M. Josselin de Rohan. Quelle description apocalyptique !
M. Louis Mermaz. J'ajouterai un mot touchant au chapitre II du projet de loi, c'est-à-dire aux dispositions relatives à l'asile. Je dirai à nouveau notre opposition à voir se tenir les audiences du tribunal administratif à l'intérieur des zones d'attente, le magistrat siégeant, lui, à son tribunal, relié à la salle d'audience, ainsi que l'avocat, par un moyen de communication audiovisuelle. Dans des domaines aussi douloureux que l'exercice du droit d'asile, rien ne peut remplacer l'échange direct entre deux personnes. Voilà encore une réforme qui tend à déshumaniser davantage la justice, comme cette loi sur la récidive instaurant des peines planchers et transformant le juge en automate distributeur de peines.
Nous sommes ainsi invités, mes chers collègues, à voter un projet de loi qui, en réalité, a pour objectif unique de tarir au maximum l'immigration de caractère familial. Les mécanismes que le Gouvernement veut mettre en place n'ont d'autre objet que de rendre plus compliqués encore les regroupements familiaux, sous des dehors contournés, alambiqués et, finalement, hypocrites. Prenons un exemple : vous proposez d'organiser des stages de formation linguistique et d'éveil aux valeurs républicaines, mais vous savez bien que ni le personnel, ni les professeurs, ni les financements ne seront au rendez-vous.
Alors, avec tout ce fatras législatif et réglementaire, vous porterez un nouveau coup au droit constitutionnel de vivre en famille.
Enfin, le chapitre sur le droit d'asile, tel qu'il a été bâti, malgré l'obligation de se plier au jugement de la Cour européenne des droits de l'homme, rendra son exercice encore plus aléatoire.
Autant de dispositions qui vont grossir l'immigration clandestine, avec le lot de souffrances qu'elle représente.
C'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi, révélateur de la création de cet étrange ministère dit « de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement » et, pourquoi pas maintenant, « de l'ADN ».
C'est pourquoi aussi, au-delà des clivages politiques, nous invitons nos collègues à refuser cette nouvelle atteinte aux droits de l'homme et aux intérêts de la France. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) .
M. le président. M. le ministre m'ayant fait savoir qu'il souhaitait une courte suspension de séance, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si l'article relatif aux hébergements d'urgence a été retiré au cours de la CMP sous la pression des associations, le texte qui nous est aujourd'hui présenté reste purement et simplement inacceptable.
Le maintien de la disposition relative aux tests ADN est bien évidemment emblématique d'une volonté de stigmatiser un peu plus encore tous ceux qui émigrent pour des raisons familiales. Pour autant, cette mesure ne doit pas occulter le reste du projet de loi.
Bien sûr, le Sénat a encadré par de nombreuses garanties le recours aux tests ADN à l'occasion du regroupement familial, et je tiens ici à saluer les efforts de la commission des lois du Sénat, de son rapporteur et de son président. Je remercie également mes collègues de la majorité, qui ont rejeté la version de l'Assemblée nationale.
Après la « racaille », le « nettoyage au Kärcher », le « mouton égorgé dans la baignoire », il restera le « marqueur ADN », disposition scandaleuse s'il en est puisque c'est bien pour faire scandale et flatter un certain électorat qu'elle a été proposée.
Mesure intolérable, d'abord, parce qu'elle viole les principes les plus fondamentaux de notre droit de la filiation. Au détour d'un amendement parlementaire que vous défendez, monsieur le ministre, avec acharnement, vous remettez à l'ordre du jour la loi du sang par le biais des chaînes de la biologie. Au moins sur ce point, vous nous proposez une véritable rupture : rupture avec l'universalisme républicain ; rupture aussi avec nos grandes traditions spirituelles et religieuses.
