Mme Annie David. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Or le sujet essentiel, c'est la rencontre entre un demandeur d'emploi et un offreur d'emploi.
Il faut aussi tenir compte de l'expérimentation des guichets uniques - madame Procaccia, dans votre rapport, vous parlez de l'expérience très positive d'Issy-les-Moulineaux - et du rapprochement opérationnel s'agissant du système d'information commun, le GIE informatique. Ce rapprochement n'a pas été simple.
Enfin, il convient de citer le suivi mensuel personnalisé des demandeurs d'emplois.
Il faudra mettre fin à quelques paradoxes, mais un texte ou une réorganisation ne suffiront pas !
Alors que 500 000 emplois ne sont pas pourvus aujourd'hui, il existe 100 métiers en tension. Comment peut-on accélérer la mise en relation entre offres et demandes d'emploi ?
Alors que nous sommes le pays qui, en pourcentage, a le plus d'agents affectés à la lutte contre le chômage - 24 000 plus 14 000 salariés, auxquels s'ajoutent les services de l'État -, nous faisons partie de ceux qui ont le moins de conseillers référents par demandeur d'emploi : les pays qui réussissent sur le marché de l'emploi comptent trente demandeurs pour un conseiller référent, contre plus de cent chez nous, parce que nos structures absorbent le reste.
Aujourd'hui, l'objectif est de rétablir des conseillers auprès des demandeurs d'emploi pour assurer un suivi personnalisé. La priorité est de permettre à des hommes et des femmes qui en sont privés de trouver ou de retrouver un emploi. Nous l'avons constaté au fil des années avec les partenaires sociaux. Regardons ce qui se passe chez nos voisins européens.
Il faut mieux conseiller, mieux accompagner, mieux rechercher les offres d'emploi. Car du fait de la lenteur de la mise en relation de l'offre et de la demande, un certain nombre d'employeurs se retirent de la dynamique de création d'emplois et n'offrent plus d'emplois.
Il faut aussi mieux assurer la préparation à la transition professionnelle. Je voudrais insister sur le rapport de nos collègues Jean-Claude Carle et Bernard Seillier sur la formation tout au long de la vie, y compris au moment de la transition professionnelle, afin que les salariés qui changent d'emploi ne soient plus contraints de passer par la case « chômage ». Nous devons éviter de mettre en place des « usines à gaz » et préparer des hommes et des femmes aux métiers de demain.
Madame la ministre, vous avez engagé une longue concertation avec les partenaires sociaux. D'ailleurs, quand le Comité supérieur de l'emploi approuve un projet de texte, c'est un signe ! (Sourires.) Mes souvenirs d'expert sur le sujet m'amènent à penser que c'est un bonheur rare qui mérite d'être goûté et qui traduit bien la qualité de la concertation que vous avez conduite.
Les grands principes que vous avez posés me paraissent essentiels : le respect d'un paritarisme fort - il faut que l'assurance chômage demeure un acte majeur de responsabilité des partenaires sociaux, qui doivent être les « co-constructeurs » de la politique de l'emploi - ; une gouvernance nouvelle avec des partenaires sociaux majoritaires ; une dimension territoriale des politiques de l'emploi, sans oublier le rôle des collectivités territoriales - la région pour la formation -, du bassin d'emploi, des maisons d'emploi ; enfin, le pragmatisme dans l'évaluation des résultats.
Mme le rapporteur a fait allusion aux interrogations des personnels, qui sont légitimes ; nous avons d'ailleurs eu des échanges sur ce point. Les réponses apportées, le travail d'écoute et de proposition qui a été conduit sous votre autorité, monsieur le président de la commission, sont porteurs d'assurance. Le débat devrait permettre de rassurer les uns et les autres.
Vous le comprenez, je suis favorable à la fusion des réseaux, qui est le fruit de quatre années de cheminement.
Pour conclure, n'oublions jamais que les structures, certes importantes, ne sont que des outils et que le coeur de notre débat c'est l'emploi. Il est une catégorie dans ce pays qui a longtemps été maltraitée : le demandeur d'emploi non indemnisé. Il a souvent été l'oublié de nos politiques de l'emploi ; il doit être au coeur de nos préoccupations.
C'est donc avec joie que je voterai ce texte, enrichi des amendements de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'emploi est depuis des années l'une des préoccupations majeures de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Depuis trop longtemps, notre pays subit les conséquences d'un taux de chômage élevé : précarité, pauvreté, insécurité, mal-être social.
Or dans notre pays existent l'ANPE et l'assurance chômage.
Le 13 juillet 1967, un jeune secrétaire d'État aux affaires sociales, Jacques Chirac, crée l'Agence nationale pour l'emploi, alors que le chômage commence à se développer en France. Pour le gouvernement de Georges Pompidou, il y avait urgence à intervenir, au point que, dans une procédure d'exception, le Premier ministre défend la création d'une « organisation du marché du travail, comprenant tout d'abord un appareil de placement, d'orientation et de conseils ».
C'est cette organisation que Jacques Chirac aura mission de mettre sur pied. Il y a alors quelque 430 000 chômeurs, soit 2,1 % de la population. Le même secrétaire d'État chargé de l'emploi minore déjà ce nombre, en n'annonçant pas plus de 140 000 sans-emploi.
Cette agence a pour objet d'aider les demandeurs d'emploi dans leur recherche et dans leur parcours de retour à une activité professionnelle. Elle est un service public, puisqu'elle remplit une mission nécessaire et indispensable pour notre société. De plus, il est fondamental que de tels services soient accessibles de manière égale à tous les citoyens.
