M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commençons aujourd'hui l'examen du projet de loi de finances pour 2008. Cependant, je ne suis pas sûr, après avoir entendu M. Massion, que nous parlions tous exactement du même texte !
En tout état de cause, je considère, et je ne suis pas le seul dans ce cas, que ce projet de loi de finances repose sur des hypothèses de croissance et de recettes prudentes, qu'il limite l'évolution des dépenses au niveau de l'inflation, qu'il stabilise le déficit budgétaire par rapport à la prévision initiale pour 2007, tout en investissant sur l'avenir grâce à des mesures ciblées sur le travail, la recherche et l'innovation.
M. Alain Lambert. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Son examen au Sénat intervient dans un contexte économique et financier marqué par de fortes incertitudes, liées à la crise bancaire internationale de l'été dernier, à la hausse des cours du pétrole et des matières premières, à l'appréciation de l'euro par rapport au dollar et à la révision à la baisse des prévisions de croissance en Europe.
Le rapporteur général, Philippe Marini, est parfaitement dans son rôle lorsqu'il souligne les aléas et les contraintes susceptibles de peser sur l'exécution budgétaire.
Il importe néanmoins aux responsables politiques que nous sommes de respecter les engagements en faveur de la revalorisation du travail, de la croissance, de l'emploi pris voilà six mois devant les Français par le Président de la République.
Mes chers collègues, si ce que nous entreprenons depuis un certain nombre d'années était aussi tragique que certains le disent, nous n'aurions pas gagné trois élections présidentielles successives et deux élections législatives ! Ces succès témoignent tout de même de l'appréciation que portent la majorité de nos compatriotes sur notre action !
Comme l'a très justement souligné le Président de la République, le 18 septembre dernier, au Sénat, lors du quarantième anniversaire de l'Association des journalistes de l'information sociale, certains pensent « qu'il serait insensé de réformer à un moment où la croissance est un peu hésitante [...] Comme si, par le passé, on avait profité des périodes de forte croissance pour réformer ! »
Nous n'avons pas oublié la période 1997-2002 !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Utile rappel !
Mme Nicole Bricq. Nous non plus n'avons pas oublié !
M. Henri de Raincourt. Le Gouvernement fait donc preuve de courage en engageant des réformes majeures.
C'est le sens de la réforme des régimes spéciaux conduite dans un esprit d'équité, de responsabilité et de dialogue.
C'est également le sens des mesures fiscales de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dont le coût est évalué à 7,5 milliards d'euros en 2008, soit l'essentiel des baisses d'impôts inscrites dans ce projet de budget.
L'une des principales mesures est le crédit d'impôt sur le revenu accordé au titre des intérêts d'emprunts immobiliers qui répond à l'attente des nombreux Français - et ce ne sont pas que des riches ! - souhaitant accéder à la propriété.
De surcroît, sur 7,5 milliards d'euros, 4,3 milliards d'euros seront consacrés en 2008 à l'exonération des charges sociales et fiscales des heures supplémentaires - et elles ne sont pas réalisées par des riches !
C'est une mesure majeure qui bénéficiera à tous les salariés, y compris aux salariés à temps partiel, aux agents publics et aux fonctionnaires.
Nous savons, monsieur le ministre, que vous mettez tout en oeuvre pour que cette réforme complexe, s'ajoutant à une législation elle-même déjà compliquée, ...
Mme Nicole Bricq. C'est une usine à gaz !
M. Henri de Raincourt. ... puisse pleinement s'appliquer dans nos entreprises, en particulier dans les PME.
Sous l'impulsion de la commission des finances, au président et au rapporteur général de laquelle je tiens à rendre ici un hommage très appuyé, le Sénat a développé une culture du contrôle et de l'évaluation des politiques publiques qui s'inscrit pleinement dans l'esprit de la LOLF, et qui est tout à l'honneur de notre assemblée, pionnière en la matière.
