Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les citoyens sont favorables au vote des étrangers !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pendant la campagne présidentielle, il a évoqué des conditions de durée de résidence, mais aussi de réciprocité.
Vous avez affirmé tout à l’heure, monsieur Yung, que nous aurions rendu l’obtention des visas plus difficile. Je vous signale qu’un visa est un titre de séjour temporaire et que les personnes résidant régulièrement sur notre territoire détiennent une carte de séjour ! Les personnes demandant un visa n’ont pas vocation à résider sur le territoire français de façon régulière, ne mélangeons pas tout !
Par ailleurs, je souligne que François Mitterrand s’était engagé à accorder le droit de vote aux étrangers lors de sa campagne pour l’élection présidentielle. Par la suite, Lionel Jospin avait pris le même engagement avant de devenir Premier ministre. Mais rien n’a été fait !
M. Jean-Pierre Bel. C’est le Sénat qui a bloqué !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nicolas Sarkozy n’a pas pris un tel engagement lors de sa campagne pour l’élection présidentielle. Les Français ne lui ont donc pas donné mandat sur ce sujet, alors que la gauche avait pris des engagements qu’elle n’a pas tenus !
M. Jean-Pierre Bel. Demandez à vos amis du Sénat ce qu’il en est !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vous renvoie à vos responsabilités ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Robert Bret. C’est le Sénat qui n’a pas voté cette mesure ! Ce sont ceux-là mêmes qui vous applaudissent !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour ce qui concerne l’acquisition de la nationalité française,…
M. Bernard Frimat. Madame le garde des sceaux, me permettez-vous de vous interrompre ? (Non ! sur les travées de l’UMP.)
M. Robert Bret. Elle ne connaît pas l’histoire !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Avant 2002, une personne qui voulait acquérir la nationalité française devait patienter de cinq à dix ans. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a encadré et réduit ce délai. Les lois votées par la suite, notamment sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ont diminué la durée de résidence exigée pour l’obtention de la nationalité française. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) La condition de stage est même annulée si la personne est francophone ou a fait des études de français dans son pays d’origine. En outre, les procédures ont été simplifiées.
Par ailleurs, je rappellerai que, pendant très longtemps, le titre de séjour d’une femme victime de violences mise à la porte par son conjoint n’était pas renouvelé. C’est sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qu’a été adoptée une mesure prévoyant l’attribution d’un titre de séjour à ces femmes sur simple demande. C’est la droite, et non la gauche, qui a mis en œuvre cette disposition ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Eh oui ! C’est la droite !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais c’était à la suite de l’adoption d’un de nos amendements !
M. Dominique Braye. Vous parlez, nous agissons !
M. Robert Bret. C’est la gauche qui avait déposé l’amendement !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous n’avons donc aucune leçon à recevoir de la gauche pour ce qui concerne le droit de vote des étrangers ou l’amélioration de leurs conditions de séjour ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Robert Bret. Il ne faut pas réécrire l’histoire !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En 2002, Jean-Marie Le Pen était présent au second tour de l’élection présidentielle.
En 2007, 85 % des Français se sont mobilisés et passionnés pour cette même élection : Nicolas Sarkozy détient un mandat clair, 53 % des Français ayant voté pour lui.
Un sénateur de l’UMP. Très bien !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je le répète, nous n’avons aucune leçon à recevoir de la gauche s’agissant du droit de vote et des conditions de vie des étrangers en France ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Henri de Raincourt. Ça fait mal !
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau. Nous devrions vraiment cesser de nous renvoyer ainsi la balle, car ce n’est guère digne des centaines de milliers de personnes dont nous parlons. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Il faut assumer !
M. Gérard Delfau. Par ailleurs, je voudrais rappeler que c’est nous qui avons demandé à ces étrangers de venir s’établir sur notre sol. M. Jean-Pierre Raffarin ayant occupé les fonctions de Premier ministre, il est mieux placé que moi pour savoir que, dans les années qui viennent, en raison d’une pénurie de main-d’œuvre due non seulement à la baisse démographique, mais aussi à la désaffection pour certains types d’emplois, notre pays devra à nouveau faire appel à des travailleurs venus de l’étranger.
