M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC.)
M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, en premier lieu, il y a la forme : le Gouvernement avait d'abord refusé le débat ; or l'isolement de l'exécutif n'est pas un bon signe quand il s'agit de l'engagement de nos militaires.
Le Président Sarkozy lui-même semble avoir changé de position, puisque, pendant la campagne électorale présidentielle, il avait évoqué l'idée d'un retrait des 1 100 militaires français engagés en Afghanistan : « Il était certainement utile qu'on les envoie dans la mesure où il y avait un combat contre le terrorisme. Mais la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. »
Aujourd'hui, il fait volte-face, en annonçant un renforcement de nos troupes en Afghanistan, annonce qui, faite à l'étranger, est en outre une faute politique. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Nous arrivons ainsi à deux petites heures de débat, avec seulement vingt minutes pour l'opposition, et sans vote ; une litanie de discours sans véritable débat puisque nous ne pouvons même pas répondre à vos arguments.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Il ne fallait pas le demander !
M. Didier Boulaud. Lionel Jospin, malgré vos affirmations, était certes venu devant le Parlement avec une déclaration solennelle, ...
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Pas ici !
M. Didier Boulaud. ... mais c'est seulement la cohabitation qui avait alors fait obstacle au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.- Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. C'est ridicule
M. Didier Boulaud. La vérité dérange, bien sûr ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Boulaud !
M. Didier Boulaud. En Afghanistan, il y a une guerre ; si le Président de la République en avait la volonté, il pourrait, comme François Mitterrand en 1991, demander un vote du Parlement.
Nous aurions pu éviter les polémiques inutiles si le Parlement avait été respecté dans sa fonction de contrôle de l'exécutif.
M. Dominique Braye. Avec vous, ce n'est pas possible !
M. Didier Boulaud. Ainsi, le 25 mars dernier, le ministre des affaires étrangères avait indiqué aux parlementaires que « la nature du renforcement [des troupes françaises] n'était pas encore décidée, mais qu'elle serait très certainement précisée lors du prochain sommet de l'OTAN, qui se tiendra du 2 au 4 avril à Bucarest, et de la conférence des donateurs le 12 juin prochain ».
Or, le lendemain, 26 mars, le président Sarkozy faisait son désormais célèbre discours de Westminster, en annonçant au parlement britannique ce que vous avez caché au parlement français.
M. Didier Boulaud. La méthode est détestable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Un débat de quelques dizaines de minutes pour traiter une telle question, dont la gravité, la dangerosité et la lourdeur des conséquences n'échappent à personne, est une gageure.
Mais c'est surtout un manque de respect à l'égard des hommes et des femmes qui pourraient aller, au péril de leur vie, défier les dangers d'une situation afghane complexe et dangereuse.
M. Didier Boulaud. En second lieu, il y a le fond : pourquoi une telle décision et pourquoi maintenant ? Quelle stratégie sous-tend cette évolution ?
À plusieurs reprises, les États-Unis et l'OTAN ont souhaité, depuis 2005, un accroissement de la présence militaire française. Sans avouer un rejet frontal de ces demandes, les gouvernements successifs de la droite ont tergiversé, concédé un peu, sans toutefois accorder ce qui leur était demandé. Pourquoi dire oui aujourd'hui et avoir dit non hier et avant-hier ? Qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi vouloir transformer ainsi la position de la France ? Y-a-t-il un lien entre cette décision et la tentation de réintégration de notre pays dans la structure militaire de l'OTAN ?
M. Robert Bret. Oui !
M. Didier Boulaud. Cette décision découle-t-elle de la situation militaire et du rapport des forces sur place ? Ou alors, s'agit-il d'une évolution qui dépasse le dossier afghan pour se situer dans une rupture de la stratégie de notre pays, allant dans le sens d'un alignement croissant avec la politique unilatéraliste du président Bush ? Si tel est le cas, nous vous le disons tout net : vous faites fausse route !
