M. le président. La parole est à M. Dominique Braye.
M. Dominique Braye. Chacun, sur ces travées, sait que je ne suis ni un juriste ni un constitutionnaliste éminent ; j’écoute donc avec une très grande attention ceux de nos collègues qui le sont.
Naturellement, personne, à l’heure actuelle – et même si quelqu’un l’était, il n’oserait l’avouer –, ne peut être contre l’égal accès des hommes et des femmes à toutes les responsabilités.
J’ai bien entendu ce que nous a dit Robert Badinter et ce qu’a rappelé à mots plus couverts notre ami Patrice Gélard, à savoir que cette disposition n’avait rien à faire à l’article 1er. En revanche, je suis étonné de la proposition du président de la commission des lois, éminent juriste, qui a souvent déclaré que la loi ne devait pas être redondante.
Certes, je sais bien que l’exercice auquel nous nous livrons en ce moment consiste à faire plaisir au plus grand nombre pour essayer d’atteindre – c’est quasiment impossible ! – l’objectif qui nous a été fixé. Mais, personnellement, je ne participerai pas à cette dénaturation du texte de notre loi fondamentale…
M. Roland du Luart. Vous ne serez pas le seul ! Nous vous soutiendrons !
M. Dominique Braye. … et je me verrai donc dans l’obligation, monsieur Hyest, avec un immense regret, de voter contre l’amendement n° 509, considérant que je rends ainsi service au texte fondamental de notre République. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je souhaite que les interventions se situent dans la lignée du rapport de la commission. En effet, s’il y a des choses que je veux bien admettre, je rappellerai toutefois que l’article 34 définit, notamment, les règles fixées par la loi et les principes fondamentaux déterminés par la loi.
On ne peut pas donc intégrer des principes généraux dans l’article 34 ! C'est d’ailleurs la raison pour laquelle, à l’unanimité, les membres de la commission des lois, bien meilleurs juristes que moi,…
M. Dominique Braye. Oh non !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …ont profité de cette occasion pour préciser que cette mesure n’avait rien à voir avec l’article 34.
Bien sûr, il y a le comité de réflexion présidé par Mme Veil, mais je rappelle tout de même que, voulant favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, nous avions rédigé un texte particulier, que nous avions intégré à l’article 3 de la Constitution. Mais cet article concerne la souveraineté nationale.
Puis, l’Assemblée nationale, à la suite de jurisprudences du Conseil constitutionnel interdisant de favoriser l’égal accès aux responsabilités professionnelles et sociales, a considéré qu’il fallait inscrire ces dispositions dans la Constitution, de manière que le Conseil constitutionnel ne puisse dire : vous n’avez pas le droit de le faire !
À partir de ce moment-là – je note d’ailleurs que l’article 1er se complète au fur et à mesure, même s’il intervient avant la définition de la souveraineté –, nous avons pensé qu’il valait mieux, dans un souci de simplification, regrouper les mesures relatives aux responsabilités professionnelles et sociales avec les dispositions qui existaient déjà dans la Constitution, à savoir : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » Et il nous a semblé préférable de ne faire qu’une seule phrase.
Bien sûr, certains peuvent ne pas partager cet avis et ne pas voter ce dispositif, mais s’agit-il de raisons de forme ou de raisons de fond ? Ce n’est pas la même chose !
M. le président. Je mets aux voix les sous-amendements identiques nos 510 et 511.
(Les sous-amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi constitutionnelle, avant l'article 1er.
L'amendement n° 368, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Avant l'article premier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Dans la deuxième phrase de l'article premier de la Constitution, après le mot : « d'origine, » sont insérés les mots : « de sexe, d'orientation sexuelle, »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Même si l’article 1er ne peut pas être un article fourre-tout, il doit tout de même évoluer.
L’égalité des sexes et l’orientation sexuelle n’étaient certainement pas des préoccupations majeures du constituant de 1958. C’est désormais le cas ! En effet, l’égalité des femmes et des hommes est au cœur de l’action publique et constitue l’un des principes qui fondent notre République. Nous devons non seulement l’inscrire de manière explicite dans l’article 1er de la Constitution, mais également lutter contre les discriminations.
