M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les révisions constitutionnelles ont cessé d’être une occasion rare et solennelle. M. le rapporteur en a rappelé le nombre exact. Depuis 1992, la Constitution aura été révisée dix-huit fois.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Hubert Haenel. Nous risquons de perdre de vue à quel point ces révisions sont une affaire grave. C’est aux fondements du fonctionnement de l’État que nous touchons. Ce sont donc des questions de principe que nous devons trancher, ce qui exclut, ou devrait exclure, le bricolage et le marchandage.
M. Jean-Patrick Courtois. C’est vrai !
M. Hubert Haenel. En règle générale, les révisions ont porté jusqu’à présent sur des aspects précis de la Constitution. Nous sommes saisis, cette fois, d’un ensemble de modifications entre lesquelles le lien n’est pas toujours évident.
Une série de dispositions forment toutefois un ensemble cohérent : ce sont celles qui atténuent le parlementarisme rationalisé que la Ve République avait par réaction poussé très loin, sans doute trop loin. C’est une affaire dans laquelle il nous faut faire preuve d’un grand discernement. Laisser aux assemblées plus d’espace pour qu’elles remplissent leurs fonctions de législation et de contrôle est un rééquilibrage utile, voire indispensable. C’est d’ailleurs l’intérêt bien compris du Gouvernement que d’avoir face à lui un Parlement actif et vigilant, monsieur le secrétaire d’État.
Mais une Constitution ne doit pas être conçue seulement pour les temps ordinaires : elle doit aussi permettre de faire face aux circonstances extérieures et intérieures les plus difficiles et aux situations politiques les plus diverses.
Dans cette optique, il me paraît essentiel de ne pas trop encadrer l’usage de l’article 49-3, dans le sens que vous avez d’ailleurs indiqué, monsieur le rapporteur. Si vous m’autorisez une comparaison médicale – que les membres du corps médical ici présents me pardonnent ! (sourires) –, je dirai que cette disposition ressemble aux antibiotiques : il ne faut pas en abuser, mais on ne peut savoir par avance les cas où ils sont indispensables La position adoptée par la commission des lois me paraît donc empreinte de sagesse.
M. Henri de Richemont. Bravo !
M. Hubert Haenel. Le projet de loi constitutionnelle contient par ailleurs diverses dispositions qui ne se rattachent pas directement au rôle du Parlement dans nos institutions. Ne pouvant les aborder toutes, je voudrais en évoquer deux, qui me paraissent poser des questions de principe importantes.
La première question de principe porte sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Vous le savez, madame le garde des sceaux, ce sujet a suscité à l’Assemblée nationale un vif débat, lequel se poursuit encore aujourd’hui, non pas dans l’hémicycle mais à travers la presse. Il s’agit d’un débat récurrent, très lié – peut-être trop – à des mouvements d’opinion suscités par telle ou telle affaire.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très juste !
M. Hubert Haenel. Que la méfiance s’abatte sur le monde politique et rien n’est de trop pour rassurer le public sur l’indépendance des juges. Mais que la justice échoue spectaculairement dans sa mission et l’opinion s’indigne que les responsables ne semblent pas avoir à rendre de comptes.
Pour sortir de tels débats, il faut, me semble-t-il, revenir à quelques principes de base. J’interviendrai d’ailleurs le moment venu sur l’article du projet de loi constitutionnelle concerné.
Tout d’abord, l’indépendance du juge ne signifie pas que celui-ci appartienne à un ordre privilégié. Elle est non pas une fin en soi, mais un moyen pour que la justice soit rendue de manière impartiale. Tel est son véritable but.
C’est pourquoi l’indépendance du juge ne s’exerce pas seulement à l’égard du pouvoir politique ou des intérêts économiques. Elle existe également à l’égard de ses propres préjugés, de ses propres choix politiques ou syndicaux, voire de ses tentations médiatiques. Il ne suffit pas que le juge soit indépendant du pouvoir politique pour qu’il juge bien. Notre objectif doit être aussi de l’inciter à toujours se remettre en question. Nous n’y arriverons pas en enfermant la magistrature dans une tour d’ivoire.