Je suis très heureux de pouvoir, à leurs côtés, bénéficier de cette action très novatrice conduite par le Sénat ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et M. Philippe Marini, rapporteur général. Merci !
M. Henri de Raincourt. Il nous reste néanmoins beaucoup de chemin à faire en matière d'évaluation du coût et d'impact des dépenses fiscales, et notamment s'agissant des 650 niches fiscales dont notre pays a le secret !
Cela doit nous amener à nous interroger sur notre stratégie budgétaire et, par là même, à remettre en perspective le projet de loi de finances qui nous est soumis.
La position du groupe UMP que je représente repose, en effet, sur une double conviction.
Premièrement, des réformes structurelles sont indispensables pour faire face au défi de la mondialisation de l'économie et du vieillissement de la population.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Deuxièmement, ces réformes ne peuvent être que globales et concertées.
Dans son rapport, Philippe Marini met bien en évidence la faiblesse des marges de manoeuvre de l'État sous la forte poussée des dépenses contraintes.
C'est un phénomène que nous connaissons bien dans nos départements, sous la pression des dépenses obligatoires qui ne cessent d'augmenter, notamment en matière sociale et médico-sociale.
Sur le plan national, la progression naturelle des crédits budgétaires disponibles en 2008, soit 5,5 milliards d'euros à périmètre constant, est préemptée à hauteur de 2 milliards d'euros par l'augmentation des dépenses de pensions et de 1,6 milliard d'euros par la progression de la charge de la dette.
C'est à la lumière de ces contraintes nouvelles que doit être apprécié l'effort de maîtrise des dépenses de l'État en 2008.
Nous saluons à cet égard la décision du Gouvernement de constituer une importante réserve de précaution de plus de 7 milliards d'euros en début d'année 2008, même si la croissance a rebondi de 0,7 % au troisième trimestre de 2007, ce dont nous nous réjouissons. J'ai bien pris note des perspectives tracées par Mme Christine Lagarde ce matin pour le quatrième trimestre.
Au-delà, des réformes structurelles profondes s'imposent pour permettre à l'État de retrouver des marges de manoeuvre durables, de financer ses politiques et de reprendre résolument le chemin de la réduction du déficit budgétaire stabilisé à 41,7 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2008.
Tel est le sens de la révision générale des politiques publiques et de la revue générale des prélèvements obligatoires qui doivent déboucher, au printemps 2008, sur une modernisation sans précédent de la sphère publique et de notre système fiscal au cours des années suivantes.
Cette démarche globale, qui consiste à dépasser la logique de moyens, à se sortir de cette tragique situation, pour s'interroger sur la finalité des politiques publiques, constitue un vrai changement de dimension et de perspective qu'il convient de saluer, de soutenir et auquel nous voulons participer.
Les pouvoirs publics doivent mettre fin à l'empilement des politiques ainsi qu'au mitage de la fiscalité et redéfinir l'action publique dans sa globalité pour lui redonner du sens et de l'efficacité.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui !
M. Alain Lambert. Voilà qui est bien dit !
M. Henri de Raincourt. Cependant, cela ne pourra se faire que dans la concertation avec tous les acteurs concernés.
La réforme des régimes spéciaux mais aussi, d'une certaine manière, celle de la carte judiciaire soulignent l'obligation de conjuguer les nécessités de l'action avec la pratique du dialogue, ce qui n'est pas contradictoire !
Avec la révision générale des politiques publiques, il ne s'agit pas de réformer à la hussarde et de pratiquer des coupes claires dans les dépenses ; il s'agit de parvenir à un État exemplaire, performant, moderne.
Dans le même esprit, la revue générale des prélèvements obligatoires doit permettre d'identifier les faiblesses du système actuel des prélèvements obligatoires, de hiérarchiser les enjeux, puis d'étudier la faisabilité et le calendrier des réformes envisagées, en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés.
Soyez assuré, monsieur le ministre, de l'attention que nous porterons aux travaux que vous conduisez en ce sens, en particulier à la réforme de la fiscalité locale.