Avant tout envoi de troupes supplémentaires, nous avons droit à un bilan précis, approfondi et complet de la situation en Afghanistan depuis 2005.
La situation militaire en Afghanistan nous incite à redoubler de prudence et à ne pas poursuivre des stratégies qui ont montré leurs limites depuis 2002. Le simple débat d'aujourd'hui ne peut pas tenir lieu de réflexion sur la stratégie à conduire dans ce pays et notamment sur les modalités d'une implication croissante des Afghans eux-mêmes dans le processus politique et militaire.
Si l'on en croit les ministres, cette réflexion aurait lieu à Bucarest, début avril, et lors de la Conférence des donateurs. Cela s'appelle mettre la charrue avant les boeufs, puisque le Président a déjà annoncé que la France renforcerait sa présence militaire.
M. Didier Boulaud. Le ministre de la défense a expliqué que des « préalables » avaient été fixés par le président Sarkozy. De quoi s'agit-il ? De notre place au sein de l'Alliance atlantique ? De la réintégration au sein de la structure militaire de l'OTAN ? De la place et du rôle de la défense européenne ? S'agit-il de « préalables ou de « conditions » ? Ou est-ce un simple habillage destiné à faire « passer » un alignement croissant derrière le leadership nord-américain ?
Le récent voyage du Président de la République en Grande-Bretagne éveille déjà les soupçons de la mise en oeuvre d'une « nouvelle politique étrangère » : plus atlantiste, avec une priorité affichée aux relations avec la Grande-Bretagne, au détriment de notre partenariat historique avec l'Allemagne.
Doit-on conclure que la vision de l'avenir de l'Union européenne, exprimée par la majorité, tend à épouser désormais les thèses britanniques ?
Allons-nous dorénavant taire nos différences, dissimuler nos jugements sur des stratégies qui sont en train de faillir ?
Certes, la communauté internationale doit encore honorer ses engagements envers la sécurité et la stabilité futures de l'Afghanistan. La situation en Afghanistan n'incite pas à l'optimisme. C'est toute la stratégie de « guerre au terrorisme » conçue par George Bush qui est en échec puisque, malgré la présence de 20 000 GI's et d'environ 50 000 hommes de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, les militaires ne parviennent pas à contenir l'insurrection islamiste qui contrôle de nouveau une bonne partie du pays que tente de gouverner Hamid Karzaï. Les objectifs de novembre 2001 sont loin d'être atteints.
D'autres conflits se sont aggravés, en Irak par exemple ; la paix au Proche-Orient et la création d'un État palestinien sont ajournées sine die ; la seule préoccupation du gouvernement français serait-elle de répondre aux exigences du président Bush ?
L'engagement doit avoir une cohérence européenne. Avant de poursuivre sur la voie de l'escalade annoncée, une concertation urgente doit avoir lieu au sein de l'Union européenne. La France doit s'inscrire résolument dans une démarche européenne et non unilatérale en matière d'action extérieure, y compris militaire.
Bien entendu, nous exprimons notre plein soutien aux forces européennes engagées dans la FIAS placée sous commandement de l'OTAN, et déployées en Afghanistan.
Dans la lutte contre le terrorisme la France, depuis 2001, a montré sa disponibilité et sa volonté de mener à bien un combat sans faille contre ce fléau.
Ce combat doit avoir lieu en analysant, chaque fois que nécessaire, l'évolution de la situation et en tirant les leçons des erreurs commises. Notre autonomie de décision est à ce prix et doit être garantie.
La France a déployé 1 600 soldats sur le sol afghan et 2 200 au total sur ce théâtre d'opérations, avec les unités présentes dans les pays voisins et l'océan Indien. Au stade actuel de la discussion, toute présence supplémentaire de forces françaises en Afghanistan serait une erreur.
La politique menée dans ce pays, sous la forte influence de la puissance nord-américaine, est un échec. En conséquence, nous réclamons, au moment même où l'enlisement dans le bourbier afghan est une réalité, le maximum de garanties pour nos soldats, auxquels il convient de rendre hommage pour le courage dont ils font preuve.
