Sommaire
2. Contrôleur général des lieux de privation de liberté. - Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
Discussion générale : Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Louis Mermaz, Jean-René Lecerf, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Yves Détraigne.
Clôture de la discussion générale.
Mme le garde des sceaux.
Amendements nos 1 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 7 de M. Robert Badinter. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Louis Mermaz, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
M. Louis Mermaz.
Amendement n° 8 de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Nicole Borvo Cohen-Seat. - Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 9 de M. Robert Badinter. - MM. Louis Mermaz, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 2 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Adoption de l'article.
M. Louis Mermaz.
Amendements nos 10 de M. Robert Badinter et 17 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - M. Robert Badinter, Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet des deux amendements.
Amendements nos 3 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 12 de M. Robert Badinter. - Mme Éliane Assassi, MM. Louis Mermaz, le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Nicole Borvo Cohen-Seat. - Rejet des deux amendements.
Amendement n° 13 de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Amendements nos 4 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 14 de M. Robert Badinter. - Mme Éliane Assassi, MM. Louis Mermaz, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Amendement n° 5 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 16 de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Amendements nos 15 de M. Robert Badinter et 6 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - M. Robert Badinter, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
M. Robert Badinter, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Robert del Picchia.
Adoption définitive du projet de loi.
M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux.
3. Modification de l'ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
4. Questions d'actualité au Gouvernement
MM. Bernard Seillier, Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.
Mme Catherine Procaccia, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Mmes Yolande Boyer, Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.
MM. Yves Pozzo di Borgo, Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
franchises médicales et protection sociale
M. Guy Fischer, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
M. Rémy Pointereau, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
Mme Nicole Bricq, M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur.
MM. Robert del Picchia, Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme.
MM. Claude Domeizel, Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
6. Transmission d'une proposition de loi
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. [Nos 471(2006-2007), 26].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Tout d'abord, je remercierai ceux qui sont présents aujourd'hui dans cet hémicycle compte tenu des difficultés de circulation dues à la grève dans les transports.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter en seconde lecture le projet de loi relatif à l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Vous l'avez examiné lors de la session extraordinaire qui nous a réunis cet été. L'Assemblée nationale l'a adopté à son tour en première lecture le 25 septembre dernier. Vous le constatez, nous n'avons pas perdu de temps.
Pour le Parlement, comme pour le Gouvernement, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté a valeur de symbole. Ce projet de loi répond à une grande attente.
Sept années ont passé depuis les initiatives parlementaires sur le contrôle des conditions de vie en prison. Vos rapports et votre proposition de loi de 2001 ont contribué à une réelle prise de conscience. La réflexion s'est enrichie, l'idée a mûri.
Aujourd'hui, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté est portée par une volonté politique forte.
Nous le savons tous, la question des droits de l'homme n'est ni de droite, ni de gauche ; elle est universelle. Elle s'inscrit au coeur de nos engagements internationaux.
En adoptant ce projet de loi, vous allez permettre à la France de se conformer aux nouvelles règles pénitentiaires formulées par le Conseil de l'Europe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est la meilleure !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous allez permettre à notre pays de mettre en oeuvre un contrôle indépendant des lieux de privation de liberté avant la ratification du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Si cette grande idée a pu devenir un projet de loi, si le contrôleur général des lieux de privation de liberté va bientôt devenir une réalité, c'est aussi grâce à la volonté du Gouvernement de donner une orientation claire à la politique pénale dans notre pays.
Nous voulons affronter le défi de la délinquance. Nous nous donnons les moyens de lutter contre la récidive. C'est cette même démarche qui nous conduit à poser un regard franc sur nos lieux de privation de liberté.
La légitimité de la politique pénale du Gouvernement, qu'approuve une majorité de Français, repose sur une exigence impérieuse : le strict respect de la personne humaine dans les lieux de détention.
En ce sens, le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui annonce le futur projet de loi pénitentiaire qui sera présenté dans les prochaines semaines.
Ce projet de loi dépasse, vous le savez, les frontières du monde carcéral. Le contrôleur, dans l'exercice de ses missions, sera conduit à visiter tous les lieux d'enfermement, y compris les secteurs psychiatriques des hôpitaux. Les hommes et les femmes privés de liberté, s'ils n'ont pas tous la même histoire, gardent pourtant les mêmes droits fondamentaux. La République se doit de les respecter.
Je veux sans plus attendre adresser mes remerciements sincères à la commission des lois, tout particulièrement à son président, M. Jean-Jacques Hyest, qui est aussi le rapporteur de ce projet de loi. Il m'a accompagnée en Grande-Bretagne, afin d'y rencontrer Mme Ann Owers, inspectrice en chef des prisons britanniques. Depuis longtemps sensible à la question des droits de l'homme dans les lieux d'enfermement, il a été un rapporteur exigeant, pugnace et clairvoyant.
Je tiens aussi à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre forte implication dans l'élaboration de ce projet de loi. Le programme de la session extraordinaire était dense.
La première lecture de ce projet de loi devant la Haute Assemblée a donné lieu à des débats dont je tiens à souligner la grande richesse.
La qualité de votre travail et de votre réflexion se mesure aux vingt-six amendements que vous avez apportés au texte initial. Vos contributions, auxquelles sont venus s'ajouter vingt-sept amendements de l'Assemblée nationale, en ont conforté les dispositions novatrices. Elles les ont enrichies, complétées, clarifiées.
Grâce à vous, le contrôle général des lieux de privation de liberté a pris une nouvelle dimension : le contrôleur général disposera de plus d'indépendance, ses pouvoirs seront élargis, sa mission gagnera en cohérence. Je vais développer ces trois points successivement.
L'indépendance du contrôleur général est renforcée, car vous avez prévu que ses fonctions « sont incompatibles avec tout autre emploi public, toute activité professionnelle et tout mandat électif ».
Dans le même esprit, et conformément aux dispositions du protocole facultatif des Nations unies, vous avez également garanti au contrôleur général des lieux de privation de liberté une immunité pénale.
Ces deux dispositions le mettent ainsi à l'abri des pressions qui pourraient s'exercer sur lui.
Vous avez étendu cette exigence d'indépendance aux contrôleurs qui le seconderont dans ses missions.
Ces hommes et ces femmes ne recevront leurs instructions que du contrôleur général. Grâce à eux, il pourra s'appuyer sur une grande variété de talents et de compétences.
Enfin, vous avez souhaité donner au contrôleur général une garantie politique d'indépendance, en le faisant nommer « par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée ».
L'Assemblée nationale a approuvé ce dispositif, en reprenant dans ses amendements les termes du protocole facultatif : le contrôleur sera désigné « en raison de ses compétences et connaissances professionnelles ».
L'homme ou la femme qui exercera la fonction de contrôleur général devra être ainsi une personnalité incontestée.
Je me réjouis de votre volonté de renforcer l'indépendance du contrôleur général. Comme je vous l'ai dit lors de la première lecture, cette indépendance est pour moi la clef du succès de sa mission.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté aura de plus grands pouvoirs : le travail parlementaire a permis des avancées importantes sur les modalités de son action.
Ainsi, vous avez souhaité lui donner la possibilité d'effectuer des visites inopinées.
Je sais que ce choix ne représente pas, pour vous, une motion de défiance à l'égard des personnels en charge des lieux d'enfermement. Vous avez conscience, comme moi, de la difficulté de leurs missions et du dévouement avec lequel ils s'en acquittent.
Permettez-moi ici de leur rendre une nouvelle fois hommage, et de les assurer que, loin d'avoir à redouter les interventions du contrôleur général, ils ont au contraire tout à y gagner.
Ces visites inopinées renforcent la transparence du contrôle. Cette capacité à entrer où il le veut, et quand il le veut, donnera tout leur poids aux recommandations du contrôleur général.
Les autorités responsables du lieu de privation de liberté devront justifier le motif qui les contraint de reporter la venue du contrôleur général. L'Assemblée nationale a ajouté que ces motifs devraient être « graves et impérieux ».
Le contrôleur général aura aussi la possibilité d'obtenir les informations qui lui seront nécessaires. Les autorités responsables des lieux qu'il aura visités devront répondre à ses observations. Il ne se verra opposer aucun verrou. Ses observations seront entendues et comprises.
L'Assemblée nationale a renforcé ces dispositions en attribuant au contrôleur général un pouvoir d'urgence. Ce dernier pourra fixer le délai dans lequel l'autorité compétente devra répondre à ses observations. Ce pouvoir d'urgence garantit le suivi et l'efficacité des recommandations du contrôleur général. Son regard sur les lieux de privation de liberté sera actif. Il aura le pouvoir de changer la condition des personnes privées de liberté.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez renforcé la cohérence de la mission du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Sa saisine est désormais expressément élargie au médiateur de la République, au défenseur des enfants, au président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, au président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE.
En mentionnant explicitement ces institutions, vous renforcez les possibilités de contrôle, vous encouragez l'indispensable coopération entre toutes les institutions chargées de veiller au respect des droits des personnes privées de liberté.
Je veux insister sur ce point. Le contrôleur général pourra, à son tour, saisir directement le médiateur ou la CNDS. Il ne se substituera pas aux institutions qui exercent déjà un droit de visite ou de contrôle dans les lieux de privation de liberté.
En articulant efficacement son action avec ces institutions, il donnera une plus grande visibilité à leur cause commune. Il prêtera sa voix et son autorité à leurs recommandations.
Nous n'avons pas cherché, par ce projet de loi, à superposer les contrôles. Nous avons cherché à en démultiplier l'efficacité.
À côté des autorités indépendantes s'est posée la question de l'avenir de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente, la CRAZA, qui a fait un travail remarquable et qui n'aura pas vocation à perdurer lorsque le contrôleur général aura repris ses attributions.
Vous avez également souligné la nature des missions du contrôleur général en inscrivant ses crédits au programme « coordination du travail gouvernemental ».
Cette disposition met en lumière le caractère interministériel de l'effort qui devra lui être consacré. Comme vous le savez, le contrôleur général devra visiter près de 6 000 lieux de privation de liberté, dont 219 seulement relèvent du ministère de la justice.
Je ne doute pas que tous les ministères concernés lui apporteront le concours qui lui sera nécessaire.
Enfin, vous avez ajouté que le contrôleur général aurait à coopérer avec les organismes internationaux compétents. Il développera ses liens avec, notamment, le sous-comité de la prévention institué par l'ONU dans le cadre du protocole facultatif.
Votre initiative vient rappeler que la lutte pour le respect des droits de l'homme est une lutte collective et qu'elle nous engage tous.
Le texte qui vous est soumis permet d'assurer tous ceux qui sont responsables des lieux de privation de liberté, ainsi que tout citoyen français, de la volonté active du Gouvernement de veiller au respect des droits fondamentaux dans les lieux de privation de liberté.
Vos débats ont été l'occasion de soulever bien des questions liées aux droits et à la condition des personnes privées de liberté. Nous les aborderons plus avant lors de la discussion du projet de loi pénitentiaire.
D'ores et déjà, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté marque une grande avancée. Ainsi, la France se montrera digne de son histoire et de ses valeurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, ce projet de loi doit beaucoup à votre initiative. Vous avez compris l'esprit de transparence, d'efficacité et de détermination dans lequel il a été préparé.
Les travaux parlementaires l'ont considérablement enrichi, grâce aux cinquante-trois amendements adoptés par les deux assemblées.
Je vous propose de l'approuver aujourd'hui, afin que le contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse devenir une réalité dès 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame le garde des sceaux, vous venez d'exposer de façon très complète l'évolution de ce texte sous ses différents aspects, depuis son dépôt jusqu'à son examen aujourd'hui par le Sénat en deuxième lecture.
Nous espérons que ce projet de loi aboutira rapidement à la nomination d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que le Sénat, comme vous l'avez vous-même rappelé, appelle de ses voeux depuis 2001. Je tiens en cet instant à rendre un hommage particulier à M. Canivet, alors premier président de la Cour de cassation, pour son excellent rapport, dont les conclusions nous ont amenés à déposer, puis à voter à l'unanimité une proposition de loi instituant un contrôleur général, dont les compétences, c'est vrai, se limitaient à l'époque aux prisons.
Bien entendu, la nécessité de se conformer au protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture imposait d'ouvrir ce contrôle général à tous les lieux privatifs de liberté. C'est la raison pour laquelle, en première lecture, nous avons également étendu ce contrôle aux établissements psychiatriques privés.
Le Sénat a voté le projet de loi à la fin de la première session extraordinaire, le 31 juillet dernier. L'Assemblée nationale l'a examiné et adopté à l'automne, le 25 septembre dernier, lors de la deuxième session extraordinaire.
Vous l'avez souligné, madame le garde des sceaux, le texte a été profondément enrichi par les deux assemblées.
En première lecture, la Haute Assemblée a voté vingt-six amendements, dont plusieurs sur l'initiative de l'opposition, qui visaient quatre objectifs : mieux garantir les conditions de nomination du contrôleur général, renforcer l'indépendance de cette nouvelle autorité, étendre ses prérogatives et, enfin, favoriser une articulation efficace avec les autres instances chargées de veiller au respect des droits des personnes.
Dans un avis rendu le 20 septembre 2007, la Commission nationale consultative des droits de l'homme « constate que les amendements apportés par le Sénat ont grandement amélioré celui-ci ». Mes chers collègues, venant d'une telle institution, cette remarque nous rend d'autant plus heureux !
Les députés ont approuvé l'ensemble de ces modifications et ont adopté vingt-sept autres amendements, dont treize à caractère rédactionnel, principalement sur l'initiative de M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois. Cela ne nous étonne pas de lui, puisqu'il siégeait à la commission des lois du Sénat jusqu'à son élection à l'Assemblée nationale. J'oserais dire qu'il a été bien formé ! (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme Isabelle Debré. Bravo !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ces amendements complètent et confortent les orientations défendues par le Sénat sur un certain nombre de points.
Le premier porte sur les conditions de désignation du contrôleur général.
Madame le garde des sceaux, vous l'avez rappelé, ce dernier est nommé par décret du Président de la République, et non par un décret simple, afin de consacrer l'importance de la mission dévolue à cette autorité. La consultation prévue des assemblées a donné lieu à un débat, dans la mesure où la commission des lois de l'Assemblée nationale souhaitait que le contrôleur général soit désigné « dans les conditions prévues par la Constitution ». Soit, mais, pour l'instant, la Constitution ne prévoit rien en la matière ! (Mme le garde des sceaux sourit.) Si elle avait été adoptée, cette disposition aurait donc reporté obligatoirement la nomination du contrôleur général à des temps plus lointains.
Finalement, le texte prévoit l'avis préalable de la commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat. Bien évidemment, nous attendons les conclusions du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit « comité Balladur ».
