compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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nomination des membres de la délégation parlementaire au renseignement
M. le président. J'informe le Sénat que j'ai nommé MM. Jean-Patrick Courtois et Didier Boulaud pour siéger au sein de la délégation parlementaire au renseignement.
En conséquence, les sénateurs membres de la délégation parlementaire au renseignement sont :
- M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, membre de droit ;
- M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, membre de droit ;
- MM. Jean-Patrick Courtois et Didier Boulaud.
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Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi du 27 février 2007 relative aux règles d'urbanisme applicables dans le périmètre de l'opération d'intérêt national de la Défense et portant création d'un établissement public de gestion du quartier d'affaires de la Défense.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.
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retrait de l'ordre du jour d'une question orale
M. le président. J'informe le Sénat que la question n° 57 de M. Dominique Mortemousque est retirée de l'ordre du jour de la séance du mardi 6 novembre, à la demande de son auteur.
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Lutte contre la corruption
Adoption définitive d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la corruption (nos 28, 51).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui est de ceux qui font honneur à notre pays.
Il est de ceux qui permettent de transcender les querelles partisanes au nom des valeurs fondamentales de la démocratie.
Je me réjouis que l'Assemblée nationale l'ait adopté à l'unanimité en première lecture après en avoir fait un examen approfondi, exigeant et attentif.
M. le rapporteur, Hugues Portelli, a parfaitement cerné les enjeux de ce texte. Je salue ici la qualité de son travail.
Je sais, monsieur le rapporteur, que la lutte contre la corruption fait écho à d'autres travaux que vous avez menés dans cet hémicycle. Je pense, en particulier, aux avancées en termes de déontologie et d'éthique que vous avez soutenues lors de l'examen de la loi de modernisation de la fonction publique.
Je vous remercie d'avoir apporté toute votre expérience et votre rigueur au projet relatif à la lutte contre la corruption. La commission des lois a reconnu tout le mérite du rapport que vous présentez aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la corruption n'est pas un mal nécessaire. Elle n'est pas inévitable. Elle est un poison pour l'intérêt général. Elle est un mal insidieux qui sape notre économie et les fondements de l'esprit public.
La corruption nuit à la bonne gestion des affaires publiques. Elle freine le développement économique. Elle renchérit le coût des investissements. Elle utilise des procédés criminels. Plus fondamentalement, elle affecte durablement la confiance des citoyens dans leurs institutions.
Cependant, la corruption n'est pas une fatalité. Elle doit être combattue avec détermination. Cette lutte ne peut être efficace dans un cadre strictement national. C'est une évidence.
Dans une économie qui ne connaît plus de frontières, la lutte contre la corruption appelle une action concertée des États. Seul un engagement international fort permet d'imposer une compétition loyale et saine, une gestion publique impartiale et probe.
Le projet de loi qui vous est soumis achève d'adapter notre droit aux engagements européens et internationaux de la France.
Pour vous présenter l'économie générale de ce texte, il faut rappeler que ce dernier prolonge la loi du 30 juin 2000, qui transposait deux conventions de 1997 : l'une sur la corruption intracommunautaire, l'autre, de l'OCDE, sur la corruption dans les transactions internationales.
En transposant aujourd'hui deux conventions postérieures du Conseil de l'Europe et de l'ONU, nous sommes amenés à aller plus loin. Nous le faisons essentiellement sur trois points.
Premièrement, nous élargissons la répression du délit de corruption des agents publics étrangers et internationaux.
Deuxièmement, nous incriminerons désormais le trafic d'influence exercé envers les agents des organisations internationales.
Troisièmement, nous protégerons mieux la justice contre toute influence extérieure et rendrons plus efficace la lutte contre la corruption.
Ce projet de loi élargit donc le délit de corruption des agents publics étrangers et internationaux.
La Convention pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe nous amène à opérer cet élargissement de deux façons.
En premier lieu, nous avons l'obligation de ne pas limiter aux seules transactions commerciales la sanction de la corruption d'un agent public.
Aujourd'hui, hors de l'Union européenne, la loi française ne punit la corruption d'un agent étranger ou d'une organisation internationale que si cette corruption s'inscrit dans un cadre commercial.
