M. Jean-Pierre Godefroy. Pas du tout, monsieur le ministre !
Mme Annie David. Il s'agit tout de même de la santé des travailleurs !
M. Jean-Pierre Godefroy. Cela remet en cause l'objectivité du contrôle et met en danger la santé des travailleurs. Il s'agit d'un moyen de pression mis entre les mains des employeurs les plus indélicats.
Mais vous nous ferez part, je n'en doute pas, de votre opinion à ce sujet, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je n'en doute pas, et je l'attends !
J'en reviens à la question des conditions de travail.
Depuis l'accord du 13 septembre 2000 sur la santé au travail et la prévention des risques professionnels, peu de progrès réels ont été accomplis. Aujourd'hui, dans un contexte de quasi-stagnation de la négociation en entreprise, la thématique des conditions de travail est toujours aussi peu prégnante : 1,4 % des accords ont été signés en 2006. Ce chiffre est éloquent !
Face à ce constat, les travaux préparatoires à la Conférence nationale sur les conditions de travail, que vous avez organisée au mois de septembre dernier, ont montré quel long chemin restait encore à parcourir avant de faire émerger des propositions concrètes à l'issue de cette conférence.
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce n'est pas ce qu'ont dit les syndicats, en tout cas ! Vous ne vous sentez pas un peu isolé ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Je suis rassuré de vous entendre réagir, monsieur le ministre. Cela prouve que je mets le doigt là où ça fait mal !
M. Xavier Bertrand, ministre. Non, cela montre que vous êtes isolé ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. On le verra plus tard !
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous verrons bien, monsieur le ministre ! J'ai entendu ces propos tellement souvent, ne serait-ce que lors du débat sur le contrat première embauche ou sur le contrat nouvelles embauches ! Vous auriez mieux fait de nous écouter à l'époque !
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les employeurs font de la résistance. Le patronat est allé jusqu'à contester le cadrage statistique fourni par les services de votre ministère, notamment en s'en prenant, encore une fois, aux résultats issus de l'enquête sur les conditions de travail de la DARES, et de l'enquête SUMER, ou surveillance médicale des risques.
M. Guy Fischer. Avec vous, monsieur le ministre, l'UIMM peut dormir tranquille !
M. Jean-Pierre Godefroy. Si je suis isolé, je le suis donc avec vos services, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Godefroy. Force est de constater que, si le MEDEF suit sa logique habituelle de déni, le Gouvernement est encore loin d'avoir fait sa révolution sur le sujet. Le projet de budget pour 2008 en est l'illustration puisque les crédits de l'action n° 01 « Santé et sécurité au travail », déjà bien faibles, sont en diminution de 9 % par rapport à 2007.
M. Guy Fischer. C'est la vérité !
M. Jean-Pierre Godefroy. Depuis de longues années déjà, le lien qui existe entre les atteintes à la santé physique et morale des individus et le travail plaide en faveur de la refondation de notre système de santé au travail. Pourtant, c'est un sentiment d'inertie qui prédomine.
M. Jean-Pierre Godefroy. L'État, sensible aux priorités économiques et financières des entreprises, manque de volontarisme politique pour lancer le débat sur l'organisation du travail et pour donner à l'ensemble des acteurs de la prévention les moyens humains et juridiques de remplir leurs missions. Le cadre des négociations sur les conditions de travail que vous avez fixé...
M. Jean-Pierre Godefroy. ...ne répond que très partiellement - même si c'est déjà une avancée - à la problématique globale.
M. Xavier Bertrand, ministre. Quel mépris pour les partenaires sociaux ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, vous parlez de mépris pour les partenaires sociaux.
M. Jean-Pierre Godefroy. Or ceux-là mêmes vous ont dit ce qu'ils pensaient, non pas de vous, personnellement, mais du Gouvernement, voire du Président de la République !
M. Jean-Pierre Godefroy. Si les organisations syndicales estiment que nous les méprisons, je pense qu'elles viendront nous le dire. Mais les contacts que nous avons régulièrement avec elles laissent penser le contraire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, monsieur le ministre, j'ai beaucoup de mémoire !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je trouve décidément que ce dialogue est très positif et que nous devrions le poursuivre.
S'agissant de la médecine du travail, dont la situation est plus que préoccupante, vous n'ignorez pas qu'une pénurie de médecins du travail est annoncée pour les prochaines années.