M. Henri de Richemont. Il faut supprimer l’ENM !
M. Hubert Haenel. J’en viens aux magistrats du parquet, dont la fonction est de mettre l’action publique en mouvement. Dans leur cas, il serait contraire aux principes républicains de couper tout lien avec le pouvoir politique, car ce serait leur confier des choix de nature politique sans qu’ils soient ni élus ni responsables. Quelle serait leur légitimité ?
Évitons de faire de la magistrature une sorte de corps séparé de la société, ne rendant de comptes qu’à lui-même. Non seulement ce ne serait pas justifié, mais ce serait un mauvais service rendu aux magistrats.
Madame le garde des sceaux, sauf à minorer son rôle, le Conseil supérieur de la magistrature ne saurait être une sorte de comité technique paritaire. La composition retenue par la commission des lois reflète bien le rôle très particulier, spécifique et éminent donné à cet organe.
On ne peut accepter le procès en légitimité qui est fait par certains sur ce sujet. En quoi les non-magistrats, nommés par les plus hautes autorités de l’État républicain, seraient-ils moins légitimes que des magistrats élus sur des listes syndicales ? Que les formations proprement disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature soient composées à parité, soit ! Mais aller plus loin serait une erreur. Ce ne serait pas rehausser l’image de la magistrature que d’en donner l’image d’une corporation réglant elle-même ses affaires.
La seconde question de principe concerne le référendum obligatoire sur la Turquie. Je pourrais me contenter de reprendre à mon compte ce qu’a fort bien exposé le président Josselin de Rohan. Dans une Constitution républicaine, il ne peut y avoir de disposition ad hominem et pas plus de disposition ad nationem !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !
M. Hubert Haenel. Viser un pays précis, sous une formulation qui ne trompe personne, c’est abandonner la généralité de la loi qui est au cœur même de l’idée républicaine.
Au demeurant, il faut être conscient de la manière dont est perçu ce débat en Turquie. Je m’y trouvais en mission avec Robert del Picchia lors du vote de l’Assemblée nationale. Alors qu’au cours de nos déplacements précédents nous avions discuté des relations entre la Turquie et l’Europe, cette fois, nos interlocuteurs en revenaient toujours aux relations entre la Turquie et la France. Ils ne pouvaient admettre qu’un pays ami et allié depuis des siècles introduise dans sa loi suprême une disposition qui les discrimine ; certains ont même ajouté, qui les humilient. (Mme Dominique Voynet applaudit.)
Imaginons un instant que ce procédé soit employé par tel ou tel pays à l’égard de la France.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Hubert Haenel. Quelle serait notre réaction ? Les hurlements viendraient de toutes parts : de gauche, de droite, du centre.
Je soutiens donc totalement la position de la commission saisie au fond et de la commission saisie pour avis, qui, avec beaucoup de discernement et de sagesse, proposent de revenir au texte initial du projet de loi constitutionnelle.
Il ne s’agit pas, je le précise, de savoir si nous sommes pour ou contre l’adhésion pleine et entière de la Turquie à l’Union européenne. C’est une décision qui, si elle est à prendre, ne le sera pas avant quinze ou vingt ans.
Nul ne sait où en seront l’Europe et la Turquie à ce moment-là. L’unique question qui se pose à nous aujourd’hui est de savoir si nous voulons faire figurer dans notre Constitution, dans le recueil de nos principes de base, une disposition qui stigmatise un pays précis, au demeurant partenaire et allié de la France.
Je ne peux conclure sans évoquer un instant les dispositions du projet de loi constitutionnelle qui concernent le traitement des affaires européennes. Sur ce sujet, je ne vois rien à changer au texte adopté par l’Assemblée nationale, mis à part la rédaction maladroite de l’article 88-6, laquelle n’a pas échappé à la sagacité de la commission des lois et de son rapporteur.
Une divergence terminologique risque toutefois d’opposer les deux assemblées. L’organe chargé des affaires européennes doit-il s’appeler « commission » ou « comité » ? À vrai dire, pour moi, le plus important est que disparaisse l’intitulé « délégation pour l’Union européenne », incompréhensible pour nos partenaires européens.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Hubert Haenel. Je ne prendrai qu’un exemple, qui vous fera certainement sourire. J’ai reçu voilà quelques jours un courrier du Parlement européen adressé à « M. Hubert Haenel, délégué du Sénat auprès de l’Union européenne ». La personne qui m’écrivait a dû se demander pourquoi mon adresse ne se situait pas à Bruxelles !
