Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela prouve que le regroupement familial est beaucoup plus développé chez eux que chez nous !
M. Brice Hortefeux, ministre. Et le système suscite la satisfaction totale tant au Royaume-Uni que dans les autres pays concernés. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
Écoutez, madame, je veux bien croire que tout cela est « abominable » ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) Mais nous, nous instituons un dispositif « à la française ». Ce qui vous est aujourd'hui proposé comporte une succession de protections respectueuses de la tradition française.
Au demeurant, vous ne pouvez tout de même pas faire comme si le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche, la Finlande, la Lituanie, la Norvège et la Suède étaient tous des pays totalement arriérés ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
À ce sujet, samedi dernier, un chroniqueur de France Inter prétendait nous démontrer en quoi les tests ADN étaient abominables. J'espérais donc entendre des explications intéressantes. Or, selon cet intervenant, qui était manifestement à court d'arguments pour justifier sa position, si les différents pays que je viens d'évoquer pratiquent les tests ADN, c'est parce que ce sont des régimes monarchiques. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Robert Bret. C'est la réalité !
M. Bernard Frimat. D'ailleurs, chez nous aussi, c'est la monarchie !
M. Brice Hortefeux, ministre. C'était donc cela, l'explication ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Dans le même temps, on passe naturellement sous silence la note du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés selon laquelle les tests ADN seront de plus en plus utilisés comme moyen de prouver les liens de parenté dans le cadre du regroupement familial. On occulte également la position officielle de la Commission européenne. En effet, je le rappelle, le 4 octobre dernier, celle-ci a indiqué publiquement que les tests ADN étaient totalement compatibles avec le droit européen.
En réalité, en décidant aujourd'hui de la politique d'immigration, c'est le visage de la France d'après-demain que nous dessinons ensemble.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh là là ! C'est gai !
M. Brice Hortefeux, ministre. En agissant ainsi, nous contribuons à définir une politique d'immigration qui permette à la fois l'enrichissement et la préservation de l'équilibre de notre communauté nationale.
Parce qu'il est ferme et parce qu'il protège, le projet de loi qui vous est soumis va dans le bon sens : le sens d'une France vigilante, fière d'elle-même, désireuse de préserver son équilibre, mais ouverte à l'autre et accueillante à celles et à ceux qui veulent la rejoindre pour s'y intégrer, d'une France diverse mais unie, d'une France riche de son harmonie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de l'unique navette parlementaire, c'est sans surprise que la majorité de droite au sein de la commission mixte paritaire est parvenue à un accord sur la rédaction d'un texte commun aux deux assemblées, sans bien sûr l'aval des sénateurs du groupe CRC, que je représentais.
J'évoquerai principalement les sujets les plus symptomatiques à mes yeux de ce texte législatif, que j'intitulerai plus volontiers « projet de loi relatif à la lutte contre l'immigration familiale et le droit d'asile », tant il multiplie les obstacles au regroupement familial et à l'accès au droit d'asile.
Quant à l'intégration, du moins telle que vous la prônez, elle sert également à dresser des barrières supplémentaires sur le parcours déjà bien compliqué des étrangers.
Monsieur le ministre, avec le présent projet de loi, vous opposez l'immigration familiale, que le pays subirait et qu'il faudrait réduire, à l'immigration de travail, que vous souhaiteriez choisir et porter à 50 %.
Or ces deux formes d'immigration légale sont indissociables l'une de l'autre. En effet, lorsque l'on vient en France, il est normal de vouloir faire venir sa famille. Inversement, lorsque l'on vit en famille en France, il est normal de vouloir y travailler pour vivre dans des conditions décentes.
Vouloir maîtriser, d'une part, le nombre d'étrangers qui viennent pour travailler et, d'autre part, le nombre d'étrangers qui viennent pour rejoindre leur famille, c'est vouloir disposer des individus à sa guise et organiser l'immigration comme si la France était une entreprise et le monde un vaste marché de l'emploi. C'est inacceptable !
Monsieur le ministre, tout cela montre bien que vous n'avez aucune envie de tarir les flux migratoires, mais que vous souhaitez seulement en changer la composition, et ce au profit du patronat, bien évidemment. Ce texte vous permet aussi d'occuper le terrain politique et de donner des gages à l'électorat le plus extrême, qui a voté pour Nicolas Sarkozy le 6 mai dernier.
Certes, la commission mixte paritaire a procédé à plusieurs modifications justifiées. Elle a rétabli le droit à l'hébergement d'urgence des étrangers en situation irrégulière et supprimé l'appel suspensif du préfet contre la libération d'un étranger maintenu en rétention ou en zone d'attente, ainsi que la suspension des droits accordés aux étrangers pendant leur transfert vers un lieu de rétention.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. La commission mixte paritaire a également décidé le maintien du délai de recours d'un mois devant la Commission des recours des réfugiés et du délai de quarante-huit heures pour former un « référé liberté » contre une décision de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile, ainsi que le rétablissement de la possibilité pour les conjoints de Français de déposer leur demande de visa long séjour auprès de la préfecture.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est déjà pas mal !
