M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas vrai !
M. Henri de Raincourt. Mais si, mon cher collègue !
L’évaluation des politiques publiques figure désormais parmi les missions du Parlement. C’est une avancée importante.
M. Jean-Louis Carrère. Il n’y a qu’à voir la façon dont vous avez traité le rappel au règlement de M. Bret !
M. Henri de Raincourt. Le Parlement aura également la possibilité de s’exprimer sur les interventions des forces armées françaises à l’étranger, autrement que par le biais de débats généraux ou lors de la discussion budgétaire.
En outre, toutes les propositions d’actes européens, sans plus aucune restriction, seront transmises aux assemblées et pourront faire l’objet de résolutions.
Ce sont des avancées incontestables.
Cette révision est également ambitieuse et novatrice, car elle sera une formidable occasion de repenser les relations et les méthodes de travail entre l’exécutif et le législatif.
Elle sera également pour nous l’occasion de réfléchir sur nos modes de fonctionnement, sur la place des groupes politiques au sein du Sénat et, par là même, sur notre règlement. Le débat politique doit retrouver le chemin de l’hémicycle parlementaire, sans être en permanence rongé par l’excitation médiatique.
L’article 9 du projet de loi constitutionnelle précise que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population. »
M. Jean-Louis Carrère. Cela serait bien !
M. Henri de Raincourt. Mais cette définition n’est pas pour nous pleinement satisfaisante.
Le Sénat, dont les pouvoirs ont été restaurés par la Constitution de la Ve République, a toujours veillé à représenter à la fois la population et les territoires.
Un pays comme la France puise aussi son équilibre et sa cohésion nationale dans la diversité de ses deux chambres.
C’est grâce à leur mode d’élection que les sénateurs peuvent effectivement refléter et exprimer toute la diversité des collectivités territoriales françaises. Le suffrage est, certes, indirect, mais il est universel : les sénateurs sont les élus des élus.
Si le projet de loi constitutionnelle venait à dénaturer la singularité du Sénat, il y aurait là, de notre point de vue, une véritable anomalie démocratique. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Nous avons la conviction qu’il faut préserver ce qui fait la force du bicamérisme, à savoir la spécificité du mode d’élection des sénateurs.
Un amendement déposé par la commission, et que soutiendra le rapporteur Jean-Jacques Hyest, permet, par le retour à la rédaction actuelle de l’article 24 de la Constitution, de préserver cette spécificité.
Pour autant, – je tiens à rappeler ce point que d’aucuns ont tendance à oublier – le Sénat n’est pas figé.
M. Henri de Raincourt. Il a même démontré, il y a peu, sa capacité d’autoréforme.
En 2003, la majorité sénatoriale a été à l’initiative d’une réforme audacieuse. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) La loi organique et la loi ordinaire de juillet 2003 ont, en effet, apporté plusieurs modifications importantes, comme la réduction de la durée du mandat sénatorial à six ans, le renouvellement par moitié tous les trois ans, l’abaissement de l’âge d’éligibilité, le scrutin proportionnel à partir de quatre sièges à pourvoir…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Auparavant, il était à trois sièges !
M. Henri de Raincourt. …l’augmentation du nombre de sénateurs afin d’accompagner les évolutions démographiques du pays sans sacrifier la représentation des départements à faible population.
M. Robert Bret. Vous ne connaissez que la marche arrière !
M. Henri de Raincourt. Si le Sénat doit poursuivre son évolution, il doit veiller à sauvegarder nos équilibres institutionnels et à jouer pleinement son rôle de complémentarité et de modération. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Il est vrai qu’à en juger par ce que j’entends, on pourrait se prendre à douter…
Le Sénat ne saurait être un enjeu politicien étranger à son rôle institutionnel. Par le sérieux de son travail et son sens aigu des responsabilités, il vaut mieux que cela. (Marques d’approbation sur certaines travées de l’UMP.)
La dernière dimension de ce projet de loi consiste à conférer de nouveaux droits à nos concitoyens.
M. Jean-Louis Carrère. C’est de la provocation !
M. Henri de Raincourt. La modernisation de nos institutions serait inachevée si elle ne favorisait pas une démocratie plus vivante, plus ouverte.
