M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise vise à abroger un certain nombre de lois et d'ordonnances qui ne manquaient pas d'une certaine saveur poétique, qu'il s'agisse de la vente par camions bazars, des tromperies sur l'origine des noix, des règles sur l'abattage des châtaigniers ou de la fraude sur le guignolet, sans compter les ordonnances autorisant l'émission de pièces de deux francs, un franc, cinquante centimes, etc. À vrai dire, tous ces textes au demeurant sympathiques avaient déjà cessé de produire leurs effets et encombraient les recueils de lois. Il n'est donc pas inutile de les abroger.
Mais, monsieur le secrétaire d'État, pour simplifier vraiment le droit, il faut employer des méthodes plus énergiques ! Il faudrait d'abord qu'il y ait moins de lois, vous l'avez dit vous-même. Nous venons de voter - ou de ne pas voter - la huitième loi sur l'immigration en quelques années, soit au moins une par an sur ce sujet. Nous venons pareillement de voter - ou de ne pas voter - la septième loi sur la récidive en quelques années.
En peu de temps, nous avons connu d'innombrables modifications du code pénal.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et surtout du code de procédure pénale !
M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi, aux audiences solennelles de rentrée des cours d'appel, nous avons droit rituellement aux demandes des magistrats de faire cesser l'inflation législative ; un premier texte est à peine publié qu'un deuxième le modifie et qu'un troisième se profile !
Tout cela relève de la responsabilité du législateur et du Gouvernement. Ne serait-il pas souhaitable, monsieur le secrétaire d'État, de ne plus utiliser la loi comme réponse - parfois la seule - à des événements souvent douloureux qui frappent l'opinion ? Simplifie-t-on le droit lorsque la plus haute autorité de l'État annonce, du perron de l'Élysée, une nouvelle loi sur la récidive alors que la précédente vient d'être adoptée quelques semaines auparavant et que ses décrets d'application ne sont pas encore parus ? Si l'on veut simplifier le droit, il faut assurément rompre avec la pratique constante des lois d'affichage !
Il faut aussi réfléchir à la publication des décrets. Je ne sais pas si M. Balladur et le vaste aréopage qui l'entoure se seront penchés sur cette question. Tout gouvernement, quel qu'il soit, dispose du droit exorbitant de ne pas appliquer la loi votée par le Parlement : il lui suffit pour cela de ne pas publier les décrets d'application. Or, des centaines de décrets ne sont publiés que très longtemps après l'adoption des lois qui y renvoient ; il arrive même qu'ils ne soient jamais publiés.
Une mesure très simple - peut-être M. Balladur et ses collègues y auront-ils songé ? - consisterait à obliger le ministre compétent à venir s'expliquer devant le Parlement en séance publique si un décret d'application n'est pas paru dans les six mois suivant la promulgation de la loi. Ce serait intéressant ! Dans une telle hypothèse, on ferait peut-être moins de lois, mais en veillant à ce qu'elles soient mieux appliquées.
De la même manière, il serait judicieux de limiter très fortement le recours à la procédure d'urgence. Beaucoup de textes nous sont envoyés après déclaration d'urgence alors que, dans de nombreux cas, cela n'est pas justifié. La procédure d'urgence doit être inscrite dans la Constitution, mais elle est souvent dévoyée. On constate du moins à certaines périodes et sur certains sujets qu'il y a davantage de lois présentées selon la procédure d'urgence que de lois présentées selon la procédure normale de la navette.
Si le Gouvernement déclarait moins souvent l'urgence, nous travaillerions plus de temps sur moins de textes. Notre travail éminent, qui consiste, au cours de toutes les lectures prévues par la Constitution, à peaufiner le texte, à réfléchir aux conséquences pour toutes les citoyennes et tous les citoyens du moindre adjectif, du moindre adverbe - même si certains pourchassent les adverbes -, du moindre mot du texte, serait effectué de manière plus approfondie, dans de meilleures conditions et aboutirait à moins de lois mieux rédigées. Il reste donc beaucoup à faire pour la simplification du droit.
