M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission que nous examinons aujourd'hui doivent répondre à un enjeu majeur, celui du défi alimentaire. C'est un défi pour la France, pour l'Europe, mais également pour le reste de la planète. En effet, la population mondiale va s'accroître dans les années à venir, augmentant par là même les besoins en productions agricoles.
Ce défi est une immense chance pour notre pays dont le savoir-faire est reconnu dans le monde entier. Il faut, ici, instaurer une démarche de développement durable.
Ce n'est qu'en favorisant la biodiversité, en préservant les ressources naturelles de notre pays, comme l'eau, et en valorisant les équilibres du paysage que l'on pourra répondre aux besoins de production et aux attentes de la société.
Le Grenelle de l'environnement s'est, d'ailleurs, largement fait l'écho de tous ces problèmes. Les débats ont accordé une place majeure à l'agriculture, l'une des priorités affichées étant la biodiversité.
Or, certaines mesures contenues dans le programme « Gestion durable de l'agriculture, de la pêche et développement rural » font l'objet de restriction budgétaires. Je veux parler ici des mesures agro-environnementales, les MAE. Destinées à favoriser la diversification des cultures dans l'assolement, elles visent à encourager la pratique de rotations plus longues et d'assolements plus diversifiés, avec pour objectif d'améliorer la qualité de l'eau et des sols.
Par ailleurs, la France et l'Europe sont déficitaires dans certaines cultures comme le pois protéagineux ou la luzerne.
À l'heure actuelle, les crédits de paiement ne permettront pas de financer les contrats en cours. Dès lors, qu'en sera-t-il, monsieur le ministre, des contrats arrivant à expiration ? Pour le département de la Charente-Maritime, plus de quatre-vingt-dix agriculteurs sont concernés.
Cet outil doit être doté de véritables moyens qui soient à la hauteur des ambitions annoncées par la France, et ce d'autant plus que nous sommes à l'aube du « bilan de santé » de la PAC. Nous devons donc être très vigilants sur le sujet.
Je veux également évoquer, dans le cadre de l'examen du programme « Gestion durable de l'agriculture, de la pêche et du développement rural », les programmes de maîtrise des pollutions d'origine agricole, les PMPOA.
Ce dispositif vise à limiter la pollution des eaux en accompagnant la mise aux normes des exploitations. Je me félicite des engagements qui sont tenus, mais force est de constater que les besoins restent importants. Certains agriculteurs s'inquiètent de ne pas pouvoir bénéficier des soutiens nécessaires à la réalisation de travaux. Il faut donc les rassurer.
La notion d'environnement, on le voit bien, sera de plus en plus présente dans notre vie de tous les jours. L'un des secteurs les plus concerné par cette notion est celui des transports.
La France s'est engagée, dans le cadre du protocole de Kyoto en 1997, à réduire ses gaz à effet de serre. C'est ce qui est prévu aux termes de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006. Nous devons donc, à l'échelon national, développer les biocarburants et les agrocarburants de deuxième génération.
Le développement de cette filière passe obligatoirement par le maintien d'une fiscalité adaptée et par l'encouragement de la préférence nationale. Il faut également augmenter le nombre de pompes distribuant de l'éthanol.
Par ailleurs, cette politique doit d'appuyer sur une évaluation rationnelle des performances, tant sur le plan énergétique que sur le plan économique. Pouvez-vous à ce sujet, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus sur le bilan environnemental que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, doit présenter le 1er janvier 2008 ?
Il faut, en effet, rester attentif quant à l'utilisation des terres agricoles et à l'équilibre entre productions alimentaires et productions non alimentaires. Ainsi, le développement des agrocarburants ne doit pas provoquer de flambée des prix des céréales.
À l'heure actuelle, le marché alimentaire connaît une situation très tendue en raison des aléas climatiques à répétition et de l'augmentation de la demande des pays en voie de développements. Il ne faudrait pas que le développement sans contrôle de cette filière nous conduise à une catastrophe écologique majeure.