Aussi, les sénateurs et sénatrices du groupe CRC sont très attachés à son existence et à son rôle de lutte contre le phénomène de violence sociale, inhérent au système capitaliste, qu'est le chômage, pour en limiter ses aspects.
L'ANPE était donc créée. À n'en pas douter, vous aimeriez aujourd'hui la voir disparaître ou, pour le moins, la contrôler en la plaçant sous la tutelle directe du pouvoir politique.
Pourtant, le chômage perdure et, en 1967 déjà, Georges Pompidou en décrivait les motifs : l'ouverture des frontières et la mise en concurrence des entreprises européennes entre elles, que le Premier ministre présentait comme « une nouvelle mutation pour notre économie qu'il convient non seulement de prévoir mais de préparer, et qui est la dernière étape du marché commun ». Il s'agit, en d'autres termes, de l'inflation et de la naissance progressive d'un capitalisme financiarisé qui trouve aujourd'hui son âge d'or.
Mais qu'avez-vous fait depuis ? Vous avez privatisé des domaines qui ne l'étaient pas encore ; je pense à EDF ou GDF, dont le Sénat a débattu hier.
Qu'avez-vous fait encore pour « prévoir et préparer » les crises à venir ? Vous les avez facilitées en défendant dans l'économie de service la directive Bolkestein et en organisant, avec vos amis de la Banque centrale européenne, la fin des monopôles des services publics.
Quarante ans plus tard, il y a encore 8,5 % de chômeurs, preuve, s'il en est, que vos réformes toujours plus libérales, toujours plus à l'écoute du patronat et de ses désirs, à la recherche de toujours plus d'économies pour l'État et de précarisation du marché du travail, auront été contre-productives.
Quant au système français de protection sociale contre la privation involontaire d'emploi, il a été créé le 31 décembre 1958. Géré par l'UNEDIC, sa politique est mise en oeuvre par les ASSEDIC. Financée par les cotisations des salariés et des employeurs, l'assurance chômage est imprégnée du principe de solidarité que l'on retrouve en pratique au travers de la redistribution des cotisations.
Le groupe CRC est très attaché à ce principe de solidarité, tout comme au rôle de l'État, seul rempart contre les débordements et abus de l'économie de marché qui induit licenciements, emplois précaires et nombre d'autres maux sociétaux.
Aujourd'hui, force est de constater que le nombre de personnes privées d'emploi reste très élevé, puisqu'il est de 1,4 million environ selon les chiffres officiels.
Si ce chiffre est aussi important, oscillant entre 8 % et 10% selon les systèmes de comptage et l'importance des radiations, sans doute est-ce la preuve, me direz-vous, qu'il faut réformer le service public de l'emploi. Probablement ! Mais il existe de nombreux types de réformes.
Depuis quelques années, le mot « réforme » est brandi de manière incantatoire par les gouvernements successifs, à croire que ce n'est pas le contenu qui compte, ni l'idéologie que ce terme sous-tend. Il faut réformer le régime des retraites, l'éducation, la santé et, maintenant, le service public de l'emploi.
L'actuel gouvernement, digne héritier des gouvernements de droite précédents, n'échappe pas à la règle. Il n'est plus question de rupture !
Mais penchons-nous un peu sur le contenu de ces réformes et sur la manière qu'elles ont de transformer en profondeur notre pays et son organisation sociale, pour réaliser un projet de société en adéquation parfaite avec l'économie libérale et ses thèses les plus antisociales.
Le service public de l'emploi en est un exemple éloquent. Maintes fois réformée, cette institution n'est plus aujourd'hui au service exclusif des salariés privés d'emploi, alors que telle était sa mission première. Pire, elle doit fournir aux entreprises des travailleurs façonnés selon leurs besoins. Les 500 000 emplois non pourvus brandis par le MEDEF sont malheureusement là pour me donner raison !
Les « privés d'emploi » sont étroitement surveillés. Ils sont culpabilisés, stigmatisés, et on imagine aisément que l'institution qui va prochainement être mise en place renforcera cette surveillance.
Cette conception est aux antipodes de celle que nous défendons. Nous considérons que, après un licenciement, le salarié est la victime. Il ne doit pas être soupçonné et surveillé comme un voyou alors que les responsables, ceux qu'il faut blâmer, sont les entreprises qui, malgré leurs profits colossaux, délocalisent pour gagner toujours plus.
Malheureusement, les exemples ne manquent pas : en Isère, récemment, l'entreprise Poliméri, dont l'actionnaire majoritaire, ENI, vient d'être condamné pour entente illicite par la Commission européenne, a mis à la porte 250 personnes avant de délocaliser son activité en Inde ! Madame la ministre, j'ai interrogé vos services sur ce sujet ; j'espère que vous pourrez m'apporter une réponse.
En France, environ 15 000 suppressions d'emplois par an sont dues aux délocalisations.
J'en reviens à votre réforme. Malgré les dispositions prévues dans le projet de loi, on peut s'interroger sur le statut des agents de la nouvelle institution. Comment être sûr qu'aucun ne sera désavantagé, puisqu'une nouvelle convention doit être négociée ?
Certes, madame Procaccia, nous sommes persuadés que les partenaires sociaux négocieront en pensant aux salariés. Toutefois, s'ils sortaient gagnants de toutes les négociations, cela saurait et il y aurait sans doute moins de manifestants dans les rues ! Je leur fais entière confiance pour revendiquer et réclamer un statut de bonne qualité pour les agents, mais je ne suis pas persuadée qu'ils seront entendus...