Permettez-moi d'ajouter un mot sur ce qui me paraît une fausse bonne idée : la réalisation d'une étude d'impact avant chaque débat législatif. À une réunion à laquelle il nous avait conviés, l'ancien vice-président du Conseil d'État nous avait présenté un rapport qui décrivait cette étude d'impact comme l'alpha et l'oméga de l'innovation législative. Je suis très réservé sur cette idée, car, immanquablement, l'étude d'impact ouvrira sur le débat politique, dont elle est indissociable.
Prenons les OGM, dont il est question aujourd'hui avec le « Grenelle de l'environnement ». On va nous dire qu'il faut une étude d'impact avant de légiférer. Mais qui réalisera cette étude ? Cela fera déjà l'objet d'un débat ! On pourra toujours prétendre que l'étude d'impact est orientée par tel ou tel présupposé politique. Nous n'avons pas peur du débat politique : c'est notre vocation, elle est tout à fait digne !
En fait, soit le Gouvernement commande l'étude d'impact et on prétendra qu'elle est influencée par les objectifs du Gouvernement, soit l'étude d'impact est confiée à une nouvelle autorité indépendante...
M. Bernard Saugey, rapporteur. Une de plus !
M. Jean-Pierre Sueur. ... et nous succomberons plus encore sous le poids et le nombre des autorités indépendantes - en général, on les baptise « haute autorité » pour impressionner davantage !
En réalité, il est nécessaire que le Gouvernement comme le Parlement disposent de tous les moyens de l'expertise. Voilà ce qui importe, plutôt que d'imaginer une vérité objective sur l'impact de la loi qui s'imposerait de manière apolitique préalablement au débat.
J'en termine avec ces considérations de caractère général pour aborder deux aspects particuliers de ce texte.
Sur la question du droit funéraire, mes collègues ont déjà beaucoup parlé. À la demande de la commission des lois et de son président, M. Hyest, j'ai mené, avec M. Jean-René Lecerf, une réflexion qui s'est déroulée dans un climat très positif.
Nous avons rencontré de nombreux acteurs de ce domaine et nous avons beaucoup travaillé ensemble. Cela s'est traduit par l'élaboration d'une proposition de loi qui a été adoptée à l'unanimité par le Sénat. Or il est tout de même préoccupant, monsieur le secrétaire d'État, qu'il soit aussi difficile de parvenir à ce qu'un texte adopté à l'unanimité par le Sénat et portant sur un sujet dont nul ne peut ignorer qu'il concerne tout le monde - je n'ai pas encore rencontré une personne ou une famille qui ne soit pas touchée par ce problème, hélas ! car telle est notre condition - soit débattu à l'Assemblée nationale.
C'est pourquoi nous avons déposé des amendements à la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui. Leur adoption aurait pour effet de conduire l'Assemblée nationale à discuter de l'ensemble des dispositions que le Sénat avait adoptées. Il faut dire qu'elle avait eu la bonne idée de reprendre deux de celles-ci, sans toutefois en mentionner l'origine, ce qui eût été pourtant logique. Cela étant, nous n'avons aucune susceptibilité, vous le savez, et nous ne voyons que le bien public dans cette affaire !
Je dois rappeler à cet instant, et nous aurons l'occasion d'en reparler, que tant M. Hortefeux que M. Cucq s'étaient engagés, en séance publique, à ce que la proposition de loi d'initiative sénatoriale soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Cependant, comme souvent, ces promesses n'ont engagé que ceux qui ont bien voulu les croire !
J'espère donc qu'un véritable débat s'instaurera à l'Assemblée nationale sur ce texte avant qu'il ne revienne devant le Sénat, car c'est là une question importante.
En tout état de cause, que de difficultés, monsieur le secrétaire d'État, pour parvenir à ce qu'un texte concernant tout le monde et voté à l'unanimité par le Sénat vienne en discussion à l'Assemblée nationale ! En revanche, quelle facilité ont eu certains députés à obtenir qu'une proposition de loi concernant, il me semble, le financement d'une formation politique soit inscrite très rapidement à l'ordre du jour de leur assemblée ! (Sourires.) Il est tout de même remarquable, monsieur le président, que le débat sur cette proposition de loi ait pu intervenir au milieu de l'examen du projet de budget, ce qui, à ma connaissance, n'a guère de précédent. Je suis parlementaire depuis quelque temps - depuis moins longtemps, certes, que certains d'entre vous, mes chers collègues -, mais je ne connais pas d'exemples d'une telle interruption subite du débat budgétaire pour faire place à l'examen d'une proposition de loi concernant spécifiquement une formation politique. Il y a donc là deux poids, deux mesures, et cela donne matière à réflexion au regard du présent débat.