Les agrocarburants n'empêchent pas, aujourd'hui, les exploitants agricoles de subir de plein fouet la flambée des cours du pétrole et de ses dérivés. Les agriculteurs pourront-ils bénéficier d'un remboursement de la TIPP à hauteur de 5 centimes d'euros par litre comme en 2005 ? C'est, en effet, le seul moyen pour eux de préserver la compétitivité de leurs exploitations.
Je souhaite, à présent, mettre l'accent sur deux sujets qui me tiennent à coeur et qui touchent à l'élevage et à la viticulture.
Les éleveurs ovins doivent faire face à une crise sans précédent. La baisse de leurs revenus est flagrante et leurs marges de manoeuvre sont extrêmement réduites dans un secteur où la concurrence fait rage. C'est ainsi que la région Poitou-Charentes a perdu plus de 20 000 brebis en 2006 sur un cheptel de 600 000 têtes, et que le revenu des éleveurs a été divisé par deux en trois ans.
La capacité d'adaptation de la filière ne suffira pas à surmonter la crise, et c'est tout l'avenir de cette production qui est en péril. Une gestion plus saine des marchés et une amélioration de la trésorerie des éleveurs sont nécessaires.
La situation des éleveurs bovins n'est, aujourd'hui, guère plus enviable. On ne peut que constater une baisse des cours, une concurrence déloyale des viandes étrangères ainsi que des problèmes sur le plan de la politique pratiquée par la grande distribution.
Des solutions existent ; il faut favoriser le redressement de la consommation. Cela passe par un relèvement des cours, une baisse des prix de vente au détail et un soutien sans faille à la filière « viande française » en raison des efforts réalisés en termes de qualité et de traçabilité.
De plus, les actions menées en faveur de l'élevage et de la viande bovine française doivent être renforcées. Il faut que ces deux filières d'élevage sortent de la crise qu'elles traversent : il en va de la survie de nombre d'exploitations sur notre territoire.
Quant au prix du lait, il connaît actuellement une hausse qui devrait se poursuivre. Toutefois, les professionnels restent prudents et pensent qu'il faudrait anticiper une baisse dans quelques années. Ils souhaiteraient donc, si la conjoncture actuelle perdure, que les provisions faites par les agriculteurs pour les mauvaises années ne soient pas soumises à l'impôt.
J'en viens à la viticulture. Celle-ci connaît des difficultés et les perspectives d'avenir, à moyen terme, inquiètent la profession.
Le projet de réforme de l'Organisation commune des marchés, l'OCM, avec la libéralisation de l'étiquetage et celle des plantations, conduira nécessairement à une surproduction, à une chute des prix, à une perte de la valeur patrimoniale des terrains et à la remise en cause des efforts qualitatifs.
L'autorisation d'utiliser le cépage pour les vins de table serait catastrophique pour la production des vins de pays de la région Poitou-Charentes. Cette politique va totalement à l'encontre de la viticulture française et européenne.
Quant à la libéralisation des plantations, elle est particulièrement risquée dans un contexte économique très tendu, en raison de la surproduction mondiale de vins. L'arrachage définitif doit être limité et encadré afin d'éviter la déprise de certaines zones géographiques.
Il faut que le Gouvernement pèse de tout son poids dans les négociations pour que la mention « cépage » soit limitée aux vins à indication géographique.
Je parlerai, dans le cadre de l'examen du programme « Valorisation des produits, orientation et régulation des marchés », des prêts bonifiés.
Je me félicite que le Gouvernement ait maintenu ce mécanisme d'aide aux jeunes agriculteurs et je me réjouis de sa décision de dégager 20 millions d'euros supplémentaires. Cet outil reste, en effet, essentiel pour l'installation de nos jeunes.
Cependant, malgré son abondement, le volume des crédits ne va pas augmenter de manière significative. Or, compte tenu de l'annualité budgétaire, je me demande ce qui se passera pour les jeunes agriculteurs qui s'installeront au 1er janvier. Quelles solutions peut-on envisager dans ce cas précis, monsieur le ministre ?
Dans les missions interministérielles concernant l'agriculture, je dirai un mot de l'enseignement technique agricole.
Les différentes baisses de la dotation globale horaire et les plafonnements d'effectifs entraînent une dégradation de la situation de l'enseignement agricole public.