Cette corruption est punissable s'il s'agit, par exemple, d'obtenir un marché. En revanche, elle n'est pas punissable s'il s'agit d'obtenir toute autre décision favorable d'une autorité publique - l'octroi d'un passeport ou d'un permis de construire, le vote d'un texte, un jugement favorable.
C'est ce dernier point que nous devons changer. Tout acte de corruption d'un agent public étranger ou international sera désormais punissable, quel que soit l'objectif visé.
En second lieu, tous les acteurs de la corruption relèveront des tribunaux français.
En l'état actuel de notre législation, seul le corrupteur peut être poursuivi. L'agent public étranger ou international corrompu, lui, échappe aux poursuites, car la corruption passive de cet agent n'est pas réprimée.
Il faut aller plus loin en prenant exemple sur nos partenaires internationaux. Trente-trois États du Conseil de l'Europe incrimineront la corruption passive d'agent public étranger. La France doit se doter des mêmes moyens d'action.
C'est aussi la garantie d'un jugement plus équitable puisque le corrupteur et le corrompu répondront de leurs actes dans un même procès.
Le projet de loi permettra également de punir le trafic d'influence exercé envers les agents des organisations internationales.
Le trafic d'influence consiste à rémunérer un intermédiaire pour qu'il abuse de son influence sur un décideur public afin de peser sur l'une de ses décisions.
Le droit français punit cette infraction afin de préserver la liberté, l'impartialité et la légalité des décisions que prennent les agents publics et les élus français.
Le projet de loi étend cette incrimination aux agents publics des organisations internationales, mais non aux agents publics étrangers.
Nous avons fait ce choix dans un souci de réciprocité, car nos partenaires se sont réservé la possibilité de ne pas poursuivre le trafic d'influence envers un agent public d'un autre pays. C'est le cas, entre autres, du Royaume-Uni, du Danemark, de la Finlande, de la Suède, des Pays-Bas, de la Suisse et, très probablement, de l'Allemagne lorsqu'elle ratifiera la convention.
En revanche, nous avons fait un choix différent pour les agents publics affectés dans des organisations internationales. Ainsi, nous punirons le trafic d'influence qui les vise en raison de leur situation très particulière.
S'il appartient, en effet, à chaque État de veiller comme il le souhaite à ce que ses agents n'agissent pas sous influence, il n'en va pas de même pour les agents des organisations internationales dont les décisions intéressent tous les États membres.
Les organisations internationales jouent un rôle majeur dans l'ordre public international, et leurs responsabilités vont croissant. Les États renoncent parfois à des prérogatives essentielles à leur profit. Parce que les enjeux de leur mission sont extrêmement importants, elles se doivent d'être au-dessus de tout soupçon.
Le processus normal de décision fixé par les États ne doit pas être faussé impunément. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi de réprimer le trafic d'influence exercé en direction des agents publics internationaux.
Le projet de loi permettra de mieux protéger la justice contre toute influence extérieure et de lutter plus efficacement contre la corruption.
Il permettra de sanctionner le trafic d'influence visant à obtenir une décision favorable d'un magistrat ou de tout autre collaborateur judiciaire français.
Ce texte doit mettre les juges, procureurs, greffiers, experts, conciliateurs, médiateurs et les arbitres de commerce à l'abri de toute influence dans les actes de leurs fonctions. C'est une exigence dans un État de droit.
Le projet de loi permet également de punir les actes d'intimidation ou de subornation destinés à peser sur le cours de la justice rendue dans un État étranger ou dans une enceinte internationale.
L'efficacité de la lutte contre la corruption passe également par les moyens de lutte dont on dispose.
Conformément aux dispositions de la convention de Mérida, des techniques spéciales d'enquête pourront désormais être employées dans la lutte contre la corruption et le trafic d'influence.
Le projet du Gouvernement prévoyait de permettre la surveillance des biens et des personnes, l'infiltration des réseaux de corruption, la sonorisation et la captation d'images dans les lieux privés. L'Assemblée nationale a ajouté la possibilité d'écoutes téléphoniques pendant l'enquête préliminaire et de mesures conservatoires sur les biens des personnes impliquées dans des affaires de corruption.