Enfin, j'indiquerai en conclusion, monsieur le secrétaire d'État, que nous pourrions approuver l'essentiel des dispositions de ce texte. Cela étant, il est une mesure qui a fait débat à l'Assemblée nationale et qui nous préoccupe également : l'extension du recours à la visioconférence pour l'ensemble des procédures civiles et prud'homales.
Nous pensons que c'est là un sujet grave, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler lors de l'examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile. Nous considérons que, sur une telle question, qui peut amener un profond changement du fonctionnement de notre système juridictionnel, un débat spécifique serait souhaitable.
Il nous paraît dommageable de devoir traiter au débotté d'un problème aussi complexe et aussi lourd de conséquences. Cela a conduit nos collègues députés socialistes à s'abstenir sur la présente proposition de loi. Nous adopterons la même attitude, sauf à ce que, dans la sagesse que nous lui connaissons, la Haute Assemblée décide de s'opposer à la présence de ces dispositions au sein du texte. Dans ce cas, nous pourrions revoir notre position. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la complexité du droit français est régulièrement dénoncée. Le « stock » de textes en vigueur, dont le recensement s'avère extrêmement difficile, peut être estimé aujourd'hui à près de 8 000 lois et à quelque 140 000 décrets. Le principe selon lequel nul n'est censé ignorer la loi n'a jamais été aussi difficile d'application. Notre pays souffre d'un trop-plein de lois et de règlements.
Cette complexité est lourde de conséquences, soulignées de façon récurrente par le Conseil d'État. L'empilement des normes et leur insuffisante clarté altèrent le fonctionnement de notre économie, découragent les citoyens, qui perdent leurs repères, et désorientent l'autorité publique. L'accumulation des textes finit par brouiller la perception du politique et, en rendant le droit plus complexe, le fait plus incertain.
Toutefois, une certaine dose de complexité est inhérente à la nature même des matières sur lesquelles nous légiférons. Je pense à l'importance des normes européennes et internationales que nous devons transposer dans notre ordre juridique interne ou aux transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales.
La société au sein de laquelle nous évoluons est complexe, en constante mutation, ce qui appelle, de facto, l'élaboration de nouvelles normes. Les lois sont nécessaires, mais, conformément à une jurisprudence du Conseil constitutionnel, elles doivent être intelligibles et accessibles.
Portalis, sous le regard duquel j'ai l'impression de parler,...
M. Bernard Saugey, rapporteur. C'est bien le cas !
M. Jean-René Lecerf. ... estimait, tout comme Montesquieu : « Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ».
La loi doit être claire, intelligible, stable et cohérente. Trop difficile de compréhension, la règle est souvent mal appliquée, ou pas appliquée du tout. Le second risque inhérent à la complexité de notre droit est celui de la fragilité de la règle édictée.
Bien souvent, cette complexité pèse sur les plus faibles. Elle est également très coûteuse pour l'État, et il y a, à cet égard, une importante possibilité de gain de productivité.
Il nous faut donc réagir et poursuivre notre effort de simplification déjà engagé sous la précédente législature. Il faut inverser la tendance et mettre un terme à cette dérive.
Simplifier, c'est aussi réhabiliter la force de la règle de droit. La loi est l'expression du peuple souverain, qui la connaît non pas pour la subir, mais parce que, par la voix démocratique de ses représentants, il en est l'auteur.
Pourtant, la loi n'est plus une évidence à la portée de la compréhension : trop de lenteurs, trop de textes atteignent la force de la loi et finissent parfois par la tuer.
Plusieurs voies ont été ouvertes au cours de la précédente législature pour simplifier notre droit et donc contribuer à rétablir l'autorité de la loi.
Deux lois de simplification ont été adoptées, en 2003 et en 2004. Elles ont permis de simplifier de nombreux domaines du droit par la technique de l'habilitation du Gouvernement à prendre des mesures par voie d'ordonnances.