La mission d'insertion professionnelle de l'enseignement technique agricole est primordiale pour le développement des territoires ruraux et de l'agriculture. En effet, cette formation est indispensable pour les jeunes qui veulent s'installer et reprendre une exploitation.
Nous le savons, l'installation des jeunes pour assurer le renouvellement des générations est l'une de vos priorités. J'attirerai votre attention sur la conclusion des baux cessibles hors cadre familial, car peu de contrats ont été signés en raison des conditions exigées. Il faudrait améliorer les règles mises en place en 2006 pour que cet outil réponde mieux aux souhaits des exploitants.
De plus, toujours en ce qui concerne les baux, j'aimerais avoir votre avis, monsieur le ministre, sur la demande de la Fédération nationale de la propriété privée rurale, FNPPR, au sujet de la mise en place d'une nouvelle composition de l'indice de fermage.
Concernant le fonds de financement des prestations sociales agricoles, j'évoquerai le dossier des retraites. En effet, les petites retraites restent faibles au regard du minimum vieillesse. Il convient de réformer ce système de protection sociale et d'améliorer le montant des prestations vieillesse pour les agriculteurs, plus particulièrement pour les femmes et les veuves.
Quels sont vos projets, monsieur le ministre, pour le rendez-vous de 2008 ? Peut-on envisager que les retraites pour carrières complètes soient portées à 85 % du SMIC ?
Avant de conclure, je dirai un mot de la PAC.
Bon nombre d'agriculteurs de mon département s'inquiètent des perspectives d'évolution de la politique agricole commune. Il nous faut la redéfinir, afin de préserver notre indépendance alimentaire.
Sachant pouvoir compter sur nos agriculteurs pour relever les défis qui s'imposent à nous en ce début de xxie siècle, et ne doutant pas de la volonté du Gouvernement de tout mettre en oeuvre pour les y aider, je voterai en confiance les crédits de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois depuis longtemps, effectivement, on peut penser que l'agriculture et les agriculteurs en France vont mieux. Les hausses de prix des matières premières agricoles ont rendu le sourire à nombre d'entre eux.
Le renversement brutal de la conjoncture a même surpris les experts ainsi que les responsables politiques nationaux et européens.
Globalement, les prix ont augmenté de 15,9 % par rapport à octobre 2006. Je citerai, à titre d'exemples, les céréales - plus 61 % -, les fruits et légumes - plus 6,1 % -, le lait - plus 6 % -, les oeufs - plus 39 % -, les produits animaux - plus 5,5 %.
Dans le même temps, le prix des gros bovins enregistre une baisse de 1,5 %, tandis que celui du porc dégringole et que celui des pommes de terre diminue de 16 %.
Cependant, il ne faut pas se laisser emporter par cette euphorie ambiante, car elle peut cacher des lendemains qui déchantent. Le bon sens paysan est emprunt de beaucoup de perplexité. La peur du feu de paille s'exprime au détour de multiples réflexions que vous ne devez pas ignorer, monsieur le ministre.
L'extension des surfaces cultivées en Europe, avec la suppression des jachères, ou en Amérique du Sud, pourrait très bien retourner la conjoncture très rapidement.
Il faut donc rappeler que les prix agricoles sont toujours en déphasage excessif, en positif comme en négatif, par rapport à la réalité de l'évolution de la production. Un faible déficit ou un faible excédent conduit toujours à des hausses ou à des baisses de prix plus fortes que la réalité du marché. Cela signifie que les prix agricoles sont, par nature, très volatils. L'exemple de l'évolution du prix du porc à la baisse le prouve amplement à l'heure actuelle.
Cela doit nous appeler à la prudence dans l'appréciation de la situation. Les renversements de conjoncture restent toujours imprévisibles, parce qu'ils sont liés structurellement aux aléas climatiques ; les mauvaises récoltes de céréales ces temps dernier, en Australie, en apportent une nouvelle fois la preuve.