Mme Éliane Assassi. Toutefois, la commission mixte paritaire a retenu beaucoup d'autres mesures qui ne nous agréent pas du tout.
Je commencerai bien évidemment par le recours aux tests ADN, que les parlementaires UMP n'ont pas supprimé, et ce malgré la montée en puissance de la mobilisation et de la contestation sur tous les fronts, rassemblant scientifiques, chercheurs, écrivains, artistes, simples citoyens, femmes et hommes politiques de tous bords, mais aussi le Vatican, le président de l'Union africaine, etc.
Faut-il rappeler les vertes critiques émises dans son récent avis par le Comité consultatif national d'éthique, les pétitions lancées avec succès par le collectif « Sauvons la recherche » et par le journal Charlie Hebdo ou les différentes manifestations qui ont eu lieu pour protester contre le fameux article 5 bis, mais également contre le projet de loi dans sa globalité ?
À mon sens, un tel article, qui illustre si bien la logique de votre ministère, au sein duquel sont associées « immigration » et « identité nationale », ne souffre d'aucun aménagement possible, comme l'a fait le Sénat pour voler au secours du rapporteur de l'Assemblée nationale.
En politique, il faut savoir reconnaître ses torts et faire marche arrière, a fortiori lorsqu'il s'agit d'un sujet aussi délicat que la génétique, de surcroît appliquée aux immigrés. Mes chers collègues, n'est-ce pas ce que nous a enseigné l'histoire, pas si ancienne, de notre pays ?
Convenez-en : comme cela a finalement été le cas s'agissant des dispositions relatives à l'hébergement d'urgence, l'article instituant les tests ADN doit être retiré du texte. En effet, un tel dispositif est stigmatisant, discriminatoire et inégalitaire, car il concerne seulement les étrangers ou, plus exactement, les femmes provenant de certains pays qui seront listés par décret !
M. Pierre Fauchon. N'importe quoi !
Mme Éliane Assassi. Non, monsieur Fauchon, ce n'est pas n'importe quoi !
M. Jean-Patrick Courtois. Mais si !
Mme Éliane Assassi. Je suis aussi intelligente que vous et vous pourrez vous exprimer tout à l'heure à la tribune.
Au-delà des évidentes questions éthiques qu'il soulève, le projet de loi suscite également des interrogations pratiques. Que se passera-t-il si la mère est décédée, si les enfants ont été adoptés, si les enfants sont nés d'une première union ou si des enfants orphelins ont été pris en charge par un proche ou un ami ? Devront-ils renoncer à vivre avec ce qu'ils considèrent comme étant leur famille ?
Est-il vraiment utile de mettre en oeuvre un tel dispositif alors que le regroupement familial ne touche chaque année que très peu de gens ? On nous parle de 23 000 personnes, dont 8 000 enfants. Et l'on sait que, dans le cadre du regroupement familial, ne sont jamais concernées des familles nombreuses !
Vous-même, monsieur le ministre, vous nous dites que, dans les faits, le recours à ces tests n'aura lieu que dans de très rares cas. Dans ces conditions, pourquoi s'obstiner, pourquoi s'acharner ?
J'irai même plus loin : si doute il y a sur la filiation, celui-ci devrait alors profiter aux candidats au regroupement familial.
La « biologisation » de la famille n'est pas concevable dans notre pays, encore moins dans les pays d'origine des candidats au regroupement familial, qui sont souvent, je le rappelle, nos anciennes colonies.
Vous nous dites, monsieur le ministre, que d'autres pays européens ont d'ores et déjà recours aux tests ADN. Soit. Mais, d'une part, ce n'est pas une raison pour en faire autant, d'autre part, les pays en question n'ont pas la même histoire que la France, qui a conservé des liens étroits avec ses anciennes colonies.
Cet article, comme bien d'autres dispositions de ce projet de loi, est inconstitutionnel.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On verra !
Mme Éliane Assassi. Cela a été largement développé, je n'y reviens pas. Mais une chose est sûre : quand bien même le Conseil constitutionnel, saisi d'un recours, censurerait cette disposition, le débat sur ces tristement célèbres tests ADN, qui a commencé il y a plus d'un mois, aura de toute façon marqué les esprits et l'on aura fait un pas supplémentaire dans l'horreur. (M. Michel Mercier manifeste sa surprise et M. Pierre Fauchon s'esclaffe.)
Ce débat aura mis en lumière tout ce que l'homme peut imaginer de mauvais à l'encontre de ses congénères. J'avoue ne pas comprendre - ou alors je comprends trop bien - l'entêtement non seulement des parlementaires de droite, mais également du Gouvernement à maintenir, à soutenir, à justifier, à encadrer juridiquement le recours aux tests ADN, alors même que cette mesure ne figurait pas dans la version initiale du texte déposé par le Gouvernement.
Mes chers collègues, n'êtes-vous pas en train de passer outre le consensus politique qui a vu le jour lors de l'élaboration de la loi relative à la bioéthique de 1994, révisée en 2004, notamment en ce qui concerne l'utilisation des tests ADN ?
N'êtes-vous pas en train de faire sauter un verrou important en la matière...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est faux !
