M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le dixième principe c'est de savoir passer de la petite à la grande échelle en se fondant sur l'évaluation et l'expérimentation.
En matière d'insertion, notre pays ne manque ni d'idées ni de projets. Chacun ici pourrait citer des expériences réussies. Pourquoi ont-elles tant de mal à se développer, à se dupliquer, parfois même à survivre ? Elles sont souvent perçues comme coûteuses alors que sans elles le coût pour la collectivité serait sans doute plus élevé. Les politiques publiques doivent s'inspirer de ces initiatives plutôt que de les brider.
Pour cela, l'évaluation et l'expérimentation doivent être des méthodes privilégiées. Nous proposerons que les réformes réservent systématiquement une part de financement à l'évaluation et que l'on continue, comme nous l'avons fait avec le RSA, d'utiliser l'expérimentation comme voie de réforme.
Voilà quelques pistes que nous vous soumettons pour aller vers une politique d'insertion au service de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de notre pays - l'insertion, ce n'est pas rattraper le passé, c'est préparer l'avenir, l'avenir des personnes comme celui des entreprises ; pour aller vers une simplification considérable des dispositifs ; pour ne plus avoir le record d'Europe du nombre de minima sociaux et de ceux qui y sont scotchés ; pour aller vers le sur-mesure et non mener une politique de « petites cases » pour les « incasables » ; pour une politique d'insertion qui adapte les personnes aux défis du monde du travail et qui adapte aussi les exigences du travail aux difficultés des personnes ; pour une politique d'insertion plus fondée sur les territoires et la responsabilité des acteurs locaux ; bref, pour une politique de solidarité active !
Nous attendons beaucoup de ce débat. Vous voyez que les sujets de négociation entre l'ensemble des acteurs concernés ne manquent pas et que les questions de principe sont dignes d'intérêt. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le haut-commissaire, permettez-moi d'abord de vous dire - ce n'est pas mon habitude, et je crois même que c'est la première fois que je le fais - combien j'ai trouvé votre intervention dense, riche et de très grande qualité. Je regrette cependant, le temps dont vous disposiez vous y a peut-être contraint, que vous ayez adopté un rythme trop rapide. Je souhaite donc que chacun la relise à tête reposée et la médite. Je crois qu'elle le mérite tant elle contient de propositions et a de sens.
Mme Isabelle Debré. Nous la relirons !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le cadre très exceptionnel de ce débat sur l'insertion me donne l'opportunité de choisir, en quelque sorte, mon sujet. Mes collègues ne seront donc pas surpris que mon choix se porte sur l'insertion professionnelle des personnes handicapées, pour lesquelles le problème ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes que pour le reste de la population active.
Notre commission s'est mobilisée, et continue de l'être, afin que le handicap, lorsqu'il est compatible avec une vie professionnelle, ce qui est très souvent le cas, ne constitue pas l'unique motif de refus d'emploi.
Nous avons fixé un objectif clair dans ce domaine, celui de parvenir au taux légal de 6 % d'emploi de personnes handicapées. Or la part des salariés handicapés dans les entreprises assujetties à l'obligation d'emploi n'est pas encore atteinte.
Elle s'est certes accrue, passant de 2 % en 1987 à 4,4 % aujourd'hui, mais les fameux 6 % ne sont atteints ni dans la fonction publique ni dans le secteur privé et 23 000 entreprises n'ont encore embauché aucun salarié handicapé.
Alors, bien sûr, on ne peut que constater que le taux de chômage des personnes handicapées représente plus du double de celui de la population valide, soit 17 %.
Cette situation résulte d'une collusion de facteurs bien connus.
Tout d'abord, ils sont d'ordre psychologique, en raison des réticences de certains employeurs, qu'ils soient publics ou privés, plus par ignorance que par rejet d'ailleurs. Mais je crois sentir que cela évolue dans le bon sens.
Ensuite, ils sont d'ordre financier, en raison des coûts que représente parfois la mise en accessibilité des postes. Pourtant, il y a des moyens.