Par ailleurs, comment être sûr que les agents parviendront à assurer convenablement certaines missions pour lesquelles ils n'ont pas été formés, et que chacun d'eux conservera son emploi, notamment chez les cadres - il en est qui comparent cette fusion à un « tsunami » - ou encore chez les titulaires d'un CDD ?
Votre projet de loi comporte décidément de nombreuses zones d'ombre.
Madame la ministre, je m'étonne également que vous puissiez croire, ou tenter de faire croire, que c'est en fusionnant l'ANPE et les ASSEDIC que vous parviendrez à diminuer durablement le nombre de demandeurs d'emploi. Il n'y a, en la matière, ni mystère ni secret et, sur ce point, je rejoins M. Gérard Larcher : pour réduire le chômage, il faut offrir plus qu'un travail, il faut offrir un emploi stable et rémunéré à hauteur des qualifications demandées.
Il ne suffira pas de créer un guichet unique - une structure de plus, comme le dit encore M. Larcher - à destination des demandeurs d'emploi, car, ne vous en déplaise, ce qui fait défaut, ce sont bien les offres d'emploi elles-mêmes. Et je ne parle pas des quelques centaines de milliers d'emplois non pourvus, de ces temps partiels imposés et payés une misère, des emplois difficiles et non reconnus sur le plan salarial, que le MEDEF entend combler par tous les moyens et pour lesquels il sait pouvoir compter sur votre soutien.
L'adoption du plan d'aide au retour à l'emploi, le PARE, et l'esprit même de ce projet de loi en sont des exemples. Et que dire de l'émergence de la nouvelle notion, volontairement très abstraite, d'offre acceptable d'emploi, qui se substituera peut-être à l'offre valable d'emploi, l'OVE, dont on connaît les critères de référence ?
Madame la ministre, nous arrivons ici au coeur même de votre projet de loi. Vous soutenez que son objectif est double : d'une part, faciliter les démarches des usagers par la mise à disposition d'une plateforme polyvalente assurant l'ensemble des prestations nécessaires au recrutement et au placement et, d'autre part, mettre à disposition, au seul bénéfice cette fois des salariés et des personnes à la recherche d'un emploi, un ensemble de prestations facilitant leur orientation sur le marché du travail et leur donnant accès, à chaque étape de leur parcours professionnel, à l'accompagnement et, le cas échéant, à la formation dont ils peuvent avoir besoin. Mais de créations d'emplois, il n'est nullement question !
Pour ma part, je vois aussi deux objectifs dans votre texte, mais ils sont bien loin de ceux que vous affichez : faire des économies sur le dos des chômeurs et des agents ; finaliser votre projet de « modernisation » du marché du travail.
Votre premier objectif consiste donc à faire des économies.
Le Président de la République a une obsession : diminuer le nombre de fonctionnaires pour tenir sa promesse. Or, il est impossible de réduire trop massivement les effectifs de la justice, de la police ou de l'éducation tant ces domaines sont sensibles. Pour autant, ils ne seront pas épargnés, loin s'en faut, mais cela ne suffira pas. C'est ailleurs, ou plutôt partout, qu'il faut économiser : l'ANPE et ses agents en feront les frais.
Le projet de loi prévoit de fusionner des agences en les réunissant dans un même lieu géographique, d'où la fermeture de locaux. Ce sera le cas en ville, mais aussi dans les zones rurales, ce qui aura pour conséquence d'éloigner plus encore les demandeurs d'emplois du lieu qui devrait leur permettre de trouver un travail ou d'être justement indemnisés.
Cela aura également des incidences sur l'aménagement même des territoires périurbains et ruraux, déjà sinistrés par la fermeture des bureaux de poste, des hôpitaux et des maternités, des tribunaux de proximité, des gendarmeries, des classes d'écoles.
Mais cela ne vous émeut guère : pour vous, ce sont les économies réalisées qui comptent ! Les régions, les départements et les communes n'auront qu'à compenser, en acceptant par exemple l'installation sur leur territoire de maisons de l'emploi qu'il faudra financer, si tant est que vous ne les supprimiez pas purement et simplement.
Des fermetures de sites interviendront donc. On recense aujourd'hui 1 800 sites ANPE et ASSEDIC confondus. Vous avez promis aux partenaires sociaux que 1 000 sites au moins resteraient ouverts. Cela veut-il dire que près de 800 d'entre eux fermeront ?
Pouvez-vous me préciser selon quels critères sera effectuée la «sélection » entre les sites destinés à perdurer et ceux qui sont voués à la fermeture ? Avez-vous déjà élaboré un projet que vous gardez secret, sans doute par crainte des réactions qu'il susciterait ?
La presse évoque la suppression de vingt-cinq unités spécialisées mises en place par l'ANPE afin de répondre à des situations particulières touchant notamment les cadres, les anciens détenus ou les professionnels des métiers des arts et du spectacle. Madame la ministre, pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information devant les sénatrices et les sénateurs, ainsi que devant les partenaires sociaux qui, je le sais, sont attentifs à nos débats ? La clarté est nécessaire à la pleine mesure de votre réforme.
En tout cas, nul doute que la recherche d'économies est l'un des objectifs du Gouvernement. Le Premier ministre ne s'en est d'ailleurs pas caché, allant jusqu'à préciser qu'il financerait ses réformes par de substantielles économies, réalisées notamment par la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC. Autrement dit, vous faites payer aux chômeurs et aux agents les cadeaux qui ont été faits dans la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA !
On apprend, à la lecture du journal Les Echos du 4 janvier 2008 que, dans une note de synthèse datée du 14 décembre, le groupe de travail chargé de l'organisation pointe plusieurs sources de rationalisation : « des économies liées au maillage territorial » - j'ai évoqué les territoires ruraux -, « des économies liées à la dématérialisation » - fermetures de sites -, « des économies liées directement à la fusion. » - quid des agents ? On ne saurait être plus clair !
Le second objectif de votre projet de loi réside dans la mutation totale du marché du travail et des missions de ce que sera la future institution.
Vous voulez faire des demandeurs d'emplois une main-d'oeuvre corvéable à souhait, les contraindre demain à accepter sans condition tout emploi proposé, au nom de la fameuse offre valable d'emploi sur laquelle je reviendrai.
Cette volonté s'inscrit dans la logique du PARE et de l'ensemble des réformes votées par la droite et concoctées par le MEDEF. D'ailleurs, le Président de la République ne fait pas secret de ses projets : il veut renforcer les sanctions contre les chômeurs qui refusent deux offres acceptables d'emploi. Et M. Laurent Wauquiez de préciser : « il y a un travail en commun qui devra être fait avec les partenaires sociaux pour définir ce que sont deux offres d'emploi acceptables ».
C'est bien, en effet, la question dont nous aurons à discuter. Pour les partenaires sociaux et les associations, une offre valable d'emploi doit tenir compte d'au moins trois critères auxquels le MEDEF est par principe opposé : la formation du demandeur d'emploi, la même zone géographique et la garantie d'un salaire au moins égal au précédent.
Or, on sait déjà que, pour Mme Parisot et ses amis, la référence est anglo-saxonne. Outre-Manche, l'offre d'emploi et sa «viabilité » s'analysent non au regard des besoins du salarié ou de ses spécificités, mais au regard de l'agence de placement, rémunérée au pourcentage.
Ce modèle britannique que vous vantez tant a conduit la grande majorité des « privés d'emplois » à accepter, sous la pression, n'importe quel travail, quitte à cumuler les emplois pour être tout juste au-dessus du seuil de survie, à tel point que la Grande-Bretagne compte un nombre très important de travailleurs pauvres.
On est bien loin de la définition posée par l'Organisation internationale du travail en 1934, qui instaurait comme critères la distance entre le travail et le domicile, le niveau de rémunération et la stabilité du poste. On mesure bien la différence : on pense non plus offre valable d'emploi, mais offre acceptable d'emploi, autrement dit employabilité du demandeur d'emploi ou manière la plus rapide de le sortir des statistiques du chômage et des indemnisations, tout en satisfaisant le patronat.
Voilà le futur que vous promettez aux salariés de notre pays. Vous voulez les contraindre non seulement à travailler plus pour ne pas gagner nécessairement plus, mais aussi à travailler dans des domaines qui ne sont pas les leurs.
Une réforme est-elle nécessaire, ai-je demandé tout à l'heure. Eh bien oui, mais dans le sens de l'acquisition de nouveaux droits sociaux pour les salariés. Car les communistes ne sont pas pour le statu quo. Face à votre projet de fusion des ASSEDIC et de l'ANPE, qui vise à soumettre un peu plus le service public de l'emploi aux intérêts des entreprises, nous avançons des propositions.
Comme vous n'avez de cesse de reprendre vos vielles méthodes libérales - qui n'ont pourtant pas fait leur preuve, je viens de vous le démontrer -, je vous suggère d'innover en créant une véritable sécurisation des parcours professionnels.
Cela passe d'abord, et je comprends que cela vous déplaise, par le renforcement des droits des salariés : suppression des CNE et autres contrats précaires, suppression des trappes à bas salaires et des exonérations patronales.
Cela passe également par le renforcement du contrat de travail et par l'affiliation de tous les salariés à une institution de sécurisation des parcours professionnels.
Cela passe aussi par le droit à la formation continue, que vous avez évoqué à juste titre, madame la ministre. Il faut renforcer et amplifier la formation continue, en lien étroit avec l'Association nationale pour la formation professionnelle, l'AFPA, le Conservatoire national des arts et métiers, le CNAM, l'éducation nationale, les associations, les entreprises privées de formation, afin de permettre à chaque salarié d'évoluer au cours de son activité professionnelle, d'en changer s'il en ressent l'envie et de bénéficier d'un vrai droit à une formation qualifiante.
Cela passe enfin par un réel service public de l'emploi, rénové, intégrant la refonte de l'ANPE, de l'UNEDIC, des missions locales, ainsi que leur articulation et coopération nouvelle.
Enfin, dernier étage de cette construction ambitieuse, la réorientation et le contrôle des fonds publics, dont l'octroi pourrait être soumis à une obligation en termes d'emploi, par exemple en interdisant les licenciements spéculatifs sans remboursement des fonds publics alloués
Naturellement, et nous aurons tout loisir d'y revenir dans les prochains mois, il convient de maintenir les 35 heures qui, vous le savez, ont permis des créations d'emplois, même si, trop souvent, leur application a pu créer des difficultés.
Madame la ministre, comme vous pouvez le constater, nous sommes en totale opposition avec votre projet de loi, qui s'insère dans une démarche beaucoup plus large de libéralisation du monde du travail. Il stigmatise les chômeurs, précarise le monde du travail pour favoriser des entreprises qui font déjà des profits astronomiques, j'y reviendrai lors de l'examen des articles. Il est inefficace en matière d'emploi, dangereux pour les salariés de l'ANPE et des ASSEDIC, ainsi que pour les demandeurs d'emplois.
