la décision d’envoyer des renforts, tout le monde a compris que son objectif était politique : il s’agissait essentiellement de céder aux demandes pressantes des Américains en contrepartie de notre réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN.
Il faut mettre fin à cette aventure, qui confirme à la fois les risques d’enlisement que nous avions dénoncés lors du débat sur le renforcement de nos troupes et l’échec de cette stratégie.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, l’échec est patent. Le bilan est catastrophique, malgré toutes les statistiques que vous nous avez livrées et qui sont fortement contredites par tous ceux qui opèrent concrètement sur le terrain afghan depuis de nombreuses années.
Voyons la réalité en face : le pays est morcelé entre les chefs de guerre, il n’y a pas d’État et le président Hamid Karzaï est une marionnette corrompue entre les mains des Américains. (M. le ministre des affaires étrangères s’exclame.) Le commerce de l’opium est florissant, il alimente, vous le savez, en grande partie la guerre menée par les talibans.
Alors qu’il s’agissait au début de permettre l’installation d’institutions menant vers une forme d’État démocratique, les autorités afghanes viennent d’adopter une Constitution qui définit l’Afghanistan comme un État islamique fondé sur des lois coraniques niant les droits de l’homme.
M. Didier Boulaud. Exactement !
Mme Michelle Demessine. Les femmes afghanes en seront particulièrement victimes, elles qui subissent déjà des pratiques moyenâgeuses. Loin de lutter efficacement contre le terrorisme, cette stratégie, notamment les bombardements sans discernement de villages dans lesquels se réfugient les talibans, les renforce un peu plus chaque jour en faisant basculer de leur côté la population afghane, lasse de compter ses morts. À titre d’exemple, 339 civils ont été tués au mois d’août dernier, un record mensuel en sept ans !
La réalité, c’est que la stratégie mise en œuvre par l’OTAN et les États-Unis conduit la communauté internationale à dépenser dix fois plus pour les actions militaires que pour la reconstruction et le développement du pays. Les chiffres en témoignent : les États-Unis dépensent 100 millions de dollars par jour pour la guerre quand le total de l’aide internationale à la reconstruction est, lui, estimé à 7 millions de dollars par jour. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Non seulement l’aide internationale à la reconstruction et au développement est insuffisante, mais elle est aussi inefficace et mal utilisée.
En mars dernier, un rapport de l’Agence de coordination de l’aide à l’Afghanistan avait révélé que, sur les 25 milliards de dollars que la communauté internationale s’était engagée à verser depuis 2001, seuls 15 milliards avaient bel et bien été débloqués. Et encore, sur cette somme, près de 40 % sont revenus aux pays donateurs sous forme de contrats et de rétribution de consultants divers.
Tout cela est encore aggravé par la disparition sur place d’une grande partie de cette aide, détournée par les autorités locales et les chefs de guerre dans les provinces.
De plus, notre pays est loin d’être exemplaire dans ce domaine. En termes de contributions, il se situe loin derrière l’Allemagne, la Norvège ou le Danemark.
Certes, lors de la conférence des donateurs en juin dernier, le Président de la République a promis de renforcer notre aide à la reconstruction, qui devrait doubler, et de privilégier les secteurs de l’agriculture et de la santé.
À ce propos, pouvez-vous, messieurs les ministres, nous en dire plus sur la programmation de l’utilisation des 20 milliards de dollars réunis en juin lors de cette conférence ?
C’est pour cet ensemble de raisons qu’aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent de tous bords pour dire que les choix stratégiques opérés pour l’Afghanistan ont échoué et qu’il faut en changer. Il faut donc absolument les redéfinir, car il n’y a pas de solution militaire possible aux problèmes posés en Afghanistan.
La présence militaire ne saurait remplacer une politique économique, sociale, de développement et de démocratisation des institutions. Et l’on ne réglera pas les problèmes posés en intensifiant la guerre comme le souhaitent les États-Unis !
Pour nous sortir de ce bourbier, il faut d’abord proposer une perspective politique en relançant le dialogue entre Afghans.
Plus généralement, toute évolution de la démocratie, des mœurs, de la condition féminine et du système de valeurs de la société afghane ne peut intervenir sans la volonté du peuple afghan, avec l’aide de toutes les forces progressistes.
Il faut ensuite mettre en œuvre une solution régionale du conflit – elle pourrait prendre la forme d’une conférence régionale.
