M. Pierre Fauchon. Ce qui m’intéresse, c’est la présidence !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …peut-être, mais je suis désolé, monsieur Fauchon, votre sous-amendement a pour effet de rendre le nombre de magistrats inférieur à celui des non-magistrats en matière disciplinaire. Je ne puis donc qu’être défavorable à ce sous-amendement.
Pour ce qui est du sous-amendement n° 283 rectifié, monsieur Détraigne, je souligne que la présence d’une majorité de non-magistrats au sein des deux formations, lorsqu’elles exercent des compétences disciplinaires, répond à un objectif de dépolitisation. Ce sous-amendement aboutirait, en fait, à rétablir une présence majoritaire des magistrats pour l’exercice des compétences disciplinaires. C’est la raison pour laquelle je ne puis, là non plus, qu’émettre un avis favorable.
L’avis de la commission sur le sous-amendement n° 289 rectifié est le même que celui qu’elle a émis sur le sous-amendement n° 288 rectifié. Donc, défavorable.
Pour ce qui est du sous-amendement n° 506 rectifié bis, présenté par le Gouvernement, il est vrai, madame le garde des sceaux, que nous avons eu un petit problème. En effet, dans le texte initial figurait le terme « assister ». Or « assister », cela signifie que l’on est muet. Ainsi, je puis assister à une pièce de théâtre ou à un opéra, mais sans y participer ; je laisse cela à ceux qui sont doués, car, pour ma part, mieux vaut que je n’y participe pas ! (Sourires.) Vous avez ensuite remplacé le mot « assister » par le mot « participer ». À l’évidence, ce dernier verbe ne veut pas dire « voter ». Par conséquent, il va de soi que votre participation sera consultative. La commission a donc émis un avis favorable sur ce sous-amendement.
En ce qui concerne le sous-amendement n° 319, l’amendement de la commission, reprenant en cela le dispositif adopté par l’Assemblée nationale, consacre la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, qui existait jusqu’à présent sous la forme d’une réunion créée en dehors de tout texte.
La formation plénière exercerait un nombre défini de prérogatives, notamment en matière d’avis. S’agissant des avis spontanés, qui ne seraient pas évoqués dans la Constitution, il est possible que l’absence d’une telle mention, sauf si on l’interdit, n’empêche absolument pas la formation plénière d’en émettre de nouveaux.
Aussi la commission souhaiterait-elle connaître l’avis du Gouvernement sur ce sous-amendement.
Pour ce qui est du sous-amendement n° 287, la commission a opté pour une formation plénière comprenant seulement six des douze magistrats qui composent les formations spécialisées. Par conséquent, le dispositif proposé est en contradiction avec notre amendement. C’est pourquoi la commission sollicite le retrait de ce sous-amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Le sous-amendement n° 149 rectifié appelle les mêmes observations. La commission a choisi de confier la présidence de la formation plénière au Premier président de la Cour de cassation. La commission émet donc également un avis défavorable.
Il en est de même pour le sous-amendement n° 153. La commission, qui a choisi de confier la présidence des deux formations concernées au Premier président de la Cour de cassation et au procureur général près ladite cour, émet un avis défavorable sur ce sous-amendement.
Pour les mêmes motifs, l’avis de la commission sera défavorable sur l’amendement n° 416.
La commission émet également un avis défavorable sur l’amendement n° 405 rectifié, relatif à la composition de la formation compétente à l’égard des magistrats du siège.
L’amendement n° 92 de M. Patrice Gélard vise à rétablir la parité entre les magistrats et les personnalités extérieures. Toutefois, il deviendra sans objet si l’amendement de la commission est adopté, puisque nous proposons que le Défenseur des droits des citoyens et le président du Conseil économique et social ne participent pas à la désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature.
L’amendement n° 64, qui vise à remplacer les mots : « Conseil économique et social » par les mots : « Conseil économique, social et environnemental », appelle les mêmes observations.
Enfin, la commission ayant choisi de confier au procureur général la présidence de la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, elle a émis un avis défavorable sur les amendements nos 415, 406 rectifié, 404 et 407.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souhaite répondre aux interrogations soulevées par M. le rapporteur, ainsi que par les auteurs de plusieurs amendements et sous-amendements.
Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé, à juste tire, que le corporatisme existait non seulement au sein du CSM, mais également au ministère de la justice, notamment à la direction des services judiciaires, qui gère les magistrats. C'est la raison pour laquelle j’ai souhaité que le service des ressources humaines soit dirigé non pas par un magistrat, mais par un administrateur. Celui-ci gère donc les effectifs des magistrats, mais également des greffiers. Il s’agit d’un fonctionnement tout à fait différent. Vous avez eu raison d’insister sur le corporatisme.
Vous avez également évoqué les inspections. Il y en a effectivement eu très peu. Jusqu’à présent, l’inspection d’un juge ou d’une juridiction était souvent effectuée à la demande des chefs de juridiction.
Aujourd'hui, j’ai modifié le mode de fonctionnement des inspections. Ainsi, j’ai réformé l’Inspection générale des services judiciaires du ministère de la justice et j’ai exigé que des inspections soient menées d’office à la demande du ministre. C’est en cours ! Actuellement, un nombre sans précédent de juridictions, notamment de tribunaux de grande instance, font l’objet d’inspections. J’ai notamment demandé que l’on inspecte de manière rigoureuse les juridictions connaissant de véritables difficultés.
Je tiens tout de même à le rappeler, hormis la cour d’appel de Nouméa, les cours d’appel n’ont, selon l’usage, jamais été inspectées.
Comme il n’y avait pas de référentiel d’inspection, j’ai demandé que des cours d’appel soient inspectées, notamment s’agissant des charges de travail, de l’organisation et de l’affectation de moyens, domaines dont les chefs de cour sont responsables. Et, alors que cela n’avait jamais été mis en place par le passé, un référentiel d’inspection est actuellement en cours de création.
Ainsi, il y aura davantage d’inspections de TGI, de magistrats et de cours d’appel, contrairement à la pratique en vigueur jusqu’à présent.
D’ailleurs, la saisine du CSM par les justiciables encouragera de telles inspections. Dès lors que des dysfonctionnements seront relevés, la juridiction dans laquelle ils auront été signalés fera obligatoirement l’objet d’une inspection.
Par ailleurs, nous avons réformé la formation tant initiale que continue des magistrats.
S'agissant de la formation initiale, nous avons souhaité que les concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature comportent des tests psychologiques – les futurs magistrats seront tout de même les garants des libertés individuelles – et que des psychologues figurent parmi les membres du jury. En outre, l’apprentissage d’une langue étrangère et des stages au sein de l’Union européenne feront obligatoirement partie de la scolarité.
Nous avons voulu non seulement ouvrir davantage cette école dans sa formation et sa composition, mais également introduire un facteur humain dans le recrutement des candidats. Cette réforme a été adoptée voilà à peine un mois par le conseil d’administration de l’école. Elle sera opérationnelle au début de l’année 2009.
Combinée à la gestion des ressources humaines, qui a également permis d’améliorer le fonctionnement du CSM, la modernisation que nous proposons dans le cadre du projet de révision constitutionnelle rendra la justice beaucoup plus lisible, plus cohérente et plus accessible pour le justiciable. Tels sont les objectifs du Gouvernement s’agissant de la réforme de la justice.
Pour ce qui est des questions disciplinaires, nous ne voulons pas que les magistrats du parquet soient indépendants. En effet, le parquet, c'est-à-dire les procureurs, est l’avocat de la société. Son rôle est de la défendre.
Dès lors que les Français ont élu des hommes politiques, comme ce fut le cas récemment, ceux-ci ont une politique à mettre en œuvre. Ainsi, si nous souhaitons lutter contre la récidive et que nous donnons des instructions pour appliquer notre politique, un parquet indépendant pourrait très bien nous répondre qu’il ne souhaite pas lutter contre la récidive, préférant, par exemple, se concentrer sur la lutte contre les violences routières.
Par conséquent, si nous voulons mener une politique pénale cohérente, il est important que le parquet demeure sous l’autorité du garde des sceaux.
Permettez-moi de faire référence à une affaire récente, celle du mariage annulé. En l’occurrence, si, comme certains le réclament, le parquet avait été indépendant, je n’aurais pas pu faire appel de la décision prise par la juridiction concernée.
De même, s’agissant des violences urbaines, si le parquet était indépendant, je ne pourrais pas donner d’instructions sur les placements en garde à vue, les interpellations ou les défèrements.