M. Jacques Valade. Ah, tout de même !
M. Didier Boulaud. En étroite concertation avec les forces de la communauté internationale, mais sans soumission, sans alignement sur des politiques qui ont failli, nous devons reconsidérer l'action menée en Afghanistan. C'est toute la stratégie politique et militaire en Afghanistan qu'il faut revoir.
Quelle est la situation actuelle en Afghanistan après plus de six années de guerre ? Parce que c'est d'une guerre qu'il faut parler et non pas d'une opération de sécurité, comme je l'ai entendu encore ce matin ! Une information récente parue dans la presse internationale indique que « le président Hamid Karzaï va faire appel aux milices pour rétablir la sécurité en Afghanistan. L'armée nationale afghane ne compte en effet que 30 000 hommes, au lieu des 86 000 prévus fin 2007 ».
Quel aveu d'échec alors que ces milices avaient été officiellement démantelées en 2003 !
C'est l'impuissance de l'armée afghane à bloquer l'accroissement de la violence sur place et notamment les attentats contre les populations civiles. Le terrorisme taliban ne cesse d'augmenter depuis 2005.
Cette situation extrêmement complexe a un coût énorme en vies humaines, et aussi un coût économique. Ces engagements, civils et militaires, sont onéreux ; les États-Unis, qui s'escriment à garder, directement ou via l'OTAN, la maîtrise politique et stratégique du processus afghan, veulent, en revanche, partager le fardeau économique avec les alliés, avec la communauté internationale.
Il s'agit d'une guerre asymétrique, et, pour l'occasion, les stratégies militaires sont à revoir. Les meilleurs matériels du monde, les techniques les plus sophistiquées et les budgets colossaux sont face à des combattants décidés, fanatisés, certes, mais à l'armement plus rudimentaire, aux techniques parfois artisanales et, en tout état de cause, aux performances technologiques largement inferieures à celles qui sont déployées par les alliés.
On doit donc se poser des questions sur la manière de mener ce conflit, sur les conditions dans lesquelles il se déroule, ainsi que sur la confusion existant parfois, dans le sud et l'est de ce pays, entre les missions et les actions de la FIAS-OTAN et celles de la coalition « Liberté immuable ».
Quant à la drogue, aux plantations d'opium, à la production d'héroïne, elles règlent l'économie du pays : va-t-on les combattre avec des avions, des drones et des missiles ?
Et le Pakistan ? Il est, d'une part, l'allié majeur des États-Unis et, d'autre part, doté de la force nucléaire. Peut-on envisager d'apporter des réponses et des solutions aux problèmes dont il souffre sans aborder la complexe réalité pakistanaise ?
La résolution des problèmes de sécurité de l'Afghanistan nécessite en conséquence un engagement politique ouvert et franc avec les voisins géographiques de cet État, notamment l'Inde et le Pakistan.
Nous savons que la crédibilité de l'action de l'OTAN en Afghanistan dépend non seulement des capacités militaires, mais aussi des progrès rapides de la reconstruction économique et sociale.
La croissance de l'insurrection trahit un échec collectif à s'attaquer aux racines de la violence. Six ans après l'éviction du régime taliban, la communauté internationale peine à se mettre d'accord sur ce qu'il faut faire pour stabiliser le pays et à fixer un ensemble d'objectifs communs.
Les États-Unis, qui exigent un plus grand engagement de la part des alliés, doivent prendre conscience de ce que leurs actions unilatérales affaiblissent la volonté des autres.
À côté de la lutte contre le terrorisme, le développement social et économique ne serait-il pas la clé du début d'une solution ? La misère est le terreau où prolifère le terrorisme. L'amélioration de la gouvernance en Afghanistan, la meilleure coordination de l'ensemble des moyens mis en oeuvre par les institutions internationales et un plan global et efficace de lutte contre le narcotrafic sont des tâches auxquelles la communauté internationale ne peut pas se soustraire.