Certaines de ces ordonnances ont simplifié des procédures administratives, d'autres ont abrogé des dispositions devenues obsolètes, d'autres enfin ont permis l'entrée en vigueur ou la refonte de sept codes.
Par ailleurs, un troisième projet de loi de simplification du droit a été déposé au Sénat en 2006, mais n'a pu être inscrit à l'ordre du jour.
La proposition de loi de nos collègues députés relative à la simplification du droit s'inscrit dans cette volonté de réduire la complexité du droit français. Elle répond à une aspiration forte et partagée par tous : simplifier la vie quotidienne de nos concitoyens, alléger le carcan administratif et réglementaire qui pèse sur eux et libérer ainsi l'initiative individuelle et collective, freinée bien trop souvent par des procédures à la fois trop complexes et trop lourdes.
Cette proposition de loi témoigne de la volonté du Parlement de prendre ses responsabilités devant l'exigence de simplification du droit.
L'article 1er constitue une innovation importante, car il tend à obliger l'autorité administrative, sous peine de voir sa responsabilité engagée, à abroger les dispositions illégales et devenues sans objet.
Il s'agit là d'une véritable avancée, qui peut nous entraîner très loin si les citoyens et les juridictions administratives décident de s'emparer de la faculté qui leur est ainsi donnée de procéder eux-mêmes au toilettage des normes illégales ou désuètes.
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise comporte en outre des mesures phares qui intéressent directement nos concitoyens.
S'inspirant directement des propositions du Médiateur de la République, ce texte vise à simplifier les démarches administratives des particuliers, en ouvrant la possibilité, pour les concubins et les personnes liées par un pacte civil de solidarité, de représenter une partie devant les juridictions d'instance et de proximité, en prévoyant un allégement des formalités concernant les examens postnataux, en instaurant la suppression du certificat prénuptial ou encore celle du récépissé de déclaration fiscale en matière de succession.
Les simplifications concernent également les entreprises, avec la suppression d'un doublon dans la déclaration de la taxe d'apprentissage et celle de la déclaration de participation au financement de la formation professionnelle pour les entreprises de moins de dix salariés.
S'agissant des collectivités territoriales, le texte reprend les propositions émises par le préfet Michel Lafon dans son rapport remis en mars 2007.
Ainsi, il est prévu d'assouplir les conditions du recours à l'emprunt par les centres communaux d'action sociale, d'élargir et de préciser le champ des délégations à l'exécutif local en matière de marchés publics. En outre, il est proposé de supprimer la consultation du conseil général pour la création ou la dissolution des syndicats de communes.
Nos collègues députés ont décidé, par ailleurs, d'étendre le recours à la visioconférence à toutes les audiences civiles. Si ce dispositif a pu prêter à débat, il correspond bien, toutefois, à l'esprit du texte, puisqu'il constitue une mesure de simplification des règles de procédure. Ce dispositif moderne, déjà utilisé pour les procédures pénales, permettrait de faciliter l'accès à la justice, en simplifiant les démarches des justiciables, des auxiliaires de justice, des magistrats et des personnels des greffes.
Ce texte constitue également un signal fort dans la mesure où il prévoit l'abrogation de 126 lois obsolètes, devenues sans objet.
D'application directe, les mesures proposées vont dans le bon sens. La commission des lois du Sénat nous présentera, par la voix de son excellent rapporteur, Bernard Saugey, des amendements ayant pour objet d'enrichir le texte adopté par nos collègues députés.
Je me félicite notamment, même si ce n'est pas le cas de tout le monde, de la proposition faite par M. le rapporteur de rendre possible la saisine directe par les citoyens du Médiateur de la République. Le rôle du Médiateur au service de l'État de droit est unanimement reconnu. Cette avancée permettrait de répondre aux exigences de rapidité et de proximité que requiert le traitement de nombreux dossiers, et éviterait de fastidieuses, pour ne pas dire courtelinesques, régularisations a posteriori.
