M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 1er avril 2008, la situation en Afghanistan avait déjà fait l’objet d’un débat sans vote dans cet hémicycle.
À cette occasion, j’avais souligné combien je partageais nombre des arguments soulevés par notre collègue Aymeri de Montesquiou, et j’avais ensuite fait part de certaines de mes préoccupations et interrogations.
Comment choisissons-nous nos sujets d’indignation ? Comment déterminons-nous nos théâtres d’intervention, entre l’Irak, la Tchétchénie, le Darfour ou d’autres lieux encore ? Comment apprécions-nous l’efficacité de nos interventions ? Envoyer davantage de soldats, est-ce plus efficace qu’augmenter les moyens économiques ? La guerre est-elle susceptible d’être gagnée ?
Nous savons tous, monsieur le Premier ministre, qu’il ne sera pas possible de vaincre par les armes sur le terrain et qu’un tel engagement, certes solidaire, est sans issue. Seule une action politique conduite auprès du Pakistan et des pays périphériques peut amener une certaine stabilité.
Monsieur le Premier ministre, j’ai bien entendu vos explications. Vous avez annoncé un certain nombre d’inflexions à votre politique, et je les apprécie. Pour autant, à mes yeux, seuls les Afghans eux-mêmes peuvent construire l’avenir de leur pays. Or, nous le savons, les forces de la coalition sont de plus en plus perçues comme une armée d’occupation.
Tout comme je l’avais fait au mois d’avril dernier, je vais, à l’instar de quatre de mes collègues sénateurs non inscrits, réaffirmer ma solidarité et ma confiance. Toutefois, sur ce sujet, à défaut de l’annonce d’un calendrier de retrait et d’un engagement sur l’évolution des missions, qui ne doivent plus consister en opérations militaires, mais relever du soutien, de l’appui, de la formation et du renseignement, ce sera la dernière fois.
Nos soldats ont malheureusement payé le prix de cette présence. Notre devoir, à leur égard, n’est pas de critiquer après coup ceux qui sont sur le terrain ; il est de savoir prendre à temps les décisions qui nous permettraient de sortir d’un tel processus avec le sentiment d’être utiles à la paix dans le monde. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP, de l’UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, à mon sens, la décision la plus positive prise sous la présidence de M. Jacques Chirac a été le refus de s’associer aux Américains pour faire la guerre en Irak. Si nous les avions suivis, nous serions aujourd'hui complices des actes commis au sein de la prison d’Abou Ghraib et de la disparition de 500 000 Irakiens, morts au cours d’une guerre d’agression bâtie sur le mensonge par les Américains !
M. Jean-Luc Mélenchon. Excellent début !
M. Jean Louis Masson. En effet, chacun sait qu’il n’y a jamais eu la moindre arme de destruction massive, de quelque nature que ce soit, en Irak ! (Mme Alima Boumediene-Thiery et M. Jean-Luc Mélenchon applaudissent.) La volonté des États-Unis, de leur irresponsable président George Bush, était de conduire une guerre d’invasion, une guerre impérialiste !
Aujourd'hui, la situation est la même en Afghanistan. On veut nous faire croire que les ennemis sont les talibans, des gens qui viennent d’ailleurs, mais peut-on croire un seul instant que quelques centaines de talibans pourraient résister à des dizaines de milliers de soldats bien équipés sans être soutenus par la population afghane ?
Pour ma part, je suis persuadé que les dix soldats tués au mois d’août dernier étaient pistés depuis le départ de leur base. À chaque mètre de leur progression, ils étaient épiés par des Afghans – je dis bien des Afghans, et non des talibans – pour le compte de la résistance.
On parle de « terroristes », mais c’est ainsi que le gouvernement de Vichy qualifiait les résistants sous l’Occupation… (Protestations sur les travées de l’UMP.) C’est la vérité, mes chers collègues ! Je crois que, pour les Afghans, le gouvernement de M. Karzaï est un peu l’équivalent du gouvernement de Vichy ! (Même mouvement.)
Ce qui est certain, c’est que la population est aujourd'hui en train de se dresser contre les troupes d’invasion et que la coalition internationale connaîtra le même sort que les Russes hier : nous serons obligés de quitter l’Afghanistan, après avoir laissé des centaines ou des milliers de morts sur le terrain.
