M. le président. L'amendement n° 36, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 763-14 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° - La deuxième phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « et garantit le caractère pluridisciplinaire de cette commission » ;
2° - Après ladite phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Il précise notamment les différentes professions susceptibles de figurer dans cette commission, ainsi que les modalités de nomination de ses membres. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne le caractère pluridisciplinaire de la commission.
Le nouvel article 706-53-14 prévoit que la situation des personnes qui peuvent, en application de l'article 706-53-13, faire l'objet d'un placement en rétention de sûreté doit être examinée au moins un an avant la date prévue pour leur libération afin d'évaluer leur dangerosité.
C'est la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, visée à l'article 763-10-1 du code de procédure pénale, qui est chargée de cette évaluation.
Eu égard au profil des personnes concernées, l'évaluation de la dangerosité criminologique du condamné nécessite un renforcement du caractère pluridisciplinaire de cette commission. C'est pourquoi il convient de modifier la composition de cette dernière, afin d'y intégrer des spécialistes de la criminologie.
Le décret en Conseil d'État qui en fixe les attributions doit donc assurer une pluridisciplinarité plus poussée, une expérience et une spécialisation plus importantes de ses membres que ce qui est actuellement prévu.
Afin de mieux appréhender toutes les difficultés d'évaluation de la dangerosité criminologique du condamné devraient figurer parmi les membres de la commission pluridisciplinaire un magistrat honoraire expérimenté dans le domaine du droit pénal et relevant d'une autre juridiction que celle qui est compétente pour statuer sur la mesure de rétention de sûreté, un expert psychologue ayant suivi une formation et titulaire d'un diplôme en criminologie ou en psycho-criminologie et des intervenants n'exerçant pas des fonctions expertales, par exemple des éducateurs ou des comportementalistes.
Par ailleurs, les membres de ces commissions devraient être nommés par décision conjointe du ministère de la justice et du ministère de la santé, après établissement d'une liste à l'échelon national des différentes catégories professionnelles représentées au sein des équipes.
Ce n'est qu'à ce prix que l'évaluation de la dangerosité sera objective et complète, évaluation qui va bien au-delà d'une double expertise psychiatrique.
Si le médecin psychiatre dispose d'une compétence et d'outils d'évaluation pour appréhender la dangerosité psychiatrique d'un détenu, il est moins sûr de la dangerosité criminologique ou sociale. De plus, confier cette mission au médecin psychiatre, comme le fait le projet de loi, procède d'une confusion dangereuse entre maladie mentale et délinquance. Or tous les fous ne sont pas criminels et tous les criminels ne présentent pas forcément des pathologies mentales !
Tous les pays étrangers ayant adopté un dispositif de défense sociale équivalent à la rétention de sûreté ont élaboré un système beaucoup plus soucieux d'une meilleure évaluation de la dangerosité sociale, mettant la pluridisciplinarité au centre de leur démarche.
Madame le garde des sceaux, puisque vous citez volontiers les systèmes étrangers, assurez à cette commission une pluridisciplinarité équivalente à celle du Pieter Baan Centrum aux Pays-Bas.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je peine à suivre l'argumentation de Mme Alima Boumediene-Thiery, qui se préoccupe du caractère pluridisciplinaire de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Cela pourrait être une attention tout à fait intéressante.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Merci !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mais, très honnêtement, ce n'est qu'une commission administrative. Les membres qui la composent sont le préfet de région, le directeur interrégional des services pénitentiaires compétent, un expert psychiatre, un avocat, un représentant d'une association nationale d'aide aux victimes... De plus, son rôle est assez formel.
Ce n'est pas au sein de cette commission qu'il faut rechercher les spécialisations nécessaires, dont vous avez tout à fait raison de noter le caractère indispensable. Mais nous avons déjà réglé ce problème par le biais de l'évaluation de six semaines qui sera réalisée par des psychiatres, des médecins, des psychologues, des criminologues, des travailleurs sociaux. Toutes les disciplines seront représentées et donneront à cette évaluation sa véritable valeur.
Par conséquent, notre différend ne concerne pas le fond. Il s'agit seulement de savoir ce sur quoi doit porter le caractère pluridisciplinaire. Selon nous, il doit s'appliquer plus à l'évaluation elle-même qu'à la commission. Certes, mieux vaut que celle-ci soit la plus compétente possible, mais la décision de ses membres sera largement conditionnée par l'évaluation qui aura été faite. Ce ne sont pas eux qui rencontreront les détenus pendant six semaines !