Non, la famille, pas plus que la société, ne peut se résumer aux liens du sang. Cette philosophie de l'attache biologique, de l'« entre-nous » rassurant, nous ramène bien des siècles en arrière, avant le jugement de Salomon, avant même la civilisation, comme le soulignait récemment l'évêque de Clermont. Il est rare que je cite un évêque, mais son observation m'a frappée.
Cette mesure est dangereuse, ensuite, parce qu'elle porte en germe la « génétisation » de la société française. La polémique actuelle semble porter sur une affaire ponctuelle, un amendement isolé. Il n'en est rien : elle s'inscrit dans une tendance inquiétante à expliquer les comportements humains par la génétique, ce que refusent évidemment tous les généticiens sérieux.
Ainsi, un précédent ministre de l'intérieur proposait il y a peu de dépister les comportements prédélinquants chez les enfants à partir de trois ans.
Plus tard, un candidat à l'élection présidentielle affirmait dans un entretien avec un philosophe connu que la pédophilie et le suicide sont inscrits dans les gènes. Aujourd'hui, c'est normal, nous avons les tests ADN. Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler le nom de ce ministre candidat...
Ce biologisme est contraire au principe d'égalité qui est le fondement de notre philosophie politique. En imposant aux hommes des déterminants hérités, il est également contraire à l'idée même de la liberté, dont beaucoup se revendiquent pourtant dans cette majorité.
Avec ces tests, vous ternirez durablement l'image de notre pays dans le monde. Nous ne pouvons nous permettre de renvoyer au monde une telle image de la France. À n'en pas douter, la pratique de ces tests ADN pèsera lourdement sur nos relations avec les pays d'origine, notamment en Afrique francophone, où beaucoup de dirigeants et de nombreuses voix dans les sociétés civiles ont déjà exprimé leur vive émotion. Mais je ne sais pas si l'émotion de l'Afrique vous préoccupe réellement.
En revanche, monsieur le ministre, je suis certaine que vous serez intéressé par les réactions que provoque ce texte outre-Atlantique. Un éditorial du New York Times - un journal qui n'est pas spécialement gauchiste - paru le dimanche 21 octobre qualifie le texte dont nous débattons aujourd'hui de « loi hideuse ». Cet éditorial pointe fort justement ce qui rend ces tests insupportables : vous justifiez cette nouvelle humiliation des étrangers par la modernité de la technologie employée. Mais là où vous parlez de modernité, je ne vois - comme le quotidien américain - que « bigoterie pseudo-scientifique ». Votre prétendue modernité vous aveugle. Vous en oubliez les conséquences funestes du biologisme dans notre histoire récente.
Hier, nous avons tous salué la mémoire du jeune militant communiste Guy Môquet. Guy Môquet nous rappelle que l'esprit de résistance doit avant tout se conjuguer au présent. Nous ne pouvons nous gargariser d'une mémoire en reniant tous les idéaux de liberté et d'égalité qu'elle portait.
Alors, pourquoi maintenir cette mesure ? Pourquoi s'entêter malgré les appels de la société civile, des Églises, des intellectuels, malgré les rassemblements populaires ? En adoptant ces tests aujourd'hui, vous pensez agir avec fermeté quand il ne s'agit que de déraison.
Comme je l'ai déjà dit, cette polémique sur les tests ADN est importante, mais elle ne doit pas faire oublier le reste de ce texte. Et ici, le Gouvernement ne pourra se décharger de sa responsabilité en arguant d'une quelconque initiative parlementaire. Non, vous êtes pleinement responsables de cette nouvelle atteinte aux droits fondamentaux des étrangers, de cette nouvelle stigmatisation de l'immigration.
Cette énième loi sur l'immigration n'est pour vous qu'une loi d'affichage, un gage donné aux électeurs d'extrême droite qui ont daigné apporter leurs suffrages au candidat Sarkozy. Mais vous oubliez les conséquences qu'elle aura sur la vie de milliers de personnes. Vous oubliez également combien elle est contraire à notre droit et à nos principes ; le Conseil constitutionnel en sera le garant.