S'il devait y avoir une révision de la Constitution sur ce sujet de la consultation du Parlement, il sera toujours temps, dans une loi organique qui suivra la révision, de préciser toutes les institutions dont les membres seront nommés « dans les conditions prévues par la Constitution ». Cela étant, la rédaction actuelle du projet de loi permettra de nommer dès à présent le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Le deuxième point porte sur l'indépendance du contrôleur général.
En première lecture, nous avons souhaité mettre en oeuvre plusieurs des préconisations contenues dans le rapport de l'office parlementaire d'évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes présenté en 2006 par notre collègue Patrice Gélard.
L'Assemblée nationale a tenu à préciser que les contrôleurs chargés d'assister le contrôleur général seraient placés sous l'autorité exclusive de celui-ci dans « l'exercice de leurs missions ». Il s'agit, me semble-t-il, d'une sage décision, puisque cela permettra de nommer des contrôleurs ayant une autre activité et n'exerçant pas forcément à temps plein et, donc, d'enrichir le « vivier » de recrutement. Il existe d'ailleurs déjà dans l'administration des cas où un certain nombre d'experts désignés n'exercent pas à temps plein. Ainsi, il sera possible de faire appel à un plus grand nombre de personnalités, notamment celles qui ont des compétences pluridisciplinaires. Chacun le sait, compte tenu de la diversité des lieux à contrôler, il ne peut pas y avoir qu'un seul profil de contrôleur.
Le troisième point concerne le renforcement des prérogatives du contrôleur général.
En première lecture, nous avons renforcé les suites données au droit de visite sur trois aspects : les observations adressées par le contrôleur général au ministre intéressé porteraient non seulement sur l'état du lieu visité, mais aussi sur les conditions de détention des personnes privées de liberté ; l'autorité responsable du lieu d'enfermement aurait l'obligation de répondre au contrôleur général lorsque celui-ci l'a expressément demandé ; le contrôleur général serait tenu de dénoncer, d'une part, au procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, les infractions constatées et, d'autre part, à l'autorité administrative, les fautes disciplinaires parvenues à sa connaissance.
Les députés sont allés dans le même sens. Sur le droit de visite, ils ont même, à mon sens, amélioré encore davantage la rédaction. Pour certains cas, que nous avons conservés et qui me paraissent tout de même justifiés, les motifs opposés à la visite du contrôleur général devraient présenter un caractère non seulement « grave », mais aussi, ont-ils ajouté, « impérieux ». Ils ont rendu obligatoire la motivation de cette opposition. Ils ont, en outre, précisé que les autorités responsables des lieux de privation de liberté devaient informer le contrôleur général dès que les circonstances avancées à l'appui d'un refus de visite avaient cessé.
Quant aux suites données aux visites, les députés ont proposé une procédure d'urgence, permettant au contrôleur général de fixer un délai dans lequel l'autorité compétente devait lui répondre et de rendre public le contenu de ses observations et des réponses. Une telle précision est également importante, car les nouvelles garanties ainsi apportées permettront d'accroître l'efficacité du contrôle général.
Le quatrième et dernier point porte sur la coordination avec les autres instances chargées de veiller au respect des libertés.
Les députés ont enrichi le texte, puisqu'ils ont autorisé la saisine directe du Médiateur de la République par le contrôleur général. Il faut le rappeler, madame le garde des sceaux, le Médiateur de la République se rend déjà dans les établissements pénitentiaires, ce qui est une très bonne chose, mais pour y remplir sa fonction habituelle : les détenus, comme tous les autres citoyens, sont en droit de faire appel à lui pour leurs démarches administratives, notamment auprès des organismes de sécurité sociale. Le Médiateur fait d'ailleurs remarquablement ce travail de grande importance.
De plus, nous nous sommes interrogés sur la pérennité de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administratifs et des zones d'attente, laquelle pourra donc être supprimée dès que le contrôle général des lieux de privation de liberté sera institué. Je tiens tout de même à le rappeler, cette commission, même disposant de peu de moyens et ne bénéficiant pas du statut d'autorité administrative indépendante, a fait un travail remarquable, et il faut donc en féliciter son président, conseiller à la Cour de cassation, ainsi que l'ensemble de ses membres.
Comme en témoigne ce rappel des travaux parlementaires, l'adoption des amendements des deux assemblées permet de répondre à des préoccupations largement communes. M. Mermaz ne me démentira pas sur ce point, l'Assemblée nationale et le Sénat partagent depuis longtemps le même point de vue sur la nécessité d'instituer un contrôle indépendant, qui s'est donc dans un premier temps limité aux prisons.
La navette a permis de renforcer le statut et les pouvoirs du contrôleur général, lui donnant ainsi les moyens d'une action efficace et conforme aux fortes attentes soulevées par l'institution d'un contrôle indépendant.
Mes chers collègues, l'équilibre auquel le Sénat et l'Assemblée nationale sont ainsi parvenus au terme de la première lecture et l'absence de désaccord entre les deux assemblées conduit la commission des lois à vous proposer d'adopter le projet de loi sans modification.
Je le répète, le vote définitif du texte doit permettre la nomination rapide du contrôleur général. Je souhaite rappeler toute l'importance qui s'attache au choix de la personnalité appelée à exercer ces fonctions, pour asseoir le magistère moral de la nouvelle autorité. À cet égard, la participation, pour la première fois, des commissions des lois de chaque assemblée à la procédure de désignation constitue une forte garantie.
Le vote du texte doit être aussi une incitation pour le Gouvernement à ratifier rapidement le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture, qui prévoit la mise en place d'un mécanisme national de prévention indépendant. Une telle ratification est très facile, il suffit de l'inscrire à l'ordre du jour ! (M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement sourit.) La France pourra ainsi se prévaloir d'avoir anticipé la mise en oeuvre de ses obligations internationales.
Enfin, le contrôle s'exercera sur quelque 5 700 lieux d'enfermement. Il paraît donc indispensable que la nouvelle institution dispose progressivement des moyens humains et financiers à la mesure de la mission qui lui a été assignée par le législateur, ce que nous pourrons d'ailleurs prochainement vérifier, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, tel qu'il nous revient après la première lecture à l'Assemblée nationale, n'est guère différent, comme on pouvait s'y attendre, de celui qui avait été voté par le Sénat.
Certes, M. le rapporteur vient de le rappeler, notre assemblée avait amendé le projet de loi sur quelques points.
Elle avait ainsi étendu, à juste titre, les visites du contrôleur général aux établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement. Nous avions également reconnu au contrôleur général un pouvoir de saisine non seulement du procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, mais aussi des autorités administratives, pour des faits pouvant entraîner des sanctions disciplinaires. Le Sénat avait également prévu que le contrôleur général coopère avec les organismes internationaux compétents. Il avait enfin adopté des dispositions allant dans le sens d'une certaine indépendance financière de l'institution.
L'Assemblée nationale a retenu ces modifications. Elle a apporté, entre autres, des améliorations à l'article 7 du projet de loi, en faisant obligation aux autorités compétentes saisies par le contrôleur général d'une violation grave des droits fondamentaux d'une personne privée de liberté de répondre à celui-ci et de faire cesser la violation dénoncée.
Toutefois, pour le reste, nous constatons que le texte est resté en l'état. Les préoccupations essentielles dont nous avions fait part devant le Sénat lors de la première lecture n'ont pas été prises en compte. C'est pourquoi nous défendrons ce matin plusieurs amendements, afin que chacun, ici, prenne ses responsabilités.
Nous persistons à penser que l'autorité et l'indépendance du contrôleur général ne seraient vraiment garanties que si la nomination de celui-ci par décret du Président de la République était précédée d'un avis de la commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat pris à la majorité des trois cinquièmes de leurs membres.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'est pas possible !
M. Louis Mermaz. On parle de tous côtés d'accroître le rôle du Parlement, mais qu'attendent les parlementaires de la majorité actuelle pour exercer, comme nous, sans plus attendre, les pouvoirs qui sont les nôtres ? À qui la faute si le Parlement est réduit au rôle de chambre d'enregistrement ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'est pas nouveau !
M. Louis Mermaz. Si ce n'est pas nouveau, monsieur le rapporteur, c'est une raison supplémentaire pour changer la situation !
M. Louis Mermaz. Les autres articles apportent un soin vétilleux à encadrer, voire à entraver la nouvelle institution avant même qu'elle existe, puisqu'il faut bien la créer pour avoir l'air de répondre à l'exigence internationale du protocole à la convention des Nations unies du 18 décembre 2002.
Mais, dans son article 6, article central, le projet de loi répond-il vraiment à nos engagements internationaux, alors même qu'il enserre l'action du contrôleur général dans un filet d'interdits ?
Lors de la première lecture au Sénat, vous vous êtes méprise, madame le garde des sceaux, dans l'interprétation que vous avez donnée du protocole à la convention des Nations unies, comme l'a fait savoir, à l'ouverture de la séance suivante, notre collègue Jean-Pierre Sueur dans un rappel au règlement. Vous avez invoqué à tort les dispositions concernant les mécanismes internationaux de contrôle qui permettent à un État, au nom du principe de souveraineté, de « faire objection à une visite » ou bien d'y apporter des restrictions, à titre exceptionnel d'ailleurs, et sous réserve d'une possibilité de report. Vous avez cru justifier ainsi les restrictions indûment apportées par le deuxième alinéa de l'article 6 à l'exercice des prérogatives du futur contrôleur général sur le territoire de la République.
Invoquer la défense nationale, la sécurité publique, des catastrophes naturelles ou des troubles sérieux dans le lieu visité ouvre la voie à l'arbitraire dans le choix des motifs qui pourront être invoqués pour refuser ou reporter la visite. Or il ne revient pas aux autorités d'un lieu de privation de liberté de choisir le moment où s'exercera le contrôle. Cette prérogative doit revenir entièrement au contrôleur. Sinon, vous contrevenez aux clauses du protocole à la convention des Nations unies.
Tout aussi graves sont les restrictions de toute nature apportées par l'alinéa 4 de l'article 6 aux investigations du contrôleur général et des contrôleurs qui l'assistent, qui doivent avoir accès à toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de leur mission, et ce d'autant plus qu'ils sont tenus au secret professionnel pour les informations qu'ils recueillent.
Enfin, il est essentiel qu'en cas d'atteinte flagrante et grave aux droits fondamentaux des personnes le contrôleur général puisse enjoindre aux autorités responsables de prendre toute mesure nécessaire au respect de ces droits.
Comment peut-on, à ce sujet, nous parler d'empiètement sur la justice, comme s'il ne s'agissait pas de faire prendre dans les plus brefs délais des mesures de caractère administratif, afin de faire cesser les abus ou de mettre un terme à des carences sans exclure, en cas de faute grave, comme cela est prévu, la saisine du procureur de la République ? Refuser au contrôleur général tout pouvoir d'injonction, c'est en faire un témoin impuissant, au mieux un rédacteur de rapports qui iront trop souvent garnir les rayonnages des ministères.
On peut donc se poser la question suivante : le contrôleur général, tel que le conçoit le Gouvernement, est-il une institution dotée des prérogatives et des moyens lui permettant de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, ou bien n'est-ce qu'une sorte de placebo ?
Est-il un paravent pour masquer le déploiement, depuis 2002, d'un arsenal juridique de plus en plus répressif, rendu encore plus inhumain et cruel par la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs du 10 août 2007, dont le quotidien Le Monde nous a fait connaître les premières conséquences dans son numéro daté du 13 octobre dernier ?
Est-il un paravent pour masquer une politique pénale qui conduit à l'accroissement continu de la population carcérale et, trop souvent, à son dénuement ? Est-il un paravent pour masquer la situation faite aux immigrés retenus dans les zones d'attente et les centres de rétention ?
Face à une telle situation, on comprend pourquoi le Gouvernement entend limiter le plus possible le droit de regard et d'intervention du futur contrôleur général, même s'il s'entoure demain de toutes les précautions pour le choisir.
Le vote des amendements que nous allons défendre permettrait seul de lever les inquiétudes légitimes et lourdes que je viens d'exprimer au nom de mon groupe.
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. « Une justice plus humaine garantit le respect de la dignité des personnes détenues. Un contrôleur général des lieux de privation de liberté sera chargé de faire respecter les droits fondamentaux des personnes détenues. Un projet de loi pénitentiaire sera également présenté au mois de novembre. Il améliorera les conditions de prise en charge des détenus et les conditions de travail du personnel pénitentiaire ». Madame le garde des sceaux, tels sont les propos que vous avez tenus dans un article publié récemment dans un grand quotidien national.
Nous voulons tous croire que l'on tourne une page dans les prisons de notre République et que l'on met un point final à ce qui fut, pendant des décennies, une humiliation pour la patrie des droits de l'homme.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes confiant !
M. Jean-René Lecerf. Si, à la prison parfois « école de la récidive » pouvait succéder, demain, la prison « école de la réinsertion », c'est la société tout entière qui en tirerait profit, d'abord pour sa sécurité et celle de nos concitoyens les plus fragiles, ensuite pour la seconde chance qu'elle offrirait à ceux qui, après avoir payé leur dette, sauraient la saisir, et, enfin, pour les valeurs universelles dont nous sommes porteurs depuis plus de deux siècles et dont notre monde carcéral était quelquefois, mais c'est déjà beaucoup trop, la négation.
Je sais bien que seuls les trains qui n'arrivent pas à l'heure intéressent les médias, si je puis me permettre cette image quelque peu osée aujourd'hui. (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Fauchon. En effet !
M. Jean-René Lecerf. Mais il est aussi, dans le monde pénitentiaire, de remarquables succès.
Avec quelques collègues sénateurs, dont certains sont présents, nous visitions hier, à Fresnes, deux structures uniques en France : l'Établissement public de santé national et le Centre national d'observation. Je ne crois pas trahir leur sentiment en vous disant combien nous avons été impressionnés par la motivation exceptionnelle des médecins, des personnels pénitentiaires, des psychiatres, des psychologues et des travailleurs sociaux que nous avons rencontrés, par leur humanité envers les détenus, par le respect mutuel des personnels soignants et des personnels de surveillance.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Jean-René Lecerf. Mais, bien sûr, ne versons pas dans l'angélisme !
Cette atmosphère, cette culture, je ne les ai pas trouvées lors de tous mes déplacements dans nos établissements pénitentiaires. Mais, parfois, comme dans cette prison sans murs de Casabianda, en Corse, nous avons été attentifs à des détenus qui nous disaient que les barreaux étaient inutiles, car ceux-ci étaient dans leur tête, et nous avons pu constater combien le travail était un élément essentiel pour faire de la prison un temps utile, et non un temps mort.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Jean-René Lecerf. Je voulais simplement dire par là que la volonté de changer la prison n'était pas un rêve de naïf, mais qu'elle était une ardente obligation, unanimement partagée et rendue possible par les progrès considérables, trop souvent passés sous silence, accomplis ces dernières années, tant dans les mentalités des uns et des autres que dans la qualité du personnel de l'administration pénitentiaire.
