M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comment écrivez-vous « serein » ?
M. Michel Mercier. Monsieur Dreyfus-Schmidt vos interpellations sont toujours les bienvenues et marquées au coin du bon sens, nous pouvons une fois encore le constater. Sachez que j’écris toujours « serein » de la même façon, soit « ein ». (Rires.) Ce n’est pas demain la veille que vous arriverez à me démonter ! (Nouveaux rires et applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
Mme Jacqueline Gourault. Bravo !
M. Jean-Pierre Caffet. C’est mal parti !
M. Michel Mercier. Si j’accorde une grande importance à cette question, c’est que je suis très attaché au bicamérisme. Or on ne peut pas être attaché au bicamérisme…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans trouver les moyens de le légitimer !
M. Michel Mercier. … sans se demander en permanence si les deux chambres sont bien constituées de la façon la plus démocratique qui soit et jouissent pleinement de leur légitimité. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
J’ai écouté tous les intervenants en silence, même lorsque j’avais une furieuse envie de rire. J’attends la même attitude à mon égard, car je souhaite prendre tout mon temps et peser mes mots.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n’avez que treize minutes !
M. le président. Dans le respect de votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Michel Mercier. Monsieur le président, je ne le dépasserai pas !
Il est donc essentiel, pour un vrai défenseur du système bicaméral, que le Sénat soit incontestable. Qu’en est-il aujourd’hui, et qu’en est-il de la proposition de loi de nos collègues ?
Première observation : il n’est pas exact de dire que les choses ne changent pas.
M. Michel Mercier. La situation est simple, évidente : le Sénat est élu par les représentants des collectivités locales ; mon parti n’a pas gagné les élections locales, d’autres non plus, d’ailleurs, et des changements interviendront lors des élections sénatoriales du mois de septembre prochain.
Aujourd’hui, 102 sénateurs doivent revenir devant leurs électeurs. On peut considérer, en tenant compte de toutes les catégories possibles et imaginables, que 34 d’entre eux appartiennent ou sont rattachés à la gauche.
Or, si j’en crois ce que j’entends ici et là et ce qu’a indiqué M. Bel hier à la télévision…
M. Jean-Pierre Bel. J’y étais avec vous !
M. Michel Mercier. Je vous ai écouté tout le temps, et c’est bien pour cela que je vous y ai accompagné : pour bien entendre !
Vous avez estimé que vous pouviez gagner environ 15 sièges.
M. Jean-Pierre Bel. Je n’ai pas dit cela à la télévision !
M. Michel Mercier. Cela vous donnerait donc 49 sièges sur 102, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que 34 sur 102 ! Ainsi, certains changements sont d’ores et déjà possibles. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Je me borne à souligner, ma chère collègue, que, dans la situation actuelle, des évolutions sont possibles : il faut en avoir conscience.
M. Robert Bret. Si elles sont possibles, c’est à dose homéopathique !
M. Michel Mercier. Ma deuxième observation s’appuiera sur un exemple, dont je ne tiens pas à tirer plus qu’il ne faut, celui du département du Rhône, puisque cet après-midi les sénateurs du Rhône sont nombreux dans cet hémicycle.
C’est désormais la gauche qui assure la gestion des six principales villes : Lyon, Villeurbanne, Vénissieux, Saint-Priest, Vaulx-en-Velin et Bron. Sans doute pourrait-on ajouter Rieux et quelques autres communes, mais cela ne changerait rien à la démonstration. Ces six villes représentent 742 000 habitants, c’est-à-dire 47 % de la population du département, et désignent 856 grands électeurs, soit 28,7 % du collège électoral sénatorial. Ce n’est évidemment pas assez : la distorsion est flagrante, elle est trop forte, et il faut y porter remède.
Mais il faut considérer les choses jusqu’au bout, car intervient aussi le mode de désignation des grands électeurs. Dans ces six villes, la gauche a obtenu – c’est beaucoup, c’est une grande victoire – 57,91 % des suffrages exprimés ; mais elle y obtient, du fait de l’effet amplificateur du scrutin municipal, 77,33 % des électeurs sénatoriaux.