Pour ma part, je ne serai pas complice de bombardements aveugles de villages qui rappellent la Seconde Guerre mondiale. Quand un taliban se réfugie dans un village, les Américains rasent ce village : les Allemands ont procédé exactement de la même manière à Oradour-sur-Glane ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Je ne serai pas complice de tels actes !
M. Philippe Marini. Quelle modération !
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais en préambule rendre hommage à la mémoire des vingt-quatre soldats français morts en Afghanistan depuis le mois d’octobre 2001, ainsi qu’à celle des autres victimes de ce conflit, quelle que soit leur nationalité.
En demandant la vérité sur les causes de leur sacrifice ultime et en faisant en sorte que la nation soit correctement informée des risques et des périls de la mission assignée par l’autorité politique à nos soldats, nous leur rendons hommage et nous nous inclinons devant leur mémoire.
La stratégie suivie et la nature des missions des militaires français devraient être au cœur de notre débat : nos compatriotes doivent savoir pourquoi ils paient le prix du sang dans cette guerre !
Dans une lettre envoyée au Président de la République, les présidents des groupes parlementaires socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont énoncé sans ambiguïté les changements que nous souhaitons. La réponse du Président de la République conditionne nécessairement l’issue du présent débat ; or elle a été que notre diagnostic est le bon, que nos recommandations sont justes, mais qu’il va poursuivre sa politique.
Je vais néanmoins rappeler brièvement la teneur de cette missive.
Selon nous, la France doit prendre l’initiative d’un débat avec ses alliés sur cinq points majeurs.
Premièrement, nous souhaitons une meilleure répartition des responsabilités au sein de la coalition et une gouvernance politique et militaire comptable de ses réussites et responsable de ses échecs.
Deuxièmement, nous demandons la relance d’un dialogue politique entre Afghans en vue d’élargir la coalition au pouvoir autour du président Karzaï.
Troisièmement, nous sommes partisans de l’élargissement de la coalition à d’autres pays, afin, d’une part, d’éviter de donner le sentiment d’une guerre opposant le seul Occident aux rebelles afghans, et, d’autre part, de pouvoir construire le partenariat le plus large possible face au terrorisme.
Quatrièmement, nous réclamons une clarification avec le Pakistan, qui est impliqué dans la situation interne de l’Afghanistan.
Cinquièmement, nous préconisons l’établissement d’un calendrier prenant en compte les nouveaux objectifs de la coalition, assorti d’un échéancier s’agissant de notre présence en Afghanistan. Nous ne vous demandons pas de le publier à la « une » du Figaro, monsieur le Premier ministre ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Nous sommes pour un véritable changement de stratégie. Dans un souci de clarté, et afin d’éviter qu’elle ne soit caricaturée et détournée, je veux ici résumer notre position.
Le Parlement se prononce aujourd'hui sur la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan. Nous sommes aussi conscients que quiconque de l’impossibilité de quitter l’Afghanistan dans la précipitation, en laissant derrière nous la guerre et le chaos. Mais nous sommes opposés à une prolongation de l’intervention qui ne serait pas accompagnée d’un changement de stratégie.
Ceci est au cœur de notre position : parce que nous soutenons l’action de nos soldats, encadrée par un mandat de l’ONU, parce que nous sommes soucieux de leur sécurité et des conditions d’exercice de leurs missions, bref parce que nous sommes responsables, nous disons « non » à la politique du Président Sarkozy en Afghanistan.
Nous avons refusé l’escalade dès le mois d’avril 2008, quand il s’est agi d’accroître la présence française en Afghanistan en s’alignant sur les exigences des États-Unis. Pour notre part, nous n’avons pas changé !
En revanche, mes chers collègues, je vous invite à bien écouter ce qui va suivre, car vous pourrez constater que les nouveaux convertis sont toujours les plus obstinés.
Interrogé entre les deux tours de l’élection présidentielle par Mme Arlette Chabot, qui lui demandait s’il préconisait un retrait de nos troupes d’Afghanistan ou leur maintien sur place pour empêcher les talibans de revenir au pouvoir, le candidat Nicolas Sarkozy avait répondu ceci : « Il était certainement utile qu’on les envoie dans la mesure où il y avait un combat contre le terrorisme. Mais la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. […] Il y a eu à un moment donné, pour aider le gouvernement de monsieur Hamid Karzaï, où il fallait faire un certain nombre de choix et d’ailleurs le Président de la République a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments. […] C’est une politique que je poursuivrai. » Le candidat Nicolas Sarkozy avait ajouté : « Si vous regardez l’histoire du monde, aucune armée étrangère n’a réussi dans un pays qui n’était pas le sien. Aucune. […] Quelle que soit l’époque, quel que soit le lieu. »
Ainsi, tandis que le candidat s’engageait au mois d’avril 2007 à poursuivre la politique de retrait des troupes françaises d’Afghanistan, le Président de la République annonce un an plus tard depuis Londres, avant de confirmer ses propos peu après au sommet de l’OTAN à Bucarest, l’envoi de renforts. Quel revirement ! Quelle rupture ! Quel alignement !