Mais là n’est pas le problème ! La question ne réside pas non plus dans le lien entre nationalité et droit de vote, madame le garde des sceaux.
M. Gérard Delfau. Je vous transmettrai d’ailleurs le dossier d’une personne parfaitement francophone, établie en France depuis l’âge de quatorze ans. Aujourd’hui âgée de quarante-deux ans, elle travaille et paie ses impôts dans notre pays, mais jamais le dossier qu’elle a déposé afin d’obtenir la nationalité française n’a pu aboutir : il manquait toujours une pièce… Je me suis inquiété de sa situation auprès de l’administration, mais celle-ci n’a même pas jugé bon d’accuser réception de la lettre à en-tête du Sénat que je lui avais adressée, madame le garde des sceaux !
M. Robert Bret. C’est la déréglementation de la poste !
M. Gérard Delfau. J’ai entendu soutenir que la nationalité française est facilement accordée, mais quelques cas au moins font exception à cette règle !
Mme Alima Boumediene-Thiery. On va vous transmettre des dossiers, madame la ministre !
M. Gérard Delfau. J’en viens au fond du problème, à savoir l’intégration.
S’agissant du droit de vote des résidents étrangers extracommunautaires, la seule objection valable, mais qui, selon moi, doit être surmontée, tient à l’absence de réciprocité. Il faut aller au-delà, à mon sens, parce qu’une majorité de pays européens ont déjà accordé ce droit.
M. Patrice Gélard. Non !
M. Gérard Delfau. Nous sommes donc plutôt en retard,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et nous donnons des leçons !
M. Gérard Delfau. … alors que nous rappelons sans cesse que la France est le pays des droits de l’homme,…
M. Jean Desessard. Et des droits de la femme !
M. Gérard Delfau. … que nous avons inventé, avec les Britanniques, la citoyenneté. Par conséquent, il nous revient de faire un pas en avant, sans que cela mérite d’ailleurs, à mon sens, autant de passion ! Ce serait une mesure de bon sens et un geste d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je m’ébahis du ton polémique retrouvé par notre assemblée, après les heures plus suaves de cet après-midi !
Madame la ministre, vous affirmez ne pas avoir de leçons à recevoir de la gauche ; je vous répondrai que nous ne cherchons pas à vous en donner,…
M. Dominique Braye. Vous ne faites que cela !
M. Jean-Luc Mélenchon. … nous cherchons à convaincre.
Au demeurant, j’ai cru comprendre, au terme d’échanges avec certains collègues, que l’idée d’accorder le droit de vote aux étrangers ne paraît pas si incongrue. C’est plutôt sa mise en œuvre qui semble délicate, puisqu’elle a suscité des difficultés à plusieurs moments de la vie institutionnelle du pays.
Vous nous avez en outre reproché d’avoir fait des promesses que nous n’avons pas tenues. C’est bien parce que nous n’y sommes pas parvenus que nous revenons aujourd'hui à la charge ! Puisque le Président de la République se dit, à titre personnel, favorable au vote des étrangers, qu’il s’inspire des échecs de ses prédécesseurs ! En effet, si le président Mitterrand y était également favorable, je ne crois pas faire injure à mes collègues de la majorité sénatoriale en leur rappelant qu’eux y étaient hostiles et que, dès lors, la réforme constitutionnelle était impossible…
M. Jean-Pierre Bel. Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà, madame la ministre, pourquoi nous n’avons jamais pu aboutir : l’intention ne nous faisait pas défaut, mais nous savions d’avance que nous ne pouvions réussir.
M. Jean-Pierre Bel. C’est la vérité !
M. Jean-Luc Mélenchon. Par conséquent, ne nous faites pas de mauvais procès ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Examinons plutôt la situation telle qu’elle se présente actuellement.
Les droits en vigueur dans notre pays ne s’appliquent-ils pas aux étrangers ? Bien sûr que si, puisque les droits sont universels. Quelle est la source des droits ? C’est la loi. Quelle est la source de la loi et de sa légitimité ? C’est le suffrage universel. Par conséquent, ce qui doit nous guider dans notre raisonnement, c’est non pas les droits que nous reconnaissons aux étrangers, mais ce que nous reconnaissons nous-mêmes comme étant les principes démocratiques auxquels nous devons nous conformer et qui nous font obligation de considérer que la loi est légitime et s’applique donc à tous parce qu’elle est décidée par tous. Tel est le point de départ de nos raisonnements !
