compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

GRENELLE DE L'INSERTION

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le « Grenelle de l'insertion ».

La parole est à M. le haut-commissaire.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les politiques d'insertion ont besoin de nouvelles perspectives. Le « Grenelle de l'insertion », qui réunit l'ensemble des acteurs concernés, est l'occasion de les fonder sur des bases nouvelles.

Il nous a semblé opportun d'en débattre en amont avec vous, et non de venir vous demander de simplement ratifier a posteriori ce qui aurait été élaboré dans d'autres enceintes.

Les questions d'insertion sont trop souvent abordées à partir d'éléments techniques dans lesquels seuls quelques rares spécialistes se retrouvent. Nous avons aujourd'hui la possibilité de discuter des grandes lignes, de répondre à des questions de principe, de confronter des visions différentes et de dégager des enjeux prioritaires.

Nous pouvons dire que nous sommes à la fin d'un cycle d'une vingtaine d'années. Notre pays a, par touches successives, forgé une politique d'insertion dont certains résultats positifs ne doivent être ni oubliés ni niés.

Avant 1988, on pouvait, dans ce pays, se trouver sans aucune ressource et ne dépendre que de la charité publique ou privée. La loi du 1er décembre 1988 a créé le revenu minimum d'insertion, le RMI, qui est une incontestable avancée sociale. Avoir un revenu minimum est même désormais une caractéristique de l'Europe sociale.

Avant 2000, on pouvait, dans ce pays, n'avoir aucune assurance maladie et se voir refuser l'accès aux soins, faute de ressources. La loi du 27 juillet 1999 a créé la couverture maladie universelle, la CMU.

Des millions de personnes sont passées par des emplois aidés, et des centaines de milliers par des entreprises ou des structures d'insertion ; elles n'auraient pas travaillé ou pas retravaillé sans ces dispositifs spécifiques.

Certains parcours d'insertion sont des réussites formidables. À eux seuls, ils justifieraient l'invention de l'insertion.

Et pourtant, nous sommes collectivement obligés de constater un échec. Notre pays n'a pas des résultats à la hauteur de sa richesse économique, ni de son ambition sociale.

Il ne devrait pas compter tant de personnes exclues du monde du travail, tant de personnes qui ne peuvent pas dépasser le revenu minimum, tant de personnes dont la majorité des ressources proviennent de la solidarité et trop peu de leur travail, tant de personnes qui, après avoir remis un pied à l'étrier, sont renvoyées à la case départ, tant de personnes qui se débattent en vain dans une foultitude de difficultés où s'entremêlent l'isolement et les problèmes de santé, de logement, de surendettement, de formation ou d'emploi.

Ce n'est pas faire injure aux constructions d'un passé récent, à leurs inventeurs, à leurs promoteurs, à leurs soutiens ou à ceux qui les ont mises en oeuvre de dire qu'il faut bâtir autre chose.

Quand tant de personnes perdent de l'argent en reprenant du travail, c'est qu'il faut changer le système. Quand on vous écrit pour vous proposer de rembourser une partie de son salaire pour pouvoir de nouveau bénéficier de la couverture maladie universelle, il faut changer de système. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Quand on veut travailler, que l'on donne satisfaction dans son emploi dans une entreprise d'insertion, mais que, selon la loi, on ne peut pas rester plus de deux ans dans un contrat et que, du fait de l'application des textes, on se retrouve au chômage à l'âge de cinquante-huit ans, il faut changer de système. (M. Jean Desessard acquiesce.)

Quand vous voulez travailler à plein temps et que le contrat de travail dont vous êtes titulaire dans le cadre des politiques d'insertion ne vous permet pas de travailler plus de 26 heures et de gagner plus de 750 euros, il faut changer de système.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Quand un pays compte parmi ses adultes pauvres, à l'âge actif, autant de personnes pauvres parce qu'exclues du travail que de travailleurs pauvres, il faut changer de système.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Pourtant, toutes les mesures prises au cours de ces dernières années l'ont été avec de louables intentions et n'ont pas été adoptées dans l'intention de nuire ou d'exclure. Mais, mises bout à bout, elles produisent un système de relégation. Ce n'est pas l'une d'entre elles qu'il faut modifier, c'est l'ensemble des politiques d'insertion qu'il faut repenser, reconcevoir et rebâtir.

