M. Henri de Richemont, rapporteur. C'est toujours le cas !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si on croit au péché !
M. Richard Yung. Selon ce même article, nous sommes passés de 6 % de naissances hors mariage à 50 % en quarante ans : telle est la rapidité et l'importance de l'évolution !
S'agissant du droit de la filiation, il se caractérisait, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance, par une complexité qui le rendait souvent inintelligible pour un non-juriste comme moi - et c'est encore le cas aujourd'hui. Je pense par exemple au tableau des règles de contestation en matière de filiation figurant dans le rapport, qui laisse absolument rêveur !
En effet, le droit de la filiation reposait sur la distinction entre la filiation légitime, fondée sur le mariage, et la filiation naturelle, liée à la naissance hors mariage, avec des règles d'établissement et de contestation différentes. La préférence donnée à la famille fondée sur le mariage par le code civil de 1804, qui correspondait encore à la conception générale il y a quelque temps, s'était traduite par l'établissement d'une hiérarchie entre les enfants. L'enfant naturel simple né de parents tous deux célibataires avait des droits inférieurs à ceux de l'enfant légitime né de parents mariés entre eux, à l'église et devant M. le maire, tandis qu'était interdit l'établissement de la filiation des enfants adultérins ou incestueux.
Cette hiérarchie entre enfants naturels et enfants légitimes a été progressivement abolie. Ainsi, la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation a marqué une première étape dans ce processus en posant le principe de l'égalité des filiations et en permettant l'établissement de la filiation adultérine à l'égard du parent marié.
Le gouvernement de Lionel Jospin, avec la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, a mis fin à toute différence de traitement entre enfants naturels simples et enfants adultérins, en supprimant les différentes dispositions du code civil qui organisaient cette discrimination.
Enfin, la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a posé le principe selon lequel tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et leur mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux.
Du fait de cette égalisation des droits des enfants, la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle devenait sans objet.
Par ailleurs, la différence de traitement entre la femme non mariée et la femme mariée pour l'établissement non contentieux de la filiation maternelle s'était avérée contraire à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, les conditions d'établissement de la possession d'état n'étaient pas suffisamment encadrées.
Le dispositif qui a été retenu par le Gouvernement au travers de l'ordonnance est conforme aux objectifs que nous nous étions fixés. Ainsi, sont rappelés le principe d'égalité entre enfants et l'interdiction d'établir un double lien de filiation en cas d'inceste absolu, encore que l'on puisse penser qu'il faille réfléchir plus avant sur ce point, car on peut se demander si, dans certaines hypothèses, cette interdiction de la double filiation en cas d'inceste est une bonne ou une mauvaise chose. (M. le président de la commission des lois s'étonne.)
En effet, c'est une façon de jeter un voile hypocrite sur ce qui est une réalité. Certes, il s'agit là d'un tabou absolu dans la société, mais un article paru dans l'édition de samedi dernier du Parisien révèle que deux jumeaux britanniques, un frère et une soeur, séparés à la naissance et élevés par des familles adoptives différentes, se sont mariés sans connaître leur lien de parenté, un juge de la High Court ayant ensuite prononcé la nullité de cette union. C'est là, heureusement d'ailleurs, un cas un peu particulier, je le reconnais, mais je pense qu'il y a une réflexion à mener sur ce point.
S'agissant des preuves et de la présomption de la filiation, l'ordonnance visait à une plus grande sécurité juridique et n'a pas changé les règles relatives à l'assistance médicale et à la procréation.
En revanche, pour ce qui est de la dévolution du nom de famille, on peut regretter que des difficultés persistent. Je me réjouis, à cet égard, du dépôt par M le rapporteur d'un amendement tendant à les résoudre ; j'espère que nous l'adopterons.
L'ordonnance a également unifié les conditions d'établissement de la filiation maternelle et maintenu la présomption de paternité du mari. S'agissant de l'établissement de la filiation, je me félicite de ce qu'ait été retenu le mode d'établissement par la possession d'état, encadré par des règles de sécurité plus strictes.