Nous le savons, la modernisation de notre Constitution passe par son adaptation aux réalités. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’ajouter les termes « de sexe, d’orientation sexuelle ». Cette inscription à l’article 1er aurait une valeur hautement symbolique et elle refléterait la liberté d’orientation sexuelle qui existe aujourd’hui.
MM. Robert Badinter et Jean Desessard. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avons longuement discuté de ce point, ainsi que d’autres sujets, cet après-midi.
En énumérant à l’article 1er de la Constitution l’ensemble des critères de discrimination qui peuvent exister – certains voudraient simplifier, d’autres non –, on risquerait d’en oublier. Le principe d’égalité rend déjà toutes ces discriminations condamnables et notre corpus juridique est très complet à cet égard.
L’énumération de nouveaux critères de distinction à l’article 1er de la Constitution me paraît donc comporter plus d’inconvénients que d’avantages. Ce qui importe surtout en matière de discrimination, ce sont l’éducation et l’efficacité du traitement judiciaire.
Je comprends les raisons qui ont motivé cet amendement, mais la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Madame la sénatrice, vous souhaitez compléter l’article 1er de la Constitution pour y affirmer que l’égalité devant la loi est assurée sans distinction d’origine, de sexe, d’orientation sexuelle, de race ou de religion.
Le principe d’égalité devant la loi est garanti par notre Constitution à l’article 1er. En outre, l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que la loi doit être la même pour tous. Cet article affirme également que tous les citoyens sont égaux aux yeux de la loi, sans autre distinction.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’origine, la race ou la religion sont citées à l’article 1er de la Constitution !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Oui, mais le mieux peut être l’ennemi du bien ! À force de vouloir établir des listes, on risque d’oublier des critères. Il vaut donc mieux en rester à l’expression « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Lorsque nous avons débattu de la question de la race tout à l’heure, j’ai évoqué la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pour des raisons historiques et ô combien ! éminentes, nous savons pourquoi le constituant de 1958 a choisi ces trois termes.
Depuis lors, d’autres formes de combat contre des discriminations insupportables sont apparues, au premier rang desquelles celui concernant les femmes, le sexe et l’orientation sexuelle.
Au cours de la navette, il faudra faire un choix. Je crois en effet que le mieux est de conserver l’expression « sans distinction d’origine, de race ou de religion » ; je pense notamment aux propos tenus par notre collègue M. Portelli.
Mais les choses étant ce qu’elles sont, je tiens à dire que les discriminations que nous évoquons en cet instant sont également odieuses. C’est la raison pour laquelle nous voterons cet amendement.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 158, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la deuxième phrase de l'article premier de la Constitution sont insérées deux phrases ainsi rédigées :
« La démocratie participative est garantie par la loi. L'État et les collectivités territoriales sont chargés de l'organiser. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
M. Michel Charasse. C’est quoi la démocratie participative ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous proposons de faire du développement de la participation des citoyens à tous les niveaux des décisions publiques un principe fondamental inscrit dans la Constitution.
La reconnaissance de la souveraineté du peuple est très récente dans l’histoire et la souveraineté du peuple réel, c’est-à-dire des hommes et des femmes, l’est encore plus. Malheureusement, bien que souverain, le peuple exerce sa souveraineté de façon épisodique en élisant ses représentants tous les cinq à sept ans. En outre, nous savons bien que les modes de scrutin corsettent quelque peu cette souveraineté.
Or, aujourd’hui, la représentation politique est en crise. Comment ne pas voir le lien étroit existant entre cette crise et le mépris ou, en tout cas, le corsetage de la souveraineté du peuple ? Je pense ainsi à l’éloignement des décisions, au sentiment d’être mal représentés, au constat que les choix ne sont pas respectés, et j’ai déjà parlé du référendum de 2005.
En s’abstenant à nouveau massivement aux dernières élections municipales et cantonales, les citoyens ont confirmé la distance qui s’est instaurée entre eux et les institutions. Après s’être mobilisés pour l’élection présidentielle, ils ont très rapidement constaté que ce n’était pas vraiment ce qu’ils attendaient.
Le rejet de la politique et de ses acteurs dominants, auxquels sont de plus en plus associés, hélas ! l’ensemble des politiques, traduit avant tout le refus d’un système qui ignore la revendication profonde d’une participation des citoyens aux décisions ; je dis bien : aux décisions !