En adoptant aujourd'hui, sans doute de manière définitive, le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous franchissons une nouvelle étape. Je me réjouis que le Sénat et l'Assemblée nationale aient travaillé dans le même état d'esprit et uni leurs efforts pour améliorer le texte qui leur était proposé, les députés approuvant et confortant les modifications apportées par les sénateurs. Comment s'en étonner, si l'on se remémore l'étroit parallélisme des bilans de l'état de nos prisons que les deux assemblées avaient dressé en 2000, dans leurs commissions d'enquêtes respectives ?
Sans doute, des avancées restaient encore possibles. J'aurais préféré, par exemple, que l'avis de la commission des lois de chacune des deux assemblées, préalable à la nomination du contrôleur général par décret du Président de la République, soit exprimé à une majorité qualifiée suffisamment compréhensive pour englober l'opposition. Je fais confiance aux présidents des deux commissions des lois pour rechercher ce consensus et je souhaite l'entrée en vigueur rapide de cette réforme.
Notre rapporteur, Jean-Jacques Hyest, a raison de rappeler toute l'importance qui s'attache au choix de la personnalité appelée à exercer ces fonctions, afin d'asseoir le magistère moral de la nouvelle autorité. Cette association nouvelle du Parlement et du chef de l'État, que Nicolas Sarkozy souhaite développer pour la nomination aux plus hautes responsabilités, apportera un souffle nouveau à notre République et fera partie, je l'espère, des aspects essentiels de la réforme constitutionnelle à venir. Elle contribuera aussi à montrer qu'au-delà des différences de sensibilité naturelles, légitimes, voire nécessaires dans une démocratie, il existe aussi des passerelles et des points de convergence entre les uns et les autres.
La confiance exprimée par la représentation nationale, dans sa globalité, envers celles et ceux qui seront amenés à exercer d'éminentes responsabilités confortera encore leurs chances de réussite et les protégera des turbulences liées aux alternances politiques.
Madame le garde des sceaux, vous le savez mieux que quiconque, la réforme de nos prisons n'est pas une réforme comme les autres. Elle ne doit pas opposer majorité et opposition, mais les réunir étroitement, car elle puise ses fondements dans le souci absolu de la dignité humaine.
Les débats qui s'organiseront autour de la prochaine loi pénitentiaire sont lourds de sens : traduction dans notre droit positif des règles pénitentiaires européennes, prise en compte des mesures et sanctions pénales tant en milieu fermé qu'en milieu ouvert, développement des alternatives à l'incarcération, respect du droit, bafoué depuis plus de cent trente ans, quant à l'encellulement individuel, nouvelle appréhension, beaucoup plus ambitieuse, de la formation professionnelle et du travail des détenus, attention renouvelée portée à la maladie mentale en prison et à son traitement, meilleure reconnaissance de la qualité du travail si complexe des personnels de l'administration pénitentiaire. Voilà quelques thèmes importants, même s'ils ne sont pas exhaustifs.
Alors que certains commentateurs redoutent que la grande loi pénitentiaire attendue ne se transforme en catalogue de voeux pieux, sans prise sur la réalité carcérale au quotidien - on peut les comprendre quand on sait qu'il y a urgence en ce domaine depuis deux cents ans ! -, nous comptons sur vous, madame le garde des sceaux, pour que nos espérances unanimes ne soient pas déçues. Vous savez que vous pouvez compter sur notre concours, certes vigilant et exigeant, mais déterminé et sans partage.
Dans cette attente et puisqu'à chaque jour suffit sa peine, même s'il n'est pas inutile de remettre les réformes en perspective, c'est avec enthousiasme que le groupe de l'UMP adoptera ce projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que nous examinons en deuxième lecture le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, il serait utile de réfléchir aux remarques faites par ceux qui sont les plus impliqués dans la défense de la dignité des détenus et qui demandent l'amélioration de ce texte. La commission des lois dans sa majorité en a décidé autrement puisqu'elle souhaite un vote conforme. Pourtant, même si elle est pressée d'aboutir, elle devrait, au moment où l'on annonce une revalorisation du rôle du Parlement, prêter attention aux amendements qui seront déposés.
J'évoquerai, d'abord, le contexte dans lequel intervient la discussion du présent projet de loi.
Il y a sept ans, au lendemain du rapport Canivet et des deux commissions d'enquête parlementaire, la création d'un contrôleur extérieur des prisons s'imposait compte tenu de notre attachement au respect des droits de l'homme. Des exemples allant dans ce sens existaient dans d'autres pays, notamment en Europe.
Nous aurions pu, dès lors, prendre les choses en main et être en avance en ce domaine. Or la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons, déposée par nos collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, pourtant adoptée par le Sénat, est restée lettre morte, n'ayant jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Il est désormais urgent de mettre en place un contrôle extérieur de tous les lieux de privation de liberté, parce que leur nombre a considérablement augmenté, et parce que la politique d'aggravation des sanctions pénales, continue depuis cinq ans, accroît la dégradation des conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires.
Actuellement, le nombre de détenus dans les prisons françaises est de 60 677 détenus, contre 49 718 en 2001. Hélas, ce triste bilan ne risque pas de diminuer avec la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, dont les effets sont déjà tangibles. Condamnées à des peines quasiment automatiques, des personnes sont envoyées en prison pour des durées exceptionnellement longues, et ce quelles que soient la personnalité de l'auteur ou la nature de l'infraction commise.
Madame le garde des sceaux, lorsque nous vous avions alertée, en juillet, sur les risques de surpopulation carcérale qu'allait engendrer cette loi, vous aviez rétorqué que celle-ci aurait, au contraire, un effet dissuasif. Les chiffres démentent vos souhaits et confirment, malheureusement, nos prévisions.
Un premier bilan, établi par votre ministère au 1er septembre 2007, fait état du prononcé de 71 peines planchers sur 118 condamnations visant des faits de récidive, soit un taux de 60 %, cela en moins d'un mois d'application !
Or, l'état de nos prisons ne leur permettra pas de supporter, sans risque grave, une nouvelle explosion carcérale. Le taux d'occupation est déjà de 120 %, il est même plus élevé dans les maisons d'arrêt, où il avoisine les 137 %.
Les parlementaires qui vont visiter les prisons - plus ou moins officiellement - connaissent cette situation, que la presse constate et qui nous fait honte ! L'espace de déambulation à Fleury-Mérogis est d'un peu plus de 4 mètres carrés, situation qui s'apparente à celle d'une bête en cage, selon l'Observatoire international des prisons, l'OIP. Cette association rappelle que la surface minimale fixée pour l'enfermement dans les chenils est fixée à 5 mètres carrés par animal. Nous savons établir des constats, mais nous avons du mal à en tenir compte !
Quant aux centres de rétention, ils semblent devoir se multiplier, au regard de la politique menée par votre gouvernement à l'égard des étrangers. On en compte 22 aujourd'hui en France métropolitaine et 3 à l'extérieur. Il faut y ajouter évidemment la multiplication des lieux d'enfermement, qu'ils soient destinés aux mineurs ou aux détenus souffrant de troubles psychiatriques.
Quand bien même nous approuverions que la France se mette - enfin ! - en conformité avec le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la torture et qu'elle puisse ainsi le ratifier prochainement, la création d'un contrôle extérieur des lieux de détention - que je souhaite, avec d'autres, depuis si longtemps - ne saurait servir d'alibi à une politique pénale à laquelle nous sommes totalement opposés.
Le projet de loi initial que vous avez présenté, madame le garde des sceaux, s'inscrivait a minima par rapport au protocole facultatif ou même à la proposition de loi présentée par MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel et adoptée par le Sénat en 2001.
Néanmoins, il est indéniable que des améliorations ont été apportées au texte depuis sa présentation au Sénat, en juillet dernier.
Une garantie d'indépendance a été apportée par le Sénat et n'a pas été remise en cause par l'Assemblée nationale : le contrôleur sera nommé par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée.
Cette nouvelle procédure de nomination, qui associe le Parlement au choix du contrôleur, tend à assurer une plus grande indépendance à celui-ci : nous y sommes évidemment tout à fait favorables. Nos collègues députés ont judicieusement ajouté une garantie concernant ses compétences et connaissances professionnelles ; nous y sommes également très favorables, car elle est expressément prévue par l'article 18, paragraphe 2, du protocole facultatif à la convention contre la torture. Nous ne faisons donc que nous mettre en conformité avec ces dispositions.
Ces modifications étaient essentielles afin que la légitimité du contrôleur ne puisse être contestable ni même contestée.
De même, nous regrettions, en première lecture, que cette future institution soit déconnectée des instances internationales, et plus précisément du Sous-comité de la prévention : la consécration de la coopération entre le contrôleur et les organismes internationaux compétents prévue par la version amendée du projet de loi mérite donc d'être saluée.
Enfin, nous ne pouvons qu'être favorables à la possibilité offerte au contrôleur de saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, ainsi que le Médiateur de la République, et à l'obligation qui lui est imposée de saisir le procureur de la République, en cas d'infractions pénales, et l'autorité administrative, en cas de fautes disciplinaires.
Néanmoins, malgré ces quelques avancées, le projet de loi ne répond pas à nos exigences en matière de contrôle des lieux de privation de liberté.
La première critique, que nous exprimions déjà en première lecture, concerne le champ de compétence territoriale du contrôleur.
Le préambule du protocole rappelle l'obligation faite à tout État partie de « prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne soient commis dans tout territoire sous sa juridiction ». Or, le projet de loi maintient, malgré nos observations, le territoire de la République comme seul champ de compétence du contrôleur général.
En première lecture, nous avions déposé un amendement visant à étendre sa compétence à tout territoire placé sous la juridiction de l'État, mais celui-ci a malheureusement été déclaré irrecevable par la commission des finances, en application de l'article 40 de la Constitution. Après discussion avec la commission des finances, nous avons pu redéposer cet amendement en deuxième lecture, car la commission a bien voulu admettre que l'article 40 ne lui était pas opposable. Comme quoi, il vaut la peine de discuter les oukases de la commission des finances quand on est parlementaire !
Si notre amendement n'était pas adopté, le Gouvernement exclurait volontairement de tout contrôle les lieux de privation de liberté situés à l'étranger, alors même qu'ils sont sous la responsabilité de l'État. La définition territorialisée du périmètre d'action du contrôleur des lieux de privation de liberté retenue par l'article 6 du projet de loi est à la fois floue et restrictive. Afin que tous les lieux de privation de liberté dépendants de l'État soient réellement pris en compte dans ce projet de loi, nous demandons que ce périmètre d'application soit défini clairement. Ce ne sera malheureusement pas le cas puisque le Gouvernement s'obstine à borner la compétence du contrôleur au seul territoire de la République.
La deuxième critique concerne les conditions de visite des lieux de privation de liberté par le contrôleur.
Le projet de loi initial ne prévoyait pas que le contrôleur général puisse effectuer des visites inopinées. Or, cette restriction était évidemment incompatible avec un contrôle effectif. Le Sénat, suivi par l'Assemblée nationale, a opportunément supprimé l'obligation de prévenir les autorités responsables des lieux de privation de liberté avant toute visite du contrôleur.
Néanmoins, il convient de relativiser ce qui aurait pu constituer une avancée : il subsiste tellement de restrictions que cette possibilité d'effectuer des visites inopinées n'aura finalement qu'une application partielle. Il est bien regrettable que la liste des motifs autorisant le report d'une visite du contrôleur soit maintenue, alors que des amendements de suppression de cette liste avaient été adoptés. À la suite d'une deuxième délibération, demandée par le Gouvernement, cette liste a été rétablie. Nous avons à nouveau déposé un amendement tendant à la supprimer. C'est le type même de question qui mériterait d'être discuté de manière plus approfondie, si nous avions la volonté d'exercer notre rôle de parlementaires !
Certes, deux modifications ont été apportées : les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne pourront s'opposer à la visite du contrôleur que pour des motifs graves et, désormais, « impérieux ». Par ailleurs, ces mêmes autorités devront informer le contrôleur général que les circonstances exceptionnelles ayant motivé le report de sa visite ont cessé.
Sur le fond, ces modifications changent peu de chose : le contrôleur général ne sera pas libre d'effectuer des visites qu'il estimerait pourtant opportunes. Telle est la réalité ; ces exceptions sont plus importantes que ce que les termes mêmes du protocole facultatif ne permettaient de le penser, car elles ne sont pas prévues pour les mécanismes nationaux. Pourtant, les motifs liés à la sécurité publique, à la défense nationale ou à des troubles sérieux dans le lieu visité seraient précisément de nature à justifier une visite du contrôleur général.
La dernière critique que je formulerai, et qui n'est pas la moindre, concerne les moyens alloués à l'institution du contrôleur général. Nous avions déjà soulevé ce problème en première lecture. Malheureusement, nos doutes ne se sont pas dissipés à la suite de l'examen du texte par l'Assemblée nationale. Bien que les crédits du contrôleur soient désormais clairement inscrits au programme intitulé « Coordination du travail gouvernemental » - conformément à ce que nous demandions -, le montant prévu nous inquiète.
Vous annonciez, madame le garde des sceaux, que le contrôleur général disposerait d'une enveloppe de 2,5 millions d'euros et serait assisté de 18 collaborateurs. Je vous rappelle que l'on dénombre environ 5 788 lieux de privation de liberté : imaginez-vous réalisable de demander à chaque collaborateur - j'ai volontairement omis le contrôleur général de mon calcul - de visiter 321 sites par an ? Il ne me paraît pas exorbitant de prévoir que chaque site soit visité au moins une fois par an.
Or, l'attribution de moyens adéquats est le gage d'un fonctionnement efficace de l'institution. Notre inquiétude grandit en pensant aux difficultés que rencontrent régulièrement la CNDS ou encore la CNIL pour mener à bien leur mission.
Enfin, j'espère que le Gouvernement tiendra son engagement de ratifier avant la fin de l'année le protocole facultatif, comme cela m'a été promis par le ministère des affaires étrangères en réponse à ma question écrite du 28 juin dernier. Cette ratification est vraiment nécessaire pour que la France confirme son engagement international de respect des droits de l'homme, engagement dont on peut penser qu'il n'est pas aujourd'hui obsolète !
Néanmoins, nous persisterons dans notre abstention en deuxième lecture. Je le regrette sincèrement, pour ma part, ...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous aussi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... mais notre groupe ne peut pas accepter que ce texte n'accorde pas des attributions et des moyens plus importants au contrôleur extérieur des lieux de privation de liberté.