Ces moyens d'enquêtes sont parfaitement adaptés à ces affaires. Ils permettront d'obtenir plus efficacement des preuves. Ils éviteront que l'argent de la corruption ne se volatilise, en assurant les confiscations en cas de condamnation.
En contrepartie, les personnes mises en cause dans ces procédures bénéficieront d'un droit d'information sur les suites données aux enquêtes.
Enfin, le texte tend à mettre en place une protection des salariés qui dénoncent de bonne foi des faits de corruption. Ils seront désormais préservés de façon plus efficace et mieux adaptée contre toute forme de sanction ou de discrimination.
Cette disposition nouvelle permet de répondre à certaines des recommandations adressées à la France dans le cadre de l'OCDE et du Conseil de l'Europe. Nous satisferons ainsi pleinement aux exigences de la convention civile du Conseil de l'Europe contre la corruption. Cela s'inscrit parfaitement dans la volonté du Gouvernement de transposer dans notre droit nos engagements internationaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre rapporteur, suivi par la commission des lois, vous propose de voter ce projet de loi sans réserve, dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. Ce serait là un message fort en direction de la communauté internationale pour traduire toute la détermination de la France en cette matière.
Je sais que, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, nous pouvons nous retrouver autour d'un texte comme celui-ci, qui engage notre pays tout entier sur la scène internationale.
Il permettra à la France de se soumettre rapidement et dans les meilleures conditions à l'évaluation de sa législation par le groupe d'États contre la corruption, le GRECO, institué par le Conseil de l'Europe.
Plus encore, ce texte répond à des principes fondamentaux et à des exigences impérieuses auxquels tous les élus nationaux, j'en suis convaincue, sont sensibles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner en première lecture le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption, adopté par l'Assemblée nationale le 10 octobre dernier.
Ce texte tend à transcrire dans notre droit plusieurs engagements internationaux, en particulier trois textes élaborés sous l'égide du Conseil de l'Europe - une convention pénale sur la corruption du 27 janvier 1999 et son protocole additionnel signé le 15 mai 2003 et une convention civile sur la corruption du 4 novembre 1999 -, ainsi qu'une convention des Nations unies contre la corruption, adoptée le 31 octobre 2003.
Cette réforme s'inscrit dans la continuité, d'une part, de la loi du 30 juin 2000 modifiant le code pénal et le code de procédure pénale relative à la lutte contre la corruption qui a érigé en infraction pénale la corruption d'un agent public étranger ou international et, d'autre part, de la loi du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice qui a renforcé la répression de la corruption dans le secteur privé.
La corruption n'est pas un phénomène nouveau. Cette dégénérescence des moeurs publiques et privées touche toutes les formes d'institutions et de système économique avec une intensité variable selon les cultures et les époques.
La période actuelle est caractérisée par une recrudescence de ce phénomène. Selon la Banque mondiale, 1 000 milliards de dollars américains sont versés en pots-de-vin chaque année dans le monde. L'Union africaine considère que la corruption coûte aux économies du continent plus de 148 milliards de dollars américains par an, soit le quart du produit intérieur brut africain.
La corruption s'est aggravée ces dernières années sous l'effet de plusieurs facteurs, notamment l'accroissement des échanges internationaux, l'effondrement des régimes totalitaires et dictatoriaux et leur remplacement par des pouvoirs faibles et peu démocratiques où les systèmes mafieux ont pris une place déterminante, ainsi que la perte de repères éthiques dans de nombreuses entreprises.
La lutte contre la corruption appelle donc un renforcement des moyens préventifs et répressifs nationaux mais surtout la mise en place d'un système transnational, policier et judiciaire.
Sous l'impulsion de quelques États membres, dont la France, de nombreuses organisations internationales se sont impliquées depuis le milieu des années quatre-vingt-dix pour faire reculer ce phénomène, en particulier le Conseil de l'Europe depuis 1994, l'Union européenne depuis 1995, les Nations unies depuis 1996 et, enfin, l'OCDE depuis 1997.
Le présent projet de loi constitue un outil supplémentaire pour lutter contre la corruption en visant plus particulièrement les acteurs publics.