Au gré de vos lois successives, vous avez vidé le droit au regroupement familial de toute substance. Aujourd'hui, vous prétendez encore une fois durcir les conditions du regroupement familial, en imposant aux étrangers des seuils et des conditions que personne n'aurait l'idée d'imposer aux Français.
Vous avez sciemment répandu dans l'opinion l'idée fallacieuse selon laquelle l'immigration familiale serait une immigration subie, à laquelle il faudrait préférer une immigration économique, choisie en fonction des besoins de main-d'oeuvre. Mais votre doctrine est parfaitement mensongère.
L'immigration choisie est non pas une immigration hautement qualifiée comme vous le prétendez, mais une immigration ayant vocation à alimenter les secteurs sous tension, comme aujourd'hui l'hôtellerie, la restauration et le bâtiment. L'amendement Lefebvre, que je soutiens par ailleurs, répond parfaitement à cette logique. Toutefois, pour l'application de cette disposition dans la transparence, il conviendrait de prévoir la création d'une commission d'examen des dossiers de régularisation, où, au côté du préfet, une place serait donnée aux associations telles que France terre d'asile, le groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés, le GISTI, SOS Racisme ou la Cimade.
L'opposition entre immigration familiale et immigration économique que vous entretenez à dessein m'apparaît comme une ineptie : dans leur grande majorité, les bénéficiaires du regroupement familial travaillent. À moins, bien sûr, monsieur le ministre, que vous n'envisagiez l'ère de « l'immigré sans famille » !
Avec ce texte, vous ne clarifiez en rien le droit des étrangers. Au contraire, vous le rendez plus complexe encore, plus illisible, plus arbitraire. Tout cela est volontaire ; c'est une figure imposée de tous les populismes : quand la question sociale devient trop pressante, on agite le spectre de l'immigration.
Il y a d'ailleurs fort à parier que, durant les prochaines années, monsieur le ministre, vous reviendrez tous les ans devant cette assemblée présenter votre nouvelle réforme de la législation sur l'immigration. La prochaine est d'ailleurs en préparation. Il s'agira cette fois de mettre en place des quotas pour l'immigration de travail, fixés annuellement par le Parlement. On imagine déjà notre assemblée transformée en vaste marché pour discuter des mérites comparés de la nounou congolaise, de l'ouvrière chinoise ou du maçon égyptien !
Enfin, votre texte repose aussi sur une autre idée dangereuse, idée selon laquelle la faillite de notre modèle d'intégration serait précisément due à l'immigration familiale. Vous parlez d'intégration à des jeunes qui n'ont pas à être intégrés puisqu'ils sont le plus souvent Français de naissance, et depuis plusieurs générations. Mais vous préférez stigmatiser encore une fois ces jeunes, les renvoyer à des origines qui leur sont étrangères, plutôt que d'engager une réelle politique de lutte contre les discriminations.
Ce texte comporte le terme « intégration » dans son intitulé. Que proposez-vous en la matière ? Absolument rien ! Si, vous proposez d'élargir les possibilités de mener des études statistiques sur « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration ».
Au détour d'un amendement, cavalier suspect dans ce texte, cela a été dit par Louis Mermaz, vous rendez possible l'introduction de variables ethniques dans les statistiques. N'en doutons pas, ce n'est qu'un premier pas vers une généralisation de ce type d'études. Et, quoi que vous prétendiez, cela n'a pas grand-chose à voir avec la lutte contre les discriminations.
Puisque ces études pourront être menées pour mesurer « l'intégration des personnes », on perçoit immédiatement quels usages politiques pourraient en être faits.
Monsieur le ministre, les statistiques forment notre conception de la société. Inclure des variables ethniques dans la statistique publique reviendrait à oublier que l'identification communautaire, par soi-même ou par les autres, dépend largement de variables sociales.
L'effet principal de ce nouvel appareil statistique serait non pas de contribuer à la lutte contre les inégalités, mais bien d'occulter purement et simplement la question sociale et de substituer une fausse explication raciale aux véritables causes des inégalités : le taux de chômage, la ségrégation spatiale, la pénurie de services publics...