M. Jean-Pierre Bel. Démocratie représentative !
M. Michel Mercier. Je n’en ai encore tiré aucune conclusion, mon cher collègue ; ce sont des faits ! Car, si nous voulons arriver à un résultat, il nous faut partir des faits, les observer, et, sur cette base, construire un système nouveau. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
Les villes ne sont pas assez représentées, c’est vrai, comme il est vrai que, si nous voulons une meilleure adéquation entre le nombre d’habitants et le nombre de délégués sénatoriaux, nous devons faire bouger les choses.
Il faut, bien sûr, connaître les effets du scrutin municipal, mais il faut aussi savoir que le scrutin indirect n’est pas le scrutin direct.
Plusieurs sénateurs du groupe CRC et du groupe socialiste. C’est vrai !
M. Michel Mercier. Il existera toujours une distorsion, et c’est tout à fait normal. Encore faut-il l’avoir à l’esprit, car cela fait partie des données du problème.
Il est impossible d’obtenir les mêmes résultats avec le scrutin direct et avec le scrutin indirect ; mais il nous appartient, tous ensemble, de déterminer quelle est la distorsion acceptable du point de vue de la démocratie.
M. Christian Cointat. Ce n’est pas une distorsion, c’est une rémanence !
M. David Assouline. Vous tournez en rond !
M. Michel Mercier. Monsieur Assouline, depuis le temps que vous tournez vous-même en rond, je peux bien en faire un peu autant !
Il faut donc accepter toutes ces différences, qui proviennent à la fois du scrutin municipal et des distorsions liées aux deux modes de scrutin, direct et indirect. Nous avons probablement eu tort de ne pas aller au bout de la proposition de loi que M. Henri de Raincourt et plusieurs de nos collègues avaient déposée voilà quelques années, car elle aurait fait avancer la solution du problème.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est ce que l’on dit à chaque fois !
M. Michel Mercier. Aujourd’hui, nous sommes saisis de cette proposition de loi de nos collègues socialistes, qui vise à modifier à la fois la composition du collège électoral sénatorial et le mode de scrutin pour l’élection des sénateurs.
J’ai indiqué que nous étions prêts à travailler pour construire un collège électoral qui soit plus proche de la réalité de la société d’aujourd’hui : si nous refusons de prendre en considération les évolutions de notre pays vers une vie plus urbaine, le développement des villes, nous disqualifierons le Sénat.
M. Yannick Bodin. Très bien !
M. Michel Mercier. Si nous voulons réellement défendre le Sénat, nous accepterons dans une mesure plus grande qu’aujourd’hui de tenir compte du phénomène urbain, et je souhaite que nous puissions très rapidement avancer sur ce point.
Quant à savoir quelle dose de proportionnelle doit ou ne doit pas comporter le mode de scrutin, je ferai deux remarques simples.
Tout d’abord, comme vous toutes et vous tous, mes chers collègues, j’appartiens à une formation politique. On entend souvent que, avec un mode de scrutin proportionnel, ce sont les partis politiques qui décideront. Je crois pourtant savoir que toutes nos formations ont des commissions d’investiture !
M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !
M. Michel Mercier. Certaines siègent même toutes les semaines, y compris lorsqu’il s’agit de scrutins qui ne sont pas proportionnels.
M. Jean-Pierre Bel. Absolument !
M. Michel Mercier. Alors, soyons raisonnables ! Nous sommes des élus politiques, en tous les cas, nous voulons l’être : il est bien normal que les partis politiques jouent un petit rôle en la matière !
Plus on est minoritaire, plus on est faible – c’est mon cas –, plus on est évidemment favorable à la proportionnelle, et ce sont toujours ceux qui pensent qu’ils obtiendront de toute façon la majorité qui y sont plutôt défavorables : je ne vous cache pas que je suis un fervent partisan d’une proportionnelle modérée, encadrée, dirigée. Qu’elle soit utilisée au Sénat et qu’elle ne soit pas ignorée à l’Assemblée nationale me semble une bonne chose, et j’espère que nous pourrons aller dans ce sens au cours des mois qui viennent.
Le collège électoral peut être rénové et les modes de scrutin modifiés, cela n’aura pas plus de conséquences que n’en auront les résultats qui ont déterminé la composition actuelle du collège électoral. En toute honnêteté, ce n’est pas le mode de scrutin qui influe sur les résultats, ce sont les électeurs, et heureusement ! Si l’on n’accepte pas cela, il n’y a pas de démocratie !
