M. Jean-Marc Pastor, rapporteur pour avis. Il s'en faut de beaucoup !
M. Bernard Piras. Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, le budget pour 2008 inspire le pessimisme. Il ne prépare pas notre agriculture aux différents défis qu'elle sera amenée à relever dans les années et décennies futures, qu'ils soient alimentaire, environnemental, d'aménagement du territoire ou scientifique.
L'agriculture est au coeur de tous ces enjeux, parfois contradictoires. Un équilibre doit être trouvé, certes difficile, mais incontournable, si l'on veut garantir l'approvisionnement d'une population mondiale croissante à un prix raisonnable, sans remettre en cause ni l'avenir de la planète ni la cohérence de nos territoires.
Le budget qui nous est soumis ignore cet équilibre vital ; aucune ligne directrice ne s'en dégage, d'ailleurs.
Par ailleurs, l'agriculture n'est pas une simple question hexagonale : elle joue un rôle majeur dans les échanges internationaux. À ce titre, j'insiste, monsieur le ministre, pour que, lors des prochains débats qui auront lieu dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, vous défendiez nos agriculteurs en demandant à nos partenaires de se fixer des exigences et un calendrier afin que nos producteurs ne se voient pas opposer des mesures de protection dont ils ne bénéficieraient pas eux-mêmes.
De même, - vous l'avez dit, mais il n'est pas inutile de le rappeler - la révision à mi-parcours de la politique agricole commune doit être l'occasion non seulement de dresser un bilan de santé, mais également de mener une réflexion préalable à la réforme de 2013.
Si elle a pu contribuer à une forte augmentation de la production agricole française, la PAC a aussi produit des effets pervers par la disparition de dizaines de milliers d'exploitation, avec l'application du plan Mansholt, la dégradation de l'environnement et la qualité sanitaire des aliments produits. Ces questions doivent être intégrées au débat.
En France, le bilan à mi-parcours est mauvais. Les droits à paiement unique, que nous avions critiqués dès l'origine, se sont révélés source de profondes injustices à la fois entre les agriculteurs, entre les productions et entre les régions.
Il est essentiel que la France prenne des initiatives dès maintenant, sous peine de la voir réduite à ne formuler que des contre-propositions dans quelques mois.
Dès lors, trop de déceptions et trop d'incertitudes planent sur ce budget pour que nous lui accordions notre assentiment. Nous voterons donc contre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. C'est une surprise !
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, contrairement à l'orateur précédent, et compte tenu de votre foi dans le grand retour de l'agriculture, je voterai votre budget.
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. Ah !
M. Paul Girod. Je souhaite néanmoins formuler quelques réflexions.
Vous avez besoin, nous avez-vous dit avec enthousiasme, d'un grand ministère pour relancer l'agriculture française. Mais, pour ce faire, il faut aussi de grands agriculteurs, et des agriculteurs confiants. Or un certain désarroi se manifeste aujourd'hui au sein du monde agricole, et le Grenelle de l'environnement n'apporte pas d'apaisement.
Outre les annonces plus ou moins fracassantes et limitatives sur la PAC - vous avez d'ailleurs, en présence de vos collègues italien et hongrois, appelé au calme et rappelé la nécessité de se fixer des objectifs avant d'annoncer des mesures -, plusieurs points « turlupinent », si je peux me permettre l'expression, nos agriculteurs.
Ils ont l'impression d'être piégés - le mot n'est pas trop fort - par un certain nombre de paradoxes. Les pouvoirs publics n'en sont probablement pas les géniteurs, mais ils n'apportent pas de clarification.
Premier paradoxe : produire plus et mieux.
À l'évidence, produire plus suppose d'abord rendre disponible le maximum de surface foncière. L'Union européenne l'a compris, puisqu'elle a supprimé les jachères. Vous avez tenu à garder 3 % de surface pour la couverture écologique.
Monsieur le ministre, je rejoins les propos tenus tout à l'heure par notre collègue Philippe Nogrix sur les contrôles. À partir du moment où l'on réduit la surface mise en jachère, les erreurs en pourcentages se produisent plus facilement. Dès lors, on comprend l'inquiétude des agriculteurs à la suite de l'annonce récente du renforcement des contrôles et de la fin de la tolérance. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, les rassurer !
Je soutiendrai d'ailleurs l'amendement présenté par notre collègue Claude Biwer, car je suis favorable à un véritable changement d'atmosphère et de méthode en matière de contrôles dans le secteur agricole, lesquels contribuent au mal-être des agriculteurs.