Enfin, en ce qui concerne le régime des actions en justice relatives à la filiation, je constate qu'un équilibre a été trouvé entre la composante biologique et la composante affective ou sociale qui fondent le lien de filiation, la difficulté étant de ne pas verser dans le « tout biologique ». C'est là une tendance assez naturelle : on pense que, par l'établissement d'un test, on résout les problèmes, or nous savons tous qu'un enfant c'est d'abord de l'amour. Quelqu'un qui s'occupe au quotidien d'un enfant mérite tout autant le titre de père ou de mère que son parent biologique, notamment au regard de la possession d'état.
Par ailleurs, M. de Richemont a présenté, à la fin de son rapport, un certain nombre de pistes de réflexion pour l'avenir. Je suis d'accord avec lui s'agissant, en particulier, du régime de l'accouchement sous X ou de la maternité pour autrui. Celle-ci est aujourd'hui prohibée en France, mais on sait qu'il suffit de franchir la frontière pour trouver des officines qui la proposent dans des conditions discutables. Que fait-on à cet égard ?
M. le rapporteur a en outre évoqué la question des reconnaissances prénatales. De manière générale, c'est probablement une bonne chose. On peut imaginer que, dans la très grande majorité des cas, c'est le fait d'un conjoint qui vit avec la future mère et veut clarifier les choses.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Richard Yung. De ce point de vue, cela est positif. Cependant, il peut aussi s'agir, dans certains cas, d'une manoeuvre visant à nuire à la famille ou à la mère. Des abus sont donc possibles, et il faut peut-être encadrer le dispositif sur ce plan.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D'où l'amendement de M. de Richemont !
M. Richard Yung. En tout état de cause, le groupe socialiste approuve, pour l'essentiel, cette réforme sur le fond, en regrettant, il faut tout de même que je le dise, que l'on ait procédé par voie d'ordonnance.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme le souligne à juste titre notre collègue Henri de Richemont dans son rapport, le droit de la filiation se caractérisait, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 juillet 2005, par une complexité qui le rendait inintelligible, illisible.
Trois critiques étaient émises à son encontre.
Tout d'abord, la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle n'avait plus lieu d'être.
Ensuite, les modes d'établissement non contentieux de la filiation étaient source d'insécurité juridique.
Enfin, les règles d'action en justice étaient devenues trop nombreuses.
L'ordonnance du 4 juillet 2005, prise sur le fondement de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, a opéré une importante réforme du droit de la filiation en conférant au code civil plus de cohérence, plus de concision et plus de lisibilité.
J'évoquerai d'abord brièvement la méthode employée.
Le Sénat s'était ému, en 2004, du choix du Gouvernement de réformer par voie d'ordonnance le droit de la filiation et le code civil, tant il est vrai que la force symbolique de la loi en cette matière est patente.
C'est après avoir obtenu, de la part du Gouvernement, des éclaircissements précis sur le contenu du dispositif que la Haute Assemblée s'est finalement résolue à habiliter le Gouvernement à réformer le droit de la filiation par ordonnance.
Force est de constater que ce texte, entré en vigueur le 1er juillet 2006, n'a pas modifié les principes fondamentaux du droit de la filiation et n'est pas revenu sur les évolutions essentielles de ce droit consacrées par les lois du 3 janvier 1972 sur la filiation, du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral et du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.
L'ordonnance tire effectivement les conséquences procédurales de l'égalité de statut entre les enfants, afin d'harmoniser et de simplifier des aspects techniques de la filiation. Elle apporte indéniablement au droit de la filiation de la clarté et de la sécurité juridique, et ce dans l'intérêt à la fois des enfants et de la famille.
L'ordonnance tire tout d'abord les conséquences de l'égalité entre les enfants, quelles que soient les conditions de leur naissance.
La loi du 3 juillet 1972 a marqué une étape extrêmement importante en posant le principe de l'égalité des filiations et en permettant l'établissement de la filiation adultérine à l'égard du parent marié.
Ce principe fondamental a été par la suite approfondi par les lois du 3 décembre 2001 et du 4 mars 2002, qui ont supprimé les distinctions entre les enfants naturels et les enfants légitimes, s'agissant des droits successoraux, des règles de dévolution du nom de famille et, enfin, de l'autorité parentale.
Puisqu'elles ont perdu toute portée juridique, les notions de filiation légitime et de filiation naturelle sont donc abandonnées. Pour autant, la présomption de paternité du mari n'est pas remise en cause, ni étendue au profit du père non marié, qui doit toujours reconnaître son enfant pour établir le lien de filiation.