La proposition de loi de nos collègues socialistes doit-elle être votée aujourd’hui ?
M. Jean-Pierre Bel. Au moins discutée !
M. Michel Mercier. Il me semble que c’est ce que je suis en train de faire !
Mes chers collègues, tous ici sommes extrêmement malins : la preuve en est que nous sommes sénateurs. Sinon, nous ne serions pas là, c’est évident ! (Rires.)
Il n’a échappé à aucun d’entre nous que nos collègues socialistes savent parfaitement que la proposition de loi qu’ils nous soumettent est inconstitutionnelle. Ils savent même plus : ils savent que, pour rendre leur proposition de loi constitutionnelle, ils devraient voter le texte que le Gouvernement propose pour l’article 24 de la Constitution dans le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. Ils devraient donc se montrer les plus forts soutiens du Gouvernement !
M. Jean-Pierre Bel. Nous avons le temps avant de le voter !
M. Michel Mercier. J’ai bien compris les non d’espoir, les non d’appel, les oui bientôt… qui émanent de tous nos votes, et je sais bien qu’il faut armer le dialogue avant la discussion de la loi constitutionnelle.
J’ai également fort bien compris, mes chers collègues, que votre but n’était que d’armer ce dialogue : votre proposition de loi pose un vrai problème, mais la réponse qu’elle apporte n’est pas une réponse achevée, et vous le savez bien, puisqu’elle est inconstitutionnelle.
Pour ma part, je souhaite que nous ne nous contentions pas de simples appels – la question est trop grave, trop importante –, que nous allions plus loin et que, demain, monsieur le président du Sénat, vous puissiez réunir, par exemple, les présidents de tous les groupes politiques de notre assemblée et le président de la commission des lois,…
M. le président. Ce sera avec plaisir !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela s’est déjà fait !
M. Michel Mercier. … afin que, ensemble, nous reprenions cette question pour faire du Sénat un Sénat incontestable et l’artisan d’un véritable bicamérisme. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’issue de notre discussion générale, la majorité sénatoriale adoptera, sauf si elle est saisie par un improbable sursaut démocratique, la motion tendant à opposer la question préalable. Elle aura ainsi le sentiment d’avoir atteint un triple objectif : repousser le danger, conserver le statu quo et conforter ainsi sa situation privilégiée.
Peu vous importent, mes chers collègues, les changements intervenus dans la réalité des collectivités territoriales au cours de ces cinquante dernières années : le Sénat doit rester indifférent à cette mutation et la composition de son collège électoral inchangée, car cette composition constitue, par excellence, le verrou de l’alternance.
Or rien ne peut justifier que le Palais du Luxembourg demeure la seule assemblée élue du monde démocratique interdite d’alternance. Cette situation spécifique ne vous trouble pas, mes chers collègues, même si son maintien met en cause la représentativité du Sénat et, à terme, sa légitimité.
Pourtant, hors de cet hémicycle, tout le monde ou presque s’accorde à dire que la représentativité du Sénat doit être améliorée. Il y a moins de dix ans, un sénateur dont il se murmure qu’il aspire à occuper la plus haute fonction du Sénat…
Mme Éliane Assassi. Ah ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui donc ?
M. Bernard Frimat. … et des sénateurs qui y occupent aujourd’hui d’éminentes fonctions – Henri de Raincourt, président du groupe UMP ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères ; Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois – avaient admis la nécessité d’un changement, comme Jean-Pierre Bel le rappelait dans son intervention. Je n’aurai pas la cruauté de répéter leurs propos d’alors.
Pour quelles raisons le moment n’est-il pas venu aujourd’hui, en 2008, d’adapter le collège électoral ? Les résultats des élections locales sont, sans doute, responsables de ce revirement. Les convictions évoquées n’y ont pas résisté, et l’ardeur réformatrice qui animait alors mes excellents collègues s’est quelque peu refroidie. Il est devenu urgent pour eux de ne rien changer.
M. le président. Monsieur Frimat, M. le président de la commission des lois souhaiterait vous interrompre. L’y autorisez-vous ?
M. Bernard Frimat. Avec grand plaisir ! Je dissimule ma joie !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l’autorisation de l’orateur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Frimat, vous n’avez pas précisé que la proposition de loi de 1999 avait fait l’objet d’un examen par le Sénat, à titre de contreproposition, dans le cadre de la discussion du projet de loi présenté par M. Jospin. Le Sénat l’avait adoptée, mais cela n’avait pas suffi à la faire aboutir. Pour autant, notre volonté de progresser était bien réelle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne l’avez plus, c’est ce qui est ennuyeux !