Par conséquent, il est essentiel que le parquet puisse exécuter les instructions de politique pénale données par le Gouvernement. Le garde des sceaux doit donc conserver la possibilité de sanctionner disciplinairement le parquetier ; cette responsabilité ne doit pas de nouveau être confiée au CSM, qui n’aurait ni les mêmes critères de sanctions, ni le même objectif, ni la même vision. Le parquetier étant sous l’autorité du garde des sceaux, celui-ci doit conserver son pouvoir disciplinaire.
Monsieur le rapporteur, comme vous l’avez souligné, il est important que le garde des sceaux puisse participer aux formations du CSM et que des échanges aient lieu. En effet, le ministre fait adopter le budget, il dispose des moyens et il a une gestion dans le temps du fonctionnement du ministère de la justice. Ses objectifs ne sont pas forcément ceux des membres du CSM et il doit pouvoir dialoguer avec ces derniers.
Par ailleurs, on évoquait tout à l’heure les « passer outre ». Ainsi, nous avons du mal à pourvoir certains postes en outre-mer. Dans ces conditions, il est important que le garde des sceaux puisse « passer outre » pour pourvoir aux postes demeurés vacants. Lorsque j’ai lancé la réforme de la carte judiciaire, il y avait une centaine de juridictions dans lesquelles on n’arrivait jamais à pourvoir les postes.
Monsieur Cointat, vous avez soulevé une interrogation sur le problème de subordination entre le Premier président et le procureur général. Par tradition, le chef d’une juridiction est généralement le président du TGI, secondé par le procureur. La même tradition existe au sein du conseil d’administration de l’École nationale de la magistrature, qui est dirigé par le Premier président, puis par le procureur général. Nous avons souhaité qu’il en soit de même au sein du CSM. Il n’y a absolument pas de problème de subordination.
J’en viens à présent à votre amendement, monsieur le rapporteur.
Dans un souci de compromis, je précise que le Gouvernement est prêt à s’en remettre à la sagesse du Sénat sur cet amendement. Nous accepterions d’aller dans votre sens s’agissant du choix des personnalités qualifiées et de la parité entre magistrats et non-magistrats lorsque le CSM siège en formation disciplinaire.
En revanche, pour les raisons que je viens d’indiquer, nous sommes très réservés sur la possibilité pour le CSM de siéger en conseil de discipline pour les magistrats du parquet. Il est important que le garde des sceaux puisse garder ce pouvoir disciplinaire.
J’insiste également sur l’impossibilité pour le garde des sceaux d’assister aux séances du CSM lorsqu’il se prononce sur les nominations, notamment quand il y a des difficultés en termes de postes, de moyens ou de budget, ou quand il faut pourvoir des postes dans des endroits qui sont extrêmement difficiles.
C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 129, sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 506 rectifié bis.
Nous sommes défavorables à l’ensemble des autres amendements ou sous-amendements. Je n’y reviendrai pas, parce que je me suis déjà expliquée sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 489.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, finalement, ce qui est en jeu dans le débat sur le CSM, c’est l’idée que nous nous faisons les uns et les autres de l’indépendance de la magistrature. C’est un sujet extrêmement important, crucial, dans une démocratie, notamment par rapport aux conceptions qui sont les nôtres s’agissant de la séparation des pouvoirs.
En premier lieu, il y a désaccord sur la question de la parité. Tous les magistrats que nous avons reçus, et nous avons reçu de nombreuses formations syndicales ou associations de magistrats, nous ont fait part de leur attachement à ce que les magistrats fussent majoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature ou au moins qu’il y eût la parité entre les magistrats et les non-magistrats. Vous vous y opposez fermement. Nous considérons, nous, qu’il y a là quelque chose de vexatoire à l’égard des magistrats. La parité, que nous défendons les uns et les autres, est le juste équilibre qui permet d’éviter à la fois le corporatisme dont vous parlez souvent – il faut effectivement l’éviter –, mais également le risque de nominations politiques, que nous avons connu par le passé.
Par conséquent, s’agissant de la formation générale – je ne parle pas de la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature –, nous ne comprenons pas pourquoi il y a tant de réticences à accepter la parité entre magistrats et non-magistrats. En outre, dans les instances professionnelles qui statuent dans de très nombreux secteurs d’activité, il ne viendrait à l’idée de personne que les représentants des professions concernées fussent minoritaires.