L'ordonnance unifie également les conditions d'établissement de la maternité.
La filiation maternelle est établie par la désignation de la mère dans l'acte de naissance de l'enfant, qu'elle soit mariée ou non, et sans qu'elle ait besoin de faire la démarche de reconnaissance, ce qui auparavant était obligatoire pour la mère non mariée.
La possession d'état, c'est-à-dire la prise en compte dans le droit de la filiation de la réalité affective et sociale révélant la filiation, est mieux définie et les conditions dans lesquelles elle produit effet sont mieux encadrées.
L'ordonnance simplifie en outre le régime des actions judiciaires relatif à la filiation et ramène à dix ans la prescription de droit commun, fixée auparavant à trente ans.
Ainsi, il est désormais possible de faire établir en justice la maternité ou la paternité durant les dix années suivant la naissance, l'action étant rouverte à l'enfant pendant les dix années suivant sa majorité.
Cette modification des délais pour agir est particulièrement importante, car elle permet de sécuriser le lien de filiation, dans l'intérêt même de l'enfant.
Enfin, s'agissant de la contestation d'un lien de filiation légalement établi, l'ordonnance remplace par un régime commun et simple l'ancien dispositif, jugé trop complexe.
À l'instar de ce qui est envisagé pour les actions aux fins d'établissement de la filiation, les délais de contestation sont non plus de trente ans mais de dix ans.
De même, tant qu'un lien de filiation est établi, aucun autre ne pourra valablement entrer en conflit avec lui.
Ces mesures sont fondamentales, tant elles visent à harmoniser et à simplifier, dans l'intérêt de l'enfant et des familles, les règles de procédure applicables au droit de la filiation.
La commission des lois a adopté trois amendements qui viennent utilement modifier et compléter le contenu de l'ordonnance sur plusieurs points.
Les nouveaux aménagements proposés démontrent l'intérêt tout particulier que porte notre assemblée à des sujets aussi essentiels, qui concernent directement la famille, les rapports entre les enfants et les parents, et qui touchent, par là même, aux fondements de l'organisation de notre société.
Le groupe de l'UMP se félicite notamment de la proposition émise par M. le rapporteur de fixer une règle de résolution des conflits de filiation respectueuse de la présomption pater is est.
Il s'agit d'éviter qu'un couple marié se trouve empêché de faire jouer la présomption de paternité du mari au seul motif qu'un autre homme aurait fait une reconnaissance paternelle prénatale. Il serait en effet choquant d'obliger le mari à engager l'action en justice alors que les éléments constitutifs de la présomption de paternité sont réunis.
Monsieur le secrétaire d'État, parce que nous sommes convaincus de la qualité de l'ordonnance du 4 juillet 2005 et du bien-fondé de sa ratification, le groupe de l'UMP votera en faveur de l'adoption de ce projet de loi, tel qu'il aura été enrichi par les pertinentes propositions de notre excellent rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'ordonnance du 4 juillet 2005 a permis de simplifier le droit de la filiation et de le rendre enfin intelligible. Elle a aussi permis d'actualiser une législation devenue aujourd'hui archaïque, bien que j'émette, naturellement, des réserves sur le recours à une ordonnance.
La conquête par les femmes de l'égalité des droits est venue bouleverser le fondement de la filiation, qui reposait sur la présomption de paternité du mari et la domination de ce dernier.
M. Henri de Richemont, rapporteur. La domination ? Non !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Mes termes ne sont pas excessifs, monsieur de Richemont, je vous l'assure !
Par ailleurs, la fragilisation de la relation conjugale a également eu des conséquences sur la paternité, le nombre des divorces étant passé de 30 000 par an au milieu des années soixante à plus de 125 000 pour 2003.
Ainsi, certaines notions relatives à la filiation sont devenues totalement obsolètes. C'est le cas de la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle, qui n'a aujourd'hui plus lieu d'être.
En effet, jusqu'à présent, le droit de la filiation reposait sur la distinction entre la filiation légitime, liée au mariage, et la filiation naturelle, fondée sur la naissance hors mariage, ce qui entraînait des règles d'établissement et de contestation différentes.