M. Louis Mermaz. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la deuxième lecture de ce projet de loi nous offre l'occasion de rappeler quelques points importants liés, directement ou indirectement, à la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Je voudrais tout d'abord souligner les avancées permises par les deux lectures qui ont eu lieu au Sénat et à l'Assemblée nationale. Elles permettent tout d'abord un renforcement des pouvoirs de l'institution. Au départ, nous pouvions regretter que la définition des compétences attribuées au contrôleur limite sa marge de manoeuvre.
Au titre des avancées, dont certaines ont déjà été rappelées, je citerai notamment la suppression par le Sénat du principe de l'information préalable des autorités responsables des lieux visités. Les députés ont également rendu obligatoire la motivation de l'opposition éventuelle des responsables d'établissement à la visite du contrôleur général. Ainsi prévaudra la règle selon laquelle le contrôleur intervient de sa propre initiative et non sur autorisation, si l'on peut dire, du responsable des lieux visités.
Par ailleurs, grâce au Sénat, l'autorité responsable de l'établissement aura l'obligation de répondre aux observations du contrôleur général lorsque celui-ci l'aura expressément demandé. C'est la moindre des choses, si l'on ne veut pas que les observations du contrôleur général ne constituent finalement qu'un rapport de plus.
Pour assurer une meilleure coordination avec les autres instances chargées de veiller au respect des libertés, le Sénat a permis la saisine du contrôleur général par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE. Inversement, le contrôleur aura la possibilité de saisir directement la CNDS et les députés ont également prévu que le contrôleur puisse saisir directement le Médiateur, comme je l'avais personnellement souhaité en déposant, en première lecture, un amendement que le Sénat n'avait pas retenu.
Sans entrer plus dans le détail, je dirai que l'ensemble de ces modifications va dans le bon sens, sans aucun doute, même si plusieurs associations nous ont saisis à la veille de la discussion d'aujourd'hui pour nous faire part de leurs doutes sur l'efficacité ou l'utilité de certaines dispositions du texte. Je comprends certaines de ces réserves, mais je crois nécessaire de laisser le temps à l'institution de se mettre en place,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Yves Détraigne. ... de voir ce que l'expérience peut nous apporter et d'en tirer les leçons.
Si, effectivement, les pouvoirs et les moyens dédiés au contrôleur doivent évoluer, il nous appartiendra de modifier le texte en conséquence. Dans un premier temps, l'important, me semble-t-il, est d'adopter ce projet de loi pour que la création du contrôleur général soit effective.
Pour être efficace, madame la garde des sceaux, il est impératif d'accompagner la création de cette institution par l'attribution de moyens humains et budgétaires substantiels. Vous aviez annoncé au Sénat que le contrôleur général des lieux privatifs de liberté serait doté d'un budget de 2,5 millions d'euros et de dix-huit collaborateurs, comme Mme Borvo Cohen-Seat vient de le rappeler. Pouvez-vous nous confirmer aujourd'hui ce qui est prévu au titre de la loi de finances pour 2008 et ce que sera, dans les années à venir, le programme de montée en puissance de cette institution dont nous attendons beaucoup ?
Avant de conclure, je voudrais également souligner les avancées obtenues, à l'occasion de l'examen du projet de loi par les deux chambres, sur le mode de désignation du contrôleur général, qui sera nommé après avis - certes avis simple - de la commission des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat et « en raison de ses compétences et connaissances professionnelles ».
Comme je le disais en juillet, il sera essentiel que le premier contrôleur général à être nommé soit une personnalité incontestable et à l'autorité reconnue afin que l'institution prenne d'emblée toute sa dimension.
Pour conclure, je réaffirme le soutien du groupe de l'Union centriste-UDF à la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Notre assemblée s'était illustrée en adoptant en 2001 un texte similaire sur l'initiative du président de sa commission des lois, Jean-Jacques Hyest, aujourd'hui rapporteur, et nous ne pouvons que nous réjouir de cet heureux aboutissement. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer par remercier M. le rapporteur de la qualité de son rapport.
Monsieur Lecerf, vous avez raison de souligner que le présent projet de loi est une première étape puisque le projet de loi pénitentiaire permettra de conforter les acquis s'agissant du respect des droits fondamentaux et de l'amélioration des conditions de vie des personnes détenues.
Monsieur Mermaz, vous m'interpellez sur les restrictions qui seraient apportées au droit de visite du contrôleur général au regard de nos engagements internationaux. Or le projet de loi précise, conformément au protocole facultatif, que le contrôleur général aura accès à tous les lieux de privation de liberté et ne prévoit qu'une simple possibilité de report en cas de force majeure. De plus, la demande de report doit être motivée et la visite a lieu dans les meilleurs délais, « dès que les circonstances exceptionnelles ayant motivé le report ont cessé ». Le texte est donc tout à fait explicite.
S'agissant du comité prévu par l'article 9, paragraphe 1, de la convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, je n'ai fait que rappeler les principes et les mécanismes.
Madame Borvo Cohen-Seat, d'évidentes raisons pratiques rendent difficile et peu opportune l'intervention d'un contrôleur et de son équipe sur un terrain d'opérations militaires.
En outre, la plupart des interventions et des opérations extérieures de la France sont menées dans le cadre d'un mandat international et, si des personnes sont arrêtées, c'est pour être remises aux autorités du pays aux fins de jugement par un tribunal pénal international, comme cela s'est produit en ex-Yougoslavie, en Côte d'Ivoire ou en Afghanistan.
Enfin, des organismes internationaux, en particulier le comité européen pour la prévention de la torture et le comité international de la Croix-Rouge, exercent déjà des contrôles en cas de conflit. Ainsi, le CICR est intervenu pendant de la guerre du Golfe de 1990-1991 pour visiter des personnes en rétention.
Dans ce domaine s'applique un droit spécifique, régi par les conventions de Genève, qui protègent notamment les prisonniers de guerre.
Je puis donc vous dire par avance que, comme en première lecture, le Gouvernement sera défavorable à l'amendement qui sera présenté tout à l'heure sur ce point.
Vous m'avez par ailleurs interrogée, comme M. Détraigne, sur les moyens du contrôleur général.
Les crédits, qui sont inscrits au programme « Coordination du travail gouvernemental », s'élèvent à 2,5 millions d'euros pour 2008, somme qui pourra bien sûr être revue dans le cadre du budget de 2009.
Par ailleurs, un nouveau calibrage nous a conduits à évaluer le nombre des contrôleurs qui assisteront le contrôleur général à quarante, ce qui permettra de faire appel à des intervenants ayant différentes compétences en fonction des nécessités et des problématiques, qui, bien sûr, ne seront pas les mêmes selon les lieux de privation de liberté. Les priorités qui se feront jour seront évidemment différentes s'agissant de personnes en garde à vue ou de détenus en centre pénitentiaire.
Les collaborateurs du contrôleur général pourront intervenir dans le cadre de vacations ou, comme en Grande-Bretagne, à titre bénévole. Par exemple, pour s'en tenir au ministère de la justice, en cas de problème sanitaire dans un établissement pénitentiaire, il faudra davantage de contrôleurs et notamment de médecins. Des magistrats pourront également être contrôleurs à titre temporaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante, est chargé, sans préjudice des prérogatives que la loi attribue aux autorités judiciaires ou juridictionnelles, de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux.
Dans la limite de ses attributions, il ne reçoit instruction d'aucune autorité.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen est ainsi libellé :
Après les mots :
aux autorités judiciaires ou juridictionnelles,
rédiger ainsi la fin du premier alinéa de cet article :
de contrôler l'état, l'organisation, le fonctionnement de ces lieux ainsi que les conditions de vie des personnes privées de liberté et les conditions de travail des personnels afin de s'assurer du respect de la dignité et des droits fondamentaux dont les personnes privées de liberté sont titulaires.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous persistons à défendre cet amendement que nous avions déjà présenté en première lecture et à propos duquel, madame la ministre, vous ne m'avez pas répondu « par avance ».
L'article 1er ne définit toujours que de manière très générale la mission du contrôleur puisqu'il ne vise que le contrôle des « conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux ».
La modification apportée par nos collègues députés, qui ont étendu le contrôle aux modalités du transfèrement des personnes privées de liberté, ne modifie pas sur le fond cet article, qui limite le contrôle aux conditions matérielles de la privation de liberté et à l'application effective des droits fondamentaux des personnes.
Ce champ de compétences n'inclut pas l'organisation et les conditions de travail des personnels. À cet égard, le projet de loi se situe en deçà de la proposition de loi de 2001, qui, je le rappelle, avait été adoptée par le Sénat.
Pour que la mission du contrôleur ne soit pas superficielle, nous proposons donc de mieux la définir et d'inscrire dans la loi qu'elle doit porter sur les conditions de vie, et non pas uniquement de prise en charge, des personnes privées de liberté, sur les conditions de travail des personnels et, bien évidemment, sur l'état, l'organisation et le fonctionnement des lieux privatifs de liberté.
Ce serait d'ailleurs une garantie pour que l'exercice effectif de la mission du contrôleur soit bien accepté par l'administration pénitentiaire.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Compléter le premier alinéa de cet article par les mots :
ainsi que des conditions de travail des personnels de ces établissements.
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Les conditions de travail du personnel pénitentiaire doivent être incluses dans le champ de l'article 1er.
Tous ceux d'entre nous qui, dans le cadre des commissions d'enquête ou, depuis, au titre du droit de visite des parlementaires, se sont rendus dans des lieux de détention ont constaté en parlant - et nous sommes nombreux à l'avoir fait longuement - avec les personnels et leurs représentants syndicaux que ces personnels souhaitaient, selon leur formule, être autre chose que des « porteurs de clés » et qu'ils étaient très intéressés par tout travail relatif à la préparation de la sortie et à la réinsertion des détenus.
Leurs conditions de travail et la définition de leurs missions sont donc essentielles. D'ailleurs, dans une vie antérieure, le rapporteur, notre collègue Jean-Jacques Hyest - en collaboration avec Guy-Pierre Cabanel -, a, à diverses reprises, mentionné les conditions de travail des personnels dans ses propositions.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Jadis, on reconnaissait un effet « entonnoir » à la deuxième lecture, mais cette ère semble révolue. Cela étant, puisque nos collègues nous y invitent, il ne me gêne pas que l'on reprenne la délibération sur les points importants, comme en première lecture ! (Sourires.)
Monsieur Mermaz, le protocole facultatif ne vise absolument pas les conditions de travail du personnel. Il faut respecter le protocole, ne cessez-vous de répéter, mais c'est bien ce que fait le projet de loi !
M. Louis Mermaz. J'aurais l'occasion de vous répondre tout à l'heure !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous l'avez déjà fait trois fois !
M. Louis Mermaz. Cela fera donc la quatrième fois ! La répétition est le fondement de l'enseignement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais il ne faut pas que cela fatigue les élèves ! (Rires.)
Certes, les conditions de vie des personnels influent...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sur leur dignité !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les conditions de vie des personnels, madame Borvo Cohen-Seat, relèvent d'un tout autre débat et nous avions eu tort de les viser à l'origine. Il existe dans toutes nos administrations des comités d'hygiène et de sécurité ainsi que des comités techniques paritaires, et ce sont là les lieux où doivent être examinées les conditions de vie des personnels.
Le présent texte porte sur les conditions de vie des personnes privées de liberté et leur contrôle par le contrôleur général.
M. Robert del Picchia. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien entendu, le texte permet au contrôleur général d'entendre les personnels sur la manière dont ils exercent leurs fonctions et les difficultés qu'ils rencontrent, mais mélanger contrôle des conditions de travail des personnels et contrôle des conditions de vie des détenus conduirait à une confusion qui l'empêcherait de remplir sa mission dans l'esprit tant du protocole que de ce que nous souhaitons.
C'est pourquoi je reste, comme en première lecture, défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant du contrôle de l'état, de l'organisation et du fonctionnement des lieux privatifs de liberté, qui est visé à l'amendement n° 1, plus large que l'amendement n° 7, il est déjà expressément prévu par l'article 7 du présent projet de loi , dont je relis le premier alinéa : « À l'issue de chaque visite, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait connaître aux ministres intéressés ses observations concernant en particulier l'état, l'organisation ou le fonctionnement du lieu visité ainsi que la condition des personnes privées de liberté. »
S'agissant du contrôle des conditions de travail des personnels, que visent les deux amendements, il n'entre pas dans le champ des missions confiées aux mécanismes nationaux par l'article 19 du protocole des Nations unies, que je cite : « Les mécanismes nationaux de prévention sont investis à tout le moins des attributions suivantes :
« (a) Examiner régulièrement la situation des personnes privées de liberté se trouvant dans les lieux de détention visés à l'article 4, en vue de renforcer, le cas échéant, leur protection contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
« (b) Formuler des recommandations à l'intention des autorités compétentes afin d'améliorer le traitement et la situation des personnes privées de liberté [...] ;
« (c) Présenter des propositions et des observations au sujet de la législation en vigueur ou des projets de loi en la matière. »
Le contrôle des conditions de travail des personnels ne relève donc pas des recommandations internationales. En outre, les conditions de travail font d'ores et déjà l'objet d'inspections, les administrations concernées ayant leurs propres mécanismes de contrôle.
Leur contrôle n'entre donc pas dans les missions du contrôleur général, dont la vocation est de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, conformément au protocole.
Le Gouvernement est en conséquence défavorable aux deux amendements.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est nommé en raison de ses compétences et connaissances professionnelles par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée, pour une durée de six ans. Son mandat n'est pas renouvelable.
Il ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions qu'il émet ou des actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions.
Il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l'expiration de son mandat qu'en cas de démission ou d'empêchement.
Les fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont incompatibles avec tout autre emploi public, toute activité professionnelle et tout mandat électif.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Sans anticiper sur les propos de M. Robert Badinter, qui défendra un amendement à cet article, je me dois de rappeler, en ce qui concerne la nomination du contrôleur général des lieux de privation de liberté, combien nous sommes soucieux du respect des droits du Parlement, comme de ceux de l'opposition actuelle - j'insiste sur ce dernier terme, car les situations politiques évoluent et changeront encore, j'en suis certain. (Sourires.)
Nous estimons donc, comme nous avons eu l'occasion de le manifester à plusieurs reprises, qu'un simple avis de la commission compétente de chaque assemblée, avant le décret du Président de la République, ne garantira pas le choix d'un contrôleur général véritablement indépendant, impartial et offrant toutes les qualités nécessaires.
Le Président de la République, à l'époque où il était candidat, s'était d'ailleurs exprimé en ce sens ; il serait bon que le Parlement le rappelle par son vote.
Nous souhaitons donc que les commissions compétentes des assemblées se prononcent à la majorité qualifiée, comme M. Robert Badinter l'expliquera dans un instant.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
après avis de la commission compétente de chaque assemblée
par les mots :
après avis des commissions compétentes de l'Assemblée Nationale et du Sénat pris à la majorité des 3/5 de leurs membres
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'une plaidoirie à deux voix, comme on dirait en d'autres lieux, puisque M. Louis Mermaz a déjà présenté l'objet de cet amendement !