La France doit apporter sa contribution et favoriser, à l'occasion de sa présidence de l'Union européenne, la prise de conscience de cette dernière en ce sens.
En conclusion, monsieur le Premier ministre, faut-il combattre les talibans ? Oui ! (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Faut-il contribuer à lutter contre l'extrémisme religieux, politique, en Afghanistan ? Oui ! (Ah ! sur les mêmes travées.)
Faut-il soutenir l'essor, fragile et limité, de la démocratie en Afghanistan ? (Oui ! sur les mêmes travées.) Oui, mais pas avec la méthode actuelle. Changer de stratégie est une nécessité !
M. Dominique Braye. Finalement, c'est une question de méthode !
M. Didier Boulaud. La résolution de la situation en Afghanistan est d'abord une affaire de sécurité collective, à l'échelle mondiale. S'impliquer davantage ne doit pas être un tabou, mais nous savons aussi que la présence internationale en Afghanistan ne saurait durer indéfiniment. La nature de l'engagement de nos troupes doit répondre à des perspectives politiques de sortie et de résolution du conflit. Il faut élaborer une politique globale de rechange.
Il faut remettre l'ONU au centre de l'intervention politique en Afghanistan, tout d'abord en lui donnant la responsabilité de la coordination des efforts internationaux dans les domaines de la justice et de la gouvernance régionale en soutien des pouvoirs locaux légitimes et dans le respect des prérogatives de l'État afghan souverain. La lutte contre l'économie de la drogue pourrait aussi relever de l'ONU et de ses agences.
Certes, nous devons travailler à assurer la stabilité et la sécurité du peuple afghan et veiller à ce que la présence militaire internationale ne soit pas la seule solution ; nous devons également définir des stratégies politiques, économiques et sociales d'assistance au développement de l'Afghanistan crédibles et concluantes à court terme.
Avant de finir cette courte intervention, permettez-moi de vous citer une analyse très pertinente, parue dans un blog le 25 mai 2006 : « Laurent Zecchini signe dans Le Monde du 25 mai un article très intéressant sur ?l'irakisation? de l'Afghanistan. Après l'attaque qui a fait deux victimes parmi les forces spéciales françaises, l'inquiétude grandit chez les militaires français, qui constatent que les talibans agissent désormais sur deux registres : celui du terrorisme mais aussi celui de la guérilla avec des méthodes de combat sophistiquées. Ils se sont endurcis au contact des forces occidentales et, loin de baisser les bras, ils redoublent d'activité. Les opérations massives de l'ISAF pour éradiquer la culture du pavot font basculer les paysans dans le camp des talibans. La corruption du gouvernement afghan et de son administration, le jeu trouble des services de renseignements pakistanais contribuent à aggraver la situation militaire.
« L'Histoire nous a enseigné que l'Afghanistan ne peut être soumis. Comment donc obtenir l'adhésion des peuples auxquels nous sommes venus prêter assistance ? Cette question est fondamentale, car elle conditionne toute notre réflexion sur l'organisation de notre défense et sur l'architecture d'une défense européenne. »
Monsieur le Premier ministre, puisqu'il s'agit de votre blog et de votre plume (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), avant d'envoyer d'autres soldats dans le bourbier afghan, pouvez-vous tenter de répondre à cette question ? Votre question pourrait, une fois n'est pas coutume, être aussi la nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Président de la République a souhaité envoyer des troupes françaises supplémentaires en Afghanistan. Il a estimé que ce pays constituait un défi stratégique et que la France était déterminée à rester aux côtés de ses alliés aussi longtemps que nécessaire pour assurer la stabilité de ce pays.
Nous, sénateurs de I'UMP, partageons l'opportunité et la légitimité de cet objectif et de cette initiative. Cette dernière doit être envisagée non pas comme une rupture, mais comme une évolution des moyens mis à la disposition du gouvernement afghan en vue de lui permettre de faire face au durcissement de l'insurrection talibane et au développement d'une économie fondée sur le narcotrafic.