En deuxième lieu, il y a la question de la nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature. À cet égard, nous dirons et redirons que, s’il est important de se référer à l’article 13 de la Constitution, nous n’avons pas la même interprétation de cet article 13.
De notre point de vue, pour les nominations effectuées par le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat pour le CSM, comme d’ailleurs pour le Conseil constitutionnel – cela a été défendu tout à l’heure par Robert Badinter –, il est très important de revenir à cette idée de la règle des trois cinquièmes, qui permet d’avoir un accord entre la majorité et l’opposition, quelles que soient la majorité et l’opposition. Là aussi, c’est un gage de grande indépendance.
En troisième lieu, la question de l’élection du président nous paraît aussi déterminante. Faire confiance à une instance qui serait composée à parité de magistrats, c’est consentir à ce que cette instance vote pour élire son président.
En quatrième lieu, derrière cet article, il y a la question de la nomination des magistrats. Pour ce qui est des magistrats du parquet, nous considérons qu’il est nécessaire qu’ils soient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Vous y êtes totalement opposés, nous l’avons bien compris. Permettez-moi, madame le garde des sceaux, de marquer le désaccord qui existe entre nous à ce sujet.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’est pas nouveau !
M. Jean-Pierre Sueur. Il n’est peut-être pas nouveau, mais il est important.
En dernier lieu, s’agissant de la formation disciplinaire, il est certes important, à cet égard, que les magistrats soient majoritaires. Mais le fait de savoir si, notamment pour les magistrats du parquet, la formation correspondante du Conseil supérieur de la magistrature statue ou donne un avis est aussi tout à fait significatif. Si elle donne un avis, cela n’a pas du tout les mêmes conséquences pour l’idée que nous nous faisons de l’indépendance de la magistrature que si elle statue.
Autrement dit, sur cet article relatif au CSM, nous voyons au moins que, sur cinq points, il y a une différence importante entre nous. Cette différence, elle est, dans les cinq cas, liée à l’idée que nous nous faisons de l’indépendance de la magistrature.
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la garde des sceaux, j’avoue ne pas très bien comprendre pourquoi vous vous opposez à une définition claire des missions du Conseil supérieur de la magistrature dans la Constitution.
Alors qu’est inscrite dans la Constitution l’inamovibilité des magistrats du siège, il me paraît également nécessaire d’inscrire dans le marbre de la Constitution des missions aussi fondamentales que la garantie de l’indépendance des magistrats, le respect des règles déontologiques, l’égalité d’accès des citoyens à la justice.
Il me semble d'ailleurs que M. le rapporteur ne s’y opposait pas, il sollicitait simplement l’avis du Gouvernement,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !
Mme Alima Boumediene-Thiery. …avis que vous n’avez pas justifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Si j’interviens de nouveau, c’est parce que je n’ai pas eu le privilège, tout à l’heure, de voir dans l’hémicycle, en dehors de quelques collègues vigilants, les membres de la majorité. J’évoquerai brièvement quelques points.
Le premier concerne la composition du CSM. Nous avons évoqué deux écueils : le Charybde du corporatisme, le Scylla de la politisation. L’unique réponse est la parité. Ce faisant, nous sommes au-dessous des normes européennes.
Je tiens à rappeler à la Haute Assemblée qu’en annexe du rapport de M. Hyest, à la page 271, figure la composition des conseils de justice en Europe. Plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, n’ont pas ce type de conseil.
Un seul pays, la Belgique, pratique la parité entre les magistrats et les non-magistrats. En Bulgarie, il y a quatorze magistrats contre onze non-magistrats. Au Danemark, ils sont sept magistrats contre cinq non-magistrats ; en Espagne, treize magistrats contre huit non-magistrats ; en Hongrie, dix magistrats contre cinq non-magistrats ; en Irlande, neuf contre huit ; en Italie, dix-huit contre neuf ; aux Pays-Bas, trois contre deux ; en Pologne, dix-sept contre huit ; au Portugal, le Conseil est composé de deux sections, l’une composée de neuf magistrats contre huit non-magistrats, l’autre composée de neuf magistrats contre sept non-magistrats ; en Roumanie, seize contre trois ; en Slovaquie, les membres sont à parité, mais le président du Conseil de justice est un haut magistrat disposant d’une voix prépondérante.