M. Paul Blanc. De tous les médecins !
M. Jean-Pierre Godefroy. Le nombre de ces médecins ne cesse de baisser - encore une diminution de 1 % entre 2006 et 2007 - et la moyenne d'âge de ceux qui sont encore en activité est élevée, puisqu'elle avoisine cinquante ans. D'ici à cinq ans, de 1 600 à 1 800 médecins cesseront leur activité, sans que les recrutements d'aujourd'hui, qui sont de plus en plus difficiles, permettent de compenser ces départs.
Des propositions vous ont été faites pour remédier à cette situation dans plusieurs rapports publiés récemment, notamment celui de Paul Frimat et Françoise Conso. Quelle suite comptez-vous y donner ?
Interrogé sur le sujet à l'Assemblée nationale par notre ancien collègue Roland Muzeau,...
M. Guy Fischer. Vous le connaissez !
M. Jean-Pierre Godefroy. ...vous avez indiqué vouloir « engager une large concertation avec les partenaires sociaux et les acteurs de la médecine du travail, [soumettre] ensuite aux partenaires sociaux une proposition en vue de poursuivre la réforme, au cours du premier trimestre 2008 [...], l'objectif étant de débuter la mise en place progressive de cette nouvelle phase de la réforme au plus tard au second trimestre 2008 ». Soit ! Mais avec quels moyens, monsieur le ministre ?
Une telle réforme de la médecine du travail ne peut se faire à moyens constants. Or rien n'est prévu, pour 2008, dans ce budget !
À l'inverse, je vous donne acte de l'effort fait en faveur de l'Inspection du travail.
M. Jean-Pierre Godefroy. On peut être dans l'opposition et néanmoins objectif !
De même, monsieur le ministre, il serait bon que vous soyez un peu objectif et moins critique à notre égard !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je vous donne donc, à l'inverse, un satisfecit pour le recrutement de 170 agents supplémentaires, prévu dans ce budget, qui permet enfin de concrétiser le plan de développement et de modernisation de l'Inspection du travail, même si les efforts à fournir sont encore importants et devront être poursuivis dans les prochaines années.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cela étant dit, je m'élève avec force contre un décret qui opère un véritable détournement de la mission des inspecteurs et contrôleurs du travail. Ce décret concerne les attributions du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement.
M. Guy Fischer. Voilà pourquoi ces embauches sont faites ! N'est-ce pas, monsieur le ministre ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Il s'agit, en l'espèce, de compter sur les inspecteurs du travail pour lutter contre l'immigration clandestine et de profiter ainsi de la faculté dont dispose l'Inspection du travail d'entrer à tout moment dans les entreprises.
Personne, ici, ne conteste le bien-fondé d'un contrôle du travail illégal. Mais la mission de contrôle de la réglementation du travail n'a rien à voir avec celle de contrôle des papiers d'identité : sur le fond et sur la forme, ce n'est pas le même métier !
Mme Gisèle Printz. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Ce décret n'a d'ailleurs pas manqué de provoquer l'indignation des personnels concernés. Comme l'a dit une inspectrice du travail, « l'Inspection du travail ne veut pas servir d'ouvre-boîte aux forces de police, juste pour améliorer le score des reconduites à la frontière ». (Mme Gisèle Printz s'exclame.)
Monsieur le ministre, ce mélange des genres ne peut que desservir le contrôle de la qualité et de l'effectivité du droit, que nous devons tous promouvoir. La mission des inspecteurs et des contrôleurs du travail est déjà suffisamment vaste pour que ceux-ci ne servent pas, en plus, de supplétif à la police.
M. Guy Fischer. Démentez, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Godefroy. Comptez-vous, monsieur le ministre, clarifier cette situation ?
Je voulais dire un mot sur les conseils de prud'hommes, mais le temps qui m'est imparti s'écoule, et je tiens à laisser la parole à mes collègues.
De manière générale, ce projet de budget est loin d'être satisfaisant, et je regrette son contenu plus que minimal en termes tant de moyens que d'engagements précis. Si l'on fait le total, il est en diminution dans tous les secteurs, à l'exception des exonérations de cotisations sociales patronales.
Le projet de budget impose un double effort aux salariés : en tant que contribuables, directs et indirects, qui doivent soutenir les chefs d'entreprise, et en tant que travailleurs, dont les droits, la sécurité, les acquis et les prestations sociales doivent être limités au plus juste, pour rétablir la compétitivité du pays dans un contexte de dumping social généralisé.