Nous serons également très attentifs à l'évolution des relations entre l'État et les collectivités territoriales. C'est une question que vous avez vous-même abordée ce matin. C'est aussi l'une des missions fondamentales de la Haute Assemblée.
Nous suivons actuellement avec beaucoup d'attention le travail accompli par notre collègue Alain Lambert dans le cadre de la mission très importante et sensible qui lui a été confiée par le Premier ministre.
Associer les collectivités locales à l'effort de redressement des finances publiques, comme le prévoit le projet de loi de finances pour 2008, n'est acceptable que dans le cadre d'un partenariat véritablement équilibré avec l'État.
Le contrat de stabilité peut être l'occasion d'une clarification, à la condition que soient prises en compte l'ensemble des contraintes, notamment financières et réglementaires, que l'État fait peser sur ces collectivités. Les membres de la commission des finances savent que cette question n'est pas encore totalement tranchée, mais je suis certain qu'elle le sera dans un sens équitable.
Nous serons aussi très attentifs aux résultats de la nouvelle méthode de travail et de la concertation proposées par le Gouvernement au sein, notamment, de la Conférence nationale des exécutifs.
Le projet de loi de finances pour 2008 apparaît ainsi, à certains égards, comme un budget de transition, même si transition ne signifie pas inaction.
Ce budget ne se contente pas en effet d'intégrer et de compléter les dispositions fiscales adoptées voilà quelques mois. Il donne aussi la priorité à l'innovation et à la recherche, dont les crédits augmentent de près de 1,8 milliard d'euros, simplifie et renforce le crédit d'impôt recherche, allège la fiscalité de la propriété intellectuelle et facilite la transmission des PME.
Il apparaît ainsi comme un budget à la fois responsable et volontariste, qui vise à soutenir le pouvoir d'achat des Français et la compétitivité de notre économie, dans l'attente des résultats des revues générales des politiques publiques et des prélèvements obligatoires.
C'est dans cet esprit de responsabilité et avec cette perspective de réforme que le groupe UMP aborde cette discussion budgétaire. Il apportera son soutien à la stratégie de modernisation engagée par le Gouvernement pour 2008 et les années suivantes, au service d'un État moderne, d'une France forte et d'une croissance durable, pour le bien-être de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, l'INSEE a publié une étude intitulée France, portrait social.
Le journal Le Figaro, dont on sait l'attachement à défendre la politique actuellement en oeuvre, titrait, pour rendre compte de ce travail : « La réduction des inégalités marque une pause ».
Le journal Le Monde, quant à lui, à propos de la même étude, résumait son avis par ce titre : « En France, la réduction des inégalités s'est essoufflée ». Il citait quelques éléments de cette étude : « Les trois premières années du quinquennat de Jacques Chirac, celles du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, occupent une place singulière dans l'histoire sociale récente de la France : elles ont coïncidé avec un essoufflement, et parfois une interruption, du mouvement de réduction des inégalités constaté depuis 1996. Tel est l'un des principaux enseignements de l'édition 2007 de France, portrait social ».
Mme Christine Chambaz, qui a dirigé cette étude, est très claire : « Nous avons l'impression qu'avec les années 2002-2005 un plateau a été atteint. La réduction des inégalités a ralenti. Le freinage est net. »
L'étude de l'INSEE précise que le niveau de vie moyen des habitants de ce pays est de 1 550 euros par mois et que la médiane se situe à 1 360 euros, c'est-à-dire à peine au-dessus du SMIC.
L'Institut constate que le niveau de vie des 10 % de nos compatriotes les plus modestes a stagné depuis 2002.
Les inégalités de ressources ont également une traduction sensible en termes de patrimoine détenu, puisque les 10 % de ménages les plus aisés ont vu progresser leur patrimoine médian de 40 % entre 1997 et 2003, deux fois plus vite que les autres ménages.