Nous sommes tout à fait au bas de l’échelle européenne en matière de parité. Quand on refuse la parité – ce qui in fine est la position de la commission des lois –, on est au-dessous des normes européennes. La situation dans laquelle nous nous plaçons soulève nécessairement des interrogations : pourquoi la France conçoit-elle le Conseil supérieur de la magistrature - instance de nomination qui représente les garanties de la magistrature – comme un organe où les magistrats ne doivent pas être représentés au moins à parité ? C’est la première remarque.
M. Robert Badinter. La formation du CSM atteint la parité lorsqu’elle statue en matière disciplinaire. Il n’est pas d’exemple où des magistrats soient jugés par une instance qui ne comprenne pas en majorité leurs pairs. Ce n’est d’ailleurs pas le propre des magistrats. Ici, on ne veut pas !
Sur la question disciplinaire, je pense profondément que ce serait une très grave erreur, pour le ministre de la justice, que de vouloir exercer un pouvoir disciplinaire direct sur les magistrats du parquet. La magistrature peut tout à fait se concevoir selon deux corps séparés : un corps de fonctionnaires qui poursuit, de haut en bas, et un corps de magistrats du siège, complètement indépendant du premier.
La France a choisi la voie d’un corps unique. Les personnes qui exercent les fonctions du parquet – elles passeront d’ailleurs souvent au siège – demeurent des magistrats ; elles ont donc droit aux garanties statutaires des magistrats.
Je me permets d’indiquer, madame le garde des sceaux, que ce n’est pas parce que l’article 30 du code de procédure pénale vous donne le pouvoir de donner des instructions générales au parquet ou de faire passer par le parquet général des instructions écrites au procureur de la République que vous êtes le chef du parquet. Cette idée n’est pas exacte !
M. Robert Badinter. Vous êtes le ministre de la justice ; vous déterminez la politique pénale et vous veillez à son exécution, mais vous ne donnez pas vous-même des instructions : celles-ci passent par l’intermédiaire des chefs de corps.
Je vous le dis très clairement,…
M. Robert Badinter. …il est indispensable d’opérer une dissociation entre l’exécutif et les magistrats quand il s’agit de sanctions. Je considère comme une très grave erreur le fait qu’un membre du Gouvernement puisse sanctionner des magistrats pour des fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions. En revanche, le ministre peut saisir la section parquet du Conseil supérieur de la magistrature et lui demander de poursuivre. Mais il ne faut pas confondre le pouvoir de saisine, la vigilance, avec le pouvoir de sanctionner, ce qui est tout à fait différent.
Sur ce point, si vous êtes suivie dans la révision telle que proposée par le texte adopté par l’Assemblée nationale – ce n’est d’ailleurs pas la position de la commission –, ce sera ressenti par tous les magistrats comme une défaite, une capitis diminutio au regard de l’idée même qu’ils se font de leur indépendance.
M. Patrice Gélard. Absolument pas !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous auriez pu le faire pendant quatorze ans, monsieur Badinter !
M. Robert Badinter. Cela peut ne pas vous intéresser ; je considère, pour ma part, que c’est tout à fait essentiel. J’ai toujours pensé qu’il fallait un corps hiérarchisé, mais vous n’avez pas à exercer directement le pouvoir disciplinaire. C’est non pas une exception française, mais une erreur française !
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 342.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 288 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président de la commission, le sous-amendement n° 288 rectifié ne vise à modifier que le deuxième alinéa de votre texte. Il a donc trait uniquement à la désignation du président.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si ce n’est plus un magistrat qui préside, l’équilibre est rompu !
M. Pierre Fauchon. Je me permets simplement de vous signaler que je ne propose pas une composition différente.
Encore une fois, mon sous-amendement vise à ce que le président soit élu parmi les membres de la formation, ce en quoi je rejoins d’ailleurs la proposition de M. Badinter.
Je ferai quelques réflexions de portée plus générale.
La première concerne la parité. Il ne faut pas exagérer l’importance de celle-ci. Les magistrats sont unis par des liens professionnels, tandis que les personnalités indépendantes, qui viennent de milieux tout à fait différents, n’ont pas entre elles le même type de communication. Il est bien évident que ceux qui appartiennent à la profession forment très naturellement un bloc, sans même employer le mot « corporatisme », qui a un caractère un peu désagréable. Donc, la parité ne se calcule pas comme on le croit un peu simplement.