La France possède la plus grande superficie cultivable par tête d'habitant en Europe, ce qui signifie qu'elle doit assumer une responsabilité un peu comparable à celle qu'elle exerce en matière de défense. En effet, tout comme elle est l'un des seuls pays à maintenir l'effort de défense militaire, elle est l'un des seuls à être pourvus de ressources suffisantes en termes de surface pour permettre l'indépendance alimentaire de l'Europe. Il faut faire très attention à ne pas gâcher cette chance-là.
S'agissant de la méthode pour produire, force est de constater que la recherche s'essouffle quelque peu en ce qui concerne les voies traditionnelles et que, pour l'instant, celles qui s'ouvrent s'orientent vers la maîtrise des ennemis de l'agriculture, autrement dit les pesticides et les organismes génétiquement modifiés, les OGM.
En France, nous sommes les victimes, si j'ose dire, d'une véritable terreur des OGM, alimentée par des personnes totalement irresponsables, auxquelles on prête probablement une oreille trop attentive.
Le résultat est double : tout d'abord, nous ne sommes pas en état, actuellement, d'expérimenter la production de variétés qui sont pourtant autorisées à l'échelon mondial, et notamment européen ; ensuite, ce qui est pire, nos chercheurs s'expatrient en Inde et aux États-Unis, et la recherche française en la matière est quasiment en voie de disparition.
Est-ce vraiment la meilleure manière de préparer l'avenir et de s'adapter au monde moderne, où nous aurons probablement à nourrir neuf milliards d'habitants ? Je n'en suis pas certain, d'autant que, dans le même temps, alors que les OGM constituent l'une des rares pistes susceptibles de diminuer très fortement l'intervention des pesticides, nous nous orientons vers une diminution du nombre des molécules et un renforcement des octrois par l'Union européenne des autorisations de mises sur le marché, au risque de nous trouver bientôt dans des impasses technologiques sans solutions, donc dévastatrices pour la production.
Les agriculteurs le savent et ils vous le disent en cet instant par ma voix, monsieur le ministre.
À présent, posons la question : produire quoi ?
Les ressources sur lesquelles se fonde la production dans notre civilisation se composent de deux éléments : l'un minéral, qui ouvre toutes sortes de possibilités, notamment dans le domaine mécanique, l'autre organique, qui concerne l'alimentation et les matériaux composites.
Dans l'état actuel des choses, il n'existe que deux ressources organiques : la ressource agricole, qui capte l'énergie solaire et recycle le carbone de l'atmosphère, et la ressource minière, d'origine géologique. Or, nous le savons tous, cette ressource organique souterraine est limitée dans le temps. Il faudra donc bien, à un moment quelconque, recourir à de la matière organique d'une autre provenance pour l'intégrer dans les matériaux composites. Or il n'y a pas trente-six sources possibles : cette matière organique, c'est évidemment l'agriculture qui la fournira.
Évidemment, cela amènera une certaine concurrence, pour l'utilisation des surfaces agricoles, entre la production d'aliments - c'est une raison supplémentaire de ne pas freiner le progrès technologique dans ce domaine - et celle de matières premières. Sur ce second plan, il ne s'agira pas seulement de biocarburants ; cela ira beaucoup plus loin. À cet égard, nous avons entendu hier un exposé fort intéressant sur les matériaux composites du futur, dans lesquels la part végétale est loin d'être négligeable. Encore faudra-t-il tirer la matière organique de quelque part : sans doute de cultures nouvelles, mais il faut s'y préparer.
Or, monsieur le ministre, je suis obligé de constater que, s'agissant d'un volet particulier de cette future agro-industrie, celui des biocarburants, nous sommes en pleine incohérence.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que les agriculteurs reçoivent des signaux contradictoires. Voilà deux ans, on a poussé les producteurs de betteraves à racheter des quotas sucriers, avant de leur expliquer cette année qu'il faut les abandonner ! Cette politique du stop and go, comme disent les Anglais, les a quelque peu désarçonnés.
Aujourd'hui, on observe le même problème pour les biocarburants. Voilà environ un an ou un an et demi, il n'était question que d'eux, puis subitement on a vu se développer toute une campagne visant à expliquer que la production de biocarburants consommerait plus d'énergie qu'elle n'en fournit, en oubliant d'ailleurs complètement que les biocarburants sont constitués de carbone puisé dans l'atmosphère, contrairement aux sources d'énergie fossiles.