Comme l’affirmait le Président de la République, notre loi fondamentale n’a pas seulement pour vocation d’organiser le fonctionnement des institutions ; elle reconnaît également aux citoyens des droits qui doivent évoluer au rythme des sociétés.
Le projet de loi constitutionnelle répond, de notre point de vue, à cette attente, en conférant à nos compatriotes de nombreux droits nouveaux, dont l’exception d’inconstitutionnalité, qui existe dans toutes les grandes démocraties.
Nous partageons votre sentiment, monsieur le Premier ministre : la réforme des institutions est une chance historique pour la Ve République. Ne la ratons pas, saisissons-la ! Si, par malheur, cette réforme échouait, il n’est pas certain – c’est même improbable ! – que l’occasion se représenterait avant longtemps.
Le Président de la République le soulignait le 12 juillet 2007, à Épinal, vous vous en souvenez, monsieur le président : « Les institutions, ce sont les points fixes des sociétés humaines. Les institutions, c’est le pont entre le passé et l’avenir. Les institutions, c’est tout ce qui permet que les énergies, les volontés, les imaginations se complètent et s’additionnent au lieu de se disperser et de se contrarier ».
La Constitution, voilà notre guide. C’est dans cet esprit que notre assemblée doit mener ses travaux, animée par le seul souci de servir la République, la France et les Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme de nos institutions devrait être l’occasion de mener une réflexion en profondeur sur les rapports entre les citoyens et leurs institutions. Si nous ne l’avons pas encore fait, le rejet du traité de Lisbonne par le peuple irlandais devrait nous y inciter encore davantage.
La construction européenne actuelle est, en effet, tout un symbole. Elle se fait sans les peuples, pour la bonne raison qu’elle tourne le dos à leurs aspirations.
Quand les peuples sont consultés, comme ce fut le cas dans trois pays, en 2005, sur le traité constitutionnel européen, deux votent contre, alors même que leurs parlementaires avaient voté majoritairement pour.
Les chefs d’État, en France comme dans les autres pays, n’en ont cure ; ils décident de ne pas consulter leurs peuples, que les parlementaires désavouent en votant le traité de Lisbonne. Le gouvernement irlandais, obligé de consulter, vient, quant à lui, d’être désavoué par les citoyens !
Mme Annie David. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allez-vous persister ? Le Président de la République, bientôt Président de l’Union européenne, va-t-il escamoter le « non » irlandais comme il l’a fait avec les « non » français et néerlandais ?
Comment s’étonner que la distance entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter ne cesse de se creuser ? En avril, moins d’un an après l’élection présidentielle, 71 % des Français estimaient que les politiques ne se préoccupaient pas de leur opinion. D’ailleurs, ils se sont de nouveau massivement abstenus aux élections municipales et cantonales lors desquelles, qui plus est, vous avez été sanctionnés.
Cette crise de la représentation politique est lourde de dangers pour la démocratie. Aussi, les deux questions à se poser, et les seules qui vaillent au moment de débattre d’une réforme de la Constitution, sont les suivantes : la réforme répond-elle à cette crise ? Est-elle une avancée démocratique pour le peuple ?
Le seul fait que le Président de la République n’ait pas jugé bon de consulter le peuple sur sa réforme, dont M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement estime qu’elle est la plus importante depuis 1958, en dit long !
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La Constitution est la loi fondamentale qui unit les citoyens. Elle ne saurait être la propriété de quelques experts désignés par le seul Président de la République et de la classe politique.
Vous affirmez que le candidat Nicolas Sarkozy avait annoncé ses intentions. Il n’y a donc pas besoin de consulter le peuple ! Mais ce candidat avait dit alors beaucoup de choses,...
Mme Annie David. Oui, beaucoup !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... par exemple sur le pouvoir d’achat : on voit ce qu’il en est !
Sur les institutions, il disait ainsi, le 14 janvier 2007, dans un discours prononcé lors du congrès de l’UMP et cité par M. de Raincourt : « Notre démocratie n’a pas besoin d’une nouvelle révolution constitutionnelle. On change trop notre Constitution. [....] Mais nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d’impartialité, d’équité, d’honnêteté, de responsabilité, de transparence ».
