M. le président. La parole est à M. Jean Puech.
M. Jean Puech. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, que le Sénat examine aujourd’hui, est un événement, n’ayons pas peur des mots !
La Constitution de la France est solide et moderne, elle le prouve chaque jour. Mais elle date tout de même de 1958 ! Dès lors, il n’est pas scandaleux de procéder à un toilettage global, à une révision générale, à une sorte de check-up qui nous confirment qu’elle a su bien vieillir, mais qu’elle a besoin d’être adaptée à un monde qui bouge.
En effet, le monde a changé. Rappelons-nous la période de tensions politiques nées de la guerre froide entre les blocs, du choc des idéologies, de notre présence en Algérie, de l’instabilité politique de la IVe République, et j’en passe. Dans de telles conditions, le nouveau pouvoir exécutif de la Ve République ne pouvait qu’être fort !
Depuis, la France a vécu l’alternance et même la cohabitation. L’Europe s’est construite, les distances se sont effacées ; la planète se rétrécit !
Mais, reconnaissons-le, les instances de décision de notre pays ont eu parfois du mal à prendre rapidement la mesure de ces bouleversements. Et cela me conduit au cœur du sujet que je souhaite développer. Les élus locaux – c’est d’eux qu’il s’agit – n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter.
Vous comprendrez l’intérêt toujours très fort qu’en ma qualité de président de l’Observatoire de la décentralisation j’attache aux questions touchant aux collectivités territoriales sous la Ve République, à leurs élus et au devenir de ces derniers.
Ces élus sont confrontés très concrètement aux problèmes de nos concitoyens et sont désireux de répondre à leurs attentes. Ils sont en prise directe avec les réalités quotidiennes du troisième millénaire. Ils n’ont pas d’autre choix que d’enregistrer toutes ces évolutions afin d’y faire face, au quotidien, à leur échelon.
Et pourtant, dans les vagues déferlantes des réformes successives, la situation des élus locaux est ignorée, il faut le reconnaître, sauf lorsqu’il s’agit de leur taper un peu sur les doigts, parce qu’ils dépenseraient trop,…
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Jean Puech. … sauf lorsqu’il s’agit de remettre en cause la commune, un jour, le département, le lendemain,…
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Jean Puech. … alors même qu’ils ne sont pas associés aux réflexions donnant lieu aux multiples rapports – vous savez lesquels je vise, notamment le plus récent d’entre eux –, qui les concernent pourtant directement !
En fait, de leur passion pour le territoire qu’ils administrent et de leur engagement pour la chose publique, on parle très peu. Du statut de l’élu local qui devrait être le leur, on parle encore moins.
Mes chers collègues, je pense que le moment est venu de réparer cette injustice. Accordons aux élus locaux la reconnaissance nationale que les Français leur témoignent déjà ! Ces femmes et ces hommes de terrain sont les meilleurs ouvriers de la démocratie.
La France a trop tardé à prendre la mesure de ce que représentent les collectivités territoriales dans notre démocratie. Année après année, au fil des lois de décentralisation arrachant une à une ses compétences à l’État central, les collectivités territoriales ont enfin trouvé leur vraie place, celle d’un moteur de l’action de proximité. Mais, il faut le reconnaître, nous avions pris beaucoup de retard sur les autres pays de l’Union européenne.
J’ai plaisir à rappeler combien le Sénat a fortement contribué à l’adoption de la réforme constitutionnelle de 2003, avec le plein et dynamique soutien du gouvernement de notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Jean Puech. La décentralisation se trouvait enfin inscrite dans notre Constitution !
Aujourd’hui, les collectivités territoriales doivent gérer les transferts de compétences et de personnels et veiller à ce que les moyens budgétaires suivent, ce qui n’est pas toujours facile.
M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !
M. Jean Puech. Mais, au-delà, qu’attendent aujourd’hui de l’État les collectivités territoriales ? À mon sens, il existe trois priorités.
Premièrement, les collectivités territoriales et leurs élus ont besoin que l’État leur fasse confiance. Trop souvent, le pouvoir central ne se départit de son rôle de conseil que pour tomber dans la tentation de la tutelle ; il devient contrôleur, oubliant l’esprit de partenariat. Cette évolution, je l’ai vue et je l’ai moi-même vécue.
