M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mon cher collègue, vous citez des exemples ; vous n'avez pas lu le principe général !
M. Jean-Pierre Sueur. Je vais vous répondre en analysant les deux circonstances que l'on nous propose d'ajouter.
La première est très générale. Si j'ai bien compris, il suffit que l'évaluation montre que le recours au contrat de partenariat est « plus avantageux » pour que l'on soit fondé à faire appel à un contrat de partenariat plutôt qu'aux autres formes de marché public qui existent. Mes chers collègues, il s'agit d'un dévoiement de la décision du Conseil constitutionnel, car ce « plus avantageux » est très vague et, en quelque sorte, ne signifie rien.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Pour les deniers publics, c'est intéressant !
M. Éric Doligé. D'un point de vue philosophique, la notion est peut-être difficile à appréhender, mais, sur le plan financier, c'est facile !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Doligé, je suis très intéressé par votre remarque, car, précisément, loin de faire ici de la philosophie, je demande simplement que l'on m'explique comment on prouve qu'un tel système est plus avantageux financièrement, économiquement pour les finances publiques. L'ordonnance prévoit une évaluation préalable. Pour ce qui est de l'État, cette évaluation doit être réalisée soit par la mission présidée par M. de Saint-Pulgent, soit par d'autres organismes agréés par l'État. Rien de tel n'étant prévu pour les collectivités locales, ces dernières peuvent faire appel à tout évaluateur de leur choix.
Mes chers collègues, je veux vous démontrer, et ma tâche sera aisée, qu'il est impossible de prouver que le recours au contrat de partenariat est plus avantageux économiquement et financièrement.
M. Éric Doligé. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. Je m'explique, mon cher collègue.
Prenons le cas d'une collectivité qui opte pour un contrat de partenariat. Dans un premier temps, elle est bénéficiaire d'une réalisation qu'elle ne paie pas : c'est magnifique ! Mais cette même collectivité devra verser un loyer pendant dix ans, vingt ans, trente ans ou quarante ans. Qui, aujourd'hui, en 2008, peut prouver que, dans trente ans, le calcul économique penchera en faveur du contrat de partenariat ? Qui pourra démontrer que les sommes ainsi supportées par la collectivité auront été moindres que si elle avait contracté un emprunt et recouru aux procédures classiques des marchés publics ?
Rien ne permet aujourd'hui de le faire, le nombre des variables indéterminées qui interviendront au cours des trente prochaines années et qui pèseront dans le calcul est bien trop élevé. Quid du coût de l'énergie, du prix de la construction ? Quid des innovations ? Quid des modifications de la fiscalité ou de la législation ?
À celui qui pourra démontrer qu'en l'an 2030 ou en l'an 2040 le contrat de partenariat aura été bénéfique pour la collectivité considérée ou pour l'État, j'adresse toutes mes félicitations, mais je prétends, moi, qu'il ne démontrera rien. Finalement, pour cette fois faire de la philosophie, mes chers collègues, on fait ici le pari, un pari pascalien, que ce sera plus avantageux pour la collectivité.
Donc, je mets en cause ce caractère avantageux ou plus avantageux posé comme le fruit d'une éventuelle démonstration et qui, en fait, n'est qu'une assertion.
J'en viens à la seconde circonstance introduite par le projet de loi.
Il est proposé d'inscrire dans la loi que, jusqu'en 2012, sont urgents les projets relatifs à la police, à la justice, aux implantations du ministère de la défense, aux universités, à l'enseignement, à l'environnement, à la politique de la Ville, aux réalisations urbaines, aux transports, aux hôpitaux, et j'en passe. Franchement, qui peut penser que de tels projets présentent un caractère d'urgence lié à des circonstances imprévisibles ? En réalité, vous organisez clairement le dévoiement de la décision du Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.) Mais oui, mes chers collègues, car tout ou presque serait urgent jusqu'en 2012 !
Madame la ministre, mes chers collègues, le dispositif de ce projet de loi est vraiment très ambigu : soit on en reste à la logique de l'ordonnance de 2004 et ce dispositif est dérogatoire, soit on veut le généraliser de facto, tout en prétendant respecter la logique du Conseil constitutionnel, mais il suffit d'analyser le texte pour constater, c'est patent, que l'on est sorti de cette logique. De surcroît, pour ce qui concerne l'évaluation, personne, vraiment personne, ne peut dire ce qu'il en est.
