M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Comme l’a indiqué M. Alain Gournac, en ce qui concerne la représentativité, le projet de loi s’inscrit dans le respect de la position commune, dans son esprit comme dans l’équilibre qu’elle consacre. J’ai pris acte, monsieur le rapporteur, de votre volonté d’être attentif au respect de cet équilibre. Je vous en remercie, car il s’agit à nos yeux d’un point important.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En effet !
M. Xavier Bertrand, ministre. J’espère que ce même souci d’équilibre guidera l’ensemble de vos travaux, même si j’ai entendu tout à l’heure certains propos qui me laissent penser que, à gauche de cet hémicycle, le respect de la position commune est plus affiché que véritablement ressenti. Nous verrons ce qu’il en est durant les débats.
Mme Annie David. Je me demande ce qu’une telle remarque peut apporter !
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le rapporteur, vous avez soulevé, comme MM. Amoudry et Godefroy, l’importante question de la représentativité patronale, qui n’est pas abordée dans la position commune. Je ne suis pas persuadé que la discussion de ce projet de loi soit le moment adéquat pour ouvrir ce débat, même si j’ai cru comprendre, dans les déclarations de représentants patronaux, que le sujet n’était pas tabou.
Monsieur Amoudry, les deux parties du projet ont un lien direct et étroit. Parce que la première vise à renforcer la légitimité des acteurs et des accords collectifs, il convenait, et sans délai, d’appliquer cette logique à l’un des champs les plus importants des relations du travail, à savoir le temps de travail.
Le raisonnement est simple. Dans le cadre d’un ordre public social défini par la loi concernant notamment la santé du salarié, il faut passer d’une logique de contrôle administratif à une logique de négociation collective, d’où le lien étroit et nécessaire entre les deux parties du projet de loi.
La suppression de l’autorisation de l’inspection du travail ne signifie pas qu’il n’y aura plus aucun contrôle de l’inspecteur du travail en matière de temps de travail. Il sera procédé à un recentrage du dispositif légal sur des notions fondamentales – durées maximales de travail, temps de repos – ce qui permettra au contraire de garantir une meilleure application de la loi, notamment en ce qui concerne le versement des majorations pour heures supplémentaires
Oserai-je le dire ? Les lois Aubry sur les 35 heures, par leur extrême complexité, nuisaient à l’effectivité des contrôles. L’application de la loi sera, demain, mieux contrôlée et donc plus effective.
Monsieur Godefroy, vous en appelez au respect de la position commune. Mais vous avez mentionné les élections prud’homales ; vous avez évoqué l’introduction de la représentativité patronale ; vous les avez même souhaitées. Figurent-elles dans la position commune, monsieur le sénateur ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Là aussi, j’invite chacun à faire preuve dans ce débat d’un minimum de cohérence, afin que nous puissions appréhender clairement les positions des uns et des autres. Peut-être ces positions ne seront-elles pas communes, mais là n’est pas l’enjeu : au moins, quand il est question de respecter la position commune, que ne soient pas évoqués des points qui n’y figurent pas !
Mme Annie David. Vous avez montré la voie !
M. Xavier Bertrand, ministre. Sur les sous-traitants, nous voulons, comme l’Assemblée nationale et comme le rapporteur au Sénat, apporter des réponses plus sûres en matière d’organisation des élections. J’attends aussi, monsieur le sénateur, que l’on me démontre qu’il y aura moins de comités d’entreprise, qu’il y aura moins de délégués du personnel qu’aujourd’hui.
Madame Rozier, vous avez raison, la rénovation de la démocratie sociale que ce texte promeut favorisera la participation effective des salariés au devenir des entreprises. La participation aux décisions est la plus cruciale, et c’est celle qui prendra réellement corps puisque, avec ces nouvelles règles, les représentants des salariés dans la négociation bénéficieront d’une légitimité renforcée. Voilà du concret !
Madame David, vous avez parlé du xixe siècle.
Mme Annie David. J’aurais même dû remonter jusqu’au xviiie !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je n’oublie pas l’histoire du droit du travail : c’est précisément parce qu’il a une histoire qu’il a aussi un avenir ! Mais je voudrais vous parler de notre siècle, le xxie, car c’est lui qui intéresse à la fois les entrepreneurs et les salariés.
