M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, les salariés et les employeurs de notre pays, mais aussi ceux des pays voisins partagent un profond sentiment d’insécurité face à une mondialisation qui intensifie la concurrence et contraint les entreprises à se transformer en permanence, parfois même à délocaliser leurs activités.
Pour la Commission européenne, le bilan peut être positif pour tous, à condition d’améliorer les capacités d’adaptation des entreprises et des travailleurs d’Europe à un environnement dans lequel la flexibilité et la sécurité se renforcent mutuellement.
En effet, la gestion flexible de l’emploi offre aux entreprises un moyen de répondre aux contraintes financières ou concurrentielles qu’elles subissent. Mais en même temps, il faut trouver les moyens de concilier, pour les salariés, les changements professionnels, la continuité du revenu et des droits et trajectoires ascendants : la sécurité doit accompagner la mobilité.
Bruxelles souhaite que tous les États suivent l’exemple des pays d’Europe du nord. Ils ont introduit avec succès la « flexicurité » dans leur législation. Je rappelle que notre collègue et ancien ministre Gérard Larcher pilote actuellement une mission sur la « flexicurité » en Europe.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a conduit les observateurs économiques à parler d’une « flexicurité à la française ».
En matière d’emploi, sous l’impulsion de M. le Président de la République, la France est engagée dans une réforme d’ampleur. Celle-ci s’appuie sur la concertation et la négociation.
Le Gouvernement a fait le choix de réunir des conférences tripartites associant syndicats, patronat et État, sur différents thèmes majeurs : la modernisation du marché du travail, la formation professionnelle, la démocratie sociale et l’assurance chômage. Dans le même temps, la réforme du service public de l’emploi a franchi une étape majeure avec la fusion ANPE-UNEDIC, que nous avons appelée de nos vœux lors de l’examen du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, dont j’étais le rapporteur, en décembre 2004.
L’ensemble du processus a un caractère tripartite prononcé, les pouvoirs publics tenant un rôle actif dans le calendrier et l’ordre du jour des négociations.
Le texte, qui reprend des dispositions de l’accord interprofessionnel du 11 janvier dernier, est avant tout un succès de la négociation collective.
M. Louis Souvet. Il vise à apaiser les relations entre partenaires sociaux, sujet sur lequel je milite personnellement depuis que j’ai été chargé d’exercer des responsabilités en entreprise.
Il s’agit du premier accord conclu dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, qui a prévu, dans le domaine des relations de travail, une procédure de concertation préalable aux réformes avec les organisations patronales et syndicales.
Monsieur le rapporteur, vous vous êtes demandé si nous étions entrés dans une nouvelle ère des relations entre les partenaires sociaux. Selon un proverbe chinois, « un long voyage commence par un petit pas ». Espérons que le voyage sera long et que le petit pas sera prometteur. Soyons optimistes, bien sûr, mais restons modestes, car une hirondelle ne fait pas le printemps ! Nous devrons donc persévérer.
L’accord obtenu a été signé par les trois organisations d’employeurs – le MEDEF, la CGPME et l’UPA – et par quatre syndicats représentatifs, hormis la CGT.
Il n’était pas évident de parvenir à un accord sur les thèmes abordés. Les partenaires sociaux ont su trouver des points d’entente pour rendre notre droit plus souple, plus adapté aux réalités économiques. Ils ont su faire confiance au Gouvernement pour donner une force obligatoire au texte.
La volonté du Gouvernement de respecter les termes de l’accord ne s’est pas démentie. Le dialogue social s’est poursuivi lors du travail de transposition auquel ont été associés les partenaires sociaux, y compris la CGT, même si elle n’avait pas signé l’accord.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, c’est cette méthode, celle d’un dialogue social quotidien, qui donne au texte une légitimité supplémentaire et sans doute aussi une efficacité et une durabilité accrues. Car il s’agit bien d’améliorer notre droit du travail dans une perspective de long terme, au-delà du jeu des alternances politiques.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est un texte d’équilibre. Il apporte des garanties nouvelles aux salariés et offre aux entreprises des outils pour faciliter leur activité.
Je rappellerai brièvement les dispositions qui me semblent essentielles.