Cette distinction, héritée du code Napoléon de 1804, était largement critiquable. Comme le soulignait notre collègue Bernard Saugey dans son rapport, établi au nom de la commission des lois, sur la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit : « L'expression de filiation naturelle est en elle-même contestable, cette filiation n'étant ni plus ni moins naturelle que la filiation des enfants nés du mariage, les uns comme les autres pouvant être nés de procréation médicalement assistée. De plus, l'opposer à celle de filiation légitime tendrait à accréditer l'idée que seul le second type de filiation est conforme aux lois. »
Cette distinction était par ailleurs devenue totalement désuète au regard de l'évolution de la société. Le dernier recensement de l'INSEE nous indique que plus de la moitié des enfants naissent désormais hors mariage, contre 6 % en 1965, et qu'ils sont dans leur immense majorité désirés par leurs deux parents : 92 % des enfants nés en 1994 ont été reconnus par leur père, contre 76 % pour les enfants nés en 1965. L'évolution est donc très importante.
Par ailleurs, nous ne pouvons qu'approuver l'autorisation de changement de nom de famille des enfants nés avant le 1er janvier 2005. Il s'agit ici d'élargir une initiative que nous avions défendue ici même et qui s'inscrit pleinement dans la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes et d'une reconnaissance véritable de la coparentalité.
En revanche, nous ne pouvons que nous opposer à une partie de l'amendement n° 1 qui vient supprimer la fin de non-recevoir de l'action en recherche de maternité tenant à la décision de la mère d'accoucher sous X. C'est une atteinte au droit au secret, qui est légalement reconnu.
Ce sujet est particulièrement sensible : la perception de la filiation est partagée entre, d'une part, une représentation naturaliste fondée sur l'engendrement et les liens du sang et, d'autre part, une valorisation de liens librement choisis. Il s'agit là d'un réel débat de fond. Or le vote d'un tel amendement dans la précipitation et dans le seul but d'être en harmonisation avec la législation européenne empêcherait que ce débat puisse avoir lieu.
Vous ouvrez ainsi une brèche et vous fragilisez l'accouchement sous X. Un groupe de travail regroupant des membres de la commission des lois et de la commission des affaires sociales a été mis en place pour mener une réflexion sur les prélèvements post-mortem et il pourrait aussi travailler sur ces problèmes éthiques et juridiques.
Bien que ce texte mette fin à une conception archaïque de la filiation et prenne en compte les récentes évolutions sociologiques de la famille, j'avoue que cet amendement trouble un peu ma quiétude. J'ose espérer que l'adoption de mon sous-amendement me permettra de voter ce texte au nom de mon groupe.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale nourrie montre toute l'importance de cette réforme, qui s'inscrit dans la volonté du Gouvernement de mettre en place un droit de la famille rénové, adapté aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.
Je tiens tout d'abord à remercier M. le rapporteur. Car après avoir approuvé le texte de l'ordonnance qui vous est soumis, la commission des lois a, sous l'impulsion de M. de Richemont, apporté des améliorations essentielles qui rencontrent, comme je l'ai annoncé dans mon propos introductif, le plein accord du Gouvernement. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des amendements de la commission.
Je souhaite également remercier M. le président de la commission des lois d'avoir, dans ce domaine comme dans bien d'autres, été un initiateur ; il est certainement l'un de ceux qui font évoluer le droit français.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la question du nom de l'enfant lorsque la présomption de paternité, écartée lors de la naissance, a été ensuite rétablie à l'égard du mari de la mère par la constatation de la possession d'État. Vous soulignez en effet l'intérêt pour cet enfant de porter le nom du mari. Je puis vous indiquer que, dans de telles situations, la procédure administrative de changement de nom, qui relève de la compétence du garde des sceaux, répond à votre préoccupation. Je tiens du reste à excuser Mme Dati, qui se trouve en ce moment même à l'Assemblée nationale pour le débat sur la révision constitutionnelle préalable à l'adoption du traité simplifié européen. Vous comprendrez que, n'étant pas garde des sceaux, je ne puis m'engager davantage sur cette question. Je peux toutefois vous affirmer que la Chancellerie étudie avec attention et bienveillance les demandes de changement de nom dans l'intérêt des enfants mineurs.
Je souhaite également remercier les trois orateurs de la qualité de leurs interventions.