Mme Éliane Assassi. ...sans attendre la révision de cette loi, qui doit avoir lieu dans deux ans ?
N'êtes-vous pas en train d'ouvrir une boîte de Pandore ? N'allez-vous pas permettre demain le recours à des tests ADN dans bien d'autres domaines que l'immigration, par exemple en matière de contrats d'assurance, de contrats de prêt, d'allocations familiales, de successions et j'en passe ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n'a rien à voir !
Mme Éliane Assassi. Qui peut nous garantir que, demain, ces tests ne seront pas appliqués aussi aux Français ?
S'agissant du reste du texte, la plupart des mesures que nous contestons depuis le début des débats parlementaires demeurent. Je veux parler des statistiques ethniques, de la biométrie pour les personnes ayant bénéficié de l'aide au retour, de la sanction du refus d'embarquer et, plus généralement, de toutes les restrictions aux droits des étrangers.
Ainsi, les demandeurs d'asile et les candidats au regroupement familial se verront imposer, entre autres, le contrat d'accueil et d'insertion, la connaissance de la langue et des valeurs de la République ainsi que des conditions de ressources. Les conjoints de Français ne sont pas épargnés puisqu'ils se verront imposer, quant à eux, l'apprentissage de la langue.
Ce texte contient également des restrictions en matière procédurale, qu'il s'agisse de la possibilité de prolonger sans l'intervention du juge judiciaire le maintien en zone d'attente en cas de refus d'embarquer, de la suppression de la nécessité de motiver une obligation de quitter le territoire français conjointe à un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour ou à son retrait, de l'extension du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention, etc.
La commission mixte paritaire est même allée jusqu'à supprimer l'article introduit par le Sénat visant à aider à l'amélioration des services de l'état civil dans certains pays. C'était pourtant quand même mieux que les tests ADN !
Le présent texte, qui va permettre les relevés d'empreintes digitales, les relevés d'empreintes génétiques et les relevés ethniques, confirme, s'il en était besoin, votre vision sécuritaire de la politique de l'immigration en France et votre défiance envers les étrangers. Vous ouvrez grand la voie à tous les fichages possibles, qui seront alors autant d'instruments de contrôle tous azimuts de la population, tant étrangère que française.
La chasse à l'étranger est réellement ouverte, et ce à tous les niveaux de la société : dans les écoles, dans les centres d'hébergement, dans les préfectures, dans les hôpitaux.
La biologie et les nouvelles technologies sont ainsi mises au service d'une politique de l'immigration axée sur la chasse à l'étranger, toujours considéré comme fraudeur, donc indésirable, non seulement à l'intérieur mais aussi hors de nos frontières.
C'est la politique du chiffre - 25 000 expulsions avant le 31 décembre 2007 - qui, alors qu'elle ne figure dans aucune des lois que vous avez votées, chers collègues de la majorité, conduit à cette traque inouïe de l'étranger sur tout le territoire français, et ce à n'importe quel prix.
Les dramatiques défenestrations qui ont eu lieu récemment en sont la triste illustration, tout comme l'est le cas de ces quatre personnes qui se sont automutilées mercredi dernier dans le centre de rétention administrative du Canet, à Marseille, tant était grand leur désespoir.
Pour répondre aux objectifs chiffrés en matière d'expulsions du territoire, il faut « débusquer » les étrangers. Pour ce faire, vous disposez comme support réglementaire de la circulaire de 2006, qui autorise les arrestations de sans-papiers dans les préfectures, dans les hôpitaux et dans les centres d'hébergement, et dont l'article 21 relatif à l'hébergement d'urgence n'était, après tout, que le prolongement logique.
Mais il faut aussi des moyens humains. Une grande partie des policiers sont ainsi mobilisés pour interpeller des irréguliers alors que leur tâche prioritaire est d'interpeller les criminels et les délinquants. À cet égard, ils sont de plus en plus nombreux à s'interroger sur le rôle que vous leur faites jouer pour satisfaire les objectifs inatteignables que vous leur imposez en matière d'expulsions.
Outre cette mobilisation, vous recherchez également des auxiliaires de police. Vous recrutez de toutes parts : chez les inspecteurs du travail et, depuis le 1er octobre, chez les agents de l'UNEDIC et des ASSEDIC, auxquels vous avez demandé de transmettre aux préfectures, pour vérification, les copies des titres de séjour et de travail.
Mme Éliane Assassi. Je n'oublie pas non plus cette note émanant du directeur général de la gendarmerie, transmise pour information aux préfets, dans laquelle il rappelle aux gendarmes qu'ils sont eux aussi concernés par la lutte contre l'immigration irrégulière et qu'ils doivent par conséquent intensifier les arrestations de sans-papiers,...
Mme Éliane Assassi. ...faisant ainsi de la chasse aux immigrés leur priorité.
Toute cette frénésie ne peut qu'engendrer contrôles au faciès et bavures.
Parallèlement, on assiste à une multiplication des poursuites à l'égard des « délinquants de la solidarité ». Les maires ayant organisé des parrainages de sans-papiers font l'objet de mises en garde.