De plus, ces hausses ont aussi un caractère spéculatif. Les fonds d'investissement dans le domaine agricole sont passés de 10 milliards d'euros en 2001 à 150 milliards d'euros en 2007. On sait bien, cependant, que ces fonds pourraient très rapidement se désengager si la conjoncture devenait moins favorable.
Le deuxième élément à apprécier est, en contrepartie, pour les agriculteurs, la hausse des coûts des intrants, de l'énergie, du matériel agricole, des engrais azotés - phosphate, potasse.
Ainsi, l'ammonitrate est passé de 200 euros la tonne à 248 euros la tonne, sans parler du prix du gazole, des pesticides ou de celui des aliments destinés au bétail, qui est passé de 165 euros la tonne en 2006 à 240 euros la tonne en 2007.
Tout cela vient contrebalancer la hausse des prix de vente des produits agricoles.
Par ailleurs, de nombreux agriculteurs pensent que ces hausses de revenus récentes viennent à peine compenser les baisses des années précédentes. Ils ont le sentiment, pour le moment, d'éponger les pertes des années difficiles et de se reconstituer une trésorerie.
Cette fragilité est encore accrue par la succession des crises sanitaires qui touchent l'élevage : ESB, fièvre aphteuse, grippe aviaire, peste porcine, fièvre catarrhale ovine et bovine.
L'extension géographique inexorable de la fièvre catarrhale, partie des départements du Nord et des Ardennes, pour atteindre aujourd'hui le Massif central, le Limousin, l'Auvergne et les Pyrénées-Atlantiques, a des conséquences financières désastreuses pour bon nombre d'élevages qui sont, par ailleurs, excellemment tenus.
Aujourd'hui, plus de 30 000 cas ont été relevés dans l'Union européenne.
La mortalité, les avortements s'accroissent. On note également une baisse de la production de lait de 30 % à 40 %, une diminution de la fertilité et des problèmes de commercialisation. Je peux en témoigner dans ma propre région du Nord-Pas-de-Calais, en particulier dans l'Avesnois, où un certain nombre d'élevages connaissent des conditions financières extrêmement difficiles du fait de cette crise.
Nous devons donc, monsieur le ministre, assurer une bonne maîtrise des mesures sanitaires, avec la désinsectisation et par la restriction intelligente des mouvements d'animaux agricoles. L'économie agricole liée à l'élevage ne doit pas être complètement paralysée ; il faut permettre des dérogations qui facilitent l'abattage des bêtes dans les abattoirs de proximité.
Il convient également d'améliorer encore la trésorerie de ces exploitants en facilitant les allégements de charges, ce qui a déjà été fait en partie, l'indemnisation des mortalités et la prise en charge de la sérologie de contrôle.
Il faut aussi obtenir de Bruxelles, monsieur le ministre -- et c'est peut-être là l'enjeu principal -, la création d'un fonds d'intervention pour les crises sanitaires.
Par ailleurs, il convient d'intervenir afin que soit rapidement élaboré un vaccin qui soit disponible au printemps 2008. Il faut espérer que la providence nous apportera, cet hiver, une longue période de gel intense qui permettrait d'éliminer cette maladie. Mais en ces temps de réchauffement climatique annoncé, j'ai peur que ce ne soit qu'un voeu pieux !
En conclusion, j'estime que ce serait une erreur de diminuer l'effort de la collectivité nationale en faveur de l'agriculture en prenant prétexte de la hausse des prix agricoles. Il convient de profiter de cette période pour fortifier les relations entre agriculture et environnement, et pour trouver un équilibre plus judicieux qui préserve le revenu des agriculteurs tout en favorisant l'effort vers de meilleures pratiques culturales et en cassant la tendance, parfois mal maîtrisée, à une intensivité excessive qui se justifie encore moins qu'auparavant.
Il nous faut donc garder le cap de la régulation et de l'encadrement des marchés agricoles, national et européen, et conserver les outils de régulation. Leur suppression, déjà en cours, est lourde de menaces pour l'avenir de notre agriculture. Ainsi, je me demande, par exemple en ce qui concerne la gestion de la betterave sucrière, si l'on ne regrettera pas, dans les années qui viennent, les diminutions de quotas et les fermetures d'usines, autant d'outils indispensables à cette industrie sucrière.