En ce qui concerne les garanties apportées aux salariés, l’article 1er est le plus symbolique puisqu’il affirme que la forme normale de la relation de travail est le contrat à durée indéterminé. Cette disposition fixe de façon officielle la prépondérance du CDI sur les autres types de contrats, en particulier le CDD et l’intérim, mais vous avez rappelé, monsieur le rapporteur qu’il en existait trente-huit au total. Les uns et les autres devront par conséquent faire l’objet d’une information renforcée du comité d’entreprise ou des délégués du personnel.
Par ailleurs, les contrats nouvelles embauches, les CNE, mis en place en 2005, seront automatiquement transformés en CDI classiques après l’entrée en vigueur de la loi.
Le projet de loi réduit de trois à un an la durée d’ancienneté requise pour bénéficier de l’indemnisation conventionnelle de la maladie et de deux à un an celle qui est nécessaire pour prétendre aux indemnités de licenciement. Ces dernières seront calculées sur la base d’un taux unique, ce qui est plus favorable pour le salarié que le régime précédent, qui distinguait les licenciements pour raison économique et les licenciements pour motif personnel.
Par ailleurs, bien que cette disposition ne soit pas nouvelle, tout licenciement devra aussi être justifié par une cause réelle et sérieuse, ce motif étant porté à la connaissance du salarié.
Je souhaite souligner l’importance d’autres mesures modernisant les relations individuelles de travail, notamment la rupture conventionnelle du contrat de travail. En tenant compte de la volonté commune du salarié et de l’employeur, elle permet d’échapper à l’alternative démission ou licenciement et à la judiciarisation de ce dernier.
Ce nouveau mode de rupture ouvre droit à une indemnité égale à celle du licenciement et est assorti de garanties : entretiens, assistance des parties, faculté de rétractation, homologation par le directeur départemental du travail. Il s’agit certainement de la disposition centrale du projet de loi, car, en réduisant le risque lié à l’embauche, elle facilitera l’emploi, tout en garantissant aux salariés la sécurité qui leur est nécessaire.
Un autre signe fort tient à l’introduction dans le code du travail d’un terme à la période d’essai. Elle sera dorénavant limitée à une durée maximale variant selon la catégorie à laquelle appartient le salarié. De plus, la durée des stages de fin d’études a été incluse dans la période d’essai.
Enfin, le texte donne à l’entreprise la possibilité d’élargir son champ d’action en fonction de ses besoins.
L’actuel droit du travail ne prend pas suffisamment en compte certaines hypothèses de relations de travail qui s’organisent autour de projets s’étendant sur quelques mois ou quelques années, et dont les délais de réalisation ne sont pas toujours connus.
Le projet de loi prévoit la mise en place, à titre expérimental, d’un nouveau contrat à durée déterminée à objet défini, qui permettra à l’entreprise d’embaucher, pour une période de dix-huit mois à trois ans, un cadre ou un ingénieur en vue de la réalisation d’un projet précis.
L’Assemblée nationale a apporté des précisions sur divers points du projet de loi. Notre commission a également tenu à améliorer certains de ses aspects. Le rapporteur s’est particulièrement attaché à respecter l’accord des partenaires sociaux. Je tiens à le féliciter de la qualité de son travail, de la clarté de son propos, de son écoute et de l’intérêt qu’il a su porter aux observations de ses collègues.
Bien que le Parlement ait son rôle à jouer, il est clair qu’aller plus loin dans la modification du texte reviendrait soit à sortir du cadre de l’accord interprofessionnel, soit à le pervertir. Or il n’est pas conseillé de remettre en cause l’équilibre issu des négociations.
La CGT, je le rappelle, n’a pas souhaité signer l’accord interprofessionnel en faisant valoir que le législateur allait ensuite dénaturer le texte. En réalisant une transposition d’une fidélité parfaite, nous démontrerons que ces craintes étaient infondées et nous manifesterons à tous, pour l’avenir, la confiance que nous plaçons dans les négociations.
Le présent projet ne transpose qu’une partie de l’accord. Il sera complété par des dispositions d’ordre réglementaire. La réforme engagée appelle par ailleurs d’autres textes, sur l’assurance chômage et sur la formation.
Monsieur le ministre, je saisis l’occasion que fournit ce débat pour souligner que nous sommes nombreux, au sein de la Haute Assemblée, à souhaiter une réforme profonde de la formation professionnelle. Une mission présidée par M. Jean-Claude Carle, et dont le rapporteur est M. Bernard Seillier, a dénoncé les trois maux dont souffre la formation professionnelle : complexité, cloisonnements et corporatisme. Nous serons donc très attentifs aux négociations à venir.