Nous faisons aujourd'hui oeuvre utile. Simplifier le droit est un acte essentiel et nécessaire. Il s'agit d'assurer aux citoyens une plus grande sécurité juridique. Il s'agit de garantir, au nom de l'économie, une plus grande souplesse. Il s'agit de rationaliser le travail de l'administration. Il s'agit, enfin, d'améliorer le fonctionnement de nos institutions.
Ce texte constitue une étape. Le mouvement ne doit pas s'arrêter là, il convient de poursuivre et d'amplifier cet effort de simplification. À cet égard, nous prenons acte et nous nous félicitons, monsieur le secrétaire d'État, de la discussion prochaine d'une grande loi visant à la simplification juridique que nous appelons de nos voeux.
J'évoquerai enfin le droit funéraire, pour dire que je fais miens les propos tenus par mon collègue Jean-Pierre Sueur. Nous espérons vivement, bien entendu, que la proposition de loi portant sur ce thème adoptée à l'unanimité par le Sénat sera bientôt inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Quant aux discussions sur la nature législative ou réglementaire de ce sujet, j'observerai que si le statut de la dépouille mortelle ou celui des cendres de la personne décédée, dans le cas d'une crémation, ne relève pas du pouvoir législatif, on peut alors se demander quel peut bien être le champ de compétence du Parlement !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-René Lecerf. Au vu de ces quelques observations, les membres du groupe de l'UMP soutiendront l'adoption de ce texte qui répond à une forte attente, à savoir la simplification de la vie de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en 1991 déjà, dans son rapport public, le Conseil d'État déplorait la logorrhée législative et réglementaire, ainsi que l'instabilité chronique et parfois sans cause des normes.
Nous sommes bien forcés de constater que ces critiques sont aujourd'hui plus que jamais d'actualité, pour ne pas dire très vivaces, et que les différentes réformes tentées n'ont rien changé. Ainsi, en 2000, ce sont plus de 8 000 lois et quelque 120 000 décrets qui ont été recensés dans les différents corpus législatifs.
L'inflation législative est un phénomène cumulatif qui est plutôt néfaste. Au fil du temps, les lois se superposent et se stratifient ; certaines, devenues totalement inutiles, subsistent.
Aussi, un dépoussiérage est sans doute le bienvenu, même si les lois les plus obsolètes sont aussi celles qui sont les moins invoquées et donc les moins gênantes.
En réalité, simplifier le droit est une opération bien plus complexe et profonde que la simple abrogation de lois devenues folkloriques. Notre corpus juridique a atteint au cours des dernières décennies un tel degré de complexité qu'il est devenu à bien des égards inaccessible.
Pourtant, les principes d'intelligibilité et d'accessibilité ont acquis une valeur constitutionnelle par une décision du Conseil constitutionnel de 1999. Dans son rapport annuel de 2006 sur la sécurité juridique et la complexité du droit, le Conseil d'État a souligné qu'une « fracture juridique » menaçait notre État de droit.
Malgré cela, ce phénomène d'inflation législative n'est pas prêt de se résorber puisque, en moyenne, ce sont près de 70 lois, 50 ordonnances et 1 500 décrets qui voient le jour chaque année.
Deux hypothèses sont avancées pour expliquer cette complexification à outrance du droit : d'une part, la multiplication des sources de droit, qui engendre des flux et des strates, et crée ainsi une grande confusion ; d'autre part, la complexité de la règle écrite à caractère général, qui peut favoriser l'instabilité de notre droit.
Les répercussions de cette inflation législative sont graves : la complexité juridique peut désorienter les citoyens dans leur vie quotidienne, affecter le fonctionnement des institutions et entraver les administrations dans l'exécution de la norme.
La simplification du droit est donc un enjeu majeur, complexe, qui nécessite de procéder à des réformes de fond.
Lors de sa désignation à la fonction de président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, notre collègue député M. Jean-Luc Warsmann a annoncé qu'il ouvrait « un grand chantier de simplification » et a proposé aux membres de cette commission d'y participer en prenant appui sur les propositions formulées par nos concitoyens sur le site Internet dédié à cette réforme. Face à de tels engagements, nous ne pouvons qu'être déçus du résultat.