Quoi qu'il en soit, l'Association de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et l'Institut français du pétrole ont déjà fait justice de ces affirmations en 2002 et se préparent à publier une actualisation de leurs chiffres qui va exactement dans le même sens.
De ce côté, on peut au moins dire que le procès d'intention est nul, mais, en ce qui concerne la gestion de la filière, le signal négatif qui vient d'être donné, ici même, par l'annonce d'une diminution des détaxations accordées est tout de même assez paradoxal.
En effet, nous savons bien, monsieur le ministre, que, pour des opérations de ce genre, les investissements sont très lourds. Il faut donc que les perspectives soient sûres. Si, l'année qui suit le lancement d'une grande politique de promotion des biocarburants, on prend une mesure fiscale qui va à l'encontre des promesses données, alors même que le cours de l'éthanol n'a pas été influencé par celui du pétrole, puisqu'il est fixé à partir de références établies au Brésil, pays autosuffisant en matière de carburants et dont la gestion de la production d'éthanol est assurée par un seul organisme d'État, lequel établit les prix selon des critères plus politiques qu'autre chose, on peut s'interroger sur la solidité des engagements pris.
Quand on sait en plus que le bioéthanol actuel ne représente que la première étape d'une évolution qui nécessitera dix ans d'expérience fondée sur une industrie performante du bioéthanol de première génération, on peut se demander quelle est exactement la piste définitive que veut suivre notre pays en la matière. C'est là encore une source d'interrogations pour les agriculteurs, monsieur le ministre. Je me sens aujourd'hui le devoir de les exprimer à cette tribune : sans liberté de critiquer, il n'est pas d'éloge flatteur.
Vous savez que j'ai beaucoup d'amitié pour votre personne, monsieur le ministre, et de respect pour votre action. Je mets en vous de grands espoirs pour notre agriculture, encore fallait-il que vous entendiez l'expression du véritable malaise qui existe, pour l'heure, dans le monde agricole. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le ministre, le projet de budget de l'agriculture pour 2008 n'est pas très enthousiasmant si l'on s'en tient aux crédits, qualifiés par vous-même, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, de « contraints [...] dans un contexte budgétaire délicat » et en « très légère baisse »...
À l'instar de mon ami Bernard Piras, je n'ose imaginer ce que l'on aurait pu entendre à propos d'un tel projet de budget, ici au Sénat et dans nos départements, s'il avait été présenté par un gouvernement de gauche.
Certes, il est aisé d'invoquer la dominante communautaire des crédits, en provenance de l'Union européenne à concurrence de 9 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros pour la France, ou de s'appuyer sur les diverses contributions des collectivités territoriales qui viennent pallier l'insuffisance, voire l'absence, de crédits dans des secteurs vitaux de l'agriculture, de la pêche et de la forêt.
Toutefois, le poids de la dette, qui sert de prétexte pour justifier tous les « serrages de ceinture » visant les plus modestes de nos concitoyens et les classes moyennes, peut être relativisé quand on sait que la moitié de la dette, soit 450 milliards d'euros, correspond exactement au montant des cadeaux faits au grand patronat depuis vingt ans, et ce sans efficacité réelle si l'on en croit la Cour des comptes.
Ce projet de budget prend en compte, pour clarifier les perspectives d'avenir, trois rendez-vous majeurs, à savoir le Grenelle de l'environnement, le bilan de santé de la PAC et les renégociations au sein de l'OMC.
S'agissant tout d'abord du Grenelle de l'environnement, l'agriculture, qui est pourtant un acteur environnemental essentiel, est restée au « milieu du gué », pour ne pas dire « en rade », quant aux décisions et plans d'action arrêtés à cette occasion.
Prenons l'annonce tonitruante de la réduction de 50 % de l'emploi des pesticides en dix ans : elle a été aussitôt atténuée par la nécessité de trouver des solutions de rechange. Va-t-on réduire le volume des pesticides de moitié ? Va-t-on atténuer leur toxicité pour l'environnement ? Va-t-on modifier les techniques culturales ? Quels moyens de recherche seront alloués à l'INRA et aux laboratoires ?
Par ailleurs, les surfaces consacrées à l'agriculture biologique devraient passer de 2 % à 6 % de la surface agricole totale et la filière biologique devrait fournir la restauration collective à hauteur de 20 %. Or, aujourd'hui, un repas « bio » servi au restaurant scolaire de ma commune coûte 15 % de plus en fournitures qu'un repas conventionnel. Je crains que les collectivités locales, que nous représentons, ne soient une fois de plus les « vaches à lait » de cette réforme. Quant aux crédits nécessaires au passage de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture biologique, je crains fort que le doublement du crédit d'impôt prévu en 2008 ne soit que très peu incitatif.