Monsieur Yung, vos observations sur les évolutions démographiques et la place centrale que conserve la famille dans notre société démontrent la nécessité de la réforme qui vous est proposée. Vous souhaitez qu'une réflexion s'engage sur la question de la filiation incestueuse. Il s'agit là, vous l'avez souligné, d'un interdit anthropologique fondamental, dont les enjeux dépassent largement le cadre de l'ordonnance et de notre débat d'aujourd'hui.
Madame Troendle, je vous remercie infiniment des propos que vous avez tenus, lesquels nous ont permis de faire le point sur les apports essentiels de l'ordonnance. Vous montrez à quel point cette réforme était nécessaire et attendue. Comme vous l'avez souligné, c'est un travail en parfaite harmonie entre le Gouvernement et la Haute Assemblée qui permet aujourd'hui d'adopter un texte moderne et adapté aux besoins des familles.
Madame Mathon-Poinat, vous avez souligné les progrès qu'apporte cette ordonnance. Vous vous êtes interrogée, en revanche, sur l'accouchement sous X. Je vous répondrai plus longuement tout à l'heure, lors de l'examen de votre sous-amendement. Mais si l'amendement de M. Henri de Richemont - excellent au demeurant - nuit quelque peu à votre quiétude, puisque vous l'avez sous-amendé, je crains de ne pouvoir rétablir votre tranquillité, car je me verrai obligé de refuser votre sous-amendement.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
L'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation est ratifiée.
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. de Richemont, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
I. L'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation est ratifiée, à l'exception du 5° du II de son article 20 qui est abrogé.
II. Le code civil est ainsi modifié :
1° A la fin du deuxième alinéa de l'article 62, la référence : « 341-1 » est remplacée par la référence : « 326 » ;
2° L'article 311-23 est ainsi modifié :
a) Dans le premier alinéa, les mots : « à la date de la déclaration de naissance » sont supprimés ;
b) Dans la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « et » est remplacé par le mot : « puis » ;
3° L'article 313 est ainsi rédigé :
« Art. 313. - La présomption de paternité est écartée lorsque l'acte de naissance de l'enfant ne désigne pas le mari en qualité de père. Elle est encore écartée, en cas de demande en divorce ou en séparation de corps, lorsque l'enfant est né plus de trois cents jours après la date soit de l'homologation de la convention réglant l'ensemble des conséquences du divorce ou des mesures provisoires prises en application de l'article 250-2, soit de l'ordonnance de non-conciliation, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou la réconciliation. » ;
4° L'article 314 est ainsi rédigé :
« Art. 314. - Si elle a été écartée en application de l'article 313, la présomption de paternité se trouve rétablie de plein droit si l'enfant a la possession d'état à l'égard du mari et s'il n'a pas une filiation paternelle déjà établie à l'égard d'un tiers. » ;
5° L'article 315 est ainsi modifié :
a) Les mots : « aux articles 313 et 314 » sont remplacés par les mots : « à l'article 313 » ;
b) Il est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le mari a également la possibilité de reconnaître l'enfant dans les conditions prévues aux articles 316 et 320. » ;
6° L'avant-dernier alinéa de l'article 317 est complété in fine par les mots : « ou à compter du décès du parent prétendu » ;
7° A la fin du premier alinéa de l'article 325, les mots : « sous réserve de l'application de l'article 326 » sont supprimés ;
8° L'article 330 est ainsi rédigé :
« Art. 330. - La possession d'état peut être constatée, à la demande de toute personne qui y a intérêt, dans le délai de dix ans à compter de sa cessation ou du décès du parent prétendu. »
9° L'article 333 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du premier alinéa est complétée in fine par les mots : « ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté » ;
b) Dans le second alinéa, après le mot : « Nul », sont insérés les mots : «, à l'exception du ministère public, » ;
10° A l'article 335, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « dix » ;
11° Après l'article 336, il est inséré un article 336-1 ainsi rédigé :
« Art. 336-1. - Lorsqu'il détient une reconnaissance paternelle prénatale dont les énonciations relatives à son auteur sont contredites par les informations concernant le père que lui communique le déclarant, l'officier de l'état civil compétent en application de l'article 55 établit l'acte de naissance au vu des informations communiquées par le déclarant. Il en avise sans délai le procureur de la République qui élève le conflit de paternité sur le fondement de l'article 336. »
12° Dans le deuxième alinéa de l'article 342, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « dix » ;
13° A la fin de l'avant-dernier alinéa de l'article 390, les mots : « qui n'a ni père ni mère » sont remplacés par les mots : « dont la filiation n'est pas légalement établie » ;
14° L'article 908-2 est abrogé.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Je serai bref puisque j'ai déjà exposé mes amendements lors de la discussion générale.