Que les choses soient claires : nous ne sommes pas pour un retrait immédiat, qui laisserait dans le chaos et la désolation des terres déjà si éprouvées. Nous ne pouvons ni ne voulons laisser les talibans redevenir les maîtres de la situation, mais il est suicidaire de continuer sans rien changer. Ce n’est ni notre intérêt, ni celui des Afghans, ni même celui des autres peuples de la région.
On voudrait maintenant nous enfermer dans un processus binaire : pour ou contre. Soit vous votez « oui », et vous êtes « bons pour le service », soit vous votez « non », et vous êtes insensibles au sacrifice des soldats ! Misérable manipulation, qui vise à masquer l’erreur originelle : le Président de la République avait décidé le renforcement de notre présence en Afghanistan avant même de demander une redéfinition de la stratégie. Dès le mois d’avril 2008, l’alignement l’avait déjà emporté sur l’autonomie de décision. Nous n’acceptons pas cela. Nous voulons un vrai débat, ici et dans le pays. Pourquoi ne pas avoir attendu que les commissions et les missions parlementaires fassent leur travail sur place et apportent leur éclairage au débat et au vote ? Pourquoi tant de précipitation ? Le paradoxe étant que si l’on continue ainsi, on aboutira dans quelques mois, quelques années tout au plus, au même et piteux résultat, à savoir laisser le champ libre aux talibans !
Les Canadiens ont annoncé leur départ au plus tard en 2011. Les Britanniques voudraient bien trouver auprès de nous, monsieur le Premier ministre, la force et le soutien nécessaires pour infléchir la politique des États-Unis et établir un échéancier selon des objectifs politiques et militaires révisés. Que leur a-t-on répondu ? Quant à nous, parlementaires, nous devrions voter l’enlisement les yeux fermés ?
Ce conflit a connu trois périodes.
La première période, couvrant la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin, fait suite aux attentats du 11 septembre et s’inscrit dans un cadre précis, celui de la « légitime défense » reconnue aux États-Unis par les Nations unies. La France intervient, la mission est claire : démanteler les bases d’Al-Qaïda, renverser le régime des talibans et instaurer un nouveau gouvernement représentatif à Kaboul. Il y a alors un consensus en France.
La deuxième période débute en 2003 avec l’intervention des Américains en Irak, alors que le Président Chirac est « seul ». L’Afghanistan passe au second plan et, à la demande des États-Unis, la Force internationale d’assistance à la sécurité est placée sous le commandement de l’OTAN. Malgré tout, les Américains continuent de mener seuls leurs propres opérations sur le terrain. Les missions sont moins claires. La confusion persiste encore aujourd’hui. Les engagements d’aide civile et de reconstruction ne sont pas tenus. Les talibans se renforcent militairement et politiquement. La mission des forces de la coalition se dilue, devient plus large et plus floue. Nos troupes sont placées sous le commandement de l’OTAN. En 2005-2006, le gouvernement français accepte d’envoyer sur le terrain des combats des troupes spéciales, avant d’entreprendre de les retirer à la fin de l’année 2007.
La troisième période correspond à la présidence de Nicolas Sarkozy. Le sens originel de la mission des forces de la coalition s’est perdu. L’échec de l’interventionnisme militaire américain dans la région et de la stratégie de « guerre au terrorisme » de George Bush est patent. De la légitime défense, puis de la mission de sécurité et de formation de l’armée afghane, on est passé aujourd’hui à une « guerre de pacification », menacée d’enlisement et sans terme politique clair.
C’est dans ce contexte que nous nous sommes opposés à cette nouvelle politique. Ainsi, dès le mois d’avril 2008, nous avons exigé un changement de stratégie.
Qu’est-ce qu’un mois normal en Afghanistan ? Quatre membres d’une organisation humanitaire ont été assassinés le 13 août ; dix soldats français ont été tués dans une embuscade le 18 août ; enfin, une frappe aérienne américaine a coûté la vie à quatre-vingt-dix civils afghans le 22 août.
