PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien qu'il n'ait jamais compté autant de médecins, notre pays vit depuis plusieurs années une grave crise de démographie médicale qui se traduit d'ores et déjà par une forte accentuation des inégalités territoriales en matière d'offre de soins.
Ainsi, dans de nombreuses zones de notre territoire, des zones rurales en particulier, il n'est plus possible aux malades de consulter un médecin ni à un médecin de trouver un remplaçant. On peut parfois parler d'un quasi-désert médical.
Féminisation de la profession, modification des comportements professionnels et des aspirations personnelles des jeunes médecins, accroissement et évolution des besoins de soins : tout concourt au rejet de l'activité de la médecine en zone rurale. Et, malheureusement, ce phénomène devrait s'amplifier au cours des prochaines années !
Le problème auquel nous sommes confrontés réside moins dans le nombre de médecins que dans leur répartition sur le territoire. On ne pourra y remédier que par une approche globale liée au développement de l'attractivité des territoires et de l'amélioration des moyens de l'exercice de la médecine en milieu rural, aussi bien du point de vue technique qu'en termes matériels. Ce qui est ici en cause, c'est la qualité de la vie du futur médecin et, j'insiste sur ce point, de sa famille.
Lorsque les pouvoirs publics ont pris conscience de l'ampleur du problème, des dispositifs d'incitation - bourses, mécanismes d'incitation financière, exonérations fiscales, exemptions de charges sociales - ont été mis en place dans l'espoir d'amener les médecins à s'installer dans les zones sous-médicalisées :
Les collectivités territoriales se sont, elles aussi, saisies du dossier et s'efforcent, chacune à son niveau, de participer à l'incitation et à la définition de politiques innovantes.
À cet égard, madame la ministre, il ne faudrait pas que la participation active des collectivités devienne source de surenchères ou de conflits.
M. Bernard Murat. Actuellement, en Corrèze, dans des communes comme Beynat et Lubersac, des projets d'investissement immobiliers destinés à l'accueil de cabinets médicaux ou de maisons de santé peinent à voir le jour du fait de discordances politiques entre les collectivités, et ce au grand désarroi des médecins et au détriment des patients.
Dans la mesure où l'intervention des collectivités dans la gestion de l'offre de soins ne fera que croître à l'avenir, et eu égard au rôle majeur que peut jouer la présence d'une structure de soins en termes d'aménagement du territoire, il sera sans doute nécessaire d'envisager un meilleur ordonnancement et une structuration plus efficace des interventions. De ce point de vue, le schéma de cohérence territoriale, le SCOT, me paraît fournir un cadre bien adapté.
M. Paul Blanc. À condition qu'il y en ait un !
M. Bernard Murat. Pour l'heure, force est de constater que les dispositifs incitatifs n'ont pas produit les effets escomptés. Certes, nous n'avons encore que peu de recul, la plupart d'entre eux ayant été mis en place voilà à peine deux ans.
Parce qu'il s'agit d'un service public, au meilleur sens du terme, se pose la question de l'adoption de mesures plus contraignantes. Petit à petit, il faut le reconnaître, la possibilité d'un recours à des mécanismes plus coercitifs s'impose. Ainsi le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie estime, dans son rapport annuel pour 2007, qu'il est devenu nécessaire de dépasser la politique actuelle de « moindre contrainte », en particulier dans les tâches administratives. Le Gouvernement a envisagé cette possibilité. Quant aux élus ruraux, désemparés et inquiets face à la dégradation constante de la situation, ils pourraient être tentés de recourir à de tels mécanismes.
Beaucoup, se fondant sur les exemples étrangers - québécois ou allemand, notamment - font état du manque d'efficacité de mesures coercitives, qui pourraient même devenir contre-productives et avoir des effets opposés aux buts recherchés. D'aucuns affirment qu'il serait illusoire de penser trouver des solutions dans l'instauration de telles mesures. Les éléments dont je dispose sont insuffisants pour me permettre d'être aussi catégorique.
En tout état de cause, il est bien évident que nous allons devoir agir de manière plus énergique et trouver des mesures plus efficaces que celles que nous avons imaginées jusqu'à présent, car il n'est pas acceptable que nos concitoyens ne bénéficient pas d'un égal accès aux soins.
Puisque j'évoque les mesures coercitives, je tiens à souligner la grave dégradation de la permanence des gardes dans nos campagnes corréziennes depuis que ces dernières se font sur la base du volontariat. L'exemple est peut-être à méditer !