Mme Éliane Assassi. Le présent projet de loi, s'il confirme les lois précédentes de 2003 et de 2006, marque néanmoins une rupture sans précédent avec la politique de l'immigration de la France et avec la traditionnelle conception d'accueil de notre pays.
Ce tournant n'est ni anodin ni fortuit. Il est à mettre en perspective avec votre politique libérale, qui s'attelle jour après jour à mettre en pièces un à un les acquis sociaux qui ont construit notre modèle social : ceux de 1789, de 1936, de 1945 et de 1968. À cet égard, la meilleure méthode ne consiste-t-elle pas à opposer les hommes entre eux, en l'occurrence les étrangers aux Français, et, parmi les étrangers, les réguliers aux irréguliers ? On connaît l'adage : diviser pour régner !
Ce tournant est également à mettre en perspective avec l'annonce de la révision constitutionnelle visant à permettre la mise en place de quotas par origine géographique, avec l'externalisation des camps de réfugiés aux frontières de l'Europe dans le but d'empêcher les migrants de pénétrer sur le territoire français et européen ainsi qu'avec le rôle croissant donné à l'administration française pour mettre en oeuvre votre politique.
Je pense notamment ici à l'injonction faite aux préfets d'atteindre les objectifs chiffrés en matière d'expulsions du territoire - 25 000 en 2007 et 28 000 en 2008 -, au rattachement de l'OFPRA au ministère de l'immigration, qui traitera ainsi les questions liées à l'asile, droit fondamental qui n'a rien à voir avec les questions d'immigration. Je pense également à l'affaiblissement du rôle du juge dans des matières aussi sensibles que le prolongement du maintien d'une personne en centre de rétention administrative ou en zone d'attente, alors qu'il est question en l'occurrence de la liberté fondamentale d'aller et venir, dont le juge est en principe le seul garant. Je pense enfin à la suppression des magistrats dans les commissions départementales des titres de séjour.
Pour mettre en oeuvre cette politique, il vous faut aussi des moyens matériels, que vous êtes en train de vous procurer grâce à la multiplication des places en centres de rétention administrative, qui deviennent de vraies machines à expulser les étrangers. La Cimade a notamment relevé dans son rapport de 2006 qu'il y avait de plus en plus de familles qui y étaient maintenues avec leurs enfants, alors qu'en principe ces derniers ne sont pas soumis à l'obligation d'avoir des papiers. Mais là, vous invoquerez évidemment l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit demeurer avec ses parents.
Comme on le voit, on se dirige tout droit vers une « industrialisation » des expulsions du territoire. L'attestent l'évolution des centres de rétention administrative, la politique du chiffre, les instructions données aux préfets et le recrutement dans tous les domaines d'auxiliaires de police.
Dans ces conditions, il n'est guère étonnant, monsieur le ministre, que la Cité internationale de l'immigration ait été inaugurée dans la discrétion la plus absolue et en l'absence des membres du Gouvernement.
Le projet de loi que vous vous apprêtez à voter, mes chers collègues, est la suite logique du discours colonialiste prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar. À coup sûr, avec un tel condensé de mesures dirigées contre le continent africain, les relations franco-africaines risquent fort de se dégrader.
Monsieur le ministre, je terminerai mon allocution par des questions.
Mme Éliane Assassi. Combien coûte une telle politique de l'immigration ? Combien coûte une expulsion du territoire avec escorte policière et billet d'avion sur une ligne régulière, quand il ne s'agit pas d'un vol privé ou d'un avion habituellement réservé à la sécurité civile ? Combien vont coûter les tests ADN à la collectivité ? À mon avis, seules les industries pharmaceutiques en tireront de gros profits. (M. Henri de Raincourt s'exclame.)
L'argent public ne peut-il être utilisé de meilleure façon, par exemple en aidant les pays d'émigration à se développer et à garder leurs ressortissants plutôt qu'en les pillant de leurs matières premières et de leur matière grise ?
Combien de drames humains vont-ils encore se produire, de combien de morts supplémentaires aux larges des côtes françaises votre politique de l'immigration sera-t-elle encore la cause ?
Je l'ai déjà dit, on ne change pas les trajectoires migratoires à coup d'articles de loi. De même, il est difficilement concevable de choisir ses immigrés, voire d'imposer des quotas selon les besoins du patronat. Et à contempler l'état du monde, il y a, hélas ! peu de chances pour que ce que vous appelez la « pression migratoire » diminue. Ce n'est pas un hasard si, par exemple, on note l'arrivée à Cherbourg de réfugiés irakiens.
Jusqu'où êtes-vous prêts à aller en matière de politique de l'immigration ? En tout état de cause, vous êtes déjà allés trop loin pour nous. Nous ne vous suivrons pas sur cette pente dangereuse à plus d'un titre.
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas grave !
Mme Éliane Assassi. Fidèles à leurs valeurs, les sénateurs du groupe CRC émettront un vote négatif sur l'ensemble des dispositions qui constituent le présent projet de loi et s'associeront pleinement à tout recours formé à son encontre devant le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc parvenus au terme du parcours de ce texte devant le Sénat. Tout ayant été dit ou presque, je m'efforcerai d'aller à l'essentiel.