En conséquence, madame la ministre, mes chers collègues, vous aurez compris que nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'évoquerai brièvement les raisons pour lesquelles mon groupe votera le projet de loi qui nous est soumis.
La première est très simple : le chômage reste l'un des problèmes majeurs de notre société. Le Gouvernement tente d'y remédier par la mise en oeuvre de politiques économiques ou sociales et par l'action du service public de l'emploi, que ce texte vise à renforcer, ce que j'approuve. En effet, notre pays a besoin d'un service public de l'emploi fort afin que tous ceux et toutes celles qui sont à la recherche d'un emploi soient traités d'une façon égale.
Cette conviction résulte de l'expérience que j'ai acquise dans mon département ; j'y suis chargé de trouver des moyens pour aider les plus pauvres, ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi, c'est-à-dire les bénéficiaires du RMI.
Si nous sommes parvenus, dans le département du Rhône, à réduire de 17 % le nombre de bénéficiaires du RMI en une année, nous le devons d'abord à la volonté de ces derniers de chercher un emploi : personne n'est volontaire pour être RMIste, tout le monde a envie de s'en sortir. Nous le devons ensuite au travail de grande qualité que nous avons pu bâtir avec l'ANPE.
La première caractéristique de votre projet de loi, madame la ministre, réside dans l'affirmation que l'emploi reste une affaire de l'État et qu'un service public est nécessaire pour s'en occuper. Je trouve quelque peu bizarre que personne n'ait encore relevé ce fait, notamment là où l'on aurait dû le faire ! C'est pourtant un point essentiel dans la façon de vivre à la française. Pour nous, il est extrêmement important que vous réaffirmiez la nécessité de l'existence d'un service public de l'emploi.
Beaucoup a été dit, et avec justesse, sur la « mosaïque » du service public de l'emploi, pour reprendre l'expression de M. Jean Marimbert, qui est assuré soit par une association, l'UNEDIC, dotée de missions de service public, soit par un établissement public, l'ANPE. Leurs rôles sont concomitants, elles vont dans le même sens ; il faut donc les renforcer, les faire aller de concert.
La fusion de ces deux organismes est, par conséquent, une très bonne chose. Notre groupe politique l'avait d'ailleurs demandée à deux reprises, en 2003 et en 2005. On nous avait expliqué alors que nous étions en avance, ce qui ne nous étonne guère, d'ailleurs, puisque c'est l'une de nos caractéristiques essentielles ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Oui, monsieur Gournac, nous sommes toujours devant vous quand il s'agit de s'occuper des plus pauvres : nous n'avons jamais failli à notre tâche ! (M. Guy Fischer s'exclame.) J'ai généralement votre soutien dans ces cas-là, monsieur Fischer, et je vous en remercie !
Madame la ministre, il ne faut pas avoir honte de le dire avec force : nous avons besoin d'un grand service public de l'emploi, d'un organisme public qui va s'occuper complètement, du début à la fin, de tous les demandeurs d'emplois et les traiter de façon égalitaire.
Il est assez facile de placer des gens qui sont proches de l'emploi, qui sont concernés par des métiers dans lesquels la demande est forte ; il est beaucoup plus difficile de placer des gens qui sont loin de l'emploi, qui ont besoin de formation et qu'on aurait tendance à laisser de côté. L'écrémage existe lorsque l'on veut réduire le chômage ; cela se traduit par de bons chiffres pendant quelques temps, mais cela fait aussi des gens qui restent très loin, et très longtemps, de l'emploi.
M. Guy Fischer. Cela fait des emplois précaires !
M. Michel Mercier. En tant que responsable, dans un département, des bénéficiaires du RMI, je sais bien que c'est l'ANPE qui met en place le traitement égalitaire de tous les demandeurs d'emplois. Il convient d'insister sur cette qualité du service public de l'emploi, ce qui justifie pleinement le soutien que nous apporterons à votre projet de loi.
Alors, bien sûr, des questions se posent
On peut, certes, s'interroger sur le nom du service public d'aide à emploi. Vous nous avez expliqué que vous laisseriez les partenaires le trouver ; pourquoi pas ? En revanche, nous ne pouvons pas être incertains sur la nature juridique de cet opérateur. Au cours du débat, madame la ministre, vous devrez être très claire sur ce point, qui est essentiel et sur lequel je souhaite que nous puissions avancer.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est sûr !
M. Michel Mercier. Nous devons également parler du devenir des « maisons de l'emploi », mises en place par la loi précédente. Le système est quelque peu confus, touffu ; il faut le rationaliser, le rendre efficace et dire quel sera le rôle de ces maisons.
La question du statut des personnels se pose aussi ; Mme le rapporteur l'a traitée de façon approfondie. Nous savons bien que cela ne peut se faire que s'il n'y a pas de pertes pour les agents ; certains vont même être gagnants.
M. Guy Fischer. On ne le sait pas !
M. Michel Mercier. Je voudrais savoir, madame la ministre, comment vous comptez financer l'augmentation des traitements des agents de l'ANPE.