Ils sont également d'ordre structurel, car le système de solidarité est de façon générale encore trop peu incitatif à la reprise d'une activité. On le constate aussi pour d'autres catégories de la population.
Enfin, le véritable obstacle est à mon sens lié au faible niveau de qualification des personnes handicapées et à leur difficulté d'accès aux dispositifs de formation professionnelle de droit commun. Les employeurs sont incontestablement à la recherche de personnels qualifiés et certains sont parfois conduits à organiser eux-mêmes ces formations lorsqu'ils veulent atteindre le seuil de 6 %.
La loi du 11 février 2005 a certes apporté des avancées en matière d'emploi des personnes handicapées, mais certains de ces aspects sont moins convaincants. Je l'avais d'ailleurs indiqué au moment de son adoption. Globalement, je dirais que la prise de conscience est réelle et sincère, mais qu'il reste encore beaucoup à faire.
En premier lieu, il s'agit de favoriser le premier pas de l'employeur vers l'embauche des personnes handicapées.
Cela suppose de faire disparaître tout a priori ou appréhension des directions des ressources humaines en multipliant les actions d'information et de sensibilisation. Sur ce point, je rappelle que la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a malheureusement porté un mauvais coup en changeant les règles et en appliquant désormais celle du 1 pour 1 : une personne handicapée pèse un emploi ! En changeant cette règle, prétendument au nom de la dignité, il s'est exactement passé ce que nous avions annoncé : les personnes les plus lourdement handicapées sont désormais écartées de l'emploi. Ce n'est pas la seule anomalie à dénoncer.
Je confirme également que la décision prise en loi de finances rectificative pour 2007 d'exonérer le ministère de l'éducation nationale de sa contribution au fonds de la fonction publique, à hauteur de sa participation au financement des auxiliaires de vie scolaire, n'a pas forcément été bien vécue ni même bien comprise.
M. Paul Blanc. Tout à fait !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. L'État aurait pu avoir à coeur de se montrer exemplaire en la matière.
M. Jean-Pierre Godefroy. C'est la moindre des choses !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le deuxième axe de progrès est d'inciter davantage les personnes handicapées à travailler et de faciliter leur accès à l'emploi lorsqu'elles en ont la faculté.
La question des ressources ne doit donc pas être un frein. Le cumul désormais possible, pour un certain montant, de l'AAH et d'un revenu d'activité constitue déjà un progrès, qui permet de maintenir un niveau de ressources suffisant même dans le cas d'une reprise d'activité à temps partiel.
Mais ce n'est pas le cas pour les personnes handicapées qui créent leur propre emploi, ce qu'elles sont souvent contraintes de faire en l'absence d'offres adaptées. Aussi, le maintien de l'AAH pour les créateurs d'entreprise, à l'image de ce qui existe pour les chômeurs, devrait être également possible.
Par ailleurs, je crois que vous étudiez, monsieur le haut-commissaire, la possibilité de verser le revenu de solidarité active aux bénéficiaires de l'AAH.
C'est une question sensible qui mérite une attention particulière. Il faut en effet considérer la question des ressources des personnes handicapées de façon globale, en tenant compte du complément de l'AAH et en séparant clairement les prestations qui relèvent de la stricte compensation du handicap. Le montant du RSA devrait ainsi être fixé en conséquence afin que la reprise d'activité soit particulièrement attractive.
Le troisième moyen d'action est de rendre effectif l'accès des personnes handicapées aux dispositifs de formation de droit commun.
Concrètement, cela suppose de mettre à disposition des places supplémentaires pour les personnes handicapées dans le plan régional de formation, de mieux adapter l'offre de formation professionnelle aux personnes handicapées en prévoyant, par exemple, un accueil à temps partiel ou continu, une modulation de la durée de la formation, des méthodes et des supports pédagogiques compatibles avec les handicaps des participants, conformément aux exigences définies dans ce domaine par le décret du 9 janvier 2006. Enfin, il faut mieux préparer les formateurs et les travailleurs sociaux aux difficultés que peuvent rencontrer les personnes handicapées, la méconnaissance du handicap étant le premier frein à l'application de la loi.