Les statistiques ethniques sont en réalité une diversion. Elles ne doivent pourtant pas cacher votre absence totale de volonté de mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre les discriminations. Il est d'ailleurs symptomatique d'inscrire dans un projet de loi sur l'immigration une procédure censée aider à lutter contre les discriminations. En inscrivant ce dispositif dans ce texte-là, vous nous montrez une fois encore que vous les considérez comme des étrangers.
Nous avons besoin non pas de statistiques ethniques pour lutter contre les discriminations, mais d'outils innovants pour assurer l'égalité républicaine. Certains de ces outils sont connus et ont même été adoptés dans cette assemblée à une large majorité. C'est le cas du CV anonyme, qui permet, au moins à l'étape du recrutement, de gommer les différences tant raciales que sociales, ne laissant la place qu'à des données objectives d'expérience et de formation. Mais ce gouvernement, comme le précédent, se refuse toujours à prendre les décrets d'application nécessaires à son instauration. Dès lors, monsieur le ministre de l'intégration, permettez-nous de douter de votre volonté de lutter efficacement pour l'égalité républicaine !
Pour conclure, je crois que ce texte est inutile et dangereux. Il illustre bien la conception que le Gouvernement se fait de l'immigration. Il est temps aujourd'hui d'arrêter de politiser à outrance le débat sur l'immigration. L'immigration doit demeurer une question politique ; mais elle n'est pas un filon électoral qu'il suffirait d'exploiter régulièrement.
Je terminerai en citant une dernière fois le New York Times : « Les questions d'immigration font ressortir les pires instincts des hommes politiques, qui devraient être plus raisonnables. »
Alors, monsieur le ministre, parce que vos mesures visent à criminaliser les immigrés et, de façon subliminale, à en faire des délinquants potentiels, les tests ADN ne sont dans notre droit réservés qu'aux délinquants et pas n'importe lesquels, les délinquants sexuels,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas vrai !
Mme Bariza Khiari. ... parce que vos mesures servent à cristalliser les voix de l'extrême droite,...
M. Adrien Gouteyron. C'est faux !
Mme Bariza Khiari. ... nous ne voterons pas ce texte et nous espérons que tous les républicains de cette assemblée feront de même. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Josselin de Rohan. On n'a tout de même pas le droit de dire n'importe quoi !
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a eu une lourde tâche : présenter un texte de consensus sur des points de divergence fondamentaux entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Monsieur le ministre, la seule chose dont on pourrait se réjouir - maigre consolation ! - c'est qu'au final, contrairement à ce que souhaitait le Gouvernement, l'Assemblée nationale n'ait pas eu le dernier mot...
Vous avez pu mesurer la détermination énergique des sénateurs à rendre ce texte moins inacceptable, car un peu plus humain, et à tenter d'en exciper les dispositions les plus discriminatoires. Ainsi, la Haute Assemblée a tenté de jouer son rôle dans l'élaboration de ce projet de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle n'a pas seulement tenté !
M. Jacques Muller. En effet, le Sénat s'est mobilisé pour s'efforcer de rééquilibrer un projet de loi marqué dès le départ du sceau de l'inégalité, de la discrimination institutionnalisée et d'une méfiance choquante à l'égard de l'étranger.
La version retenue par la commission mixte paritaire est proche, nous dit-on, de celle qu'avaient arrêtée les sénateurs. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous livrer quelques réflexions concernant le texte qui nous est présenté aujourd'hui.
Je salue les trop rares acquis de ce texte, concernant notamment la mise en place d'une carte de résident permanent ou l'instauration d'un recours suspensif de plein droit contre les décisions de refus d'asile à la frontière.
Mais ne faisons pas pour autant preuve d'angélisme à l'égard du texte qui nous est soumis aujourd'hui. Sur de très nombreux points, il n'est que la traduction littérale du sinistre projet gouvernemental.