Mme Annie David. J’en ai parlé aussi !
M. Xavier Bertrand, ministre. Or, ce xxie siècle, de quoi est-il fait ? D’entreprises qui s’inscrivent de moins en moins souvent dans des logiques seulement nationales ;…
M. Alain Gournac, rapporteur. Bien sûr ! C’est dépassé !
M. Xavier Bertrand, ministre. … des marchés, de clients et de stratégies internationaux ; d’un droit du travail qui doit prendre en compte le sens des relations du travail, mais aussi les exigences de la réalité.
Mme Annie David. En écrasant les salariés !
M. Xavier Bertrand, ministre. Voilà pourquoi, aujourd’hui, un sujet comme la flexicurité n’est plus tabou pour la Confédération européenne des syndicats, dans nombre de pays et pour nombre de partenaires sociaux. La majorité des pays s’inscrivent désormais dans une logique d’individualisation des relations du travail… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est ça !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne suis pas impatient, je suis contre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Face à ces évolutions, la logique du Gouvernement n’est pas celle de l’abandon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je suis contre, vous avez entendu ? Ne déformez pas mes propos !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez l’habitude de faire dire aux autres le contraire de ce qu’ils pensent. Ça va mal se passer avec vous !
M. Xavier Bertrand, ministre. Pour ma part, je préférerai toujours l’accord collectif à l’accord individuel.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez l’habitude de mentir et de truquer. Vous êtes un spécialiste !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je souhaite que l’on fasse confiance aux syndicats, monsieur Mélenchon, et je souhaite renforcer leur légitimité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste. - M. Jean-Luc Mélenchon s’exclame.)
Je souhaite préserver l’ordre public social, monsieur Mélenchon, et le rôle de l’État.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous faites l’inverse !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le respect de l’histoire des relations du travail, ce n’est pas l’archaïsme. Voilà la vérité !
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est vous, l’archaïsme !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes un dinosaure, un fossile de l’esclavagisme !
M. Xavier Bertrand, ministre. … on doit également non seulement raison garder, bien sûr, mais aussi conserver son calme et sa sérénité. (Protestations continues sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Car, sur tous ces sujets, il importe de savoir que celui qui parle fort ne parle pas forcément juste, monsieur Mélenchon, et que, lorsqu’on est sûr de ses arguments, on n’a pas besoin d’élever la voix !
M. Jean-Luc Mélenchon. S’il croit qu’il va m’impressionner !
M. le président. Mon cher collègue, je vous invite à cesser ces invectives.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Voilà aussi une façon de traiter les sujets et d’aborder les débats !
Vous avez aussi parlé, madame David, de « petit bout de rénovation » de la démocratie sociale et d’absence de démocratie participative. Les signataires de la position commune apprécieront, tout comme celles et ceux qui, demain, dans les entreprises, devront mettre en œuvre ce dialogue social.
Mme Annie David. Ils apprécieront, parce qu’ils liront votre intervention !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce sont pourtant eux qui auront de nouveaux espaces pour la négociation collective grâce à la règle des 30 % et des 50 %, règle que les syndicats ont souhaitée, que les signataires de la position commune ont revendiquée !
Vous avez aussi évoqué, madame, la limite de 218 jours de travail par an prévue à l’article L. 3121-45 du code du travail.
Mme Annie David. Oui !
Mme Annie David. Ah si ! Je l’ai sous les yeux !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous n’avez pas lu jusqu’au bout, puisque l’article 3121-49, qui traite du même sujet, précise : « Lorsque le nombre de jours travaillés dépasse le plafond annuel fixé par la convention ou l'accord, le salarié bénéficie, au cours des trois premiers mois de l'année suivante, d'un nombre de jours égal à ce dépassement. »
Il est donc bien écrit noir sur blanc dans le code du travail que l’on peut, aujourd’hui, travailler plus de 218 jours par an ! Quel dommage que vous ne l’ayez pas lu, madame !
Mme Annie David. Il y a des limites, monsieur le ministre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Quoi qu’il en soit, il est possible de récupérer les jours travaillés au-delà du plafond – qu’il est possible de dépasser à nouveau. Au total, aujourd’hui, on peut être amené à travailler jusqu’à 282 jours dans l’année ; voilà la vérité ! C’est précisément ce que, dans ce projet de loi, nous voulons éviter : les dépassements non encadrés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le mieux, c’est 65 heures par semaine !