Quelle que soit la solution retenue, ce sera de toute façon un progrès. Pour lever toute ambiguïté, je tiens à souligner qu’il n’est nullement question que l’organe chargé des affaires européennes empiète sur les compétences législatives des commissions permanentes. Cette précision s’impose. Les traités européens, comme les autres traités, doivent rester de la compétence de la commission des affaires étrangères, et la transposition des directives doit rester du ressort de la commission compétente saisie au fond.
Ces principes posés, il restera, lors de la révision du règlement du Sénat et de la loi qui régit les délégations, à définir la bonne articulation entre l’organe européen et les commissions permanentes.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !
M. Hubert Haenel. Nous devrons le faire en nous efforçant d’avoir un dispositif efficace pour ancrer les questions européennes au Sénat et à l’Assemblée nationale et qui tienne compte de la spécificité des questions européennes.
Le Sénat a un rôle important à jouer en matière européenne et il doit se donner les moyens de le faire. J’ajoute que, si les parlements nationaux avaient été dans le passé mieux associés aux questions européennes, le vote irlandais aurait peut-être été autre.
Nous venons une fois de plus d’en avoir la preuve : un fossé s’est creusé entre les opinions publiques et l’Europe. Les parlements nationaux ont une responsabilité essentielle pour aider à le combler. Le Sénat ne doit pas se dérober devant la part qui lui incombe. Il s’agit là d’une exigence qui devrait l’emporter sur toute autre considération. Je fais confiance à la Haute Assemblée – j’espère ne pas être déçu ! –- pour aller dans ce sens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en vous disant que, pendant les quelques minutes qui me sont imparties, je me concentrerai sur les dispositions de l’article 9 qui créent le principe de la représentation à l’Assemblée nationale des 2,5 millions de Français établis hors de France.
C’est peu de dire que cette modification de l’article 24 de la Constitution représente une avancée démocratique importante, comme l’a été, en 1982, l’élection de l’Assemblée des Français de l’étranger au suffrage universel direct.
Elle vient en effet couronner un long chemin, qui a débuté voilà près de trente ans. Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que la proposition 48 des 110 propositions de François Mitterrand prévoyait que la représentation parlementaire des Français de l’étranger, comprenant non seulement des sénateurs mais aussi des députés, serait assurée.
C’est donc un grand progrès, qui était attendu.
Cette grande et belle idée a été portée par de nombreuses personnes, non seulement par les membres du parti socialiste, mais aussi par les candidats successifs à l’élection présidentielle. Pour ma part, en 2005, j’avais déposé, avec ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga, une proposition de loi allant dans ce sens, mais elle n’a malheureusement jamais été examinée.
La situation actuelle soulève deux difficultés.
D’une part, les députés sont censés représenter la nation tout entière. Le fait que 2,5 millions de Français ne le soient pas rend cette représentation incomplète. De ce point de vue, le système proposé est boiteux.
D’autre part, la plupart de nos collègues de l’Assemblée nationale méconnaissent la situation dans laquelle se trouvent leurs concitoyens établis à l’étranger. Ils en ont souvent une image fausse, biaisée, ce qui les conduit assez souvent à tenir des propos qui ne correspondent pas à ceux que nous sommes en droit d’attendre de représentants de la nation. Et je ne parle pas des propos blessants, « évadés fiscaux » ou autres gentillesses du même genre.
Il est donc temps que les Français établis hors de France soient représentés au Palais-Bourbon.
Je rappelle également que, si ce texte est adopté, la France rejoindra l’Italie et le Portugal, les deux États membres de l’Union européenne dont les citoyens expatriés sont représentés à la chambre basse, respectivement par douze et quatre députés.
Ce projet suscite deux craintes.
La première est que la droite soit consubstantiellement majoritaire dans ce groupe de douze députés, puisque tel est le chiffre avancé. Or, selon moi, la démocratie n’est pas divisible et ne se monnaye pas. Nous sommes prêts à en assumer le risque, dans le cadre du combat démocratique normal : si les règles de l’élection sont justes et transparentes, chacun doit faire ses preuves dans ce cadre.