Toutes les réflexions actuelles sur la suppression éventuelle des quotas laitiers s'inscrivent dans cette démarche des néolibéraux, qui veulent tout déréglementer. Ce n'est pas acceptable, cela conduirait à la création d'énormes usines à lait et à la quasi-disparition des petits et des moyens éleveurs.
Assurer l'alimentation de la population de notre pays est un objectif stratégique de toute la nation, qui garantit notre indépendance. Maîtriser le marché reste une nécessité absolue de notre politique agricole. Comment accepter qu'aujourd'hui nous importions 500 000 tonnes de viande quand on nous dit que, demain, nous en importerons peut-être 1,2 million de tonnes ?
Ma dernière réflexion personnelle s'inscrit aussi dans la vision que l'on peut avoir de l'agriculture dans les dix ou vingt ans qui viennent. La chute continue et permanente du nombre des agriculteurs a atteint un seuil qui me paraît dangereux.
Ce mouvement séculaire de concentration des exploitations, qui voyait les hectares libérés par des exploitants partis en retraite être repris par de jeunes exploitants qui y trouvaient un moyen de rentabiliser un matériel agricole de plus en plus performant mais aussi de plus en plus coûteux, a atteint, me semble-t-il, ses limites. Aujourd'hui, c'est l'existence même de l'agriculture qui est en péril.
La diminution du nombre des éleveurs fait que la France n'arrive même pas, actuellement, à tenir le quota laitier qui lui est annuellement attribué par l'Union européenne. Cela doit nous interpeller. La collecte du lait a affiché un repli de 1,9 % par rapport à la même période de l'année dernière, et le déficit est estimé à 600 000 tonnes.
Je crois donc qu'il nous faut mieux prendre en compte l'impact des évolutions socioculturelles dans le monde agricole, et aider davantage les agriculteurs qui s'installent.
M. le président. Cher collègue, il faut conclure !
M. Paul Raoult. Je conclus, monsieur le président.
À travers ce budget, les aides à l'installation, en particulier, restent très largement insuffisantes et inefficaces. Il faut également assurer un effort plus important en matière d'enseignement agricole.
Pour ces raisons, monsieur le ministre, je ne pourrai voter votre budget, même si je partage certaines de vos ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Barraux.
M. Bernard Barraux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, je suis l'un des représentants d'un territoire d'élevage, l'Allier, qui s'honore d'être le deuxième département français en troupeaux allaitants...
M. André Lejeune. Après le mien !
M. Bernard Barraux. ... et d'avoir le septième troupeau ovin. Je voudrais donc, monsieur le ministre, vous entretenir des problèmes d'épizootie à répétition, qui nous rendent la vie bien difficile.
Au début de l'été, la fièvre catarrhale était à nos frontières et voilà qu'elle a déjà envahi plus de cinquante départements.
Bien que cette maladie n'affecte que les ruminants et n'inspire donc, normalement, aucune inquiétude pour les consommateurs et pour l'ensemble de la population, elle reste néanmoins extrêmement préoccupante s'agissant des conséquences qui affectent l'équilibre économique de la filière animale.
Ces conséquences sont dramatiques parce qu'un très grand nombre de broutards sont aujourd'hui bloqués. Certes, l'interdiction d'exporter a été levée, mais il y a tellement de marchandises sur le marché que les prix se sont effondrés. On estime qu'en France 100 000 broutards attendent de partir pour l'Italie, dont 40 000 dans le seul département de l'Allier. Vous voyez donc la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Cette maladie contagieuse touche de plein fouet aussi bien les ovins que les bovins. Des mesures de protection sanitaire ont été adoptées, mais, aujourd'hui, dans l'attente de l'élaboration d'un vaccin, qui sera peut-être bientôt disponible, nous sommes dans une situation extrêmement difficile.
Les risques sanitaires sont, bien sûr, accentués par l'augmentation des échanges à l'échelle de la planète puisque, aujourd'hui, tout le monde va et vient partout. Après l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, la grippe aviaire, j'en passe et des meilleures, c'est maintenant la fièvre catarrhale !