Ainsi donc la société française est-elle aujourd'hui largement marquée par des inégalités de revenus et de fortune, inégalités que des années de politique libérale ont manifestement cristallisées.
Voilà deux ans, en décembre 2005, lors du vote sur le projet de loi de finances pour 2006, nous appelions votre attention sur ces problèmes : « Pour 16,7 millions de familles, dont le quotidien est fait de difficultés à payer le loyer, parfois à se nourrir, à se cultiver, à faire face aux mille et un besoins de la vie, la baisse de l'impôt sur le revenu n'a aucun sens. Ces familles vivent chaque jour les prix qui augmentent : ceux des transports, de la fourniture d'énergie - que le Gouvernement a autorisés - et la flambée du prix de l'essence. Et voici que l'on réforme nos impôts, mais en oubliant purement et simplement ces 16,7 millions de familles ! »
Nous disions également, à la même occasion : « Pis même, parce que vous cherchez à réduire sans cesse la dépense publique, comme va encore nous le montrer le collectif de fin d'année, ces familles seront les premières victimes de la réduction de la dépense publique. Moins d'emplois dans la fonction publique, moins d'actions de l'État sur les besoins collectifs, tout cela a une traduction concrète sur le terrain : c'est l'école rurale qui ferme, c'est le bureau de poste qui est remplacé par une annexe de l'épicerie, ce sont les services hospitaliers qui sont remis en cause ! C'est également la route que l'on entretient moins ou plus du tout, ce sont les logements qui ne se construisent pas alors qu'ils sont nécessaires pour répondre aux besoins, ce sont les associations étranglées, notamment celles qui oeuvrent en faveur de l'insertion professionnelle. »
Depuis la loi organique relative aux lois de finances, vous nous invitez à analyser l'efficacité des politiques publiques. Vous allez même jusqu'à vouloir nous cantonner dans un rôle de contrôle, vous essayez de limiter nos possibilités d'amendement, considérant que nous ne devons pas modifier l'architecture du budget présenté par le Gouvernement. Mais ce qui nous intéresse, ce qui correspond à notre rôle de parlementaire, c'est d'analyser quels sont les bénéficiaires des politiques publiques envisagées.
Or, dans les documents budgétaires comme dans le rapport général, rien ne nous permet de nous livrer à une telle étude. Je vous propose donc de regarder un peu la réalité telle qu'elle découle des choix que vous voulez amplifier.
Le nombre de foyers non imposables au barème progressif de l'impôt sur le revenu a subi peu de changements depuis cette année 2005 dont je viens de parler. Si l'on en croit en effet les données fournies par l'administration des finances elle-même, il y a toujours dans notre pays plus de 16 millions de familles qui ne paient pas d'impôt sur le revenu.
Ce qui est vrai, en revanche, c'est que l'orientation politique des budgets comme des lois de financement de la sécurité sociale votées depuis 2002 a contribué à réduire la capacité redistributrice de notre système fiscal et social. D'ailleurs, Le Figaro se sent presque contraint de le souligner en indiquant ceci : « La baisse globale des prélèvements, en particulier de l'impôt sur le revenu, a profité davantage aux plus aisés, alors que les prestations, qui bénéficient aux plus modestes, n'ont que peu augmenté. »
Et pour ne citer qu'un exemple, je prendrai celui des retraites, puisqu'il est à l'ordre du jour. Leur évolution a été particulièrement signifiante depuis les premières réformes qui les ont affectées, celles qui ont été engagées sous le gouvernement Balladur de 1993.
Depuis 1995, le pouvoir d'achat des retraites stagne et même diminue du fait de l'accroissement des prélèvements sociaux pour les retraites moyennes. L'indexation des retraites sur les prix, que vous voudriez imposer à tous dans le cadre de votre réforme des systèmes par répartition, c'est la stagnation, voire la réduction du pouvoir d'achat, c'est la paupérisation des plus modestes. Un million de nos retraités appartiennent aujourd'hui aux ménages placés sous le seuil de pauvreté ! Et il est bien évident que toutes les mesures d'allégement fiscal pour les donations que vous avez renforcées dès cet été dans la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, ne concernent pas ces foyers !