À propos des OGM, c'est la grande hypocrisie : après l'obtention d'un « gel » de l'utilisation du maïs transgénique MON 810, qui est le seul à être cultivé en France à des fins commerciales, les Français risquent fort de se réveiller un peu tard, par exemple après les municipales, au mois d'avril, en constatant que des semis de plein champ auront été effectués, sous la seule réserve du respect de distances minimales entre les cultures conventionnelles et celles d'OGM. Le récent exemple d'un champ d'OGM non autorisé en Ille-et-Vilaine illustre les débordements auxquels nous pourrons assister demain. Nous savons tous que les semences transgéniques sont prêtes et que Monsanto n'attend plus que le « feu vert » du Gouvernement français.
Ni obscurantistes ni apprentis sorciers, les communistes condamnent cette démarche inutile et dangereuse qui aura, à coup sûr, pour effet d'asseoir le monopole des grands semenciers sur l'agriculture française, dans un pays qui considère que produire soi-même sa semence de ferme est un délit. Où allons-nous, monsieur le ministre ?
À propos des agro-carburants, qui, il y a peu, semblaient être la panacée pour les agriculteurs en matière de revenu et de diversification, c'est le grand « flop » et le renvoi à la deuxième génération, voire à la troisième. Le calcul du bilan énergétique réel de ces productions, une fiscalité peu incitative et le déficit mondial en céréales et en lait sont passés par là... Ce vaste débat autour des agro-carburants aura au moins eu le mérite de recadrer les objectifs de l'agriculture et de mettre au premier rang d'entre eux celui de nourrir la planète.
Pour autant, nous pensons qu'il est urgent de mieux valoriser la biomasse et d'accroître les crédits de recherche pour développer l'utilisation des carburants de l'avenir, en particulier l'hydrogène. À cet égard, l'objectif gouvernemental de produire 21 millions de mètres cubes supplémentaires de bois par an n'est pas assorti d'une contrainte de temps suffisamment définie, le seul moyen d'accélérer cette production étant d'une part de donner davantage de moyens à l'ONF, d'autre part d'adresser un signal significatif aux trois millions de propriétaires de la forêt privée pour que ceux-ci puissent s'engager dans une démarche positive et constructive.
Ces quelques points relatifs au Grenelle de l'environnement et à l'agriculture montrent, monsieur le ministre, combien une bonne idée peut rester lettre morte si l'on ne crée pas les conditions nécessaires à sa mise en oeuvre, si l'on ne prévoit pas les moyens financiers de son développement. C'est souvent le principal reproche fait à la démarche du Grenelle de l'environnement : le manque de moyens. Je forme donc le voeu que ce Grenelle sans le sou ne soit pas dissous, dans quelques mois, dans quelques belles promesses !
Venons-en maintenant au bilan de santé de la PAC.
Je vous sais gré, monsieur le ministre, de nous avoir adressé les principaux éléments des discussions qui se sont tenues au sein du Conseil des ministres de l'agriculture et de la pêche de l'Union européenne.
Je vous remercie, au nom des producteurs de porcs bretons, du déblocage des restitutions, qui va dans le sens de la question écrite que je vous ai adressée le 5 novembre dernier.
Nous ne pouvons que partager votre souci d'évoluer vers une PAC « moins libérale », « plus équitable, plus durable et réactive face aux crises et aux aléas du marché ». Vous éprouvez « la nécessité de développer des outils de stabilisation et de gestion des marchés agricoles » et de porter attention « à l'équilibre des productions et des territoires ».
Nous sommes d'accord. En effet, la PAC actuelle et ses résultats sont aux antipodes de nos souhaits, monsieur le ministre. Tout cela appelle un vaste débat pour définir les futurs contours de ce que pourrait être une PAC durable, solidaire et équilibrée.
Nous sommes disponibles, monsieur le ministre, pour vous aider à combattre le découplage des aides, qui est une aberration économique, à mieux répartir les aides en fonction des besoins, des productions, des territoires, à réguler les importations abusives qui déséquilibrent les cours, à lutter contre la réduction des droits de douane, dont l'effet est de favoriser lesdites importations abusives - ainsi, l'exemple récent de la baisse des droits de douane sur les céréales inquiète particulièrement un certain nombre d'agriculteurs -, à appliquer un mécanisme de bonus et de malus à la grande distribution selon sa capacité à favoriser une préférence communautaire, des prix décents aux producteurs et aux consommateurs.