Mme Annie David. Ou 365 jours par an, si vous voulez !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je remercie Serge Dassault d’avoir replacé la réforme proposée dans le contexte qui est celui des entreprises et des salariés, c’est-à-dire dans un contexte à la fois européen et international.
Pour autant, ce contexte n’interdit pas le volontarisme de l’État, n’interdit pas les garanties apportées par le législateur. Il faut simplement bien définir ce qui relève de la loi et ce qui relève de la négociation collective, notamment de l’accord d’entreprise.
Ce dispositif et cette nouvelle approche ne doivent avoir qu’un seul objet : restaurer la valeur que représente le travail. C’est le travail qui permet de créer des richesses ; si vous voulez partager des richesses, il faut les avoir créées au préalable. Voilà encore une vérité que nous souhaitions replacer au cœur du débat. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Desessard et M. Godefroy ont évoqué les élections prud’homales comme mesure possible de la représentativité. Mais ce n’est pas le choix des signataires de la position commune, qui ont préféré l’entreprise, et nous entendons respecter ce choix.
M. Jean Desessard. La CGT va s’en mordre les doigts !
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est ce que nous avons dit !
M. Xavier Bertrand, ministre. Telle est la cohérence du projet de loi qui vous est aujourd’hui présenté, et elle est respectée aussi au titre II, consacré au temps de travail.
Enfin, je ne voudrais pas laisser dire que les conventions de forfait sur la semaine ne sont accessibles qu’aux seuls cadres. Là aussi, les textes sont formels : elles sont accessibles à tous les salariés depuis 1978.
Monsieur Fourcade, vous avez évoqué la fonction publique : des accords ont été signés pour y rénover les règles de représentation, et le Gouvernement proposera un amendement qui aura pour objet d’accompagner ces accords.
Je suis persuadé que nous aurons aussi l’occasion, au cours du débat, de revenir sur la question des allégements de charges, et je ne doute pas que vous aurez vous-même à cœur de l’aborder, monsieur Dassault. Mais nous savons que cette question, si elle est traitée, doit l’être forcément dans le cadre d’un débat budgétaire d’automne.
Aujourd’hui, il n’existe plus d’allégements de charges liés directement à la réduction du temps de travail.
Les allégements consentis le sont, bien évidemment, en vertu de la loi Fillon de 2003. Il n’en reste pas moins vrai qu’à l’époque il a bien fallu compenser le surcoût du travail induit par les lois Aubry. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. Jean Desessard. Et maintenant, monsieur le ministre ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Rappel au règlement
M. Jean-Luc Mélenchon. Je fais un rappel au règlement, monsieur le président, pour expliquer la nécessité…
M. Alain Gournac, rapporteur. …qu’on n’insulte pas !
M. Jean-Luc Mélenchon. … que j’ai exprimée de me révolter contre ce qui se passait.
D’abord, je veux dire à M. le ministre, en m’adressant à vous, monsieur le président, comme c’est l’usage dans cet hémicycle, qu’il n’est pas acceptable que les orateurs parlementaires soient interrompus par des interjections venant des bancs des ministres. On nous oppose que les parlementaires ne se gênent pas pour le faire ; c’est vrai. Mais ici, c’est le lieu des parlementaires ; ici, c’est nous qui gouvernons et qui menons nos débats comme nous l’entendons !
Ensuite, si j’ai élevé la voix, c’est parce que M. Bertrand est familier d’une méthode qui nous semble particulièrement odieuse, celle qui consiste à imputer à ses interlocuteurs des positions qu’ils n’ont pas.
Si j’ai élevé la voix, ce n’est pas parce que je voulais empêcher le ministre de s’exprimer, c’est parce qu’il venait d’affirmer que toute l’Europe allait dans le sens de la flexicurité, ce qu’il interprétait – c’est son droit que d’en avoir une interprétation personnelle – comme une évolution vers l’individualisation des rapports sociaux. J’ai donc répondu depuis mon siège, par une interjection, que précisément nous sommes contre cette individualisation des rapports sociaux. Et le ministre a enchaîné en me demandant de ne pas me montrer impatient, en m’assurant que la flexicurité viendrait, bref, en m’imputant une position qui n’est pas la mienne.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas la première fois que cela se produit, monsieur Bertrand !