Cette politique d'allégement de la fiscalité que vous avez décidé de privilégier est d'ailleurs catastrophique pour le budget de la nation. Mais elle vous permet de bien alimenter votre communication sur le déficit de l'État ou encore sur les caisses vides quand ce n'est pas la France en faillite, comme le déclarait voilà quelques mois le Premier ministre.
Tout cela vous permet de justifier la diminution des dépenses publiques, la réduction des services, avec son corollaire de suppressions de près de 23 000 postes dans ce budget 2008. Vous videz les caisses de l'État pour faire des cadeaux aux plus riches et vous demandez aux plus modestes de payer la note ! Aussi, ne soyez pas surpris que le pouvoir d'achat constitue aujourd'hui la préoccupation principale de nos compatriotes.
L'été dernier, j'ai entendu dans cette enceinte, au moment du débat sur la loi TEPA, des déclarations sur la nécessité d'alléger l'impôt de certains, quand, dans le même temps, il fallait vérifier avec beaucoup d'exactitude les aides, pour ne pas dire « les avantages », dont pouvaient bénéficier les RMIstes.
Je vous invite à suivre l'exemple de ce chef d'entreprise italien qui a décidé de savoir comment ses salariés arrivaient à vivre avec un salaire d'environ 1 000 euros. Cela vous aiderait peut-être à mieux comprendre le ras-le-bol qu'expriment tous ceux qui étaient dans la rue mardi dernier. Vous savez bien que les coûts de l'immobilier sont sans commune mesure avec l'inflation, mais vous continuez jusqu'à maintenant à dire aux fonctionnaires que l'on ne peut pas aller plus loin pour leurs salaires !
Le Président de la République doit s'exprimer sur le pouvoir d'achat.
L'hypothèque sur son bien en vue d'obtenir un crédit à la consommation avait été présentée, lors de la campagne électorale, comme une solution envisageable pour l'amélioration du pouvoir d'achat. Nous savons tous ce que cela a donné aux États-Unis.
Ce dont ont besoin en grande majorité les foyers dont je vous ai parlé au début de mon propos, c'est d'un salaire décent pour vivre dignement.
Au cours de ce débat budgétaire, nous vous présenterons des propositions en nous appuyant sur le principe constitutionnel selon lequel chacun doit contribuer aux efforts de la nation en fonction de ses capacités. Je ne sais si elles seront débattues, compte tenu de la nouvelle utilisation qui est faite de l'article 40 de la Constitution,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il est très facile de s'y conformer !
Mme Marie-France Beaufils. ... mais j'espère qu'elles nous donneront l'occasion d'avoir un véritable débat sur ce qui entrave la croissance aujourd'hui.
En effet, même si vous voulez croire à un taux de croissance plus fort au troisième trimestre 2007 alors même que les créations d'emplois dans le secteur marchand ont atteint, sur la même période, leur niveau le plus bas de l'année, de nombreux économistes, vous le savez bien, disent clairement que votre budget s'appuie sur des prévisions non fondées.
Le budget que vous nous présentez s'inscrit dans la continuité des politiques publiques qui ont été menées depuis 2002 et que vous aggravez. C'est peut-être cela que le Président de la République a voulu qualifier de « rupture », mais alors une rupture ne visant qu'à creuser encore plus profondément le sillon déjà tracé, qui devient ornière et même fossé, séparant toujours plus les choix budgétaires et fiscaux affichés de la satisfaction des besoins collectifs et de la réduction des inégalités.
Vous l'avez donc bien compris, mes chers collègues, nous n'approuvons pas le projet de budget tel qu'il nous est présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Henri de Raincourt. C'est rassurant !
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d'abord remercier M. Philippe Marini de son excellent rapport, qui m'a éclairé sur un domaine que je n'aborde pas souvent, ...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il était en effet très éclairant !