C’est donc bien la question du pouvoir qui est au cœur de cette crise de la représentation politique que nous constatons depuis plus d’un quart de siècle non seulement en France, mais également dans la plupart des démocraties développées.
Aucune loi, pas plus celle sur la démocratie de proximité que celle sur la décentralisation, n’a pris le problème à bras-le-corps.
Quant à ce projet de loi, il n’y répond absolument pas : il tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant des évolutions déjà en œuvre dans des collectivités territoriales, mais aujourd’hui laissées à leur bon vouloir.
Ce dont nous débattons avec ce texte, c’est d’une nouvelle répartition des pouvoirs entre ceux qui les ont déjà. Or si la souveraineté procède du peuple, c’est à lui d’assumer, à travers l’initiative et l’action de chaque citoyen, les responsabilités essentielles. C’est pourquoi nous voulons rendre obligatoire l’élargissement de l’initiative citoyenne, sous toutes ses formes et dans tous les territoires de la République.
Les élus locaux, les parlementaires que nous sommes doivent exercer leur activité en étant tenus d’associer les citoyens à l’élaboration des décisions et, pour ce qui nous concerne, à l’élaboration des lois. L’essentiel est de créer, à tous les niveaux, les conditions d’une collaboration entre élus et citoyens, dans le respect mutuel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. A l’évidence, il est difficile de concevoir la démocratie sans participation des citoyens. Je dirais même que l’expression « démocratie participative » ressemble fort à un pléonasme.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. »
M. Michel Charasse. C’est la souveraineté, pas la démocratie participative !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je viens de dire qu’il s’agissait d’un pléonasme !
L’article 2 de la Constitution dispose également que le principe de notre République est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Je ne vais pas entrer dans le détail des dispositions constitutionnelles et législatives garantissant la participation des citoyens à la démocratie, mais il y a le référendum national, le référendum local, les nouvelles procédures de référendum d’initiative parlementaire soutenu par les électeurs et la procédure de saisine du Conseil économique et social par voie de pétition.
L’affirmation de la démocratie participative dans notre Constitution me paraît totalement inutile, d’autant qu’il s’agit, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une notion floue.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Notre Constitution est suffisamment claire. Ainsi, son article 3 dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants….
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Justement !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. … et par la voie du référendum. »
L’introduction de la notion de démocratie participative n’apporterait pas d’avancée réelle. Elle risquerait au contraire de brouiller les choses, puisque notre démocratie est d’abord représentative.
Le Gouvernement préfère proposer des avancées concrètes pour les droits des citoyens en créant, par exemple, le droit de pétition devant le Conseil économique et social, qui relaiera les initiatives dignes d’intérêt auprès du Parlement et du Gouvernement.
Avec l’accord du Gouvernement, l’Assemblée nationale a introduit dans le texte qui vous est soumis le référendum d’initiative populaire. Au niveau des collectivités territoriales, la Constitution permet déjà la soumission d’un projet à un référendum local. En outre, l’article 72-1 de la Constitution reconnaît l’exercice du droit de pétition.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. Personnellement, je comprends très bien les motivations des auteurs de l’amendement. Je voudrais simplement rappeler que, au cours de l’histoire, la démocratie participative a existé : c’était au temps de l’Antiquité grecque.
La démocratie grecque apparaît comme exemplaire à bien des égards. Si elle n’a pas été reprise par les États modernes, c’est tout simplement parce qu’elle ne peut fonctionner qu’avec un petit nombre de citoyens.
Aujourd’hui, comme certains le font, on peut pratiquer la démocratie participative à l’échelle de communes de petite taille ou de taille moyenne. Au-delà, c’est un leurre, car on fait participer quelques citoyens et les autres sont exclus.
Si l’on veut aller au bout de la démarche de la démocratie participative, il faut supprimer la démocratie représentative.
M. Michel Charasse. Et voilà !
M. François Fortassin. Pour ma part, je ne suis pas d’accord ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 161, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La dernière phrase de l'article premier de la Constitution est supprimée.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Lors de l’examen de la réforme constitutionnelle en 2002, nous nous étions opposés à l’insertion dans l’article 1er de la Constitution de la phrase prévoyant l’organisation décentralisée de la République.
Nous avions rappelé qu’il n’était pas acceptable de donner la même force à un principe d’organisation administrative qu’aux principes fondamentaux de la République contenus dans cet article 1er, principes qui établissent le contrat politique et social entre les citoyens, autrement dit le projet commun.