La difficulté sur laquelle nous butons ensuite n’est pas si grande, si l’on y regarde de plus près !
En effet, l’étranger ne peut-il pas accéder à la fonction publique, aux plus hautes responsabilités de l’État ? Bien sûr que si ! Il lui suffit de posséder la double nationalité, ce qui signifie une double allégeance. Pourtant, les Français n’y voient aucune contradiction avec l’exercice de telles responsabilités.
M. Alain Vasselle. Il n’y a pas de problème !
M. Jean-Luc Mélenchon. En outre, l’étranger n’applique-t-il pas la loi dans notre pays ? Bien sûr que si ! Il est électeur et éligible aux élections prud’homales, or les prud’hommes sont des juges.
Ces exemples démontrent qu’il n’existe pas de cloison étanche entre résidents étrangers et détenteurs de la nationalité française pour ce qui concerne l’exercice des droits et la formulation de la règle.
La question est donc aujourd’hui de renforcer la cohésion sociale sur notre territoire : pour cela, il faut que tous participent de la même manière non seulement à l’application de la loi, mais aussi à son élaboration.
L’amendement n° 163 rectifié ne vise pas à habiliter d’emblée quiconque touche le sol de France à voter. Il est prévu que le droit de vote soit accordé dans les conditions définies par la loi. Un délai devra déjà s’être écoulé depuis l’arrivée en France de la personne, qui aura ainsi eu le temps de s’installer, de s’impliquer dans la société.
De surcroît, une loi récente – il m’est impossible de préciser celle dont il s’agit, les lois relatives aux conditions de séjour des étrangers ayant été votées en si grand nombre ces dernières années ! – …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon. … soumet notamment la délivrance d’un titre de séjour au respect des principes républicains. Voilà qui est tout à fait étrange ! En effet, je rappelle qu’en République, si l’on doit se conformer à la loi républicaine, on peut très bien être royaliste et ne pas avoir de révérence pour les principes républicains !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On n’est pas en prison !
M. Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, a été votée une disposition selon laquelle un étranger ne pourra se voir délivrer de titre de séjour que si, après avoir été dûment questionné, il atteste du fait qu’il respecte les principes républicains. Ce sont vos lois qui ont établi cela !
En résumé, nous avons déjà accordé le droit de juger, en tant que juges prud’homaux, et d’assumer des responsabilités dans la société à des personnes résidant sur le sol français depuis un certain temps et respectant les principes républicains – ce qui n’était pas requis lorsque nous étions au pouvoir.
Il ne nous reste plus qu’à leur donner le droit de faire la loi : non par compassion ou parce que nous nous sentirions coupables de leur venue sur notre territoire, mais par simple respect pour nous-mêmes. En effet, nous les Français, nous les républicains, nous considérons que la loi s’applique à tous parce qu’elle est décidée par tous. La démocratie est à la base de la cohésion. Lorsque notre pays fait preuve d’une moins grande cohésion, le bon remède est de renforcer la démocratie, et donc l’implication populaire et la citoyenneté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Bel. Absolument !
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est au nom de ce principe qu’il faut dire « la loi » et non « vos lois » !
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est exact !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Madame la garde des sceaux, je ne comprends pas l’argument que vous avez développé dans la première partie de votre intervention.
Vous avez dit que donner le droit de vote aux étrangers reviendrait à renforcer le communautarisme. Or, au contraire, l’exercice de la citoyenneté désenclave, soustrait au communautarisme et enrichit notre projet républicain de vivre ensemble.
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Bariza Khiari. L’exercice de la citoyenneté est un facteur essentiel d’inclusion dans la société française. Des millions d’étrangers ont contribué à la construction de notre pays au long de notre histoire. Ils sont nombreux à l’avoir défendu, au nom de ses valeurs de liberté et de promotion des droits de l’homme.
Continuer de priver du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales les populations étrangères vivant dans notre société constitue aujourd’hui un déni d’intégration. Madame la garde des sceaux, une telle discrimination est indéfendable.