Puisque nous allons revenir sur tous ces points lors de la discussion des articles, mes chers collègues, je terminerai mon intervention en citant la Cour des comptes, puisqu'elle a eu à examiner quelques réalisations. Chacun reconnaît l'autorité et la hauteur de vues de M. Philippe Séguin. Je tiens donc à citer les propos qu'il a tenus lors de la présentation du rapport public annuel 2008 de la Cour des comptes au Sénat, le 6 février dernier. Selon le Premier président, « le recours à des montages dits ?innovants?, sortes de partenariats public-privé », a pour résultat que « ces ?innovations? ne visent en fait le plus souvent qu'à faire face à l'insuffisance de crédits immédiatement disponibles » et entraînent « des surcoûts très importants pour l'État ». C'est ce que montre, en tout cas, le rapport de la Cour des comptes que nous avons en notre possession.
En ce qui concerne le financement, M. Séguin ajoute que, dans les contrats de partenariat, beaucoup de surcoûts sont liés au fait que « l'on semble avoir oublié que l'État emprunte à un taux plus faible que les sociétés privées auxquelles il est fait appel pour ce type de montage ». Ce n'est pas négligeable, monsieur Doligé, mais je pense que vous allez me répondre et je vous écouterai avec beaucoup d'attention, comme toujours ! (Sourires.)
Je lis avec beaucoup d'intérêt les productions des officines qui démontrent de manière péremptoire que les collectivités ont un intérêt manifeste à recourir à ce type de procédure, mais je constate qu'il ne s'agit en rien de démonstrations ! Quant à moi, je plaide devant vous, mes chers collègues, pour que l'on reconnaisse la spécificité des métiers, comme celui d'architecte : il n'est pas sain que les majors décident de tous les projets d'architecture. Il est sain de pouvoir organiser des concours d'architecture ; il est sain de pouvoir mettre en concurrence les entreprises, qu'il s'agisse de construction, d'entretien, de maintenance ou d'exploitation, comme il est sain de pouvoir mettre en concurrence les banques !
Voyez-vous, mes chers collègues, j'ai l'impression - mais peut-être ai-je tort - de tenir un discours tout à fait libéral par certains aspects...
M. Laurent Béteille, rapporteur. Vous avez encore des efforts à faire !
M. Jean-Pierre Sueur. ... parce que le ressort principal du libéralisme, c'est la concurrence ! (Mme Janine Rozier s'exclame.) Vous contestez le caractère libéral de mon propos, ma chère collègue, mais j'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi !
Le ressort du libéralisme, c'est le respect de la concurrence, qui doit être favorisée au maximum. Si vous prétendez que la concurrence est respectée lorsque trois entités régentent tout et décident de tout pendant trente ans dans la poursuite d'un objectif qui relève manifestement de l'intérêt public, j'y vois, quant à moi, une singulière réduction et un véritable appauvrissement de la concurrence ! Si vous pensez que j'ai tort, expliquez-moi pourquoi.
Ce texte représente un véritable appauvrissement de la concurrence auquel on ne peut consentir que face à des situations complexes, urgentes et imprévues. Dans ces cas-là seulement, il est bon de disposer de tels outils dans la panoplie des dispositifs envisageables. Sinon, je pense que la généralisation de ces procédures exceptionnelles est tout à fait injustifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. M. Sueur, chantre du libéralisme...
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'ai l'impression de m'insinuer dans un dialogue entre nos collègues Sueur et Doligé...
M. Jean-Pierre Sueur. Nous dialoguons souvent !
M. Éric Doligé. Nous vivons ensemble ! (Sourires.)
M. Paul Girod. Nous avons pu, à l'occasion de ces échanges, découvrir la richesse de la vie politique du Loiret. (Nouveaux sourires.)
Je suis d'autant plus confus de venir exprimer dans ce débat quelques idées quelque peu différentes, mais je vais tenter d'expliquer les raisons pour lesquelles je trouve, moi, que ce projet de loi est bon, même si, ici ou là, un certain nombre de corrections ou d'améliorations mériteraient d'y être apportées.