Dans le premier article de ce texte, les auteurs de la proposition affirment leur détermination à travers la phrase suivante : « L'autorité administrative est tenue [...] d'abroger [...] tout règlement illégal. » Mais quelles seront les sanctions si cette autorité administrative ne procédait pas à l'abrogation ? Aucune précision n'est apportée. Dès lors, nous pouvons être certains que cet article ne restera qu'une bonne intention et qu'il n'aura aucune application concrète.
Les articles suivants balayent un ensemble de sujets sans rapport les uns avec les autres. Certains permettent quelques simplifications administratives tandis que d'autres, au contraire, rendent certaines procédures plus opaques. C'est le cas de l'article 3 : il supprime la sanction financière infligée aux familles qui ne procèdent pas aux examens de santé obligatoires pour leurs enfants, mais il ne propose rien de précis pour faire respecter cette obligation.
Le comble est atteint à l'article 11, qui instaure de nouvelles dispositions n'ayant aucun rapport avec la simplification de la loi. Cet article traite en effet de l'utilisation des nouvelles technologies dans les procès judiciaires, notamment par l'extension du recours à la visioconférence. L'organisation même de notre système judiciaire est ici remise en cause.
La complexité et la densité de notre corpus juridique nécessitent une réforme de très grande envergure ; une simple loi ne saurait suffire.
Simplifier le droit, c'est optimiser au maximum les conditions d'élaboration, de discussion et d'application de la loi.
Simplifier le droit, c'est permettre aux parlementaires de mener au mieux leur travail d'investigation, de réflexion et de proposition.
En réalité, c'est chaque année que nous devrions adopter une loi de simplification législative en y associant, après les modifications nécessaires, le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État, le Médiateur de la République et les citoyens eux-mêmes. Ces derniers attirent en effet souvent notre attention sur l'absurdité de telle ou telle disposition votée et sur des situations inextricables.
Le Parlement examine toujours plus de lois, dans des délais de plus en plus restreints - la déclaration d'urgence devient presque la norme -, au cours de débats toujours plus courts. On aboutit donc à une situation paradoxale : plus le Parlement examine de lois, plus il est dépossédé.
Aujourd'hui, nous examinons cette proposition de loi relative à la simplification du droit. Demain, nous examinerons un projet de loi sur les chiens dangereux et une proposition de loi relative à la sécurité des manèges. Comme le disait le constitutionnaliste Guy Carcassonne, « tout sujet du "vingt heures" est virtuellement une loi. »
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà ! Très juste !
Mme Josiane Mathon-Poinat. « Il faut mais il suffit qu'il soit suffisamment excitant, qu'il s'agisse d'exciter la compassion, la passion, ou l'indignation, pour qu'instantanément se mette à l'oeuvre un processus, tantôt dans les rangs gouvernementaux, tantôt dans les rangs parlementaires, qui va immanquablement aboutir au dépôt d'un projet ou d'une proposition. »
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Certes, il faut simplifier et rendre lisible. Mais il ne faut pas expurger au passage des mesures nécessaires, et, surtout, il ne faut pas introduire d'autres éléments qui ressemblent à s'y méprendre à des cavaliers législatifs.
Si les objectifs sont sincères, il serait vertueux de ne pas noyer ce texte entre deux lois dictées par les sondages d'opinion et les faits divers.
Au regard de ces éléments, les sénateurs du groupe CRC s'abstiendront donc. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Éric Besson, secrétaire d'État. Beaucoup de choses intéressantes ont été dites. J'aurai l'occasion d'apporter quelques précisions lors de la discussion des amendements.
M. Jean-Pierre Sueur. Quel sens de la litote !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
Obligation de prononcer l'abrogation des actes réglementaires illégaux ou sans objet
Article 1er
Après l'article 16 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, il est inséré un article 16-1 ainsi rédigé :
« Art. 16-1. - L'autorité administrative est tenue, d'office ou à la demande d'une personne intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal dont elle est l'auteur.