Les éleveurs, les agriculteurs se posent donc beaucoup de questions sur l'avenir de leurs métiers. Après une période d'incertitude, c'est maintenant l'angoisse qui prédomine.
Il est, par conséquent, de plus en plus nécessaire de soutenir notre filière d'élevage, d'autant qu'aujourd'hui elle subit la folle augmentation des matières premières servant pour l'alimentation animale. Cet enchérissement des coûts est une véritable menace pour la pérennité des élevages, particulièrement de porcs et de volailles, car les éleveurs ne peuvent pas, hélas ! le répercuter dans leurs prix de vente.
Avouez, monsieur le ministre, que, pour être éleveur aujourd'hui, il faut avoir le caractère mieux fait que la figure ! (Sourires.)
M. André Lejeune. Ah oui !
M. Bernard Barraux. Par moment, nous nous sentons tous un peu responsables. On se regarde dans la glace en se disant qu'on a fait une « politique de gribouille » !
Il y avait trop de lait, à une époque ; on avait peur d'être emporté par le fleuve blanc qui coulait de partout, c'était le grand drame ! Alors, on a « cabossé » les vaches, en oubliant seulement que, pour se reconvertir, il fallait un certain temps et que nos éleveurs n'avaient pas de baguette magique ; que je sache, Cendrillon, elle, s'était spécialisée dans la production de citrouilles ! (Sourires.)
Donc, on se retourne, c'est fini, il n'y a plus de vaches, plus de lait et, un de ces quatre matins, on aura, j'en suis sûr, des cartes de lait !
Les céréales, c'est pareil, il y en a trop ! Il faut vite arrêter d'en produire ! En plus, cela pollue, il faut répandre des insecticides, c'est dramatique, mettons vite en place des jachères ! Ainsi, on va pouvoir faire un pied de nez à tous ces marchands de pétrole qui nous agacent et enfin « rouler bio », grâce aux carburants produits à partir des céréales. L'ennui, c'est qu'il n'y a plus de blé ! Son prix a doublé ! Mais on a oublié, dans nos petits calculs, qu'un milliard de gars crevaient de faim et que, OGM ou pas, en Afrique, ils seraient quand même bien contents de se remplir le ventre !
M. Charles Revet. C'est vrai !
M. Bernard Barraux. C'était une petite parenthèse, en passant...
Je ne vous parle pas des ovins, parce que nos éleveurs, en plus de subir la fameuse fièvre catarrhale, avec toutes les conséquences qui en découlent en termes de mortalité - les vétérinaires présents dans cette salle le savent mieux que moi - doivent endurer la concurrence des Australiens, qui est épouvantable, puisque le gigot n'est rien d'autre pour eux qu'un sous-produit de leur production de laine et qu'ils veulent s'en débarrasser à n'importe quel prix.
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Eh oui !
M. Bernard Barraux. Nous comptons donc beaucoup sur vous, monsieur le ministre, et sur la présidence française de l'Union européenne, pour qu'ait lieu, enfin, un nouveau débat sur l'avenir de toutes ces productions et sur la meilleure façon de soutenir les éleveurs.
Pour ce qui concerne la situation des anciens agriculteurs, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance, au nom de mes vieux copains anciens paysans, à M. Jean-Pierre Raffarin. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. Ah, vous le regrettez !
M. Bernard Barraux. En effet, tous ses prédécesseurs promettaient de revaloriser un peu les retraites, mais jamais un seul n'avait inscrit au budget les crédits qui auraient permis d'améliorer la situation de ces pauvres gars qui touchaient quatre sous.
M. Gérard Le Cam. Ce n'est pas vrai !
M. Bernard Barraux. Je vous remercie, en leur nom à tous, de l'avoir fait, monsieur Raffarin !
Il me reste aussi à remercier M. le ministre, qui a prévu d'inscrire 5 millions d'euros pour l'installation des jeunes.