La conjoncture de l’emploi s’est améliorée. Le taux de chômage s’établissait, à la fin de 2007, à 7,5 %, soit une baisse de 0,9 point sur un an. La modernisation du marché du travail représente une évolution capitale pour parvenir au plein emploi, conformément à l’objectif qui a été fixé par le Président de la République. Notre groupe apportera bien évidemment son soutien à cette politique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi est en l’état inacceptable puisqu’il participe d’un long processus, cohérent et rigoureux, de démantèlement du droit du travail !
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Ça commence fort !
Mme Annie David. Au moins les choses sont dites, monsieur le ministre !
En outre, il ne répond en rien aux attentes actuelles du monde du travail s’agissant du fort taux de chômage, du développement de la précarité, du temps partiel subi, des difficultés d’emploi des seniors et des jeunes, de la formation professionnelle, de l’augmentation des salaires !
Cependant, quelques dispositions, positives en apparence, côtoient des mesures inacceptables, mais cela dans le but de faire taire les éventuelles contestations et de vous donner l’occasion, monsieur le ministre, d’affirmer qu’il s’agit d’un texte équilibré, répondant aux revendications des partenaires sociaux et à une philosophie dont le Parlement ne saurait défaire la trame.
Tel est le cas de l’abrogation du CNE. Pourtant, chacun dans cette enceinte sait bien que cette abrogation résulte non pas de la négociation, mais de différentes jurisprudences et de la condamnation de la France par l’Organisation internationale du travail !
Tel est aussi le cas d’une partie de l’article 4 du projet, qui abaisse la durée d’ancienneté nécessaire dans l’entreprise pour pouvoir prétendre aux indemnités de licenciements. L’absence d’études sur les conséquences de cette mesure sur notre système d’indemnisation du chômage nous fait craindre l’adoption future de mesures de rétorsion, la diminution de la durée d’indemnisation, par exemple. Les négociations qui s’engagent sont, de ce point de vue, des plus importantes. Nous serons vigilants quant à leur déroulement.
En outre, cette disposition, qui permet également de doubler le montant de l’indemnité, doit être considérée avec la plus grande prudence. Ce doublement ne touche en réalité que certains salariés dans la mesure où ceux qui sont licenciés pour motif économique ou pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle bénéficient déjà de ce niveau.
De surcroît, la création d’une indemnité unique entraîne la suppression de la majoration accordée aux salariés licenciés après dix ans d’ancienneté. L’indemnité des uns est donc financée par la baisse des indemnités des autres : l’accord rend moins cher le licenciement des salariés ayant une grande ancienneté !
Monsieur le ministre, nous attendons, comme vous nous l’avez promis en commission, que vous nous indiquiez les grandes lignes du futur décret et que vous confirmiez que cette « anomalie » n’aura existé que le temps du débat parlementaire.
L’article 3 du projet de loi prévoit d’abaisser de trois années à une seule l’ancienneté requise pour bénéficier de l’indemnité complémentaire en cas de maladie.
Cependant, nous nous souvenons des récentes déclarations de Mme Bachelot ou du Président de la République sur une mise à contribution accrue des mutuelles. Nous nous souvenons aussi et surtout des franchises médicales, cet impôt injuste sur la maladie.
Comment dès lors ne pas s’interroger sur la portée réelle de cette mesure ? Entendez-vous ouvrir droit à une protection sociale rabougrie ? Ou bien, et cela n’est pas contradictoire, souhaitez-vous orienter les salariés vers un système d’assurance complémentaire dont le champ de compétences sera, on le devine, considérablement étendu, quitte à accroître les coûts qui pèsent sur les cotisants ?
Les mesures prétendument bénéfiques de ce projet de loi nous inspirent donc de grandes interrogations. Mais ce texte comprend également des dispositions largement insatisfaisantes.
Ainsi en est-il la disposition de l’article 2 qui prévoit que seule une partie de la durée des stages réalisés dans l’entreprise au cours de la dernière année d’études est déduite de la période d’essai. Pourquoi limiter la portée de cette mesure et ne pas prévoir que la durée des stages est intégralement déduite de la période d’essai ? Rien, sur le fond, ne l’interdit. Cela répondrait en outre à une demande réitérée des associations et des organisations représentatives des stagiaires.