Je tiens tout de même à souligner l'importance de notre proposition. Celle-ci répond à une préoccupation déjà évoquée, je le sais, par notre excellent collègue M. Jean-René Lecerf, qui est si légitimement préoccupé de la condition carcérale.
Il faut que l'autorité du contrôleur général soit indiscutable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes d'accord !
M. Robert Badinter. Cela signifie non seulement qu'il doit disposer des moyens juridiques, matériels et financiers de son action, mais également que son autorité morale doit être reconnue par tous.
Or, plus l'assiette du choix est large, plus la confiance placée dans celle ou celui qui exercera ces difficiles fonctions est grande. À cet égard, l'avis rendu par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur le projet de nomination du contrôleur général constitue déjà un progrès important par rapport au texte d'origine du projet de loi. Mais encore faut-il que cet avis soit rendu à une majorité qualifiée, pour laquelle nous proposons ici un seuil minimal, à savoir les trois cinquièmes.
En effet, dans le cas contraire - ne nous leurrons pas, mes chers collègues, c'est la pratique des institutions, telles que chacun les interprète aujourd'hui -, on considérera que c'est le choix du Président de la République et de sa majorité.
Je suis convaincu que l'on gagnerait beaucoup à affirmer qu'il s'agit d'un choix élargi. On parle beaucoup d'ouverture : celle-là prendrait tout son sens !
Nous verrons ce qu'il adviendra des projets de révision constitutionnelle, mais nous n'avons pas à les attendre : dans le cas de figure que nous examinons aujourd'hui, nous pouvons d'ores et déjà prévoir d'exiger pour cet avis les trois cinquièmes des membres des commissions. L'autorité du contrôleur général s'en trouvera certainement confortée.
Dans chacune des deux assemblées, j'ai pu noter à quel point les parlementaires de tous bords étaient soucieux de transformer et d'améliorer la condition carcérale. Mes chers collègues, ce mouvement est profond, et il doit aboutir.
La création du contrôleur général des lieux de détention n'a que trop tardé, puisque nous l'attendons depuis le début du siècle, soit, certes, depuis sept ans seulement, mais c'est tout de même un délai considérable ! Nous l'avons envisagée pendant toute la dernière législature et, in fine, nous agissons pour satisfaire à des exigences internationales et nous mettre en conformité avec le protocole que nous devons ratifier avant le mois de février 2008.
Toutefois, de grâce, madame le garde des sceaux, levez la réserve inspirée par votre volonté de garder le contrôle de toute nomination. Il est nécessaire, au contraire, d'associer à cette procédure toutes les composantes du Parlement.
J'indique clairement que le vote de cet amendement conditionnera la position du groupe socialiste sur l'ensemble du projet de loi : si cet amendement est adopté, nous voterons en faveur du projet de loi ; s'il est rejeté, nous ne pourrons le faire, hélas !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je rappelle que cet amendement avait déjà été déposé en première lecture. Ce qui me surprend aujourd'hui - non pas sur le fond, mais pour des raisons de forme -, c'est qu'il soit défendu par M. Badinter.
M. René Garrec. C'est surprenant !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, en prévoyant que les commissions parlementaires donneront un avis, nous allons aussi loin qu'il est permis par la Constitution ! Il existe déjà un précédent, et c'est pourquoi je m'étais permis de proposer un tel dispositif.
Je suis d'accord pour qu'à l'occasion d'une prochaine révision constitutionnelle les pouvoirs du Parlement soient accrus en ce qui concerne certaines nominations ; j'entends parfois des propositions assez étranges à ce sujet, mais il me semble que toutes les autorités administratives indépendantes et peut-être certaines entreprises publiques importantes pourraient être concernées, dans un cadre qui reste à définir et à débattre.
Pour ma part, je considère que l'avis qui sera donné par les commissions sera forcément consensuel. Je craindrais même que l'exigence d'une majorité des trois cinquièmes ne suscite des discussions interminables et des prises de position pour ou contre telle ou telle candidature et qu'elle ne nuise de ce fait à la mission et à celui qui en sera finalement chargé.
Honnêtement, je me méfie beaucoup des majorités qualifiées. Autant elles sont adaptées pour réviser la Constitution, autant, j'en suis sûr, elles ne conviennent pas ici, car l'avis des commissions sera connu. (M. Robert Badinter s'exclame.)
Monsieur Badinter, vous le savez très bien, les commissions des lois des assemblées, au moins celle du Sénat, ne donneraient jamais un avis favorable à la désignation d'une personnalité qui, manifestement, ne serait pas à la hauteur de l'importance que nous attachons à ce contrôle général. C'est du moins mon point de vue personnel.
J'ai estimé qu'il était nécessaire d'introduire un avis des commissions dans la procédure de nomination, car cette mesure allait dans le sens du rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement, actuellement en débat. Aller au-delà aujourd'hui, ce serait outrepasser les limites que nous fixe la Constitution, me semble-t-il.
Par ailleurs, lorsque le comité Balladur aura formulé ses propositions et que le Parlement les examinera nous devrons être très attentifs à ne pas bloquer les institutions et à ne pas rendre les nominations impossibles ou perpétuellement contestées. Car quid de l'autorité de la personnalité qui aura rallié les trois cinquièmes des parlementaires consultés ? Elle sera sérieusement diminuée, car on pourra toujours dire que le candidat n'a pas convaincu les deux cinquièmes restants....
Je suis donc défavorable à cet amendement pour les raisons inverses de celles que vous avez exposées, monsieur Badinter. Si vous réfléchissez bien, j'en suis sûr, vous pourrez voter malgré tout ce projet de loi, qui est tellement important et que nous attendons depuis si longtemps ! Je sens d'ailleurs chez vous une certaine amertume que le contrôleur général soit créé aujourd'hui et qu'il ne l'ait pas été bien plus tôt.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souscris totalement aux observations de M. le rapporteur.
Monsieur Badinter, comme vous le savez, nous attendons les conclusions du comité présidé par Édouard Balladur et la révision constitutionnelle qui renforcera les pouvoirs du Parlement, et pas seulement ceux de l'Assemblée nationale.
S'agissant de la nomination du contrôleur général, une avancée importante a déjà été réalisée, puisque les avis des commissions des deux assemblées seront nécessaires. Cette procédure constitue selon nous le gage que le contrôleur nommé sera une personnalité reconnue, choisie pour ses compétences après qu'elle aura exposé l'idée qu'elle se fait de la mission du contrôleur indépendant de tous les lieux de privation de liberté.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je reconnais une certaine pertinence aux arguments de M. le rapporteur et, franchement, je ne voterais pas cet amendement si j'étais convaincue de la ténacité de la commission des lois dans ses choix !
Toutefois, l'expérience récente a montré, hélas, que la commission des lois, ou du moins sa majorité, avait tendance à revenir sur ses choix.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'était pas des choix de personnes ! Ce n'est pas la même chose !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous voterons donc l'amendement de nos collègues du groupe socialiste.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est assisté de contrôleurs qu'il recrute en raison de leur compétence dans les domaines se rapportant à sa mission.
Les fonctions de contrôleur sont incompatibles avec l'exercice d'activités en relation avec les lieux contrôlés.
Dans l'exercice de leurs missions, les contrôleurs sont placés sous la seule autorité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Compléter le dernier alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Le nombre, le statut et les conditions de nomination des contrôleurs sont définis par décret en Conseil d'État.
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Le Gouvernement nous explique que le contrôleur général constituera une autorité administrative indépendante dont le champ de compétences s'étendra à l'ensemble des lieux de privations de liberté, qui sont, hélas, plus de 5 500 en France.
C'est pourquoi, chacun en convient, le contrôleur général doit être assisté de contrôleurs nombreux et spécialisés.
Si nous examinons la situation des lieux de privation de liberté, nous constatons que 188 établissements pénitentiaires, plus de 200 zones d'attente ou locaux de rétention administrative, 4 000 locaux de garde à vue, 1 000 secteurs psychiatriques hospitaliers et 138 locaux d'arrêts des armées relèvent de la compétence des ministres de la justice, de l'intérieur et de la santé.
À l'évidence, compte tenu de la multiplicité des lieux concernés et des problèmes qui se posent, le contrôleur doit disposer d'un grand nombre d'adjoints pour assurer pleinement sa mission.
Lors de l'examen du projet de loi en première lecture, nous avons déjà rappelé qu'en Angleterre, par exemple, l'inspecteur en chef, qui est chargé de contrôler les seuls établissements pénitentiaires, mes chers collègues, pouvait s'appuyer sur une équipe de 41 personnes. C'est dire si les besoins seront importants dans le cas d'un contrôle exercé sur l'ensemble des lieux de privation de liberté.
Nous considérons donc que les conditions d'évaluation des besoins en personnel, le statut de ces agents et leurs conditions de nomination doivent être définis par décret en Conseil d'État.
Mes chers collègues, les contrôleurs adjoints ne doivent pas simplement être nommés par le contrôleur général. Ils doivent disposer d'un statut suffisamment solide, et c'est pourquoi le recours à un décret en Conseil d'État nous semble bienvenu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Mermaz, tout d'abord, le nombre des agents d'une institution est rarement fixé par un décret en Conseil d'État ! Si votre amendement était adopté, il faudrait prendre un nouveau décret à chaque fois que l'on augmente le nombre des contrôleurs, comme ce sera le cas, progressivement, me semble-t-il.
Par ailleurs, votre préoccupation, au demeurant tout à fait légitime, est satisfaite : l'article 11 du projet de loi renvoie déjà à un décret en Conseil d'État les conditions d'application de la loi. Or il est évident que la référence au décret en Conseil d'État vaut pour l'ensemble du texte, même si nous avons estimé plus raisonnable de ne pas la faire figurer à chaque article.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. Robert Badinter. Nous le maintenons !
M. Louis Mermaz. Deux précautions valent mieux qu'une !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ses collaborateurs et les contrôleurs qui l'assistent sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions, sous réserve des éléments nécessaires à l'établissement des rapports, recommandations et avis prévus aux articles 8 et 9.
Ils veillent à ce qu'aucune mention permettant l'identification des personnes concernées par le contrôle ne soit faite dans les documents publiés sous l'autorité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou dans ses interventions orales. - (Adopté.)
Article 5
Toute personne physique, ainsi que toute personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux, peuvent porter à la connaissance du Contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les membres du Parlement, le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et le président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Il peut aussi se saisir de sa propre initiative.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
, ainsi que toute personne morale s'étant donnée pour objet le respect des droits fondamentaux,
par les mots :
ou morale
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La rédaction du premier alinéa de l'article 5 ne nous convient toujours pas. En effet, le contrôleur général pourra être informé de faits ou de situations relevant de sa compétence par toute personne physique, ainsi que toute personne morale « s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux ».
Nous l'avons déjà fait remarquer en première lecture : les personnes morales « s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux » ne sont pas les seules susceptibles d'avoir connaissance de faits ou de situations contraires au respect des droits des personnes privées de liberté. En ce sens, l'article 5 restreint le champ des personnes susceptibles d'informer le contrôleur général.
Dans son avis du 20 septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme dresse le même constat : « La formulation du 1er alinéa peut sembler maladroite en mentionnant toute "personne physique", sans aucune condition, mais en visant "toute personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux", semblant ainsi exclure d'autres personnes morales, par exemple les syndicats, même si leurs responsables peuvent intervenir à titre individuel. » Or nous savons que certaines situations pourraient exiger qu'ils le fassent au nom de leur organisation.
Nous estimons par conséquent que la précision apportée à la qualité des personnes morales susceptibles d'informer le contrôleur général est en fait une restriction. C'est pourquoi nous proposons de la supprimer.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je l'ai déjà indiqué en première lecture, la notion de « personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux » paraît d'ores et déjà très souple et susceptible d'englober un grand nombre d'organisations : associations de défense des droits de l'homme, barreaux, syndicats... Et je vous confirme, madame Assassi, que les syndicats sont bien des personnes morales.
De plus, si une association ou un organisme n'est pas à proprement parler une « personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux », son dirigeant peut tout à fait saisir le contrôleur général, au même titre que toute personne physique. Il y a dans la rédaction tout au plus une maladresse, et la commission nationale consultative elle-même ne relève pas autre chose.
Il s'agit ici d'éviter que n'importe qui ne saisisse le contrôleur général. Mais les syndicats, que vous avez mentionnés, madame Assassi, et qui sont des personnes morales s'étant aussi donné pour objet le respect des droits fondamentaux, pourront le faire.
Par conséquent, cet amendement ne paraît pas indispensable. Aussi la commission en demande-t-elle le retrait, sinon elle aura le regret d'émettre un avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. Je le maintiens !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je me suis déjà prononcée à ce sujet en première lecture : les syndicats veillent au respect des droits fondamentaux des personnes qu'ils défendent.
Élargir la possibilité de saisine du contrôleur général à toutes les personnes morales risquerait d'entraîner des saisines abusives. Or le contrôleur général aura déjà bien assez à faire !
Par ailleurs, et M. le rapporteur vient de le rappeler, puisque le projet de loi autorise les personnes physiques à saisir le contrôleur général, toute personne travaillant pour une association dont l'objet n'est pas à proprement parler le respect des droits fondamentaux pourra en prendre l'initiative.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 5 bis
I. - Dans la première phrase du quatrième alinéa de l'article 4 de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité, après les mots : « président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité », sont insérés les mots : «, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ».
II. - Après le deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Médiateur de la République peut être saisi par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. » - (Adopté.)
Article 6
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique, ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement visé à l'article L. 3222-1 du code de la santé publique.
Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans le lieu visité, sous réserve de fournir au Contrôleur général des lieux de privation de liberté les justifications de leur opposition. Elles proposent alors son report. Dès que les circonstances exceptionnelles ayant motivé le report ont cessé, elles en informent le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté obtient des autorités responsables du lieu de privation de liberté toute information ou pièce utile à l'exercice de sa mission. Lors des visites, il peut s'entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours lui paraît nécessaire.
Le caractère secret des informations et pièces dont le Contrôleur général des lieux de privation de liberté demande communication ne peut lui être opposé, sauf si leur divulgation est susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l'État, au secret de l'enquête et de l'instruction, au secret médical ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut déléguer aux contrôleurs les pouvoirs visés au présent article.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. À l'occasion de l'examen de cet article, nous souhaitons poser la question de l'extension des compétences du contrôleur général. Je laisse à M. Robert Badinter le soin d'expliquer pourquoi nous souhaitons que le contrôleur général puisse intervenir en dehors du territoire national, dans des lieux qui sont entre les mains des forces armées ou de toute force relevant de la République française.