Parfois, face à des constats si désolants, on recherche des boucs-émissaires. Ici, ce n'est pas le cas. Pris isolément, aucun des acteurs n'est en lui-même coupable. Ce n'est pas tel ou tel qu'il faut montrer du doigt. C'est une responsabilité collective ou, plus exactement, une irresponsabilité collective qu'il faut dénoncer et à laquelle il faut tenter de mettre fin.

Comment en est-on arrivé là ? Pour changer un système malade, il faut établir un diagnostic. Je vous en suggère un. Le responsable, c'est le comportement de « centrifugeuse ».

Ce que j'appelle la « centrifugeuse », c'est ce moteur qui, depuis des décennies, s'est mis à renvoyer à la périphérie, d'abord insidieusement, puis avec violence, certains de ses membres considérés par la société comme les moins performants. Le moteur a tourné de plus en plus vite. Plus il tournait, plus le nombre de personnes rejetées contre des parois glissantes a augmenté.

Pas assez performant, parce que trop jeune, parce que trop vieux - et, dans le monde du travail, on est vieux de plus en plus tôt ! -, parce que pas assez qualifié, parce que trop qualifié, parce que mal qualifié, parce que toujours disqualifié ou parce que discriminé !

Selon une enquête de 2005, les annonces d'emploi en France comportent un critère d'âge dans 20 % des cas, contre seulement 1 % des cas au Royaume-Uni, un critère de formation dans 73 % des cas, contre 63 % en Espagne et 27 % au Royaume-Uni, une demande de photographie dans 9 % des cas, contre 3 % et 0 % dans ces deux autres pays européens !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut adopter le CV anonyme !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le moteur de notre société a cru gagner en efficacité parce qu'il s'allégeait, mais il s'est privé de carburant.

Le compartiment le plus productif était le plus sélectif, mais il a rejeté directement dans le compartiment de l'assistance. Certes, pour que l'éviction ne soit pas trop douloureuse, des mécanismes de compensation ont été mis en place. On a compensé l'éviction au lieu de la combattre. La première cause, c'est la centrifugeuse.

La deuxième cause, ce sont des mécanismes qui compensaient l'exclusion au lieu de provoquer l'intégration. C'est comme cela que nos politiques de lutte contre la pauvreté ont été construites. Trop déconnectées du travail. Trop déconnectées de l'éducation et de la formation. Trop déconnectées de l'économie. Trop déconnectées des aspirations des personnes. Elles dépendaient de l'aide sociale ? On les a accusées de rechercher l'assistanat, sans voir qu'on les y condamnait.

Troisième cause, dans notre pays, il a manqué un compartiment intermédiaire entre le secteur le plus compétitif et le secteur de la solidarité. Il a manqué un secteur où l'on développe des emplois, peut-être à plus faible productivité, mais qui restent rentables pour l'économie d'un pays, en tout cas infiniment plus rentables que lorsqu'il faut payer le prix du chômage et de l'exclusion.

On dit souvent de la santé qu'elle n'a pas de prix, mais qu'elle à un coût. L'exclusion a un coût pour la société, mais elle a également un prix pour ses membres, un lourd tribut que payent d'abord les personnes exclues et, désormais, la collectivité.

Nous avons cru que nous pouvions passer par une phase transitoire, celle d'un chômage que l'on attribuait à des chocs externes, en conservant un modèle social et la qualité de l'emploi qui l'accompagnait. Nous avons finalement eu à la fois le chômage et la pauvreté au travail, à la fois l'exclusion et la précarité.

À cela, nous avons répondu par des systèmes de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexes, de plus en plus coûteux, de moins en moins compréhensibles, de moins en moins efficaces et de moins en moins justes au fur et à mesure qu'ils s'enchevêtraient ou se neutralisaient.