S'agissant enfin des négociations au sein de l'OMC, elles semblent repoussées jusqu'après les prochaines élections américaines, puisque le Congrès, à majorité démocrate, a refusé le 30 juin dernier de proroger l'application de la loi dite Trade promotion authority, qui autorise en temps normal le président des États-Unis à renégocier des accords commerciaux internationaux.
Les communistes ont toujours plaidé pour que l'agriculture sorte du champ des négociations de l'OMC et ne serve pas de monnaie d'échange au regard des produits industriels et des services. Sur ce plan, il y a lieu d'être inquiet et vigilant si l'on s'en tient aux déclarations de M. Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, remontant à la mi-juin 2007 : « Trois éléments sont essentiels pour la réalisation de l'accord intérimaire : le montant des réductions de subventions agricoles, qui favorisent les échanges, le montant des droits de douane agricoles et celui des droits de douane industriels. [...] Concernant l'ouverture des marchés agricoles, les Européens et les Japonais devront améliorer leur offre. »
L'OMC s'inscrit donc toujours bien dans sa démarche fondamentale d'anéantissement des protections douanières pour livrer le marché mondial au libéralisme le plus sauvage et le plus débridé.
À cet égard, des propositions ont été formulées en vue d'instituer une nouvelle organisation mondiale de l'agriculture, le Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture, le MOMA, qui, bien que libérale - il ne faut pas exagérer ! -, vise à imposer des règles à l'ultralibéralisme qui préside aux destinées des échanges mondiaux.
Je citerai quelques extraits de déclarations faites à Washington à l'occasion de la présentation du MOMA : « L'agriculture est trop stratégique pour être un préalable aux négociations de l'OMC, car seulement 10 % de la production agricole mondiale fait l'objet d'échanges internationaux. [...] Comme nous le soulignons dans notre modèle, nous sommes tous en faveur du commerce, mais la question est de savoir comment organiser ces échanges pour qu'ils puissent profiter au plus grand nombre, sans laisser de côté les plus pauvres. »
En cette même circonstance, Pierre Pagesse, président du MOMA, a affirmé que « l'inadaptation de l'OMC à traiter efficacement les questions agricoles tient au fait qu'elle n'intervient que sur l'aspect commercial et considère sans distinction tous les secteurs d'activité. C'est ignorer une donnée fondamentale : l'agriculture est spécifique. [...] La combinaison de ces facteurs entraîne une très forte volatilité des prix des marchés agricoles pour de faibles écarts entre l'offre et la demande : 1 % à 2 % de variation de production peut conduire à des amplitudes de prix de 1 à 3 voire de 1 à 5. »
Ces citations ont au moins le mérite de mettre en évidence tous les problèmes engendrés par la conception même du fonctionnement et des objectifs de l'OMC, qui mériteraient d'être revus de fond en comble.
En conclusion, je souhaiterais en revenir, monsieur le ministre, à un sujet plus local, à savoir celui des nitrates dans les bassins versants bretons, et particulièrement costarmoricains : où en sommes-nous, monsieur le ministre ? Un bilan a-t-il été ou va-t-il être établi sur l'ensemble des mesures acceptées par les producteurs et leur incidence possible sur la production, l'environnement et l'emploi ?
Au sujet du phosphore, problème qui semble prendre l'importance de celui des nitrates, de nombreux agriculteurs s'inquiètent des mesures à venir. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous dire ce qu'il en est exactement ?
Par ailleurs, hier matin, j'ai rencontré un groupe de retraités de l'agriculture qui m'ont fait part de leurs doléances, fort justifiées, au regard, d'une part, du niveau des retraites agricoles, et, d'autre part, des promesses sur ce point du candidat Sarkozy, qui tardent à se concrétiser.
Ils demandent le relèvement du niveau minimal de la retraite agricole à 75 % du SMIC net immédiatement, puis à 85 % de celui-ci, comme pour les salariés, la suppression des minorations sur les revalorisations des petites retraites, le droit de réversion pour les points gratuits, la suppression de « l'effet date 1997 », qui provoque des inégalités, la publication par décret de la revalorisation du point RCO, la prise en compte des carrières « tous régimes confondus », une attribution plus équitable de la bonification pour enfants.