Pour ces raisons, je souhaite le retrait de cet amendement n° 36 ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour les raisons qui viennent d'être invoquées par M. le rapporteur, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Madame Alima Boumediene-Thiery, l'amendement n° 36 est-il maintenu ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Oui, monsieur le président, car cette commission est importante.
En effet, son travail va permettre de compléter l'évaluation qui sera faite. Si celle-ci nécessite une équipe pluridisciplinaire, la commission elle-même doit comporter en son sein toutes les compétences réunies.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 36.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 12 (priorité)
I. - Le I de l'article 1er est immédiatement applicable aux personnes faisant l'objet d'une condamnation prononcée après la publication de la présente loi, y compris pour des faits commis avant cette publication.
II. - Le même I est également immédiatement applicable aux personnes condamnées avant la publication de la présente loi et exécutant une peine privative de liberté à la date du 1er septembre 2008, lorsque ces personnes ont fait l'objet soit de plusieurs condamnations pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, dont la dernière à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes.
III. - Le III de l'article 1er est applicable à compter du 1er septembre 2008 aux personnes faisant l'objet d'une mesure de surveillance judiciaire.
L'article 2 est applicable aux personnes exécutant une peine privative de liberté à la date de publication de la présente loi.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 77, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces derniers jours, l'article 12 du projet de loi a fait couler beaucoup d'encre, et peut-être cela va-t-il continuer !
Madame le garde des sceaux, le projet de loi initial ne prévoyait pas la rétroactivité s'agissant de la rétention de sûreté, et ce, je le suppose, pour des raisons juridiques.
La seule rétroactivité envisagée concernait la surveillance judiciaire et les mesures relatives aux réductions de peine.
Les députés, sur l'initiative de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui avaient beaucoup réfléchi à la question - peut-être avez-vous participé à cette réflexion, mes chers collègues -, se sont empressés d'adopter un amendement rendant applicables les dispositions relatives à la rétention de sûreté aux condamnations qui seront prononcées après l'entrée en vigueur de la loi, même si les faits ont été commis antérieurement à sa promulgation.
Sur l'initiative du Gouvernement, les députés ont également adopté un amendement rendant d'application quasi immédiate les dispositions relatives à la rétention de sûreté pour les personnes qui ont fait l'objet de plusieurs condamnations pour des crimes mentionnés à l'article 1er. Cela montre bien que l'intention du Gouvernement était, dès le départ, de rendre la rétention de sûreté rétroactive. Mais peut-être ne savait-il pas comment s'y prendre...
Quels que soient les arguments utilisés - et vous les avez tous avancés -, cette rétention de sûreté n'est comparable ni à une mesure de sûreté ni à l'hospitalisation d'office.
M. le rapporteur de la commission des lois a bien essayé de gommer les contours anticonstitutionnels de l'article 12, convaincu, selon ses propres termes, de la « nécessité de respecter les principes fondamentaux de notre droit et, en particulier, la règle de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ». Il a donc déposé un amendement visant à subordonner la libération conditionnelle, pour les criminels condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, à un avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Par ailleurs, il propose que les personnes ayant fait l'objet de plusieurs condamnations pour les crimes mentionnés à l'article 1er puissent être soumises, à l'issue de l'exécution de leur peine d'emprisonnement, dans le cadre de la surveillance judiciaire, puis, le cas échéant, de la surveillance de sûreté, à deux obligations nouvelles et spécifiques : l'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique et l'obligation de déplacement surveillé sous le contrôle d'un agent de l'administration pénitentiaire. Ces deux mesures, il est vrai, sont d'application difficile ; néanmoins, elles respectent le droit.
Les deux amendements déposés par M. le rapporteur lui ont valu de passer pour le « sauveur » de la loi, du moins au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Même s'ils ne changent pas, à nos yeux, le fond du projet de loi, ils vous ont suffisamment hérissé, chers collègues de la majorité, pour que vous déposiez un sous-amendement, adopté de justesse hier matin en commission des lois, tendant à revenir à la rétroactivité totale de la loi.
Dans la foulée, madame le garde des sceaux, vous avez déposé un sous-amendement destiné à entériner définitivement cette rétroactivité.
