M. Louis Mermaz. Exact !
M. Michel Charasse. Il a seulement ajouté qu'il considérait que seules des questions simples pouvaient être posées par référendum de l'article 11 car, lorsqu'il y avait un texte ou des questions complexes, il était préférable que le vote référendaire soit éclairé préalablement par un débat parlementaire à l'Assemblée nationale et au Sénat, comme le veut l'article 89.
Donc, mes chers collègues, la République a le choix entre deux procédures : soit l'article 89, si l'on veut un débat préalable dans les deux chambres ; soit l'article 11, comme l'a décidé le général de Gaulle à deux reprises.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Une fois !
M. Michel Charasse. La seule différence, c'est que, pour l'article 11, le président n'a l'initiative que s'il est saisi d'une proposition référendaire par le Gouvernement ou le Parlement, alors que, pour l'article 89, il décide librement, sans que personne ne lui demande rien, s'il choisira, après débat parlementaire, le Congrès ou le référendum.
Mes chers collègues, je conclus : cette procédure de l'article 11 a été validée par le peuple et l'on ne voit pas ce qui, littéralement, dans la Constitution, dès lors qu'aucun de ses articles ne parle de « projet de loi constitutionnelle », pourrait conduire à considérer que seuls les projets de loi ordinaires peuvent être soumis au référendum de l'article 11, d'autant plus que par deux fois la pratique, validée par le peuple, a dit le contraire.
Alors, mes chers collègues, faire décider aujourd'hui par le Sénat- et par cette seule assemblée - que seul l'article 89 peut être employé pour une révision de la Constitution, c'est une manière indirecte de remettre en cause - et, monsieur le président, il doit quand même y avoir quelques gaullistes encore présents dans cet hémicycle,...
Un sénateur socialiste. Ce n'est pas sûr...
M. Michel Charasse. ... j'en vois, et je les sais sincères ! -, la doctrine du père de la Constitution qu'est le général de Gaulle et la sanction donnée par la souveraineté nationale en 1962.
M. Jean-Michel Baylet. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Michel Charasse. C'est la raison pour laquelle opposer l'irrecevabilité constitue un retour en arrière insupportable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, on nous parle d'améliorer les relations entre l'exécutif et le législatif, de changer les méthodes du Sénat... Billevesées !
Rien de tout ça, au contraire, et je tiens à protester, une fois de plus, contre les méthodes employées, qui sont indignes, non seulement du Sénat, mais de la démocratie !
Depuis des années, je répète que le règlement de notre assemblée prévoit que, pour les décisions prises en commission, un membre de la commission considérée ne peut donner pouvoir que s'il est en mission ou s'il est malade, et depuis des années je demande que cette règle s'applique !
Or la majorité viole cette règle tous les jours. Les commissions sont organisées de telle manière qu'il y a toujours des pouvoirs pour les membres de la majorité !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et parfois pour ceux de l'opposition !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cette situation est tout à fait scandaleuse. Et que l'on ne prétende pas que l'on va changer les choses !
Au Sénat, décidément, il n'y a que les absents qui décident. Cela a été le cas tout à l'heure en commission puisqu'il y a eu, grâce aux pouvoirs préparés, quatorze voix d'un côté, alors qu'il n'y avait que huit présents de ce côté-là, ce qui signifie en vérité que nous, membres de l'opposition, nous étions en majorité...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'y avait que cinq pouvoirs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non ! Quatorze contre huit...
M. Charles Gautier. Huit présents et quatorze virtuels !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De même, a été demandé dans cet hémicycle il y a un instant un scrutin public, ce qui signifie que, une fois de plus, ce sont les absents qui décideront !
On peut parler du général de Gaulle, de sa Constitution et de précédents, mais croyez-vous, mes chers collègues, que c'est cela, la démocratie ? Sûrement pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la recevabilité de la motion.
Je rappelle que je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 71 :
Nombre de votants | 325 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l'adoption | 119 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas retenu la recevabilité de la motion référendaire.
M. Jean-Luc Mélenchon. Où sont les 203 qui ont voté contre ?
M. Yannick Bodin. Vive les absents !
5
article 11 de la Constitution
Demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle
M. le président. En application de l'article 30 du règlement, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat demande la discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle présentée par elle-même ainsi que MM. Robert Bret, Jean-Luc Mélenchon, Charles Gautier, Jean Desessard et Mme Alima Boumediene-Thiery visant à compléter l'article 11 de la Constitution par un alinéa tendant à ce que la ratification d'un traité contenant des dispositions similaires à celles d'un traité rejeté fasse l'objet de consultation et soit soumise à référendum.