La seconde crainte exprimée est de voir le Sénat perdre sa priorité lors de l’examen des textes concernant les Français établis hors de France, c’est-à-dire l’une de ses spécificités. En effet, s’il conserve la priorité pour l’examen des textes relatifs aux collectivités territoriales, en parallèle, il doit réaliser une « primo-lecture » des textes concernant les Français de l’étranger ; aucune raison ne justifie un traitement différent de ces deux domaines.
Mais il n’est, en l’espèce, question que des projets de loi, c’est-à-dire, une partie seulement des textes qui concernent les Français établis hors de France. Or, vous le savez comme moi, la très grande majorité des textes relatifs à ce sujet émane en réalité des parlementaires puisque ce sont des propositions de loi. Le « mal » est, par conséquent, relativement limité.
Je veux maintenant vous faire part de deux inquiétudes qui ne relèvent pas directement du débat constitutionnel, mais qui n’en portent pas moins sur deux questions majeures : la définition du mode de scrutin et le choix du découpage électoral.
Concernant la définition du mode de scrutin, les membres de mon groupe ont été surpris par les propos du rapporteur du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale, qui a refusé que les députés représentant les Français établis hors de France soient élus selon un mode de scrutin différent de celui auquel sont soumis les autres députés.
Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous avez été encore plus précis en affirmant que ces parlementaires seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Voilà qui a le mérite d’être clair !
Or l’application d’un tel mode de scrutin supposerait la création de douze circonscriptions, si douze est bien le nombre retenu. Au vu de la répartition géographique des Français à travers le monde, six députés représenteront l’Europe et six députés représenteront les autres circonscriptions du monde, à savoir les États-Unis, le Canada, l’Amérique latine, le Maghreb et le Levant, l’Afrique et l’Asie-Pacifique.
Pour justifier le recours au scrutin uninominal, l’argument de proximité a été invoqué. Imaginez un député qui représentera toute la zone Asie-Pacifique, soit vingt-huit à trente pays et devra parcourir 5 000 kilomètres chaque fois qu’il voudra visiter une ville de sa circonscription ! Par conséquent, l’argument de la proximité ne vaut pas si l’on en tient pour le scrutin uninominal.
Nous pouvons également avoir des doutes sur la nature du découpage. Des exemples historiques nous ont appris à être prudents !
J’ajoute que le gel constitutionnalisé du nombre maximal de députés à 577 va sérieusement, et inutilement, compliquer les choses. Nous risquons de nous retrouver dans la même situation qu’en Italie, où la création d’une circonscription des Italiens de l’étranger avait entraîné une modification de la répartition des sièges à la Chambre des députés. Un scénario identique aurait pour fâcheuse conséquence de mettre les élus des circonscriptions nationales et les nouveaux élus de l’étranger dos à dos et de stigmatiser ceux qui représentent les Français de l’étranger. C’est là un argument supplémentaire contre le nombre de 577 figé dans le marbre de la Constitution.
Il n’en demeure pas moins que les membres du groupe socialiste sont sensibles à cette avancée importante, même si nombre de mes collègues ont signalé les difficultés importantes que soulève la réforme constitutionnelle qui nous est proposée et les doutes qu’elle suscite en nous. Il est évident que c’est un jugement global que nous serons amenés à porter sur les modifications qui nous sont soumises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon temps étant limité, je vais aborder directement les deux observations que je tiens à formuler dans ce débat sur la réforme constitutionnelle.
Je veux en particulier insister sur le contrôle, aujourd’hui plus que jamais essentiel. À cet égard, deux aspects me paraissent devoir être soulignés.
Premièrement, il me semble impératif que tous les projets de loi qui nous sont soumis soient accompagnés d’une étude d’impact, qui devrait comporter, d’une part, un volet réglementaire, comprenant l’ensemble des décrets et mesures réglementaires prévus, d’autre part, un volet financier, pour les réformes qui ont besoin d’être chiffrées. J’avais d’ailleurs, avec mon collègue Hubert Haenel, déposé une proposition de loi sur ce sujet ; elle n’a jamais été examinée, mais j’ai noté avec satisfaction que l’Assemblée nationale avait repris l’esprit de cette proposition…
M. Philippe Marini. Vous avez été un précurseur !
M. Alain Vasselle. …en introduisant cette notion de contrôle, de telle manière que nous puissions y consacrer un temps suffisant.