Il semble que ce rétablissement repose pour l'essentiel sur les salariés, ce qui pourrait être une forme d'hommage s'il ne s'agissait, en fait, d'un retour à des conditions initiales bien plus insupportables. Nous voterons donc contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Madame la ministre, je souhaite vous poser deux questions concernant la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA.
Mon seul souci est de permettre à cette loi de produire ses pleins effets. Je suis certain que vous connaissez mieux que moi la réalité en matière d'heures supplémentaires, mais cette réalité est tout de même difficile à cerner avec précision.
Sur 17 millions de salariés du secteur privé, de 6 à 7 millions effectuent des heures supplémentaires et peuvent donc bénéficier des dispositifs de la loi TEPA.
Souhaitant que l'application de cette loi soit la plus facile et la plus large possible, je tiens à vous signaler deux difficultés, que j'ai observées dans ma modeste commune, sur le territoire de laquelle sont installées plusieurs entreprises et une maison de retraite.
M. Guy Fischer. À Rosières !
M. Adrien Gouteyron. Tout à fait, monsieur Fischer !
Je vais vous faire part, madame la ministre, des remarques qui m'ont été faites sur le terrain.
Actuellement, le contingent normalement autorisé d'heures supplémentaires est de 220 heures annuelles. Cependant, dans un certain nombre d'entreprises, un accord collectif antérieur a fixé un contingent parfois très largement inférieur. Je peux citer les exemples suivants : 140 heures dans les assurances ; 150 heures dans la fabrication de meubles ; 182 heures dans le secteur de l'automobile, que connaît bien M. Souvet ; 180 heures dans le bâtiment ; 130 heures dans les secteurs de la blanchisserie et de l'habillement ; 150 heures dans celui de la pharmacie ; 130 heures dans l'industrie de la plasturgie, qui me concerne directement.
Si l'on applique la loi dans les entreprises pour lesquelles il n'existe pas d'accord collectif de branche, il est possible, sur une période de 40 semaines, d'effectuer 220 heures supplémentaires annuelles, soit 5,5 heures supplémentaires environ par semaine.
En revanche, dans le secteur de la plasturgie, par exemple, où le contingent annuel est de 130 heures supplémentaires, les salariés ne peuvent travailler plus de 38,25 heures par semaine et ne bénéficient donc du dispositif prévu par la loi TEPA que pour 3,25 heures supplémentaires hebdomadaires.
Madame la ministre, ma première question est la suivante : que peut faire le Gouvernement pour surmonter cette contrainte ?
Nous avons, d'un côté, les accords collectifs de branche et, de l'autre, la loi TEPA. Que peut-on faire pour que les salariés qui le souhaitent puissent bénéficier à plein de ce dispositif et pour que les patrons qui le peuvent en fassent profiter leurs salariés ?
M. Paul Blanc. Libérer les énergies !
M. Adrien Gouteyron. Ma seconde question concerne les salariés des maisons de retraite - c'est un cas que je connais bien -, des établissements à caractère médico-social, mais aussi du secteur de la grande distribution.
Premièrement, les établissements emploient de nombreux salariés à temps partiel pour des raisons d'organisation : la majeure partie du temps de travail est en effet concentrée dans la matinée. Au vu de ces contraintes, la solution la plus commode et la plus souple est le temps partiel.
Deuxièmement, les emplois concernés sont souvent occupés par des femmes. Ces salariées, qui connaissent de nombreuses contraintes familiales, demandent parfois elles-mêmes à travailler à temps partiel. Mais ces mêmes salariées peuvent également souhaiter, de temps à autre, effectuer des heures supplémentaires.
M. Paul Blanc. Tout à fait !
M. Adrien Gouteyron. Je vais tenter de décrire la situation actuelle, qui est quelque peu complexe.
Avant la loi TEPA, un salarié à temps partiel pouvait bénéficier d'heures complémentaires à hauteur de 10 % de sa durée de travail. Par dérogation, ce contingent pouvait même atteindre un tiers du temps de travail.
Pourquoi dès lors ne pas profiter du dispositif de la loi TEPA ?