Ainsi, vous passez outre le respect d'un droit aussi fondamental que celui de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère pour faire passer le message suivant à l'opinion : « Le Gouvernement a enfin fait adopter une loi permettant d'enfermer immédiatement et à vie les ? prédateurs sexuels ? - ce sont vos propres termes -, pour vous protéger contre toute récidive ! »
Franchement, je me demande, mes chers collègues, comment vous concevez votre devoir de législateur ! Vous vous contentez de répéter à l'envi que le principe de non-rétroactivité ne s'appliquerait pas en l'occurrence puisque la rétention de sûreté serait non pas une peine, mais une mesure de sûreté, ce qui ne suffit pas à lui en donner les caractéristiques !
On ne peut pas se résoudre au sacrifice des principes constitutionnellement garantis pour une loi certes d'affichage, mais lourde de conséquences, puisqu'elle ouvre la porte à d'autres violations des principes constitutionnels, alors que le problème posé est celui de l'efficacité des mesures que nous avons prises très récemment, et qui ne sont pas, pour la plupart, appliquées. En effet, soit elles sont trop récentes, soit, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, elles n'ont pas bénéficié des moyens nécessaires. Pour qu'elles soient réellement efficaces, il faudrait les améliorer, mais surtout prendre le problème à l'endroit, c'est-à-dire revoir notre curieuse conception de la détention, qui, finalement, constitue une exception négative au sein de l'Europe, dont nous aimons à vanter les mérites et l'unité de culture, voire de religion.
Nous aurions donc pu nous interroger longuement sur les raisons de l'incapacité de notre pays, comme d'autres, à trouver des moyens plus efficaces pour prendre en charge les détenus. Mais non, vous préférez violer un principe fondamental, celui de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. C'est tout à fait regrettable.
M. le président. L'amendement n° 41, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Supprimer les I, II et le premier alinéa du III de cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet la suppression d'une partie de l'article 12, qui est, selon moi, l'un des articles les plus importants et les plus dangereux de ce projet de loi.
Il vise en effet à inscrire le principe de la rétroactivité de la loi dans le temps, dans le mépris le plus total de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
La mesure concernée est non pas une mesure, mais une peine. Tant que le système que vous nous proposez, madame le garde des sceaux, ne remplira pas les conditions qui en feront une modalité d'exécution de la peine, la rétroactivité de la loi pénale sera anticonstitutionnelle.
Dans sa décision relative au placement sous surveillance électronique mobile, le Conseil constitutionnel avait considéré, je vous le rappelle, que cette mesure n'était pas contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale garanti par l'article 8 de la Déclaration de droits de l'homme et du citoyen, en se fondant sur trois critères.
Tout d'abord, le but de la mesure est de prévenir une récidive. Elle repose non pas sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité.
Ensuite, la mesure est limitée à la durée des réductions de peine dont a bénéficié le condamné, ce qui en fait une modalité d'exécution de la peine initiale.
Enfin, la mesure est ordonnée par la juridiction de l'application des peines.
Ainsi, ces critères cumulatifs, si nous les appliquons à la mesure de rétention de sûreté que vous nous proposez, nous permettent de conclure que cette dernière est anticonstitutionnelle.
Elle s'ajoute en effet au quantum de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Elle est donc non pas une modalité d'exécution de la peine, mais bien une peine supplémentaire.
Je citerai, pour conclure, le rapport intitulé « Réponses à la dangerosité » de M. Jean-Paul Garraud, député de l'UMP, à propos de la mise en place de centres fermés de protection sociale, soit l'équivalent des centres que vous souhaitez créer : « Le placement en centre fermé de protection sociale présente plusieurs caractéristiques qui sont de nature à le faire entrer dans la catégorie des ? sanctions ayant le caractère d'une punition ? au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce qui aurait pour effet de soumettre la loi nouvelle à l'exigence de non-rétroactivité des peines et des sanctions résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. » Ce n'est pas moi, mais c'est un député de votre majorité qui le dit mot pour mot !
Or, dans le projet de loi, il s'agit bien d'une privation totale de liberté qui s'ajoute à la peine initiale. Cela signifie qu'une rétroactivité s'applique, ce qui est contraire à nos principes.