Je vous fais grâce de la lecture des promesses du Président de la République, qui s'est empressé de servir d'abord les plus riches, en leur accordant près de 14 milliards d'euros pris dans la poche des plus modestes de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, bien que d'un naturel optimiste, je suis contraint de constater que l'agriculture est en train d'échapper aux agriculteurs à force de crises, de courses à l'agrandissement, de politiques de bas prix, d'importations abusives, de coups portés par l'OMC, par la PAC, mais aussi par la dernière loi d'orientation agricole.
Cette situation fragilise l'agriculture française, menace sa souveraineté et la rend vulnérable aux délocalisations, aux choix financiers des grands groupes bancaires et des fonds de pension. J'avais imaginé mieux pour une profession que j'aime, et dont je suis issu. Il n'est cependant jamais trop tard pour bien faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu d'un département où l'agriculture occupe une place économique importante, je suis naturellement sensible au contenu de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales ».
Cependant, au-delà des intérêts locaux qui peuvent animer chacun et chacune d'entre nous, je crois que l'agriculture n'est pas seulement une préoccupation sectorielle. Avec 800 000 actifs exploitants ou salariés, notre pays conserve une forte tradition rurale. Grande nation agricole, la France est le second exportateur mondial de produits agricoles et alimentaires. Avec plus de 40 milliards d'euros d'exportations, le secteur contribue ainsi à soutenir notre balance commerciale, qui en a d'ailleurs bien besoin.
Ce résultat témoigne de la vitalité des filières agricoles et de la capacité des exploitants à s'adapter aux grandes mutations. Face aux nouveaux défis qui s'annoncent demain, en particulier le défi alimentaire mondial dû aux pressions démographiques, il est important que l'agriculture française conserve les moyens de défendre ses positions et de réaliser ses ambitions.
Le projet de loi de finances pour 2008 sera-t-il en mesure de répondre aux attentes de la profession ? Cette année encore, je crains que les crédits ne soient pas à la hauteur des objectifs de la mission.
Tout d'abord, comme le faisait remarquer très justement notre collègue rapporteur spécial, la politique agricole est fondée sur un budget fortement perturbé par des reports de charge d'une année sur l'autre, obligeant à procéder à des dégels ou à des redéploiements internes de crédits.
Il en résulte un manque de visibilité à moyen terme, et je dirais même un manque de sincérité à court terme, car nous devons aujourd'hui nous prononcer sur un budget dont nous savons qu'il ne sera pas exécuté demain d'une façon conforme à la loi de finances initiale.
Il est vrai que certains dispositifs sont victimes de leur succès et que leur montée en puissance exige sans cesse des besoins nouveaux. En témoignent les files d'attente observées dans le cadre du plan de modernisation des bâtiments d'élevage, le PMBE, des contrats d'agriculture durable et des contrats territoriaux d'exploitation. Les enveloppes sont manifestement insuffisantes.
La diminution, en euros constants, de 2 % des crédits pour 2008 ne va pas arranger cette situation budgétaire particulièrement dégradée.
Un certain nombre de programmes sont fortement contraints. Dans le cadre du programme « Valorisation des produits, orientation et régulation des marchés », je pense notamment aux offices agricoles, dont les moyens sont continuellement sacrifiés.
Par ailleurs, alors que le monde agricole est fortement impliqué dans le Grenelle de l'environnement, est-il bien raisonnable de ne pas donner plus de marge de manoeuvre aux actions concourant à moderniser les exploitations dans une perspective écologique ?
Résorber les files d'attente du PMBE doit être une priorité. Le manque de soutien au programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole et la timidité des crédits pour les retenues collinaires risquent de contrarier fortement les efforts de modernisation engagés par les exploitants.
En ce concerne les dispositifs touchant à la gestion des crises, les agriculteurs pourraient rester sur leur faim, si je puis dire. Les crédits AGRIDIFF et le Fonds d'allégement des charges des agriculteurs connaissent une forte diminution, alors que l'agriculture, soumise à de nombreux aléas, nécessite de réelles réserves pour la gestion des risques.
J'ajouterai d'ailleurs sur ce point que l'assurance récolte, telle qu'elle est dimensionnée actuellement, n'est pas suffisamment incitative. Vous le savez, monsieur le ministre, le caractère facultatif de la couverture laisse un grand nombre d'exploitants démunis face aux risques climatiques. Les arboriculteurs et les viticulteurs, par la nature de leur production et la taille de leurs exploitations, ont besoin d'un filet de sécurité important, qu'ils ne trouvent pas actuellement, même si, j'en conviens, le régime des calamités agricoles apporte des solutions relativement immédiates au moment de crises aiguës.