Certaines régions ont déjà réalisé des efforts importants en signant les conventions « Handicompétence » en partenariat avec l'AGEFIPH, l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.
Il faut multiplier ces initiatives afin que les personnes handicapées puissent suivre des formations adaptées à leur handicap et aux emplois disponibles après établissement d'un bilan de ce qu'elles peuvent et veulent faire. Cela n'exclut pas, par ailleurs, de développer les capacités d'accueil dans le secteur protégé, en établissement et service d'aide par le travail, ESAT, et en entreprises adaptées, en augmentant le nombre d'emplois disponibles.
Le passage dans ces structures représente une étape souvent décisive dans le parcours d'insertion professionnelle des personnes handicapées. Encore faudra-t-il qu'on ne les y retienne pas lorsque l'on peut passer à un autre stade.
C'est la raison pour laquelle notre commission est très favorable à l'expérimentation de places d'ESAT « hors les murs » destinées à faciliter la transition vers le milieu ordinaire en maintenant un encadrement rassurant pour le salarié. L'objectif final est bien sûr l'accès des personnes handicapées à l'emploi en milieu ordinaire, que ce soit dans la fonction publique ou dans les entreprises privées.
Le premier moyen d'action est évidemment financier : l'AGEFIPH, association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, et le FIPHFP, fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, ont pour mission de financer des primes d'incitation à l'embauche ou des aides à l'aménagement des postes de travail.
Les actions menées par l'AGEFIPH ont déjà donné des résultats encourageants : plus de 230 000 interventions chaque année, une augmentation de 4 % en 2006 des salariés handicapés et 111 000 personnes prises en charge par le réseau Cap emploi.
En revanche, les interventions du FIPHFP demeurent embryonnaires, ce qui explique un excédent de trésorerie « dormant » qui atteint plus de 150 millions d'euros. Je crois que les choses vont changer. Notre commission s'était d'ailleurs vivement inquiétée de cette situation et du contexte particulier dans lequel ce fonds a commencé de fonctionner. Il faut espérer que désormais doté d'un nouveau président, il puisse prendre la mesure de sa mission et engager des actions adaptées aux besoins et demandes des employeurs publics.
Bien évidemment, la mise en accessibilité des bâtiments, de la voirie et des transports est une absolue nécessité pour permettre l'accès à l'emploi. On dépasse ici, j'en suis conscient, la question de l'insertion professionnelle stricto sensu, mais les deux sujets sont indissociables. L'échéance fixée par la loi - 2015 - est bien trop lointaine. Mais l'ampleur des investissements à financer justifie que les communes s'en préoccupent dès à présent.
C'est maintenant qu'il faut mettre en place la commission d'accessibilité chargée d'établir, avant la fin de l'année 2008, le diagnostic d'accessibilité des constructions, des voiries et des moyens de transport.
Les entreprises et les administrations qui souhaitent accueillir des personnes handicapées sont, elles aussi, concernées au premier chef.
Il me semble donc que l'AGEFIPH et le FIPHFP pourraient utilement contribuer au financement de ces opérations.
Je crois beaucoup, comme vous, me semble-t-il, monsieur le haut-commissaire, à la méthode des « petits pas » qui font progressivement évoluer les esprits. Je crois aussi à la vertu de l'exemple.
Je suis convaincu que cette méthode et la vertu de l'exemple pourront sensibiliser et convaincre, y compris les petites entreprises, celles de moins de vingt salariés, qui ne sont pas assujetties à l'obligation d'emploi, mais qui constituent le vivier d'emplois proches susceptible d'accueillir nos concitoyens handicapés en attente d'un emploi.
Tel est le message que je souhaitais vous délivrer aujourd'hui. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales.
M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, en préambule, je souhaite dire que la France n'a pas à rougir des efforts qu'elle déploie en faveur de l'insertion des plus démunis.