Quant à l’article 1er, que dire si ce n’est qu’il se limite à une déclaration de bonnes intentions, tout en légitimant l’existence des emplois précaires, au nom des « impératifs économiques de la mondialisation ». Le fait qu’il retranscrive dans la loi l’article 1er de l’accord national interprofessionnel ne change rien. On peut d’ailleurs se demander pourquoi des organisations syndicales de salariés reprennent les ritournelles patronales : en quoi est-il nécessaire de créer des contrats précaires pour faire face à des besoins certes ponctuels, mais néanmoins prévisibles ? Pourquoi faut-il multiplier le nombre des statuts précaires qui remplissent la même fonction ? Tout cela, bien sûr, en vertu de la mondialisation !
De plus, comment comprendre que vous donniez toute sa valeur à cette pétition de principe alors que, dans le même temps, non seulement vous conservez les trente-sept contrats dérogatoires existants, mais vous en ajoutez même un nouveau, avec l’article 6 du projet de loi ?
Monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs communistes attachent une grande importance au contrat à durée indéterminée. Nous considérons qu’il est utile aux salariés, à l’économie et aux employeurs.
Le CDI est utile aux salariés et à l’économie, car il est un gage d’équilibre et de sécurité. Il est également utile à l’employeur, car la contrepartie de cette sécurité juridique est, toutes les études le prouvent, une productivité supérieure à la moyenne.
C’est pourquoi nous avons déposé sur ce sujet un certain nombre d’amendements. Je regrette que vous n’ayez pas saisi l’occasion de cet article pour reprendre à votre compte les amendements déposés par mon groupe lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, visant à instaurer une sorte de « bonus-malus » applicable aux entreprises en fonction de leurs politiques sociales et salariales.
Voilà un instant, M. le président de la commission des affaires sociales me disait que je n’avais sans doute pas trouvé le bon véhicule pour faire « passer » ces amendements. Peut-être aurai-je plus de chance aujourd’hui ?
À l'instar des organisations représentatives des salariés privés d’emplois, de la CGT et de bon nombre de juristes, nous considérons que cet article ne sera d’aucune efficacité contre la précarisation du salariat, car il n’est nullement contraignant. Autant dire qu’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau !
Au-delà de la doctrine générale qui l’inspire, ce texte a pour réel objet de précariser le monde du travail ou, pour utiliser un terme faisant un meilleur écho à ce projet, de le « flexibiliser » davantage. Il s’agit d’un objectif que nous ne pouvons approuver.
M. Emmanuel Dockès, professeur à l’université de Lyon 2 et directeur de l’Institut d’études du travail de Lyon, considère que ce texte « comprend un certain nombre de régressions qui devraient le faire entrer dans l’histoire comme l’un des plus importants reculs qu’ait eu à connaître le droit du travail français depuis 1945 ».
M. Guy Fischer. Voilà la réalité !
M. Jean-Luc Mélenchon. Absolument !
Mme Annie David. Autant dire que nous récusons votre conception de la « flexicurité à la française », dont les salariés n’auront à connaître que la flexibilité. Ce sera la flexibilité imposée par l’employeur aux salariés, contraints d’accepter un contrat à durée déterminé dont l’échéance est la réalisation d’une mission. Il s’agit de la transposition dans notre droit de l’un des désirs anciens du MEDEF : le recours au « salarié Kleenex », que l’on peut utiliser, exploiter, pressurer et jeter dès lors qu’il a rempli sa mission !
Monsieur le ministre, quelle sécurité sera offerte à ces salariés recrutés sous contrat de mission, alors qu’ils pourront être licenciés à l’issue de la mission – c’est l’objet même du contrat –, mais aussi pendant la période d’essai ainsi qu’à l’occasion des douzième ou vingt-quatrième mois correspondant à la date anniversaire de la conclusion du contrat, voire au dix-huitième mois si l’amendement déposé par le rapporteur est adopté ?
Drôle de conception de la sécurité de l’emploi qui se traduit par la multiplication des occasions légales de rupture sur l’initiative de l’employeur ! Parlons plutôt d’insécurité, cadeau en direction des employeurs, MEDEF et CGPME.
Je n’oublierai pas non plus l’allongement des périodes d’essai, obtenu sous la pression permanente du patronat et insidieuse du Gouvernement. De l’aveu même du représentant du MEDEF devant notre commission – j’ai d’ailleurs trouvé très honnête de sa part qu’il le formule clairement ! –, à partir du moment où le CNE disparaissait, il fallait influer sur la période d’essai.