Il ne s'agit pas, monsieur le ministre, d'un texte sur l'intégration ou sur la maîtrise de l'immigration.
Il ne s'agit pas d'un texte d'équilibre, d'un texte respectueux du principe d'égalité de tous devant la loi, d'un texte conforme à l'histoire de la politique migratoire de la France et aux principes qui ont concouru à son élaboration.
Il s'agit d'un texte de rupture, de multiples ruptures.
Rupture à l'égard des principes qui ont jusqu'à présent concouru à faire de la France une terre d'accueil.
Rupture à l'égard des principes élémentaires qui fondent notre droit : le respect du droit de vivre en famille, le principe - constitutionnel - d'égalité et, enfin, le respect de la dignité.
Rupture aussi vis-à-vis des engagements internationaux de la France, notamment en ce qui concerne l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou les règles de droit international privé.
Rupture, enfin, avec la politique française affichée de coopération et de codéveloppement, une politique qui a trop souffert par le passé des restrictions graduelles que votre majorité lui a imposées, et qui est aujourd'hui vouée à disparaître.
Ruptures ? Le discours colonial du président de la République à Dakar en est l'illustration oratoire, et ce projet de loi en est l'illustration législative.
M. Jacques Muller. Ce texte reste un acte de défiance non seulement à l'égard des étrangers, mais également à l'égard des États étrangers. En effet, ce mauvais projet fait de l'immigré un être suspect, un délinquant en puissance, une persona non grata. Vous ne mesurez pas combien est négative l'image qu'il donne aujourd'hui de la France à l'étranger - je peux en témoigner -, ni le choc qu'il continue de provoquer dans les consciences de nombre de nos concitoyens, notamment les associations familiales.
L'objectif que vous avez assigné à ce texte demeure, tout comme les moyens que vous prétendiez mettre en oeuvre. Seule la forme a changé. L'arithmétique froide l'emporte sur l'humanisme constitutif de notre pays.
Je prendrai quelques exemples des dispositions qui constituent, à mon avis, une véritable trahison des principes dont la France pouvait jusqu'à présent s'honorer.
J'évoquerai bien sûr le test ADN, dont on a parlé à l'envi. Je ne reviendrai pas sur les aspects de fond qui rendent l'article visé détestable sur le plan éthique et contraire à l'esprit de la République, me contentant de relever un certain nombre de problèmes d'ordre technique.
Vous nous rappelez, monsieur le ministre, que la commission mixte paritaire a atteint un équilibre dans la rédaction de l'article 5 bis. Permettez-moi, cependant, de rester plus que sceptique quant à la mise en oeuvre concrète de ce dispositif.
Ainsi, un enfant africain, résidant en brousse, à des kilomètres du premier poste consulaire, devra braver l'impossible pour rejoindre ses parents. Il devra d'abord prouver qu'il est bien le fils de sa mère. Certes, vous nous dites que le test est facultatif. Dont acte. Toutefois, personne ne cherchera à invoquer la possession d'état auprès d'une administration suspicieuse, et personne ne se contentera de prouver sa filiation avec des documents administratifs, reposant sur la seule foi de leur établissement, comme le prévoit d'ailleurs le code civil. L'étranger qui ne demandera pas de test passera pour celui qui a quelque chose à cacher.
M. Pierre Fauchon. Qu'en savez-vous ?
Mme Éliane Assassi. Et vous ?
M. Pierre Fauchon. C'est absurde !
M. Jacques Muller. Les autorités consulaires parviendront à la conclusion suivante : celui qui refuse de passer un test remboursé par l'État cherche forcément à frauder. Elles risquent de ne pas admettre que des considérations éthiques puissent pousser les étrangers à refuser ce test. « S'ils le refusent, c'est qu'ils fraudent », entend-on déjà !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jacques Muller. Cela étant dit, allons un peu plus loin dans la procédure et admettons que la mère et l'enfant acceptent ce test.