La presse s’était fait l’écho de l’opposition du Conseil d’État à cette disposition. Cette dernière avait un temps été supprimée par la commission des lois elle-même, avant que celle-ci opère un de ces revirements dont elle a le secret.
Nous avions souligné que l’insistance à placer cette disposition dans l’article 1er n’était pas anodine, car elle marquait une volonté politique déterminée à mettre en cause l’unité nationale et ses fondements : la solidarité, l’égalité des personnes et des territoires ; elle marquait une volonté de fragmenter, de diviser.
On voit ce qu’il en est aujourd’hui. Hélas ! la mise en œuvre de la décentralisation telle qu’elle avait été alors décidée sur le principe, puis telle qu’elle a été déclinée dans les lois de décentralisation ultérieures, nous a donné raison.
De la décentralisation, nous n’avons vu ni démocratisation ni réponse équilibrée aux besoins des habitants. Les collectivités locales se sont vu transférer non seulement les compétences, mais aussi les charges afférentes, sans juste compensation, même si c’est inscrit dans la Constitution, rencontrant de plus en plus de difficultés financières. Nous sommes tous bien placés pour le savoir !
De la décentralisation, nous voyons la fermeture de services publics et la diminution des emplois publics. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui fait actuellement l’actualité, aggravera encore la situation.
Nous voyons les privatisations, la mise en compétition entre les territoires et l’abandon d’un aménagement équilibré de ces mêmes territoires.
Le Président de la République vient d’indiquer, par exemple, à propos du Livre blanc sur la défense, que les armées n’avaient pas pour vocation d’aménager le territoire : c’est évident !
Cependant, l’aménagement du territoire, c’est aussi la répartition équilibrée des services et des équipements qui dépendent de l’État, de telle sorte que chaque partie de notre territoire bénéficie d’activités qui concourent à son développement. On voit bien, dans les départements concernés par le Livre blanc et la restructuration des armées, les problèmes que cela posera.
C’est pourquoi, une nouvelle fois, nous vous appelons à revenir sur une disposition qui n’a pas sa place dans la Constitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les auteurs de cet amendement souhaitent supprimer une disposition importante qui a été adoptée le 28 mars 2003 par le Congrès.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, puisqu’on révise la Constitution !
M. Robert Bret. Errare humanum est !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avons donné une assise constitutionnelle à la décentralisation. Elle a apporté plus de substance au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Depuis, l’autonomie locale est mieux assurée et une nouvelle architecture des pouvoirs locaux s’est mise en place.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette réforme, qui a rompu avec une tentation séculaire de centralisation dans notre pays – c’est peut-être la raison pour laquelle cela ne vous plaît pas ! –, constitue une avancée.
M. Michel Charasse. On n’a pas attendu cette loi !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, mais ce n’est pas la peine de supprimer la disposition maintenant, car cela pourrait être interprété différemment !
La question de la maîtrise des dépenses publiques est d’une autre nature. Elle affecte l’ensemble des finances publiques et ne saurait conduire à remettre en cause les acquis de la décentralisation.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous souhaitez la suppression de dispositions adoptées récemment, puisqu’elles datent du 28 mars 2003.
Le principe d’indivisibilité de la République est énoncé à l’article 1er de la Constitution. Les collectivités territoriales font partie intégrante de la République. La décentralisation s’inscrit dans ce cadre.
C'est pourquoi l’article 72 de la Constitution prévoit que le représentant de l’État a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois dans les collectivités territoriales.
L’article 72-2 oblige le législateur à prévoir des dispositifs de péréquation pour favoriser l’égalité entre collectivités.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous dites que vous êtes partisans de l’approfondissement d’une décentralisation démocratique, sociale et égalitaire, mais vous proposez de supprimer une disposition précisant cette organisation. Il y a là une petite incohérence !
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Nous avons eu ce débat lors de la révision constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, laquelle a eu lieu lorsque Jean-Pierre Raffarin était Premier ministre. Le groupe socialiste avait alors considéré que la formulation de l’article 1er n’était pas heureuse et que nous pouvions nous en dispenser.