Il faut également mettre prioritairement l’accent sur les tâches de reconstruction et de développement civil menées avec l’aide de la communauté internationale.
La sortie de crise ne peut être de nature militaire. Le combat contre le terrorisme passe avant tout par un combat contre ce qui le nourrit : la misère des peuples et leur humiliation par des comportements dominateurs. Et que l’on ne vienne pas nous dire que ce serait laisser les Afghans aux mains des talibans et insurgés de toutes sortes ! Au contraire, poursuivre dans la même voie, c’est les jeter un peu plus dans leurs bras !
Notre pays devrait mettre à profit le poids que lui confère actuellement la présidence de l’Union européenne, mais aussi son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité, pour faire prévaloir auprès des autres membres de l’OTAN une nouvelle stratégie s’appuyant sur la reconstruction et le développement, et obtenir un calendrier redéfinissant les objectifs à atteindre.
Défendre cette position, ce serait mettre fin à la politique d’alignement atlantiste, de suivisme à l’égard des États-Unis et de l’OTAN qui veulent s’ériger en gendarmes et se substituer à l’ONU.
Il faut se garder de la naïveté et être lucides sur la partie qui se déroule dans cette région stratégique. La lutte contre le terrorisme et pour la liberté n’est pas la seule en cause là-bas. En effet, tout le monde le sait : cette région du monde, carrefour des routes pétrolières et gazières, est l’enjeu d’un conflit pour l’hégémonie de l’accès à ces ressources. Au premier rang des protagonistes figurent les États-Unis, avides de servir leurs propres intérêts économiques.
Pour ces raisons implicites, nous refusons que la France s’aligne sans conditions derrière l’OTAN et une administration Bush finissante qui pratique la fuite en avant.
La France doit également prendre des initiatives auprès de ses partenaires afin qu’ils acceptent d’élaborer une autre politique donnant un rôle central à l’Organisation des Nations unies.
Notre présence ne devrait désormais se concevoir qu’intégrée dans une opération de l’ONU avec un mandat global donnant la priorité à l’aide d’urgence, à la reconstruction et aux droits du peuple afghan.
Enfin, nous voudrions que le drame qu’a été la mort de nos soldats donne lieu à une réflexion approfondie sur le sens et les missions fixés à l’intervention de nos troupes à l’étranger.
Pour notre part, nous considérons qu’elles n’ont de légitimité que lorsqu’il s’agit d’opérations de maintien de la paix sous mandat de l’ONU, comme au Liban, ou de l’Union européenne, comme celle de l’Eufor au Tchad et en Centrafrique.
Mme Michelle Demessine. La déclaration de M. le Premier ministre est loin de nous avoir convaincus que vous avez réellement la volonté d’intervenir auprès de nos partenaires de l’OTAN afin de pouvoir changer de stratégie et donner vraiment la priorité à la reconstruction et au développement de ce pays.
Il est grand temps d’organiser une sortie de crise. C’est la raison pour laquelle nous sommes opposés à l’autorisation de prolongation de l’intervention de nos forces armées en Afghanistan. Nous considérons qu’il faut, sans plus tarder, penser et organiser le retrait des troupes françaises.
Dans ces conditions, nous voterons contre la prolongation de notre intervention militaire en Afghanistan. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à quelques jours de l’ouverture de la session ordinaire, le troisième alinéa du nouvel article 35 de la Constitution nous invite, pour la première fois, à autoriser, ou non, la prolongation de l’engagement de nos forces armées, en l’occurrence en Afghanistan.
Je me réjouis de cette nouvelle prérogative parlementaire née de la réforme adoptée le 21 juillet dernier à Versailles.
M. Jean-Luc Mélenchon. N’en rajoute pas, Jean-Michel !
M. Jean-Michel Baylet. Cela vous permet au moins de donner votre opinion, et même de l’exprimer par un vote ! S’il ne s’était agi que de vous, nous n’en serions pas là…
M. André Dulait. Bravo !
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. La décision que nous avons à prendre aujourd’hui est particulièrement difficile. Chacun, j’en suis sûr, votera en conscience sur un sujet essentiel et, pour ma part, je respecterai la décision de ceux qui ne voteront pas comme nous.
En effet, nous sommes tous assaillis, jusque dans notre for intérieur, par une contradiction entre notre passion de la paix et le coût de la paix.