Je présenterai rapidement les principaux apports de ce texte, après avoir rappelé l'état du droit en vigueur en France.
Le code pénal élaboré en 1810 punissait déjà les faits de corruption, tout en en limitant la définition aux infractions commises « contre la chose publique ».
Le législateur a progressivement élargi le champ des actes et des personnes susceptibles d'être incriminés à ce titre, tandis que les acteurs chargés de réprimer ces délits se sont diversifiés et spécialisés.
La législation pénale française actuelle incrimine la corruption sous différentes formes.
Tout d'abord, la corruption proprement dite désigne une pratique illicite consistant à utiliser et à abuser d'une fonction - publique ou privée - à des fins privées en vue, par exemple, de s'enrichir personnellement. Le droit pénal français appréhende deux sortes de corruption : la corruption passive, qui est le fait de la personne corrompue - que celle-ci sollicite ou accepte l'avantage indu -, et la corruption active, qui est le fait du corrupteur - que celui-ci recherche ou accepte la corruption.
Par ailleurs, la législation française incrimine la corruption sous la forme du trafic d'influence dans le cas d'une relation triangulaire dans laquelle une personne dotée d'une influence réelle ou supposée sur certaines personnes échange cette influence contre un avantage fourni par un tiers qui souhaite profiter de ladite influence. Le droit pénal français distingue le trafic d'influence dans ses deux dimensions : active et passive.
Le droit français, complété depuis 2000 sous l'effet du droit international et du droit européen, distingue principalement trois situations : premièrement, la corruption et le trafic d'influence d'agents publics nationaux ; deuxièmement, la corruption d'agents publics étrangers ou internationaux, avec une grande sévérité pour les infractions survenues à l'intérieur de l'espace de l'Union européenne ; enfin, troisièmement, la corruption d'agents du secteur privé
Ces dernières années, la communauté internationale a pris de nouveaux engagements qui convergent dans la même direction : lutter plus efficacement contre la corruption internationale. Cette évolution impose aux législations nationales de prendre en compte les obligations nouvelles qui en résultent.
Comme je l'ai dit, le Conseil de l'Europe est le plus efficace dans ce domaine puisque c'est lui qui a élaboré le plus grand nombre de normes proposées à la transposition dans le droit national.
La première d'entre elles est la convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption qui a été signée à Strasbourg, le 27 janvier 1999, après plus de deux ans de négociations.
Cette convention invite les États parties à incriminer la corruption passive et active d'agents publics - y compris les personnes exerçant une fonction judiciaire - nationaux, étrangers ou exerçant dans une organisation internationale, de parlementaires nationaux, étrangers, de membres d'assemblées parlementaires internationales et de personnes du secteur privé.
Sont également visés par la convention le trafic d'influence, le blanchiment du produit des délits de la corruption et les infractions comptables liées à la corruption.
La République française a signé cette convention le 9 septembre 1999, puis a autorisé sa ratification en 2005. Elle attend l'adoption de la présente loi de transposition pour déposer ses instruments de ratification.
La France a formulé deux réserves, l'une tendant à ne pas incriminer le trafic d'influence d'agents publics étrangers ou de membres d'assemblées publiques étrangères et l'autre visant à n'établir sa compétence juridictionnelle territoriale qu'à certaines conditions lorsque les infractions ont été commises hors du territoire national.
Ainsi, la France entend limiter sa compétence aux seuls cas où l'auteur de l'infraction est l'un de ses ressortissants et à condition que les faits incriminés soient punis par la législation du pays où ils ont été commis.
En outre, la France se réserve le droit de ne pas se reconnaître compétente lorsque l'un de ses agents, l'un de ses parlementaires ou l'un de ses ressortissants exerçant par ailleurs une fonction publique dans une organisation internationale, une cour internationale ou une assemblée parlementaire internationale est mêlé à une infraction de trafic d'influence.
Quelles sont les modifications qui en résultent pour le droit français en vigueur ?