Je sais, madame la ministre, que vous avez pris la mesure du problème. Vous avez annoncé la tenue d'états généraux de l'organisation de la santé en janvier prochain. Je me réjouis que les maires y soient associés.
M. Bernard Murat. En effet, il ne faut pas que ces états généraux aient un caractère strictement corporatiste. Ils doivent donc être accessibles aux élus, qui pourront ainsi faire entendre la voix des populations, car ce sont elles qui sont directement concernées.
Ces états généraux devront notamment définir les moyens de mettre en oeuvre une véritable réforme des structures de l'organisation de l'offre de soins et de permettre l'égalité d'accès aux soins sur tous les territoires.
En amont de ces débats, permettez-moi, madame la ministre, de vous faire part de quelques réflexions.
En qualité de Corrézien, et élu d'un territoire rural, je suis convaincu que le facteur déterminant de l'installation en zone rurale est la bonne connaissance de ce milieu, pour y avoir vécu, soi-même ou son conjoint, pour en être originaire, pour y avoir effectué un stage ou y avoir exercé un temps.
Il convient donc, à mon sens, de mieux préparer les étudiants en médecine à une installation en zone rurale. On pourrait par exemple favoriser les stages ambulatoires des internes en médecine générale dans les maisons médicales installées dans les zones déficitaires, afin de leur permettre de connaître le monde rural et d'appréhender un mode d'exercice spécifique ignoré, donc non choisi.
Au-delà du praticien lui-même, il ne faudra pas oublier l'adaptation du conjoint - ou de la conjointe - à cette nouvelle vie, si différente de la vie citadine. Médecin des villes ou médecin des champs : c'est aussi un choix de vie pour la famille tout entière.
Il serait par ailleurs opportun d'apporter une aide financière, pendant leurs études, aux étudiants en médecine s'engageant à exercer en zone déficitaire. La loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux prévoit déjà des indemnités d'études et une aide au projet professionnel pour les internes s'engageant à exercer au moins cinq ans dans une zone déficitaire. Pourquoi ne pas élargir ce type de mesures aux étudiants en étant encore à un stade moins avancés de leur cursus, l'objectif étant de fidéliser les jeunes médecins dans les territoires ruraux, au moins pour quelques années ?
Cela permettrait aussi, alors que nous entrons dans une période où le numerus clausus va être relevé, d'offrir à toutes celles et à tous ceux qui sont intéressés par les études de médecine sans avoir forcément les moyens d'entreprendre de longues études la possibilité de s'y lancer.
Nous pourrions encore envisager de favoriser l'implantation d'antennes des facultés de médecine dans les zones déficitaires, sachant que les étudiants s'installent souvent sur le lieu de leurs études.
Quant à la création d'un diplôme intermédiaire entre celui d'infirmière et celui de médecin, elle risquerait d'être ressentie comme une discrimination par nos populations. Mais rien ne doit être rejeté a priori.
Pourrait également être encouragé le développement d'incitations financières pérennes s'accompagnant d'une aide à l'exercice : les jeunes médecins souhaitent pouvoir exercer plus collectivement et avoir accès au salariat. Je saluerai à cet égard les initiatives de notre excellent rapporteur visant à favoriser l'exercice regroupé des professionnels de santé. Toutes les mesures allant en ce sens méritent d'être soutenues.
Certains y voient même déjà une sorte de « remède miracle », et je voudrais les mettre en garde : l'aide apportée à l'exercice en cabinet de groupe ne doit pas faire oublier le médecin qui est seul à s'installer ni, j'y insiste de nouveau, l'accueil de sa famille par les élus et la population ; car il est des départements, comme la Corrèze, où certains territoires, certaines localités - j'en connais - ne peuvent accueillir qu'un seul médecin.
Quoi qu'il en soit, il faudra prioritairement instaurer une véritable politique d'information auprès des étudiants et des jeunes médecins pour que soient largement connues les mesures d'encouragement à l'installation dans les zones démédicalisées : plus tôt les étudiants seront sensibilisés, dans leur cursus de formation, aux problèmes de répartition de l'offre de soins sur le territoire et aux besoins de santé publique, plus ils se sentiront concernés et seront susceptibles de choisir ces zones déficitaires, où, j'insiste également sur ce point, les relations avec les populations peuvent leur apporter, plus rapidement que dans les villes, une dimension sociale et humaine capable de leur procurer cette satisfaction et cette reconnaissance très particulières qui sont bien au fondement de la vocation des jeunes pour la médecine.