Certes, j’accueille avec précaution les informations émanant de l’OTAN et parues dans la presse internationale. Cependant, j’ai pu lire dans un quotidien national, dont le propriétaire, M. Olivier Dassault, s’y connaît en matière d’armement, que, « en Afghanistan, nos troupes manquent d’hélicoptères, de mortiers lourds et de canons, de blindés dignes de ce nom, d’équipements de protection et de brouillage, de drones, de munitions »… Est-il concevable d’envoyer nos troupes en Afghanistan dans de telles conditions ?
Voilà le bilan de ces années de guerre. Il faudra trouver les responsables d’un tel échec et savoir quand, comment et pourquoi les missions assignées et assumées de manière consensuelle à la fin de l’année 2001 ont dérivé. Il sera difficile de taire ce qui se profile : un désastre militaire et diplomatique !
Le piège tendu par le terrorisme se referme sur nous et sur nos soldats. Décidera-t-on dans l’émotion, ou en fonction de la raison ? Hélas ! Les chefs militaires le disent et le savent : il y aura probablement encore des victimes. C’est une guerre.
Du point de vue militaire, qui fait quoi en Afghanistan ? La confusion entre la mission de l’OTAN et de la FIAS et la mission américaine Enduring Freedom nuit à la cohérence et à l’efficacité. On doit donc modifier l’organisation du commandement. Travaillez-vous dans ce sens ? L’augmentation sans limites des forces militaires est-elle la solution ? Peut-on diviser les talibans, les affaiblir politiquement et les isoler de la population afghane, afin de refonder une alliance nationale modérée autour du président Karzaï ? Peut-on favoriser le développement économique et social alors que la culture du pavot est endémique et que la corruption gangrène l’administration de ce pays ?
Les bombardements aveugles, provoquant de nombreuses victimes civiles, vont-ils continuer ? Avez-vous demandé aux Américains de cesser ces pratiques inacceptables ?
Depuis juillet 2008, George Bush a autorisé ses forces spéciales à frapper les sanctuaires talibans au Pakistan, décision lourde de conséquences pour toutes les forces armées présentes en Afghanistan, mais aussi pour l’exportation tous azimuts du terrorisme. Est-ce la bonne méthode que d’ouvrir un nouveau front, au Pakistan cette fois-ci ? Le président américain s’est-il concerté avec ses alliés avant de prendre cette décision ? La France a-t-elle été consultée, informée de ce tournant militaire stratégique ? A-t-elle donné son accord ?
Il est certain qu’un des éléments clés est l’existence pour les talibans d’une zone sanctuaire au Pakistan, liée à des affinités tribales, géographiques et religieuses. Faut-il continuer de jeter ce pays, déjà fragilisé, dans la marmite d’une nouvelle guerre civile ? Chacun mesure les conséquences possibles d’un tel chemin dans un pays qui détient l’arme nucléaire. On vient de voir ce qui s’est passé samedi dernier à l’hôtel Marriott d’Islamabad.
La représentation nationale avait droit à des réponses à toutes ces questions avant de se prononcer aujourd’hui. Mais l’urgence politique vous commande, et vous mettez à profit l’émotion pour faire taire la raison.
Il ne faut pas prolonger cette guerre. Pour sortir de la spirale de l’échec, il faut changer de stratégie en cherchant à éviter la cristallisation dans la population afghane de l’équation : forces de la coalition égalent forces d’occupation.
Nous voulons être unis dans la lutte contre le terrorisme, une lutte qui ne peut jamais être réduite à ses aspects « militaires ».
Nous voudrions être unis et montrer cette unité au monde, mais il ne faut pas pour autant vouloir nous faire avaliser n’importe quelle stratégie, n’importe quelle politique. Ce serait d’ailleurs très malvenu de la part d’un président qui s’applique avec une rare constance à casser le consensus relatif qui existe depuis des décennies dans notre pays en matière de politique étrangère et de défense.
Nous condamnons, quel que soit le vote, la conduite de cette guerre qui restera cantonnée à l’Élysée.
Les Européens doivent discuter et imposer une nouvelle orientation de cette guerre avant de continuer à envoyer des troupes supplémentaires ; le changement de stratégie est la priorité, les États-Unis doivent le comprendre, en espérant que leur prochain gouvernement infléchira cette politique désastreuse.