Le résultat, nous le connaissons. Nos politiques d'insertion sont à bout de souffle. Mais l'énergie n'est pas morte. Nous l'avons vu au moment du lancement du Grenelle à Grenoble, voilà un mois et demi. Tous les pionniers et ceux qu'ils ont formés, c'est-à-dire les générations d'après, étaient là, toujours pleins d'énergie pour relever le défi. Nous le voyons dans les départements. Il s'y passe quelque chose depuis que des responsabilités leur sont conférées. Ils cherchent à inventer de nouvelles politiques. Nous le voyons dans les réseaux associatifs, qui ont inventé des solutions originales, parfois en devant se débrouiller aux marges de la légalité. Nous le voyons dans le dynamisme de l'insertion par l'activité économique, qui était déjà à la pointe du développement durable quand le concept n'intéressait personne.

Dans ce contexte, nous percevons quelques raisons d'être optimistes et de nous pousser à agir.

La première de ces raisons, c'est ce que nous disent les personnes concernées. Selon un sondage que nous avons réalisé, les allocataires du RMI souhaitent travailler, ont conscience des obstacles qu'ils rencontrent et sont demandeurs de formation, de mobilité et d'accompagnement.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous en recevons des témoignages tous les jours, par exemple l'implication forte des RMIstes dans les groupes de travail constitués dans les départements qui expérimentent le revenu de solidarité active, le RSA.

La deuxième raison d'être optimistes réside dans ce que nous montrent les acteurs de l'insertion. Ils réussissent à redonner leur dignité aux personnes les plus fragiles, avec des moyens faibles. Et la société dans son ensemble, avec des moyens forts, n'y parviendrait pas ?

La troisième raison, c'est un impératif qui semble désormais mieux compris. L'attitude du secteur économique change. Trop lentement certes, mais elle change. La prise de conscience évolue, notamment dans les entreprises, qui ont besoin de main-d'oeuvre.

En réalité, si les politiques d'insertion sont à bout de souffle, elles n'ont jamais été aussi nécessaires. Elles représentent une chance. Nous devons les construire non pas en nous référant au passé, mais en nous projetant vers l'avenir.

Il y a des secteurs dits « en tension ». Pour montrer l'absurdité du système, on a l'habitude de rapprocher, et à juste titre, les offres d'emplois non satisfaites et les demandeurs d'emplois. Mais si on regarde les offres d'emploi actuellement non satisfaites et si on les convertit en équivalents temps plein, on trouvera peut-être aujourd'hui de quoi satisfaire à peine 10 % des besoins !

Si nous nous projetons dans les dix prochaines années, les proportions changent. Ce sont des millions d'emplois qui seront à pourvoir. Cela modifie profondément la donne, même si le combat n'est pas gagné par avance, loin de là. En continuant les politiques actuelles, nous connaîtrons simultanément des pénuries considérables de main-d'oeuvre et des taux de chômage massifs dans certaines catégories de la population.

Si nous transformons, bouleversons et révolutionnons les politiques d'insertion, nous pouvons faire reculer la pauvreté en créant de la richesse !

Pour cela, il faut débattre. Nous souhaitons que les partenaires réunis dans les collèges du Grenelle puissent le faire. Ils pourront d'autant mieux le faire qu'ils auront été éclairés par la représentation nationale. Que pouvons-nous proposer ?

Nous suggérons de discuter dix principes d'action susceptibles de guider les travaux du Grenelle et les propositions de réforme qui pourront y être débattues.

Premier principe, simplifier de façon drastique les dispositifs, s'agissant tant des minima sociaux que des aides au retour à l'emploi ou des contrats aidés. Simplifier, c'est difficile. Simplifier, c'est complexe. Mais simplifier, c'est indispensable.

Pourquoi tant de complexité ? Parce que l'on a, chaque fois, ajouté un dispositif au précédent. Parce que l'on a opté pour des logiques de cloisonnement. Parce qu'il n'y a pas de responsable bien identifié. Parce que l'on fonctionne sur une logique de défiance, qui se traduit par des critères d'une précision presque diabolique.