En écoutant les interventions de cet après-midi, à commencer par celle de notre ami du groupe CRC M. Billout, puis celle de M. Sueur, il y a un instant, j'ai eu l'impression que se prolongeait ici le vieux débat qui résumait l'organisation des sociétés humaines à la fatalité de la lutte des classes.
M. Jean-Pierre Sueur. Non, je n'ai jamais dit cela !
M. Paul Girod. Vous ne parlez certes plus de lutte des classes, puisqu'elle est un peu passée de mode - un certain nombre de nos collègues ont mis du temps à s'en apercevoir -...
M. Pierre-Yves Collombat. Dites plutôt « fraternité des classes » !
M. Paul Girod. ... mais de la lutte du bien contre le mal, le bien étant incarné par le public et le mal, par le privé ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Annie David. Ne soyez pas aussi manichéen !
M. Paul Girod. Toute tentative de compromis ou de collaboration entre l'un et l'autre est marquée de l'héritage de la condamnation d'Ève au jardin d'Éden et tout ce qu'on peut dire sur le sujet doit être considéré avec une extrême prudence.
On peut toujours conserver ses positions de principe, mais le rôle des élus, me semble-t-il, consiste à faire en sorte que la gestion des intérêts de notre peuple soit assurée au mieux, le plus efficacement possible.
Mme Annie David. C'est sûr !
M. Paul Girod. Regardons ce qui se fait à l'étranger : nous observons beaucoup d'exemples de collaboration entre les forces économiques du privé et les soucis politiques et altruistes du public.
M. Pierre-Yves Collombat. Il y a quelques résultats intéressants !
M. Paul Girod. Je sais bien que rien n'est comparable d'un pays à l'autre et que, dans notre pays, un certain nombre de dispositions anciennes, telles que la délégation de service public, ont déjà introduit certaines facilités qui peuvent expliquer que ces fameux partenariats public-privé ou contrats de partenariat - selon la nouvelle terminologie - se soient moins développés qu'ailleurs. C'est vrai, mais il n'empêche qu'un certain nombre de réussites observées à l'étranger sont fondées sur l'idée que des complémentarités existent entre les deux secteurs. Peut-être faut-il faire un effort pour les trouver, tout en examinant les difficultés que pourrait soulever l'application du texte qui nous est présenté.
Certaines de ces difficultés sont véritables, en particulier celles que rencontrent les PME pour trouver leur place dans ce système : un certain nombre de dispositions réglementaires devront être envisagées pour que les PME puissent être présentes dans les réalisations résultant de contrats de partenariat.
Le projet de loi soulève un autre problème et la commission des lois, me semble-t-il, l'a convenablement résolu : il s'agit du désengagement - autrement dit, de la cession de créance - du partenaire privé en cours de contrat. La solution proposée par le rapporteur de la commission des lois me paraît raisonnable, et ce n'est pas parce qu'elle date de notre ami Étienne Dailly qu'elle devrait être rejetée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Puisque ça marche !
M. Paul Girod. Outre le fait qu'il est l'un de ceux qui m'ont guidé dans cette maison, et le président de la commission des lois l'a également bien connu pour des raisons évidentes, Étienne Dailly savait de quoi il parlait en matière de pactes financiers. Je pense donc que la solution de la « cession Dailly » est intéressante.
Mais - je monte tout doucement dans l'échelle des difficultés - il est une objection qui me soucie plus, dans la mesure où j'ai l'honneur d'être le rapporteur spécial de la dette publique et du service de la dette au sein de la commission des finances : il s'agit du problème de la consolidation.
On peut concevoir, il est vrai, le partenariat public-privé comme un paravent destiné à dissimuler aux autorités européennes la réalité du montant de la dette publique. Sur cette question, l'office statistique de la Commission européenne, Eurostat, a rendu une sorte de jugement de Salomon, pas toujours convaincant dans la totalité de ses considérants, disant qu'à partir de l'instant où l'essentiel des risques est supporté par le partenaire privé, les engagements ne relèvent pas de la dette publique, mais que, si l'essentiel des risques est du côté public, ces engagements doivent être intégrés à la dette publique, avec la prise en compte d'une notion de performance... Très honnêtement, madame la ministre, je ne suis pas absolument certain que les décisions d'Eurostat offrent une base suffisante qui nous garantisse d'échapper à certains procès d'intention !