En mettant en place une présomption de fraude documentaire généralisée, vous obligez l'enfant à attendre que les autorités administratives françaises à l'étranger demandent au tribunal de Nantes de statuer sur l'opportunité du recours au test ADN. Je vous laisse imaginer le temps qu'il faudra pour que la requête soit inscrite au rôle d'un tribunal déjà surchargé. Ensuite, le demandeur devra attendre que le tribunal mène des « investigations utiles », comme l'exige la loi. Mais de quelles investigations parlons-nous, monsieur le ministre ? Le juge nantais ira-t-il sur place, dans la brousse africaine, pour établir la nécessité d'un tel test ? Se contentera-t-il de conclure de manière systématique à la nécessité du test ? Pourquoi recourir alors au juge, si la réponse est connue d'avance ? La réponse est simple : ce test ne pouvait pas sortir du dispositif adopté dans le cadre des lois de bioéthique.
En effet, nous nous étions engagés à ne réviser ces lois qu'en 2009, et l'amendement proposé par M. Mariani entrait en totale contradiction avec la nécessité de recourir à un juge pour la mise en oeuvre d'un tel test. En réglant ce « détail » au Sénat, le président Hyest a cru résoudre le problème, mais il n'a fait que le compliquer.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah merci ! Il faut savoir ce que l'on veut ! On ne peut pas dire tout et son contraire !
M. Jacques Muller. Au final, c'est bien une couleuvre que la commission mixte paritaire a dû avaler !
Le projet de loi parle également de « débat contradictoire ». Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, comment, dans la brousse africaine, un enfant pourra faire valoir son droit à la défense devant un tribunal à Nantes ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En matière civile, on est représenté !
M. Jacques Muller. Sera-t-il représenté ici par un avocat africain ? Disposera-t-il d'un avocat commis d'office ? Et aura-t-il les moyens de se faire représenter ? (M. le président de la commission des lois s'exclame.)
Dans un autre registre, je tiens à souligner à quel point il me paraît dangereux d'associer, dans un même texte, fichage ADN et fichier ethnique. Cette association de mots et de dispositifs dans une même loi, complétée par la suppression pure et simple de la référence aux discriminations subies par les étrangers établis en France dans le rapport pluriannuel sur l'immigration, en dit long sur la tournure que prend, dans la conception française, la politique migratoire.
Avec ce projet de loi, vous institutionnalisez votre obsession du fichage. Après les enfants d'immigrés sans papiers inscrits dans les écoles publiques, les décisions rendues par les juges impliquant un immigré, après l'affaire des tests ADN, récemment révélée par la presse, susceptibles d'être demandés par les fonctionnaires de police à toute personne soupçonnée d'un quelconque délit, c'est aux étrangers qui ne sont même pas encore entrés en France que vous vous attaquez ! Cette démarche est inappropriée, vexatoire, et finalement honteuse !
Avant de conclure, je souhaiterais revenir sur une disposition qui avait été adoptée par le Sénat, mais qui a été supprimée par la commission mixte paritaire.
Sur l'initiative de ma collègue Alima Boumediene-Thiery, un amendement des Verts avait été adopté, afin de dispenser les personnes bénéficiant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées du revenu minimum fixé par ce projet de loi.
En effet, il nous est apparu impérieux de permettre à des personnes âgées, vulnérables et seules, de pouvoir bénéficier du regroupement familial, même si elles ne pouvaient justifier de revenus égaux au SMIC. Il faut rappeler que cet amendement avait recueilli un avis défavorable de la commission, et que le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de la Haute Assemblée. C'est à bon droit que le Sénat l'avait adopté.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'était une bêtise !
M. Jacques Muller. Or il a été supprimé par la commission mixte paritaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voulez-vous que je vous explique pourquoi ?
M. Jacques Muller. Permettez-moi, monsieur le président Hyest, de revenir sur l'argument que vous avez développé pour supprimer cette disposition, qui avait recueilli, je le rappelle, un large consensus dans notre hémicycle.