La complexité est aujourd'hui source d'exclusion. Vous avez un problème ? Nous avons une solution, mais elle ne s'applique pas à vous, parce que vous êtes assujetti à l'allocation de parent isolé, API, et pas au RMI, parce que vous êtes trop vieux d'un an ou trop jeune de deux ans, parce que vous n'êtes pas encore assez éloigné de l'emploi ou suffisamment surendetté !

Nous proposons plusieurs simplifications majeures.

Avec le RSA, c'est la substitution d'une prestation unique à plusieurs minima sociaux et à plusieurs aides. Avec le contrat unique d'insertion, c'est la simplification de l'enchevêtrement des contrats. Avec le bouclier sanitaire, s'il est accepté, c'est potentiellement une simplification considérable du système des « copaiements » et des prises en charge par l'assurance maladie. Avec une meilleure connexion entre le nouveau service public de l'emploi et l'insertion professionnelle, c'est la suppression des critères d'accès en fonction des statuts.

Cependant, simplifier impose de pouvoir donner de la souplesse aux acteurs ayant la responsabilité directe des publics en insertion, afin de leur permettre de répondre par oui ou par non en fonction non pas d'un « paragraphe d'une circulaire expliquant un arrêté qui résulte d'un décret pris en application d'une loi » (Sourires), mais des besoins de la personne, qui ne résultent pas nécessairement de son statut administratif ou de ses engagements.

Une bonne législation est une législation qui pose les principes de la solidarité et qui en laisse la traduction concrète aux acteurs de terrain.

C'est la première question. Peut-on mettre en place des prestations moins normées réglementairement en améliorant l'équité et sans laisser filer les dépenses ?

Deuxième principe, assurer des revenus du travail supérieurs aux revenus de la solidarité.

Bien évidemment, je fais référence à la création du RSA, qui vise à atteindre trois objectifs : supprimer les effets de seuil pour les allocataires de minima sociaux qui reprennent du travail, lutter contre la pauvreté au travail et simplifier, rendre lisible et prévisible un système qui ne l'est plus.

Le dispositif est expérimenté, sous une forme très incomplète, dans des départements volontaires. À terme, le RSA a pour ambition de se substituer à de nombreux dispositifs en garantissant que toute augmentation de revenu du travail se traduira par un accroissement des ressources du ménage et de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs à bas salaires de manière plus lisible que la prime pour l'emploi.

Pour qu'il soit juste, il faut qu'il soit complet. Nous le concevons comme un système qui donne - à travail égal et à composition familiale équivalente - les mêmes revenus à tous, que l'on soit passé par les minima sociaux ou que l'on soit simplement un travailleur aux revenus modestes.

Quel sera le périmètre du revenu de solidarité active ? C'est la deuxième question que nous vous adressons. Faut-il laisser certains minima sociaux connaître les mêmes règles ? Faut-il inclure l'allocation de solidarité spécifique ?

Les indications que vous nous donnerez seront utiles aux partenaires sociaux, qui sont au premier chef concernés par l'évolution de l'allocation de solidarité spécifique, au moment où ils discutent de l'évolution de l'assurance chômage.

Ne faut-il pas appliquer les mêmes règles pour l'allocation adulte handicapé, les personnes concernées ayant souvent besoin, dans leur activité, de continuer à bénéficier de la solidarité ?

Mais, si le RSA supprime certains effets de seuil, vous savez que l'un des effets les plus importants est lié à la santé et à la couverture maladie universelle. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé le bouclier sanitaire.

Le bouclier sanitaire, c'est aussi une réponse à ce problème, dans la même logique. Dès lors que le reste à charge est fonction du revenu, il n'y a plus d'effort qui pèse sur ceux qui sont juste au-dessus du seuil d'exonération de la participation de l'assuré. C'est pourquoi je souhaite qu'il voie le jour.

Il faudra également s'interroger sur le mode de calcul des aides au logement ou sur leur prise en compte dans les barèmes du RSA.

Il faudra enfin être suffisamment incitatif pour que les autres aides connexes ne neutralisent pas les effets de cette remise en ordre des prestations.