Cette décision fait suite à celle qui avait été prise en 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin, après un débat au Parlement.
Vu l'enjeu de cette décision pour notre pays, le Président de la République a clairement souhaité qu'un débat ouvert sur ce sujet se déroule au Parlement et nous ne pouvons que nous en féliciter. À l'heure où un renforcement du rôle du Parlement est envisagé par la prochaine révision constitutionnelle, il est à nos yeux indispensable d'informer la représentation nationale sur ce renforcement de la présence militaire française en Afghanistan, qui devrait être officiellement annoncé au prochain sommet de l'OTAN, dès demain, à Bucarest.
Le présent débat est d'autant plus opportun que ce sommet portera essentiellement sur une révision de l'approche alliée en Afghanistan avec la fixation des nouvelles priorités pour la reconstruction tant économique que démocratique indispensable au développement du pays.
II apparaît en effet qu'une meilleure coordination entre les acteurs sur le terrain est indispensable, notamment sous l'égide de l'ONU et de son nouvel envoyé spécial, tout en respectant la souveraineté du gouvernement afghan. Malgré les réels progrès constatés sur le terrain, davantage de contributions des alliés sont encore nécessaires.
C'est dans ce cadre que la France doit continuer, à notre avis, d'inscrire son action. Nous devons maintenir le lien entre un effort supplémentaire et une approche globale de la situation de l'Afghanistan, notamment en termes de développement.
Nous sommes conscients que la communauté internationale doit faire un effort considérable pour éviter un enlisement. La France doit prendre toute sa part à cet effort. Il s'agit de l'une des tâches les plus délicates que notre pays et l'OTAN aient jamais eu à entreprendre, mais c'est une contribution essentielle à la sécurité internationale. Tout échec entraînerait une déstabilisation générale de la région.
Ce qui se passe dans ce pays est, n'en doutons pas, d'une importance quasi mondiale. En effet, la fermentation mafieuse et islamiste, malgré la distance qui sépare la France de l'Afghanistan, constitue un élément de préoccupation. Car malgré les moyens employés par les différents pays occidentaux, il semble difficile d'ignorer que ces éléments pathogènes ne cessent de se renforcer.
La gravité des tensions interethniques et interconfessionnelles en Afghanistan dépasse largement le cadre de cet État et de la région. L'Afghanistan est devenu un épicentre terroriste et criminel par la propagation tant des idéaux islamistes que d'une économie criminalisée fondée sur le trafic de drogue : ces deux faits rendent nécessaire une coopération sous l'égide de l'OTAN ainsi que lors des opérations menées directement sous autorité américaine.
Nous savons quelles sont les conditions historiques et politiques qui ont amené l'Afghanistan à connaître le sort qui est aujourd'hui le sien.
Créée par le Conseil de sécurité des Nations unies, la Force internationale d'assistance à la sécurité est forte de quelque 43 000 hommes. Elle n'est pas une force des Nations unies ; elle est plutôt une coalition de pays volontaires avec un chef de file qui assume la responsabilité du commandement. Son extension au sud et à l'est a été complétée en octobre 2006, mais elle se heurte aux violences qui affectent particulièrement ces secteurs.
L'Alliance a pour objet de contribuer à créer les conditions qui permettront à l'Afghanistan, après des décennies de conflit, de destruction et de pauvreté, de disposer d'un gouvernement représentatif et de jouir d'un climat durable de paix et de stabilité.
L'OTAN joue un rôle clé dans le Pacte pour l'Afghanistan - plan quinquennal conclu entre le gouvernement afghan et la communauté internationale - qui fixe des objectifs relatifs à la sécurité, à la gouvernance et au développement économique du pays.
Depuis le début de l'opération, les objectifs sont donc clairs : éradiquer les talibans, l'extrémisme religieux, et mener une politique de développement social.