Au regard de notre droit, la convention pénale présente trois innovations : l'incrimination de tous les faits de corruption - y compris passifs - d'agents publics étrangers ou exerçant dans une organisation internationale, qu'ils relèvent ou non du cadre communautaire ; l'incrimination du trafic d'influence passif et actif des seuls agents appartenant à une organisation internationale publique compte tenu de la réserve annoncée par le gouvernement français ; enfin - et ce n'est pas le moindre apport -, l'extension des techniques d'investigation spéciales aux délits de corruption et de trafic d'influence d'agents publics nationaux ou internationaux.
Je passerai rapidement sur le protocole additionnel à la convention de 2003 qui étend la lutte contre la corruption aux faits de corruption concernant les arbitres étrangers.
La convention civile sur la corruption de 1999 invite les États parties à mettre en oeuvre des mesures permettant aux victimes de corruption d'obtenir la réparation des dommages subis.
Ce texte impose aux États d'adopter des dispositifs de protection des employés qui dénoncent, de bonne foi, des actes de corruption. Il invite en outre les États membres à définir des procédures efficaces pour l'établissement des comptes annuels des sociétés, afin, notamment, qu'ils retracent véritablement la situation financière.
Les Nations unies, quant à elles, se sont lancées par voie de résolution dans la prévention de la corruption dès 1996. La convention contre la criminalité transnationale organisée, dite convention de Palerme, adoptée en décembre 2000 et entrée en vigueur en septembre 2003, constitue le premier instrument de droit pénal destiné à lutter contre les phénomènes de criminalité organisée transnationaux, et donc contre la corruption.
Cette convention établit un cadre universel pour la mise en oeuvre d'une coopération policière et judiciaire internationale.
La France a proposé en avril 1999 un projet de texte tendant à incriminer spécifiquement la corruption, aboutissant ainsi à la convention dite de Mérida négociée de janvier 2002 à octobre 2003.
Cette convention comporte cinq volets principaux respectivement consacrés aux mesures préventives, aux incriminations, à la détection et à la répression de la corruption, à la coopération internationale, au recouvrement des avoirs et à l'assistance technique.
La Convention a été signée par 140 pays, et 103 l'ont ratifiée. La France a d'ailleurs été le premier État du G8 à signer ce texte, qui est entré en vigueur le 14 décembre 2005.
Le projet de loi que nous examinons et que l'Assemblée nationale a adopté traduit donc dans le droit national les dispositions de ces conventions.
Il opère différentes adaptations.
La répression de la corruption et du trafic d'influence d'agents publics est renforcée grâce à une incrimination plus large en matière de corruption d'agents publics étrangers ou internationaux.
La répression de la corruption d'agents publics étrangers ou de fonctionnaires internationaux, y compris le personnel judiciaire, sera aggravée.
Le champ d'application de la corruption passive d'agents publics étrangers sera élargi. Seront désormais visées toutes les personnes exerçant dans le secteur public d'un État étranger ou au sein d'une organisation internationale publique et tous les faits de corruption sans limitation.
Le champ d'application de la corruption active d'agents publics étrangers sera également étendu à tous les actes de corruption.
De nouvelles incriminations relatives au trafic d'influence passif et actif sont introduites par ce projet de loi.
Deux autres infractions sont introduites, l'une relative à la subornation de témoin et au faux témoignage dans le cadre d'une procédure étrangère, l'autre relative aux menaces et actes d'intimidation à l'encontre du personnel judiciaire ou d'un agent des services de détection et de répression d'un État étranger ou d'une cour internationale.
Par ailleurs, le texte tend à actualiser la définition de la corruption et du trafic d'influence d'agents publics nationaux. Le projet de loi apporte des modifications ponctuelles : il prévoit ainsi que l'avantage versé par la personne corruptrice peut bénéficier à quelqu'un d'autre qu'à la personne corrompue, en cas de corruption passive, de corruption active et de trafic d'influence. Sur la proposition de leur commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, les députés ont complété dans le même sens la définition de la corruption dans le secteur privé.
Le texte introduit également une incrimination spécifique de trafic d'influence du personnel judiciaire national et il précise que la corruption d'un arbitre national concerne une personne exerçant sa mission « sous l'empire du droit national », conformément aux stipulations du protocole additionnel de mai 2003.