Deuxièmement, la contractualisation ne doit pas être séparée de la mise en œuvre de la décentralisation. Pour cela, les élus locaux souhaitent un État organisé, avec, sur le terrain, un interlocuteur unique, légitime et responsable, qui devrait être le préfet, mais bien souvent celui-ci est court-circuité.
Troisièmement, les collectivités territoriales et leurs élus ont besoin de sécurité juridique, c’est-à-dire de règles stables, résultant de la concertation, consensuelles, ayant donc été négociées.
Ces trois exigences nous ramènent à la réforme constitutionnelle. En effet, aujourd’hui, alors que s’ouvre le chantier de la révision constitutionnelle, nos collectivités locales ne peuvent être absentes, ne serait-ce que parce que le Sénat, grand conseil des collectivités territoriales de France est concerné au premier chef, mais aussi parce qu’un maire, un conseiller général ou un conseiller régional doit chaque jour traiter des questions dépassant le cadre géographique qui est de son ressort. La décentralisation les a placés au centre du dispositif d’administration de nos communes, de nos départements et de nos régions.
C’est cet ensemble qui fait aussi la France réelle, la vraie France !
Dès lors, il me semble tout à fait légitime que les collectivités et leurs élus, qualifiés par l’expression démocratique, aient voix au chapitre dans ce débat. Au Sénat, en tout cas, nous n’esquivons pas cet aspect et nous ne l’avons jamais esquivé.
Les questions que nous formulons, aujourd’hui comme hier, sont très simples : qui fait quoi sur le territoire ? Qui est responsable de quoi ? C’est toujours l’élu qui est au cœur de ce débat.
La clarification des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales est apparemment établie, mais elle n’est pas encore effective et, pour l’opinion publique, il ne suffit pas de la décréter : elle ne sera effective que lorsque les citoyens pourront identifier encore mieux, sans difficulté, celles et ceux qui décident en leur nom, qu’ils les approuvent ou les sanctionnent au terme du mandat qu’ils leur ont confié.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !
M. Jean Puech. Les élus locaux doivent être revêtus d’une légitimité plus forte. Aussi la Constitution doit-elle intégrer – comme c’est le cas pour la décentralisation – la reconnaissance de cette légitimité. Il faut un véritable statut de l’élu local.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment !
M. Jean Puech. C’est le combat que nous devons mener.
Il s’agit de donner aux élus locaux les moyens de se consacrer à leur mandat comme l’exigent les nouvelles responsabilités qu’ils doivent assumer. Nous ne proposons pas une fonctionnarisation supplémentaire, mais il s’agit de leur permettre, par exemple, de retrouver plus facilement, et dans des conditions normales, au terme de leur mandat, une nouvelle activité professionnelle, il s’agit de leur accorder la protection sociale à laquelle a droit tout citoyen qui travaille, ni plus ni moins. Bref, il s’agit tout simplement de fixer les conditions d’exercice d’un mandat électif.
Cette ambition, je crois pouvoir le dire, est partagée par l’ensemble des membres de l’Observatoire de la décentralisation et par une très large majorité de notre assemblée, par-delà les différences politiques et la diversité des expériences.
Voilà pourquoi bon nombre de nos collègues ont souhaité cosigner l’amendement que j’ai déposé, qui vise à introduire une référence au statut de l’élu local dans notre Constitution en prévoyant qu’une loi déterminera les conditions d’exercice des mandats locaux et des fonctions électives.
Par cette disposition, nous reprenons des mesures qui, il est vrai, existent déjà,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah ! quand même !
M. Jean Puech. … mais que nous souhaitons améliorer en les rationalisant.
L’inscription d’une référence au statut de l’élu local constituerait l’aboutissement de notre réflexion sur la mise en œuvre de la République décentralisée. Ce serait un signe puissant adressé aux Français et aux élus locaux. Ces derniers ne comptent pas leur temps, ne ménagent pas leur peine et prennent des risques. Pourtant, ils ne demandent rien d’autre que la reconnaissance de leur pays.