M. Jean-Pierre Bel. Et c’est ce qui nous navre !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Frimat.
M. Bernard Frimat. Le comité Balladur a évoqué, sans ambiguïté, la nécessité de modifier le collège électoral sénatorial qui « favorise à l’excès la représentation des zones faiblement peuplées au détriment des zones urbaines. »
Il préconisait, en conséquence, dans des modalités que vous connaissez, de garantir à chacune des collectivités territoriales une représentation en fonction de sa population, d’assurer aussi un meilleur équilibre dans la représentation des populations.
Son argument principal alliait simplicité et clarté, Éliane Assassi le rappelait : « Quelle que soit la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par la Constitution, les zones peu peuplées ne peuvent être représentées au détriment de celles qui le sont davantage ».
Comme le précise l’article 3 de la Constitution, les députés et les sénateurs sont les représentants du peuple qui exerce par leur intermédiaire sa souveraineté. Leur seule légitimité provient du suffrage universel ; c’est d’ailleurs ce qui fonde la compétence générale des deux assemblées parlementaires. Le suffrage indirect, que nous n’avons pas remis en cause, est la forme particulière de ce lien entre les citoyens et le Sénat. Le Sénat ne peut pas, en conséquence, s’affranchir de ce principe.
Monsieur le secrétaire d’État, au moment où nous allons discuter d’un projet de révision de la Constitution, il n’est pas acceptable d’ignorer la question du collège électoral sénatorial, pire, de refuser d’en débattre, comme la commission des lois l’a décidé.
La proposition de loi de Jean-Pierre Bel et du groupe socialiste était une tentative d’ouvrir le dialogue : vous y opposez une fin de non-recevoir ! L’alternance démocratique du Sénat est-elle pour vous un tel cauchemar que vous en soyez réduits à ce blocage systématique ?
Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, monsieur le rapporteur. Je constate que votre volonté de dialogue, exprimée, je le pense, d’une façon sincère lors de l’audition de Jean-Pierre Bel, n’a pas survécu aux délibérations du groupe UMP et aux choix du Gouvernement. C’est regrettable !
À la veille du débat sur la révision constitutionnelle, nous avions souhaité un signe positif qui aurait manifesté, de la part du Gouvernement et de sa majorité, l’intention de réaliser une avancée démocratique.
Nous vous avons avertis qu’une réponse de procédure qui interdirait tout débat sur le contenu de notre proposition de loi serait le pire des signes négatifs. C’est pourtant le choix que vous croyez devoir effectuer ; il sera pour vous le signe avant-coureur de l’échec.
Il eut pourtant été simple de nouer le dialogue en opposant à notre proposition une autre proposition, mais cela aurait obligé tant le Gouvernement – qui s’en tient à des considérations techniques – que l’UMP à présenter des perspectives précises de modifications, ce que vous vous refusez à faire,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Bernard Frimat. …puisque ce serait reconnaître le déni de démocratie qui caractérise la composition du Sénat.
Vous refusez de rétablir le scrutin proportionnel pour les départements élisant trois sénateurs. Ce scrutin a existé pour les élections sénatoriales de 2001, vous l’avez supprimé en 2003. Pour justifier votre position, vous avez utilisé deux arguments qui figuraient déjà dans la réponse de Mme la ministre de l’intérieur à l’Assemblée nationale.
Le premier argument est merveilleux : on ne peut revenir sur une loi que nous avons modifiée. Monsieur le secrétaire d’État, que de temps allez-vous gagner ! Si cet argument a une valeur aujourd’hui, j’ose espérer qu’il s’appliquera avec la même rigueur au scrutin régional, qui, nous a-t-on dit, est l’objet de vos préoccupations.
Second argument : il existe au Sénat un équilibre – qui en douterait ? – entre le scrutin proportionnel et le scrutin majoritaire. Pour reprendre une formule qui vous est chère, monsieur le rapporteur, permettez-moi de démontrer le caractère d’idée fausse de cet équilibre. Nous pouvons comparer deux situations réelles : celles des élections de 2001, où la proportionnelle a joué, et celle de 2004, où elle n’a pas joué.