Avec le présent projet de loi un double objectif était visé : d'une part, tirer les leçons de l'arrêt Gebremedhin rendu par la Cour européenne des droits de l'homme et condamnant la France ; d'autre part, organiser une opération de communication sur le thème de l'immigration, dans le but d'accréditer un peu plus l'idée qu'elle menaçait les Français dans ce qu'ils ont de plus essentiel, à savoir leur identité, et de faire croire que le Gouvernement était là pour les protéger de ce risque mortel.
Pour reprendre les termes d'une ministre, qui ne semble pas pour autant gênée d'appartenir à ce gouvernement, il s'agissait d'« instrumentaliser » l'immigration à des fins politiques.
S'agissant du premier point, c'est complètement raté. Certes, le présent texte crée un droit de recours suspensif en cas de refus d'admission des étrangers sur le territoire français, mais il le fait dans de telles conditions que la France n'est toujours pas à l'abri d'une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme.
Pour cela, deux conditions auraient dû être remplies.
Il aurait fallu, d'abord, que le droit de recours suspensif concerne non seulement les demandeurs d'asile, mais aussi toute personne pouvant se prévaloir des articles 2, 3 et 8- ce dernier article portant sur le droit au respect de la vie privée et familiale - de la Convention européenne des droits de l'homme, par exemple, les étrangers dont l'état de santé leur permet d'invoquer l'article 2, les mineurs isolés et les personnes dont la famille vit en France.
Il aurait fallu, ensuite, ne pas se mettre en défaut par rapport aux articles 13 et 6 de ladite convention. Le premier exige que le droit au recours suspensif soit effectif, tandis que le second crée un droit à être entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant, à jouir des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et, en tant que de besoin, à disposer d'un interprète.
Or la limitation du bénéfice du recours suspensif aux seuls demandeurs d'asile, la brièveté des délais de recours et leur mode de calcul, qui ne tient pas compte des difficultés particulières des fins de semaine malgré le rétablissement du délai de quarante-huit heures par le Sénat, le maintien de la possibilité d'un jugement par ordonnance malgré le remplacement de la procédure du « référé liberté » par celle du jugement au fond, les conditions matérielles de l'exercice de la justice en zone de police, l'usage de la « téléjustice » pour des plaignants qui ne maîtrisent pas ou peu notre langue et les conditions dans lesquelles ces derniers pourront exercer leur droit à défense laissent à penser que ces deux conditions ne sont pas remplies.
Si ce projet de loi a pour principal objet de mettre la France à l'abri d'une nouvelle condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme, comme je l'ai dit, c'est complètement raté.
Mais tel n'était pas l'objectif essentiel.
Le but premier était de communiquer sur la « question immigrée » et de multiplier les obstacles au regroupement familial, au mépris de nos engagements internationaux. Et là, chapeau, monsieur le ministre : c'est très réussi !
Les médias se sont bien focalisés sur l'immigration, se préoccupant même du Sénat - c'est du rarement vu ! - jusqu'à l'annonce du divorce du couple présidentiel, sujet évidemment de première importance.
Cerise sur le gâteau, l'essentiel a tourné autour du fameux article 5 bis, ce qui a renforcé les subconscients des cerveaux rendus disponibles dans l'idée que c'était bien leur identité dans ce qu'elle a de plus profond qui était en question lors de nos discussions.
Très réussi aussi, le parcours d'obstacles mis en travers du regroupement familial, même pour les conjoints de Français ! Certes, l'« amendement Pelletier » a été rétabli grâce à la résistance du Sénat, mais la commission mixte paritaire a retenu pour ces conjoints les deux mois de formation linguistique et morale.
Pour tous les autres candidats au regroupement familial, si c'est aussi la rédaction plus libérale et plus réaliste du Sénat qui a prévalu, la commission mixte paritaire n'en a pas moins supprimé les dispositions que nous avions adoptées en faveur des retraités.
Le texte finalement adopté sera pratiquement inapplicable - la nouvelle rédaction de l'article 5 bis en est l'illustration la plus éclatante - et constituera une source inépuisable de contentieux de tous ordres.
Le but de ses initiateurs est donc pleinement atteint.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de la première lecture, il s'agit non pas de mettre à la disposition de l'administration un texte clair et applicable avec les moyens dont elle dispose, en un mot de l'aider à travailler dans de bonnes conditions, mais de renvoyer sur les juridictions la régulation des flux migratoires et, ainsi, de contribuer à les tarir.
Plein succès, donc. Mais à quel prix, monsieur le ministre ?
Au sens le plus trivial du terme, au prix d'un alourdissement des charges des contribuables, que l'on dit vouloir par ailleurs alléger. Les évaluations, les formations linguistiques et morales prévues par la loi, les analyses génétiques auront un coût pour un bénéfice nul.
Au prix d'un engorgement supplémentaire des juridictions administratives, qui ont déjà vu le contentieux des étrangers exploser : à l'augmentation en volume des dossiers s'ajoute leur traitement prioritaire dans des délais très courts.