M. Alain Gournac. Cela ne veut rien dire !
Mme Bariza Khiari. Il est en effet injuste que les étrangers soient sans voix, sans droit de participer aux élections qui concernent leur propre collectivité.
Cette discrimination est aussi humainement inacceptable, car elle constitue un frein à une intégration réussie.
Mme Bariza Khiari. Bien sûr, nous sommes des donneurs de leçons en matière de démocratie, et dans ce domaine nous jugeons certains pays en fonction du sort qu’ils réservent aux femmes. Mais d’aucuns pourraient évaluer la vitalité de notre démocratie à l’aune des droits que nous accordons aux étrangers qui vivent en France depuis des décennies, y travaillent et y paient leurs impôts.
Alors, madame la garde des sceaux, faisons rayonner le modèle d’une France confiante, qui n’a pas peur de ses étrangers. Nous vous proposons aujourd’hui de faire preuve d’audace, ne ratez pas cette occasion ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Je me réjouirai d’abord de la qualité d’écoute qui caractérise notre débat, ce qui n’est pas si fréquent. Nos opinions sont différentes, et nous les confrontons : c’est le jeu de la démocratie, et si le débat peut continuer sur ce ton, nous en sortirons tous grandis. On progresse toujours davantage en confrontant des raisonnements plutôt qu’en vitupérant.
Madame la garde des sceaux, je vous écoute toujours avec attention, mais si je vous ai demandé tout à l’heure l’autorisation de vous interrompre, c’est parce que vous nous avez reproché de vouloir donner des leçons. Or, tant s’en faut ! Nous défendons nos convictions : c’est notre fierté de parlementaires, et c’est aussi notre droit le plus élémentaire.
Je vous donne acte de ce que, en 1981, François Mitterrand avait inscrit parmi ses 110 propositions celle d’accorder le droit de vote aux étrangers résidant depuis un certain nombre d’années sur notre sol.
Cette proposition n’a toujours pas été mise en œuvre aujourd’hui.
Peut-on, madame la garde des sceaux, essayer de comprendre objectivement, sans polémiquer, pourquoi nous ne sommes pas parvenus à tenir cet engagement ?
La raison de cet échec, c’est que, pour accorder le droit de vote aux étrangers résidant en France depuis un certain nombre années, il faut réviser la Constitution. En l’absence d’un tel préalable, nous ne pouvions pas voter de loi accordant le droit de vote aux résidents étrangers. D’ailleurs, si nous en avions néanmoins voté une, le Conseil constitutionnel l’aurait déclarée inconstitutionnelle. Personne, je pense, ne me démentira sur ce point.
Nous étions donc obligés de réviser la Constitution, en utilisant la procédure prévue à l’article 89 de la loi fondamentale, mais nous nous heurtions alors au droit de veto dont dispose le Sénat.
Nous avons à de multiples reprises tenté d’ouvrir le débat. S’il s’engage enfin aujourd’hui, c’est précisément parce que nous discutons d’une révision constitutionnelle, ce qui ouvre une « fenêtre », si je puis m’exprimer ainsi.
Lorsque le ministre de l’intérieur, à l’automne 2005, a évoqué cette question, Jean-Pierre Bel a demandé à la conférence des présidents l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de la proposition de loi de M. Lionel Mamère, qui avait déjà été adoptée à l’Assemblée nationale. La conférence des présidents lui a opposé un refus ! À l’époque, nous ne disposions même pas de la possibilité de choisir les textes inscrits à l’ordre du jour réservé !
Nous avons essayé de contourner ce refus en déposant une proposition de loi, symboliquement cosignée par Nicole Borvo Cohen-Seat, Jean-Pierre Bel et Marie-Christine Blandin, et en demandant sa discussion immédiate. Cette demande, vous l’avez rejetée, chers collègues de la majorité, comme c’était votre droit. Il n’y a donc pas eu de débat.
Chaque fois que nous en avons la possibilité, nous posons donc le problème du vote des résidents étrangers. Si ce dossier n’a pu avancer – ce que beaucoup ont du mal à comprendre –, c’est en raison du droit de veto accordé à la majorité du Sénat par la Constitution en matière de révision constitutionnelle.