M. le président. L'amendement n° 29, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le I et le II de cet article :
I. Le dernier alinéa de l'article 729 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut bénéficier d'une libération conditionnelle qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article 706-53-14. »
II. Après l'article 723-30 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Les personnes qui ont fait l'objet soit de plusieurs condamnations pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13, dont la dernière à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à 15 ans, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes, peuvent être soumises à l'obligation d'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique prévu par l'article 132-26-2 du code pénal et à l'obligation de déplacement surveillé sous le contrôle d'un agent de l'administration pénitentiaire.
« Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement représente une tentative de conciliation entre deux impératifs qui pouvaient sembler opposés : d'une part, faire en sorte que la rétention de sûreté puisse s'appliquer le plus rapidement possible et, d'autre part, éviter tout risque au regard du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
D'ores et déjà, le projet de loi prévoit des modalités de nature à permettre une application immédiate de la rétention de sûreté, et non à une échéance de quinze ans ou de douze ans si on prend en compte les réductions de peine. Ces modalités ne me semblent pas discutables constitutionnellement.
Cela passe par le biais de la surveillance judiciaire. Il est prévu qu'un manquement aux obligations de la surveillance judiciaire permettrait, si ce manquement révèle une dangerosité particulière, de faire « basculer » la personne de la surveillance judiciaire à la rétention de sûreté.
Par cet amendement, la commission des lois souhaite ajouter deux autres cas qui entraîneraient l'application aussi immédiate que possible de la rétention de sûreté.
Il s'agit tout d'abord du problème des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Celles-ci ne représentent pas simplement quelques individus dans les prisons de la République, puisqu'on compte aujourd'hui entre 500 et 600 personnes dans ce cas. Elles sont censées être les plus dangereuses.
La commission vous propose donc, mes chers collègues, de prévoir qu'avant toute libération conditionnelle, une fois leur période de sûreté accomplie, il leur faudra obtenir l'avis conforme de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Autrement dit, il s'agit de placer la personne dans la case « rétention de sûreté », ce qui n'entraîne pas de difficultés particulières.
L'application immédiate du dispositif posait problème pour les personnes condamnées de quinze ans d'emprisonnement à la réclusion criminelle à perpétuité. Cet amendement vise donc à « muscler » la surveillance judiciaire, que nous avons rebaptisée « surveillance de sûreté », en prévoyant qu'elle pourrait inclure l'assignation à résidence et la sortie sous surveillance pénitentiaire. Ces mesures sont similaires à celles qui sont prévues pour les personnes qui seront placées dans les centres socio-médico-judiciaires.
Ainsi, il nous semblait avoir à peu près répondu aux deux impératifs que j'ai évoqués tout à l'heure : protéger la société et éviter le risque d'inconstitutionnalité pour rétroactivité.
M. le président. Le sous-amendement n° 78 rectifié ter, présenté par MM. Portelli, Gélard, Garrec, Courtois, Saugey, Béteille, J. Gautier et Buffet, Mme Troendle et M. Othily, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le II de l'amendement n° 29 :
II. Les personnes exécutant, à la date du 1er septembre 2008, une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à 15 ans à la suite, soit de plusieurs condamnations, dont la dernière à une telle peine, pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes, peuvent être soumises à une assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile, selon la procédure prévue par l'article 723-37 de ce code.
À titre exceptionnel, si le placement sous surveillance électronique apparaît insuffisant pour prévenir la récidive, ils peuvent être soumis à un placement en rétention de sûreté.
La mise en oeuvre de cette procédure doit être précédée d'une décision de la chambre de l'instruction avertissant la personne condamnée qu'elle pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation dans les conditions ci-après indiquées.
Le procureur général saisit, après avis du juge de l'application des peines du lieu de détention de la personne condamnée, la chambre de l'instruction de la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve la cour d'assises ayant prononcé la condamnation.
La chambre de l'instruction statue en chambre du conseil après avoir fait comparaître la personne condamnée assistée par un avocat choisi ou commis d'office.
Si elle constate qu'il résulte de la ou des condamnations prononcées une particulière dangerosité de l'intéressé en raison d'un trouble grave de sa personnalité susceptible de justifier à l'issue de sa peine un placement en rétention de sûreté, elle avertit la personne condamnée qu'elle pourra faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté.