La demande de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat est signée par au moins trente sénateurs.
Conformément au quatrième alinéa de l'article 30 du règlement, il va être procédé à l'appel nominal des signataires.
Huissier, veuillez procéder à l'appel nominal.
(Répondent à l'appel de leur nom les signataires suivants : Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Guy Fischer, Mme Éliane Assassi, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Robert Bret, Jean-Claude Danglot, Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade, MM. Bernard Vera, Jean-François Voguet, Jean-Luc Mélenchon, Charles Gautier, André Lejeune, Mme Bariza Khiari, MM. Michel Charasse, Marcel Rainaud, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, MM. Pierre-Yves Collombat, Jean-Pierre Michel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mmes Josette Durrieu, Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean Desessard).
M. le président. La présence d'au moins trente signataires ayant été constatée, il va être procédé à l'affichage de la demande de discussion immédiate sur laquelle le Sénat sera appelé à statuer, conformément à l'article 30 du règlement, à la fin de l'ordre du jour prioritaire de la présente séance.
La demande va être communiquée sur-le-champ au Gouvernement.
La règle veut que le débat sur cette demande de discussion ne puisse intervenir qu'après la fin de l'examen en séance publique du ou des textes inscrits à l'ordre du jour. Toutefois, la tradition constante du Sénat est d'interpréter l'article 30 du règlement comme permettant l'examen de la demande de discussion immédiate à la fin de la séance publique au cours de laquelle elle a été formulée. Nous débattrons donc de cette demande à la fin de la séance d'aujourd'hui.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il vous faudra être présents, chers collègues !
6
Titre XV de la Constitution
Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà soixante ans qu'en France, avec détermination et constance, l'intérêt national épouse l'ambition européenne ; soixante ans que la passion française trouve dans l'aventure européenne son horizon, son aboutissement, l'élargissement de ses perspectives aux dimensions plus vastes de notre continent ; soixante ans que le rêve européen reçoit de l'initiative française ses élans et ses caps.
Soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est plus qu'une ambition, plus qu'une aventure, plus qu'un rêve : elle est cette réalisation commune à laquelle vingt-sept pays libres se sont joints pour s'accorder mutuellement les garanties de la paix et partager les réussites de l'intégration économique et monétaire.
Gouvernements de gauche ou de droite, de l'Ouest ou de l'Est, tous ont bâti notre maison commune, qui est sans équivalent au monde. L'entreprise européenne est inédite, radicalement nouvelle. Nulle part ailleurs un tel défi n'a été lancé : unir un continent ravagé par des siècles de guerres et d'hostilité ; créer un ensemble continental cohérent, quand les anciens empires européens avaient laissé le souvenir de tant de luttes ; construire les moyens d'agir collectivement, tout en préservant les spécificités nationales, si chèrement acquises.
La construction européenne est en train de réussir ce pari que beaucoup jugeaient insensé. L'Union européenne a beaucoup de compétences, beaucoup de pouvoirs, mais sa force ne vient ni de la contrainte armée ni de la domination d'une coalition d'États sur les autres.
Sa force, c'est la libre volonté d'union qui joint ses États membres. Les élargissements successifs en sont la preuve éclatante.
Sa force, c'est son mode de décision démocratique, que ce soit au Conseil ou au Parlement européen, et ce caractère démocratique est notablement renforcé par le traité de Lisbonne.
Sa force, c'est la synthèse entre les institutions démocratiques de l'Union et l'identité préservée des États membres, synthèse que le traité de Lisbonne réaffirme clairement.
La seule vraie force de contrainte qui régisse l'Union, c'est le respect du droit, pierre angulaire de la construction européenne. Le règne du droit démocratiquement élaboré a remplacé en Europe celui de la violence comme moyen de contrainte ultime. C'est un progrès fondamental, qui fait de l'Europe une vraie terre de civilisation, ainsi qu'un exemple pour d'autres régions du monde.
C'est afin de saluer le rôle du droit européen que j'ai profité de ma rencontre avec Jean-Claude Juncker, vendredi dernier, à Luxembourg, pour accomplir la première visite d'un Premier ministre français auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.