Le premier volet de l'amendement n° 1 tend à ouvrir aux parents d'un enfant né avant le 1er janvier 2005 la possibilité de changer son nom.
Le deuxième volet a pour but de permettre à un père dont le nom ne figure pas sur le certificat de naissance de pouvoir faire reconnaître sa paternité par une déclaration de reconnaissance de paternité. À ce sujet, j'ai pris bonne note des indications données par M. Karoutchi qui, se substituant au garde des sceaux, a indiqué que la Chancellerie étudiera avec bienveillance toute demande de changement de nom.
Le troisième volet de l'amendement a pour objet de changer le principe chronologique : en cas de conflit entre une reconnaissance de paternité prénatale et une déclaration de paternité d'un couple marié sur lequel le nom du mari figure, il reviendra au tribunal de grande instance de trancher, à la demande du procureur de la république, lui-même saisi par l'officier d'état civil qui aurait connaissance d'une reconnaissance de paternité antérieure à celle du mari.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 4, présenté par Mme Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer le 7° du II de l'amendement n° 1.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Avec ce sous-amendement, nous souhaitons manifester notre refus de la suppression de la fin de non-recevoir de l'action en recherche de maternité tenant à la décision de la mère d'accoucher sous X.
Je comprends très bien, monsieur le rapporteur, qu'il y a une dualité de droits entre la demande légitime de recherche de filiation et le droit au secret.
Je sais que l'accouchement sous X a été l'objet de nombreuses attaques, lesquelles sont d'ailleurs régulières. Toutefois, un groupe de travail vient d'être mis en place pour réfléchir à différents thèmes juridiques et éthiques, comme celui des prélèvements biologiques post-mortem, ou encore la procréation pour autrui. Ce problème pourrait donc être abordé à cette occasion plutôt que par le biais d'un amendement. Je sais bien que permettre à cette filiation de s'établir sans vraiment porter atteinte au droit au secret de la mère soulèvera de grosses difficultés.
Mon sous-amendement tend donc à supprimer le 7° du II de l'amendement n° 1.
Je regrette que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes n'ait pas été consultée, car de nombreux travaux ont été menés sur l'accouchement sous X. J'espère que sa présidente me suivra et que cette question sera évoquée au sein du groupe de travail.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je souhaite rappeler que le groupe de travail doit mener une réflexion sur un thème extrêmement précis : la maternité pour autrui.
Ce groupe de travail comprenant des membres de la commission des lois et de la commission des affaires sociales est présidée par Mme la présidente.
Mme la présidente. J'ai en effet l'honneur de le présider !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons surtout la chance de vous avoir désignée comme présidente !
Si le groupe de travail traite de tous les sujets, nous n'aboutirons à rien !
La question de la maternité pour autrui a fait l'objet de nombreux débats ; aujourd'hui, un certain nombre de décisions de justice pose problème, car la loi de 1994 interdit toute convention.
Mme la présidente. Un groupe de travail a effectivement été mis en place ce matin même pour oeuvrer pendant quelques mois sur la thématique de la maternité pour autrui.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement ?
M. Henri de Richemont, rapporteur. Je voudrais d'abord rassurer ma collègue Josiane Mathon-Poinat. J'ai été le rapporteur au Sénat du projet de loi relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État, présenté par Mme Royal. Nous avions alors, dans cette assemblée, défendu d'une manière très claire le principe très important du droit de la mère d'accoucher sous X et du droit au secret.
Il n'est absolument pas question de revenir sur ce point ! Comme l'a dit le président de la commission des lois tout à l'heure, l'accouchement sous X ne fait l'objet d'aucun groupe de travail, de quelque nature que ce soit. Le groupe de travail sur la maternité pour autrui n'abordera pas ce sujet, parce que, d'une part, tel n'est pas son objet et, d'autre part, il n'y a pas lieu de revenir sur un texte de loi qui est aujourd'hui incontesté.