La rétention de sûreté est ensuite décidée suivant la procédure indiquée aux articles 706-53-14 et 706-53-15 du même code nonobstant, le cas échéant, les délais prévus par ces dispositions.
La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Pour comprendre ce sous-amendement, il est nécessaire de rappeler la façon dont le débat s'est déroulé au sein de la commission des lois et de notre propre groupe parlementaire.
Nous voilà face à un texte adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement, et sur la constitutionnalité duquel nous avons quelques doutes.
Tout d'abord, c'est clair et net, nous sommes d'accord avec la finalité de cette disposition. Toutefois, nous ne voulons pas courir le risque d'inconstitutionnalité, non pas parce que nous avons une dévotion particulière pour le Conseil constitutionnel, mais parce que nous sommes respectueux de la Constitution.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Hugues Portelli. Même à l'époque où le Conseil constitutionnel ne s'était pas arrogé les pouvoirs dont il dispose depuis 1971, nous étions respectueux de la Constitution.
Mme Isabelle Debré. Effectivement !
M. Hugues Portelli. Je rappelle que, de tous les principes constitutionnels qui nous régissent, le plus important est le devoir qu'a l'État de protéger ses ressortissants, notamment les plus faibles.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec la police administrative ?
M. Hugues Portelli. Dans cet État de droit, les citoyens ont des droits qui sont, notamment, la liberté, la sûreté - vous connaissez aussi bien que moi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Nous avons accepté l'amendement n° 29 proposé par le rapporteur afin de disposer d'un peu de temps pour réfléchir aux améliorations à apporter au texte issu de l'Assemblée nationale. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) Pourquoi avons-nous travaillé sur ce dernier plutôt que sur celui qui a été présenté par M. le rapporteur - que je respecte, il le sait bien - ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission a complété le texte de l'Assemblée nationale !
M. Hugues Portelli. À nos yeux, l'amendement du rapporteur s'apparente au suivi socio-judiciaire, mais ne correspond pas véritablement à la mesure de sûreté que nous appelons de nos voeux s'agissant de ces criminels particulièrement dangereux.
Même s'ils représentent un nombre extrêmement restreint, l'État de droit, je le répète, a le devoir de protéger l'ensemble de la société contre ces individus et ne doit pas s'abstraire de tous les moyens dont il dispose.
Lors des débats qui ont précédé la présente discussion, nous avons défini clairement la mesure de rétention comme étant une mesure de sûreté. (Mme Nicole Borvo s'exclame.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est tout le débat !
M. Hugues Portelli. Pour nous, c'est clair et, de notre point de vue et de celui de la majorité de cette assemblée, toutes les dispositions qui ont été votées par le Sénat à l'article 1er vont dans ce sens.
Dès lors que la notion est bien clarifiée et qu'elle se situe dans le champ de la mesure de sûreté, la question de la rétroactivité éventuelle de cette mesure peut être posée constitutionnellement.
Tel est l'objet de ce sous-amendement, qui prévoit une série de dispositions visant à aménager la mise en oeuvre de cette mesure de sûreté dès septembre 2008, donc y compris pour ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation.
Elles précisent que c'est une juridiction et non une commission qui prend la décision, qu'elle s'appuie sur l'évaluation d'une commission d'experts, qu'elle respecte toutes les règles de la défense du condamné, donc de sa représentation, notamment la règle du débat contradictoire, et qu'elle avertit la personne condamnée que celle-ci pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation.
Pourquoi inscrire cet avertissement dans la loi ? Pour une raison très simple : au moment où la procédure est lancée, celui qui est encore détenu a le temps d'accepter les mesures qu'il a refusées jusqu'alors. S'il les accepte, c'est-à-dire s'il consent à faire l'objet d'un suivi médical, psychiatrique, mais aussi éducatif, selon l'ajout voté hier, on entrerait dans le cadre de ce que l'on souhaite et la question de lui appliquer la mesure de sûreté ne se pose plus.
Si, au contraire, malgré cet avertissement, la personne en question refuse le traitement qui lui est proposé, elle donne une preuve supplémentaire de sa dangerosité, et la mesure de sûreté doit alors s'appliquer de plein droit.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Hugues Portelli. Tel est le sens de notre sous-amendement, et j'espère que nous serons nombreux à le soutenir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Le sous-amendement n° 92, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par l'amendement n° 29 par deux alinéas ainsi rédigés :
... - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
IV. Le I et le I bis de l'article 1er sont applicables aux personnes faisant l'objet d'une condamnation prononcée après la publication de la présente loi pour des faits commis avant cette publication.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Par souci de cohérence, il est nécessaire de maintenir l'application des dispositions nouvelles pour les condamnations qui seront prononcées après la promulgation de la loi.