La République, mes chers collègues, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, s’honorerait en les accueillant dans ce sanctuaire de la démocratie qu’est la Constitution.
Bien entendu, le fait que cette inscription soit proposée par le Sénat est significatif. Le Président de la République a souhaité, en engageant cette réforme, redonner confiance dans nos institutions et renforcer la légitimité des représentants du peuple. En adoptant cette proposition, le Sénat s’inscrirait tout à fait dans l’esprit de cette réforme.
En conclusion, je souhaite que la revalorisation du Parlement permette au Sénat de renforcer encore son rôle de représentant des territoires, de représentant de leurs élus, de représentant de la décentralisation. Les membres de l’Observatoire de la décentralisation se sont en tout état de cause prononcés en faveur d’une évolution renforçant les moyens du Sénat en matière de suivi des collectivités territoriales.
Une telle évolution permettra, j’en suis convaincu, d’affirmer et de conforter la place irremplaçable du Sénat au sein de nos institutions républicaines. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UC-UDF et sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dispose de cinq minutes pour vous faire part – après d’autres – de ma déception devant le texte qui nous est proposé.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous avez tort !
M. Jean-Claude Peyronnet. Ainsi que beaucoup d’autres, j’avais trouvé très positive l’initiative du Président de la République telle qu’elle apparaissait à la fin de l’été dernier.
J’avais fondé de réels espoirs dans les conclusions du comité Balladur et j’espérais vraiment que nous pourrions aboutir à un large accord politique pour rénover la vie politique française par un meilleur encadrement des pouvoirs du Président de la République et un renforcement du rôle du Parlement.
Cette perspective me paraissait réjouissante, car la situation actuelle est celle d’une démocratie simulée. Sans rien changer à la lettre de la Constitution, le Président de la République en a profondément modifié la pratique. Le Premier ministre fait de la figuration, le Président décide concrètement de tout et, par ses conseillers, mais aussi par la presse, il exerce de fait la totalité du pouvoir, sans être responsable devant quiconque, sinon devant le peuple, mais au bout de cinq ans, sans que soit intervenu entretemps le moindre contrôle.
Le Parlement, quant à lui, fait semblant d’exister. Pus que par le passé, il donne, lui aussi, dans la figuration. L’opposition, quoi qu’elle dise ou fasse, n’est jamais écoutée, et la majorité, quoi que dise ou fasse le Gouvernement, obéit au doigt et à l’œil.
M. Henri de Richemont. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Claude Peyronnet. Si ce n’est pas tout à fait votre cas, c’est vrai de la plupart de vos collègues !
Nous sommes bien dans un pouvoir personnel et dans un semblant de démocratie.
Deux solutions se présentaient pour corriger cette situation. La première n’est pas à l’ordre du jour et ne le sera sans doute pas de sitôt. Pourtant, c’eût été – je parle en mon nom personnel – la plus efficace, y compris, paradoxalement, pour redonner des couleurs à un Parlement actuellement largement inutile, tant il est devenu un théâtre d’ombres.
Il se serait agi de prendre acte de la situation actuelle et d’évoluer en direction d’un régime présidentiel au sein duquel le pouvoir du Président aurait été strictement encadré.
Pour le Parlement, cela aurait été le seul moyen de dépasser le blocage démocratique que constitue le fait majoritaire poussé à son extrême. Le Parlement se serait grandi en exerçant de façon rigoureuse un réel contrôle sur l’action de l’exécutif, ce qui n’est pas vraiment le cas actuellement.
Parallèlement, les pouvoirs du Président auraient été sérieusement rognés, ce qui supposait la fin du pouvoir de dissolution, de l’usage de l’article 49-3 et aussi, bien sûr, des nominations discrétionnaires aux postes stratégiques des grands corps de l’État.
Mais c’est l’autre solution qui a été choisie. Cette voie était possible, à condition que l’on joue réellement le jeu de la démocratie et que, en particulier, l’une des branches du bicamérisme soit plus en rapport avec la situation démographique et politique du pays.