Aujourd'hui, cette agence est financée par une dotation budgétaire de l'État - cela peut se comprendre -, par une dotation budgétaire de l'UNEDIC - cela peut également se comprendre puisque, chaque fois que l'ANPE travaille bien, les bénéficiaires de l'UNEDIC sont moins nombreux -, et, dans une moindre mesure, par une dotation budgétaire des collectivités locales qui passent des contrats avec l'ANPE pour placer des chômeurs, notamment des RMIstes. Dans mon département, nous consacrons ainsi un peu plus de 1,5 million d'euros chaque année à l'ANPE.
Cela va-t-il nous coûter plus cher ? J'ai bien compris que la réponse est « oui », même si vous ne nous avez pas encore répondu ! (Sourires.) Si ce service public de l'emploi est plus cher mais qu'il est plus efficace, cela ne pose pas de problème, mais s'il est plus cher et qu'il est moins efficace, cela n'ira pas !
Madame la ministre, nous attendons que vous nous apportiez des précisions sur l'ensemble de ces sujets.
En résumé, notre groupe est favorable à la fusion des services, à l'affirmation du rôle de l'État, à la création d'un grand service public de l'emploi. Nous attendons des débats qui vont suivre les réponses aux questions qui demeurent en suspens. Ainsi, en suivant Mme le rapporteur, nous pourrons faire en sorte que le projet de loi que vous nous présentez devienne réalité le plus tôt possible ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Mortemousque. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les bonnes résolutions sont de saison, comme les réformes. L'urgence semble être un mode cher au Gouvernement et, par voie de conséquence, l'une des obligations du Parlement « nouvelle tendance ».
La réforme du service public de l'emploi, vaste sujet qui mérite toute notre attention et une mobilisation de tous les instants, n'y coupe pas. Ce texte, initialement programmé à l'Assemblée nationale, a été transféré au Sénat dans la hâte. Saura-t-on jamais la raison d'une telle précipitation ?
Certes, il est urgent de résorber le chômage. Depuis le temps qu'on y travaille, on s'étonne que l'urgence n'ait pas été déclarée plus tôt pour cette idée d'une fusion ASSEDIC-ANPE, qui n'est pas une nouveauté, n'en déplaise à notre Président qui n'est pas avare d'idées neuves ! Elle date de 1984 ; elle est ressortie des cartons en 1990, a réapparu en 2007 à l'Assemblée nationale et, enfin, cette année, elle est soumise au Sénat.
Les raisons de cet historique laborieux ne sont pas le sujet. Et, puisque nous y sommes conviés, nous pratiquerons l'ouverture - au moins d'esprit - en nous interrogeant sur la contribution réelle de ce projet à l'amélioration de la situation des demandeurs d'emploi et sur la réalité de l'efficience des transformations en matière de politiques sociale et de l'emploi.
Dès lors, l'urgence ne nous sert pas, mais nous ne sommes pas à une contradiction près !
Malgré la célérité vertigineuse des auditions préalables à l'examen de ce texte, son contenu appelle un certain nombre de remarques dont il nous faudra tenir compte ici, afin de ne pas installer une entité nouvelle qui soit ingérable. Pour ce faire, il nous faut prendre le temps d'opérer quelques rappels.
La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, notamment son article 1er, définit parfaitement le rôle et les missions du service public de l'emploi et sa déclinaison sur le territoire, prévoyant des modalités de coordination des actions respectives des différents intervenants, notamment l'ANPE et les ASSEDIC. De nombreux rapprochements ont déjà eu lieu et les deux organismes ont adopté le dossier unique du demandeur d'emploi. Alors, pourquoi envisager aujourd'hui une fusion dans l'urgence ?
De même, le plan de cohésion sociale a favorisé les créations des maisons de l'emploi, dans l'objectif de rapprocher le service public de l'emploi - ANPE, ASSEDIC - et les multiples partenaires que sont les missions locales, l'AFPA, les chambres consulaires, les organismes de développement économique, les structures d'insertion professionnelle, etc. Or, sans tenir compte de ce qui a été réalisé, vous introduisez de façon prématurée votre projet de loi alors même qu'une évaluation de ces maisons de l'emploi était programmée.
Parallèlement, un certain nombre d'élus qui s'étaient investis s'interrogent sur le devenir de ces maisons. Rappelons-nous que vous venez de geler leur conventionnement, alors que le territoire n'est pas totalement couvert et qu'elles n'ont pas encore été évaluées.
Elles ont pourtant une mission de diagnostic sur les territoires, d'observation, d'anticipation et d'adaptation des différentes mutations économiques. Elles ont développé un partenariat, une complémentarité, une mutualisation des ressources qui contribuent à optimiser leurs actions. Leurs autres missions correspondent bien à la structuration de l'offre d'emploi, au rapprochement et à l'accompagnement des demandeurs d'emploi jusqu'à leur insertion. Alors, pourquoi casser un outil qui commençait à se développer et à devenir réellement un guichet unique ?
Durant la dernière législature, de nombreuses modifications sont déjà intervenues dans le champ de la gestion des demandeurs d'emploi : création de 220 guichets uniques dans lesquels l'inscription peut être réalisée par un conseiller ANPE ou ASSEDIC ; adoption d'un dossier électronique unique résumant les parcours du demandeur d'emploi, dossier accessible à tous les organismes publics et privés participant à l'accompagnement des demandeurs d'emploi ; mise en place, en 2007, d'un GIE pour intégrer les services informatiques... Toutes ces avancées sont balayées d'un revers de main sans même avoir été évaluées.
Ce rappel préliminaire me permet d'introduire une analyse plus avancée du contenu de ce projet de loi. Les remarques que le texte appelle resteront dans le ton.