M. Georges Othily. ...me permettant ainsi de mieux comprendre la situation de l'économie et des finances de notre nation.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je vous remercie.
M. Georges Othily. Il a parlé de défi. Permettez-moi à mon tour de dire que le maintien et le développement de notre économie pour l'avenir dépendra de la réponse apportée aux défis que sont le développement des biotechnologies et la problématique de la santé publique, la maîtrise du réchauffement climatique et la protection de l'environnement, l'accès aux ressources énergétiques et l'accès aux ressources alimentaires, qui peuvent plus directement être à l'origine de graves menaces pour la paix.
La mondialisation est le phénomène majeur des années présentes et à venir : les 192 États membres de l'ONU s'interconnectent tant dans l'économie que dans l'information, les frontières étant repoussées aux limites des rivages.
La mer, voie de communication, est l'un des deux derniers espaces de liberté. L'explosion des échanges et leur libération s'appuient sur deux « milieux supports » : l'espace et les océans. Ces derniers bénéficient d'un régime de liberté qui disparaît sur la terre ferme, cloisonnée de frontières. S'ils supportent tous les deux les flux d'informations, seuls les espaces maritimes supportent la majeure partie des échanges de biens matériels. La maîtrise de ces deux milieux constitue un véritable enjeu de puissance.
Avec l'industrialisation, l'accès aux ressources énergétiques et aux matières premières est vital. À côté des champs de pétrole du Moyen-Orient et du Caucase, l'Afrique acquiert une position centrale du fait de la révolution technique de l'off shore et suscite un intérêt accru des puissances, dont la Chine. La puissance économique de l'Union européenne reste donc très dépendante des importations, en particulier d'énergie. Nos économies fonctionnent en flux tendus entre producteurs et consommateurs, ce qui les rend vulnérables en cas de rupture de ces flux : 90 % des marchandises que nous consommons sont acheminées par la mer. Le volume des biens transportés sur les océans a quadruplé en quarante ans.
S'agissant de l'énergie, le transport maritime de pétrole augmente de 2 à 3 % par an. Celui du gaz naturel liquéfié de 5 à 7 % : le volume de gaz transporté par mer aura plus que doublé entre 2000 et 2020. Cet exemple est transposable à la plupart des biens de consommation : les différences de niveau de vie poussent à dissocier les lieux de production et de consommation.
La « maritimisation » des échanges commerciaux est une conséquence inéluctable de la mondialisation de l'économie.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Georges Othily. L'existence de ces flux de circulation maritime en pleine croissance passant à proximité de nos rivages pourrait d'ailleurs offrir à notre pays de nouvelles occasions de développement et d'aménagement de son territoire de portée stratégique.
Les ports du nord de l'Europe sont saturés : n'est-ce pas le moment de réfléchir à la création sur notre côte atlantique d'un grand terminal de taille continentale, relié à nos voisins européens par chemin de fer rapide et voie fluviale ? La réforme portuaire tant attendue est aujourd'hui vitale : pouvez-vous, monsieur le ministre, nous assurer sur ce point de la détermination indéfectible du Gouvernement ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très important !
M. Georges Othily. La mer est aussi source de richesse. Notre pays n'en est pas conscient mais, avec ses communautés d'outre-mer, il dispose du deuxième espace maritime au monde, une zone économique exclusive de plus de onze millions de kilomètres carrés. La France y exerce des responsabilités particulières et bénéficie de droits sur l'exploitation des ressources des océans : ressources de la pêche et de la biodiversité ou richesses minérales déposées sur les fonds marins, un capital inestimable pour l'avenir... Par ailleurs, nos compagnies pétrolières exploitent sous licence les gisements de pétrole ou de gaz off shore de pays qui n'ont pas les capacités d'en assurer l'exploitation.