Cela marque un recul pour les salariés, car aujourd’hui les conventions collectives prévoient des durées de période d’essai d’une semaine à trois mois, suivant la qualification demandée, ce qui correspond à ce qu’il est convenu d’appeler la « durée raisonnable ». On se situe avec l’article 2 du projet de loi bien au-delà du raisonnable, au regard de la finalité de la période d’essai affirmée par l’accord national interprofessionnel, l’ANI !
Alors, de quelle sécurité pour les salariés s’agit-il ?
De celle de percevoir une indemnité de chômage plus importante et plus longue ? Nous savons que non, et je ne reviendrai pas sur l’« offre valable d’emploi » qui va devenir une « offre acceptable d’emploi », nous en avons discuté suffisamment lors de l’examen du texte portant sur la fusion de l’UNEDIC et de l’ANPE. Ce sera d’ailleurs l’objet de prochaines négociations avec les partenaires sociaux, prévues à l’article 18 de l’ANI, l’enjeu étant pour le Gouvernement d’imposer à un salarié licencié d’accepter un emploi moins qualifié, donc moins rémunéré, sous peine de perdre les allocations chômage.
Sans doute s’agit-il plutôt de la sécurité du patronat : celui-ci, une fois encore, dispose d’outils adaptés à sa politique managériale, traduction du libéralisme économique qui transforme les hommes et les femmes composant l’entreprise et faisant sa richesse en simple variable d’ajustement.
Ainsi, grâce à la rupture conventionnelle, qui met à bas quarante ans de construction des protections contre le licenciement arbitraire, les employeurs pourront obtenir légalement qu’un salarié accepte cette rupture plutôt qu’il n’exige un licenciement. Cette disposition n’est nullement créatrice de droits nouveaux pour le salarié : elle existe déjà, comme vous l’avez d’ailleurs rappelé vous-même, monsieur le ministre, ainsi que le rapporteur, devant la commission. Le seul droit nouveau qui aurait pu être créé aurait consisté à donner au salarié un moyen juridique de faire reconnaître ce droit par son employeur. Mais de cela il n’est nullement question, si ce n’est à travers la précision : « d’un commun accord », formule dont toutes et tous ici connaissons la valeur ! L’employeur, au contraire, en raison de l’existence du lien de subordination, dispose de tous les moyens pour imposer cette décision.
Le projet de loi, tout comme l’accord national interprofessionnel lui-même, s’est, de mon point de vue, construit en défaveur des salariés. Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce que vous voudriez nous faire croire, monsieur le ministre, d’un texte équilibré. Les organisations syndicales signataires de l’accord le reconnaissent elles-mêmes et nous invitent à être vigilants lorsque viendront en examen devant le Parlement, notamment, les textes portant sur la formation professionnelle et sur l’indemnisation des salariés privés d’emploi – c’est en cours –, ou encore lors de l’élaboration des nombreux décrets à venir.
Pour mieux comprendre cet accord, il nous faut nous intéresser au contexte dans lequel se sont inscrites les négociations. Il faut nous souvenir – et je comprends que cela vous déplaise, monsieur le ministre, en cette période où le Président de la République dénonce le chantage exercé par certaines entreprises –…
Mme Annie David. …du chantage qui a pesé sur les négociations : soit les syndicats parvenaient à s’entendre avec le patronat, soit le Gouvernement déposait un projet de loi. Les syndicats, ne sachant que trop bien comment le texte serait rédigé, se sont sentis obligés d’accepter de signer l’ANI. Cela a fait dire à Thomas Coutrot, économiste, que la menace planait du vote d’une « loi MEDEF » ; ce sentiment est d’ailleurs partagé par M. François Chérèque, dirigeant de la CFDT – pourtant signataire de l’accord –, pour qui « les documents d’orientation du Gouvernement sont quelque peu directifs ».