Constatons-le une fois de plus, avec une reconnaissance particulière pour ceux dont le courage a précédé et préparé nos efforts : devant cet exceptionnel objet de fierté qu'est l'Europe, les hésitations, les lenteurs, les réticences ont toujours cédé le pas. Ils doivent continuer de le faire aujourd'hui.
Faut-il le rappeler, j'ai été moi-même opposé au traité de Maastricht, un texte imparfait, dans lequel les avancées économiques de la construction ne recevaient pas, selon moi, une contrepartie politique suffisante. Je n'ai pas été le seul à redouter l'avènement d'une Europe boiteuse, incapable de gouverner comme il l'aurait fallu l'intégration économique poussée qu'elle se promettait d'atteindre.
J'ai constaté depuis lors, comme beaucoup d'autres, que mes craintes n'étaient pas infondées. Aujourd'hui, le traité de Lisbonne leur répond et les apaise. À l'heure où l'accueil des anciens pays de l'Est exige une adaptation de nos procédures, il clarifie le fonctionnement politique de l'Europe et il en renforce opportunément les structures.
Encore cette satisfaction institutionnelle n'est-elle pas la seule raison de mon intervention : d'autres motifs relèvent de mon sentiment intime, et je sais qu'ils parlent aux Français.
Dans le projet européen converge, mesdames, messieurs les sénateurs, l'essentiel de nos héritages culturels et humains. L'expérience démocratique, universitaire, scientifique et industrielle : autant de domaines dans lesquels l'histoire a donné à nos pays le privilège d'une fertilité séculaire !
Nous sommes - vous, moi, Français, Européens - les détenteurs d'un grand patrimoine intellectuel, artistique, philosophique et institutionnel commun. De Londres à Athènes, de Madrid à Varsovie, nous sommes les héritiers de cet espace à la fois charnel et imaginaire où nos manières de vivre et de penser s'enracinent.
Je vous livre cette conviction personnelle, telle qu'elle m'a toujours guidé : plus le XXIe siècle se révèlera secoué de tensions nouvelles, travaillé par le déplacement des lignes de partage, tiraillé de conflits, plus grande nous apparaîtra la valeur de l'espace d'équilibre européen !
Au service de cet idéal de progrès et de rayonnement, le Président de la République a réclamé la constitution d'un groupe de réflexion, capable de projeter sur l'avenir les traits de notre projet européen. Le Conseil européen de décembre 2007 a décidé la création du groupe « Horizon 2020-2030 », présidé par Felipe Gonzales.
Ce groupe veut poser sans détour les questions que l'Europe adresse à notre génération, et dont la réflexion institutionnelle ne doit pas faire oublier la primauté. Quel modèle de société voulons-nous pour l'Union ? Quelle identité ? Quelles frontières ? Quelle civilisation désirons-nous construire ensemble ? Mesdames, messieurs les sénateurs, ces grandes interrogations coïncident avec l'étape institutionnelle que nous devons franchir aujourd'hui.
Avec le traité de Lisbonne, la France reprend la main en Europe, et c'est l'Europe elle-même qui se trouve relancée. Il y a quelques mois seulement, sous le coup de notre hésitation, l'Europe marquait un temps d'arrêt. Le double « non » français et néerlandais l'entravait. L'inquiétude et le doute tournaient tous les regards vers nous. Pourquoi ? Parce que nous les éprouvions nous-mêmes.
Nicolas Sarkozy a pesé de toute sa volonté pour que soit dépassée cette querelle franco-française qui s'est révélée sans issue. Il a compris que les partisans du « non » et ceux du « oui », s'ils ne s'accordaient pas sur une même idée de l'Europe, partageaient le même désir de la voir avancer. Il s'est alors efforcé de transcender les clivages qui, en divisant la France, immobilisaient l'Europe.
Il s'est engagé, pendant la campagne présidentielle, à ce qu'aboutissent, rapidement, nos points de consensus. Sa promesse était réaliste, transparente. Elle a été invariable : négocier un nouveau traité, plus simple, qui concrétise les avancées institutionnelles urgentes, tout en prenant acte des craintes exprimées par le « non » majoritaire ; une fois ce traité négocié, le faire valider le plus rapidement possible par le Parlement.