Toutes ces questions, madame la ministre, seront débattues lors des états généraux. Vous avez déjà amorcé un dialogue nourri et constructif avec les étudiants et les internes, dont nous sommes un peu ce matin les porte-parole. Je sais qu'il se poursuivra, et je vous en remercie.
Parce que les étudiants sont les médecins de demain, je voudrais en conclusion donner lecture d'un passage du courrier que j'ai reçu récemment d'un médecin d'Ussel, en haute Corrèze, qui résume parfaitement le sens de mon intervention et de mon engagement dans ce débat.
« Installé depuis plus de dix-huit ans à Ussel, ce choix a été volontaire, correspondant au type d'exercice que je souhaitais réaliser. Cette lettre est pourtant l'expression d'un profond désarroi et, si aucune évolution positive n'intervient dans les prochains mois, je suis prêt à prendre des décisions concernant la suite de ma carrière, décisions qui n'auront pour but que de me protéger, ainsi que ma famille : je vous laisse en effet imaginer ce que représente une journée moyenne de 50 à 55 actes et de treize à quatorze heures. »
M. Bernard Murat. « Je souhaite donc des décisions rapides, décisions qui pourraient favoriser l'installation de nouveaux médecins dans notre belle région. »
Précisément parce que nous savons votre connaissance de ces dossiers, madame la ministre, parce que nous savons le nombre d'actes que vous êtes capable de réaliser et d'heures que vous pouvez passer derrière votre bureau, nous sommes certains que ce jeune médecin d'Ussel obtiendra une réponse qui lui donnera satisfaction. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures pour la suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, adopté par l'Assemblée nationale.
Nous terminerons notre débat sur la démographie médicale avant de passer à l'examen des articles de la troisième partie sur les recettes.
Par ailleurs, je vous rappelle que la cérémonie traditionnelle d'hommage aux sénateurs et fonctionnaires du Sénat morts pour la France a lieu aujourd'hui, à quinze heures quarante-cinq, en présence du président et des membres du bureau.
Afin d'assurer le bon déroulement de cette cérémonie, il est demandé à ceux qui souhaitent y participer de se trouver au plus tard à quinze heures quarante en haut de l'escalier d'honneur.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
4
rappel au rÈglement
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour un rappel au règlement.
Mme Annie David. Jamais, dans ces lieux, l'application de l'article 40 de la Constitution n'aura été aussi sévère, et je pèse mes mots. Peut-être devrais-je dire antidémocratique. Toutefois, je n'irai pas jusque-là, je me contenterai de regretter que la commission des finances, en jetant l'anathème sur les amendements du groupe communiste républicain et citoyen, mais aussi sur ceux du groupe socialiste - même la commission des affaires sociales est touchée -, prive la Haute Assemblée d'un réel débat sur le financement de notre régime de protection sociale.
Pour ce qui est du groupe communiste républicain et citoyen, il est curieux de constater que notre « ordonnance », nos amendements prévoyant de nouvelles ressources et une meilleure satisfaction des besoins seront écartés de la discussion. Sans doute est-ce l'expression d'une crainte du débat...
En clair, il serait possible de débattre de la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et après... plus rien ! Impossibilité de débattre de l'allongement du congé de maternité, de l'aide médicale d'État, du versement des allocations familiales dès le premier enfant, du financement des hôpitaux, impossibilité de débattre en profondeur de la branche accidents du travail-maladies professionnelles, impossibilité encore de débattre des questions liées à l'amiante, à la juste indemnisation des salariés victimes du travail qui, souvent pour des questions de rentabilité, tue.
Ainsi donc, vous refusez de créer de nouvelles recettes pour justifier la non-satisfaction des besoins et faire avancer à pas masqués votre dangereuse réforme de privatisation de la sécurité sociale.
La réduction draconienne du droit d'amendement imposée par la majorité sénatoriale empêche le débat. Peut-on considérer que les conditions du débat démocratique sont réunies lorsque toute proposition économique et sociale alternative est censurée ? La droite sénatoriale - commission des finances en tête - entend confiner le Parlement dans une mission de contrôle. M. Arthuis a d'ailleurs rappelé aux membres de la commission des finances que le Parlement n'avait pas à créer de nouvelles dépenses ou de nouvelles recettes et devait garder un rôle de contrôle, sous le prétexte que la qualité des amendements n'était pas à la hauteur de la tâche.