Ma deuxième réflexion est relative aux comparaisons européennes, qui ne sont pas significatives. Il n’existe pas à proprement parler de norme européenne qui s’impose, même s’il est toujours intéressant de procéder à des comparaisons. Les systèmes de magistrature et de justice sont en effet très différents d’un pays à l’autre, comme nous avons pu le constater en Espagne ou en Allemagne. Les systèmes sont si profondément différents, à tous les niveaux, depuis la formation jusqu’au recrutement des magistrats, que la portée des comparaisons est forcément limitée. Comme dit le proverbe, « comparaison n’est pas raison » ! Raisonnons dans notre système particulier, qui requiert une solution réellement adaptée.
Troisième réflexion, je voudrais que l’on ne nous rebatte pas les oreilles avec la question de l’indépendance des magistrats, qui confond en une seule et même catégorie des magistrats qui sont, en réalité, de deux types bien différents ; je ne cesse de le dire !
Les magistrats du parquet portent le nom de magistrat – ils ont une formation, une déontologie, des principes, des traditions, c’est entendu –, mais ils sont les avocats de l’une des parties, les avocats de la société. Ils n’ont donc pas la même impartialité que les juges du siège.
S’ils portent le nom de parquetiers, c’est parce qu’au Moyen Âge les avocats de la Couronne avaient obtenu de se placer sur le plancher où étaient les juges, tandis que les autres avocats restaient à même le sol, à battre la semelle sur le sol gelé. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas du tout cela !
M. Pierre Fauchon. Le Royaume-Uni, qui ne peut être taxé de pays sous-développé en matière de justice, s’est passé pendant très longtemps de magistrats du parquet. La couronne confie les intérêts publics à des avocats.
Donc, n’abusons pas de ce rapprochement des deux corps, car nous sommes dans une culture qui a tendance à les confondre. Le fait de passer continuellement du siège au parquet au cours d’une carrière n’est d’ailleurs guère souhaitable, en particulier à partir d’un certain degré d’ancienneté. Mais c’est encore un autre problème !
Nous sommes conscients, mes chers collègues, que les magistrats du parquet ne peuvent pas avoir la même indépendance que les magistrats du siège, cette indépendance étant difficilement conciliable avec l’insertion des magistrats du parquet dans une hiérarchie dont le sommet remonte à l’État qu’ils représentent. Il est donc normal que leur système de nomination diffère, ainsi que leur déontologie. Le parquet, ce n’est pas la même chose que le siège, et il faut s’élever contre la confusion que l’on entretient entre les deux formations.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bravo !
M. Pierre Fauchon. Bien entendu, le fait que les nominations, la déontologie, etc. soient assumées par un pouvoir politique n’est pas sans poser des problèmes. Le ministre est toujours accusé, le plus souvent à tort, d’avoir des arrière-pensées politiques ou politiciennes concernant les nominations et les sanctions.
Le Sénat avait adopté un dispositif visant à désigner un magistrat spécial au sommet de la hiérarchie du parquet ; il s’agissait d’un procureur général de la nation, nommé par le Président de la République sur une liste présentée par le CSM, de manière à concilier les différents points de vue. Il aurait détenu la plupart des pouvoirs actuellement exercés par le ministre, sauf celui de donner des consignes générales.
Les consignes particulières ainsi que les questions de déontologie et de nomination dépendaient ainsi du procureur général de la nation. Le processus législatif n’est pas allé à son terme, mais l’idée mériterait d’être reprise. Elle permettrait, me semble-t-il, de satisfaire les critères d’organisation hiérarchisée du parquet et de non-suspicion de politisation de cette organisation.
Telles sont les réflexions que je voulais faire à l’occasion de ce débat intéressant et complexe qui mériterait des développements plus approfondis.
En ce qui concerne les sous-amendements que j’ai déposés avec plusieurs de mes collègues, nous souhaitons simplement, comme je le disais au début de mon intervention, que le président soit élu parmi les membres de la formation.
Madame la garde des sceaux, il n’est nullement question de présidences « tournantes ». Les présidents seraient élus pour la durée de leur mandat, tout simplement, comme tous les présidents de toutes les instances. Vous avez également évoqué les pressions politiques auxquelles ils pourraient être soumis, tandis que les chefs de cour seraient à l’abri de celles-ci. Sans entrer dans les détails, je crois que personne n’est à l’abri de telles pressions.