Mes chers collègues, vous savez bien que nous examinons un certain nombre de lois ordinaires entre deux lois de finances et deux lois de financement de la sécurité sociale. Or, trop souvent, nous adoptons des mesures à caractère fiscal et social qui ont un impact sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale suivantes. Fréquemment, le Gouvernement lui-même éprouve des difficultés à trouver des solutions d’équilibre des comptes sociaux ou des finances parce qu’il a laissé adopter un certain nombre de mesures sans prendre en considération, au moment de l’examen du texte législatif, leur incidence au regard de l’équilibre des comptes publics ou des comptes sociaux.
M. Philippe Marini. C’est bien vrai !
M. Alain Vasselle. Je ne fais d’ailleurs que relayer une remarque exprimée par la Cour des comptes dans un rapport récent et selon laquelle il faut aujourd’hui dépasser le stade du chiffrage global et volontariste des réformes pour parvenir à une évaluation plus affinée de l’impact des dispositifs envisagés sur l’ensemble des acteurs concernés. Je pense, notamment, à la loi sur les retraites de 2003 ou à la réforme de l’assurance maladie de 2004, dont les effets ont été évalués de façon très grossière et… optimiste. Nous avons négligé l’évolution des comportements et les interactions avec d’autres mesures.
Il ne faut pas s’étonner des difficultés d’application des lois, de leur insuffisante mise en œuvre ou de l’impasse financière à laquelle elles mènent si on n’a pas, au préalable, réfléchi à leurs conséquences et mesuré leurs implications.
Deuxièmement, en matière de contrôle toujours, nous ne pouvons plus nous contenter de grandes incantations et soutenir que le Parlement va s’investir de plus en plus dans cette mission, sans pour autant lui en donner les moyens. J’ai encore le souvenir des propos tenus sur ce sujet par l’ancien président de l’Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, lors de l’ouverture d’une session, ainsi que des propos identiques tenus par le président Poncelet, demandant que le Gouvernement laisse au Parlement un peu plus de temps pour procéder au contrôle. Au-delà de ces belles déclarations, nous n’avons malheureusement jamais pu constater l’expression d’une véritable volonté politique, tant au sein de la conférence des présidents que de la part du Gouvernement, pour que le Parlement exerce effectivement cette mission de contrôle.
C’est pourquoi je suis assez satisfait que l’Assemblée nationale ait proposé d’inscrire cette idée à l’article 48 de la Constitution.
Toutefois, je ne suis pas certain que les modalités retenues, à savoir réserver une semaine sur quatre à l’action de contrôle, soient les meilleures. Selon moi, cela sera difficile à respecter en fin de session et avant l’interruption des travaux de la fin du mois de décembre. C’est pourquoi il me semblerait plus judicieux et plus opérationnel d’inscrire dans la Constitution que le quart du temps de travail parlementaire, apprécié globalement, sera réservé au contrôle.
Dans le même esprit, je propose que le Sénat puisse consacrer une séance par semaine aux questions d’actualité au Gouvernement. Pourquoi se contenter d’une séance tous les quinze jours, alors qu’une telle séance a lieu au moins une fois par semaine à l’Assemblée nationale ?
Ma deuxième série d’observations concerne plus particulièrement les finances publiques et sociales.
Je comprends parfaitement le souci de nos collègues députés qui les a conduits à inscrire dans la Constitution la question du respect d’un objectif d’équilibre des finances publiques. Nous « traînons » en effet depuis trop longtemps des déficits publics et sociaux qui viennent invariablement accroître chaque année la dette publique de notre pays.
Cette situation détestable revient, en fait, à reporter sur nos enfants et petits-enfants la charge de nos dépenses d’aujourd’hui, même si, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, nous avons adopté, pour la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, une disposition qui ne permet plus désormais au Gouvernement de transférer l’ensemble de la dette sans prévoir les recettes qui permettront d’en assurer le financement et de ne pas reporter la dépense sur les générations futures.
Je ne suis cependant pas persuadé que la disposition générale qui a été introduite par l’Assemblée nationale soit réellement efficace, car elle ne tient pas suffisamment compte, à mon avis, des aléas extérieurs de tous ordres, notamment économiques, auquel notre pays peut se trouver soumis.