Tout au long de sa campagne, Nicolas Sarkozy a énoncé à haute voix sa stratégie pour l'Europe. Personne - je dis bien « personne » ! - ne peut lui reprocher d'être resté fidèle à ce qu'il avait dit, fidèle à ce qu'il a fait. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)
C'est fort de la confiance que les Français lui ont accordée...
M. Robert Bret. Elle est en baisse !
M. François Fillon, Premier ministre. ...que le Président de la République, en coordination avec Mme Angela Merkel, alors présidente de l'Union européenne, a négocié le traité nouveau. Et c'est fort de cette même volonté que nous allons faire aujourd'hui un pas essentiel vers sa ratification.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, convenons que le Président de la République, en prenant la mesure des craintes françaises, a fait tomber devant nous la plupart des obstacles à ce vote.
Le premier obstacle était la nature même du texte. La notion de constitution paraissait redoutable, elle a disparu. Le traité de Lisbonne complète et affine les traités existants. Il respecte le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, rebaptisé traité sur le fonctionnement de l'Union, sans se placer au-dessus d'eux. Les symboles constitutionnels ont disparu.
Le deuxième obstacle était la concurrence libre et non faussée, dont le texte de 2005 faisait un objectif pour l'Europe. Le texte actuel la replace au rang plus juste de « moyen » du dynamisme économique.
Le troisième obstacle, effacé lui aussi, était l'incertitude sur le rôle des parlements nationaux. Le traité de Lisbonne le renforce dans des proportions tout à fait remarquables. Pour la première fois, grâce au contrôle de subsidiarité, un traité européen vous ouvre la possibilité de peser sur les propositions de la Commission.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Robert del Picchia. Bravo !
M. François Fillon, Premier ministre. Conformément au désir des Français, le même traité renforce le rôle et les compétences des États et des collectivités territoriales. Il précise et éclaire leurs prérogatives. Il indique ainsi, explicitement, que la sécurité nationale reste « de la seule responsabilité de chaque État membre ». Pour préserver les services publics, auxquels nos concitoyens sont attachés et il le rappelle régulièrement, le rôle déterminant des autorités nationales, régionales et locales dans leur organisation se voit désormais garanti.
Enfin, et c'est là le principal motif d'optimisme, le traité de Lisbonne assure à l'Europe des moyens d'action renouvelés.
Je suis convaincu que les Français, dans leur majorité, ne se défient pas d'une Europe qui bouge, qui décide et qui intervient. Ce qu'ils redoutent, c'est exactement le contraire : c'est une Europe inerte, pesante, engoncée dans des procédures qui la ralentissent et la condamnent à l'impuissance.
Le traité de Lisbonne éloigne cette menace par plusieurs dispositions.
Le choix d'un président du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelables, va conférer à l'institution politique suprême un visage et une stabilité.
La nomination d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, jouissant de moyens renforcés, permettra à l'Union de développer une véritable politique extérieure commune.
Le nouveau traité ouvre la possibilité, pour un groupe d'États, de créer des coopérations structurées dotées de pouvoirs larges. Il crée, pour la défense européenne, ce cadre d'action dont les crises régionales rappellent régulièrement la nécessité.
Le traité instaure un processus de décision plus démocratique et plus efficace. Il élargit le champ de la majorité qualifiée, mesure de bon sens pour permettre de surmonter les blocages que la règle du consensus occasionnait inévitablement, dans une Europe plus vaste et plus nombreuse.
Au Conseil, les pays les plus peuplés, comme la France, seront favorisés par le choix de la double majorité comme mode de vote. Le Parlement européen verra ses pouvoirs renforcés.
Ce sont là les gages d'un progrès de la vie démocratique en Europe.
Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, le traité de Lisbonne ne s'arrête pas à ces dispositions institutionnelles.
Pour coordonner nos politiques économiques, il institutionnalise l'Eurogroupe et lui confère un pouvoir de décision.
La question énergétique s'annonce, avec le problème environnemental, comme l'un des grands défis du siècle prochain. Pour le relever, le nouveau traité instaure le principe essentiel de la solidarité entre États membres. Il offre au Conseil la possibilité d'adopter les mesures nécessaires, en cas de difficulté d'approvisionnement énergétique.