Comme vous nous l'avez annoncé le 10 décembre dernier, le projet de loi relatif à la réforme du service public de l'emploi que vous présentez a pour ambition de réduire le chômage, d'augmenter la croissance et l'emploi. Afin d'atteindre ces objectifs, vous envisagez la fusion de l'ANPE avec les ASSEDIC.
Si nous approuvons la création d'un guichet unique devant faciliter les démarches des usagers - demandeurs d'emploi et entreprises -, nous ne voyons pas en quoi la création de cette nouvelle institution contribuera à l'augmentation de la croissance.
Nous redoutons également que la vision strictement budgétaire, dans un souci de rationalisation des coûts du chômage en France, ne revienne à une centralisation de la politique de l'emploi autour de Bercy, au détriment des actions locales, qui sont souvent plus adaptées aux réalités des territoires que l'idée que l'on s'en fait à Paris.
Par ailleurs, la très louable rationalisation des dépenses sociales ne doit pas faire dépendre la politique sociale de choix économiques dont les chômeurs, pas plus que les travailleurs, ne sont responsables.
À ce titre, nous nous inquiétons aussi du fait que la reprise en main par l'État du financement et de l'attribution des allocations de chômage ainsi que du contrôle et du placement des demandeurs d'emploi via la fusion des deux instances n'ait pas fait l'objet d'une ligne budgétaire spécifique dans le projet de loi de finances pour 2008.
En effet, le budget de 2008 ne prévoit rien, si ce n'est 89,2 millions d'euros pour financer le fonctionnement des maisons de l'emploi et 8,8 millions d'euros pour investir dans trente-six maisons de l'emploi en cours de conventionnement.
Certes, la fusion ANPE-ASSEDIC devrait permettre de réaliser une économie telle que la subvention de l'État passerait de 1,36 milliard d'euros à 1,31 milliard d'euros. Mais le coût total de l'opération a été évalué par le rapport Marimbert à 300 millions d'euros. L'économie ne suffira donc pas. Qui donc y pourvoira ? Comptez-vous sur les réserves de l'UNEDIC ?
À moins que votre objectif ne soit l'économie pour elle-même, non pas comme un moyen mais comme une fin en soi. Ce serait dramatique pour la politique de l'emploi, mais se situerait néanmoins dans la droite ligne des réductions de crédits pour 2008 concernant notamment les contrats aidés, l'insertion par l'activité, l'insertion professionnelle des jeunes et, plus généralement, de la diminution du budget dans tous les secteurs, à l'exception des exonérations de cotisations sociales patronales, notamment dans la branche dite HCR, à savoir les hôtels, les cafés et les restaurants !
Le statut juridique de cette nouvelle entité n'est, en outre, pas clairement défini ni explicité. Vous évoquez une « institution nationale nouvelle ». Est-ce un établissement privé assurant des missions de service public, avec des salariés soumis au code du travail et à une gestion comptable et financière conforme aux règles applicables aux entreprises industrielles et commerciales, ou est-ce un établissement public à caractère industriel et commercial, de type EPIC ?
La question de la gouvernance est également posée dans le texte qui nous est soumis. Et ce n'est pas anodin !
J'ai évoqué une « reprise en main par l'État ». Or, la rationalisation des dépenses justifie-t-elle une centralisation et si oui, en quels termes ? Qui dirigera l'institution née de la fusion ?
Ce texte contient de grandes similitudes entre le mode de gouvernance proposé pour la future entité et ce qui a été réalisé pour l'assurance maladie : un directeur général nommé par le Gouvernement et disposant de tous les pouvoirs ainsi qu'un conseil d'administration paritaire réduit à la portion congrue. On notera en passant que le paritarisme est organisé ici de telle sorte que les représentants de l'État, des personnalités qualifiées et du patronat constituent toujours une majorité. En somme, pour les orientations et la gestion de la politique de l'emploi en France, le paritarisme n'est plus de mise !
Par ailleurs, si nous sommes renseignés sur la gouvernance à l'échelle nationale, il n'en est pas de même pour les instances régionales, qui n'associent pas les collectivités territoriales pourtant compétentes sur certains segments de la politique de l'emploi. Je pense notamment aux conseils régionaux pour la formation, aux conseils généraux pour le RMA et l'insertion, et aux collectivités locales pour la gestion des maisons de l'emploi.
Le fait de laisser les collectivités territoriales de côté, alors même qu'on leur demande de façon prévisionnelle de financer certaines prestations qui pourront être rendues par la nouvelle institution, laisse présager qu'elles devront gérer les populations les plus éloignées de l'emploi, via le RSA notamment, tandis que la gestion de la main-d'oeuvre qualifiée sera recentrée.
En conséquence, on s'interroge autant sur la couverture territoriale que sur les incidences pour les personnels. La gestion du personnel de chaque entité locale, avec deux cultures professionnelles différentes et un responsable issu de l'une ou de l'autre institution, ne sera réalisable que si elle est préparée dans un temps nécessaire et suffisant à la formation et à l'adaptation de ces personnels.
De quelle gestion des doublons prévisibles, notamment dans les effectifs des cadres, s'accompagnera le redéploiement des personnels ? Le suivi renforcé des demandeurs d'emploi nécessiterait au minimum 4 500 agents pour passer de la gestion de 60 à 30 demandeurs d'emploi par agent. Actuellement, nous sommes plus proches des 120 à 150 personnes par agent. La formation de ces agents n'a pas été prévue dans le budget pour 2008.