De fait, la mission législative, qui est la raison d'être du Parlement dans une conception démocratique des institutions, est réduite à son strict minimum. En empêchant le débat parlementaire d'avoir lieu, vous vous attaquez au coeur de la démocratie. De toute évidence, la nouvelle interprétation de l'article 40 pose la question clé de la nécessité même d'un parlement, d'un pouvoir législatif.
Je demande donc, au nom de mon groupe, une réunion urgente de la commission des finances pour réexaminer les conditions générales de recevabilité des amendements et revenir à la possibilité pour chaque sénateur de présenter ses propositions en séance publique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. François Autain. Excellente proposition !
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, madame David.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, nous avons nous-mêmes formulé un rappel au règlement hier ; je m'associe aujourd'hui à la demande qui vient d'être faite de réunir la commission des finances.
M. le président. Je voudrais simplement vous rappeler que, lors de sa réunion du 20 juin 2007, la conférence des présidents a décidé,...
M. Guy Fischer. C'est facile !
M. le président. ...« pour tenir compte de la nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel et des travaux collectifs menés par la commission des finances sur la mise en oeuvre de l'article 40 de la Constitution au Sénat, d'appliquer, à compter du 1er juillet, un dispositif de contrôle préalable de la recevabilité financière des amendements ». J'ai adressé à chacun d'entre vous une lettre à ce sujet. Par ailleurs, monsieur Bel, j'ai demandé à M. Arthuis d'adresser à tous les sénateurs ce vade-mecum de l'article 40. (M. le président montre le document.)
Vous avez la parole, monsieur Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, je confirme ce que vous venez de dire. Cependant, les documents qui nous ont été adressés contenaient des critères précis, qu'il conviendrait de respecter. Or, à notre sens, l'interprétation qui en est faite est abusive.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je voudrais aller dans le même sens que M. Bel, puisque je siège également au sein de la conférence des présidents.
Nous avons bien pris acte du fait qu'il fallait respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel, même si nous n'étions pas d'accord. Il n'empêche que l'on en fait une interprétation extensive. D'ailleurs, la commission des finances elle-même ne semble pas avoir toujours la même interprétation.
Si nous demandons une réunion de la commission des finances, c'est pour clarifier la situation. Car si on ne peut plus présenter d'amendements, le législateur n'a plus besoin de siéger !
M. le président. Mes chers collègues, je vous ai informé de la décision de la conférence des présidents. J'ai demandé qu'un vade-mecum soit envoyé à chacun d'entre vous, mais je ne suis pas chargé de veiller à l'application du texte.
Puisque cette application pose problème, je demande à M. Jégou, qui est membre de la commission des finances, de bien vouloir apporter quelques précisions à cet égard.
Vous avez la parole, mon cher collègue.
M. Jean-Jacques Jégou, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Le président de la commission des finances et le rapporteur général n'étant pas encore là, je ne voudrais pas m'élever au-dessus de ma condition de simple membre de cette commission. (Sourires.)
Je n'interviendrai pas sur les raisons politiques qui ont incité hier les membres du groupe socialiste et aujourd'hui les membres du groupe communiste républicain et citoyen, en y allant un peu fort, à dire qu'il n'y avait plus de démocratie.
Sachez simplement, mes chers collègues, qu'il y a un texte. En l'occurrence, la commission des finances n'a pas manqué à ses obligations en termes d'interprétation et de communication. Ainsi, tous les dépositaires d'un amendement retoqué ont reçu un courrier. (Signes de dénégation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. François Autain. Non, un coup de téléphone ! (M. le président de la commission des finances entre alors dans l'hémicycle.)
M. Jean-Jacques Jégou. Cela étant, maintenant que M. Arthuis est arrivé, je préfère lui laisser la parole.
M. le président. Monsieur Arthuis, il y a eu un rappel au règlement du groupe communiste républicain et citoyen, qui considère, comme le groupe socialiste, que l'application de l'article 40 est interprétée de manière trop restrictive. Peut-être pourriez-vous apporter un complément d'information et rappeler que vous avez fait distribuer, à ma demande, un vade-mecum à tous les sénateurs.
Vous avez la parole, monsieur le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Merci de me permettre de dissiper un éventuel malentendu, monsieur le président.