Je vous laisse juges de son comportement. Ce qui est certain, c’est que celui-ci a quelque chose à voir avec l’hyperprésidence qu’il a souhaité constitutionnaliser une fois élu, comme l’atteste son discours d’Épinal du 12 juillet 2007.
S’agissant de la transparence, je vous laisse également juges : au moment même où le Parlement débat de la réforme des institutions, dans laquelle ne figure aucune indication sur les modes de scrutin, le Gouvernement « concocte » sans aucune transparence une modification du mode de scrutin régional et législatif ainsi qu’un redécoupage des circonscriptions, paraît-il encore plus favorable à la majorité, en tout cas au bipartisme.
M. Guy Fischer. Du charcutage !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La feuille de route du Président de la République au comité Balladur était claire et les soixante-dix-sept propositions en sont sorties « conformes », comme disent les parlementaires : un présidentialisme inspiré de la Constitution américaine, mais assorti des pouvoirs exorbitants que confère la Constitution de 1958 au Président de la République française et agrémenté d’un parlementarisme rationalisé à la britannique, sans les inconvénients pour l’exécutif.
Autrement dit, un Président de la République seul véritable chef de l’exécutif, doté d’une majorité qui lui doit son élection – le comité Balladur prévoyait d’ailleurs qu’elle soit élue le même jour ! – et dont il est aussi le chef, comme il est le chef du parti majoritaire, s’adressant directement au Parlement, disposant donc d’un pouvoir d’injonction à la représentation nationale, alors même qu’il est irresponsable et dispose du domaine réservé, du droit de dissolution, de l’article 16, et je pourrais continuer l’énumération.
M. Ivan Renar. Oui, chef ! Bien, chef !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les qualificatifs abondent : « dérive bonapartiste » ou « monarchie présidentielle », comme le craignait déjà M. Mazeaud, en 1993, à propos du quinquennat.
Certes, vous avez dû composer avec votre majorité et gommer quelques aspects dès l’avant-projet, notamment ceux qui tendaient de fait à supprimer la fonction de Premier ministre. Mais, soyons clairs, l’économie générale reste la même, si l’on excepte la disparition, au passage, des quelques propositions du comité Balladur visant à introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins, à démocratiser un tant soit peu l’élection sénatoriale ou à limiter le cumul des mandats.
Le résultat, après le passage à l’Assemblée nationale, c’est que la confusion des pouvoirs demeure, mais que le parti majoritaire est conforté dans sa surreprésentation.
Alors, vous agitez un leurre : cette réforme constituerait, selon vous, un renforcement des pouvoirs du Parlement que les parlementaires, toutes opinions confondues, seraient coupables de refuser, et vous vous êtes même fait menaçant, monsieur le Premier ministre. Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a même qualifié les dispositions concernées de « révolutionnaires ».
Il y a des limites à la méthode Coué, et je constate que vous avez du mal à convaincre.
M. Joël Bourdin. Oh !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mon collègue Guy Fischer interviendra plus particulièrement sur ce point. Je dirai seulement quelques mots.
Qu’en est-il, ainsi, de l’ordre du jour des travaux parlementaires, dont vous avez inondé la presse ? En guise de partage, vous proposez deux semaines par mois pour le Gouvernement et une pour le Parlement, dont un jour pour l’opposition. Est-ce cela, le statut de l’opposition ?
Le travail en commission ? L’objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause un droit élémentaire des parlementaires, celui d’amender.
Le projet instaure un véritable « 49-3 » de la majorité présidentielle. Je m’étonne donc que notre rapporteur propose de rejeter la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3 : le Gouvernement n’en aura plus besoin !
Le droit de résolution ? Il n’ajoute aucun pouvoir au Parlement. On voit ce qu’il en est en matière européenne !
Les débats thématiques n’apportent rien non plus. On peut d’ailleurs se demander s’ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement.
L’intervention du Parlement dans les nominations présidentielles ? La majorité des trois cinquièmes exigée pour les refuser la rend inopérante.