Certes, la majorité de la commission des lois a renoncé à constitutionnaliser ce qui s’apparentera de plus en plus, vu la dépopulation en milieu rural, aux « bourgs pourris » de l’Angleterre du xviiie siècle, ce qu’elle se proposait de faire la semaine dernière.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela reste à prouver ! Ce ne sont que des affirmations !
M. Jean-Claude Peyronnet. Je sais parfaitement ce que je dis, monsieur le président de la commission des lois !
Mais c’est pour en rester à la situation présente, qui laisse au Conseil constitutionnel, dont on connaît la composition politique, le pouvoir de maintenir sa jurisprudence, qui interdit de fait toute alternance. Tel est le sens du refus d’intégrer dans le mode de désignation des sénateurs l’idée de représenter les collectivités territoriales « en fonction » de leur population, comme le proposait le comité Balladur. Cela, nous ne pouvons l’approuver.
Il y a encore bien d’autres points sur lesquels les espoirs issus des travaux du comité Balladur ne trouvent pas dans le présent texte de traduction démocratique. Je n’ignore pas les progrès que pourraient constituer le vote sur le texte issu des commissions ni les modifications du calendrier mensuel et du mode de fixation de l’ordre du jour. Mais, outre celui que je viens de développer, il existe pour nous d’autres empêchements qu’à une autre époque et sous un autre régime juridique on aurait pu qualifier de « dirimants ».
Pour aller vite, je n’évoquerai que trois exemples.
Le premier concerne l’institution du Défenseur des droits des citoyens, heureuse initiative dans son principe, madame la garde des sceaux.
M. Jean-Claude Peyronnet. Mais comment voulez-vous que nous votions cette disposition d’apparence sympathique sans connaître le périmètre des institutions qu’elle est appelée à regrouper ?
Interrogée avec insistance lors de votre audition par la commission des lois, vous n’avez pas répondu de façon claire, citant seulement à plusieurs reprises la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, au point que l’on est en droit de se demander si la création de ce Défenseur n’a pas pour but de faire disparaître les autres institutions de ce type, qui constituent un désagréable poil-à-gratter pour l’administration et le Gouvernement.
Le second exemple a trait au pouvoir de nomination, qui pose lui aussi problème. Dans un certain nombre de pays que nous avons visités, avec notre collègue Patrice Gélard, les nominations se font à la majorité qualifiée du Parlement ou de l’Assemblée, selon les cas. Au lieu de cela, vous nous proposez un veto des trois cinquièmes revenant en fait à une approbation par les deux cinquièmes ; c’est une mystification ! Ce point a déjà été longuement développé par notre collègue Bernard Frimat.
Nous dire, comme je l’ai entendu, qu’une nomination par le Parlement ou la seule Assemblée nationale à la majorité qualifiée revient à introduire la politique dans la haute administration, c’est une aimable plaisanterie. En vérité, c’est exactement l’inverse ! Si vous acceptiez ce que nous proposons – c’est-à-dire une réelle approbation à la majorité des trois cinquièmes –, vous créeriez au contraire l’obligation d’un large accord entre toutes les forces politiques, ce qui constituerait un gage de l’objectivité des choix.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait du marchandage !
M. Jean-Claude Peyronnet. Enfin, le droit d’amendement, qui est un droit fondamental des parlementaires, verrait ses modalités établies par les règlements des deux assemblées et vous ne semblez pas disposés à assouplir l’application de l’article 40. Or, il s’agit d’une lourde entrave au droit d’amendement. Je pense – même si tous mes amis ne partagent pas nécessairement mon sentiment sur ce point – que le droit d’amendement doit être mieux encadré.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous partageons complètement cet avis !
M. Jean-Claude Peyronnet. En effet, il faut trouver du temps pour que le Parlement contrôle. Mais, très honnêtement, l’encadrement ne doit pas être conçu comme vous le faites. Voudriez-vous nous pousser à voter contre ce texte que vous ne vous y prendriez pas autrement !
Voilà donc comment, dans une République de l’apparence, les effets d’annonce les plus séduisants masquent en réalité un conservatisme profond (M. le secrétaire d’État manifeste vivement son désaccord), voire une régression, et constituent, au mieux, un simple habillage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « une constitution n’est pas une tente dressée pour le sommeil », disait Napoléon Ier.