C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier la décision du Président de la République. Il s'agit d'une décision politique forte qui répond à une réalité et à un besoin rencontrés sur le terrain. D'ailleurs, les talibans n'en sont pas dupes : dans un communiqué diffusé sur Internet, ils s'engagent « à chasser les forces étrangères en leur infligeant des coups douloureux » dès ce printemps.
Ces renforts étaient donc attendus pour mener à bien la mission de l'OTAN en Afghanistan, mission qui - je le rappelle à ceux qui l'oublient parfois un peu vite - s'effectue sous mandat de l'ONU.
Nous soutenons cette initiative, parce que nous sommes résolus à faire en sorte que la mission de la FIAS connaisse un succès sous tous ses aspects, civil et militaire.
Tout ce processus de sécurisation du pays a donc une légitimité et une légalité internationales. Il demande, avant d'être rejeté d'un revers de main, une juste et objective appréciation.
La FIAS n'est pas une force d'occupation ou d'oppression et elle ne le deviendra pas. Elle agit, au nom des Nations unies, pour la paix et la sécurité internationales. La France ne peut pas être absente de cette action, au risque de voir les talibans reprendre l'avantage, avec les conséquences que l'on imagine sur toute la région.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la présence de la France en Afghanistan est de première ampleur. Nous comptons actuellement plus de 1 500 soldats sur place, dont près des deux tiers sont stationnés à Kaboul ; 300 instructeurs français forment l'armée afghane, alors que près de 200 militaires opèrent au sein d'unités afghanes et les accompagnent au combat. Nous sommes également présents à Kandahar, où sont basés nos Rafale et nos Mirage, qui apportent un soutien aérien aux forces de la coalition internationale.
Notre présence n'est donc pas anecdotique et mérite notre plus profond respect.
Je tiens, à ce propos, au nom du groupe UMP du Sénat, à rendre hommage au dévouement et au courage de nos troupes présentes sur le terrain. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Depuis leur renversement à la fin de 2001 par une coalition internationale dirigée par les États-Unis, les talibans mènent une insurrection sanglante, en particulier dans le sud et l'est du pays, qui a fait plus de 8 000 morts en 2007, selon les Nations unies. Dans un certain nombre de zones, ils empêchent la FIAS et l'armée afghane d'assurer pleinement leur mission de sécurité. La hardiesse et la fréquence des attaques suicides à la bombe, des embuscades et des tirs directs ont augmenté.
Le maintien de la sécurité dépend des forces nationales afghanes, en particulier de la police, qui doivent être à la hauteur de la tâche ; or, ces forces n'ont actuellement ni les effectifs ni les compétences professionnelles requis.
L'Afghanistan a donc besoin de la communauté internationale pour assurer sa sécurité, sa stabilité et son développement. Qui pourrait nier sérieusement un tel état de fait ?
La transition en Afghanistan se trouvant soumise à des pressions croissantes sous l'effet de l'insurrection, de la faiblesse de la gouvernance et de l'importance de l'économie de la drogue, le gouvernement afghan, avec l'appui de la communauté internationale, doit faire preuve de volonté politique en prenant les mesures audacieuses nécessaires dans chacun des domaines de sa compétence et regagner la confiance de la population par des moyens tangibles et concrets. Ainsi, les relations avec le Pakistan me paraissent être un élément fondamental et un facteur déterminant pour contribuer à la sécurité et à la prospérité régionales.
Selon nous, la priorité la plus urgente doit être de mettre au point, pour l'Afghanistan, une stratégie et des plans de sécurité civils et militaires intégrés et efficaces. Une réponse militaire coordonnée demeure indispensable aujourd'hui pour vaincre les groupes d'insurgés et de terroristes, mais, à moyen terme, le succès dépendra de la participation des communautés locales et de l'instauration d'un climat de sécurité durable, propice au développement.