Plusieurs textes y ont été consacrés ces dernières années : la loi de 1988 créant le revenu minimum d'insertion, le RMI, la grande loi de 1998 contre les exclusions et, plus récemment, la loi en faveur du retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux, sans oublier les dispositions spécifiques en faveur de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, comme l'a indiqué le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About.
Pour autant, notre système de solidarité, bien que largement doté, n'a pas donné les résultats escomptés.
Trop complexe, tout d'abord, il n'est guère compréhensible aujourd'hui pour nos concitoyens, y compris pour les travailleurs sociaux eux-mêmes !
Cette complexité entraîne également des incohérences et des iniquités, que ce soit entre les bénéficiaires de minima sociaux ou entre ceux-ci et les salariés les plus modestes.
Enfin, le système actuel reste trop peu incitatif à la reprise d'activité, et ce en dépit de nos efforts.
Il en résulte une efficacité limitée des politiques d'insertion et de solidarité, qui maintiennent leurs bénéficiaires dans un régime d'assistance dont ils veulent le plus souvent sortir sans pouvoir prendre le risque d'une diminution de leur revenu d'existence.
À l'occasion de ce débat, et alors que se prépare une réforme globale des minima sociaux, permettez-moi de proposer quelques axes de réflexion.
Tout d'abord, le futur système doit être plus incitatif à la reprise d'activité et assortir obligatoirement le versement d'un minimum social d'une contrepartie de la part du bénéficiaire.
De l'assistance nous devons passer à une «politique d'inclusion sociale active », ainsi que le préconise l'Union européenne.
Je crois en la vertu rédemptrice du travail et de l'effort, ainsi qu'au bonheur donné par la récompense méritée. L'individu trouve sa dignité dans le travail et dans sa contribution au fonctionnement de la société.
Une large majorité des bénéficiaires des minima sociaux sont d'ailleurs désireux de travailler. Cela suppose, néanmoins, un accompagnement et un suivi sérieux. C'est la grande faille du RMI, alors même que la loi avait prévu la signature d'un contrat d'insertion. Je crois donc indispensable de contrôler désormais l'existence d'un tel contrat et de sanctionner les bénéficiaires d'un minimum social qui le refuseraient ou qui n'en respecteraient pas le contenu.
Il faut, dans le même temps, professionnaliser les métiers de l'insertion : les travailleurs sociaux doivent être en mesure de réaliser avec la personne concernée un bilan professionnel valable, de lui proposer un véritable projet d'insertion et d'en assurer le suivi jusqu'à son terme.
Cela suppose que les travailleurs sociaux soient plus formés et préparés à ces entretiens. Dans la perspective d'une évaluation des politiques d'insertion, il me paraît même pertinent de leur fixer des objectifs de résultats.
Le deuxième principe fondamental est que notre système doit garantir l'équité entre les bénéficiaires des minima sociaux, d'une part, et entre ces derniers et les salariés les plus modestes, d'autre part.
Il existe dans notre pays une trop grande variété de statuts et une disparité dans le montant des allocations versées, la fixation des plafonds de ressources et les conditions d'attribution des aides, créatrices d'effets pervers.
Tous ces points ont été décrits dans le rapport d'information que la commission des affaires sociales a consacré à ce sujet en 2005.
La fusion des minima sociaux que vous envisagez constituerait, bien sûr, une garantie de simplification et d'équité, mais la simple harmonisation des conditions de versement et d'accès aux droits connexes pourrait remplir, me semble-t-il, le même office.
En outre, la généralisation du revenu de solidarité active, le RSA, s'il était versé à tous les bénéficiaires de minima sociaux reprenant une activité, mais aussi aux travailleurs les plus pauvres, supprimerait nos craintes d'une distorsion entre ces deux catégories, tout en incitant au retour à l'emploi.
Il s'agit de garantir la perception d'un revenu supérieur à celui qui est versé dans les périodes d'inactivité. Nos réserves portent sur le coût d'une telle mesure.