Cette politique aggrave la situation et sert de bouillon de culture au terrorisme. Le concept de « guerre au terrorisme » est une aberration politique. L’objectif doit rester la lutte contre Al-Qaïda, contre le terrorisme.
Bref, nous n’approuverons pas en septembre les décisions que nous avons désapprouvées en avril. Nous n’allons pas vous donner un chèque en blanc qui vous permettra d’accroître un engagement militaire inopérant à moyen et long terme.
Nous vous conjurons de redéfinir les missions et les moyens militaires ; de veiller à épargner les populations civiles ; de rééquilibrer l’aide civile et militaire ; d’aider autrement les autorités civiles afghanes ; de mener une lutte efficace contre la drogue, ce qui ne semble pas préoccuper outre mesure certains membres de la coalition malgré les dégâts causés par le trafic d’héroïne sur leurs propres territoires ; de mettre le Pakistan et les autres acteurs régionaux devant leurs responsabilités ; enfin et surtout, de replacer l’ONU au centre de la future solution politique, seule issue d’une guerre qui risque d’entraîner la planète vers ce que tout le monde redoute dorénavant, monsieur le Premier ministre : un troisième conflit mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs, il y a plus d’un siècle, un président des États-Unis que ses conseillers pressaient de déclarer la guerre s’y refusait. Il préférait être jugé comme un homme trop prudent que comme un aventurier.
Nous savons désormais que les présidents se moquent parfois d’être considérés comme des aventuriers. Si nous débattons aujourd’hui d’une situation afghane qui tourne au bourbier, nous le devons en grande partie à la longue liste des erreurs stratégiques, militaires et diplomatiques de l’administration américaine.
Bien sûr, l’intervention autorisée le 20 décembre 2001 était légitime. Les forces engagées, et parmi elles les forces françaises, agissaient sous mandat de l’ONU. Il s’agissait, après la chute d’un régime obscurantiste et criminel, complice revendiqué des terroristes d’Al-Qaïda, de maintenir la sécurité à Kaboul, pour permettre aux autorités afghanes et au personnel des Nations unies de travailler : mandat clair, étendu en 2003 à l’ensemble du pays.
Nous avions raison de vouloir empêcher de nuire les auteurs des attentats terroristes du 11 septembre. Ces attaques, chacun l’a compris, concernaient non pas seulement les États-Unis mais l’ensemble des sociétés démocratiques. Comme bien d’autres, notre pays a décidé de participer à ces opérations militaires en Afghanistan, parce qu’il n’était pas question de se résoudre à cette vieille division du travail, pour reprendre une formule de Joschka Fischer, selon laquelle « les Américains combattent et les Européens reconstruisent ».
Nous ne pouvions être les passagers clandestins d’une action internationale qui nous concernait.
Cette décision d’alors, nous l’assumons. Aujourd’hui encore, nous pensons que ce n’est pas tant le mandat qui est en cause que la façon dont il a été conduit. N’est-il pas temps d’admettre que la décision de confier le commandement pérenne de la FIAS à l’OTAN a miné la crédibilité de la force internationale et qu’il est concrètement impossible aux populations afghanes de distinguer l’action de la FIAS de celle de l’opération « Liberté immuable », sous commandement américain ?
Si justes et louables qu’aient été les intentions initiales, il est temps de l’admettre : les résultats sont loin, très loin d’être à la hauteur des objectifs affichés.
Le régime taliban est tombé, certes. Mais, depuis, l’Afghanistan est-il plus stable, plus sûr ? Non ! Est-il débarrassé de la violence, de la corruption, de la drogue ? Non plus ! Les populations civiles approuvent-elles le maintien des forces armées ? Pas davantage !
Les forces de la coalition sont toujours plus nombreuses, passant en sept ans de 20 000 à plus de 70 000 soldats, sans que l’on puisse comprendre où pourrait nous mener une nouvelle fuite en avant.
Les talibans, hier rejetés par une écrasante majorité de la population, se sont, au cours de ces sept années, largement relevés de la débâcle. Ils étaient hier perçus comme des extrémistes incompétents ; ils pourraient demain être perçus comme des libérateurs.