La Constitution française n’a pas été dressée pour le sommeil, puisque, en près de cinquante années, nous l’avons modifiée à vingt-trois reprises. Elle a ainsi démontré son adaptabilité aux bouleversements, aux crises, aux changements et sa capacité à se moderniser. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
La réforme qui nous est proposée aujourd’hui est mal comprise par certains d’entre nous. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! C’est sûr
M. Patrice Gélard. Contrairement à ce que certains voudraient, ou ont imaginé, il n’est pas envisagé une réforme globale de la Constitution, mais une réforme qui se limite à un certain nombre de points qui ont été énoncés cet après-midi par le Premier ministre. Cette révision ne crée pas un épouvantail de régime présidentiel, mais préserve l’équilibre de la ve République, reposant sur un régime parlementaire mâtiné de présidentialisme. Je le répète, nous ne nous dirigeons pas vers un régime présidentiel ; au contraire, cette révision tend à limiter les pouvoirs du Président. (Protestations sur les mêmes travées.)
Pour autant, il n’est pas envisagé d’en revenir aux vieilles lunes du régime d’assemblée…
M. Patrice Gélard. … pour lequel certains éprouvent de la nostalgie, regrettant que n’ait pas été adopté le projet de Constitution élaboré en avril 1946, projet qui aurait conduit à l’impuissance et à la dictature parlementaire, c’est-à-dire à l’inefficacité totale. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce que vous appelez la dictature parlementaire est toujours préférable à la monarchie !
M. David Assouline. La dictature parlementaire ? Cela n’a jamais existé !
M. Patrice Gélard. Bien sûr que si ! Je pourrais vous citer une multitude d’exemples ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie d’écouter M. Gélard. Nous avons tous à apprendre de son expérience !
M. Patrice Gélard. En réalité, le présent projet de loi constitutionnelle est mesuré et a notamment pour but d’améliorer, de rationaliser et de développer le rôle du Parlement.
M. Patrice Gélard. Il importe de rechercher un équilibre global, d’autant que, jusqu’à présent, il n’a pas été tenu compte de l’adoption du quinquennat, qui, avec la coïncidence des élections présidentielle et législatives, a considérablement transformé la nature de nos institutions. Celles-ci ne peuvent continuer à fonctionner selon les mêmes règles que celles qui étaient en vigueur au temps du septennat, voire du quinquennat de Jacques Chirac.
À la suite des propos que vient de tenir Jean-Claude Peyronnet, je me félicite de ce que ce projet de loi constitutionnelle reprenne certaines des propositions que nous avions formulées dans nos deux rapports d’information, en particulier la discussion des projets et des propositions de loi en séance publique à partir du texte adopté par la commission, proposition que nous avions faite voilà plus d’une dizaine d’années. Je me félicite également de la constitutionnalisation, méritée, d’un comité chargé des affaires européennes au sein de chaque assemblée.
Pour l’essentiel, ce texte donne assez largement satisfaction à ceux qui attendaient de cette modification constitutionnelle qu’elle mette notre Constitution en conformité avec les nouvelles exigences du quinquennat. Nous avons atteint ce but, me semble-t-il.
Pour autant, j’exprimerai un certain nombre de regrets.
Premièrement, le champ du référendum, que nous avons élargi, doit être corrigé, parce que nous ne savons pas utiliser cet instrument en France. (Rires sur les travées du groupe CRC.)
M. Patrice Gélard. Dans notre pays, il n’est jamais répondu à la question soumise à référendum, celui-ci n’étant utilisé que comme l’opportunité de se déclarer pour ou contre le gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Cessez donc de m’interrompre à tout-va ! Je ne vous ai pas interrompus lorsque vous aviez la parole !
Pour remédier à cette situation, je propose que tout référendum qui n’aurait recueilli qu’une participation inférieure à 50 % des inscrits soit nul et non avenu.