Comment ignorer encore que, dès le début de la négociation, vous avez pesé sur son contenu, sur son déroulement, en créant le concept ambigu d’« organisations syndicales responsables », donnant à croire que les syndicats ne trouvent leur légitimité que dans la seule négociation avec le patronat et le Gouvernement ? C’est là une nouvelle raison qui m’incite à ne pas voter le projet de loi, monsieur le ministre : cet accord s’est construit sans consultation des militantes et militants des différents syndicats, par faute de temps puisque, en plus du chantage à la « loi MEDEF », vous avez imposé un rythme infernal pour mener à bien ces négociations – rythme que curieusement, comme le relevait à l’instant ma collègue Christiane Demontès, vous n’avez pas encore voulu imposer pour les discussions sur la pénibilité ou sur l’égalité professionnelle !
Pour conclure, je soulignerai que les récentes déclarations du Président de la République ne nous laissent que peu d’espoirs et amènent une question : pourquoi vouloir flexibiliser un marché du travail français qui ne semble guère rigide ? Car 2,5 millions de salariés en CDD ou en intérim, c’est un record historique ; 800 000 à 900 000 salariés en CDI sont licenciés chaque année. Les licenciements pour motif « personnel » se sont multipliés et représentent désormais les trois quarts des licenciements. Dans neuf cas sur dix, les procédures sont extrêmement simples : un entretien suivi de l’envoi d’une lettre précisant les motifs. Licencier un CDI dans les deux premières années ne coûte quasiment rien ; et ce n’est pas la « mesurette » incluse dans votre projet de loi qui va beaucoup changer les choses !
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici sollicités par le Gouvernement pour valider conforme l’ANI, l’accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail, qu’il présente comme une avancée historique vers la flexisécurité à la française.
Tout d’abord, évoquons la méthode employée.
Que l’on incite les partenaires sociaux à négocier pour définir par le dialogue social des compromis intelligents, tel l’accord interprofessionnel sur la formation, c’est une excellente chose. Mais ce n’est absolument pas cette logique qui a prévalu en ce qui concerne l’ANI !
Première étape : le Président de la République a mis en demeure les salariés d’engager une négociation dont il fixait lui-même les objectifs politiques, le contenu et les échéances, les menaçant même de l’adoption d’une loi au contenu pire pour les salariés en cas de non-accord.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si vous n’êtes pas gentils, la loi sera pire !
M. Jacques Muller. Je me permettrai simplement de rappeler qu’en droit civil la signature d’un contrat sous contrainte entache ce dernier d’un vice de consentement ayant pour conséquence… la nullité du contrat. Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé, et c’est la raison pour laquelle, contrairement à l’accord interprofessionnel sur la formation, l’ANI n’a pas reçu l’aval de l’ensemble des organisations syndicales représentatives.
Deuxième étape : le Gouvernement nous demande aujourd’hui de valider en l’état le texte transposé. En clair, après avoir mis la pression sur les syndicats de salariés, le Gouvernement récidive avec les parlementaires en les invitant à cautionner un texte profondément déséquilibré.
C’est d’abord faire injure à la représentation nationale, qui devient une simple chambre d’enregistrement.
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Ça y est, le mot est lâché !
M. Jacques Muller. C’est également l’empêcher de faire son travail. En effet, le rôle de la loi est de rétablir l’équilibre entre le puissant et le faible, ce qui est dans ce cas précis indispensable puisque le texte présente un déséquilibre inacceptable.
Le projet de loi fait droit à trois revendications principales du patronat : l’allongement de la période d’essai, la création du contrat de mission et la rupture conventionnelle du contrat de travail, sans que soient accordées des contreparties significatives aux salariés.
La rupture conventionnelle du contrat de travail est emblématique du dérapage que l’on nous demande de cautionner : on glisse insensiblement du droit du travail au droit civil, ce qui constitue implicitement une négation du déséquilibre structurel qui prévaut dans la relation entre l’employeur et le salarié, plus particulièrement en situation de crise économique.
J’examinerai plus précisément certaines dispositions du texte.
L’article 2 introduit la codification du régime de la période d’essai, qui jusqu’à présent relevait uniquement des conventions collectives de branche. Les durées d’essai et de renouvellement de toutes les catégories sont ainsi allongées par la loi : elles pourront aller jusqu’à quatre mois pour les ouvriers et huit mois pour les cadres ! Ainsi, alors que, conformément à l’avis du Conseil d’État, les durées définies dans l’ANI devraient être comprises comme des plafonds, le projet de loi oblige toutes les conventions de branche à aligner les périodes d’essai sur ces maxima d’ici au 30 juin 2009 : nous n’avons plus le CNE, mais nous avons l’allongement des périodes d’essai !