Car, mes chers collègues, n'en doutons pas : seuls, nous ne battrons pas les talibans. La bataille pour la démocratie et le progrès ne sera définitivement et durablement gagnée que par le peuple afghan. La formation de l'armée et de la police afghanes ainsi que le développement civil de ce pays sont donc les priorités. La France peut et doit jouer un rôle majeur dans la mise en oeuvre de telles actions.
Notre conviction est faite : le renforcement du contingent français en Afghanistan reçoit notre approbation. Il ne faut pas reculer et nous n'avons pas le droit d'échouer, même si tout conflit comporte une part d'incertitude.
Nous attendons donc, monsieur le ministre, quelques précisions sur les modalités, les affectations et, enfin, le coût d'une telle opération. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE. -Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la décision, annoncée la semaine dernière par le Président de la République devant le Parlement britannique, de renforcer de mille hommes le contingent militaire français en Afghanistan,...
Mme Michelle Demessine. ...a suscité de très nombreuses réactions et une vive émotion dans notre pays.
Un récent sondage indique que 68 % de nos compatriotes désapprouvent une telle décision.
Face à cette situation, Nicolas Sarkozy et votre gouvernement ont été contraints d'accepter, à la demande de l'ensemble des groupes parlementaires, ce débat devant la représentation nationale.
Cette annonce, désinvolte à l'égard du Parlement et du peuple français, est choquante sur la forme et plus encore sur le fond.
En cédant ainsi de façon complaisante aux pressantes sollicitations des États-Unis, elle porte atteinte à la dignité et à l'autonomie de décision de notre pays.
En outre, en dehors du fait qu'elle ait été annoncée à l'étranger, avant même que le Parlement en soit informé, les raisons qui la motivent et les conséquences qu'elle entraînera n'ont pas été clairement exposées par le Président de la République.
Ainsi, une fois de plus, le pays et ses représentants apprennent par la presse qu'une nouvelle phase de notre engagement dans un pays lointain est en cours, sans aucune précision sur le cadre général, les missions et le calendrier de l'opération.
C'est manifestement un revirement de la part de celui qui, candidat à l'élection présidentielle, affirmait : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. » Il avait, d'ailleurs, promis de poursuivre la politique de désengagement progressif initiée par son prédécesseur...
Non ! les Françaises et les Français n'admettent plus aujourd'hui que des décisions concernant de façon si symbolique la nation tout entière soient prises sans que leurs représentants aient été au moins informés et consultés. Puisque nos troupes vont, une nouvelle fois, être dangereusement exposées dans un conflit incertain et ambigu, qui risque d'avoir des conséquences sur la sécurité même de notre territoire, il n'était pas acceptable que nous ne débattions pas de l'opportunité de cette intervention.
En acceptant ce débat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, c'est bien ce que vous avez été obligés de reconnaître. Mais ayez maintenant le courage d'accepter un vote parlementaire, à l'instar de ce qui se pratique dans les autres grandes démocraties et comme l'avait fait François Mitterrand lors de la première guerre du Golfe, contrairement, d'ailleurs, à ce que vous avez prétendu dimanche. En effet, pourquoi débattre si la décision est irrévocable ?
Chacun sera alors face à ses responsabilités, car, en Afghanistan, c'est bien aussi d'une guerre qu'il s'agit, dans laquelle quatorze de nos soldats ont déjà perdu la vie.
Je m'interroge sur les raisons d'envoyer là-bas des troupes supplémentaires, car je doute que cela permette de répondre aux problèmes posés.
En définitive, pour quelles raisons sommes-nous en Afghanistan ?
Il faut se rappeler que cette opération trouve son origine dans les attentats du 11 septembre 2001 à New York et dans la décision unilatérale de l'administration Bush de lutter contre quelques groupes combattants dans les montagnes afghanes.
Les États-Unis ont d'abord constitué une coalition à géométrie variable pour renverser le régime des talibans à Kaboul. L'Alliance atlantique n'a été sollicitée qu'après, pour prendre le commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, mise en place avec la bénédiction des Nations unies après la chute des talibans.