Quant au statut de droit public ou privé - 28 000 agents publics ANPE et 14 000 salariés de droit privé ASSEDIC -, le projet de loi prévoit le maintien de l'existant pour les salariés actuels et une nouvelle convention collective pour les nouveaux entrants. Outre la disparition d'une nouvelle catégorie d'agents publics, le renouvellement des CDD de nombreux salariés de l'ANPE est gelé. Même si la future convention collective devra être conforme aux prescriptions de l'OIT en matière de garanties déontologiques, les personnels de droit privé seront, de fait, plus vulnérables. Il s'agit bien là d'une nouvelle réduction d'effectifs de la fonction publique, sous couvert de fusion !
De même, de quelle gestion « immobilière » s'accompagnera la réforme ? Si je me réfère à ce qu'ont dit les précédents orateurs, j'ai vraiment l'impression de me répéter ... En fait, cela pose autant la question de la desserte territoriale que de l'accessibilité des services pour les demandeurs d'emploi résidant en zone rurale.
Pour ces questions très pragmatiques, il n'y pas trace de la moindre anticipation. Comme l'écrit Mme Annie Thomas, présidente de l'UNEDIC, dans Le Monde d'aujourd'hui : « on a construit l'outil avant de définir ses missions » !
J'en viens précisément aux missions.
Les récentes déclarations du Président de la République en matière de sanctions à l'égard des chômeurs récidivistes du rejet d'offres d'emploi « acceptables » apportent un éclairage nouveau sur les missions de la nouvelle entité. Elles confirment également les intentions déjà très claires du patronat dans ce dossier et son implication dans la négociation sur le contrat de travail et l'indemnisation des chômeurs.
Surveiller et punir, mais de façon unilatérale, bien sûr ! Une sorte de tri sélectif est une formule plus élégante, mais qui, prise au pied de la lettre, n'en est pas moins effrayante.
Je ne doute pas que mes collègues de l'opposition seront soutenus par les membres les plus éclairés de la majorité pour relever le caractère inique et détestable de cet état d'esprit lors des débats qui suivront. J'ose espérer qu'il apparaîtra à tous que cet état d'esprit n'est pas tourné vers les chômeurs, qu'il n'a pas l'intention de les soulager, ni de mieux les accompagner, malgré ce qui est dit.
La traque aux prétendus profiteurs - combien sont-ils au fait, le sait-on vraiment ou s'agit-il encore d'un chiffon rouge que l'on agite ? - est un volet très restrictif d'une politique de civilisation. Je laisse le soin à mes collègues de ne pas laisser passer les articles qui instaureraient insidieusement cette conception suspicieuse de la politique sociale. La mission de l'entité qui pourrait naître devrait être exclusivement de former, de qualifier, d'accompagner et d'insérer ceux que l'économie n'a pas favorisés ou laisse de côté. Cependant, le projet de loi reste évasif à ce sujet, de même que sur les articulations avec les autres partenaires de l'emploi et de la formation.
La planification de la mise en oeuvre des différentes actions n'est pas indiquée, excepté pour le recouvrement des contributions d'assurance chômage qu'il est prévu de confier aux URSSAF en 2012. C'est le second volet de la réforme. L'URSSAF, l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, sera également conduite à recouvrer les cotisations chômage ...
Le présent projet de loi participe donc d'un mécanisme double.
D'une part, il vise à trier les demandeurs d'emploi en fonction de leur employabilité et donc du « risque » financier qu'ils représentent dans le sens d'une gestion rationalisée de l'assurance chômage. Celle-ci redevient, au sens strict, une assurance avec une mutualisation des risques calculés au plus juste. À moyen terme, n'est pas exclue la présence de sociétés d'assurances privées contre cet accident de la vie qu'est le chômage.
D'autre part, il tend à constituer un système global de protection sociale minimale - panier de soins réduit de l'assurance maladie, retraites de base et complémentaires non revalorisées - dans lequel entrera la protection contre le chômage pour les moins bien insérés professionnellement, le financement de cette protection de base, par définition non rentable, étant abandonné à la solidarité nationale.
La faiblesse et la division des représentants du monde salarié, la détermination du MEDEF et le besoin d'argent de l'État se conjuguent, dans la période actuelle, pour composer un angle de tir dont le Gouvernement entend profiter afin de mener à bien ce dossier, en prenant de vitesse de possibles mouvements sociaux.
Ce projet de loi ne semble pas destiné à aider les demandeurs d'emploi à trouver un emploi stable et de qualité. Il s'agit à nouveau d'un traitement statistique du chômage, à moindre coût, qui risque fort d'aboutir dans le contexte actuel à remplacer, pour les personnes concernées, le chômage par la précarité, à accepter n'importe quel emploi, dans n'importe quelles conditions et à n'importe quel salaire.
En conclusion, nous avancerons donc qu'une politique de l'emploi ne peut pas être circonstancielle. Elle doit s'inscrire dans le temps et dans une raison d'être qui conjugue efficacité économique, justice sociale et dignité humaine.
Nous terminerons par une citation de Lamartine extraite de l'article « la société industrielle », inséré au Bien Public de 1844 : « ...société en commandite, où les travailleurs ne sont que des rouages à user et à dépenser au plus bas prix possible, où tout se résout par perte ou gain au bas d'une colonne de chiffres, sans considérer que ces quantités sont des hommes, que ces rouages sont des intelligences, que ces chiffres sont la vie, la moralité, la sueur, le corps (...) de millions d'êtres (...) ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)