Au regard de l’article 24 de la Constitution qui dispose que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales, dans quel cas la diversité des collectivités territoriales est-elle la mieux représentée ? En 2004, où sur sept départements élisant trois sénateurs cinq sont représentés par des élus de la même famille politique ? Ou bien en 2001, où sur dix départements élisant trois sénateurs neuf sont représentés par des élus appartenant à des sensibilités politiques différentes ? (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
Ne croyez-vous pas que les élus municipaux des départements concernés se reconnaissent mieux dans la représentation diversifiée de 2001 que dans la représentation monocolore de 2004 ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
À titre informatif, j’ajouterai que parmi les trente élus de 2001 on compte aujourd’hui huit sénatrices, alors que sur les vingt et un élus de 2004 on n’en compte qu’une. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Vous conviendrez qu’en termes d’équilibre votre argumentaire est pour le moins défaillant.
M. Christian Cointat. Il y en a au moins deux pour les Français de l’étranger !
M. Bernard Frimat. Je remercie M. Cointat d’appuyer ma démonstration, puisque l’une des sénatrices à laquelle il fait allusion a été élue à la proportionnelle. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Peut être aurait-il été plus simple et plus franc de dire que vous préférez le scrutin majoritaire, car il assure à la droite, compte tenu du collège électoral actuel, une rente de situation que vous souhaitez garder.
M. Alain Vasselle. Parce que vous êtes incapables de vous faire élire au scrutin majoritaire !
M. Bernard Frimat. Sur trente sénateurs élus en 2001, onze étaient de gauche ; sur les vingt et un élus en 2004, ils n’étaient que deux.
C’est en réalité ce déséquilibre préférentiel qui justifie votre position.
Or le Sénat, seconde chambre, qui n’a donc pas, et c’est heureux, le dernier mot, n’a pas la contrainte, comme l’Assemblée nationale, de dégager une majorité de gouvernement. Il devrait donc pouvoir privilégier une représentation plus diversifiée et renforcer ainsi sa légitimité.
Obnubilés par le court terme et la défense du statu quo, vous n’avez pas saisi l’opportunité que constituait la présentation de la même proposition de loi, d’abord par les députés socialistes, ensuite par les sénateurs socialistes. Vous n’avez pas mesuré les acquis qu’elle représentait par rapport aux débats concernant l’existence même du Sénat et, dans l’hypothèse de son maintien, son mode de désignation.
Or les partisans du monocamérisme ou, à défaut, d’une seconde chambre non issue du suffrage universel et, à ce titre, limitée à des compétences spécifiques, n’ont pas renoncé. Les tenants d’un Sénat élu au suffrage universel direct et au scrutin proportionnel au niveau de la région ne peuvent qu’être stimulés par votre refus.
En acceptant le dialogue, ce que vous refusez aujourd'hui, vous aviez la possibilité d’aboutir à un accord très majoritaire sur le maintien du bicamérisme rénové et sur l’élection des sénateurs au scrutin indirect à l’échelon départemental. Vous n’avez pas saisi cette chance, c’est maintenant votre problème. Votre refus de permettre l’alternance au Sénat augmente les risques qui pèsent sur la permanence de cette assemblée.
M. Alain Vasselle. Cela ne dépend que de vous !
M. Bernard Frimat. Vous n’avez pas manqué, monsieur le rapporteur, d’insister sur le caractère anticonstitutionnel de notre proposition de loi, puisqu’elle ne respecte pas le principe posé par le juge constitutionnel dans sa décision n° 2000-431 du 6 juillet 2000 selon lequel le corps électoral du Sénat doit être « essentiellement » – nous serons attentifs à cet adverbe – composé d’élus de collectivités territoriales.
Nous n’ignorons pas cette décision et c’est en pleine connaissance de cause que nous avons déposé notre proposition de loi.
Si la perspective de la révision de la Constitution n’existait pas, nous pourrions accorder quelque crédit à votre argumentation ; mais tel n’est pas le cas.
Nous sommes au cœur du débat de révision constitutionnelle. L’Assemblée nationale s’est prononcée hier, par scrutin public. La commission des lois du Sénat, et elle en est encore émue, a entendu dans les minutes qui ont suivi ce vote la présentation du texte résultant de cette première lecture par Mme Rachida Dati et M. Roger Karoutchi.