Lors du débat sur le service minimum, vous avez attribué à la gauche la rédaction d’un amendement relatif au paiement des heures de grève qui était fausse. Dans le débat suivant, vous avez recommencé, et mes collègues me confirment que c’est un tour coutumier que vous avez. Cela est insupportable !
Nos positions sont nos positions, nous les développons chacun avec nos arguments, et, s’il est vrai qu’il peut arriver que l’on élève la voix, en général on le regrette. Pour autant, la dignité de nos débats veut que l’on ne confonde pas l’hémicycle avec d’autres lieux où un certain nombre de simplifications sont en usage. Ici, on se respecte, on écoute l’argument de l’un et de l’autre, et l’on tâche d’y répondre sur le fond.
Mes arguments sont mes arguments, monsieur le ministre ! Vous pouvez les désapprouver, ceux de mes camarades de même. Mais vous n’avez le droit de les transformer ou de les falsifier. Ils sont ce qu’ils sont, nous les soumettons à l’examen de la raison et non pas à l’invective ou au jeu de bonneteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Monsieur Mélenchon, je vous donne acte de votre rappel au règlement, mais, je vous en supplie, n’oubliez pas que nous sommes au Sénat.
M. Alain Gournac, rapporteur. Nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale ! Ce n’est pas le cirque !
M. le président. J’aimerais que nous gardions la sérénité qui seule convient à nos débats et qui fait tout à la fois la tradition et l’honneur de cette maison.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion no 283, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (no 448, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel, voilà maintenant bien longtemps, a mis fin, dans sa décision « liberté d’association », à un débat théorique, doctrinal, sur la place de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que du préambule de la Constitution de 1946.
Ainsi, par assimilation, c’est tout ce préambule qui se voyait attribuer une valeur constitutionnelle.
Or, monsieur le ministre, en proposant l’adoption de ce projet de loi, vous remettez en cause tout l’équilibre constitutionnel de notre pays. Comment, alors, ne pas établir de lien entre ce projet de loi et la réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République comme un élément supplémentaire au service d’un régime hyperprésidentiel ? Comment ne pas établir de lien entre ce projet de loi et la commission qui travaille actuellement sous la direction de Mme Veil, dont on sait qu’elle aboutira au démantèlement de tout ce qui s’est construit dans le préambule de 1946, c’est-à-dire tout ce qui constituait le programme du Conseil national de la Résistance ?
Nous savons tous – mais peut-être certains d’entre nous voudraient-ils l’oublier – que le préambule de la Constitution de 1946 est issu des travaux du CNR. Il est pour le législateur, et nous le considérons comme tel, un guide nécessaire pour conduire ses travaux, « il est une éducation sur le sens de ce que doit être l’évolution de notre société » ; il est un idéal vers lequel tendre.
Ainsi, avec les principes « particulièrement nécessaires à notre temps », mais également les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », les constituants de 1946, et les juges constitutionnels, ont voulu créer une forme de relation indissociable entre l’économie et ses besoins, d’une part, et le social, la satisfaction des besoins sociaux, d’autre part.
Les sénatrices et sénateurs communistes considèrent qu’il importe, pour des raisons sociales, économiques, environnementales, de faire prévaloir le social sur l’économie. Nous sommes au cœur du problème !
Nous considérons que le processus économique doit s’adapter aux exigences sociales de notre pays, et non l’inverse.
M. Jean-Luc Mélenchon. Absolument !
M. Guy Fischer. Cette conception d’une économie au service des hommes, qui se construit par solidarité et non dans l’opposition, qui se construit sur le collectif et non sur l’individuel, nous la nommons société de progrès.
Avec ce projet de loi, vous voudriez poursuivre votre politique de déstructuration, faisant comme si l’économie et le social étaient pour le moins dissociables ou, pis, comme si le social devait reculer devant l’économie. Les exigences sont pourtant celles de la construction d’une société de partage et de solidarité, d’une société qui protège les droits et les développe. Tel était le sens du préambule de 1946.