L'amendement n° 29 de la commission « écrase », si je puis dire, le I de l'article 12.
Or la disposition est indispensable, puisqu'elle permet l'application de la loi nouvelle aux condamnations futures, même si les faits sanctionnés sont antérieurs à la loi.
Je le répète, il s'agit là non pas de rétroactivité, mais d'une entrée en vigueur immédiate du dispositif de sûreté.
Il faudra impérativement que les personnes qui seront condamnées sous l'empire de la loi nouvelle soient averties du fait que, à la fin de leur peine, leur dangerosité pourra être évaluée, si leur personnalité le justifie. À défaut, ni le dispositif transitoire ni le dispositif définitif ne s'appliqueraient à ceux qui n'auraient pas été avertis au moment de la condamnation en cour d'assises. Malgré leur particulière dangerosité, ces condamnés pourraient ainsi échapper à la rétention de sûreté, alors même que leur dangerosité serait encore avérée lors de la fin de leur peine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 89, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Rédiger comme suit le premier alinéa du III de cet article :
La surveillance de sûreté instaurée par le III de l'article 1er est immédiatement applicable après la publication de la présente loi. Si la méconnaissance par la personne des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par le risque particulièrement élevé de commission des infractions mentionnées à l'article 706-53-13, la personne peut être placée jusqu'au 1er septembre 2008, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article 706-53-20, dans un établissement mentionné au premier alinéa de l'article L. 6141-5 du code de la santé publique.
II. - Compléter cet article par un IV ainsi rédigé :
IV. - L'évaluation prévue par le I ter de l'article 1er est également applicable aux personnes condamnées avant la publication de la présente loi à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur les amendements nos 77 et 41 ainsi que sur les sous-amendements nos 78 rectifié ter et 92.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement comporte deux dispositions à caractère transitoire, dont la seconde est d'ailleurs plus importante que la première.
En premier lieu, cet amendement adapte la mesure qui prévoit que les dispositions relatives à la prolongation des obligations de la surveillance judiciaire sont applicables à compter du 1er septembre 2008.
Le choix de cette date est lié au délai de mise en place du centre socio-médico-judiciaire de sûreté, structure dont l'ouverture est prévue le 1er septembre 2008 au sein de l'Établissement public de santé national de Fresnes.
Cependant, on ne peut exclure que, dans l'intervalle qui sépare l'entrée en vigueur de la loi et le 1er septembre 2008, la surveillance judiciaire imposée à certaines personnes entrant dans le champ d'application du texte arrive à son terme, la durée correspondant aux réductions de peine étant écoulée.
Il ne serait plus possible alors de placer ces personnes sous surveillance de sûreté, puisque cette procédure constitue une prolongation des obligations de la surveillance judiciaire, mais ne saurait en revanche être imposée à une personne qui ne serait plus sous ce dispositif de contrôle.
Afin d'éviter que des personnes, pourtant très dangereuses, puissent échapper à tout dispositif de contrôle dans les mois à venir, il nous semble souhaitable de permettre l'application immédiate de la surveillance de sûreté.
En cas de manquement grave à ces obligations, la personne pourrait être placée jusqu'au 1er septembre 2008 dans un établissement visé par l'article L. 6141-5 du code de la santé publique, c'est-à-dire un établissement public de santé spécifiquement destiné à l'accueil des personnes incarcérées. Il pourrait s'agir de l'établissement public de Fresnes ou d'une unité d'hospitalisation sécurisée interrégionale, UHSI.
En second lieu, point sur lequel la commission est plus vigilante car il lui paraît plus important, cet amendement permet, à titre transitoire, d'imposer une observation, dans un centre chargé de l'observation des détenus, aux personnes qui sont condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées par l'article 706-53-13 du code de procédure pénale.