En réalité, le projet de loi constitutionnelle ne touche en rien au déséquilibre structurel des pouvoirs inscrits dans la Constitution de 1958, que nos prédécesseurs communistes n’avaient pas votée, déséquilibre accentué par l’élection du Président de la République au suffrage universel et aggravé par le quinquennat et l’inversion du calendrier, réformes que nous n’avons pas votées non plus.
Votre projet organise une rationalisation non démocratique de la décision politique, accentuant le bipartisme et le fait majoritaire issu de l’élection présidentielle, et rendant illusoire la séparation de pouvoirs.
En revanche, ce texte tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant les évolutions désormais largement soutenues par la population : le mode de scrutin proportionnel, la limitation du cumul des mandats, le vote des immigrés aux élections locales, l’initiative citoyenne....
Pourtant, le respect du pluralisme, et donc la représentativité du Parlement, sont constitutifs de cette « démocratie irréprochable » annoncée par le Président de la République, ce que Mme le garde des sceaux se plaît à relayer à chacun de ses propos.
Or le Parlement n’est absolument pas représentatif de la société, avec une moyenne d’âge de soixante ans, 18 % de femmes, 1 % d’ouvriers, une surreprésentation des professions libérales et des hauts fonctionnaires, et l’absence de toute diversité d’origines. Le cumul des mandats et les modes de scrutin en sont largement responsables.
M. Éric Doligé. Qu’est-ce que vous faites là, alors ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La majorité sénatoriale atteint des sommets en refusant toute évolution du mode de scrutin sénatorial.
Vous avez renoncé à constitutionnaliser l’impossibilité d’élargir le corps électoral mais, également, à tenir compte de la population. C’est donc le retour à la case départ ! Il s’agit d’un cas unique en démocratie : une assemblée législative dotée de pouvoirs de veto et toujours à droite, quel que soit le choix des électeurs.
Mais que représente le Sénat, sinon les populations des collectivités locales ? Les édifices ? Les terres ? Les propriétés ? On se le demande ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Éric Doligé. Il ne faut pas se fâcher, c’est mauvais pour la santé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce projet ignore l’aspiration à une démocratie plus citoyenne, qui se manifeste pourtant au niveau des collectivités territoriales.
Les députés ont réintroduit le référendum d’initiative populaire proposé par le comité Balladur et censuré par le Gouvernement. Mais sa mise en œuvre est si restrictive qu’elle est quasi impossible. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un référendum d’initiative parlementaire. Or, je le rappelle, des parlementaires, avec un moindre nombre, peuvent d’ores et déjà être à l’initiative d’un référendum. Il n’y a donc là rien de nouveau, hormis une annonce démagogique.
Vous répondez en évoquant la nouveauté que représente pour les citoyens l’exception d’inconstitutionnalité. Soit ! Mais à Conseil Constitutionnel inchangé, il ne s’agit pas d’une avancée démocratique. En tout état de cause, le contrôle de constitutionnalité doit renvoyer les dispositions litigieuses au vote du Parlement.
Le projet de loi constitutionnelle ignore le nécessaire respect des droits des citoyens, sans lequel il n’y a pas de droit. L’expérience du droit au logement opposable, que vous avez concédé et que l’État ne peut assurer, aurait dû vous alerter.
Vous répondez, cette fois, en invoquant la création du défenseur des droits des citoyens, tout en renvoyant à plus tard la détermination de ses compétences et de son champ d’intervention. Est-il bien raisonnable de demander aux parlementaires de s’engager à l’aveugle ? D’ailleurs, sur trente-cinq articles, vous renvoyez au moins quinze fois à la loi organique. En revanche, vous fixez très précisément le nombre de députés et de sénateurs. C’est un comble !
Ce projet de loi constitutionnelle ignore aussi une question essentielle : le respect du pluralisme dans les médias, pourtant gage d’une démocratie « irréprochable », pour employer vos propres termes !
M. Jean-Pierre Sueur. Sujet d’actualité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ignore la nécessaire implication des citoyens et de leurs représentants dans les choix européens. Vous ne proposez aucun pouvoir réel du Parlement sur les mandats des représentants du Gouvernement dans les négociations européennes. Pire encore, la majorité veut revenir sur l’obligation de référendum en matière d’évolution de la construction européenne.