Dès lors, nous rationaliserons l’usage du référendum…
M. Robert Bret. Point trop n’en faut !
M. Patrice Gélard. … et nous ferons en sorte qu’il y soit recouru à bon escient et non pour exprimer tel ou tel point de vue sans rapport avec la question posée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Deuxièmement, il faudra bien régler un jour la question du statut des anciens présidents de la République. (Applaudissements sur diverses travées.)
Leur qualité de membre de droit du Conseil constitutionnel n’est d’aucune utilité pour le fonctionnement de celui-ci. Or le Conseil constitutionnel va être conduit à examiner des recours dont il aura été saisi par voie d’exception ; par conséquent, les anciens présidents de la République pourraient être amenés à se prononcer sur des dispositions qui auraient été adoptées alors qu’ils étaient en fonction et dont ils auraient été les initiateurs. De fait, cela ne me paraît pas compatible avec le devoir de réserve auxquels sont tenus les membres du Conseil constitutionnel.
Cette situation est anormale. Pour autant, je ne reprendrai pas la proposition de loi constitutionnelle que j’avais déposée voilà trois ans visant à attribuer aux anciens présidents de la République le statut de sénateur à vie.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est démocratique cela !
M. Patrice Gélard. Je laisse au Parlement le soin de trancher cette question, mais, par souci de transparence, je répète que j’estime anormal que les anciens présidents soient membres de droit du Conseil constitutionnel. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir écouter l’orateur !
M. Bernard Frimat. On n’a rien dit !
M. Patrice Gélard. Je les énerve ! C’est normal, puisqu’ils ne comprennent rien au droit ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez !
M. Patrice Gélard. Vous m’interrompez en permanence ; il est bien normal que je vous réponde !
M. Henri de Richemont. Ce sont de mauvais élèves ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Si vous le souhaitez, nous pouvons sortir !
M. Patrice Gélard. Ce n’est pas ce que je vous demande ! Mais cessez donc cette cacophonie permanente !
Pas une seule fois je n’ai attaqué l’opposition !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Gélard !
M. Patrice Gélard. J’en reviens donc au statut des anciens présidents qui existe, mais qui n’est pas public alors qu’il faudrait qu’il le soit.
Troisièmement, le Conseil constitutionnel va devoir faire face à une surcharge de travail en raison des nouvelles possibilités de recours. C’est la raison pour laquelle je préconise que le nombre de ses membres passe de neuf à douze. Ces trois membres supplémentaires, s’ajoutant aux neuf autres membres désignés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale, seraient systématiquement et respectivement choisis parmi le Conseil d’État, la Cour de cassation et la Cour des comptes.
M. David Assouline. Qu’ils soient aussi tous doyens d’université ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Ces questions sont importantes et il fallait les soulever.
Je conclurai mon propos par la réflexion suivante.
De nombreux articles du projet de loi constitutionnelle prévoient pour leur application l’adoption de lois organiques. De même, le règlement des assemblées devra être modifié. Or j’attire votre attention sur le fait que l’ensemble des mesures contenues dans ce texte devront entrer en vigueur au mois de mars 2009. Aussi, il sera nécessaire de procéder rapidement à l’adoption de l’ensemble des lois organiques et à la modification de notre règlement afin de rendre opérationnelle cette révision.
Il s’agit là d’un véritable enjeu, qui démontrera notre capacité à nous adapter rapidement à ce changement constitutionnel, qui, quoi qu’on en dise, représente un véritable progrès par rapport à la situation actuelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Michel Debré, s’exprimant devant le Conseil d’État en août 1958, déclarait que le « parlementarisme rationalisé » organise la « collaboration des pouvoirs : un chef de l’État et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second ; entre eux, un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l’État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout système démocratique, la rançon de la liberté. »
Ces propos expliquent cet ensemble de dispositions nombreuses, minutieuses et complexes que vous connaissez tous.
Plus clair et plus prosaïque, Alain Peyrefitte avouera plus tard : « Cette Constitution a été faite pour gouverner sans majorité. »
Conçue pour porter remède à un système parlementaire assis sur des majorités faibles et changeantes, la Constitution de la Ve République, du fait de la loi électorale puis de son calendrier, des réformes constitutionnelles successives, de l’évolution du système partisan et de la médiatisation de la vie politique, a fonctionné avec des majorités solides, sinon introuvables.