Il y a une raison, et elle est très simple : la loi a prévu, pour les salariés, une exonération fiscale ainsi qu'une exonération sociale et, pour les employeurs, une réduction forfaitaire des cotisations patronales, qui varie selon la taille des entreprises, soit une réduction de 0,50 euro par heure portée à 1,50 euro par heure dans les entreprises de moins de vingt salariés.
Or, ce dispositif ne peut pas s'appliquer pour des salariés à temps partiel.
Mmes Annie Jarraud-Vergnolle et Raymonde Le Texier. Eh oui !
M. Adrien Gouteyron. Je comprends pourquoi, car je vois bien les difficultés qui se posent au regard même du droit du travail. Il n'empêche qu'il y a là un gisement de pouvoir d'achat et de confort social pour les salariés qu'il faudrait pouvoir exploiter.
J'ai voulu soulever devant vous la question, madame la ministre, car cette piste mérite au moins d'être explorée.
Je conclurai mon propos en disant que je ne suis pas de ceux qui méconnaissent les bienfaits de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat ; bien au contraire, je souhaite qu'ils soient aussi largement que possible généralisés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure d'une critique convenue d'un néolibéralisme censé être effréné, l'examen de la mission « Travail et emploi » vient nous rappeler qu'historiquement les attentes citoyennes à l'égard tant d'un État devenu régulateur que de son champ d'intervention n'ont en réalité jamais été aussi fortes.
Sans surévaluer le pouvoir réel des autorités publiques - comme on l'indique souvent, la croissance et l'emploi « ne se décrètent pas » -, songeons que l'action publique a néanmoins la capacité d'affecter les conditions économiques et sociales dans l'accompagnement des effets des mutations internationales et dans l'impulsion des restructurations.
En ce sens, les processus de rationalisation engagés dans ce budget de transition, autour de la refondation des contrats aidés et d'une meilleure coordination des instances de prise en charge des demandeurs d'emploi, vont dans le bon sens.
Cette problématique de l'intervention publique sur le marché de l'emploi et sur la croissance renvoie à deux enjeux étroitement corrélés, relatifs à une prospective des métiers et aux carences structurelles que connaît la France dans l'inadéquation entre son offre et son marché de l'emploi.
Ainsi, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques et le Centre d'analyse stratégique, qui ont travaillé conjointement à la rédaction d'un rapport intitulé Les métiers en 2015, indiquent clairement que l'hypothèse d'un relatif retour au plein emploi se profile à l'horizon du xxie siècle, du fait notamment du départ massif à la retraite de la génération du baby-boom, et cela même dans l'hypothèse d'un taux de croissance relativement réduit - autour de 2 % par an.
Mais les différents scénarios arrêtés font aussi apparaître que cette hypothèse ne deviendra réalité que sous la condition expresse que les pouvoirs publics établissent des politiques actives pour favoriser le retour à l'emploi des personnes actuellement éloignées du marché du travail ; ils montrent, parallèlement, que de profondes disparités entre types d'activité vont intervenir, avec un secteur tertiaire désormais ultra-dominant et des tensions sur certains domaines de recrutement faute de candidats - en matière de personnel de santé notamment.
Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen entend insister dès lors sur la nécessaire adaptation structurelle de notre marché du travail alors qu'un rapport de la chambre de commerce et d'industrie de Paris de juin 2006 - c'est donc un rapport récent - évoque le chiffre de 100 000 emplois non pourvus en Île-de-France - la confédération générale des petites et moyennes entreprises, par la voix de son secrétaire général, estime même leur nombre à 300 000 ! -, situation qui aurait un effet induit direct, dans près de 50 % des cas, sur le chiffre d'affaires des entreprises.
Sans doute la politique de sanction pour les chômeurs refusant deux emplois successifs doit-elle être poursuivie, mais elle doit s'accompagner d'un effort considérable dans la promotion de la formation professionnelle initiale et continue. Les centres de formation d'apprentis sont débordés, et l'on attend toujours la promotion réelle de l'école manuelle d'excellence, seule à même de renverser une tendance à éviter certains métiers jugés pénibles - et, disant cela, je songe principalement au bâtiment.
Pour le moment, le choix gouvernemental d'une intervention sur le levier de la consommation est marqué : notre assemblée aura à examiner prochainement le projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, qui vise à favoriser la consommation et qui a d'ores et déjà été voté à l'Assemblée nationale ; un second texte d'ampleur est attendu en début d'année prochaine.