Enfin, je terminerai sur un autre aspect de la solidarité qui concerne les agriculteurs en tant qu'individus ; je veux parler des retraites agricoles, même si celles-ci ne relèvent pas directement de la mission dont nous débattons aujourd'hui. Ce sujet touche toutefois beaucoup d'élus de terrain, qui, comme moi, rencontrent des agriculteurs trop souvent en situation de précarité, alors qu'ils ont donné toute leur vie à l'agriculture.
Les retraités d'aujourd'hui, ce sont les actifs d'hier qui ont contribué à l'amélioration considérable de la productivité agricole, ainsi qu'à l'enrichissement commercial de notre pays. C'est pourquoi je regrette, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne fasse pas un geste plus significatif en faveur des retraités agricoles pour porter les pensions à au moins à 75 % du SMIC ; c'est une demande récurrente depuis de nombreuses années. Au moment où le pouvoir d'achat des Français fait débat, n'oublions pas celles et ceux qui subissent aussi de plein fouet l'augmentation du coût de la vie.
Mes chers collègues, si l'agriculture française se porte bien sur un plan purement macro-économique, nous connaissons néanmoins dans le détail les difficultés qui fragilisent un grand nombre d'exploitations. Par ses manquements, je crains que ce projet de budget pour 2008 ne remplisse pas ses missions en termes de solidarité et de préparation à l'avenir. C'est pourquoi, à ce stade de la discussion, je n'approuve pas le budget du Gouvernement.
Cependant, il est vrai aussi que les crédits nationaux ne reflètent pas la totalité de la politique agricole, qui se décide, en majeure partie, à l'échelon européen. À cet égard, les agriculteurs seront très vigilants quant aux orientations qui découleront du « bilan de santé » de la PAC prévu en 2008. La France aura la chance d'assurer à ce moment-là la présidence tournante de l'Union européenne.
J'espère, monsieur le ministre, que vous serez un porte-parole déterminé et volontaire pour défendre les intérêts de l'agriculture française. Les récents propos de Mariann Fischer Boel, trop axés sur le développement rural et sans réelle prise en compte du problème de la volatilité des marchés, ont inquiété à juste titre les syndicats agricoles. L'objectif de la PAC doit être clair. L'agriculture, ce sont des hommes et des femmes qui ne demandent qu'à vivre de leur travail, tout simplement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si le nombre d'agriculteurs n'a cessé de baisser en France au cours des dernières décennies, ils sont encore plus de 800 000 à travailler la terre et autant à être employés dans le secteur plus important de l'agroalimentaire.
Je mesure combien la discussion de ce projet de budget revêt une importance certaine pour un département rural tel que celui que j'ai l'honneur de représenter. Au moment où nous accélérons nos actions en faveur des biocarburants, sur lesquels je n'insisterai pas, je constate que ce projet de budget, doté de 5,19 milliards d'euros, s'inscrit dans un contexte très particulier.
Tout d'abord, lors du Grenelle de l'environnement a été souligné le rôle majeur de l'agriculture tenue de relever le défi alimentaire mondial.
Ensuite, l'année 2008, au cours de laquelle la France exercera la présidence de l'Union européenne, verra se réaliser la révision à mi-parcours, ou le « bilan de santé » de la PAC. Nous verrons peut-être cette PAC évoluer dans des conditions nouvelles.
Par ailleurs, les Assises de l'agriculture réuniront les principaux acteurs de ce secteur.
Enfin, la nouvelle flambée des prix du pétrole pèse sur les coûts des productions agricoles.
Ce contexte très particulier est également dû à la flambée mondiale des prix de certaines productions, notamment des grandes cultures et, dans une moindre mesure, du lait, dont peuvent pâtir certaines autres productions comme l'élevage.
Hélas, cette nouvelle donne ne change pas grand-chose pour nos agriculteurs, qui ne peuvent toujours pas vivre uniquement du fruit de leur travail. Ils sont encore et toujours dans l'obligation de remplir une foule de formulaires et de subir des contrôles toujours aussi tatillons, afin de pouvoir obtenir les aides financières européennes.
J'avais déjà eu l'occasion, par le passé, de solliciter à cette tribune un allègement de ces contrôles. Je souhaiterais sur ce point pouvoir, enfin, être entendu. J'ai d'ailleurs déposé un amendement en ce sens.
En ce qui concerne les prix agricoles, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous mettiez fin à la confusion savamment entretenue sur ce sujet dans la tête des consommateurs : ce sont non pas les augmentations des prix des céréales ou du lait qui expliquent la flambée des prix de détail, mais l'augmentation des marges, peut-être des transformateurs, mais en tout cas très certainement de la grande distribution.