Que cela charge la justice administrative et en perturbe le fonctionnement vous laissera probablement de marbre, ce gouvernement ayant montré en quelle estime il tenait les juges. Mais la justice n'est pas qu'une affaire de magistrats, elle concerne aussi les citoyens, qui verront les délais de leurs recours s'allonger un peu plus.
Au prix d'une augmentation de l'immigration clandestine. Comment, en effet, empêcher les familles de se regrouper ? Seuls vous béniront les passeurs, trafiquants de faux papiers et de vrais êtres humains, qui vous devront une augmentation de leur chiffre d'affaires.
Au prix de la réputation de la patrie des droits de l'homme, de notre image partout où la France n'est pas une nation pas totalement étrangère.
Au prix de l'obscur sentiment d'humiliation de tous ces Français compatissants qui reconnaissent dans les indésirables que vous refusez de lointains parents.
Au prix de la peine et de l'angoisse de tous ces malheureux que vous empêchez d'être réunis, ce qui demeure souvent leur seul luxe.
Au prix, surtout, du bouleversement des principes immémoriaux qui règlent la filiation chez nous. « Venir au monde, ce n'est pas seulement naître à ses parents, c'est naître à l'humanité », nous dit Pierre Legendre. Cela signifie bien que c'est l'institution et non la biologie qui, en dernier lieu, dit qui est fils et fille de cet homme et de cette femme.
À ce jour, les tests ADN n'étaient utilisés que dans le cadre d'enquêtes criminelles et par le juge comme un élément d'appréciation supplémentaire pour instituer par son jugement la filiation. Contrairement à ce que les défenseurs du texte prétendent, l'article 5 bis renvoie à une tout autre situation et à une tout autre finalité : la nécessité de démontrer sa filiation à une administration, comme à une autre époque de prouver son absence de filiation. Si cela ne vous rappelle rien, c'est que vous avez mauvaise mémoire...
Certes, sur le plan pratique, pour toutes les raisons que l'on connaît, il y a peu de chances que les nouvelles dispositions soient souvent utilisées. Mais, sur le plan symbolique, elles constituent une innovation calamiteuse. M. Mariani ne s'y est pas trompé : « Mon amendement existe toujours », a-t-il déclaré.
Au nom du bonheur des intéressés et du nôtre, de l'efficacité et de la modernité, une brèche vient d'être ouverte dans le rempart juridique qui nous protégeait. « Il s'agit de cela, et seulement de cela », avez-vous dit tout à l'heure, monsieur le ministre. Mais ne doutons pas que de bons apôtres feront en sorte, toujours pour notre bien, qu'il s'agisse demain de plus que cela. Projet de loi après projet de loi, ils s'emploieront à élargir la brèche, travaillant la « question immigrée ». Jusqu'où iront-ils ? Jusqu'où irez-vous ? En tout cas, ne comptez pas sur nous pour vous accompagner.
Monsieur le ministre, le monde de demain que vous prétendez nous préparer avec d'autres, qui, malgré l'habeas corpus, pratiquent l'internement administratif quasi illimité ne nous convient pas.
Vous vous rappelez peut-être la dernière phrase de 1984, de Georges Orwell : « Et Winston Smith aima Big Brother. » Eh bien, ne vous en déplaise, pas nous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai en invitant le président du groupe UMP à laisser M. le ministre m'écouter. Sinon, l'heure du dîner approchant, chacun n'a plus qu'à rentrer chez soi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Quand je présidais l'Assemblée nationale, j'ai parfois rendu service au regretté Olivier Guichard. Lorsqu'il déployait Le Monde, je le prévenais qu'il était filmé. Il me remerciait alors d'un signe de la main. (Sourires.)
J'en viens à des sujets plus sérieux.
Le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile nous revient de l'Assemblée nationale et de la commission mixte paritaire. Du fait de la procédure d'urgence, il ne peut plus être modifié que par amendements du Gouvernement.
Certains se demanderont donc : à quoi bon s'exprimer puisque tout semble désormais joué. Reste à placer une nouvelle fois le Gouvernement et sa majorité, ici comme à l'Assemblée nationale, devant leurs responsabilités. Nous savons en effet que plusieurs parlementaires de droite et certains ministres s'inquiètent des conséquences d'un tel projet.
D'aucuns nous objecteront que les sénateurs siégeant à la commission mixte paritaire ont obtenu la suppression de quelques dispositions excessives et nuisibles, entre autres l'obligation qui était faite au conjoint étranger d'un citoyen français, conjoint résidant en France, de retourner dans son pays d'origine pour y subir un stage de formation et solliciter un visa de long séjour. Au bout de combien de temps de séparation l'aurait-il obtenu ? Les exemples en ce domaine, hélas, abondent.
Les conditions de ressources mises au regroupement familial ont été ramenées, pour une famille de six personnes et plus, à 1,2 SMIC - au lieu de 1,33, comme l'avait voté l'Assemblée nationale -, ce qui, au demeurant, nous semble encore injuste et discriminatoire au regard de la situation que connaissent malheureusement de nombreuses familles françaises.