Les premières annonces - encore provisoires et partielles, il est vrai - de mesures préconisées dans le pré-rapport de la commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Attali, indiquent tout de même une tendance : la voie de la libéralisation, raisonnée, des marchés.
L'évacuation de certains verrous, s'agissant de professions protégées contre de nouveaux entrants sur leur segment, est sans aucun doute légitime, et elle est susceptible, me semble-t-il, d'impulser une véritable dynamique d'emplois.
Des impératifs d'aménagement et de vitalité du territoire, d'urbanisation, chers à la Haute Assemblée, appellent cependant des réserves à l'égard d'une ouverture des conditions d'implantation concurrentielle de la grande distribution. Souvenons-nous que les oppositions - supposées - entre « archaïques » et « modernes » lors des débats relatifs à l'examen de la loi Royer en 1973 ont été dépassées quatre ans plus tard lorsque le Premier ministre de l'époque, Raymond Barre, a réorienté, face à la crise, sa politique d'emploi vers la promotion des PME et des TPE.
Le différentiel de création d'emploi entre grande distribution et secteurs productifs et artisanaux des dernières années invite de surcroît à la prudence.
Tournons-nous vers nos voisins : l'Allemagne, malgré des difficultés, profite d'un certain dynamisme, fondé non pas sur son marché de consommation intérieure, mais sur l'excédent de sa balance commerciale ; la politique de l'emploi est par essence trans-sectorielle, et les interventions de la mission « Travail et emploi » ne peuvent s'entendre que corrélées aux mesures relatives à notre commerce extérieur et au développement économique.
Enfin, l'impact des politiques sectorielles et macroéconomiques sur le marché de l'emploi ne se vérifiera que s'il s'accompagne de la mise en oeuvre d'un aggiornamento des pratiques sociales. La régulation économique n'est rendue possible que si elle s'effectue dans un cadre social apaisé. Le modèle français traditionnellement dirigiste devra à terme disparaître et trouver sa voie entre deux modèles référents : le « modèle rhénan », c'est-à-dire allemand, de négociation sociale, contractualiste, qui permet de garantir la paix sociale sur le moyen terme par des accords tenus entre patronat et représentants des salariés, et le modèle anglais, fondé sur des accords décentralisés d'entreprise et une liberté d'action collective plus restreinte, contrainte par la loi.
En tout cas, la signature dans notre pays en 2001 d'un accord sur le dialogue social dans l'artisanat entre les confédérations salariales et l'union interprofessionnelle du secteur démontre que les partenaires sociaux sont déjà prêts à cette mutation : la validation de l'accord par l'obtention définitive de l'extension des accords de déclinaison mise en exergue par le rapport Hadas-Lebel ou la remise à plat des conditions plus générales d'organisation du dialogue social devra être rapidement actée.
Madame la ministre, l'examen de la mission « Travail et emploi » est ainsi l'occasion pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, dans sa majorité, d'exprimer son soutien et son engagement sur les mutations à venir, et de voter en conséquence les dispositifs budgétaires pour 2008 y afférents. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on a coutume de penser - et on a raison ! - que la lisibilité d'un budget et le sens qu'on lui attribue doivent présider à l'élaboration du projet. Le projet de loi de finances, qui détermine le budget de l'État, n'échappe pas - et pour cause ! - à cette règle.
Je m'emploierai donc, en m'en tenant au chapitre du travail et de l'emploi, à démontrer le manque de lisibilité du projet de loi de finances pour 2008 et l'absence de sens des options qui sont choisies.
Les questions du développement économique harmonieux et de l'insertion des salariés devraient nous préoccuper tous et nous amener à fournir des objectifs clairs, relevant d'une stratégie à long terme et s'inscrivant dans une économie, mondialisée ou non mais du moins favorable aux travailleurs de notre pays.
Au lieu de quoi, ce projet de loi de finances s'emploie essentiellement à financiariser des mesures à court terme, peu compréhensibles et non évaluées.
Dans l'attente des réformes que le Gouvernement prévoit en 2008 et qui n'apparaissent d'ailleurs pas dans ce budget prévisionnel - je pense notamment à la fusion entre l'UNEDIC et l'ANPE -, le projet de loi de finances laisse présager un budget de transition, comme pour la sécurité sociale.