Troisième principe : une conception plus souple, plus large et plus réaliste de la notion d'employabilité.

Il y a aujourd'hui une distinction implicite entre personnes employables et personnes considérées comme inemployables.

Il y a des personnes considérées comme éloignées de l'emploi, alors que c'est l'emploi qui s'est éloigné d'elles. Oui, il y a des personnes pour qui l'emploi est directement accessible, qui demandent un emploi et qui en ont besoin ; et puis, il y a celles pour lesquelles une formation, une qualification nouvelle ou supplémentaire est nécessaire pour accéder à l'emploi ; il y a aussi celles qui ont besoin d'un accompagnement social ; il y a encore celles pour lesquelles l'emploi ne pourra peut-être jamais prendre une forme classique, mais nécessitera d'être durablement soutenu ou de prendre la forme d'une activité plus adaptée.

Mais aucune ne peut se voir refuser de manière irréversible la dignité par le travail, quitte à ce que les exigences du travail puissent être considérablement adaptées à leurs difficultés.

Certains évoquent la notion de « handicap social », de « COTOREP » sociale. Ils sous-entendent qu'il vaut mieux prendre acte d'une difficulté à travailler, plutôt que de s'acharner à aller vers une insertion impossible. Permettez-moi de pointer les risques d'une telle approche, même prise avec les meilleures intentions du monde, et de ses possibles dérives.

Certes, on peut reconnaître que certaines personnes ont une probabilité très faible d'être embauchées dans une entreprise, et presque nulle de l'être sur un contrat de droit commun, mais travailler dans un chantier d'insertion, ce n'est pas être inemployé, et donc ce n'est pas être inemployable.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je pense à certaines associations, dont l'une m'est particulièrement chère, et qui font travailler dans les métiers de la récupération des milliers de personnes que la société avait décrétées inemployables.

Quatrième principe : passer d'un système de contrats aidés à une logique de contrats aidants fondée sur la notion de parcours.

Depuis vingt-cinq ans qu'existent les contrats aidés, les sigles ont changé, la logique est restée la même, les insuffisances n'ont été corrigées qu'à la marge : instrument ambigu, pour lequel la pression quantitative l'a trop souvent emporté sur la pression qualitative ; instrument décrié mais demeuré indispensable. Il n'y a qu'à voir les difficultés provoquées par les périodes de freinage, comme celle que nous vivons actuellement.

Que peut-on leur reprocher ?

Un lien trop distant avec un parcours d'insertion débouchant sur un emploi pérenne ; une limite dans le temps qui ne correspond pas aux besoins ; une durée du travail contingentée, comme la limite des vingt-six heures ; un contenu en formation à la qualification toujours trop faible, souvent absent ; des effets d'aubaine mal maîtrisés ; une complexité administrative ingérable.

Quels peuvent être les axes d'évolution ?

Moins de contrats différents, mais un contrat plus souple ; le même support de contrat pour différents publics qu'on peut appeler « contrat unique d'insertion » ; une aide des pouvoirs publics qui ne soit pas principalement ou exclusivement une subvention qui abaisse, parfois artificiellement, les coûts du travail, mais qui puisse financer du tutorat, de l'accompagnement social et professionnel, des besoins spécifiques de formation ou d'adaptation à l'emploi, modulée au cas par cas en fonction des besoins couplés des salariés et des employeurs ; une réorientation vers des contrats qualifiants, reposant sur le principe de l'alternance, en accélérant la montée en charge des contrats de professionnalisation et des contrats d'apprentissage, ce qui suppose de ne pas pénaliser les adultes par un coût pour l'employeur plus élevé - nombre de personnes auxquelles on prescrit des contrats aidés, ou qui subissent la diminution du nombre de ces contrats, pourraient trouver davantage de perspectives dans les contrats de professionnalisation ; enfin, une possibilité d'adaptation aux besoins des personnes pour qu'il n'y ait plus de « couperet » à l'issue d'un terme administratif.

À partir de ces principes, si vous les retenez, il doit être possible de déterminer une politique plus cohérente pour les différents secteurs d'emploi : le secteur privé, le secteur public, le secteur de l'insertion par l'activité économique et le secteur associatif. Pour chacun, les défis ne sont pas les mêmes.