Le projet de loi dont l’examen nous réunit aujourd’hui est, vous en conviendrez, à mille lieues des préoccupations des constituants de 1946. Il est même contradictoire avec l’esprit des rédacteurs du préambule, notamment avec le cinquième alinéa de celui-ci, qui instaure une forme de démocratie sociale que vous avez, par vos pratiques, scandaleusement méprisée.
Comme si de rien n’était, vous trahissez les organisations syndicales signataires de la position commune sur le principal engagement.
On avait déjà pu observer votre sens très particulier du dialogue social lors de la discussion du projet de loi portant modernisation du marché du travail, et encore avec les pressions exercées sur les organisations syndicales lors de l’élaboration de l’accord national interprofessionnel, l’ANI.
En réalité, monsieur le ministre, vous soufflez constamment le chaud et le froid, décidez quand débute et quand se conclut une négociation, décidez des sujets sur lesquels elle portera et des conclusions qui en découleront.
Cette conception du dialogue social propre à votre gouvernement donne d’ailleurs des ailes à votre majorité, puisqu’a été adopté un amendement déposé par un député UMP tendant à insérer un alinéa qui précise que les organisations syndicales déterminent avec les employeurs les sujets devant faire l’objet de négociation.
Il est tout de même assez inique de demander à l’employeur l’autorisation d’entamer une négociation !
Ce projet de loi semble même contradictoire avec les déclarations du candidat-Président qui, découvrant les usines et Jaurès, disait vouloir reconnaître et encourager la France qui « se lève tôt » !
Votre projet de loi, ne vise qu’à asseoir la suprématie de l’économie sur les besoins humains, et nous vous démontrerons en présentant cette motion, comme dans la suite de nos débats, combien cette loi est un outil supplémentaire entre les mains du patronat – il s’ajoute à une panoplie de six outils existants – pour la flexibilité.
Pour valider votre discours de culpabilisation des salariés, vous faites des salariés aux 35 heures les responsables de l’appauvrissement de la France sous prétexte qu’ils ne travailleraient pas assez.
Avec cet habile écran de fumée, vous évitez un vrai débat sur la politique industrielle de notre pays, sur l’absence d’investissements nouveaux, sur les politiques de trappes à bas salaires qui se généralisent, sur l’institutionnalisation de la précarité et sur la recherche perpétuelle des moindres coûts.
Demain, les salariés seront contraints de négocier individuellement non seulement leur contrat de travail – nous sommes là au cœur de votre projet : l’individualisation de la négociation –, mais aussi leur rémunération – nous l’avons vu avec les contrats de portage –, l’organisation et la durée de leur travail et, pourquoi pas, leurs droits à la protection sociale ! Avec vous, c’en est fini de notre société de solidarité et d’égalité.
Ainsi, de manière insidieuse, vous satisfaites à une demande ancienne et récurrente du patronat et du MEDEF : mettre fin à toute conception collective du travail pour renvoyer la relation de travail à la seule relation individuelle entre employeur et salarié.
Dans cette relation très déséquilibrée, nous le savons tous, le salarié est toujours perdant !
Il est tout de même contradictoire d’annoncer vouloir renforcer le dialogue social, tout en utilisant tous les moyens possibles pour marginaliser les organisations syndicales dans les entreprises ! Car, personne n’ignore que le syndicalisme se construit précisément sur l’exigence de défense collective d’intérêts qui, collectifs, le sont tout autant.
Nous aurons l’occasion de le dire au cours de nos débats, ce projet de loi témoigne d’un recul considérable. Vous mettez officiellement, et insidieusement, fin à la durée légale du travail. Jusqu’alors, le progrès social était à la diminution de la durée légale du temps de travail, considérant que le temps de repos était tout aussi noble que le temps de travail ; considérant que le temps de repos était une contrepartie légitime à la force de production offerte par le travailleur et au savoir-faire mis à disposition par le salarié ; considérant enfin qu’il permettait l’épanouissement de la vie familiale.
Mais, aujourd’hui, notre pays prend le chemin du recul social. Vous ne faites pas mystère de votre volonté d’allonger considérablement la durée légale de cotisations pour ouvrir droit à la retraite.
Vous dites vouloir généraliser les heures supplémentaires, comme si cela se décrétait.