Notre prospérité dépend donc de la sécurisation des flux maritimes de marchandises, de l'accès aux ressources stratégiques ainsi que de notre capacité d'influence. Or cette sécurisation n'est pas assurée dans un monde de plus en plus instable. D'où viennent les marchandises aujourd'hui ? Elles sont fabriquées en Asie, l'usine du monde, puis chargées dans des milliers de conteneurs qui transitent par des grands ports, thalassocraties des temps modernes.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Georges Othily. À bord de nouveaux titans des mers pouvant transporter plus de 15 000 conteneurs, ces biens de consommation, essentiels pour l'équilibre de notre économie, bravent de nombreux dangers : les détroits indonésiens fréquentés par des pirates, celui de Bab el-Mandeb où les terroristes sévissent autour des îles Hanish, convoitées par les pays riverains, les canaux de Suez et de Panama, gérés par des pays soucieux de leur souveraineté et de leur produit intérieur brut, avant de se présenter devant le Pas-de-Calais où l'intensité du trafic augmente les risques de catastrophes maritimes.
Quant aux pétroliers et aux méthaniers, avant d'emprunter cette route, ils ont également bravé les eaux dangereuses du détroit d'Ormuz : les détroits voient passer 62 % du trafic pétrolier. Chacune de ces menaces représente un risque important pour notre économie. Alors que le prix du pétrole ne cesse d'augmenter à chaque fois qu'une rumeur, une analyse défavorable ou un début de menace de pénurie se précise, nous ne pouvons ignorer cette réalité.
Des flux ininterrompus de navires marchands franchissent le détroit du Pas-de-Calais pour décharger leurs marchandises dans les ports européens, belges et néerlandais pour les plus importants. Ces flux abritent des trafics comme celui des stupéfiants ou encore celui de l'immigration clandestine. Le trafic permet tous les trafics !
Ces flux croissants augmentent aussi les risques d'accidents et de pollution. La lutte pour la protection de l'environnement est devenue une priorité nationale et européenne autant qu'un enjeu mondial.
L'action de l'État dans ces différents domaines, dont certains revêtent une importance capitale ou peuvent nous apporter un véritable avantage stratégique et économique, suppose la volonté d'acquérir un degré suffisant de maîtrise des espaces maritimes utiles.
Cela passe par le maintien d'une activité de défense pour assurer la protection des citoyens et la préservation de la paix au-delà du continent européen : nous devons nous donner les moyens de respecter nos engagements internationaux.
Mais il s'agit, plus largement, de se doter des moyens suffisants pour remédier aux vulnérabilités de la France et de l'Europe.
Les préoccupations sécuritaires de nos concitoyens sont devenues une priorité. Elles concernent leur bien-être, notion qui recouvre leurs modes de vie et de consommation, le développement de leurs activités économiques, industrielles voire culturelles, autant que leur sécurité physique. Considérée en termes de moyens et d'étendue des zones à contrôler, la maîtrise des mers n'est pas réellement à la portée d'un pays isolé mais doit se concevoir au sein de groupes de pays et dans des coalitions, auxquelles la France peut apporter son savoir-faire.
Indépendamment des moyens qui doivent lui être consacrés, une meilleure maîtrise de l'espace maritime exige avant tout de répondre à la contradiction entre deux problématiques : d'une part, le principe de liberté des mers, qui nécessite une sécurisation accrue du transport maritime dans tous ses aspects, et, d'autre part, les difficultés d'organisation au sein de l'espace européen. Le développement de la sécurité maritime s'élabore dans un paysage évolutif et mouvant.
Les marines militaires s'équipent, élargissent ou consolident le champ d'une capacité fondamentale de sécurité maritime. De leur côté, et loin de nos regards, les pays émergents renforcent leur puissance navale : la Chine et l'Inde se réarment.
Les États-Unis, première puissance navale mondiale, formulent leur stratégie maritime à partir de leur stratégie nationale de sécurité et ont développé un outil de défense d'un haut niveau technologique. Pour rester un partenaire apprécié et recherché, il faut veiller à ne pas être distancé et à conserver un niveau suffisant d'interopérabilité.