Je souhaite donc que l'on puisse disposer, hors bilan de l'État, d'un état régulier des engagements de celui-ci. Ce souci est encore plus grand lorsqu'il s'agit de partenariats souscrits par des collectivités territoriales : je souhaite là très ardemment que les textes réglementaires définissent de quelle manière une collectivité territoriale sera amenée à présenter à l'ensemble de ses mandants, hors compte administratif, notamment la réalité et la totalité de ses engagements ainsi que leur durée, afin qu'une publicité minimale soit respectée.
Je voudrais en revenir à l'essence même de la nécessité du partenariat public-privé, et vous faire part d'une réflexion tirée de l'expérience que j'ai vécue. Je suis malheureusement obligé d'évoquer ici - il faut choisir les mots avec prudence - ce que j'ose à peine appeler la suffisance de certaines de nos administrations qui, notamment parce qu'elles sont des services de l'État, pensent qu'elles savent tout, sont capables de tout concevoir et que le reste ne relève plus que de modalités d'exécution, comme le choix d'un architecte, notamment. Cette prétention est infondée et c'est sur ce point que je m'oppose totalement à notre collègue Jean-Pierre Sueur !
La preuve est très facile à apporter lorsqu'une collectivité territoriale s'attelle à une oeuvre très originale pour elle, par sa dimension ou par le domaine d'intervention dans lequel elle veut se lancer. Dans ces cas-là, il n'est pas vrai que nos administrations disposent des compétences nécessaires pour faire face à tous les types d'investissement ou à tous les types de programme qui nécessitent, pendant des années et des années, un entretien, des innovations permanentes, entre autres choses.
Je fais plus confiance aux entreprises, exposées en permanence à la concurrence et au marché international, pour avoir la souplesse d'esprit et l'inventivité qui permettent l'adaptation à une situation évolutive et pour présenter aux collectivités publiques - et en collaboration avec elles - un certain nombre de solutions originales que celles-ci seraient incapables de concevoir ni de mettre en oeuvre de manière autonome. C'est vrai pour l'État, je pourrais vous donner quelques exemples que j'ai vécus, mais c'est vrai aussi pour les collectivités territoriales.
Récemment, notre ami Gérard Larcher nous donnait l'exemple de sa commune de Rambouillet qui, souhaitant réaliser un équipement culturel de grande importance, ne peut y parvenir avec les moyens de ses seuls services, si compétents soient-ils. Ou alors, cela signifierait qu'une collectivité territoriale qui a l'ambition de développer un projet original par son ampleur et son objet est tenue de recourir à la tutelle de l'État pour y parvenir : cela n'est pas compatible avec l'esprit dans lequel nous concevons la décentralisation !
Je suis donc de ceux qui pensent que ce système de contrats de partenariat, élargi, assoupli, peut ouvrir à nos collectivités locales comme à l'État un certain nombre de possibilités d'action que, pour des raisons non strictement budgétaires, elles ne pourraient pas envisager sans ce texte.
Madame la ministre, vous aurez le soutien du groupe auquel j'appartiens pour faire en sorte que cette réforme que vous souhaitez et qui va dans le bons sens - peut-être améliorée sur un certain nombre de points importants par le travail des commissions ou par l'apport de tel ou tel de nos collègues - puisse voir le jour le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand on considère le nombre et la variété des possibilités offertes aux partenaires publics et privés de nouer des liens contractuels, des plus anciens, banals et balisés, comme les marchés publics, les délégations de service public, les sociétés d'économie mixte, les baux emphytéotiques - et j'en passe - aux plus acrobatiques, telle « l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public assortie d'une convention de location » qui vient, comme l'a rappelé Jean-Pierre Sueur, d'avoir les honneurs du rapport de la Cour des comptes ; quand on parcourt la liste des opérations en cours ayant fait l'objet d'un contrat de partenariat au sens de l'ordonnance de 2004, qui vont de la construction de collèges, de réseaux d'éclairage public ou de fourniture d'énergie à un hôpital - opérations routinières s'il en est - à des projets aussi complexes que le grand stade de Lille, pour des montants qui s'échelonnent de 2 à 765 millions d'euros, on peut se demander s'il est nécessaire d'étendre à d'autres situations que celles caractérisées par l'urgence et la complexité l'usage de ce type de partenariat !