Fort heureusement, la commission des lois n’a pas été convaincue par Mme Dati...
M. Robert Bret. Il faut dire qu’elle n’est pas très convaincante !
M. Jean-Pierre Sueur. Et elle n’est plus là !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... et a rejeté le dispositif de l’article 11, qui permettait la rétroactivité de la loi, y compris la loi pénale.
Nous prenons acte du fait que la commission a supprimé la présence du ministre de la justice lors des séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination et de discipline, ainsi que l’insertion dans le domaine de la loi de la répartition des litiges entre juges judiciaires et administratifs.
Mais, franchement, rien de tout cela ne change la nature du projet de loi constitutionnelle.
Vous l’avez compris, notre opposition à cette réforme est globale ; on pourrait même dire « frontale », pour répondre à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Karoutchi nous a dit, en effet, qu’il n’existait pas d’opposition frontale à ce projet de loi constitutionnelle : je tiens à le démentir.
Mes chers collègues, la seule réponse à la défiance envers les politiques dont nous sommes tous victimes, c’est de donner plus de pouvoirs aux citoyens et des pouvoirs réels au Parlement. Nous sommes, nous, résolument pour un régime parlementaire, régime reconnu, je le rappelle, comme étant le plus démocratique, avec des élections à la proportionnelle et avec un Parlement qui retrouve ses prérogatives non seulement en matière budgétaire, mais aussi en cas d’utilisation des forces armées – et pas quatre mois plus tard ! – et pour ce qui a trait à la politique européenne.
Nous sommes pour le respect du pluralisme tel qu’il existe dans la société, et donc pour la reconnaissance des droits et moyens des groupes politiques.
Nous sommes pour le droit de vote des résidents étrangers, pour la reconnaissance de la démocratie participative, pour un droit d’initiative législative des citoyens et des collectivités locales.
Nous sommes pour des droits réels en faveur des salariés et de leurs représentants, tant sur les conditions de travail que sur les choix des entreprises, une question jamais abordée et pourtant au cœur d’une démocratie moderne.
Chacun ici l’aura compris : les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, comme leurs homologues de l’Assemblée nationale, voteront contre ce projet de loi.
En effet, la réforme ici proposée va à l’encontre des exigences démocratiques de notre temps. La gauche a voté contre à l’Assemblée nationale. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement d’ici au Congrès du Parlement.
Monsieur le Premier ministre, vous aviez dit, en décembre, que la réforme nécessiterait l’obtention d’un consensus pour être adoptée. De consensus, il n’y en a pas. Alors qu’il s’agit de réformer la loi fondamentale du pays, assistera-t-on au marchandage de quelques voix pour arriver aux trois cinquièmes requis ? Je n’ose pas le penser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa promulgation, le 4 octobre 1958, la Constitution de la Ve République a fait l’objet de plusieurs révisions mais rarement, et même jamais, d’une réforme profonde.
Cinquante ans après, le moment est venu de redonner un nouveau souffle à nos institutions. Sans attendre, celles-ci doivent être rééquilibrées, afin que le droit soit mis en accord avec les faits.
L’accumulation de différents facteurs a rendu en effet de plus en plus inapte le « parlementarisme rationalisé », inspiré, à l’époque, par la recherche de la stabilité gouvernementale.
Au fil des décennies, le principe de séparation des pouvoirs, si cher à Montesquieu, est devenu un mythe. Dans la pratique, la Constitution de la Ve république a favorisé l’exécutif au détriment du législatif.
L’installation du fait majoritaire, l’élection du Président de la République par tous les Français, puis, plus récemment, l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, ont achevé d’accentuer, sans contre-pouvoirs, la nature présidentielle de notre régime.
Lorsque ce régime présidentiel consiste à disposer d’un exécutif à deux têtes, dont l’une est élue par le peuple et dont l’autre est responsable politiquement devant le Parlement, nous sommes face à une anomalie conceptuelle à laquelle il convient de remédier.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé est-il en mesure de répondre à l’urgence institutionnelle de notre pays ? Je crains, hélas ! que toutes les conditions ne soient pas réunies pour permettre à notre démocratie de s’épanouir davantage.