Cet article est central, notamment en son deuxième alinéa, qui précise les restrictions au droit de visite du contrôleur général : « Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans le lieu visité, sous réserve de fournir au Contrôleur général des lieux de privation de liberté les justifications de leur opposition. » Nous avons une façon merveilleuse de rédiger nos textes ! Pourquoi ne pas dire de manière plus directe que les autorités responsables du lieu de privation de liberté « peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour des motifs graves et impérieux... » ? Mais non, on recourt à un « ne...que » qui est une manière très pudique de dissimuler la réalité des choses. Il est vrai que les juristes ont l'habitude de manier la nuance à l'extrême !
La liste est bien longue des « motifs graves et impérieux » - l'Assemblée nationale a ajouté ce dernier adjectif par scrupule - qui peuvent être invoqués pour empêcher la visite du contrôleur général : défense nationale, sécurité publique, catastrophes naturelles, troubles sérieux dans le lieu visité. Que reste-t-il au contrôleur général s'il ne peut jamais choisir ni le moment ni les modalités de ses visites ? Car c'est bien à cela qu'une telle rédaction aboutira et je vois mal comment on pourra y échapper.
Voilà donc un premier risque, et d'importance. Mais il y a plus grave, et je reviens sur le protocole facultatif.
Le rapport présenté par la commission des lois en première lecture précisait que « les raisons ainsi énumérées par le projet de loi reproduisent pour l'essentiel les stipulations de l'article 14-2 du protocole facultatif des Nations unies. En outre, dans ces hypothèses, le principe de la visite ne serait pas remis en cause et il appartiendrait aux autorités responsables d'en proposer le report ». Or ces dispositions concernent le sous-comité de la prévention, qui n'a pas compétence pour agir à l'intérieur de la République française ou de tout autre État.
En effet, l'article 2 du protocole facultatif prévoit que ce sous-comité, qui ne peut comprendre plus d'un ressortissant d'un même État, coopère avec les États parties en vue de l'application du protocole. En revanche, l'article 3 précise que chaque État met en place, à l'échelon national, « un ou plusieurs organes de visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ».
Or c'est cette dernière disposition que le projet de loi met en oeuvre, et les articles 19 et 20 du protocole facultatif ne font aucune réserve à la liberté d'action des mécanismes nationaux de prévention, monsieur le rapporteur, bien au contraire : le c) de l'article 20 pose même le principe d'un « accès à tous les lieux de détention et à leurs installations et équipements », sans restriction.
S'il est tout à fait envisageable de prévoir des restrictions pour un organe international comme le sous-comité où - je le rappelle - un seul Français siégera, ce n'est pas concevable pour un organe national comme celui dont il est question ici. Ce sont deux problématiques différentes avec, d'un côté, le respect dû à la souveraineté d'un État, de l'autre, la libre circulation du contrôleur général dans l'exercice de sa mission.
Les conclusions de la commission Canivet ne prévoyaient pas de réserve à ce libre accès, pas plus que la proposition de loi Hyest-Cabanel ou, à l'Assemblée nationale, celle de Mme Lebranchu. Ce changement de pied est donc étonnant, même si cela fait partie des aléas de la vie parlementaire...
M. Louis Mermaz. Nous demandons donc la suppression de ces réserves, pour nous conformer à nos engagements internationaux, puisque, nous l'espérons, la France ratifiera le protocole facultatif, et nous refusons que l'on mélange les mécanismes nationaux de protection avec d'autres, purement internationaux.
C'est justement quand la vie des personnes retenues ou celle des personnels peut être en danger - catastrophes naturelles, troubles sérieux, atteintes à la sécurité publique... - que le contrôleur général a plus que jamais sa place ! C'est à ce moment qu'il doit pouvoir se rendre sur les lieux de privation de liberté sans réserve.
Dans cette logique, nous pensons que le contrôleur général doit pouvoir avoir accès à toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission, d'autant plus qu'il est tenu au secret professionnel. Ici encore, que reste-t-il au contrôleur général si, comme il est prévu dans le projet de loi, on peut lui opposer le secret de la défense nationale, la sûreté de l'État, la sécurité des lieux de privation de liberté, le secret de l'enquête et de l'instruction et même le secret professionnel applicable aux relations entre l'avocat et son client ?
On le voit, avec l'article 6, le champ d'intervention du contrôleur général se réduit comme peau de chagrin !
Le projet de loi ne respecte pas l'article 20 du protocole facultatif, qui prévoit dans son b) que, pour permettre aux mécanismes nationaux de prévention - « nationaux », mes chers collègues - de s'acquitter de leur mandat, les États parties s'engagent à accorder « l'accès à tous les renseignements relatifs au traitement de ces personnes et à leurs conditions de détention ». Le protocole ne formule aucune restriction.
Le rapport Canivet, que l'on a beaucoup célébré, et à juste titre, précise quant à lui que les contrôleurs peuvent « recueillir toute information », « procéder à tout constat », « entendre tout détenu ou tout membre du personnel en toute confidentialité » et « obtenir communication de tout document ou de tous renseignements utiles ».
« Mieux vaut se répéter que se contredire », disait Pierre Mendès France. Je rappelle donc que l'article 4 du projet de loi astreint le contrôleur général et ses collaborateurs « au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions ». Il n'y a donc pas lieu de poser des restrictions au libre accès du contrôleur aux informations.
Mes chers collègues, si vous préférez un contrôleur général qui exerce pleinement sa mission à un contrôleur « supercontrôlé », je vous engage à voter les amendements que nous avons déposés sur cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 10, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique
par les mots :
tout lieu placé sous la juridiction ou le contrôle des autorités de la République française où se trouvent ou peuvent se trouver des personnes privées de liberté
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. J'en reviens au problème de la limitation territoriale des pouvoirs du contrôleur général. Il faut bien mesurer qu'avec ce projet de loi nous mettons en oeuvre les exigences du protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que nous avons signé et qui est entré en vigueur le 22 juin 2006.
M. Robert Badinter. Or, aux termes du protocole lui-même, le mécanisme national doit être habilité à inspecter « tout lieu de privation de liberté placé sous sa juridiction ou son contrôle ». Mais le projet de loi ne prévoit que les visites « sur le territoire de la République ».
Mme le garde des sceaux a fait remarquer que, s'agissant d'opérations très importantes qui se poursuivent parfois longtemps, les forces armées françaises agissent très généralement dans le cadre d'un mandat des Nations unies. Ce n'est cependant pas toujours le cas. Chacun s'en souvient, la France est intervenue en Côte d'Ivoire, pour des raisons humanitaires impérieuses, avant le vote du Conseil de sécurité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est sûr !
M. Robert Badinter. Il se peut que, par obligation bilatérale, par exemple, elle soit amenée à le faire de nouveau.
Se calquer sur le texte même de la Convention donnera au contrôleur général la possibilité d'agir partout et à tout moment, comme il convient.
Bien entendu, la question de la sécurité personnelle est différente : il faut la laisser à l'appréciation du contrôleur général en fonction des circonstances.
Mes chers collègues, il est très important, au regard de nos obligations internationales, que nous ne donnions pas le sentiment de nous limiter à certaines interventions au cours desquelles, par la force des choses et sans que nous puissions remettre les prisonniers ou les personnes interpellées à l'autorité nationale, nous serions amenés à les garder.
La conjoncture internationale actuelle est telle qu'il nous faut mettre en place un dispositif qui nous mette à l'abri de toute critique et de tout soupçon.
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
, sur le territoire de la République, tout lieu
par les mots :
tout lieu relevant de la juridiction ou du contrôle de l'État
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a évoqué l'objet de cet amendement dans la discussion générale. La réponse que vous lui avez apportée ne nous satisfait pas, madame le garde des sceaux.
Même si je considère qu'il est défendu, je rappelle que cet amendement tend à mettre le projet de loi en conformité avec l'article 4 du protocole facultatif.
Je veux cependant insister : nous considérons toujours que le premier alinéa de l'article 6 du projet de loi est plus restrictif que le protocole facultatif. En effet, si le contrôleur général ne peut pas visiter tous les lieux de privation de liberté, quelle que soit leur situation géographique, cela revient à lui donner, en apparence, un contrôle dont il ne disposera pas dans les faits.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s'agit ici de l'extension du droit de visite du contrôleur général aux lieux de privation de liberté établis notamment dans le cadre des OPEX.
Compte tenu de leur contexte particulier, les lieux d'enfermement situés hors du territoire national relèvent d'un régime spécifique et, la plupart du temps, des États sur le territoire desquels ils sont implantés. Ils n'en sont pas moins actuellement soumis à des dispositifs de contrôle et Mme le garde des sceaux nous a apporté des précisions et des garanties sur ce point. La commission émet donc un avis défavorable.
Sans entrer dans un débat sur d'éventuels conflits de normes, notons cependant, en matière de mécanisme de protection, l'existence des conventions de Genève, et ce n'est certainement pas le protocole facultatif qui pourrait leur être supérieur.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 17.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le deuxième alinéa de cet article :
« Les autorités responsables du lieu de privation de liberté doivent prendre toutes les mesures pour faciliter la tâche du contrôleur général. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Aux termes de la rédaction actuelle du projet de loi, le contrôleur général ne peut donc intervenir que sur le seul territoire de la République. Initialement, il devait, de surcroît, informer les autorités responsables du lieu de privation de liberté avant toute visite. L'impossibilité d'effectuer des visites inopinées a fort heureusement été supprimée : à elle seule, elle rendait inopérante et inutile une institution chargée de contrôler les lieux de privation de liberté et d'y faire respecter les droits de l'homme.
En revanche, l'article 6 prévoit toujours que les autorités responsables peuvent s'opposer à la visite du contrôleur et proposer son report, pour des motifs « graves et impérieux » liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans le lieu de privation de liberté qui doit être visité.
Certes, ces motifs doivent désormais être non plus seulement graves mais aussi impérieux et, de plus, les autorités responsables doivent fournir au contrôleur général les justifications de leur opposition à sa visite. Néanmoins, ces pseudos garde-fous ne changent pas le fait que les visites du contrôleur général restent soumises au bon vouloir des autorités responsables du lieu qu'il entend visiter. Par définition, l'ordre public et la sécurité publique doivent être assurés dans les établissements pénitentiaires ou les locaux de garde à vue. Si tel n'était pas le cas, le contrôleur aurait d'autant plus intérêt à s'y rendre !
Par ailleurs, de telles restrictions sont contraires au protocole facultatif que la France a signé. Contrairement à ce qui est proposé dans le projet de loi, nous pensons que les autorités responsables doivent faciliter la tâche du contrôleur général. C'est d'ailleurs ce que prévoyait la proposition de loi de 2001.
C'est pourquoi nous proposons, par cet amendement, de réécrire le deuxième alinéa de l'article 6 et de supprimer de facto les restrictions applicables au contrôleur général. Ce dernier doit avoir un droit de visite et donc un droit d'accès permanent à tous les lieux de privation de liberté, faute de quoi son contrôle perdrait en efficacité, bien sûr, mais aussi en crédibilité.
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Dans la première phrase du deuxième alinéa de cet article, après les mots :
« du Contrôleur général des lieux de privation de liberté »
supprimer la fin de l'alinéa
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement a été largement défendu !
M. Louis Mermaz. Je serai d'autant plus bref pour défendre cet amendement que j'ai déjà présenté nombre d'arguments lors de mon intervention sur l'article 6.
J'aimerais cependant insister sur le fait qu'il ne faut pas appliquer au territoire national des clauses qui concernent des États, donc une situation internationale. Il n'y a pas lieu d'apporter des restrictions sous quelque forme que ce soit, même en recourant au « ne...que » dont j'ai parlé. Le droit de visite doit être absolu, total et doit pouvoir s'exercer jour et nuit si l'on veut que le contrôleur général accomplisse sa mission dans la plénitude de ses prérogatives.
Ne mélangeons pas les genres : les dispositions relatives au sous-comité pour la prévention de la torture sont une chose, les mécanismes nationaux de protection applicables sur le territoire national des divers pays signataires en sont une autre.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je pourrais répéter les propos que j'ai tenus lors de la première lecture, puisque des amendements similaires avaient déjà été déposés.
Pour ce qui concerne l'amendement n° 3, la précision qu'il tend à introduire n'est pas indispensable. En effet, le projet de loi offre les garanties nécessaires pour permettre un contrôle effectif. Pour le reste, les administrations ont tout intérêt à jouer le jeu du contrôle extérieur.
Comme nous avions pu nous en rendre compte lors des auditions organisées avant l'examen du projet de loi en première lecture, auxquelles nombre d'entre vous ont participé, mes chers collègues, ce contrôle répond aussi à une attente forte, en particulier de l'administration et des personnels pénitentiaires. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
L'amendement n° 12, quant à lui, vise à supprimer toutes les restrictions au pouvoir de visite du contrôleur général, ce qui n'est pas acceptable.
En premier lieu, certains des motifs susceptibles d'être opposés au pouvoir de visite peuvent momentanément être justifiés. En second lieu, ces restrictions ne peuvent conduire qu'au report de la visite. L'Assemblée nationale a d'ailleurs prévu que les autorités responsables du lieu de privation de liberté devaient informer le contrôleur général dès que les raisons avancées à l'appui d'un refus de visite avaient cessé. La rédaction issue de la première lecture est donc équilibrée. C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L'amendement n° 3 tend à préciser que les administrations doivent faciliter l'accès au contrôleur général. Or les visites de ce dernier sont possibles à tout moment. De fait, les administrations permettront la visite du contrôleur. Si elles émettent une opposition, elles doivent invoquer un motif grave et impérieux et, par conséquent, se justifier. L'article 6 répond tout à fait aux préoccupations des auteurs de l'amendement n° 3. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
L'amendement n° 12 vise, quant à lui, à supprimer la possibilité pour l'administration de demander le report d'une visite en cas de circonstances exceptionnelles. Mesdames, messieurs les sénateurs, face à des mutineries ou à des catastrophes naturelles - un tremblement de terre ou des inondations, comme dernièrement à Arles -, les personnels pénitentiaires ne peuvent que s'opposer à la visite du contrôleur général pour des raisons de sécurité, non seulement la sécurité du contrôleur général, mais aussi et surtout la sécurité des personnes détenues.
Il a été de surcroît précisé qu'en cas de report les administrations doivent justifier leur opposition. Libre au contrôleur d'apprécier les motifs de cette opposition. À partir du moment où les circonstances exceptionnelles ayant justifié le report ont cessé, les administrations sont censées proposer au contrôleur général un nouveau rendez-vous.