La présentation budgétaire a été si singulièrement modifiée que toute comparaison avec les budgets antérieurs est quasi impossible. Ainsi, le programme « Développement de l'emploi » disparaît et se trouve intégré au programme « Accès et retour à l'emploi » pour le secteur de l'insertion par l'économique, et le programme « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » intègre une nouvelle action « Développement de l'emploi » pour les emplois de services, les baisses du coût du travail et les aides au secteur hôtels, cafés et restaurants.
La mission « Travail et emploi » s'inscrit donc dorénavant dans une double compétence ministérielle, qui opacifie les moyens de l'emploi du fait de leur dissémination.
La révision à la baisse d'objectifs initiaux dans la seule appellation des programmes ne nous échappe pas !
Vous nous présentez les crédits de la mission « Travail et emploi » en baisse de 2,7 % par rapport à 2007, alors qu'aucune évaluation des actions du plan Borloo qui courent toujours n'a été faite.
Remontons un peu dans le temps, si vous le voulez bien.
Souvenons-nous tous de cet épisode incroyable du printemps dernier : la non-publication par l'INSEE des chiffres du chômage pour 2006, jugés non fiables par le Gouvernement, à la veille d'une campagne électorale !
Souvenons-nous qu'une analyse plus complète a permis à l'INSEE de constater que, depuis 2005, le taux de chômage avait baissé d'un point seulement au lieu de deux, ce qui le ramenait au niveau des statistiques de la fin de 2002 !
Souvenons-nous aussi que la « gouvernance » de M. Raffarin a conduit à supprimer les emplois-jeunes et des contrats aidés à destination d'un public fragile.
Souvenons-nous que sa politique économique a eu pour effet une remontée vertigineuse et brutale des chiffres du chômage, heureusement enrayée par le virage à 180° de la politique pilotée par Jean-Louis Borloo sur les contrats aidés.
Cet exposé illustre bien les vertus d'une mécanique libérale qui laisse de côté les jeunes, les publics les plus fragiles, notamment les personnes âgées de plus de cinquante ans, et dont les promoteurs s'entêtent à croire contre toute évidence que seule la loi du marché peut créer de l'emploi !
Malheureusement, madame la ministre, vous ne tirez pas de leçon de cet épisode puisque vous persévérez dans la même logique, sans mesurer que, derrière vos politiques de l'emploi, il y a des hommes et des femmes qui « galèrent », vont de « petit boulot » en « petit boulot », à temps partiel pour la plupart, ou à durée déterminée pour la majorité puisque plus de 50 % des contrats signés actuellement le sont en CDD.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Paul Blanc. Votre vérité !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Le développement de ces emplois atypiques et précaires correspond davantage aux besoins du système productif qu'au souhait des salariés, mais il faut bien vivre, même avec des emplois à trou, dans l'incertitude du lendemain !
Mme Raymonde Le Texier. Eh oui !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Le nombre des emplois atypiques et précaires est en augmentation. Pour une part croissante de salariés, le quotidien consiste à avoir un pied dans l'emploi, l'autre dans le chômage.
Ces situations mixtes permettent aux employeurs d'ajuster leurs effectifs à la situation du marché, tout en conservant précieusement leurs salariés qualifiés, indispensables au bon fonctionnement de leurs entreprises.
Les supplétifs de l'emploi jouent donc un rôle essentiel de variable d'ajustement, dans un système économique où la demande est de plus en plus volatile. Ils sont les premières victimes, et, parmi eux, les femmes subissent les plus lourds inconvénients.
Aujourd'hui, même un CDI à temps plein ne garantit pas forcément des revenus permettant de vivre décemment.
Un salarié sur deux travaillant à temps plein gagne moins de 1 500 euros par mois. Ce salaire médian a baissé de 0,4 % si l'on tient compte de l'inflation.
Le SMIC n'est même plus le salaire minimum : dans 55 branches professionnelles sur 84, les minima salariaux y sont inférieurs, selon des sources de l'INSEE.
À côté de ces chiffres consternants, les plus grandes entreprises, notamment celles du CAC 40, ont affiché depuis trois ans des profits records, distribué des dividendes tout aussi faramineux, et quasiment gelé les salaires !
Alors que la France est de plus en plus riche, jamais elle n'a été aussi inégalitaire : 7,1 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont 2 millions exerçant une activité professionnelle !