Votre réforme, monsieur le Premier ministre, semble trop timide aux yeux des radicaux de gauche, qui se sont investis sur cette question depuis près de vingt ans et qui auraient souhaité que vous fassiez preuve de plus de courage et de détermination.
Si le texte contient des avancées notables, que les radicaux de gauche apprécient, il ne va cependant pas au bout d’une certaine logique qui consisterait à restaurer véritablement le pouvoir parlementaire en supprimant les verrous judicieusement posés par les constituants de 1958 et qui ont conduit, in fine, au musellement des assemblées.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. En effet, il aurait été souhaitable d’aller plus loin et, disons-le, d’instaurer la VIe République, plus à même de répondre au défi de l’équilibre général de nos institutions.
Dans cet esprit, nous, radicaux de gauche, avions déposé, en 2000, au Sénat et à l’Assemblée nationale, une proposition de loi destinée à offrir aux Français une Constitution rénovée qui prenne en compte leurs aspirations et rationalise certaines de nos procédures parlementaires et juridiques, afin de rendre à nos concitoyens le pouvoir dont ils peuvent parfois s’estimer légitimement privés.
Notre vision, que j’ai eu l’occasion de défendre devant le comité Balladur, est il est vrai audacieuse, mes chers collègues.
En effet, nous proposons un régime présidentiel fondé sur une séparation stricte des pouvoirs. Dans cette perspective, nous avons déposé une série d’amendements qui permettent d’en finir avec cette dyarchie au sommet de l’État qui est, reconnaissons-le, une exception dans les démocraties occidentales.
Il va bien entendu de soi que cette instauration du régime présidentiel repose sur un renforcement net et sans faux-semblants des pouvoirs du Parlement.
Nous proposons donc de mettre un terme au droit de dissolution et à la motion de censure. Nous voulons également la maîtrise par le Parlement de son ordre du jour et de son fonctionnement, ce qui implique la suppression radicale de l’article 49, alinéa 3, et du recours à la procédure d’urgence pour le vote des lois.
Mes chers collègues, la revalorisation des droits du Parlement passe aussi par la possibilité, pour ce dernier, de donner son accord sur certaines nominations du Président de la République, et non pas seulement son avis. Nous proposerons donc une modification rédactionnelle à l’article 4.
Je me propose de citer quelques-uns, parmi d’autres, des dispositifs qui nous sembleraient opportuns.
Restauré dans ses droits, le Parlement doit aussi garantir l’expression du pluralisme. C’est un volet de la réforme auquel nous tenons. Je dois dire que les rédacteurs du projet de loi constitutionnelle sont insuffisamment volontaires sur ce thème. C’est pourquoi nous proposerons, nous, les radicaux de gauche, une autre rédaction de l’article 24 sur les droits des groupes, car le critère de distinction retenu de la majorité et de l’opposition ne recouvre pas l’exacte réalité de la vie parlementaire et encore moins sa diversité.
MM. Gérard Delfau et Michel Mercier. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. En outre, nous souhaitons l’introduction d’une dose de proportionnelle pour l’élection des députés.
En effet, on ne peut pas à la fois proclamer vouloir renforcer les droits des citoyens et les priver du premier d’entre eux, celui d’être représentés au Parlement dans la diversité de leurs opinions.
Le texte est insuffisant sur ce thème et, monsieur le rapporteur, les amendements de la commission des lois destinés à bloquer une éventuelle alternance au Sénat en constitutionnalisant le mode de scrutin sont une provocation, à tel point, d’ailleurs, que vous avez préféré les retirer. Cependant, il n’empêche que le problème du mode d’élection des sénateurs et de l’alternance au sein de la Haute Assemblée reste posé : il ne suscite de votre part ni réponse, ni proposition. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.)
Nous, radicaux de gauche, serons intransigeants sur ce point, tout comme nous le serons aussi s’agissant de l’article 33, affublé, en première lecture, d’un critère démographique qui vise clairement la Turquie. Nous mettrons tout en œuvre pour revenir sur ces petits calculs indignes de la loi fondamentale.
Enfin, mes chers collègues, la Constitution, c’est aussi un ensemble de principes fondamentaux qui doit rester à l’abri de toute transaction circonstancielle ou partisane.