Souvenez-vous, mes chers collègues, il y a un an, le Parlement adoptait le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Quelques semaines plus tard, le Conseil constitutionnel censurait certaines de ses dispositions en faisant explicitement reproche au Sénat de n'avoir pas appliqué l'article 40 et en le sommant de le respecter, faute de quoi il le ferait à sa place.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On le sait !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je le souligne, cet exercice n'est pas gratifiant pour ceux qui en assument la responsabilité.
Il est arrivé à chacun d'entre nous de défendre avec enthousiasme un amendement, de susciter l'adhésion d'un nombre croissant de nos collègues, puis, après une demi-heure de débat, pensant emporter la décision, d'entendre le gouvernement invoquer l'article 40. Et là, tout s'arrêtait !
M. Guy Fischer. Vous faisiez le coup à chaque fois !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le représentant de la commission des finances était alors chargé de dire si l'article 40 s'appliquait ou non. Sa réponse affirmative faisait naître une sorte d'incompréhension, quelquefois de la colère, qui se prolongeait dans les couloirs du Sénat au sortir de l'hémicycle. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez une façon de raconter les choses...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il est également arrivé qu'un ministre ayant perdu un arbitrage interministériel suscite un amendement défendu par l'un d'entre nous et contre lequel il se gardait bien d'invoquer l'article 40. Une fois la disposition votée, l'opinion publique était immédiatement informée de cette bonne nouvelle. Mais la censure du Conseil constitutionnel était vécue sinon comme un désastre, du moins comme un désaveu constitutionnel.
C'est pourquoi nous avons décidé, sous votre autorité, monsieur le président, et avec l'accord de tous les groupes du Sénat,...
M. Guy Fischer. Non !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ...d'appliquer l'article 40.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous réécrivez l'histoire !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Compte tenu de ces circonstances, j'ai signé ce matin plusieurs lettres indiquant que certains amendements n'étaient pas recevables. Mme David ou M. Godefroy, par exemple, vont en recevoir quelques exemplaires.
Je le rappelle, toute augmentation de la charge publique n'est pas gageable. Les nombreux amendements visant à augmenter la dépense en augmentant à due concurrence tel ou tel impôt sont donc irrecevables. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. François Autain. Pourquoi ? Certains amendements ont pourtant été acceptés !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le législateur n'a donc plus aucun pouvoir !
M. le président. Monsieur le président de la commission, veuillez conclure.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir permis de faire appel à la compréhension de nos collègues. Respecter la Constitution, ce n'est pas bafouer la démocratie ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Pour la petite histoire, je rappelle que le Sénat a modifié l'application de l'article 40 sur l'initiative d'Étienne Dailly.
M. Jean-Pierre Bel. Je demande la parole.
M. le président. Vous vous êtes déjà exprimé, monsieur Bel.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je regrette que le président de mon groupe ne puisse pas s'exprimer.
M. le président. Il ne s'agit pas d'un débat !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je voudrais faire observer au président de la commission des finances que son argumentaire pourrait s'appliquer à tous les textes que nous examinons ici. Mais quand il s'agit de textes financiers, ne pas pouvoir déposer d'amendements prévoyant des dépenses gagées sur des recettes nous prive de tout moyen d'action.
M. le président. On a compris votre propos, monsieur Godefroy !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je n'ai pas fini, monsieur le président.
M. le président. N'abusez pas de ma bonne volonté.
M. Jean-Pierre Godefroy. Quand la commission des affaires sociales se réunit, nous ne savons même pas pourquoi nos amendements ont été écartés.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Il suffit de connaître la Constitution !
M. Jean-Pierre Godefroy. À ma connaissance, la commission des finances ne statue pas. C'est un comité restreint qui donne un avis.
Ensuite, il est trop tard pour rebondir, car nous ne pouvons plus déposer d'amendement. Une telle situation n'est pas acceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Autain. Il y a deux poids deux mesures : des amendements sont acceptés alors qu'ils sont gagés sur des taxes additionnelles aux droits sur les tabacs !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est faux !
M. François Autain. Et cet amendement ? (L'orateur brandit un amendement.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je voudrais vous faire part de quelques réflexions.