L’article 9 du projet de loi, qui modifie l’article 24 de la Constitution relatif à l’élection du Sénat, est resté inchangé sur ce point par rapport au projet du Gouvernement.
Dans l’exposé des motifs, le Gouvernement a tenu à préciser ceci : « L’objet de cette disposition est de surmonter les contraintes résultant de la décision n° 2000-431 du 6 juillet 2000 du Conseil constitutionnel, laquelle a pour effet d’interdire toute évolution dans la composition du collège électoral dans le sens – écoutez bien, chers collègues de la majorité ! – d’un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes. »
À l’article 34 du projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement a même arrêté la date d’application de ces nouvelles dispositions électorales : « à compter du deuxième renouvellement partiel du Sénat suivant la promulgation de cette loi constitutionnelle ». En termes clairs et sans modification du calendrier électoral – puisque l’on y pense, paraît-il – cela signifie, en cas d’adoption du texte, septembre 2011.
Qu’importe donc que notre proposition de loi soit aujourd’hui inconstitutionnelle puisque c’est à l’aune de la Constitution révisée qu’elle aurait été jugée. Ce qui pourrait apparaître comme un argument juridique sérieux, s’avère de facto – j’en suis désolé pour vous, monsieur le rapporteur –disqualifié par l’existence même de la révision en cours.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
M. Bernard Frimat. La majorité UMP qui, j’ai cru le comprendre, soutient cette révision n’est donc pas fondée à invoquer un prétendu obstacle juridique alors que, dans le même temps, elle vient de le lever à l’Assemblée nationale.
Le débat que nous aurons sur l’article 9, mes chers collègues, sera indiscutablement essentiel, car on ne peut disjoindre les modes de scrutin de la réforme des institutions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Nous ne demandons pas la constitutionnalisation des modes de scrutin ; il nous semble judicieux que ceux-ci relèvent de la loi ordinaire. Pour autant, qui peut nier qu’ils participent, à l’évidence, à l’équilibre et à la représentativité de notre démocratie ?
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Bernard Frimat. Le rapport Balladur avait adopté à l’unanimité une préconisation incitant à modifier le collège électoral sénatorial « en fonction de sa population ». Cette formulation qui figurait dans l’avant-projet de révision a disparu au profit de l’expression « en tenant compte de la population ».
Cette nouvelle formulation, nous explique-t-on, serait plus souple et n’induirait plus la référence strictement proportionnelle que la précédente aurait impliqué. Cette évolution sémantique reprend les termes mêmes utilisés par le juge constitutionnel. Il sera donc très important, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement nous indique avec précision, en confirmant l’exposé des motifs, quelles conséquences il en tire sur la composition du collège électoral sénatorial.
Une modification de la Constitution réduit à néant la jurisprudence constitutionnelle relative à l’ancienne rédaction, car, par essence, le juge constitutionnel ne dispose et ne disposera jamais d’aucun pouvoir constituant. Ce pouvoir appartient au peuple ou à ses représentants réunis en Congrès. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Il semblerait, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, que l’article 9 du projet de loi constitutionnelle, dans sa rédaction actuelle, apparaisse à certains d’entre vous, par sa référence à la population, comme un danger. Vous craignez qu’il ne finisse par permettre une modification substantielle du collège électoral sénatorial…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Bernard Frimat. …et, en conséquence, vous avez l’intention de vous y opposer et d’inventer un verrou supplémentaire interdisant tout changement.
Vous êtes les représentants du peuple et vous vous méfiez d’une référence à la population.
M. Christian Cointat. Absolument pas !
M. Bernard Frimat. Représentant l’un, le peuple, seule source de votre légitimité, vous craignez l’autre, la population. Quelle étrange situation ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Vous n’êtes pas perturbés par le nombre infime de grands électeurs de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, voire par le fait que 155 membres de l’Assemblée des Français de l’étranger aient le pouvoir d’élire douze sénateurs.
En revanche, que l’émergence des départements et des régions et l’évolution démographique des cinquante dernières années puissent être prise en compte pour assurer un meilleur équilibre entre les grands électeurs de chacune des collectivités territoriales vous semble insupportable.
Ce faisant, vous commettez une double erreur.
D’abord, vous considérez les communes rurales comme votre propriété.