« Il en est de même lorsque le règlement, par l'effet de circonstances de droit ou de fait postérieures à sa publication, est devenu sans objet. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Saugey, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 16-1 dans la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations :
« Art. 16-1 - L'autorité administrative est tenue, d'office ou à la demande d'une personne intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
CHAPITRE IER
Dispositions de simplification relatives aux particuliers
Article 2
I. - L'article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Par dérogation au premier alinéa, les parties peuvent également se faire assister ou représenter :
« - devant le tribunal d'instance, la juridiction de proximité et le juge de l'exécution, sauf en matière de saisie immobilière, par leur concubin, par la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ou par les personnes attachées à leur service personnel ou à leur entreprise ;
« - en matière prud'homale et devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, par leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ;
« - devant le tribunal paritaire des baux ruraux, par leur concubin, par la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ou par un membre d'une organisation professionnelle agricole. »
II. - L'article 83 de la loi n° 90-85 du 23 janvier 1990 complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social est abrogé.
III. - Après le 1° de l'article L. 144-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ; ».
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Saugey, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit les I et II de cet article :
I. Par dérogation au premier alinéa de l'article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les parties peuvent se faire assister ou représenter, devant le tribunal d'instance, la juridiction de proximité ou en matière prud'homale, par leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité.
II. Dans l'article 83 de la loi n° 90-85 du 23 janvier 1990 complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social, après les mots : « tribunal paritaire des baux ruraux », sont insérés les mots : « par leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ou ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Cet amendement a pour objet de limiter le champ des nouvelles dérogations au monopole des avocats en matière d'assistance et de représentation en justice à la possibilité, pour une partie à un litige devant diverses juridictions, d'être assistée ou représentée par son concubin ou la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité. Les juridictions concernées sont le tribunal d'instance, le juge de l'exécution - sauf en matière de saisie immobilière -, la juridiction de proximité et le tribunal paritaire des baux ruraux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Éric Besson, secrétaire d'État. Comme vient de le souligner M. le rapporteur, l'amendement vise à clarifier la disposition insérée par amendement à l'Assemblée nationale en vue de conférer au concubin ou au partenaire d'un pacte civil de solidarité les mêmes droits que ceux qui sont accordés au conjoint en matière de représentation devant les juridictions civiles.
Sur le fond, le Gouvernement partage pleinement l'objectif de l'article 2, la difficulté tenant aux moyens d'y parvenir de la façon la plus adaptée possible. La rédaction proposée dans l'amendement y contribue grandement. C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable sur ce texte.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité des présents.
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Saugey, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur est modifiée comme suit :
1° Le deuxième alinéa de l'article 6 est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« La réclamation peut être adressée :
« - soit à un député, un sénateur ou un représentant au Parlement européen qui la transmet au Médiateur de la République si elle lui paraît entrer dans sa compétence et mériter son intervention ;
« - soit directement au Médiateur de la République.
2° Le deuxième alinéa de l'article 6-1 est ainsi rédigé :
« Ils peuvent recevoir les réclamations des personnes visées au premier alinéa de l'article 6 et leur apportent les informations et l'assistance nécessaires au traitement de ces réclamations ou à leur transmission au Médiateur de la République. »
3° Le dernier alinéa de l'article 6-1 est supprimé.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Cet amendement vise à élargir les modalités de la saisine du Médiateur de la République en ouvrant, parallèlement à la saisine parlementaire, une possibilité de saisine directe. Il vise également à ouvrir la possibilité de saisine directe des délégués du Médiateur par les citoyens. La commission des lois a émis un avis favorable, même si certains de ses membres ne sont pas très favorables à cette initiative.
Je croyais que le Médiateur de la République était à l'origine de cet amendement. Mais celui-ci m'a confirmé l'origine parlementaire de ce dernier. Je cherche toujours qui en est l'instigateur...
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Éric Besson, secrétaire d'État. Comme vient de le souligner M. le rapporteur, cet amendement met le droit en accord avec les faits puisque, comme nous le savons, 40 % des saisines du Médiateur de la République se font directement par le citoyen.
Cette pratique de saisine directe que l'on retrouve chez nombre de nos partenaires européens n'est qu'une voie supplémentaire, alternative à la saisine parlementaire. De nombreux parlementaires jouent un rôle important pour accompagner la démarche du citoyen en direction du Médiateur. C'est probablement à ces situations que M. le rapporteur vient de faire allusion.
Ce sujet touche principalement aux rôles respectifs des parlementaires et du Médiateur de la République. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement préfère s'en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.