Tout d'abord, grande a été ma surprise de voir qu'un amendement de la commission des affaires sociales tombait sous le coup de l'article 40 alors qu'un amendement identique du groupe CRC n'était pas écarté. (Rires et exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Ensuite, j'ai trouvé excessive l'interprétation qui a été faite d'un amendement que j'avais déposé à titre personnel. Je m'en suis expliqué avec le président de la commission des finances, et je pensais que le problème était réglé. Finalement, cet amendement a été invalidé alors qu'il ne créait pas de dépenses nouvelles : il modifiait l'imputation d'une dépense existante entre la maison du handicap et l'assurance maladie. Je ne comprends donc pas la décision qui a été prise.
Enfin, j'observe qu'au moment où vous apprenez que votre amendement a été refusé au titre de l'article 40, il est trop tard pour le rectifier, car le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Mme Annie David et M. Jean-Pierre Godefroy. Exactement !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a là une véritable entrave au travail parlementaire. (M. Bernard Frimat opine.)
M. François Autain. Eh oui !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cette situation est d'autant moins acceptable que le Conseil constitutionnel n'a jamais annulé un article de loi au motif qu'il aurait résulté d'un amendement déposé en contradiction avec l'article 40 de la Constitution.
Je comprends le processus qui a été engagé, et je l'admets tout à fait. Néanmoins, il faut que les parlementaires puissent déposer des amendements rectifiés, sinon on porte atteinte aux droits du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
5
Financement de la sÉcuritÉ sociale pour 2008
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, adopté par l'Assemblée nationale.
débat sur la démographie médicale (suite)
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre séance de ce jour débute par un débat thématique sur la démographie. Je m'en réjouis, car c'est un sujet sensible, préoccupant, sur lequel je n'ai eu de cesse, depuis que je siège dans cet hémicycle, de tirer la sonnette d'alarme.
L'an dernier, à la même époque, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, j'avais déposé des amendements afin d'améliorer la rémunération des médecins qui exercent en milieu rural ou dans les quartiers sensibles, et j'avais finalement obtenu partiellement gain de cause.
Les malades sont-ils égaux en matière de soins médicaux ? Le grand public se pose épisodiquement cette question dont nous débattons aujourd'hui. Pourtant, elle concerne au premier chef bon nombre de nos concitoyens !
Récemment, la réaction des internes en médecine a remis cette question sur la place publique, mais il est fort probable que, noyée dans le climat de mécontentement général, la vraie motivation des manifestations des médecins soit aujourd'hui oubliée.
Le mouvement des internes en médecine s'est soldé par une nouvelle rédaction des articles 32 et 33 du projet de loi, articles pâles et insipides, de portée très générale, pleins de bonnes intentions. En effet, suggérer des mesures incitatives dans un texte législatif n'est pas de nature à résoudre en profondeur un problème.
Pour ma part, tout en sachant que la démographie médicale est également défaillante dans des milieux urbains, je m'en tiendrai à évoquer le milieu rural.
Quelle est la situation et quel est le diagnostic ? Qui n'a pas été confronté à des délais d'attente très longs pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ? Nous verrons plus loin que l'accès au généraliste n'est pas non plus toujours facile selon le lieu de résidence.
La répartition de l'offre médicale dans notre pays connaît donc aujourd'hui de graves disparités.
Pour schématiser : premièrement, il y a trop de médecins dans le Sud et il n'y en a pas assez dans le Nord ; deuxièmement, à l'échelle du département, de vastes secteurs sont de véritables déserts médicaux ; troisièmement, à l'échelle des agglomérations, pour certains quartiers, le service des urgences est le seul lieu de soins.
Je ne reprendrai pas les chiffres de la densité médicale sur le territoire. Cependant, si on examine la carte de la démographie médicale en France, on pourrait en conclure que la situation de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur est bonne.
En effet, la région compte 194 médecins pour 100 000 habitants. Cependant, à y regarder de plus près, dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, qui cumule le double handicap de se situer en zone rurale et de montagne, cohabitent des secteurs avec une forte présence médicale, comme dans le val de Durance, et des secteurs où, sans un ressaisissement puissant et volontariste, se profilent de grandes difficultés.
Pour l'instant, dans mon département, certains cantons ne comptent aucun médecin. Plusieurs secteurs sont encore peu ou moyennement dotés. Mais pour combien de temps ?
En effet, aujourd'hui la vraie question est celle du remplacement des praticiens. Combien de médecins nous disent qu'ils ne trouvent pas de successeur au moment de leur départ à la retraite ? Ce problème concerne aussi bien les généralistes que les spécialistes dans les villes moyennes. Il y a peu de temps, avec amertume et tristesse, un spécialiste me disait : « Je vais fermer mon cabinet comme un commerçant qui a fait faillite ! »
Par voie de conséquence, ce non-remplacement met dans l'embarras les patients, qui ont bien du mal à trouver un médecin traitant.