Chaque pays possède, en matière sociale, ses approches, ses traditions et ses exigences. Pour qu'elles soient reconnues de manière respectueuse, les partenaires sociaux se voient confirmés dans leurs missions. Le traité de Lisbonne instaure une clause sociale générale, de portée très large. Aux termes de cette clause, l'Union devra prendre les exigences sociales en compte dans l'ensemble de ses politiques. Par ce biais, je tiens à le répéter devant vous, la pérennité de nos services publics reçoit de l'Europe une garantie exceptionnelle, la plus forte depuis les prémices de notre engagement communautaire. (M. Jean-Patrick Courtois applaudit.)
Tous ici, nous avons redit notre détermination à faire de l'Europe un vaste espace de liberté, de sécurité et de justice. Pour y parvenir, le traité de Lisbonne améliore la manière dont peuvent être traités, à l'échelon européen, des sujets comme l'immigration, légale ou illégale, et le rapprochement des législations pénales. Pour mieux lutter contre la criminalité transfrontalière, le traité attribue à Eurojust des moyens plus importants. Il prévoit la possibilité de créer un parquet européen.
Il dote enfin l'Union d'une charte des droits fondamentaux jouissant d'une valeur juridique égale à celle des traités.
Acceptons-en les promesses : le traité de Lisbonne apparaît aujourd'hui comme une chance unique de réconcilier la prudence légitime des Français avec leur ambition européenne. Après le référendum, on nous a expliqué qu'il existait une France du « oui » et une France du « non » ; qu'une partie du pays résistait à la poursuite de la construction communautaire ; que deux camps, aux frontières nettes, se dressaient l'un contre l'autre.
La vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est qu'il n'existe qu'une seule France, qu'elle souhaite jouer tout son rôle dans la construction européenne...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'en savez rien, vous ne consultez pas le peuple !
M. François Fillon, Premier ministre. ...et que si elle a pu faire preuve de beaucoup de circonspection devant les manières d'y parvenir, elle tient, avec le traité de Lisbonne, une réelle occasion d'accomplir sa volonté selon ses voeux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la dernière décennie, jalonnée de querelles, aura été pour les institutions européennes et pour ceux qui espèrent en elles une décennie d'épreuves.
Nous avons connu le traité d'Amsterdam, qui, à peine signé, était aussitôt remis en question. Nous avons connu le débat entre fédéralistes et partisans d'une Europe intergouvernementale. Au terme de ce débat, nous avons connu le traité de Nice, délicat à négocier, et le projet constitutionnel européen, impossible à conclure.
Nous avons eu plus que notre part de lassitude et de conflit. Aujourd'hui, avec le traité de Lisbonne, plus réaliste, centré sur des équilibres plus respectueux du dessein français, une part du rêve original revit, une part de la ferveur initiale redevient possible.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Le rôle et les compétences des États membres sont réaffirmés, par-delà les inquiétudes. Les moyens d'action de l'Union sont confortés, par-delà toute impuissance. La parole est rendue à l'essentiel, c'est-à-dire à l'expression de nos priorités politiques.
La présidence française du second semestre 2008 va jouir d'une faveur marquée : elle aura la possibilité de recentrer sur ces priorités un débat trop longtemps confisqué par les questions institutionnelles. Elle aura la possibilité d'agir.
Que demandent les citoyens européens aujourd'hui ? Ils demandent une lutte efficace contre le réchauffement de la planète ; une politique énergétique axée sur la sécurité des approvisionnements ; une véritable politique commune de l'immigration, dont le chef du gouvernement espagnol a appuyé l'idée voilà quelques semaines à Paris ; une politique européenne de défense enfin digne de ce nom ; des mesures particulièrement vigilantes de stabilisation et de transparence pour les marchés financiers ; enfin, le lancement d'une revue générale des politiques européennes, de leur efficacité et de leur coût, analogue à la revue générale des politiques publiques que mon gouvernement mène en France.
Entre ces priorités politiques européennes et nous, il n'y a plus que l'adhésion au traité de Lisbonne. Pour nous consacrer de manière durable à la préparation de l'avenir, pour mettre en oeuvre les choix les plus clairs des Français, il n'y a plus qu'un texte à ratifier.
La France, future présidente, sera largement responsable de la mise en oeuvre technique et politique du traité au 1er janvier 2009. Pour jouer dans l'Europe le rôle de moteur et de référence auquel elle prétend, elle se doit de ratifier ce traité le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Michel Mercier applaudit également.)