Nous ne pouvons franchir cet obstacle. C’est pourquoi nous sommes opposés au droit de veto constitutionnel du Sénat. Nous posons le problème maintenant, afin de situer les responsabilités : si nous ne progressons pas sur ce sujet du droit de vote des étrangers, ce n’est pas parce que la gauche ne le veut pas, c’est parce que la droite s’y oppose !
Nous continuerons, avec sérénité et détermination, à aborder cette question car, les idées ayant progressé, le temps est maintenant venu d’avancer dans cette voie.
Nous ne voulons pas polémiquer, madame la garde des sceaux. Je ne vous ai donné aucune leçon, j’ai simplement rappelé un enchaînement chronologique. D’ailleurs, si quelqu’un souhaite me démentir, je l’écouterai très attentivement.
Monsieur le président, par souci de clarté, nous avons souhaité que le débat ait lieu une fois pour toutes sur le premier des dix amendements en discussion commune, c’est-à-dire l’amendement n° 163 rectifié de Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous n’expliquerons pas notre vote sur les amendements suivants, mais nous demanderons, en revanche, quelques scrutins publics. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. En réaction à la réflexion de M. Alain Vasselle selon laquelle on n’a pas demandé aux étrangers de venir, je voudrais vous raconter une histoire, chers collègues.
Dans ma ville, Vénissieux, qui était à l’origine liée à Saint-Fons, on comptait, tant à la veille de la Première Guerre mondiale qu’à celle de la Seconde Guerre mondiale, plus de 50 % d’étrangers.
Il y a eu bien sûr plusieurs vagues d’immigration : Espagnols, Italiens, Portugais, puis Maghrébins sont venus s’installer.
De toute évidence, des pans entiers de notre économie ont dépendu et dépendent encore de la présence, depuis des décennies, des travailleurs étrangers. Vous le savez bien, monsieur Vasselle !
Les travailleurs étrangers tiennent notamment une grande place dans le secteur agricole. En particulier, dans le sud et dans l’ouest de la France, des productions entières reposent entièrement sur le travail des saisonniers immigrés. Je pense ici à la vigne ou au maraîchage, qui emploie des travailleurs marocains.
À Vénissieux, il n’y a pas que les Minguettes. C’est en effet la plus grande ville industrielle de la région Rhône-Alpes, les secteurs de la mécanique, de l’automobile et de la chimie y étant représentés. À l’heure actuelle, l’activité de l’usine Renault-Volvo ou celle de l’entreprise américaine leader mondial des produits réfractaires et carbonés reposent sur le travail de nombreux étrangers. C’est pour cette raison que je milite depuis très longtemps pour l’attribution du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers extracommunautaires.
« On ne leur a pas demandé de venir ! » Regardez la réalité, monsieur Vasselle, et rappelez-vous l’histoire de la Sonacotra, devenue l’Adoma.
Le patronat allait autrefois chercher des travailleurs dans tous les pays africains, notamment au Maghreb. Dans ma ville, une douzaine de foyers résument l’histoire de l’immigration. Croyez-moi, la moindre des choses serait d’accorder le droit de vote à ces personnes qui sont parfaitement intégrées dans la vie économique et sociale de la commune.
Par ailleurs, madame la ministre, je fréquente les Minguettes depuis la naissance de ce quartier. Or il n’a jamais été aussi difficile d’accéder à la nationalité française et d’obtenir des visas qu’aujourd’hui, et je peux me prévaloir d’une certaine expérience en ce domaine. La délivrance des visas n’a jamais été aussi parcimonieuse ! Vous ne me contredirez pas sur ce point, madame la ministre, car vous savez bien quelles instructions ont été données, à cet égard, aux préfectures, aux ambassades et aux consulats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. La question qui nous occupe est extrêmement sensible et difficile à traiter. Rejoignant M. Frimat sur ce point, j’estime que nous ne pourrons le faire que dans la sérénité : le dialogue, c’est la confrontation des idées, et non pas l’invective.
Je ne me permettrai donc pas de dire que les thèses défendues par l’auteur de l’amendement sont honteuses, et je trouverais naturel qu’il montre le même respect pour les nôtres.