Pour le secteur privé, il s'agit de limiter les effets d'aubaine : financer l'accompagnement et le tutorat plutôt qu'abaisser spécifiquement le coût du travail devrait y contribuer.

Pour le secteur public, il s'agit de tendre vers le principe selon lequel les contrats aidés ne sont justifiés que lorsqu'ils permettent d'acquérir une compétence ou une qualification réelle ou qu'ils peuvent être pérennisés.

Lorsqu'un employeur public sait pertinemment qu'une personne qui a donné satisfaction en contrat aidé ne trouvera pas d'emploi au terme du contrat, il ne devrait pas la renvoyer vers le RMI ou le chômage.

Cinquième principe : une universalité effective de l'accès au service public de l'emploi, de l'insertion et de la formation.

Au moment où se met en place un grand service public de l'emploi et dans la perspective d'une unification des minima sociaux, nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce qu'une minorité d'allocataires du RMI bénéficie du service public de l'emploi et une proportion infime des personnes en difficulté de la formation professionnelle.

Toute personne en capacité de travailler et privée d'emploi doit, indépendamment de son statut, pouvoir bénéficier du service public de l'emploi et de la formation. C'est un double défi quantitatif et qualitatif.

Prenons l'exemple de la formation professionnelle.

Nous savons qu'une partie trop faible des fonds va vers les publics qui en ont le plus besoin. Il y a quelques exceptions. Ainsi, dans la branche professionnelle de la propreté, l'OPCA, l'organisme paritaire collecteur agréé, s'est engagé à consacrer 10 % de son budget aux actions de lutte contre l'illettrisme.

Ne faut-il pas prévoir qu'une proportion des fonds de la formation de chacune des branches - 10 %, 15 %, 20 % ? - soit orientée vers les publics prioritaires en matière d'insertion professionnelle ? (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.) Si nous ne résolvons pas ce sujet, nous ne pourrons pas avoir une insertion active.

Sixième principe : une priorité donnée à l'accès à la mobilité et à la garde d'enfants.

Emploi, formation, logement et santé sont bien évidemment des facteurs clés. On aurait pu consacrer l'ensemble du débat au logement ou à la santé, et j'espère que vous aurez l'occasion de le faire, mais deux autres freins à l'insertion et au retour à l'emploi ne doivent pas être négligés, tant ils sont fréquents : l'accès à la garde d'enfants et l'accès à la mobilité. Ils se posent tant en milieu urbain, en centre-ville, que dans nos banlieues et dans les zones rurales.

Si l'on parvient à mieux organiser les aides financières autour du revenu de solidarité active, ne faut-il pas que l'État et les collectivités territoriales joignent leurs efforts pour apporter des réponses plus satisfaisantes, plus complètes, moins onéreuses à ces freins à l'emploi et à l'insertion, et peut-être aussi moins de normes et plus de réponses concrètes ?

Septième principe : organiser une logique de responsabilité pour les pouvoirs publics laissant une large place à l'initiative locale.

Par exemple, dans un département que je connais bien, une plate-forme unique pour les droits et les devoirs des personnes qui commencent à percevoir le RMI a été mise en place, avec des résultats assez spectaculaires - une plate-forme unique, cela signifie que, le même jour, dans un même lieu, sont rassemblés notamment les représentants du conseil général, du CCAS, de l'ANPE, de la Caisse primaire d'assurance maladie, de la Caisse d'allocations familiales.

Grâce à ce dispositif, on passe de 20 % à 95 % de la population couverte par un contrat d'insertion, dans un délai ramené en moyenne de trois mois à trois jours ; on passe de moins de 80 % à 100% de personnes couvertes par la CMUC ; on passe d'un faible pourcentage de personnes contactées par le service public de l'emploi à 100 % des personnes qui ont un lien avec celui-ci dès le premier jour.