Votre politique accroît et pérennise la précarité. L'Observatoire des inégalités, dans un rapport paru en août 2007, souligne qu'une frange considérable de la population manque de ressources. Mais il ne s'agit pas, dans la plupart des cas, du dénuement total comparable à ce que l'on rencontre dans les pays les plus pauvres. Il n'empêche que des millions d'enfants, d'hommes et de femmes vivent à l'écart des normes de la société. Ils aspirent non pas seulement à manger, mais aussi à avoir un logement décent, à étudier et à travailler, à se soigner comme les autres. Cette pauvreté suscite l'indignation dans tous les milieux sociaux, mais elle est souvent déconnectée de la question des inégalités de façon générale.
Pour une plus grande équité, il serait maintenant primordial de parvenir à enclencher un processus de sécurisation des parcours professionnels avec une amélioration des droits sociaux des salariés, une reconnaissance de leurs acquis professionnels, un accès développé à la formation et des revenus ajustés.
Mais il ne semble pas que ces options fassent partie de vos priorités.
Paradoxalement, l'été dernier, la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat a mis en oeuvre une multiplication de cadeaux fiscaux ciblés sur les plus aisés, sans effets sur la croissance de l'activité, de l'emploi et du pouvoir d'achat.
A contrario des déclarations faites par Nicolas Sarkozy - « il faut nettoyer les niches fiscales qui rendent notre système opaque et inégalitaire et remettre à plat tous les grands prélèvements » -, la loi fiscale de juillet dernier a multiplié les niches fiscales, notamment en matière d'ISF.
C'est ainsi la rente, et non le travail, qui est récompensée.
En effet, le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale a pu obtenir les premiers éléments d'appréciation des effets du bouclier fiscal : au premier semestre 2007, 2 400 contribuables étaient concernés et ont reçu chacun un chèque moyen de 50 000 euros.
Quant à l'exonération des heures supplémentaires et à ses effets sur l'activité, les économistes sont unanimes pour dire que cette mesure ne créera pas d'emplois. Elle pourrait même en détruire, en dépit de son coût exorbitant et dangereux pour les finances publiques.
J'en viens au budget de la mission « Travail et emploi ».
Sous prétexte, d'une part, d'une amélioration apparente des chiffres de l'emploi, alors que ces derniers ne révèlent ni la réalité de la création d'emploi ni la précarisation croissante des situations d'emploi - une offre d'emploi de sept heures suffit pour être comptabilisée en création d'emploi -...
Mme Michèle San Vicente-Baudrin. C'est scandaleux !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. ... et, d'autre part, d'un hypothétique retour de la croissance et de la mise en marche d'une série de réformes qui n'ont toujours pas abouti, vous proposez une déconstruction des dispositifs au service des plus fragiles.
Ainsi, vous remettez en cause les contrats aidés.
Cela se traduit, dans le secteur marchand, par la disparition des soutiens à l'emploi des jeunes en entreprise, par la diminution de 33 % de la dotation aux contrats initiative emploi, et par la suppression des exonérations sur les contrats de professionnalisation.
Dans le secteur non marchand, les contrats d'accompagnement vers l'emploi sont en baisse de 18 %, et les contrats d'avenir de 27 %.
On constate également une baisse du contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS, l'arrêt des créations des maisons de l'emploi, le maintien du financement des missions locales sans compensation de la perte du financement du Fonds social européen, ainsi qu'une baisse de 30 % de la validation des acquis de l'expérience, la VAE.
Il s'agit là de coupes franches qui déstabilisent les processus d'insertion par l'économique, tant pour les personnes que pour les organismes s'investissant à long terme pour assurer l'efficacité de leurs actions.
Alors même que le présent projet de loi propose de pérenniser les aides au secteur des hôtels, cafés, restaurants, le secteur HCR, dont les effets positifs sur l'emploi n'ont pas été démontrés, il supprime des dispositifs tels que l'allocation équivalent retraite ou l'aide au remplacement des salariés en congé maternité ou en formation, pour réaliser des économies sans commune mesure avec les montants alloués au secteur HCR..
Quant aux autres actions de la mission, les dispositifs d'insertion des publics en difficulté ne sont pas non plus ménagés. On constate en effet une baisse de la dotation à l'insertion par l'activité de 4 %. Il est vrai que vous avez maintenu les aides aux structures de l'IAE, je vous le concède et vous en remercie, car cela représente un gros travail.