La réponse à cette question est suggérée dans le projet de loi : pourquoi se priver de recourir à une telle formule quand elle présente « un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d'autres contrats de la commande publique » ? Imparable ! Vive donc la modernisation et l'innovation juridique !
À cela près que, comme l'a dit Jean-Pierre Sueur, un tel bilan comparatif est illusoire. Tout au plus, une fois prise la décision politique de recourir à un contrat de partenariat plutôt qu'à une autre formule, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai, peut-on tenter d'établir le coût final du montage pour la collectivité, sans possibilité sérieuse d'y parvenir lorsque les situations sont très complexes et les engagements de très longue durée.
Le biais rédhibitoire de ces études, c'est qu'elles comparent, dans un environnement dont on ne sait comment il va évoluer, l'option du PPP à une autre solution hypothétique, pour laquelle on ne dispose d'aucune donnée. Et puis, que compare-t-on ? Par exemple, s'agissant de la construction et de l'exploitation d'un hôpital, les seuls prix de journée, ou ceux-ci eu égard à la qualité des soins et à la qualification du personnel employé ?
De tels bilans sont aussi sérieux que ceux qui montraient, voilà une vingtaine d'années, la supériorité de la gestion déléguée du service public de l'eau sur sa gestion en régie. Avec le recul, on sait à quoi s'en tenir sur ce point, mais le but a été atteint : le marché français de l'eau est à 72 % confié à des opérateurs privés, ce qui est, paraît-il, l'un des taux les plus élevés au monde.
Ces bilans sont aussi sérieux que l'étaient la certification des comptes d'Enron par le cabinet Andersen, la certification de ceux de L&H par le cabinet KPMG ou la notation des « paquets » de titres par les agences internationales les plus prestigieuses, comme vient de le montrer la crise des subprimes.
Avant d'inventer de nouvelles formes de partenariat public-privé, la logique voudrait que l'on procède à une évaluation des formules existantes.
En France, le recul est insuffisant pour que l'on puisse le faire sérieusement. Là où les partenariats public-privé « new look » sont utilisés depuis longtemps, au Royaume-Uni notamment, les jugements sont pour le moins partagés. La littérature et les sites officiels - du gouvernement et des grands groupes privés - vantent évidemment les mérites des partenariats public-privé ; ailleurs on les tient pour des opérations risquées, onéreuses, rendant aux usagers un service de moindre qualité.
Si l'on ajoute à cela que la France, comme l'a rappelé tout à l'heure Charles Guené, ne souffre pas d'un manque d'investissements publics, il devient clair que la volonté d'étendre le champ d'application des PPP ne procède pas d'une démarche technique. La modernisation a bon dos ! Beaucoup de formules éprouvées existent déjà, et les nouvelles représentent encore un pari. La raison de cette volonté d'extension des PPP est non pas technique mais idéologique, pour ne pas dire quasiment théologique. Je m'explique.
Certains orateurs l'ont déjà souligné, les PPP ont d'abord le pouvoir incomparable de transformer la mauvaise dette publique en inoffensive dette privée - inoffensive tant que l'édifice tient debout, évidemment, mais qu'en sera-t-il à l'issue de la crise actuelle ? En l'absence d'urgence ou de complexité du projet, la vertu essentielle des PPP est et demeure de permettre d'améliorer le ratio national d'endettement et de calmer Bruxelles, ce qui n'est tout de même pas un mince avantage. Cela représente 10 milliards d'euros de gagnés à cet égard, nous a dit M. Charles Guené.
Pour les collectivités territoriales aussi, le PPP est un moyen de limiter la dégradation de leur ratio d'endettement et de réduire les inconvénients correspondants, notamment en période d'élections. Si remplacer des charges de remboursement d'emprunt par des frais de fonctionnement ne change rien à la situation financière réelle des collectivités territoriales ou de l'État, le « look » est bien meilleur, et surtout la vulgate idéologique est honorée.