Ce département a-t-il fait des choses absolument exceptionnelles ? A-t-il demandé une modification de la Constitution ? A-t-il bénéficié de milliards d'euros ? Non ! Ne serait-ce pas plutôt les autres, ceux qui ne fonctionnent pas comme cela, qui seraient hors normes ? Comment généraliser ce dispositif sans passer par la contrainte ni par des années de discussions ? Voilà les questions qui se posent, et nous devons pouvoir y apporter des réponses.

La situation de l'emploi est également différente d'un bassin à l'autre. Certains bassins d'emplois doivent résoudre des problèmes liés au travail saisonnier, d'autres des problèmes liés aux services à la personne. Faut-il que l'État impose un barème, des règles juridiques identiques sur l'ensemble du territoire, ou qu'il se porte le garant de principes, en laissant aux collectivités territoriales les marges de manoeuvres juridiques pour le faire ?

Comment la logique de responsabilité et de cohérence est-elle compatible avec des compétences réparties entre l'État, les régions, les départements, les communes et les organismes de protection sociale ?

On pourrait spécialiser ces différents échelons par public ou par fonction. Mais cela ne reviendrait-il pas à maintenir des cloisonnements, alors qu'on cherche le contraire ou à disloquer des leviers pourtant complémentaires ? C'est ainsi que, à un an d'âge près ou à quelques dizaines d'euros près de revenu, on passe d'un dispositif à l'autre, d'une collectivité à l'autre, on n'est plus pris en charge par les mêmes.

Encore une fois, comment peut-on faire une politique d'insertion sans la formation professionnelle ?

Pourquoi ne pas laisser aux collectivités le soin de définir leur « pacte territorial d'insertion », en se répartissant les rôles et les responsabilités dans un contrat dans lequel l'État s'engagerait également ?

Si, sur un territoire, c'est le CCAS qui est le lieu où se font les premières démarches d'insertion, pourquoi imposer que cela soit dans une maison départementale ou dans une caisse d'allocations familiales ? Si, dans un département, l'accompagnement professionnel est confié à la même équipe que celle qui assure l'accompagnement social, pourquoi contraindre à passer par un autre opérateur ?

La condition, pour que ce pacte soit réel, c'est qu'on ne puisse pas dire à une personne qu'elle ne peut pas avoir accès à une formation, reconnue comme nécessaire, parce que cela dépend d'un autre acteur, alors même que les financements existent ; c'est qu'on ne puisse pas répondre à une entreprise qu'on ne peut pas lui proposer de la main-d'oeuvre qualifiée dans des délais compatibles avec ses besoins parce que les politiques d'insertion, de formation et de qualification ne sont pas coordonnées. C'est pourtant ce qui arrive tous les jours !

Huitième principe : clarifier la notion de droits et de devoirs pour les publics d'insertion.

Cette notion centrale ne doit être ni virtuelle, et donc non crédible, ni contre-productive parce que rigide. La logique des droits et des devoirs n'exclut pas la notion de confiance. Il faut se méfier de raisonnements séduisants, mais simplistes et inapplicables, pouvant conduire à des désillusions.

Soulignons, d'abord, que le passage au revenu de solidarité active devrait en lui-même supprimer l'une des causes principales du brouillage de cette logique. Lorsque, dans de nombreux cas, le retour au travail ne procure pas de revenus supplémentaires, il est difficile d'appliquer une logique de droits et de devoirs, et de dire qu'on n'a pas fait son devoir en acceptant de perdre de l'argent en reprenant du travail.

Si on élargit le recours au service public de l'emploi, il n'y a pas de raison de faire peser sur les publics en insertion des obligations plus lourdes que celles qui pèseraient sur les autres demandeurs d'emplois. Nous devons aller vers une situation clarifiée.

Nous proposons deux principes.

Le premier principe, c'est que tout travail doit s'exercer dans le cadre d'un « vrai emploi », avec un salaire, ou avec un statut de travailleur indépendant. La logique de droits et de devoirs ne doit pas conduire à créer une catégorie de travailleurs au rabais. Si une contrepartie doit être demandée à la solidarité, elle doit alors se transformer en salaire. Cela évite deux effets pervers : une relégation dans un sous-statut et une concurrence malsaine entre salariés et allocataires de minima sociaux.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Imaginez que, demain, on annonce aux allocataires du RMI qu'ils ne travaillent plus que quelques heures : que se passerait-il pour ceux qui ont un statut de salarié ? Nous voyons bien à quelles dérives nous pourrions alors être confrontés.