En outre, les députés, toujours sur l'initiative de leur commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, ont inséré dans le projet de loi deux articles modifiant le code général des collectivités territoriales. Le premier coordonne les dispositions qui fixent le régime des interdictions de soumissionner à un contrat de partenariat privé avec une collectivité territoriale en cas de condamnation pour corruption. Le second répare une omission relative aux règles de transmission des comptes certifiés des sociétés d'économie mixte aux élus régionaux.
Le projet de loi conserve par ailleurs certaines règles de procédure pénale dérogatoires au droit commun. Le parquet disposera toujours du monopole de la mise en mouvement de l'action publique pour la corruption et le trafic d'influence d'agents publics étrangers ou internationaux ne relevant pas de l'Union européenne. Par ailleurs, la compétence universelle des juridictions françaises restera la règle pour les actes de corruption et de trafic d'influence d'agents publics relevant de l'Union européenne commis hors du territoire national.
En revanche, le projet de loi innove sur deux points.
D'une part, il simplifie les règles de saisine des juridictions compétentes pour toutes les infractions de corruption et de trafic d'influence d'agents publics étrangers ou internationaux puisque le tribunal de grande instance de Paris sera désormais seul compétent, concurremment avec la juridiction territorialement compétente, pour tous ces délits relatifs à la corruption et au trafic d'influence touchant au secteur public étranger ou international.
D'autre part, les techniques d'investigation spéciales pourront être utilisées pour mettre en évidence des actes de corruption et de trafic d'influence d'agents publics nationaux, étrangers ou internationaux.
Sur l'initiative de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a inséré dans le projet de loi un article 6 bis qui introduit dans le code du travail un mécanisme assurant la protection des salariés de bonne foi ayant révélé des faits de corruption dans l'exercice de leurs fonctions.
Enfin, toutes les conventions internationales doivent entrer en vigueur sur le territoire national rapidement après l'adoption du présent projet de loi de transposition. Il n'est donc pas prévu de dispositif particulier d'entrée en vigueur du présent texte.
En conclusion, la commission des lois du Sénat approuve l'esprit du projet de loi et se félicite de la transposition fidèle des textes internationaux qui inspirent cette réforme. Elle se réjouit en particulier que le point de vue du Gouvernement ait évolué dans un sens favorable à la répression des actes de délinquance financière internationale.
En revanche, on peut regretter que le texte n'ait pas étendu l'incrimination de trafic d'influence aux actes impliquant des agents publics étrangers, alors même que la France a contribué à l'intégration de cette infraction dans le champ de la convention pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe.
M. Robert Badinter. Très juste !
M. Hugues Portelli, rapporteur. Cela dit, le choix du Gouvernement est explicable, à défaut d'être toujours compréhensible, compte tenu des enjeux économiques qui s'y attachent et du fait que d'autres États européens de taille équivalente - je pense notamment à l'Allemagne et au Royaume-Uni - ignorent ce type de délit ou ont repris cette réserve lors de leur ratification.
Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, la commission des lois émet un avis favorable à l'adoption sans modification de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption que nous examinons aujourd'hui aurait dû recueillir l'unanimité tant ce sujet rencontre un consensus général.
Malheureusement, si je ne remets pas en cause l'objectif louable de punir plus sévèrement la corruption d'agents publics étrangers, je ne peux que regretter l'attitude du Gouvernement sur deux points : la réserve qu'il entend formuler concernant le trafic d'influence et son silence sur le contexte dans lequel le projet de loi est présenté.
L'objectif de ce projet de loi, je le disais, ne soulève pas d'objection de notre part : la corruption, que ce soit au niveau national ou international, doit être combattue et réprimée avec la même détermination.
Nous constatons d'ailleurs avec satisfaction que plus un seul membre de la majorité ni de la commission des lois ne trouve de justification économique à des pratiques moralement répréhensibles, telles que la corruption ou le trafic d'influence commis par des agents publics étrangers, comme cela aurait pu être le cas en 2000.
La France doit donc aujourd'hui modifier sa législation afin de se conformer à ses engagements internationaux résultant de la convention pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe en date du 27 janvier 1999 et de son protocole additionnel du 15 mai 2003 ainsi que de la convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003, dite « convention de Mérida ».