Il n’en reste pas moins que l’objectif doit absolument être atteint et qu’il convient de se donner les moyens de faire en sorte qu’il le soit. C’est dans cet esprit que le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, le président et le rapporteur général de la commission des finances, respectivement Jean Arthuis et Philippe Marini, ici présent, et moi-même avons déposé un amendement visant à encadrer constitutionnellement le vote des « niches » fiscales et sociales. Si cette disposition est adoptée, l’entrée en vigueur d’une mesure de réduction ou d’exonération d’impôt, de cotisation ou de contribution sociale, sera conditionnée à son approbation par la prochaine loi de finances, en matière fiscale, ou par la prochaine loi de financement, en matière sociale.
Je vous rappelle que le Sénat a adopté, au mois de janvier dernier, une proposition de loi organique allant dans ce sens. Nicolas About et moi-même étions à l’origine de cette initiative. On nous avait alors opposé un risque d’inconstitutionnalité. Nous souhaitons lever ce risque et c’est pourquoi nous estimons indispensable de faire figurer cette mesure dans la Constitution.
À l’époque, M. Xavier Bertrand avait beau jeu de dire qu’une telle disposition avait un caractère inconstitutionnel, mais qu’il n’y était toutefois pas opposé sur le fond. Eh bien, nous mettons aujourd’hui le Gouvernement devant ses responsabilités : puisqu’il y était à l’époque favorable, il s’agit désormais de passer à l’acte et d’introduire cette disposition dans la Constitution afin que nous ne soyons plus confrontés à cette difficulté.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Alain Vasselle. Enfin, je dirai deux mots sur les propositions de certains de nos collègues qui visent à instaurer une loi financière unique, c’est-à-dire à rapprocher dans un même texte loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale.
Je ne suis pas favorable à cette idée. Un rapport de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, que j’ai l’honneur de présider, a permis de faire le point sur cette question au mois d’octobre dernier. Je vous y renvoie pour une analyse détaillée des raisons qui nous ont conduits à repousser cette formule.
Je me contenterai ici de vous rappeler la différence de nature des recettes inscrites dans ces deux textes : dans la loi de finances, les recettes sont globalisées et ne sont pas affectées ; dans la loi de financement de la sécurité sociale, les recettes sont affectées à chaque branche de la sécurité sociale.
Comment pourrait-on expliquer la nécessité d’une réforme des retraites si l’on ne peut pas afficher un déficit de cotisations face à un montant donné de prestations ? Serait-il vraiment plus vertueux de tout mettre dans un pot commun, ce qui reviendrait à renvoyer chaque difficulté financière à la générosité de la solidarité nationale ? Améliorerait-on vraiment ainsi le pilotage de ces dépenses ? Nous ne le croyons pas et ne sommes donc pas partisans de cette solution, qui irait, selon nous, à l’encontre du besoin de transparence et de plus grande lisibilité de l’action publique régulièrement exprimé par nos concitoyens.
Tels sont les deux points sur lesquels je souhaitais attirer votre attention, mes chers collègues, ainsi que celle du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays a un besoin profond de démocratie : démocratie politique, démocratie sociale, démocratie participative, démocratie médiatique.
La candidate socialiste à l’élection présidentielle l’avait bien compris en proposant une véritable démocratisation de notre République, de l’ampleur d’une refondation – la « VIe République » –, et non une prétendue modernisation qui masque mal la présidentialisation renforcée que vous nous proposez aujourd’hui.
Est-il moderne de continuer à fermer les yeux, comme vous le faites avec ce projet de loi constitutionnelle, sur le véritable déni de démocratie qui aboutit à exclure de toute participation à la vie démocratique des étrangers extra-communautaires installés régulièrement sur le sol de notre pays et y travaillant ?
Est-il moderne d’ignorer le « quatrième pouvoir », oublié depuis toujours par nos lois constitutionnelles ?
À l’heure d’Internet et de la dématérialisation des supports de communication et d’information, toutes les dimensions de la vie sociale et de la vie privée sont modifiées par le développement des médias de masse, notamment audiovisuels.
Cette intrusion dans le quotidien de tout un chacun ne soulèverait pas de question au regard du fonctionnement et de l’équilibre de la vie démocratique si les médias, en France, étaient réellement indépendants. Mais, de ce point de vue, la situation est plus qu’inquiétante.