Le Président de la République a décidé en conséquence de saisir le Conseil constitutionnel dès le lendemain du Conseil européen de Lisbonne, avant même d'amorcer les procédures de ratification.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 20 décembre dernier. Sa décision a conduit à la rédaction du projet de loi qui va vous être présenté par Mme le garde des sceaux et par M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Ce projet de loi constitue la première étape, indispensable, à la ratification du traité de Lisbonne par la France. Il dépose entre vos mains, mesdames, messieurs les sénateurs, de larges espérances : celles de la France, qui croit à son avenir européen, celles de l'Europe, qui guette l'impulsion française avec une attention extrême. Je veux croire que le Sénat sera l'interprète de cette double espérance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - M. Georges Mouly applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté est le préalable à la ratification du traité de Lisbonne. Ce traité, le Premier ministre vous l'a dit, est ambitieux. Il est nécessaire.
La procédure de ratification doit respecter deux étapes. Nous devons commencer par réviser notre Constitution. Il faut la rendre compatible avec certaines dispositions du nouveau traité. Le Parlement sera ensuite amené à se prononcer sur un projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne.
C'est la première étape qui nous occupe aujourd'hui.
Dans sa décision en date du 20 décembre 2007, le Conseil constitutionnel a relevé dans le traité des dispositions qui appellent une révision de notre Constitution. Votre collègue, rapporteur de la commission des lois, M. Patrice Gélard, l'a excellemment montré dans son rapport.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il s'agit tout d'abord des dispositions concernant les compétences et le fonctionnement de l'Union.
Le Conseil constitutionnel a identifié les stipulations prévoyant de nouveaux transferts de compétences au profit des institutions de l'Union européenne. Ces transferts ont pour effet d'affecter les conditions d'exercice de la souveraineté nationale.
Le Conseil constitutionnel avait fait les mêmes constatations en 1992 pour le traité de Maastricht et en 1997 pour le traité d'Amsterdam.
Ces nouveaux transferts concernent par exemple la coopération judiciaire en matière pénale. Ils concernent aussi la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne.
Une seconde série de stipulations rend nécessaire une modification de notre Constitution. Elle concerne les nouvelles prérogatives reconnues aux parlements nationaux.
La première prérogative, c'est la faculté pour les parlements nationaux, et donc pour le parlement français, de s'opposer à une décision du Conseil européen mettant en oeuvre une procédure de révision simplifiée des traités.
La deuxième prérogative, ce sont les pouvoirs reconnus à chaque assemblée parlementaire dans le cadre du contrôle du respect du principe de subsidiarité. Cette prérogative permet à une majorité de parlements nationaux de s'opposer à une proposition de la Commission qui empiète sur les compétences des États membres.
La troisième prérogative, c'est la possibilité, pour le parlement national et en droit de la famille, de s'opposer au recours à la clause passerelle. Cette procédure permet, si le Conseil l'accepte à l'unanimité, de passer d'une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire. Les parlements nationaux pourront s'y opposer.
Ces possibilités nouvelles renforcent les pouvoirs du Parlement. Elles nous amènent à compléter la Constitution.
Cette révision constitutionnelle est donc techniquement nécessaire.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis est un dispositif en trois temps. L'Assemblée nationale l'a approuvé en première lecture le 16 janvier dernier, sans lui apporter de modification.
Le premier temps, c'est d'engager la procédure de ratification du traité. C'est l'objet de l'article 1er. Il est d'application immédiate. Il lève les obstacles constitutionnels à la ratification du traité de Lisbonne.
Le deuxième temps, c'est de modifier le titre XV de la Constitution pour tirer les conséquences du traité de Lisbonne. C'est l'objet de l'article 2.
Ces dispositions ne deviendront applicables qu'à l'entrée en vigueur du traité.
L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne entrainera des changements de forme, puisque le titre XV de la Constitution sera désormais intitulé « De l'Union européenne », car le traité de Lisbonne unifie les trois piliers de l'Union européenne issus du traité de Maastricht.
Le traité substitue également l'Union européenne à la Communauté européenne. Ces changements terminologiques provoquent des modifications des articles 88-1, 88-2, 88-4 et 88-5 de la Constitution.
L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne entrainera également des changements de fond.
La nouvelle rédaction de l'article 88-1 inscrit dans la Constitution de façon pérenne le consentement du constituant aux transferts de compétence prévus par les traités, tels qu'ils résultent du traité de Lisbonne.