M. Jean Desessard. Tout à fait !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Il convient peut-être de revenir au fondement des contrats aidés. On estime qu'un allocataire de minimum social doit pouvoir travailler et que le marché du travail ne lui permet pas de le faire. Alors, un contrat d'insertion doit lui apporter un salaire et l'acquisition de droits à la retraite.

Le deuxième principe est celui du parcours d'insertion. On ne fait pas prendre conscience à la majorité des personnes passées par une action d'insertion de leurs droits et devoirs si on les renvoie à la case départ au bout d'un an. On peut avoir des exigences si l'on s'engage dans la durée. La logique des droits et devoirs doit également s'appliquer à ceux qui n'ont en réalité ni droits ni devoirs : je pense en particulier aux jeunes sans allocation, sans formation, sans travail.

Pourquoi ne pas travailler à l'établissement d'un contrat dans la durée, avec une régularité garantie des revenus, en contrepartie de l'engagement d'accepter emplois et formations proposés pendant la durée du contrat ?

Neuvième principe : faire entrer dans une logique de droits et de devoirs les employeurs.

Question symétrique : faut-il faire peser sur les entreprises une obligation d'insertion ? Cette logique, qui a conduit à définir un pourcentage de salariés handicapés, peut poser le même type de difficultés.

Ne rien faire expose à ce que le comportement des employeurs favorise peu l'insertion. Imposer une contrainte risque de se retourner contre l'objectif recherché.

Que peut-on proposer ?

Tout d'abord, il convient de pouvoir satisfaire les entreprises ou les branches professionnelles qui ont des besoins ou qui sont prêtes à réaliser des efforts d'insertion. Là, la balle est parfois dans notre camp : on ne peut pas se ridiculiser en mobilisant un certain nombre d'entreprises qui se disent prêtes à prendre des publics en insertion et leur dire, ensuite, qu'on ne trouve personne à leur proposer. Cette situation est absolument inacceptable !

Si l'on ne répond pas aux défis que nous posent les entreprises, les pôles de compétitivité, les branches qui ont du mal à recruter, on ne sera pas crédible quand on leur demandera un effort supplémentaire.

Parallèlement, ne faudrait-il pas être capable de mesurer l'effort d'insertion d'une entreprise ou d'une branche ? Ce n'est pas chose facile, mais on arrive bien à mesurer les efforts en matière d'égalité salariale ou de développement durable ! On pourrait prendre en compte les conditions d'embauche, l'effort de formation, le partenariat avec des sous-traitants ou des entreprises d'insertion.

On peut imaginer que l'État employeur fasse davantage jouer les clauses d'insertion dans les marchés publics, ce qui représente un potentiel considérable, mais aussi qu'il y ait un équivalent de ces clauses pour les grandes entreprises privées qui ne recruteraient pas assez de personnes en insertion. Ce n'est pas très compliqué. Je citerai l'exemple d'une grande entreprise de communication dans laquelle je me suis rendu et qui n'emploie pas de personnes en insertion, mais met en place un restaurant d'entreprise d'insertion. Il y a donc mille et une manières d'agir si l'on veut.

Ne peut-on pas multiplier les dispositifs du type « contribution textile », qui a été adopté ici à l'unanimité, en faisant financer les filières d'insertion dans le domaine de l'environnement, par exemple, par une contribution au moment de l'achat ?

Pourquoi ne pas faire financer par quelques centimes additionnels au prix du péage d'autoroute des activités d'insertion afin de pouvoir les entretenir ou assurer un service ?

Pourquoi ne pas étendre à d'autres filières la notion « d'éco-contribution sociale » ? Il ne s'agit pas de taxe nouvelle. Mieux vaut financer des emplois d'insertion que de verser des revenus de remplacement à des personnes qui pourraient travailler.