C'est pourquoi, une remise à plat complète du système, y compris des droits connexes versés en fonction du statut du bénéficiaire et des charges liées à la reprise d'activité, nous semble indispensable.
Le troisième principe est la sécurisation du parcours d'insertion professionnelle. Toute reprise d'activité, y compris de courte durée, ne doit comporter, pour le bénéficiaire, aucun risque de perte de revenu.
Or les parcours d'insertion alternent souvent activité et inactivité. Aussi faut-il éviter les ruptures brutales de droit, en neutralisant les ressources devenues inexistantes.
Le RSA, que vous devez expérimenter dans quarante départements au profit des bénéficiaires du RMI et de l'API, allocation de parent isolé, répond en partie à ces objectifs.
Nous avons pourtant des questions concernant son éventuelle généralisation.
Le RSA a-t-il vocation à intégrer l'ensemble des minima sociaux ou bien seulement l'ASS, allocation de solidarité spécifique, l'API et le RMI ? L'AAH, allocation aux adultes handicapés, est-elle concernée ? Comment s'articulera-t-il avec chaque minimum social ? Quel doit être le montant du RSA ? Sera-t-il fixé uniformément par l'État ou librement par chaque département ?
La commission des affaires sociales a déjà eu l'occasion de se prononcer à ce sujet : elle souhaite que les modalités de calcul du RSA soient identiques sur l'ensemble du territoire national et que les droits connexes soient obligatoirement pris en compte. Cela permettra à la fois de simplifier notre système, de limiter les disparités de revenus entre les bénéficiaires du RSA et les travailleurs modestes, et de réduire le coût global du nouveau système de solidarité.
Une autre question centrale est celle du partage des responsabilités.
Suivant les préconisations de notre collègue Alain Lambert, les départements -continueront-ils à exister ? -, échelons de proximité, pourraient conserver leur responsabilité de chef de file dans la conduite des politiques d'insertion.
Leur mobilisation et leur implication active en faveur des bénéficiaires du RMI justifieraient qu'ils reçoivent de l'État une juste compensation des dépenses qu'ils engagent dans ce domaine, et qu'ils soient récompensés des actions innovantes et efficaces qu'ils mettent en oeuvre.
Ces nouvelles pratiques pourraient faire l'objet d'une évaluation annuelle et être diffusées lorsqu'elles ont fait leurs preuves.
Pourrait s'ajouter à ces mesures une récompense financière destinée aux départements vertueux, à l'instar de la prime versée, dans le cadre du fonds de mobilisation départemental pour l'insertion, aux départements qui s'efforcent de mettre en place des politiques sociales innovantes.
Concernant la formation professionnelle, l'action des régions destinée aux bénéficiaires des minima sociaux demeure insuffisante. Elle doit être mieux coordonnée avec celle des départements et le système de formation professionnelle doit être plus largement ouvert aux bénéficiaires de minima sociaux.
Il est vrai que tous les bénéficiaires de minima sociaux ne sont pas inscrits à l'ANPE, ce qui a pour conséquence qu'ils ne peuvent pas bénéficier pleinement des offres de formation du service public de l'emploi.
Monsieur le haut-commissaire, à quand un Grenelle de la formation professionnelle ?
Pour conclure, je souhaite que la future réforme des politiques d'insertion passe par une redéfinition des droits et des devoirs de tous les acteurs : bénéficiaires de la solidarité nationale, entreprises, travailleurs sociaux, État et collectivités locales concernées. J'y vois le préalable à une politique d'inclusion sociale active, assortie d'une véritable exigence de résultats.
Je crois également à l'émulation créée entre les départements par la décentralisation et aux vertus de l'expérimentation.
C'est ainsi que nous parviendrons à rénover nos politiques publiques et à les rendre plus efficaces, en évaluant leur mise en oeuvre et en diffusant les bonnes pratiques. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier, pour la commission des affaires sociales.