Faut-il prendre ce risque ? Je ne le crois pas. Faut-il se résoudre à ce que ceux qui étaient hier perçus comme les libérateurs de Kaboul deviennent l’armée d’occupation d’un pays qui, peu à peu, les rejette, quels que soient les efforts fournis par ailleurs en matières de santé, d’éducation ou d’eau potable ? Non plus ! Faut-il alors considérer qu’il faut rester pour l’éternité, « rester pour rester », comme le dit Barack Obama, et se résigner à n’avoir pas d’autre choix que celui de l’enlisement et de l’extension du conflit ?
Des voix s’élèvent, çà et là, pour réclamer une intervention au Pakistan, un pays doté de l’arme nucléaire ! Comment examiner sans effroi cette perspective ?
Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, il n’est pas question d’abandonner le peuple afghan à son sort, au risque de faciliter le retour des talibans au pouvoir et la reconstitution d’un État terroriste. Mais s’il est irresponsable de partir sans autre option valable, il est tout aussi irresponsable de rester en gardant les mêmes options.
Le débat public, ces dernières semaines, ces derniers mois, a permis de discuter de ces options et de dégager quelques voies praticables. Elles viennent non pas seulement des bancs de l’opposition, mais aussi d’experts, civils et militaires, qui ne parlent ni ne pensent à la légère.
Ces voies, elles supposent de tenir tête à une administration américaine qui a échoué et qui vit, quoi qu’il arrive le 4 novembre prochain, ses dernières semaines.
Ces voies, elles supposent de cesser de suivre sans recul le cycle chaotique imposé par le président Bush : les attentats, la répression, les attentats, la répression. Elles supposent d’arrêter de tolérer, en réponse aux actions des combattants talibans, des représailles contre des villages afghans, des représailles contre des civils, qui ont pour terrible conséquence d’accroître le ressentiment, la frustration et la colère des Afghans, de radicaliser l’opinion afghane et de grossir les rangs des talibans.
Le risque, vous le savez, c’est de voir se multiplier les pertes humaines et de ne plus adapter la stratégie qu’au rythme de l’émotion – une émotion légitime que nous éprouvons aussi – provoquée par ces pertes.
C’est aussi de voir se multiplier les injonctions au patriotisme obligatoire, comme cela s’est déjà produit, y compris envers la presse, à laquelle on conteste, pour la première fois peut-être depuis la guerre d’Algérie, le droit de rendre compte librement de cette guerre – car c’est bien d’une guerre qu’il s’agit.
Il est encore possible de faire d’autres choix, de déterminer un processus de retrait progressif et coordonné, avec nos partenaires étrangers, de ces forces armées. A minima, la France doit dès maintenant décider le retrait de ses soldats engagés aux côtés des troupes américaines de « Liberté immuable », donc en dehors du mandat de l’ONU.
Il faudra également engager avec nos partenaires européens un dialogue qui permette de peser sur les États-Unis et négocier avec eux un changement de stratégie, ce qui suppose une réflexion solide sur ce que doit être l’OTAN, son rôle, les modalités de ses prises de décision.
La France, qui préside l’Union européenne, saura-t-elle convaincre, renégocier ces objectifs, dessiner une autre perspective que celle de l’enlisement et le faire admettre à nos partenaires, en particulier aux États-Unis ? À cette heure, je ne sais pas.
Vous nous demandez, monsieur le Premier ministre, de vous donner l’autorisation de prolonger l’intervention des forces armées en Afghanistan, sans clarification du mandat, sans engagement de limiter l’intervention française au strict cadre de l’ONU.
Nous ne pouvons vous accorder ce blanc-seing. Nous n’ajouterons donc pas nos votes à ceux de votre majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean François-Poncet.
M. Jean François-Poncet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 11 septembre 2001, il y a sept ans, une vingtaine de terroristes prenaient d’assaut quatre avions de ligne aux États-Unis. Les deux premiers furent précipités contre le World Trade Center, dont les deux tours s’effondrèrent, faisant 3 000 victimes. Le troisième appareil s’écrasa sur une aile du Pentagone. Quant au quatrième avion, il était destiné à la Maison Blanche. Mais les passagers, alertés par leurs téléphones mobiles, maîtrisèrent les terroristes et, dans la bagarre qui s’ensuivit, l’avion explosa au sol en Pennsylvanie. Grâce au courage d’une poignée de passagers, la Maison Blanche fut épargnée et le président des États-Unis sauvé.
L’attaque, d’une audace inouïe, avait été ourdie, préparée et financée par Ben Laden et l’état-major d’Al-Qaïda, installés en Afghanistan, sous la protection des talibans.