Mais, pire encore, avec la directive européenne, vous portez la durée du temps de travail à douze heures par jour, autant dire un recul considérable si l’on compare cette directive avec la loi du 23 avril 1919, dite loi des « 8 heures » qui, comme son nom le laisse deviner, avait limité la durée maximale du travail quotidien à huit heures par jour.
La loi, vous la voulez pour servir l’économie et non plus pour satisfaire les besoins humains et sociaux. Elle est un outil de dérégulation, alors même que les constituants de 1946 et de 1958 l’ont élaborée comme une protection des plus faibles.
La généralisation à tous les salariés des forfaits en jours ou en heures s’inscrit dans cette démarche de minoration des besoins humains. Vous ne voulez plus d’une loi générale et applicable à tous qui fasse écran aux exigences démesurées des employeurs.
Je voudrais vous rappeler une récente étude qui indique que l’amplitude horaire d’une journée de cadre varie entre onze heures et treize heures de travail par jour. Vous savez que de telles conditions de travail suscitent de plus en plus de réactions de la part des cadres. Le lien et la qualité de la relation entre le cadre et l’employeur se distend, on l’a vu chez Renault, au cours de ces dernières années et de ces derniers mois. Et à quel prix !
Mais qu’importe le stress au travail, les cadences infernales, les suicides sur les lieux de travail ! Vous n’en avez cure ! Ce qui importe c’est de répondre, encore et encore, aux diktats de l’économie libérale qui exige toujours plus de « disponibilité », c'est-à-dire toujours plus de précarité.
Ainsi, les cadres pourront demain effectuer pas moins de 282 jours de travail sur 365. Faites le calcul, retirez les 52 jours de week-end, le 1er mai et les 30 jours de congés payés, et c’en est fini des jours de RTT ! C’est la consécration d’un fameux slogan, mais légèrement modifié: « Travailler plus, pour gagner pareil et s’user au travail » !
Et votre gouvernement, qui est très inégalitaire dés lors qu’il s’agit de partager les richesses – je vous renvoie à la loi TEPA, d’août 2007 – se découvre une fibre égalitariste dés lors qu’il s’agit de partager les mauvais coups, puisque cette déréglementation sauvage s’imposera à tous les salariés disposant d’une réelle autonomie.
Vous créez une nouvelle catégorie de salariés, ces derniers cumulant les inconvénients, flexibilité imposée, charge de travail importante, pression accrue, et ne percevant pas le seul avantage auquel ils auraient droit, une rémunération accrue, corollaire légitime de ce que vous nommez « réelle autonomie » !
Mais il y a plus. Outre l’individualisation, avec ce projet de loi, vous inversez également la hiérarchie des normes. Ce qui était jadis l’exception – l’accord individuel ou la convention d’entreprise – vous en faites la règle. Aujourd’hui, on ne soupçonne pas encore toutes les conséquences que cela aura.
Et, inversement, ce qui était la règle, les accords de branche et les conventions collectives, vous en faites l’exception. Cette inversion des normes ne vise, ni plus ni moins, qu’à instaurer une forme de dumping social interne, sans compter que la suppression de la référence aux accords de branche étendus est un véritable élément de dumping social cette fois européen.
Ne tentez pas de nous faire croire que les salariés auront quoi que ce soit à gagner dans cette concurrence entre entreprises !
Le marché du travail est tel que ce ne sont plus les salariés qui font valoir leurs droits, ce sont les employeurs qui imposent leurs exigences. Et il ne fait pas de doute, que, profitant de cette inversion des normes, le patronat parviendra toujours à s’organiser pour proposer le moins-disant, le moins favorable aux salariés, comme il sait faire s’entendre les patrons pour proposer les offres les moins intéressantes aux consommateurs. Quand il s’agit de gros sous, on peut leur faire confiance !
En généralisant les forfaits en jours et en heures à tous les salariés, en augmentant le contingent annuel d’heures supplémentaires, en individualisant les relations de travail et en inversant la hiérarchie des normes, vous prenez le contresens, de ce qui pour nous est fondamental : le préambule de la Constitution de 1946.
Celui-ci dessinait une société de progrès pour tous. Vous construisez au contraire une société de précarité généralisée. Vous entrez en contradiction non pas seulement avec une norme constitutionnelle, mais bien avec l’esprit constitutionnel tout entier. Votre nom, monsieur le ministre, restera attaché à cette réforme !