Selon vous, ce dispositif instituerait une discrimination entre les personnes âgées disposant d'une pension modeste et celles qui bénéficient de l'allocation de solidarité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jacques Muller. Toutefois, toute personne âgée qui n'a pas une pension suffisante bénéficie de plein droit de cette allocation. Vous avancez l'argument de la discrimination, mais rien ne semble vous choquer dans le lot de discriminations que ce projet de loi met en place, des discriminations entre les conjoints étrangers de Français établis en France et les conjoints de Français établis à l'étranger ; entre les enfants d'étrangers qui doivent respecter une obligation de scolarité et les enfants de Français qui ne sont tenus qu'à l'obligation générale d'instruction, et peuvent la respecter dans le cadre de cours à domicile ; ou encore entre les familles étrangères et les familles françaises, s'agissant de la fixation du revenu minimum nécessaire pour subvenir à leurs besoins.
Comment pouvez-vous nous opposer le principe d'égalité quand l'ensemble du projet de loi repose sur la violation de celui-ci ? Comment refuser aux personnes âgées le droit au regroupement familial sur la base d'une supposée discrimination quand ce même outil exclut de nombreux étrangers du bénéfice du regroupement familial ?
En définitive, ce projet de loi apparaît comme une invraisemblable compilation d'obstacles procéduraux supplémentaires visant à dissuader les étrangers de venir en France, en s'attaquant au regroupement familial. La commission mixte paritaire est parvenue non pas à un texte d'équilibre, mais à un faux compromis et, au travers de ses boursouflures procédurales, le texte qui nous est présenté est devenu inapplicable. L'impératif de maintenir le dispositif, tout en le rendant compatible avec la Constitution, a conduit à une véritable aberration procédurale, qui se révélera concrètement impraticable.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire in fine très franchement ce que m'inspire votre texte. Il s'agit d'un nouvel instrument de la politique spectacle conduite de main de maître depuis plusieurs mois, d'un gadget électoraliste permettant de braconner sur les terres du Front national, en désignant une fois de plus les immigrés comme des boucs émissaires, et d'un nouvel artefact destiné à détourner l'attention de nos concitoyens des vrais problèmes de société et des défis à relever.
Par conséquent, avec les sénatrices et sénateurs Verts, je voterai contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l'examen de ce texte en première lecture, je m'étais initialement inscrit dans la discussion générale. Mais, comme je voulais m'en tenir à l'article 5 bis, j'ai renoncé à mon temps de parole, estimant - quelle illusion ! - que le texte adopté par le Sénat avait mis bon ordre aux inquiétudes légitimes suscitées par la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, et qu'il n'y avait plus lieu d'exagérer l'importance de cet article.
Depuis lors, saisie par une espèce de fantasme - je dis bien « fantasme » -, ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Pierre Fauchon. ... la gauche n'a eu de cesse de proférer des dénonciations, et ce d'autant plus volontiers qu'elles sont fort éloignées de la raison d'être de ce texte. D'ailleurs, personne, à aucun moment, de ce côté-là de l'hémicycle, n'a dit ce qui légitimait celui-ci.
M. David Assouline. C'est pour avoir les voix du Front national !
Mme Éliane Assassi. Vos oeillères vous empêchent de bien voir, monsieur Fauchon !
M. Pierre Fauchon. Cela n'avait sans doute aucune importance ! Mais, quand on n'a pas de projet, mieux vaut lancer des imprécations et faire du bruit ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vraiment, monsieur Fauchon, cela ne vous honore pas !
M. Robert Bret. Ce sont des effets de manche !
M. Pierre Fauchon. Après tout, de ce point de vue, il faut bien le reconnaître, vous avez réussi !
M. Guy Fischer. Venons-en au fond !
M. Pierre Fauchon. Certaines personnes autorisées, qui ne sont d'ailleurs pas plus au courant que vous feignez de l'être, ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Venez-en au fait !