Or, aujourd’hui, les potentialités positives du « parlementarisme rationalisé » sont épuisées ; le « parlementarisme rationalisé » est devenu « parlementarisme lyophilisé ».
En règle générale, le pouvoir politique est tout entier à l’Élysée quand coïncident majorités parlementaire et présidentielle ; en cas de cohabitation, il est partagé entre le Président et le Premier ministre, sorte de maire du palais dont la puissance dépend de la discipline des troupes qui le soutiennent.
Le Parlement, lieu théorique de l’élaboration de la loi, du débat démocratique contradictoire et du contrôle de l’exécutif se satisfait de soutenir, de corriger les fautes de syntaxe et d’enregistrer. La manière dont la majorité aborde ici-même cette révision constitutionnelle, montre, s’il en était besoin, qu’il a pris goût à sa servitude.
Ce projet de loi constitutionnelle modifiera-t-il ces mœurs et rompra-t-il ce faux équilibre ? À l’évidence, non.
D’une part, contrairement à ce que préconisait le comité Balladur, le texte fait volontairement l’impasse sur la question de la loi électorale ; il n’est plus envisagé de proportionnelle à l’Assemblée nationale ni de permettre l’alternance au Sénat. Or, comme on l’a vu, le problème constitutionnel n’est pas séparable de celui du mode de scrutin. L’actuelle Constitution, associée à la proportionnelle d’arrondissement, par exemple, produirait des effets totalement différents.
D’autre part, abstraction faite de dispositions « décoratives », les pouvoirs du Président de la République ne sont en rien réduits par le projet, à peine le champ de ses caprices. Édouard Balladur lui-même en convient, qui déclarait au journal Le Monde : « On ne peut pas dire que, sauf sur quelques points – ce que j’appelle les dispositions « décoratives » –, il y ait une réduction des pouvoirs du Président. »
Vouloir un « rééquilibrage » au profit d’un acteur, le Parlement, sans affaiblir l’autre, le Président, est, par construction, contradictoire. Non seulement les pouvoirs du Président de la République ne seront pas réduits, mais ils seront renforcés. Ils le seront par la possibilité qui lui sera donnée, considérable en démocratie médiatique, de se présenter devant les parlementaires comme le véritable chef du Gouvernement et de la majorité.
Justifier cette mesure par l’exemple des États-Unis est une escroquerie intellectuelle. Je livre à ceux qui en douteraient cette analyse qu’a faite Élisabeth Zoller, professeur à l’université Paris II et directrice du Centre de droit américain, devant la commission des lois. Elle est intéressante : on ne peut être ni plus clair ni plus précis.
« Si le droit de message doit faire du Président français un législateur en chef, la France change de régime […]. Le Président n’est plus, comme son homologue américain, qu’un capitaine, c’est-à-dire un chef d’équipe, en l’occurrence un chef de parti politique, investi du pouvoir de mettre en forme législative le programme de gouvernement pour lequel il a été élu.
« Du coup, les fonctions d’arbitrage du Président n’ont plus de titulaire […]. En tout cas, elles ne sont plus entre les mains d’un arbitre. La phrase clé de la fonction présidentielle – "Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics" – ne trouve plus de raison d’être dans le jeu institutionnel.
« Le système américain échappe à ce dilemme parce que le Président n’exerce aucune fonction d’arbitrage et, en particulier, il n’a pas le droit de dissolution. Mais ce n’est pas le cas en France.
« Faire du Président un législateur en chef sans diminuer en aucune manière ses pouvoirs existants, c’est-à-dire en maintenant l’intégralité de ses pouvoirs d’arbitrage et sans toucher à ses pouvoirs de direction du travail des assemblées, par gouvernement et Premier ministre interposés, fait verser le régime dans un système consulaire. »
À l’évidence, dans une démocratie médiatique d’opinion, il n’est même pas besoin de baïonnettes pour faire des consuls. On a toujours besoin, cependant, de la complicité des parlementaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)