Selon les « tables de la loi », en effet, les acteurs privés font forcément mieux que les acteurs publics. Cela nous a été encore affirmé tout à l'heure. La gestion privée est, par essence, plus efficace que la gestion publique. Il faut donc réduire au minimum le champ d'action de cette dernière, et les PPP constituent un instrument adapté à cette fin.
Les incroyants, dont je suis, ont certes du mal à comprendre comment des opérateurs qui empruntent à des taux plus élevés que les personnes publiques, qui supportent des frais de structure importants, qui doivent distribuer des dividendes à des actionnaires de plus en plus gourmands et des rémunérations à la hauteur des compétences hors normes de leurs dirigeants, qui, dans le cas des PPP, se font payer au prix fort pour les risques qu'ils acceptent de prendre peuvent, au final, obtenir des coûts de gestion inférieurs à ceux des opérateurs publics. S'ils ne comprennent pas, c'est précisément parce que ce sont des incroyants. S'ils ne l'étaient pas, ils « sauraient », ce qui les dispenserait de comprendre et de s'épuiser à interroger les faits. Ce n'est pas aux faits de justifier la doctrine, c'est à la doctrine de dire le fait.
Ainsi, en juillet 2001, Andrew Smith, alors Chief Secretary to the Treasury au pays des merveilles des PPP, déclarait devant la Chambre des communes que, selon un rapport du National Audit Office intitulé PFI and value for money, c'est-à-dire PPP et compétitivité, les partenariats public-privé, objet de tous les soins du Gouvernement, permettaient de faire une économie de 20 % par rapport aux autres formules de gestion du service public. Fâcheusement, il apparut qu'un tel rapport comparatif de synthèse n'existait pas ; le ministre l'avait tout simplement inventé et s'était contenté de citer deux rapports favorables aux PPP, dont l'un avait été rédigé par le cabinet Arthur Andersen, avant qu'il ne ferme boutique, en ignorant les études qui leur étaient défavorables.
La vérité, dira un député de l'opposition, est que les PPP n'apportent pas plus d'avantages au service public, sont souvent plus coûteux et aboutissent à la fourniture d'un service de moindre qualité.
J'ai donc tendance à douter qu'ils auraient eu jadis la faveur de Colbert, dont vous avez invoqué les mânes, madame la ministre. Vous aurez d'ailleurs noté que, derrière moi, il est resté de marbre ! (Sourires.)
La banalisation des PPP n'a en tout cas pas notre faveur, comme vous l'a déjà dit mon collègue Jean-Pierre Sueur et comme je me suis efforcé de vous l'expliquer une nouvelle fois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'avais préparé quelques notes en vue de vous faire part de mon opinion sur les partenariats public-privé, mais les propos que j'ai entendus jusqu'à présent m'ayant souvent « hérissé le poil », je m'en écarterai quelque peu pour leur répondre !
Je suis à peu près persuadé que tous ceux qui se sont exprimés n'ont jamais expérimenté le partenariat public-privé, ne sont donc pas entrés dans le détail du mécanisme pour voir comment il fonctionne et pour appréhender les difficultés et les avantages du dispositif.
Je voudrais tout de même rappeler que notre pays, comme beaucoup d'autres, évolue dans une conjoncture internationale et dans un environnement particulièrement difficiles et qu'il est de notre responsabilité d'élus d'explorer toutes les voies pouvant permettre d'améliorer la situation et, si possible, de conduire à des économies et d'accélérer les procédures.
Je pense que nous n'avons pas vraiment, dans notre société, le sentiment de l'écoulement du temps. Or le temps, c'est de l'argent ! Quand il faut de cinq à sept ans pour construire un collège alors que cela pourrait être fait en trois ans, quand la réalisation d'une route prend de quinze à vingt ans alors qu'elle devrait être achevée en cinq ou dix ans, cela engendre un coût non seulement financier, mais aussi administratif, qui est considérable. De surcroît, cela a une incidence au regard de l'aménagement de notre territoire, qui perd de sa compétitivité par rapport à d'autres. Si nous observons bien notre société, nous constatons l'existence d'un certain nombre de difficultés que nous devons surmonter.