M. Jean-Marc Pastor. Que c'est chiche !
M. Bernard Barraux. C'est une question à laquelle il a raison de penser. Cinq millions d'euros en plus, cela nous fait immensément plaisir. Il y a dans mon propos un peu de vertu, mais aussi de l'intérêt, car s'il n'y a plus de jeunes pour travailler et payer les cotisations, qui financera nos retraites ? (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean Desessard. Les cheminots !
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un grand nombre de mes collègues vous ayant déjà fait part de leurs remarques, je me bornerai à analyser les financements annoncés pour certaines actions du programme 154 et à vous interroger sur quelques points d'intérêt plus local.
Contrairement à tous les discours actuels - dont ceux qui sont tenus par le Gouvernement et le Président de la République - sur la nécessité de renforcer l'attractivité des territoires ruraux par le maintien de la population, notamment agricole, par le développement de l'emploi et la diversité des activités économiques, des crédits en baisse remettent en cause les politiques d'accompagnement du développement de ces territoires.
Dotée d'environ 70 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 80 millions d'euros en crédits de paiement, la ligne budgétaire de l'action 1 : « Soutien aux territoires et aux acteurs ruraux » est en diminution, respectivement de 16 % et de plus de 7 %.
Certes, cette diminution s'explique, en partie, par le transfert des crédits de personnel à un autre programme, mais elle n'en esquisse pas moins une tendance inquiétante, tant sont importants et prioritaires les besoins de financement du développement rural, et ce au moment même où les contrats de projets État-régions mettent en évidence la baisse drastique du volet territorial et inquiètent fortement tous les acteurs locaux.
L'avenir des pôles d'excellence ruraux nous préoccupe également. Ils ne concernent votre ministère qu'à hauteur de 34 millions d'euros sur les 235 millions annoncés. Ce chiffre global n'est certes pas négligeable en valeur absolue mais, rapporté aux 379 pôles labellisés, il demeure limité et pourrait, si l'on n'y prend garde, favoriser un « saupoudrage » des crédits dont l'effet de levier sur le développement local reste à démontrer, d'autant que les critères d'intervention sont complexes et restrictifs. Ne sont, en effet, le plus souvent subventionnés que les investissements de nature matérielle, là où les investissements d'ingénierie ou d'animation seraient tout aussi nécessaires, car la mise en concurrence des territoires peut parfois être un facteur déclenchant de projets pour obtenir des subventions. Quid de leur pérennité ? Quid également des notions de solidarité et de péréquation, qui ont toujours garanti un aménagement réussi et équilibré du territoire ?
Pour en revenir à des questions plus spécifiquement agricoles, mais relevant toujours de la même préoccupation de garder nos territoires ruraux vivants et attractifs, le premier impératif est bien de conserver dans nos campagnes un maximum d'exploitations viables et d'actifs agricoles. Malheureusement, là aussi, les crédits alloués à l'installation et au maintien des nouveaux exploitants sont en baisse, de 2,5 millions d'euros en crédits de paiement et de 100 000 euros en autorisations d'engagement.
Comment expliquer une telle décision, alors que le nombre de départs ne cessera d'augmenter, vu l'âge moyen des exploitants, que le nombre d'installations recommence à croître - et c'est heureux - dans certaines régions et, surtout, que le nombre de jeunes cherchant à s'installer, dans certains départements, est supérieur à celui des cédants ?
J'avais pourtant bien écouté le discours de M. le Président de la République, en septembre, à Rennes. Il avait déclaré que la France avait besoin de jeunes agriculteurs pour assurer l'avenir de son agriculture. Malheureusement, je ne vois pas, dans ce budget, la concrétisation de ses propos.
Quant à ce que vous nous avez dit vous-même de vos préoccupations et de vos orientations, monsieur le ministre, je dois reconnaître que je ne suis pas loin d'en partager la plus grande part.
Mais, si nous pouvons nous rejoindre sur les objectifs, je crains que ce ne soit une autre histoire concernant les moyens ! Ils sont insuffisants au regard de ce que nécessite, en termes de courage et de détermination, la volonté de s'installer en tant qu'agriculteur, malgré une image du métier encore trop souvent dévalorisée, malgré un travail réputé long et pénible, malgré des perspectives de revenus plus qu'incertaines et malgré des lourdeurs administratives, des contrôles et des contraintes qui ne cessent d'augmenter.