Les mesures financières incitatives sont finalement nombreuses : exonérations fiscales, exonération de taxe professionnelle, exonération de charges patronales, primes à l'installation, majoration d'honoraires, aides des collectivités. Quoi qu'il en soit, il faut bien reconnaître que ces mesures n'ont pas répondu aux attentes. Il faut dire qu'elles sont encore mal connues et qu'elles mériteraient d'être mieux diffusées, expliquées et simplifiées sur le plan administratif.
J'évoquerai maintenant les causes de ce dysfonctionnement.
Des enquêtes ont été menées auprès des jeunes médecins afin de connaître les raisons de leur manque d'intérêt pour aller exercer dans des zones en difficultés, qu'elles soient rurales ou urbaines.
Ces raisons, d'une inégale pertinence, sont développées dans le rapport de notre collègue Jean-Marc Juilhard : crainte d'une disponibilité permanente et sans faille ; inadaptation au milieu, car le métier de médecin a évolué : les carrières sont plus courtes et ces professionnels ne souhaitent plus habiter sur le lieu de travail ; inadaptation à une vie personnelle, qui requiert une disponibilité familiale pour les week-end et pour les loisirs, des journées de travail moins longues, voire des temps partiels ; absence d'autres professions de soins et de plateau technique à proximité.
Pour ces futurs médecins, le milieu rural est souvent assimilé à une charge de travail importante et à la solitude. « J'ai peur d'être appelée à travailler seule », répondait une jeune interne lors d'une récente interview télévisée. Cette crainte de l'isolement professionnel et personnel n'est-elle pas l'illustration d'une carence de formation et d'information ?
J'en viens aux dangers de cette situation.
Premier danger, la pénurie de médecins peut remettre en cause la qualité des soins dispensés par des praticiens « surbookés ». En effet, un médecin pratique en moyenne quelque 5 000 actes par an. Or, dans les zones en difficultés, le chiffre s'élève à 7 500 !
Deuxième danger, l'absence de médecins engendrera inéluctablement des difficultés pour les hôpitaux ruraux, dont l'avenir est déjà compromis puisqu'on leur reproche une trop faible activité. Si ces hôpitaux ferment, la progression du « désert médical » s'accélérera.
De la même manière, il deviendra de plus en plus difficile de recruter des médecins pour le corps des sapeurs-pompiers volontaires.
Quels remèdes peut-on apporter afin d'améliorer cet état de fait ?
Il est indéniable que, partout où c'est possible, la médecine regroupée doit être accompagnée et favorisée. Le travail en équipe des maisons ou centres de santé offre aux praticiens un confort et une qualité de travail qui ne sont plus à démontrer.
Néanmoins, ne faut-il pas agir dès les études de médecine ? Pourquoi ne pas reconnaître une spécialité « médecine en milieu rural » ? Dotés de leur formation universitaire, les médecins ruraux n'exercent-ils pas, depuis toujours, la pédiatrie, la gériatrie, la microchirurgie ou les urgences ? Reconnaissons que la rémunération des médecins de campagne n'est pas à la mesure des missions exercées.
De même, on a pu constater que le lieu d'études et de stage des étudiants déterminait souvent leur lieu d'installation.
Les études de médecine se déroulent principalement dans les grandes villes universitaires. Pourquoi ne pas décentraliser une partie de la formation en zone rurale afin d'établir une première « accroche » avec la vie médicale des zones rurales ou sensibles ?
S'agissant des mesures incitatives, je soulignerai le rôle des collectivités territoriales, qui développent des politiques d'aides pour les études ou à l'installation.
Les aides offertes actuellement par l'assurance maladie et par les collectivités locales pour favoriser l'installation des médecins dans les zones sous-médicalisées sont utiles, mais insuffisantes, car elles ne sont pas toujours opérantes.
Lors de mes rencontres avec les maires, deux pistes m'ont été suggérées qui méritent d'être citées dans ce débat. Chacun en fera ce qu'il veut.
Tout d'abord, nous pourrions créer un corps de médecins civils qui, à l'image des médecins militaires, après une formation assortie d'un engagement décennal, seraient affectés dans les zones sous-médicalisées.