Le demandeur d'asile auquel on aura refusé l'entrée sur le territoire français disposera désormais, puisque la Cour européenne des droits de l'homme en a ainsi décidé, d'un droit de recours suspensif. Les sénateurs ont obtenu que le délai de vingt-quatre heures consenti par le Gouvernement, voté en première lecture par l'Assemblée nationale et qui aurait rendu cette disposition inopérante, soit porté à quarante-huit heures. La décence nous y obligeait.
Dans le même esprit, les sénateurs siégeant à la commission mixte paritaire ont également obtenu, comme nous l'avions demandé ici, que les personnes déboutées de leur demande d'asile par l'OFPRA disposent, comme par le passé, d'un délai d'un mois - et non de quinze jours - pour introduire un recours devant la Commission des recours des réfugiés, institution dont la majorité vient de décider le changement de dénomination.
Enfin, en la circonstance, c'est le rapporteur pour l'Assemblée nationale qui, après une explication pour le moins embarrassée, a proposé lui-même de supprimer l'article 21 ajouté au texte par l'Assemblée nationale. Cet article nouveau compromettait gravement l'hébergement d'urgence des étrangers en situation irrégulière. Les efforts conjoints du Gouvernement et de la majorité sénatoriale entrepris à l'aube d'un vendredi pour le rapetasser n'avaient en rien clarifié la situation !
Ainsi, sur quelques points, l'étau semble avoir été desserré, mais nous restons loin du compte et le projet de loi, en l'état, nous paraît porter encore de très lourdes atteintes aux droits de l'homme et aux exigences internationales auxquelles la France a souscrit depuis 1950. La situation des immigrés, des candidats au regroupement familial, la situation de ceux qui revendiquent le droit d'asile va empirer comme c'est le cas avec l'avalanche, depuis 2002, de lois de plus en plus contraignantes et répressives.
Le présent projet de loi est suffisamment connu de notre assemblée pour que je ne reprenne pas en détail les démonstrations et argumentations développées par plusieurs d'entre nous, y compris par des membres de la majorité. Nous sommes en fait en présence d'une panoplie de dispositions - dont certaines sont proprement scandaleuses - qui visent à entraver, voire à empêcher le regroupement familial et à restreindre le droit d'asile déjà entamé par la loi du 10 décembre 2003.
Je citerai, sans être exhaustif, l'obligation pour des candidats au regroupement familial et pour des conjoints de Français de se soumettre dans le pays d'origine à un stage de formation linguistique et d'apprentissage dit « des valeurs de la République », ou encore les conditions de ressources exigées dont je viens de parler et les mesures coercitives qui pourront être prises à l'encontre des bénéficiaires des allocations familiales sur l'initiative des préfets.
Par ailleurs, le projet de loi permet le recensement des données sur les origines ethniques de la population française pour réaliser des études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration. L'article 20 constitue à notre sens un cavalier suspect dans le climat qui a entouré la préparation du projet de loi.
J'en viens maintenant à l'article 5 bis, qui a provoqué, comme l'on sait, beaucoup d'émotion dans des secteurs très divers de l'opinion. Qu'on ne vienne pas nous opposer les sondages d'une opinion publique devant laquelle on dresse sans cesse le spectre d'une invasion massive de la France par des immigrés accourant des quatre coins du monde ! Assez de fantasmes et de manipulations !
À propos des tests génétiques, initiative d'un député de la majorité, encouragée, peut-être même suscitée par le Gouvernement, vous avez essuyé une déroute morale à laquelle vous ne vous attendiez pas. L'immigré est un être humain comme chacun d'entre nous et ce que vous proposez de lui faire subir, vous le faites subir à chacun d'entre nous.
Oui, vous avez porté atteinte à notre sens de l'intimité de la vie et à notre conception de la famille, qui ne se réduit pas à la structure biologique, ni pour un Français ni pour un étranger.
Un système tortueux a été inventé ici avec l'entremise du Gouvernement : la recherche - on ne nous dit pas comment et avec quels moyens elle se fera - de l'état de possession ; à défaut, le recours au tribunal de grande instance de Nantes - voici une justice de proximité ! -, avec la présence de l'avocat à des milliers de kilomètres de la requérante ; le remboursement des tests. Ce sont là autant de subterfuges destinés à masquer une procédure qui sera inopérante.
Il n'en reste pas moins que l'atteinte à des principes fondamentaux est perpétrée et que vous prenez le risque de violer les lois de bioéthique de 1994 et de 2004, qui écartent le recours à la génétique à des fins autres que médicales et de recherche scientifique. En matière pénale, nous sommes dans des situations tout à fait différentes, chacun l'aura compris. Et si le code civil permet le recours aux tests ADN, c'est dans des circonstances vraiment exceptionnelles, sous le contrôle du juge.
Alors, monsieur le ministre, vous découvrez le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE, que vous inviterez à donner son avis sur le projet de décret concernant les tests génétiques - quand vous nous avez expliqué que son avis n'était pas utile pour préparer l'élaboration et la discussion du projet de loi !