Aujourd’hui, la discussion nous semble dépassée, même si les arguments qui avaient été présentés à l’époque restent valables. Le mal est accompli et je ne vois pas ce que changerait la suppression dans la Constitution des mots : « Son organisation est décentralisée. »
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Comme mon collègue et toujours ami Bernard Frimat vient de le rappeler, le groupe socialiste avait effectivement voté contre cette disposition au moment de la révision de 2003. Je faisais partie, à l’époque, avec plusieurs amis de ce groupe, de ceux qui ont le plus vigoureusement combattu ce dispositif.
J’aurais donc été plutôt enclin à voter en faveur de l’amendement n° 161 de nos collègues communistes. Seulement, il y a un problème : l’exposé des motifs ne me convient absolument pas.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !
M. Michel Charasse. En fait, le problème posé par l’exposé des motifs est inexact, car il s’agissait de porter atteinte à l’unité de la République par une organisation girondine de la République, au sens des années 1789-1792 !
Lier cela au démembrement des services publics, qui n’est que la conséquence directe du traité de Maastricht, approuvé par la majorité du peuple français, me paraît vraiment abusif.
Quant à la décentralisation démocratique, sociale – ce ne sont que des mots -, mais surtout égalitaire, ce qui est différent, elle ne peut se faire que par la péréquation. Or tout le monde est pour la péréquation, mais quand il faut la voter, personne n’en veut, …
M. Robert Bret et Mme Éliane Assassi. On a toujours voté pour !
M. Michel Charasse. … pour la simple et bonne raison que les partisans de la péréquation disent : ce qui est à moi est à moi ; ce que tu me donnes en plus, je veux bien le partager ! Mais comme il n’y a plus un centime dans la caisse, nous ne sommes pas près de l’avoir !
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas en faveur de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 381 rectifié, présenté par MM. Baylet, A. Boyer, Collin, Delfau, Fortassin et Vendasi, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article premier de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle permet l'application du principe fondamental de laïcité reconnu par les lois de la République. »
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Aux termes de l’article 1er de la Constitution, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Après cette affirmation, est déclinée l’application de ces principes : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Nous proposons, à la suite de cette dernière phrase, d’ajouter les mots : « Elle permet l’application du principe fondamental – je pourrais faire l’économie de ce dernier terme – de laïcité reconnu par les lois de la République. »
Pourquoi faisons-nous cette proposition d’enrichissement du texte ?
M. Patrice Gélard. Cela n’enrichit rien du tout !
M. Gérard Delfau. Il nous semble qu’il y a urgence à rappeler ce principe républicain, alors qu’un certain nombre de déclarations, de manifestations ou de projets inquiètent des républicains, qu’ils soient de droite ou de gauche, quant à l’effectivité de la séparation des églises et de l’État, fondement du principe de laïcité depuis 1905.
J’ai ici une liste très longue, mais je me limiterai à l’essentiel, monsieur le président. Certaines déclarations, intéressantes, d’ailleurs, par leur cheminement, du Président de la République à Ryad, à Rome, à Paris, en fin et en début d’année, nous ont alertés : y aurait-il, ici ou là, la tentation de revenir sur la loi de 1905 ?
Mme Annie David. La laïcité dans les écoles, par exemple !
M. Gérard Delfau. La commission Machelon a été chargée par le ministre de l’intérieur en 2005, année du centenaire de la loi de 1905, de réfléchir à une éventuelle révision de la loi de 1905. Ses conclusions sont toujours dans les cartons et peuvent resurgir à tout moment.
Vous me direz sans doute que ces problèmes ne doivent pas être évoqués lors d’une révision de la Constitution et vous me renverrez à la loi organique. Mais, justement, c’est pour prévenir tout risque en la matière ! Un certain nombre de déclarations nous font craindre que des représentants des cultes puissent, à l’occasion d’une modification du Conseil économique et social, entrer dans cette institution républicaine. Il y aurait alors rupture avec le principe de séparation des églises et de l’État !
Voilà pourquoi, madame la ministre, ayant lu la réponse que vous avez faite à l’Assemblée nationale à mes collègues radicaux de gauche, je ne puis me contenter de ce que vous leur avez dit.
La première phrase de l’article 1er affirme le caractère laïc de la République. Je souhaite soit que nous complétions cet article, soit, à tout le moins, que vous preniez devant la Haute Assemblée un certain nombre d’engagements, notamment sur la question très précise de l’entrée de représentants des cultes au Conseil économique et social.