C'est dans ce contexte que nous avons rapidement rallié la FIAS, mais sans avoir été associés à la définition des objectifs, qui étaient de lutter contre le terrorisme et de reconstruire un État en faillite.
Mme Michelle Demessine. Où en sommes-nous, sept ans après ?
Les talibans sont de retour dans l'Est et dans le Sud, les troupes de l'OTAN s'épuisent à les poursuivre dans les montagnes, la culture de l'opium est plus florissante que jamais et l'État afghan est corrompu jusqu'au plus haut niveau.
À l'évidence, la stratégie essentiellement militaire mise en oeuvre est totalement inadaptée, voire contre-productive. Elle contribue à accroître les tensions et mène tout droit à l'enlisement, car elle n'offre aucune perspective de règlement politique et diplomatique de la situation.
Je prétends même que, comme en Irak, cette stratégie, en raison des frustrations et des réactions qu'elle suscite auprès des populations, est le terreau sur lequel prospèrent tous ceux qui jouent la politique du pire et spéculent sur l'impuissance de la communauté internationale.
Cet échec militaire annoncé met aussi en évidence un profond déséquilibre entre le niveau des dépenses militaires et celui de l'aide à la reconstruction et au développement. Les chiffres en témoignent : les États-Unis dépensent 100 millions de dollars par jour pour la guerre, quand le total de l'aide internationale à la reconstruction est, lui, estimé à 7 millions de dollars par jour.
Cet état de fait ne peut que nous inciter à douter de la pertinence de la stratégie des forces de l'OTAN et à nous interroger sur les objectifs qu'elles veulent réellement atteindre dans ce pays.
Le récent rapport d'une agence regroupant la centaine d'ONG qui travaillent sur place révèle aussi l'ampleur des promesses non tenues en matière d'aide internationale, laquelle est gaspillée, inefficace et mal coordonnée. Sur les 25 milliards de dollars promis, seuls 15 milliards de dollars ont été effectivement versés.
Notre pays a lui-même une grande part de responsabilité dans cette situation et n'est pas exempt de reproches.
Nous allons accueillir une nouvelle conférence des donateurs à la mi-juin, mais le montant de notre aide à la reconstruction arrive loin derrière celui de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de l'Espagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède ou bien encore de la Finlande.
Nous nous apprêtons à renforcer notre dispositif militaire, mais le Président de la République ne semble pas pour autant décidé à augmenter notre aide bilatérale.
Un tel déséquilibre est à comparer avec les 100 millions à 200 millions d'euros supplémentaires nécessaires à cette intervention qui pèseront sur le budget des opérations extérieures, lequel avoisine déjà un milliard d'euros après le lancement de la mission EUFOR au Tchad. À cet égard, monsieur le Premier ministre, on peut légitimement s'inquiéter de la façon dont vous financerez ces surcoûts. Quels crédits militaires en feront les frais ?
Enfin, nous n'avons pris en charge aucune des vingt-six équipes provinciales de reconstruction, les EPR, ces équipes « civilo-militaires » qui atténuent quelque peu les ravages causés par le conflit.
Pour quelles raisons inavouables annoncer maintenant la décision d'envoyer combattre quelque mille soldats français supplémentaires, vraisemblablement dans une province sous commandement américain et dangereusement exposée, alors que la stratégie menée conduit à l'enlisement militaire, que l'ensemble de nos alliés ne sont pas tous d'accord sur la stratégie à suivre et que la France n'a, pour l'instant, obtenu aucune garantie sur une éventuelle modification de cette stratégie ?
Certes, monsieur le Premier ministre, vous avez précisé hier que le Président de la République avait l'intention, demain à Bucarest, de poser trois conditions à l'envoi de nos renforts. Je reste tout de même convaincue que le fait d'annoncer une décision, car c'est bien ce qui s'est passé devant le Parlement anglais,...