Autrement dit, nous avons voté hier une disposition prévoyant la nécessité de procéder à une évaluation dans l'année qui suit l'incarcération, disposition judicieuse pour ceux qui seront incarcérés demain. Mais il serait dommage que les personnes déjà incarcérées, qui ont été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes visés par le présent projet de loi, échappent à cette évaluation, à laquelle, je le rappelle, chacun a intérêt, la société tout autant que le condamné.
C'est la raison pour laquelle la commission propose d'adapter cette obligation d'évaluation pour les personnes déjà condamnées.
J'en viens à l'avis de la commission sur les différents amendements et sous-amendements.
En ce qui concerne l'amendement n° 77, qui tend à la suppression totale de l'article 12, la commission émet un avis défavorable. Même ceux qui n'adhèrent pas à l'ensemble de cet article estiment cependant que certaines de ses dispositions méritent d'être retenues.
L'amendement n° 41 est contraire à la position de la commission car il vise à supprimer des paragraphes pour lesquels elle propose une nouvelle rédaction. Aussi, la commission émet un avis défavorable.
Le sous-amendement n° 78 rectifié ter, qui propose une nouvelle rédaction du II de l'amendement n° 29, présente deux mérites incontestables.
En premier lieu, il tient partiellement compte de l'amendement de la commission, puisqu'il prévoit que la personne peut être soumise à une assignation à domicile. En outre, s'il ne retient pas le principe de la mesure de déplacement surveillé figurant dans l'amendement de la commission, il lui substitue le régime du placement sous surveillance électronique mobile, ce qui peut parfaitement se concevoir. Il maintient néanmoins la faculté d'appliquer la rétention de sûreté immédiatement après la peine de réclusion pour les personnes actuellement détenues pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi.
En second lieu, ce sous-amendement s'efforce de maintenir un lien de causalité entre la décision de condamnation et la rétention de sûreté afin de respecter, notamment, les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, la rétention de sûreté ne serait applicable que si la chambre de l'instruction avertit la personne condamnée que sa situation pourra faire l'objet d'un réexamen en vue d'une telle rétention.
Le sous-amendement ne règle pas le problème de la rétroactivité, si ce n'est en considérant que, s'agissant d'une mesure de sûreté, cette question ne se pose pas.
Les auteurs du sous-amendement ayant fait valoir l'impérieuse nécessité de protéger les victimes potentielles des criminels les plus dangereux, une majorité des membres de la commission se sont ralliés à ce point de vue.
En conséquence, la commission émet un avis favorable.
Le sous-amendement n° 92 n'ayant pas été examiné par la commission, je me permettrai de donner mon point de vue personnel.
À la différence du sous-amendement n 78 rectifié ter qui concerne les personnes condamnées à la date d'entrée en vigueur de la loi, le sous-amendement n° 92 s'applique aux personnes qui ont commis les faits avant l'entrée en vigueur de la loi, mais n'ont pas encore été condamnées.
Si l'hypothèse visée par ces deux sous-amendements est différente, il s'agit bien, dans les deux cas, d'une dérogation à l'application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, puisque ce principe interdit l'application d'une disposition plus sévère aux personnes condamnées pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de cette loi.
Cependant, le sous-amendement n° 92 ne prévoit pas d'appliquer aux personnes ayant commis des faits avant l'entrée en vigueur de la loi le dispositif qui est retenu par le sous-amendement n° 78 rectifié ter. En effet, pour cette catégorie de personnes, contrairement à celles qui ont déjà été condamnées, la juridiction de jugement pourra prévoir le réexamen de leur situation en vue d'une rétention de sûreté.
Le sous-amendement n° 92 n'envisage pas davantage, et c'est peut-être la petite critique que je me permettrai de lui faire, de limiter l'application immédiate de la rétroactivité aux criminels récidivistes les plus dangereux, à la différence du sous-amendement n° 78 rectifié ter. La restriction du champ d'application de la rétention de sûreté prévue par ce dernier contrebalance, d'une certaine manière, le caractère immédiat de l'application de la rétention de sûreté. Cette restriction n'est pas retenue par le sous-amendement n° 92. Dès lors qu'ils répondront aux critères de droit commun - les critères prévus par l'article 706-53-13 du code de procédure pénale -, les criminels concernés pourront se voir appliquer la rétention de sûreté, même si les faits ont été commis avant l'entrée en vigueur de la loi. Il y a là, de mon humble point de vue, un risque accru d'inconstitutionnalité.