M. Bernard Seillier, pour la commission des affaires sociales. Monsieur le haut-commissaire, après votre exposé complet, qui a fait l'inventaire aussi bien de l'existant que des pistes ouvertes par ce Grenelle de l'insertion, je suis en grande difficulté pour ajouter quelque chose de pertinent, d'autant que je partage très largement les analyses que vous avez développées.
La référence aux accords de Grenelle de 1968 me permet toutefois de prendre quelques libertés puisqu'elle signifie l'ambition de remettre à plat toute la problématique de l'insertion de chaque citoyen dans la vie économique et sociale.
Ainsi que vous le disiez vous-même, monsieur le haut-commissaire, lors lancement de cette vaste opération, à Grenoble, où j'ai eu la chance de pouvoir vous écouter, il s'agit de réviser le régime de répartition des droits et des devoirs de tous les acteurs autour de cette problématique de l'inclusion sociale.
Le champ est donc très vaste et mérite d'être segmenté ou, pour le moins, mis en perspective. C'est ce que j'essaierai très simplement, et sans aucun doute trop sommairement, de faire.
Tout d'abord la problématique même de l'insertion peut être posée par référence à la logique de développement de la société dans laquelle nous vivons.
Si nous admettons, à ce titre, que la dominante de nos sociétés développées est la performance d'un système technologique concurrentiel, nous admettrons que l'impératif d'une insertion réussie sera de permettre à chacun d'accéder à un haut niveau de compétence scientifique et technique. C'est donc la qualité du système éducatif et de la formation professionnelle qui devra être considérée comme prioritaire.
La mobilisation des moyens financiers, notamment ceux du système de formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, devra suivre cette logique. Le rapport de la mission sénatoriale de 2007 sur ce sujet a montré que nous étions loin de satisfaire à cette nécessité. Cependant, nous connaissons désormais la voie à suivre.
Si nous remarquons, ensuite, que l'acquisition d'un haut niveau de qualification professionnelle requiert un effort intense et prolongé tout au long de la vie, nous mettrons en évidence le lien étroit qui existe entre la satisfaction de cette exigence personnelle et ce que j'appellerai la stabilité mentale, la force de caractère et de volonté des intéressés.
C'est donc la formation morale qui se trouve mise en jeu, de même que tout le contexte culturel dans lequel nous baignons. Nous devons nous interroger, alors, pour savoir si la pédagogie de l'effort intense et continu que sous-tend cet objectif est bien la caractéristique dominante de notre éducation et de notre existence quotidienne. Je ne me prononce pas sur la qualité de cette existence dès lors qu'elle est soumise à une telle tension ; néanmoins, la question doit être posée, et je laisse chacun s'interroger en son for intérieur et répondre à cette question.
La fréquentation des publics en difficulté d'insertion dans les missions locales rend dubitatif à ce sujet. Il y aurait donc, là aussi, une voie évidente de progrès dans la prévention de l'exclusion. Trop de jeunes ne sont, à l'évidence, pas armés pour affronter les conditions de la vive compétition inhérente aux économies de la connaissance quand on constate les difficultés qu'ils rencontrent en découvrant à la fin de l'adolescence les règles élémentaires de l'hygiène de vie, si une pratique sportive de bon niveau ne les a pas préalablement éveillés en ce domaine.
La responsabilité de l'échec de l'insertion ne saurait, a fortiori dans de telles conditions, être imputable aux victimes. Ceux qui disposent du pouvoir de décider de la formation des jeunes et de la dispenser sont les premiers responsables du succès ou de l'échec de leur bonne insertion.
Autrement dit, c'est sur nous que repose cette responsabilité.
Il serait trop facile de construire, ensuite, le mythe d'une inadaptation insurmontable de quelques personnes et d'inventer l'inacceptable concept de « handicapé social » quand on a préalablement tout fait pour qu'il en soit ainsi !
Nous pouvons aussi aborder la problématique de l'insertion par un examen critique de notre modernité, ce que vous avez très largement fait. Permettez-moi toutefois de préciser quelques points auxquels je suis particulièrement sensible.