Mme la ministre a déclaré, dans son intervention liminaire, qu'il faut moderniser notre économie corporelle et incorporelle. C'est effectivement, à mon sens, un vrai problème. Or en abordant le thème du PPP, nous entrons véritablement dans la modernisation de notre économie incorporelle.
À ce propos, je voudrais relativiser des chiffres qui ont été donnés tout à l'heure. Il est vrai que 73 % des 60 milliards d'euros annuels d'investissements publics proviennent des collectivités territoriales. Cela représente certes des sommes très importantes, mais l'objectif visé, comme cela a été dit lors de différentes réunions de commission, est que la part des PPP atteigne 15 % du montant total. En conséquence, les 60 milliards d'euros que j'évoquais à l'instant ne constituant qu'un sixième de l'investissement à l'échelon national, ce n'est que de 2,5 % de ce dernier dont il s'agit ici. Voyez donc de quoi nous discutons aujourd'hui !
Je trouve quelque peu dommage de consacrer du temps à saisir le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État sur un sujet qui ne représentera, à terme, que 2,5 % de l'investissement national. J'estime qu'il y a mieux à faire.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Éric Doligé. Par ailleurs, je comprends fort bien le lobbying des architectes : il est normal. On se plaignait récemment dans la presse que les parlementaires soient approchés par tels ou tels lobbyistes représentant des professions souhaitant que nous les prenions en considération et que nous les protégions. De telles démarches me semblent légitimes, mais il faut aussi, à mon sens, protéger le citoyen en modérant les coûts. La réalité indépassable, c'est le coût de ce que l'on fait.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Éric Doligé. Certains orateurs ont pris l'exemple de réalisations à l'horizon de trente à quarante ans, disant qu'il était impossible de prouver quoi que ce soit à cette échelle de temps. Peut-être, mais le PPP n'est pas conçu pour que toutes les opérations soient à échéance aussi lointaine.
À cet instant, je voudrais évoquer un exemple qui me paraît intéressant, bien qu'un peu délicat parce que le tribunal administratif doit se prononcer sur cette opération. Cela étant, le collège en question est construit, il est en service, on ne le fera pas raser et donc tout va bien hormis ce problème administratif. Je vous invite d'ailleurs, très amicalement, monsieur Sueur, à faire un stage au conseil général du Loiret, invitation que j'ai adressée également à M. Attali, qui en aurait bien besoin ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il en a plus besoin que moi ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Attali, c'est pourtant la modernisation !
M. Éric Doligé. L'exemple que je vais donc vous présenter me semble assez parlant. J'ai fait construire parallèlement deux collèges, le premier ayant fait l'objet d'un partenariat public-privé, le second, de même capacité, étant réalisé selon le schéma classique.
Le premier collège est achevé. Il est ouvert depuis la rentrée de septembre 2007. Le second collège ouvrira ses portes, si tout va bien et que nous ne rencontrons pas d'obstacle tel que par exemple un appel d'offres déclaré infructueux, à la rentrée de 2009 : deux ans plus tard donc, alors que les deux projets ont été lancés en même temps.
Par ailleurs, si les coûts de réalisation des deux collèges sont équivalents, dans le premier cas sont inclus, pour la durée du contrat et pour le même prix, l'entretien, la fourniture des fluides, les impôts, la maintenance, le chauffage et le gardiennage : le collège qui ouvrira en 2009 coûtera au conseil général environ 20 millions d'euros, l'autre 21 millions d'euros sur dix ans, soit 2,1 millions d'euros par an tout compris. Je peux vous dire que l'économie aujourd'hui démontrée est de 15 %.
Les citoyens devraient, me semble-t-il, être satisfaits d'une telle économie, car ils nous élisent afin que nous employions le mieux possible les deniers qu'ils mettent à notre disposition. De surcroît, nous avons rendu service à la communauté éducative, aux élèves, en un mot nous avons amélioré la situation scolaire.