Alors, comment favoriser au mieux le plus grand nombre d'installations et de reprises d'exploitations rentables, afin que ces exploitations, au lieu d'être surdimensionnées et financiarisées à outrance, devenant ainsi intransmissibles, continuent à être dynamiques et productives mais diversifiées, sources d'emplois et respectueuses de l'environnement, c'est-à-dire - comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre - durables ?
La réponse dépasse sûrement le seul aspect budgétaire. Cependant, des crédits importants sont toujours nécessaires pour permettre à un maximum de candidats à l'installation de trouver des exploitations, transmissibles et viables je le répète, et éviter que pratiquement 80 % des terres des cédants aillent à l'agrandissement, comme dans ma région.
Cette année déjà, de nombreux jeunes agriculteurs ont rencontré de sérieuses difficultés pour obtenir des prêts bonifiés et, même si vous avez pris en compte la hausse des taux d'intérêts, on s'accorde partout à dire - même au sein du le syndicat majoritaire - que l'enveloppe prévue pour 2008 sera sûrement insuffisante pour satisfaire tous les dossiers déposés.
Le problème me semble identique pour les prêts bonifiés aux coopératives d'utilisation en commun de matériel agricole, les CUMA, car les compléments à l'enveloppe pour 2007 n'ont pas été suffisants, dans mon département, par exemple.
Face aux demandes de nos collègues députés, vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à amputer de 2 millions d'euros le programme « Forêt », de un million d'euros le programme 215 et à redéployer 2 millions d'euros d'autorisations d'engagement au sein du programme 154. Ces mouvements prouvent, premièrement, que cette ligne budgétaire posait un véritable problème et, deuxièmement, que ce budget global souffre d'une faiblesse évidente.
M. Henri de Raincourt. Eh bien !
Mme Odette Herviaux. Se pose également, monsieur le ministre, la question cruciale de l'annualité budgétaire : ne serait-il pas possible d'assouplir le principe d'antériorité des autorisations de financement données par les directions départementales de l'agriculture et de la forêt, les DDAF, car tout retard dans les démarches risque d'entraîner des situations de blocage et de report que vivent très mal les nouveaux installés ?
Autre point important : les crédits ouverts au titre de la dotation aux jeunes agriculteurs, la DJA, restent identiques à ceux de 2007. Malgré le chiffre stable, pour la troisième année consécutive, des installations aidées, ce montant sera-t-il suffisant ?
Enfin, en ce qui concerne l'expérimentation de la simplification du parcours d'acquisition des capacités professionnelles, auquel mon département, le Morbihan, participe depuis le mois de juin 2007, mais dont la mise en oeuvre n'est effective que depuis septembre, il paraît pour le moins étonnant que le cadrage du futur dispositif ait déjà été annoncé au dernier CNI, alors que l'expérimentation ne fait que commencer. Des propositions concrètes seraient-elles déjà remontées du terrain ? Sinon, un bilan et des débats sont-ils prévus, ou bien les décisions sont-elles prises avant même d'engager l'expérimentation ?
Je ne peux terminer mon intervention, monsieur le ministre, sans vous interroger sur deux sujets qui fâchent : la découverte, en Bretagne, d'un champ de maïs génétiquement modifié, interdit en France et en Europe, le BT 11, ...
M. Jean Desessard. Eh oui ! On vous l'avait bien dit !
Mme Odette Herviaux. ... et le problème de l'indemnisation des éleveurs victimes de la dioxine.
Dans ces deux cas, monsieur le ministre, si l'on applique les principes du contrevenant responsable et du pollueur-payeur, les systèmes d'assurances privées, que vous prônez par ailleurs pour couvrir les aléas climatiques en agriculture, permettraient sûrement d'éviter à l'avenir des dépenses supplémentaires pour l'État. Encore faut-il pouvoir - et vouloir - réellement trouver les véritables responsables !
Je terminerai en vous remerciant, monsieur le ministre, de la rapidité de vos réponses et de la qualité des informations constantes et complètes dont vous-même et vos services nous rendez destinataires.