Deux articles nouveaux sont ensuite ajoutés au titre XV. Ils permettront au Parlement français d'exercer les prérogatives nouvelles qui lui sont reconnues par le traité de Lisbonne.
Le premier, l'article 88-6, concerne le respect du principe de subsidiarité. Les assemblées parlementaires en seront les garants. Si une assemblée estime que ce principe a été méconnu, elle pourra adresser aux institutions européennes un avis motivé dans un délai de huit semaines. Elle pourra également déférer à la Cour de justice de l'Union européenne l'acte qui lui paraît contraire au principe de subsidiarité. Ce recours devra être formé dans un délai de deux mois.
Le second article nouveau, l'article 88-7, concerne la modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne. En effet, le traité permet aux Parlements nationaux de s'opposer à une décision des institutions de l'Union de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée dans différents domaines. Ce droit d'opposition devra être exprimé dans les six mois suivant la transmission de la proposition.
Le troisième temps du projet de loi, c'est de supprimer les références au traité constitutionnel, puisque celui-ci est devenu sans objet. C'est le but de l'article 3 du projet de loi constitutionnelle. Les références supprimées sont celles qui figurent aux articles 3 et 4 de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005.
Voilà l'équilibre général du texte que je vous présente aujourd'hui.
Comme vous le voyez, le Gouvernement s'est strictement limité à l'objectif de permettre une ratification rapide du traité de Lisbonne.
Les relations entre les institutions européennes et nos institutions, ainsi que la construction européenne elle-même, soulèvent - je le sais bien - de nombreuses questions constitutionnelles.
Dans son rapport, le sénateur Patrice Gélard a soulevé certaines de ces questions. Elles revêtent une importance évidente. Mais ces questions seront débattues en leur temps, lorsque nous examinerons la révision constitutionnelle issue des travaux du comité présidé par Édouard Balladur.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour l'heure, nous en sommes non pas à faire évoluer nos institutions, mais à permettre la modernisation des institutions européennes. C'est l'objectif primordial. Nous ne devons pas en dévier.
Le présent projet de loi ouvre la voie à une avancée fondamentale de la construction de l'Europe. Ne la retardons pas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de vous l'indiquer Mme le garde des sceaux, le Conseil constitutionnel, dans une décision en date du 20 décembre 2007, a estimé qu'une révision de la Constitution était nécessaire avant la ratification du traité de Lisbonne. Il a également précisé que le traité de Lisbonne était différent du traité constitutionnel, ce qui justifie une nouvelle analyse de ses dispositions.
Les travaux de la commission des lois, dont je remercie le président et le rapporteur, M. Patrice Gélard, ont également parfaitement exposé les enjeux de notre débat.
Le traité de Lisbonne est le fruit d'une volonté politique collective pour apporter une solution à un problème inédit : deux États membres fondateurs de l'Europe ont, par la voie d'un référendum, rejeté le traité établissant une constitution pour l'Europe.
Le blocage n'a pas été immédiat. En effet, dix-huit États membres, représentant 56 % de la population européenne, avaient approuvé le traité constitutionnel. Deux autres l'ont encore approuvé après ces deux « non ». Six mois plus tard, le 26 janvier 2007, vingt États se sont réunis à Madrid pour demander la poursuite de la ratification du traité constitutionnel. Pour la première fois dans l'histoire de la Communauté européenne et de son union, l'Europe se réunissait sans la France, et, qui plus est, pour débattre de son avenir.
À cette époque, certains ont cru à une impasse du projet européen, qui se serait enlisé dans une alternative impossible entre élargissement et approfondissement. Toutefois, quelle que soit sa sensibilité, chacun sentait bien qu'une union forte de vingt-sept États ne pouvait en rester aux traités existants et à leur seule vocation économique.
Avec le traité de Nice, l'Union européenne ne peut pas affronter les défis internationaux ou globaux, tout simplement parce qu'elle n'a pas révisé ses règles de fonctionnement. Or notre première attente, la première attente de nos enfants, de ceux qui, en 2005, ont dit « oui » ou « non », c'est que l'Europe prenne enfin sa place dans le monde, à la hauteur de sa puissance économique.
Il faut qu'elle puisse mieux incarner ce qu'elle est, ce qu'elle a toujours été, ce qu'elle devient à vingt-sept : une véritable civilisation reposant sur des valeurs communes et partagées,...