Çà et là apparaissent des initiatives diverses en matière de surveillance maritime, fondées sur des approches interministérielles et se traduisant par l'organisation de coopérations régionales et sous-régionales. Pour être réellement efficace, la sauvegarde nécessite des dispositifs régionaux de surveillance maritime et des capacités nationales d'intervention, ainsi qu'un organisme pour coordonner leur action. Plutôt que de mobiliser d'importants effectifs de forces de police sur la totalité des territoires, peut-être faut-il aussi chercher à endiguer les trafics au plus près de leur source en utilisant des moyens hauturiers. Il vaut mieux, en effet, intercepter une grosse cargaison en haute mer plutôt que de courir après les millions de doses individuelles disséminées sur le territoire après la livraison.
La protection des voies de communication au large de nos côtes contre les trafics et les catastrophes fait partie des préoccupations européennes. Dans cette perspective, il faut se féliciter de la réflexion conduite par l'Union européenne sur une politique maritime intégrée. Le Livre vert sur lequel la Commission européenne s'est appuyée vise à mieux intégrer la dynamique économique à une problématique environnementale et a pour objectif de stimuler la croissance et la création d'emplois.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la mondialisation renforce l'importance stratégique des espaces maritimes. Les grandes puissances ont bien réalisé l'importance de ces derniers espaces de liberté et développent des capacités navales en conséquence. La mondialisation redistribue dans le même temps les cartes de la puissance ; l'hégémonie américaine cède la place au multilatéralisme et les États-Unis, tout en restant la superpuissance, perdent de leur pouvoir d'attractivité stratégique. Le coeur économique du monde s'est déplacé vers l'Asie où sont désormais situés les quatre premiers ports mondiaux.
De nouvelles puissances émergent, telles que le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, les BRIC, qui s'affirment comme les pôles d'activité de demain, s'appuyant sur leur démographie et leur dynamisme économique. Ces pays se tournent eux aussi vers une stratégie du large. Le cas emblématique est celui de la Chine, pour laquelle la libre circulation maritime est une condition de survie.
La Chine comme l'Inde se dotent des attributs de la puissance, en particulier de la puissance navale. La Russie, revigorée par ses revenus du gaz et du pétrole et par la restauration de l'État, entend peser à nouveau sur les affaires du monde. Enfin, l'Amérique du Sud, tirée par le Brésil, dispose d'un potentiel réel. Pour subsister, l'Union européenne doit clarifier ses ambitions de puissance. À ce titre, la montée du multilatéralisme, la rivalité asiatique et les tensions au Moyen-Orient imposent de renforcer l'alliance d'intérêts entre l'Europe et les États-Unis, tout en repensant nos relations avec la Russie.
Je souhaite que notre pays soit un acteur, et non un spectateur, des grandes évolutions de notre monde. Pour l'heure, la France, tant que la politique maritime et portuaire européenne appelée de ses voeux n'aura pas été définie et mise en place, doit encore agir pour son propre compte si elle veut conserver son influence sur la scène internationale. La mondialisation nous force à dépasser le pré carré national, à regarder loin au-delà des frontières européennes et, surtout, à anticiper pour ne pas assister impuissants à la conquête d'avantages stratégiques par d'autres pays.
Monsieur le ministre, l'avenir économique de la France est évidemment maritime. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Face à la perception du rôle croissant des océans dans toutes ces évolutions qui se dessinent, quelle vision avez-vous de l'importance des enjeux maritimes pour notre pays ?
M. Josselin de Rohan. Que d'eau, que d'eau... (Sourires.)
M. Georges Othily. Le Gouvernement entend-il mener une politique maritime ambitieuse permettant à la France d'obtenir une part des gains stratégiques à prendre dans ce grand mouvement de mondialisation ? Quelles orientations compte-t-il mettre en oeuvre dans ce combat ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)