Je ne voudrais pas prolonger exagérément mon intervention, mais je tiens à revenir sur les propos tenus tout à l'heure par M. Collombat, qui a affirmé que le partenariat public-privé relevait de l'idéologie. Eh bien non ! il s'agit de la réalité économique du terrain : ce dispositif nous permet d'essayer de faire le plus possible avec les moyens dont nous disposons, en dépensant le moins possible. Je peux vous dire que la comparaison entre les deux établissements que j'ai évoqués est à l'avantage de celui qui a fait l'objet d'un partenariat public-privé, dont la réalisation est d'une qualité exceptionnelle.
Pour conclure, j'énumérerai un certain nombre d'avantages du partenariat public-privé que j'ai pu relever et qu'il me paraît intéressant de préciser. J'espère que le tribunal administratif m'entendra, on ne sait jamais ! (Sourires.)
Le coût du collège et de l'internat - c'était la première fois que nous réalisions un collège doté d'un internat, l'opération était donc assez complexe - construits dans le cadre d'un PPP était inférieur de 11 %, et même de 15 % à la suite des révisions de prix, à celui de la réalisation du collège de Courtenay.
Le risque de non-livraison à l'échéance prévue est entièrement supporté par le partenaire privé. C'est un point important : en termes de responsabilité, lorsqu'une entreprise privée construit un collège, tout doit être prêt pour la rentrée scolaire, alors que, dans le public, on ne fait qu'essayer d'y parvenir.
La disponibilité immédiate sur le site de l'entreprise permet d'assurer une maintenance courante et les travaux d'entretien, y compris des espaces verts. Pour l'entretien d'un collège, une entreprise privée va s'arranger pour atteindre l'objectif qui lui est fixé, alors que, dans le public, un tel résultat ne peut pas toujours être garanti si les moyens en personnel ne sont pas suffisants. Les règles ne sont pas les mêmes.
Le gardiennage du site est assuré tout au long de l'année, alors que, pour un collège classique, ce n'est le cas que pendant la période scolaire.
Enfin, la qualité du projet ainsi que celle des matériaux et procédés de construction utilisés reflètent l'engagement du partenaire à long terme et son implication dans le choix de la durabilité.
Je vais vous narrer une petite anecdote, pour égayer quelque peu les travaux de notre assemblée.
Dans mon département, lorsque j'ai annoncé, lors de la réunion annuelle des principaux de collège, le projet de collège en PPP, beaucoup ont crié au scandale : le privé allait intervenir dans un domaine public et, qui plus est, dans l'éducation nationale ! L'année suivante, lorsque les principaux ont appris que le collège en question serait repeint au bout de cinq ans, la façade ravalée et la toiture remise à neuf au bout de dix ans, comme le prévoit le contrat, ils voulaient tous que des PPP soient lancés pour leurs établissements. Et pourtant, ils n'étaient pas tous de ma sensibilité politique ! Ils ont donc certainement été quelque peu convaincus.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Sueur, je vous invite à venir faire un stage dans mon département : cela permettrait peut-être de rapprocher nos points de vue ! (Sourires.)
Madame la ministre, les orientations que vous avez prises dans ce texte vont tout à fait dans le sens que l'on pouvait souhaiter : aux deux voies classiques de recours au PPP, s'ajoutent deux voies supplémentaires qui me paraissent indispensables.
La situation actuelle montre bien que le régime des PPP souffre de quelques difficultés d'appréciation. Il ne faut pas, par exemple, en rester à la notion d'urgence telle qu'on la définissait après la guerre, c'est-à-dire lorsqu'il y a un risque que le bâtiment s'effondre. Aujourd'hui, notre société est confrontée à d'autres formes d'urgences, notamment en termes de qualité ou de services. Je souhaite donc que votre texte soit voté en totalité, avec les quelques petites améliorations qui permettront d'éviter certaines difficultés.
Pour conclure, j'espère que le collège du Loiret sera classé au patrimoine de l'humanité, puisque j'ai cru comprendre que, pour en faire partie, c'est l'originalité - dans ce cas, dans le choix des procédures - qui prime ! (Sourires.) Mon collège est en effet le premier de France à avoir été construit en PPP. J'ai été à cet égard très vexé que vous ne l'ayez pas mentionné dans votre propos liminaire, mais je continuerai à le citer en exemple, en espérant qu'un jour vous ferez état des réalisations de mon département ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)