Deux thèses s’affrontent, tout aussi honorables l’une que l’autre. Vous défendez l’idée de la participation à la citoyenneté, chers collègues, et je ne vous en blâme pas. Pour notre part, nous défendons l’idée de la nationalité, ce dont vous ne pouvez nous blâmer, car ce faisant, nous défendons le peuple français.
Mme Annie David. Ce n’est pas cela que nous avons qualifié de honteux !
M. Christian Cointat. Comment avancer ?
Nous devons tout d’abord nous mettre d’accord sur la définition de la nationalité et de la citoyenneté.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! Voilà !
M. Christian Cointat. Si la nationalité et la citoyenneté ne donnent pas plus de droits à ceux qui les détiennent qu’aux autres, il faut avoir le courage de le dire à nos concitoyens. En effet, toute la question est là !
Pour ma part, si j’ai accepté que l’on accorde le droit de vote aux ressortissants européens aux élections locales, c’est précisément parce qu’il conférait une citoyenneté. Cela ne signifie pas que, à titre personnel, je sois fermé à toute discussion sur la notion de citoyenneté. Puisque l’on a accepté de l’accorder aux uns, pourquoi ne pas l’accorder aux autres ? Cela étant, encore faut-il qu’ils la veuillent !
Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Annie David. Ils la veulent !
M. Christian Cointat. Je parle bien de citoyenneté, et non de nationalité !
Il faut donc que les personnes concernées fassent la démarche de demander la citoyenneté.
Certains ont parlé de justice. Soit, mais Robert del Picchia a évoqué la réciprocité.
Des compatriotes expatriés vivant dans des conditions très difficiles se plaignent parfois à moi. Je leur réponds alors qu’ils ont choisi d’aller dans ce pays, et qu’ils doivent accepter ses lois ou le quitter.
Cela étant, il arrive que les lois d’un État imposent à nos ressortissants des pratiques religieuses ou leur interdisent de célébrer leur culte s’ils sont croyants. Il serait tout de même difficile à admettre, dans ces conditions, que des ressortissants de cet État vivant en France puissent se voir accorder le droit de vote et d’éligibilité au bout de quelques années de résidence, alors que nos compatriotes n’ont même pas le droit de s’exprimer !
Il faut avoir le courage de mettre les problèmes sur la table afin d’essayer de les résoudre au mieux.
Je ne serais pas choqué, en ce qui me concerne, que des étrangers installés en France depuis longtemps et qui sont devenus finalement Français parce que leurs enfants le sont, parce que leur vie est en France, obtiennent le droit de vote. Mais nous devons en débattre et véritablement définir la citoyenneté.
En effet, si un référendum était organisé demain sur cette question, chers collègues de l’opposition, je ne pense pas que vous l’emporteriez !
M. Alain Gournac. Oh non !
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Je fais miens certains des propos qui ont été tenus, pas forcément d’ailleurs sur les travées de mon groupe… (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Par exemple, en écoutant Guy Fischer – loin de moi l’idée de confronter les Minguettes au Val-Fourré ! –, je me disais que les élus locaux qui côtoient au quotidien les populations étrangères ont une sensibilité particulière sur ces questions. Il y a en effet, dans ce domaine, une différence entre milieu urbain et milieu rural, car le problème qui nous occupe est essentiellement urbain.
Cela étant, j’ai été quelque peu ébahi, pour reprendre un terme employé par M. Mélenchon, que l’on mette sur le même plan vote des étrangers et intégration, car ces deux choses n’ont rien à voir entre elles.
En effet, nous connaissons tous de nombreux étrangers totalement intégrés dans notre pays sans qu’ils aient la possibilité de prendre part aux élections. C’était notamment le cas des ressortissants communautaires – je pense par exemple aux Portugais ou aux Italiens – avant qu’ils n’aient obtenu le droit de vote, et c’est aujourd’hui le cas de bien des Maghrébins immigrés de la première génération, qui eux n’ont toujours pas le droit de voter.
Parallèlement, quel responsable d’une collectivité locale dans laquelle vivent des jeunes de la deuxième génération niera que ceux-ci connaissent de véritables difficultés d’intégration, bien qu’ils aient le droit de vote ?