Par ailleurs - vous l'avez fort justement rappelé, monsieur le rapporteur -, l'administration pénitentiaire est très demandeuse s'agissant de l'institution du contrôleur indépendant. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l'amendement n° 3.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les explications fournies tant par la commission que par le Gouvernement sont tout à fait significatives : on invoque l'administration pénitentiaire. Or, ici, sont concernés l'ensemble des lieux de privation de liberté.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est également significatif que Mme le garde des sceaux évoque des inondations, des catastrophes naturelles, des émeutes : nous ne pouvons qu'être d'accord avec un report de la visite du contrôleur dans de telles circonstances. Mais la restriction prévue est beaucoup plus large, et, compte tenu de la diversité des lieux de privation de liberté, il me semble impossible de s'en remettre à la bonne volonté de l'administration, en l'occurrence de l'administration pénitentiaire.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'est pas de la bonne volonté !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour m'être, à titre personnel, beaucoup intéressée aux différentes formes de privation de liberté, notamment aux gardes à vue, je crois qu'il serait bon de restreindre les possibilités d'opposition des administrations concernées et de ne pas employer de termes aussi vagues que ceux de « sécurité publique ».
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Compléter la seconde phrase du troisième alinéa de cet article par les mots :
«, éventuellement à sa demande »
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Cet amendement tend à introduire une simple précision, afin d'aligner le texte de l'article 6 sur les dispositions qu'avait très judicieusement prévues la commission Canivet, à savoir la demande de la personne. Il convient de préciser que cette dernière peut être entendue quand elle le désire par le contrôleur général.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour le moins, cette précision ne me paraît pas indispensable.
Monsieur Badinter, point n'est besoin de mettre trop d'adverbes dans les textes législatifs ! Il va de soi que le contrôleur général peut s'entretenir avec une personne privée de liberté sur sa propre initiative ou à la demande de ladite personne. Une formule générale suffit.
Les mots « éventuellement à sa demande » que vous proposez d'introduire pourraient susciter des interrogations. La rédaction actuelle est claire pour tout le monde. Par conséquent je vous demande de bien vouloir retirer l'amendement n° 13, faute de quoi la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Robert Badinter. Je maintiens l'amendement !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 4, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen est ainsi libellé :
Remplacer l'avant-dernier alinéa de cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le caractère secret des informations et pièces dont le contrôleur général demande communication ne peut lui être opposé, sauf si leur divulgation est susceptible de porter atteinte au secret médical.
« Néanmoins, le contrôleur général peut avoir accès au dossier médical avec l'accord de la personne intéressée. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s'agit, une nouvelle fois, de la reprise d'un amendement que nous avions déposé lors de la première lecture. Selon nous, le quatrième alinéa de l'article 6, par les nouvelles exceptions qu'il introduit, entrave manifestement l'action du contrôleur. Avec de telles exceptions, l'administration dispose de tous les moyens pour empêcher le contrôle.
En réalité, le seul problème concerne le secret médical. C'est, à nos yeux, la seule restriction qui pourrait être opposée au contrôleur général, mais à condition qu'elle ne soit pas systématique. En effet, il nous paraît nécessaire que le secret médical puisse être levé avec le consentement de la personne intéressée. Les établissements hospitaliers entreront dans le champ de compétences du contrôleur général. Il ne faut pas que ces établissements puissent invoquer le secret médical pour s'opposer au contrôle. De même, l'accès au dossier médical s'avère nécessaire dans les cas de violences et de maltraitances commises à l'encontre d'un détenu, par exemple.
Par conséquent, nous vous proposons que seul le secret médical puisse être opposable au contrôleur, tout en pouvant être levé avec l'accord de l'intéressé.
Je vous rappelle simplement que la proposition de loi de 2001 n'envisageait de pouvoir opposer au contrôleur des prisons que le seul secret médical. N'adoptons pas aujourd'hui une disposition qui serait en retrait par rapport non seulement à un texte voté par notre assemblée, mais aussi au protocole facultatif. En effet, ce dernier prévoit que l'accès à tous les renseignements relatifs au traitement des personnes privées de liberté et à leurs conditions de détention doit être garanti.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Dans le quatrième alinéa de cet article, après les mots :
« ne peut lui être opposé »
supprimer la fin de l'alinéa
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Comme je vous l'ai indiqué précédemment, nous pensons que, en vertu de l'article 20 du protocole facultatif, on doit pouvoir avoir accès, sur le territoire d'un État, à tous les renseignements relatifs au traitement des personnes privées de liberté et à leurs conditions de détention. Tous les cas de restriction pouvant gêner l'action du contrôleur général sont dangereux pour l'exercice de sa mission.
Objectivement, le secret professionnel ne peut pas être opposé au contrôleur général quand la personne qui s'estime victime demande elle-même à ce qu'il soit levé. Évidemment, si elle souffre d'une maladie longue - chacun d'entre vous, mes chers collègues, comprend le cas de figure auquel je fais allusion -, elle peut invoquer le secret médical. Mais il est bien d'autres hypothèses : si, par exemple, une personne veut faire constater des violences dont elle aurait été victime pendant sa détention, il est nécessaire, à sa demande, que puisse être levé le secret médical afin d'apprécier la véracité de ses dires.
D'une façon générale, nous estimons que l'ensemble des motifs qui pourraient être invoqués sont contraires aux stipulations du protocole facultatif concernant la situation à l'intérieur de chacun des États.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ces deux amendements ont pour objet de supprimer toutes les restrictions à l'information du contrôleur général, à l'exception du secret médical, qui ne pourrait être levé qu'avec l'accord de l'intéressé.
Nous avons déjà eu ce débat en première lecture. S'il est victime de violences, l'intéressé demandera sans doute que le secret médical ne s'applique pas. En revanche, certaines restrictions paraissent justifiées : je pense au secret de l'instruction ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.
Le secret médical est, il est vrai, un problème très complexe sur lequel nous nous sommes longuement interrogés et que nous avons soulevé à diverses occasions.
Mes chers collègues, la levée du secret médical mettant en jeu la protection des personnes, il importe d'intervenir avec prudence.
Il faudra juger à l'expérience si les dispositions prévues restreignent de manière excessive la portée du contrôle et, le cas échéant, envisager leur adaptation. Pour l'heure, la commission n'est pas favorable aux amendements nos 4 et 14.
D'ailleurs, dans la proposition de loi que nous avions votée, le secret médical était maintenu pour les mêmes raisons, comme l'a rappelé M. Mermaz. Mais ce secret peut bien évidemment être levé par la personne qui aurait été victime de violences dans un lieu privatif de liberté et qui voudrait s'appuyer sur son dossier médical, par exemple, pour dénoncer ces faits.
En revanche, dans les autres hypothèses, nous sommes tenus au respect de la vie privée et nous devons être extrêmement vigilants s'agissant de la levée du secret médical. Nous avions récemment évoqué cette question, madame le garde des sceaux, à l'occasion de l'examen d'un texte sur les violences conjugales, et nous avions permis au médecin de lever le secret médical, mais dans un cadre extrêmement strict.
De telles informations ne doivent pas être divulguées à la légère, et la question demande une large concertation préalable.
La commission est donc défavorable aux deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Déjà en première lecture certains sénateurs avaient souhaité que le secret médical puisse être levé à l'égard du contrôleur, et il leur avait été indiqué à cette occasion que c'était impossible, pour une raison simple : si l'on exige d'une personne privée de liberté de remettre son dossier médical, on porte atteinte à sa vie privée.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Mais rien n'interdit à la personne concernée de donner son dossier médical, puisqu'elle y a accès. Elle peut tout à fait transmettre au contrôleur, si elle l'estime nécessaire, des données médicales à l'appui des faits qu'elle dénonce : il peut s'agir de violences dont elle a été victime ou du refus de soigner telle ou telle pathologie.
Je précise que si les autres formes de secret n'avaient pas été évoquées lors de l'examen de la proposition de loi, c'est en réalité parce que ce texte-là ne concernait que les prisons.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce n'était donc pas le lieu d'invoquer le secret lié à la défense nationale ou à la sûreté de l'État. Il en va différemment ici, où tous les lieux de privation de liberté sont concernés. Le contrôleur général ne pourrait pas avoir accès à des documents couverts par le secret défense ou relevant de la sûreté de l'État.
Pour ce qui est du secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client, vous serez nombreux à en convenir, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne devrait pas pouvoir être levé sans l'accord des intéressés. On songe ici à la correspondance qu'un avocat et son client échangent, sous le sceau de la confidentialité.
Il en est de même du secret de l'enquête et du secret de l'instruction. Lors du contrôle d'un local de garde à vue, les procès-verbaux d'audition ne peuvent pas être communiqués au contrôleur général. D'abord, il existe une présomption d'innocence à préserver. Ensuite, d'autres parties peuvent être mises en cause dans ces procès-verbaux, que le contrôleur général n'a aucun intérêt à connaître. Enfin, le secret de l'instruction est opposable au contrôleur général, qui n'a pas accès au dossier.
Je rappelle d'ailleurs que les parties ne sont pas soumises au secret de l'instruction. Si elles souhaitent transmettre des éléments sur l'enquête, le contexte de la garde à vue ou de la rétention, voire de la détention, elles peuvent le faire. Elles ont également la possibilité de dévoiler des informations ou des procès-verbaux les concernant.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 4 et 14.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
À l'issue de chaque visite, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait connaître aux ministres intéressés ses observations concernant en particulier l'état, l'organisation ou le fonctionnement du lieu visité ainsi que la condition des personnes privées de liberté. Les ministres formulent des observations en réponse chaque fois qu'ils le jugent utile ou lorsque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté l'a expressément demandé. Ces observations en réponse sont alors annexées au rapport de visite établi par le contrôleur général.
S'il constate une violation grave des droits fondamentaux d'une personne privée de liberté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté communique sans délai aux autorités compétentes ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, constate s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, il rend alors immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues.
Si le contrôleur général a connaissance de faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale, il les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale.
Le contrôleur général porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le premier alinéa de cet article :
À l'issue de chaque visite, le contrôleur général fait connaître aux ministres intéressés et à l'administration concernée ses observations, notamment celles que cette visite peut appeler le cas échéant sur l'état, l'organisation ou le fonctionnement du lieu visité. Il peut formuler des recommandations afin d'améliorer le traitement des personnes privées de liberté. Le ministre et l'administration compétente sont tenus, dans un délai fixé par le contrôleur général, de rendre compte à celui-ci de la suite donnée à ces observations et ces recommandations. Ces réponses sont annexées au rapport de visite, qui est ensuite rendu public.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame le garde des sceaux, la rédaction de l'article 7, malgré les modifications apportées par l'Assemblée nationale, ne nous satisfait pas pleinement.
L'administration concernée n'est toujours pas destinataire des observations du contrôleur, alors qu'elle est la première visée, avant même le ministre, me semble-t-il. Nous demandons donc qu'elle reçoive ces informations au même titre que le ministre concerné. Ce serait un gage d'efficacité.
Par ailleurs, la formulation retenue pour préciser le champ des observations nous semble maladroite. Ces observations peuvent porter notamment sur « l'état, l'organisation ou le fonctionnement du lieu visité » et, enfin, sur « la condition des personnes privées de liberté ». Comprenne qui pourra ! Que faut-il entendre par « condition des personnes privées de liberté » ? S'agit-il des conditions de vie, des conditions de prise en charge ?
À cette formulation, nous préférons celle du protocole facultatif, qui, dans son article 19, prévoit que les mécanismes nationaux peuvent formuler des recommandations à l'intention des autorités compétentes afin d'améliorer le traitement et la situation des personnes privées de liberté.
Enfin, si le ministre et l'administration concernée doivent être destinataires des observations et des recommandations du contrôleur, il est nécessaire que ces autorités aient l'obligation d'y répondre dans un délai fixé par le contrôleur. Sinon, le dispositif de l'article 7 et, plus généralement, le contrôle perdent de leur efficacité.
Dans le même esprit, et pour accroître l'efficacité de l'action du contrôleur, nous proposons que ces réponses soient annexées au rapport de visite, rapport qui doit absolument être rendu public.
Le contrôleur général, dans la situation actuelle de surpopulation carcérale et d'ignorance du grand public sur ce qui se passe dans les centres de rétention, les zones d'attente et les locaux de garde à vue, ne doit pas se borner à un rôle d'information. Son action doit être systématiquement rendue publique. C'est d'ailleurs tout l'intérêt d'instituer un contrôleur général des lieux de privation de liberté.
L'opacité sur les conditions de détention ne doit plus être la règle. À cette fin, il nous semble important que le Sénat modifie le premier alinéa de l'article 7 et retienne la rédaction que nous lui proposons.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Lors de la première lecture, le Sénat avait adopté un amendement de Mme Boumediene-Thiery pour que le contrôle porte non seulement sur le lieu d'enfermement, mais aussi sur la condition des personnes privées de liberté.
À ce premier progrès, l'Assemblée nationale a ajouté la faculté pour le contrôleur général, dans les situations les plus graves, de fixer un délai à l'administration pour répondre à ses observations.
Le texte me paraît donc aujourd'hui satisfaire pour une très large part les préoccupations des auteurs de l'amendement. Je pense que nous pouvons en rester là.
La commission est donc défavorable à l'amendement n° 5.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
Dans son domaine de compétences, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté émet des avis, formule des recommandations aux autorités publiques et propose au Gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables.
Après en avoir informé les autorités responsables, il peut rendre publics ces avis, recommandations ou propositions, ainsi que les observations de ces autorités.
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Compléter le premier alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
En cas d'atteinte flagrante et grave aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté, le contrôleur général des lieux privatifs de liberté a le pouvoir d'enjoindre aux autorités responsables, de prendre toute mesure qui lui paraît nécessaire au respect de ces droits.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit du pouvoir d'injonction donné au contrôleur, disposition importante déjà présentée au cours de la première lecture.
L'amendement prévoit qu'il doit s'agir exclusivement d'une « atteinte flagrante et grave aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté ».
Imaginons qu'au cours d'une visite, par exemple, un local disciplinaire ne présente pas les conditions qui sont requises pour la sauvegarde de la dignité humaine. Cela arrive malheureusement encore dans certains lieux, nous le savons. Dans ce cas, et si l'atteinte est grave et évidente, le contrôleur doit avoir le pouvoir d'injonction. Il ne peut pas se contenter de signaler cette situation ; c'est une autorité administrative indépendante ; il faut lui donner les moyens de sa mission.
Cela ne figure pas, je le sais, dans le texte du protocole facultatif, mais ce n'est pas une raison pour que nous n'allions pas au-delà. Il faut permettre au contrôleur d'agir et d'enjoindre.
M. Gélard oppose à cela une théorie selon laquelle ce ne serait pas possible. J'ai eu le soin, à cette occasion, de vérifier la série des décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur les pouvoirs donnés aux autorités administratives indépendantes : cela va très au-delà de ce qui est demandé ici.