Mais, cet avis, nous le connaissons d'ores et déjà puisque, saisi par un sénateur le 3 octobre dernier, le Comité s'est prononcé très clairement sur les tests ADN en déclarant à propos de l'article 5 bis :
« Malgré toutes les modifications de rédaction, le CCNE craint que l'esprit de ce texte ne mette en cause la représentation par la société d'un certain nombre de principes fondamentaux [...]. L'erreur est de laisser penser qu'en retrouvant le gène, la filiation serait atteinte. La filiation passe par un récit, une parole, pas par la science. L'identité d'une personne et la nature de ses liens familiaux ne peuvent se réduire à leur dimension biologique. [...]
« D'une manière générale le CCNE attire l'attention sur la dimension profondément symbolique dans la société de toute mesure qui demande à la vérité biologique d'être l'ultime arbitre dans des questions qui touchent à l'identité sociale et culturelle. [... Il] redoute les modalités concrètes d'application dans des réalités culturelles très différentes des nôtres. Nos concitoyens comprendraient peut-être mieux l'exacte réalité de tels enjeux s'ils étaient confrontés à des exigences analogues lors de leur propre demande de visa. »
Je vous ai déjà reproché, monsieur le ministre, de ne pas vous être soucié, en l'occurrence, de l'intérêt national et des conséquences désastreuses que cette affaire de tests ADN allait avoir dans beaucoup de pays amis, en particulier en Afrique. Notre collègue Mme Michèle André vient de m'en fournir un témoignage.
Assistant la semaine dernière à un colloque sur « Démocratie et développement en Afrique », au Burkina Faso - elle n'est allée, elle, ni en Espagne ni en Angleterre : elle s'est simplement rendue au Burkina Faso -, colloque organisé pour célébrer le vingtième anniversaire de l'accession au pouvoir du président Blaise Compaoré, elle a constaté le sentiment de réprobation unanime soulevé dans les délégations venues de tous les horizons de l'Afrique par le recours à des tests génétiques en matière de regroupement familial ; car chacun a bien compris que ce sont d'abord les Africains qui sont la cible du Gouvernement ! Ses hôtes faisaient par ailleurs observer que 70 % des étudiants qui s'expatriaient pour leurs études revenaient au pays, où ils fournissent l'encadrement indispensable. On est loin du fantasme de l'invasion, n'est-ce pas ?
Des avertissements sont montés de toutes parts en France, de la Ligue des droits de l'homme, des ONG, de nombreux magistrats et avocats, des Églises. Le Gouvernement s'honorerait à ne pas s'entêter.
vous avez fini, ainsi que votre majorité, par renoncer à cet injuste article 21 sur l'hébergement d'urgence ; vous vous honoreriez en constatant qu'on ne peut improviser dans une matière aussi délicate que celle des tests génétiques, qui touche à l'éthique et, au-delà de nos frontières, à la réputation et aux intérêts supérieurs de notre pays, et en déposant, puisque vous en avez la possibilité, un amendement de suppression de ce funeste article 5 bis.
Cet article a cristallisé à juste titre l'attention de l'opinion publique. Nous le combattons et nous le combattrons vigoureusement, sans oublier de nous élever avec une égale vigueur contre beaucoup d'autres aspects du projet de loi sur lesquels je viens de m'exprimer.
Voyez-vous, monsieur le ministre, beaucoup d'entre nous sont favorables à ce que nous appelons une « immigration partagée », qui s'appuierait sur une réelle politique de développement et de codéveloppement, avec les moyens humains et financiers adéquats. Ne trouvez-vous pas que nous pouvons avoir besoin des immigrés autant que ceux-ci ont besoin de nous ? Ne trouvez-vous pas absurde cette politique de fermeture alors que l'économie française tourne au ralenti dans plusieurs secteurs et que vous pensez faire revenir la croissance à coup d'incantations ? De nombreuses branches d'activité connaissent une pénurie de travailleurs.
D'autres pays, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, ont su, sous des majorités diverses, procéder aux nécessaires régularisations, car c'est la meilleure façon de combattre l'immigration clandestine et le travail clandestin. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Ne comprenez-vous pas que l'indispensable recours aux travailleurs immigrés ne sera possible que s'ils sont autorisés à faire venir leur famille ? L'immigration choisie dont vous vous réclamez, avec l'annonce de quotas - deux formules que nous récusons fermement -, signifierait donc que les travailleurs immigrés n'auraient pas le droit à une vie de famille ? L'immigration choisie prendrait ainsi le visage d'un esclavage moderne !
Pourquoi tant de contradictions, et à quel prix, sinon pour conserver et digérer le vote « Front national », sans lequel vous seriez minoritaires ? En fait, vous n'avez pas de politique de l'immigration. La preuve en est votre volonté de faire d'abord du chiffre en matière d'expulsions. Pratique sinistre, qui aboutit à la chasse au faciès, à la traque des sans-papiers dans la rue, parfois devant les écoles, jusqu'à leur domicile. Vous contraignez les préfets et les policiers à se livrer à des tâches auxquelles, vous le savez bien, beaucoup répugnent, alors que, pendant ce temps, les missions de sécurité publique sont compromises.