À titre d'exemple, le blé, qui n'entre à ma connaissance que pour 7 % dans la composition du pain, ne peut être tenu pour responsable de l'augmentation du prix de ce dernier. J'avais aussi, sur ce thème, déposé une proposition de loi, malheureusement restée sans suite jusque-là.
Je souhaiterais à présent attirer votre attention sur un certain nombre de sujets qui intéressent plus spécifiquement le département de la Meuse, qui est à la fois un département d'élevage et de forêt.
Je sais que le développement économique de la filière bois constitue une priorité pour le Gouvernement. Vous avez ouvert très récemment les Assises de la forêt et, à cette occasion, vous avez affirmé, à juste titre, qu'il convenait de mieux mobiliser la ressource et de mieux valoriser cette matière première. Pourriez-vous faire le point sur l'état actuel du plan de reconstitution de la forêt et nous indiquer si l'ensemble des dossiers pourront être pris en compte ?
La fièvre catarrhale ovine, sur laquelle j'ai eu l'occasion de m'exprimer lors du débat que nous avons eu samedi dernier sur les crédits de la sécurité sanitaire, touche désormais soixante-cinq départements français et de nombreux pays européens proches de nous. Cette crise particulièrement grave concerne aussi bien les élevages bovins qu'ovins.
Je sais que vous n'êtes pas resté inactif : pour mon seul département, près de 200 000 euros ont été dégagés par l'État, ce qui est significatif.
Par ailleurs, vous envisagez de lancer une campagne de vaccination. Permettez-moi néanmoins de vous reposer une question demeurée sans réponse à l'Assemblée nationale : ne conviendrait-il pas de modifier le système d'indemnisation afin de tenir compte de la valeur de l'animal dans la mesure où, à l'heure actuelle, celle-ci est identique qu'il s'agisse d'un veau de huit jours ou d'un gros bovin ?
Quant à la production de lait, l'augmentation de son prix a redonné un peu d'espoir aux producteurs. Ironie du sort, après avoir lutté pendant des décennies, non sans d'ailleurs un certain succès, mais avec quels dégâts pour les éleveurs, contre la surproduction de produits laitiers, voici que nous serions entrés dans un cycle de pénurie ! Il a été beaucoup question de relever les quotas de production ; pourriez-vous nous apporter quelques précisions, monsieur le ministre ?
Je voudrais dire un mot concernant l'enseignement technique agricole, qui est présent dans mon département. Ses responsables sont préoccupés des évolutions budgétaires qui pourraient mettre en cause certaines filières professionnelles agricoles. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre ?
Les maisons familiales rurales se sont récemment inquiétées du devenir du régime d'exonération partielle de charges patronales dont bénéficient les organismes à but non lucratif installés dans les zones de revitalisation rurale. Pourriez-vous là aussi nous confirmer les propos rassurants qui ont été tenus ?
L'installation des jeunes agriculteurs constitue une priorité. Or de trop nombreux candidats éligibles au prêt à l'installation ne peuvent l'obtenir du fait de l'insuffisance des crédits qui y sont consacrés. Vous aviez inscrit 63,4 millions d'euros à cet effet dans votre projet de budget, mais ceux-ci auraient sans doute été insuffisants pour résorber les files d'attente. Je suis heureux qu'au cours des débats à l'Assemblée nationale vous ayez rajouté 5 millions d'euros, qui seront vraiment les bienvenus.
Les retraites agricoles continuent aussi à poser problème. Vous savez que les anciens exploitants agricoles aspirent à une amélioration de leur niveau de vie. Je vous ai récemment interrogé sur ce sujet, monsieur le ministre, notamment sur le niveau de la retraite complémentaire obligatoire pour 2007, la réversion à 54 % du montant des points gratuits, la suppression des minorations appliquées aux revalorisations des petites retraites agricoles, le nombre trop élevé d'exclus du régime de la retraite complémentaire obligatoire.
J'ai l'espoir qu'un jour, conformément à la loi Fillon, tous les retraités agricoles puissent bénéficier d'une retraite au moins égale à 85 % du SMIC, selon le chiffre qui était avancé à une certaine époque. Les retraités agricoles comptent sur vous, monsieur le ministre, pour que leurs préoccupations soient entendues.
Telles sont les observations et questions dont je souhaitais vous faire part, en espérant que les réponses que vous allez m'apporter - je n'en doute pas - me conforteront dans mon souhait de voter votre budget. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)