Le projet de loi apporte des modifications touchant tant au droit pénal qu'à la procédure pénale. Il prévoit d'incriminer plus sévèrement la corruption et le trafic d'influence d'agents publics.
Ainsi, il existera enfin un parallélisme entre le régime des infractions impliquant des agents publics nationaux et le régime des infractions de même nature impliquant des agents publics étrangers, sans distinguer si ces derniers exercent leurs fonctions au sein de l'Union européenne ou d'un État extérieur.
En matière de corruption, qu'elle soit active ou passive, le projet de loi couvre à la fois l'ensemble des faits et actes susceptibles de tomber sous le coup de cette incrimination et l'ensemble des agents publics, sans limitation à des secteurs particuliers.
L'incrimination de la subornation de témoin et du faux témoignage dans le cadre d'une procédure étrangère ainsi que des menaces et actes d'intimidation à l'encontre du personnel judiciaire, introduite par le texte, nous satisfait également.
Notre seule objection concerne le trafic d'influence. La France a en effet exprimé l'intention de formuler une réserve à la convention pénale sur la lutte contre la corruption de 1999 afin de ne pas incriminer le trafic d'influence d'agents publics étrangers ou de membres d'assemblées publiques étrangères.
Le projet de loi intègre donc cette réserve : de nouvelles incriminations relatives au trafic d'influence seront introduites dans le code pénal mais elles seront restreintes aux seuls agents appartenant à une organisation publique internationale. Cette position, en retrait par rapport à nos engagements internationaux, est d'autant plus regrettable que la lutte contre la corruption devient enfin une ambition partagée par un nombre croissant d'États.
Une telle réserve, surtout de la part de notre pays qui est à l'origine de la convention de Mérida et qui a été le premier pays du G8 à la signer, envoie un message très négatif à nos partenaires s'agissant de la lutte contre la corruption et laisse planer le doute sur nos pratiques à l'étranger, dans les pays où l'on continue à payer pots-de-vin et autres dessous-de-table.
À cet égard, Daniel Lebègue, président de la section française de Transparency International, a même jugé choquant que la France s'aligne sur les législations pénales les moins exigeantes en matière de lutte contre la corruption. Nous regrettons par conséquent que le projet de loi entérine ni plus ni moins la réserve formulée par la France.
Cette réserve n'est pas la seule cause de malaise s'agissant de ce texte. Si les dispositions présentées tendent, malgré tout, à renforcer la lutte contre la corruption et constituent, à n'en pas douter, une avancée, en revanche, les outils juridiques mis en place ne sont pas tout à fait adaptés.
Quel message le Gouvernement souhaite-t-il envoyer en présentant ce texte et en annonçant simultanément sa volonté de dépénaliser le droit des affaires ? (M. le président de la commission des lois s'exclame.)
Il est étrange de vouloir, d'un côté, durcir la répression en matière de corruption et, de l'autre, extraire du code pénal des délits comme l'abus de bien social, justement utilisé par les magistrats pour requalifier des faits de corruption, plus difficiles à cerner.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Personne n'a jamais dit ça !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Admettez que la situation peut susciter une certaine perplexité quant aux intentions réelles du Gouvernement !
De même, la question des moyens financiers et humains doit être abordée dans le cadre de la discussion de ce projet de loi. Elle a d'ailleurs été soulevée par Mme Isabelle Prévost-Desprez, vice-présidente à la 15e chambre du tribunal de grande instance de Nanterre, ainsi que par Mme Xavière Siméoni, vice-présidente chargée de l'instruction au pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris, que M. le rapporteur a entendue.
Au sein des juridictions économiques et financières spécialisées, les besoins se font sentir, en matière tant de formation des magistrats que d'effectifs des personnels auxiliaires et greffiers. Mais cette remarque vaut pour l'ensemble de notre justice ! Celle-ci souffre d'un manque éternel de crédits qui permettraient d'améliorer le travail des magistrats et de rendre la justice dans des conditions humainement acceptables.
Ce ne sont pas les 4,5 % d'augmentation du budget prévus pour 2008 qui vont nous rassurer !