On peut notamment se demander si les contraintes inhérentes à nos sociétés technologiques, libérales, capitalistes, individualistes et compétitives ne sont pas en définitive excessives, au point d'engendrer des forces centrifuges telles - nous avons les mêmes références mécaniques ! - que l'exclusion est un sous-produit systémique, aussi bien au niveau du volume d'emplois que de la rémunération du travail et de la distribution des revenus.
La question n'est pas indécente, au contraire. La difficulté tient à l'inaccessibilité à ce jour d'un système de régulation non destructeur du système de base producteur de richesses.
On identifie le mal, mais on ne maîtrise pas le remède, au moins au niveau global.
C'est pourquoi, à l'expérience, je pense qu'une fois admis que l'effort de prévention de l'exclusion passe par l'éducation fondamentale et la formation professionnelle initiale et continue telle que je viens de l'évoquer, il faut déployer toute la panoplie de ce que l'ingénierie de l'insertion a mis au jour et en oeuvre progressivement depuis plus de trente ans maintenant, jusqu'à l'invention du revenu de solidarité active, dont vous êtes le concepteur.
Il est essentiel que cette ingénierie soit connue par tous et spécialement par les ministres et leurs conseillers. Surtout, il importe de prendre très au sérieux la gravité et l'ampleur de la question et de rejeter toute conception superficielle des moyens à mettre en oeuvre dans la lutte contre l'exclusion, conception selon laquelle il ne s'agirait que d'un secteur d'ajustement conjoncturel alors que nous sommes confrontés à un phénomène structurel.
Cette observation, cela va de soi, ne concerne pas le haut-commissariat et les conseillers qu'il regroupe. (Sourires sur le banc du Gouvernement et sur celui de la commission.)
L'expérience que j'ai de la formation continue depuis vingt ans me permet de mesurer la nécessité que les lois du secteur de l'insertion soient connues à un bon niveau, car je sais quelles menaces récurrentes de variation conjoncturelle pèsent sur les crédits dégagés à ce titre.
Je n'ai pas le temps ici de décrire dans le détail ce que j'appelle l'« ingénierie de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion ». Je soulignerai simplement que la panoplie des structures mobilisées dans ce combat va du lieu de vie, en marge des marchés compétitifs, pour la remise en selle des personnes les plus blessées par la vie et dont on ne peut jamais dire à l'avance qu'elles sont perdues pour toute vie sociale et vie économique classiques, jusqu'à l'Association pour le droit à l'initiative économique, fondée en France par Maria Nowak et qui accompagne les créateurs d'entreprise par le système du microcrédit. Dix mille prêts ont été ainsi distribués par son entremise l'année dernière. Ils ont permis de sortir dix mille personnes du chômage par la création d'entreprise et donc par une insertion par le haut. Je rappelle que l'économiste Muhammad Yunus né au Bangladesh en 1940 et inventeur du microcrédit a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. Ce n'est pas indifférent.
Entre ces deux extrémités de la panoplie, on observe toute la gamme progressive des chantiers d'insertion, chantiers-écoles, associations et entreprises intermédiaires, entreprises d'insertion, dont les revenus proviennent à 80 % de la vente sur les marchés compétitifs, jusqu'aux entreprises courantes placées au coeur des marchés internationaux et qui s'impliquent de plus en plus en amont dans l'invention de parcours de réinsertion de personnes en situation d'exclusion ou menacées d'exclusion au coeur même de leur entreprise.
Ainsi que vous en avez également fait la remarque, monsieur le haut-commissaire, je pense qu'une des grandes attentes que suscite le Grenelle de l'insertion repose sur cet engagement progressif, et relativement nouveau pour certains, du tissu économique dans la grande cause nationale de l'insertion.
Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale comprend en son sein, depuis juillet 2005, les syndicats professionnels et de salariés. J'ai pu noter de leur part la volonté de se tourner collectivement vers cette problématique de la lutte contre l'exclusion par les politiques d'insertion.