Le véritable problème, c'est qu'aujourd'hui, dans ce monde qui déteste les discriminations, un enfant peut à la fois avoir un droit de recherche en paternité et être privé d'une action en recherche de maternité. Nous supprimons cette discrimination qui est considérée comme choquante par les enfants nés sous X.
Nous ouvrons donc le droit à la recherche de maternité, mais nous ne touchons pas au droit au secret tel qu'il est posé par la loi. Ainsi, l'enfant né sous X aura la possibilité d'engager cette action ; une fin de non-recevoir ne pourra plus lui être opposée sur le plan juridique. Mais cette action aura beaucoup de mal à aboutir à partir du moment où la mère aura décidé de garder le secret et indiqué qu'elle n'a pas changé d'avis.
Une procédure est prévue : il est indiqué à la mère qu'une recherche en maternité est menée, et elle est interrogée pour savoir si elle souhaite ou non maintenir le secret. Si elle persiste dans son choix du secret, il est interdit de divulguer son nom.
Nous mettons ainsi fin à une frustration de l'enfant né sous X de ne pouvoir engager cette action, laquelle pourra toutefois difficilement aboutir à partir du moment où il n'est pas question de lever le secret.
La commission des lois, si elle avait été consultée, aurait été d'accord avec ma position sur le sujet.
Aucun groupe de travail ne se penche sur cette question parce qu'il n'y a pas lieu de revenir sur la loi existante. Simplement, dans un but purement humanitaire, nous donnons à l'enfant né sous X la possibilité d'engager une action en recherche de maternité sans que puisse lui être opposée une fin de non recevoir.
En outre, comme me le souffle amicalement le président Jean-Jacques Hyest, il est à la mode, semble-t-il, de se mettre en conformité avec la loi européenne...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est une convention !
M. Henri de Richemont, rapporteur. C'est la même chose !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah non !
M. Henri de Richemont, rapporteur. Je vais être sanctionné par M. le président de la commission des lois ! (Sourires.)
Il s'agit donc de respecter les dispositions de la convention européenne à laquelle nous avons souscrit, afin de ne plus être en infraction. Vous partagez sûrement cette volonté, ma chère collègue, de ne pas être en marge du droit européen, qui est particulièrement novateur sur ces questions.
L'élément humain que j'ai développé tout à l'heure me paraît fondamental. Il justifie mon opposition à ce sous-amendement.
Je le répète, il n'y a pas lieu de revenir sur la loi et le groupe de travail ne traitera pas de cette question.
On ne porte pas atteinte au droit au secret ; on donne simplement à l'enfant la possibilité d'engager une action en recherche de maternité.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement, je l'ai dit dans mon propos introductif, est favorable à l'amendement n° 1. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des dispositions qu'il tend à introduire ; je ne m'attarderai que sur les points essentiels.
Le Gouvernement est favorable à l'extension de la portée dans le temps de la déclaration de changement de nom des enfants nés hors mariage.
Le Gouvernement est également favorable à ce que le mari puisse reconnaître l'enfant de son épouse, comme n'importe quel père non marié. C'est une question d'égalité.
Votre amendement, monsieur le rapporteur, tend à supprimer une disposition controversée introduite par la loi du 8 décembre 1993, aux termes de laquelle la demande de secret formulée par la mère lors de l'accouchement interdit ensuite tout établissement judiciaire de la maternité. Nous partageons votre point de vue.
Votre amendement vise à introduire une innovation tout à fait importante et pleinement conforme à l'un des objectifs de la réforme, qui est d'éviter les conflits de filiation et, quand ils surviennent, de les traiter le plus rapidement possible. En effet, la nouvelle disposition permettra au tribunal de régler immédiatement le conflit de filiation lorsque l'enfant aura été reconnu avant sa naissance par un homme, puis déclaré à l'état civil par le mari de la mère ou par un autre homme. L'officier d'état civil devra alors immédiatement en référer au ministère public afin que celui-ci saisisse le tribunal pour déterminer lequel des deux est le père de l'enfant.
Madame Mathon-Poinat, malheureusement, je ne peux que solliciter le retrait du sous-amendement n° 4.
Les explications de M. le rapporteur et de M. le président de la commission vont tout à fait dans le sens de ce que nous souhaitons. L'amendement de M. le rapporteur ne remet nullement en cause l'accouchement sous X.