M. Pierre Fauchon. ... se sont livrées à des déclarations philosophiques très sympathiques, qui auraient pu présenter un certain intérêt si elles n'étaient pas aussi éloignées de la réalité du sujet et de la teneur exacte de ce que nous proposons.
Par ailleurs, à l'occasion de la réunion de la commission mixte paritaire, certains journaux m'ont prêté le souhait de vouloir restreindre encore le dispositif proposé.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Pierre Fauchon. Je remercie M. le rapporteur d'avoir souligné le fait que telle n'était pas du tout ma volonté. En effet, je voulais tout simplement clarifier une rédaction, ...
M. David Assouline. Ne vous justifiez pas !
M. Pierre Fauchon. ... en en proposant une nouvelle qui aurait été peut-être moins élégante, je le reconnais volontiers, mais qui, me semble-t-il, aurait été plus claire ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Courage, fuyons !
M. Pierre Fauchon. ... et aurait rendu plus difficiles les affabulations auxquelles vous vous livrez, mes chers collègues !
Mme Éliane Assassi. Quelle prétention !
M. Pierre Fauchon. Mais, quoi qu'il en soit, je vois bien que vous tenez à ces affabulations et à vos fantasmes, et je ne veux pas vous en priver !
Pour ma part, je serai plus simple, puisque je m'en tiendrai à la réalité, que personne parmi vous n'a voulu rappeler.
Je n'aborderai pas tous les aspects de ce texte, mais je tiens à dire que, lors des travaux de la commission des lois, nous avons examiné de manière approfondie la question du regroupement familial dans les pays où l'état civil n'existe pas ou ne peut pas être considéré comme crédible. Oui ou non, cette situation existe-t-elle, mes chers collègues ? Si vous contestez ce fait, estimant que l'état civil est fiable dans tous les pays, alors, il ne s'agit effectivement là que d'un montage artificiel.
M. David Assouline. C'est nouveau ?
M. Pierre Fauchon. Mais si vous reconnaissez cette situation, vous devez bien admettre que se pose le problème de la preuve de l'existence de la famille en cas de regroupement familial. Car qui dit regroupement familial dit, jusqu'à nouvel ordre, famille ! N'allez pas là encore extrapoler sur les cas des personnes qui émigrent pour des raisons économiques ou pour je ne sais quelle autre raison, car il s'agit ici d'une demande de regroupement familial. Il est donc assez légitime que l'on demande à celui qui souhaite bénéficier d'un regroupement familial de prouver...
M. David Assouline. Nous ne sommes pas d'accord sur ce qu'est la famille !
M. Pierre Fauchon. Vous voulez bien m'écouter plutôt que de m'interrompre ! Si vous avez quelque chose à dire, demandez à M. le président l'autorisation de m'interrompre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez, ça va le doper !
M. le président. Laissez l'orateur s'exprimer ! Il a le mérite d'improviser, et c'est plus intéressant qu'une intervention lue !
M. Pierre Fauchon. Nous vous avons écoutés patiemment, et Dieu sait que vous n'avez pas été brefs !
Je le répète, se pose un problème dont vous ne pouvez pas contester la réalité !
Mais, les uns après les autres, vous avez caricaturé l'attitude générale du Gouvernement dans cette affaire. Or, si celui-ci avait adopté une position plus restrictive, arguant du fait que, dès lors que le pays n'a pas d'état civil,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'y a pas de regroupement familial !
M. Pierre Fauchon. ... il n'y pas de regroupement familial et les gens n'ont qu'à rester chez eux, qu'auriez-vous dit ? Y avez-vous songé ?
Au lieu de cela, on cherche à répondre à cette question.
La réponse fournie par l'Assemblée nationale, je le reconnais volontiers, était tout à fait contestable. Je n'ai d'ailleurs pas attendu l'avis de mes collègues pour dire le premier, lorsque M. le ministre est venu nous l'expliquer en commission des lois, que ce n'était pas possible, car cela allait poser une série de problèmes.