En effet, si, comme je le disais précédemment, nous devons affronter un problème structurel de nos systèmes économiques et sociaux, il est clair que la persistance du phénomène engendre des pénalités considérables pour notre avenir économique et social. Sa résorption ne peut, dès lors, que se traduire par une meilleure performance économique : c'est donc notre intérêt.
Mais l'enjeu est aussi l'obtention d'un degré supérieur de cohésion sociale : c'est donc aussi notre obligation politique.
Avant de conclure, je souhaite attirer votre attention sur une dimension cachée de cette problématique.
Il faut s'interroger en effet sur ce qui blesse notre corps social au point de fournir des cohortes de personnes en situation de pauvreté et d'exclusion d'une participation normale à la vie commune et à la répartition équitable des biens. Il y a là la marque d'un échec politique majeur.
Lorsqu'on essaie de systématiser les processus d'insertion, on constate qu'ils comportent tous deux dimensions : une dimension financière, car l'insertion a un coût, et une dimension humaine, car l'insertion exige toujours un accompagnement individualisé, professionnel ou social, ou professionnel et social.
On comprend donc aisément que, s'il y a un aspect technique de la problématique - une qualification à acquérir et une rémunération de transition à offrir -, il y a également un aspect de lien social, de relation interpersonnelle qui est en cause.
Cette dernière dimension est essentielle, et je crois qu'elle n'est plus niée par quiconque.
Cette découverte m'avait conduit à proposer en 2003 la création d'un « contrat d'accompagnement généralisé » tant pour l'insertion par un contrat de travail que pour l'insertion par une création ou reprise d'entreprise.
Mais il est intéressant de se demander si ce recours subitement nécessaire à un accompagnement lors d'un processus d'insertion ou de réinsertion ne révèle pas une blessure plus chronique et plus structurelle du lien social lui-même en tant que protection contre l'exclusion sociale.
Qu'il me soit permis ici d'orienter notre réflexion sur un sujet grave et délicat que j'aborde sans aucune agressivité.
L'émergence du problème de l'insertion commence très tôt dans notre existence puisqu'on peut affirmer que le premier acte de notre insertion est notre naissance. Notre existence s'impose au monde depuis que l'infanticide a été banni de nos sociétés. Cette insertion ne peut être refusée par la société, et c'est un progrès de civilisation. Les législations de solidarité sociale, au moins dans nos pays, ont reconnu la nécessité de soutenir financièrement cet événement, cet avènement, dirai-je, cette première insertion.
Une ombre s'est cependant répandue depuis que de nombreux régimes démocratiques ont libéralisé la possibilité d'interruption des grossesses, rendant ainsi précaire la phase préliminaire de préparation de l'insertion initiale de l'être humain dans la société.
Je me place ici d'un point de vue peu exploré, qui n'est ni d'ordre démographique ni d'ordre juridique, mais qui est d'ordre relationnel qualitatif et relève donc de la morale collective.
Il est incontestable que l'avènement de l'autre dans notre conscience, son accueil dans notre mentalité et la reconnaissance de ses droits imprescriptibles par notre volonté sont déportés à un moment qui dépend de notre enregistrement à l'état civil et ne se produisent pas en amont de la naissance, à un stade qui ferait abstraction de notre sensibilité.
Cette solution a pour elle l'avantage de la force du fait, mais elle a contre elle la faiblesse de ne pas être inconditionnelle et indépendante de la qualité, de la situation et de l'état de l'être humain en cause, de son stade de développement. Cette problématique est celle-là même de l'insertion tout au long de la vie.
Aujourd'hui, la législation protectrice de l'insertion et des droits des handicapés est une garantie importante contre les dérives eugéniques de notre humanité.
Notre situation demeure cependant pénalisante pour toute la philosophie exigeante de l'inclusion sociale. Elle suppose en effet, pour être vraiment digne d'une haute conception du corps social, c'est-à-dire d'une conception unifiée indépendante des valeurs et des performances individuelles, un respect absolu de la dignité de l'être humain dans son essence.
Mère Theresa avait coutume de dire que l'avortement légal était le principal ennemi de la paix dans le monde.