Je ne vois d'ailleurs pas de raisons pour lesquelles le Parlement ne pourrait pas accorder ce pouvoir d'injonction, qui ne rentre pas dans le cadre des restrictions constitutionnelles. Ce n'est pas une question de droit administratif ; c'est une question de pouvoir législatif par rapport au respect de l'équilibre constitutionnel. Cet équilibre n'est pas menacé ici.
Ce pouvoir d'injonction renforcerait à mon sens singulièrement la stature que nous entendons donner à ce contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avions déjà longuement débattu en première lecture de ce pouvoir d'injonction. Je n'entrerai pas dans votre débat de nature constitutionnelle avec M. Gélard, mon cher collègue.
Je note simplement que l'Assemblée nationale a renforcé les prérogatives du contrôleur général en permettant à celui-ci, lorsqu'il y a urgence, de fixer aux autorités concernées un délai pour apporter une réponse, ses observations et les réponses afférentes pouvant être rendues publiques. C'est un progrès qui va dans le sens de ce que nous avions nous-même prévu.
Le pouvoir d'injonction, de mon point de vue, n'est pas nécessairement synonyme d'efficacité, et l'expérience de l'inspecteur en chef des prisons d'Angleterre et du pays de Galles montre que, lorsque le dialogue accompagne la démarche d'investigation, l'autorité peut obtenir de réels résultats.
Le tout est de savoir quelle conception on a de ce contrôle : doit-il s'apparenter à un contrôle policier ou bien, au contraire, reposer sur un dialogue permanent permettant un aménagement de la situation ? Cette seconde solution a été retenue outre-Manche et donne de très bons résultats ; elle n'est pas éloignée de la nôtre.
C'est la raison pour laquelle, comme en première lecture, je persiste à émettre un avis défavorable sur ce pouvoir d'injonction.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souscris totalement aux observations de M. le rapporteur. Aucune autorité indépendante ne dispose du pouvoir d'injonction, qui est dévolu au juge. En décidant autrement, on empiéterait sur les missions du juge. Le Médiateur a, certes, un pouvoir d'injonction, mais pour faire exécuter une décision de justice non exécutée. Tel n'est pas le cas ici.
Pour plus d'efficacité, il faut aussi qu'il y ait une relation de confiance entre le contrôleur et les administrations qu'il contrôle. Il est important d'éviter les rapports conflictuels ou les éventuels blocages entre une autorité et une administration contrôlée. Comme l'a dit M. le rapporteur, l'exemple britannique le démontre : lorsque l'inspecteur en chef des prisons formule des recommandations, elles sont pour 75 % d'entre elles suivies d'effets, sans qu'il y ait injonction et sans qu'il y ait blocage. Il est plus intéressant d'entretenir des relations continues et de confiance et de formuler des recommandations qui sont suivies d'effets plutôt que de disposer d'un pouvoir d'injonction, qui n'est à ce jour dévolu à aucune autorité indépendante.
En cas d'urgence, le contrôleur général peut toujours saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale en cas de violations graves ou d'infractions détectées lors de ses missions.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement très important qui instaure une procédure d'urgence. Le contrôleur général peut désormais, lorsqu'il constate une violation grave des droits fondamentaux, communiquer sans délai ses observations à l'administration en lui fixant un délai de réponse.
Il s'agit d'une avancée réelle, qui ressemble à une injonction, mais qui n'empiète pas sur les pouvoirs du juge.
L'amendement no 16 étant donc satisfait, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 15, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene -Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le second alinéa de cet article :
Il peut rendre publics ces avis, recommandations, injonctions ou propositions, ainsi que les observations de ces autorités.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Obliger le contrôleur à informer préalablement les autorités responsables, c'est aller un peu loin. À vrai dire, cette obligation n'a pas de raison d'être.
Le contrôleur est une autorité administrative indépendante. Il lui suffit de pouvoir rendre publics, s'il l'estime nécessaire, les avis, recommandations ou propositions, ainsi que les observations des autorités responsables. Il ne doit pas être tenu de les informer au préalable même si, dans le souci de coopération qui a été évoqué, il semble bien évident qu'il le fera. En faire une condition préalable, encore une fois, c'est aller trop loin.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mmes Borvo Cohen -Seat, Assassi, Mathon -Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa de cet article, remplacer les mots :
peut rendre
par le mot :
rend
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement s'inscrit dans la logique de celui que nous avons présenté à l'article 7.
Il prévoit que les avis, recommandations ou propositions du contrôleur sont systématiquement rendus publics. Il doit s'agir non pas d'une faculté laissée à l'appréciation du contrôleur, mais bien d'une obligation.
Le dépôt de cet amendement est motivé par un souci de transparence concernant l'état et le fonctionnement des lieux de privation de liberté. Les conditions de vie des personnes privées de liberté intéressent certes les autorités responsables de ces lieux, mais également l'opinion publique.
Une telle obligation de publication est d'ailleurs prévue par les règles pénitentiaires européennes. Ainsi, la règle 93.1 dispose que : « Les conditions de détention et la manière dont les détenus sont traités doivent être contrôlées par un ou des organes indépendants, dont les conclusions doivent être rendues publiques. »
La France est souvent, et à juste titre, critiquée s'agissant de l'état de ses prisons. Il serait pour le moins utile que l'opinion publique ait connaissance des faiblesses de notre pays dans ce domaine, mais aussi des moyens préconisés pour y remédier et des améliorations susceptibles d'être apportées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il serait incohérent d'adopter avec l'amendement no 15 l'injonction que nous avons refusée voilà quelques instants à l'occasion de l'examen de l'amendement n° 16 !
En outre, le projet de loi prévoit que le contrôleur général peut rendre publics ses avis ainsi que les réponses des administrations concernées, après en avoir informé ces dernières. Il s'agit d'une simple information et non pas d'un accord préalable.
Il me paraît important de rappeler une fois encore que l'autorité de la nouvelle institution et son influence se forgeront non pas contre les administrations responsables des lieux soumis à son contrôle, mais avec leur confiance.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur l'amendement no 15.
Pour des raisons identiques, elle a donné le même avis sur l'amendement no 6.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
Article 11 bis
Dans le dernier alinéa de l'article L. 111-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les mots : «, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations et la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention et des zones d'attente » sont remplacés par les mots : « et l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations ». - (Adopté.)
M. le président. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Voilà déjà bien longtemps que nous attendions l'instauration d'un contrôleur général des prisons.
La nécessité d'une telle institution avait été reconnue dès 2000, dans le rapport Canivet, puis dans les rapports très importants des deux commissions compétentes du Parlement, du Sénat dans un premier temps, puis de l'Assemblée nationale, enfin, dans une proposition de loi votée sur l'initiative de M. Jean-Jacques Hyest.
On a trop tardé, mais c'est maintenant chose faite !
Il s'agit d'un progrès et il est bien entendu exclu que nous rejetions ce projet de loi. Nous aurions cependant aimé pouvoir l'adopter, et c'eût été le cas si vous aviez accédé à notre souhait de soumettre l'avis des commissions sur la nomination du contrôleur général à l'exigence des trois cinquièmes.
Ce n'est pas rien, mes chers collègues, car c'est un principe qui est aujourd'hui d'une grande actualité et qui doit trouver son application générale. Le fait qu'il ne figure pas, à l'heure actuelle, dans le cadre d'une révision constitutionnelle dont nous ignorons par ailleurs et le champ et la portée, ne doit pas nous empêcher de manifester aujourd'hui la volonté que, dans un domaine aussi important que le contrôle des lieux de privation de liberté, la désignation du contrôleur général se fasse avec l'accord consensuel de la commission des lois de chaque assemblée.
En définitive, et j'ai déjà eu l'occasion de le dire, c'est toujours le choix du Président de la République, entériné à tous les niveaux, qui finit par être acquis.
Il ne suffit pas que la minorité puisse, au sein des commissions, faire valoir ses observations et en quelque sorte plaider la cause qu'elle soutient : elle doit aussi, au-delà, participer à la décision.
Je rappelle d'ailleurs que, dans d'autres États, régis par des Constitutions anciennes qui font parfois leurs preuves depuis deux siècles, on prend grand soin, pour les nominations les plus importantes, quand il s'agit des commissions du Sénat - je dis bien du Sénat - de ne pas s'en tenir à la majorité simple.
L'exigence des trois cinquièmes était pour nous une question test. Nous sommes certes satisfaits que l'institution du contrôleur général des prisons voie le jour et je salue les efforts qui ont été faits par les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat afin d'améliorer le texte d'origine. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une question de principe, qui reviendra constamment et qui déjà, selon nous, préfigure ce qui sera au coeur de la révision constitutionnelle.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre groupe regrette profondément de ne pouvoir voter l'instauration du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je le regrette aussi à titre personnel. Je me suis efforcée, modestement, de convaincre le Sénat d'adopter des éléments positifs qui me paraissaient importants, mais il faut savoir rester lucide...
Madame la garde des sceaux, le projet de loi que vous avez présenté au mois de juillet était bien en deçà des préconisations internationales. Le Gouvernement n'a fait preuve d'aucune audace, c'est le moins que l'on puisse dire, alors que nous avions déjà perdu beaucoup de temps. Malgré tout, la France continue de s'enorgueillir d'être la patrie des droits de l'homme et de donner des leçons en la matière. Voilà qui est déjà en soi dommageable.
Le Sénat a indiscutablement amélioré le projet de loi qui lui était soumis. Nous pouvions nourrir quelques craintes sur le sort de ces améliorations, car les gouvernements qui se sont succédé n'ont pas fait preuve d'un grand zèle dans ce domaine depuis le vote de la proposition de loi Hyest-Cabanel. Nous nous félicitons donc que ni ce gouvernement ni l'Assemblée nationale ne soient revenus sur les contributions du Sénat.
Cela étant, le Sénat aurait pu faire montre d'une plus grande détermination encore afin que la France appuie la mise en oeuvre des préconisations internationales sans réserve, voire, pour une fois, avec zèle. C'était d'ailleurs le sens des amendements que nous avons déposés. La Haute Assemblée aurait pu voter une loi montrant que nous étions prêts à entrer totalement dans ces préconisations. Ce n'est malheureusement pas le cas : ni le Gouvernement ni les membres de la majorité n'ont manifesté une telle volonté.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, pressentant que la décision d'adopter ce texte conforme, et donc de n'accepter aucun amendement, serait partagée par la majorité sénatoriale, nous nous abstiendrons sur le vote final. C'est dommage.
La politique pénale de ce gouvernement et de ceux qui l'ont précédé a établi une distance assez grande avec les prisons et les lieux de privation de liberté. Notre abstention confirme cette distance.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour adopter un projet de loi que je qualifierai de nécessaire, de consensuel, et qui, on le sait, est attendu depuis longtemps par l'ensemble des acteurs de l'administration pénitentiaire et par l'ensemble des parlementaires, y compris par nos collègues de l'opposition.
Ce projet de loi vient couronner une longue réflexion. C'est en effet depuis de nombreuses années que le Parlement accorde avec constance une attention toute particulière aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires.
Ce projet de loi constitue une réelle avancée de l'État de droit. Il montre la volonté de la France de s'engager pleinement dans un contrôle indépendant et effectif non seulement des établissements pénitentiaires, mais également de l'ensemble des lieux de privation de liberté. Des zones d'attente des aéroports aux secteurs psychiatriques des établissements hospitaliers, ce sont environ 5 780 lieux qui sont visés. Il s'agit donc d'une avancée notable, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Ce projet de loi nous permet en outre de nous conformer au protocole facultatif se rapportant à la convention des Nations unies contre la torture, signé par la France en septembre 2005.
Ce projet de loi, enfin, est porteur d'un message politique fort, porteur d'une volonté de transparence et d'humanité. Le contrôleur extérieur constituera en effet une garantie forte contre les abus que peut éventuellement favoriser, nous le savons, un milieu clos.
Madame le garde des sceaux, au nom de l'ensemble de mes collègues du groupe UMP, je souhaite vous rendre hommage, non seulement pour votre travail sur ce texte, mais aussi pour votre engagement dans la mission que vous a confiée le Président de la République ; nous vous en remercions. Au terme des débats que nous venons de mener, je ne peux que me réjouir de constater votre forte détermination à promouvoir une justice plus ferme, mais aussi plus humaine.
Je tiens également à saluer notre excellent rapporteur et président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest. Sous son impulsion, le travail de la commission a permis d'enrichir le texte du Gouvernement et de conforter l'indépendance et les prérogatives du contrôleur général.
Je me réjouis tout particulièrement que les députés se soient ralliés au dispositif retenu par la Haute Assemblée - ce n'est d'ailleurs pas la première fois ! -, dispositif qui associe le Parlement à la nomination du contrôleur général sous la forme d'un avis consultatif préalable de la commission des lois de chacune des deux assemblées.
Quoi qu'il en soit, ce texte marque une première étape dans le travail destiné à améliorer les conditions de détention en France.
Nous devons désormais transcrire dans notre ordre juridique interne les règles pénitentiaires européennes et accorder toute leur place aux impératifs d'insertion et de réinsertion à la sortie de prison. À cet égard, nous nous félicitons de la discussion prochaine d'une grande loi pénitentiaire, loi que nous appelons tous de nos voeux.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe UMP et moi-même voterons ce texte avec enthousiasme, comme l'a indiqué notre collègue Jean-René Lecerf, et avec la conviction qu'il participe pleinement à la construction d'une justice plus sereine, plus efficace et plus humaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le groupe CRC s'abstient.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, je me réjouis que, malgré les divergences qui peuvent subsister sur des points particuliers, nous soyons parvenus à un accord de l'ensemble de la Haute Assemblée sur la création du contrôleur général des lieux privatifs de liberté.
Ce fut une longue marche pour le Sénat, puisque cette création figurait déjà dans les conclusions - adoptées à l'unanimité - de la commission d'enquête sur les prisons et dans la proposition de loi, largement inspirée par le travail du Premier président Canivet, que nous avions votée. Au fil du temps, des évolutions se sont faites, consacrées aujourd'hui par la loi : le contrôleur sera désormais compétent non pas pour les seules prisons, mais pour tous les lieux privatifs de liberté, ce qui nous permettra, dans la continuité du travail entrepris, de nous conformer au protocole facultatif se rapportant à la convention des Nations unies contre la torture.
Il était important que le contrôleur général puisse se mettre en place très rapidement, car, de toute manière, il faudra aussi du temps à l'institution pour qu'elle s'acclimate dans notre ordre juridique : si elle est très ancrée dans la culture anglo-saxonne, avec le succès que l'on sait, elle n'appartient pas à notre tradition. C'est donc une bonne chose que nous ayons pu aller jusqu'au bout du processus législatif, grâce au Gouvernement qui a inscrit ce texte très rapidement à l'ordre du jour de nos travaux, et même dès la session extraordinaire.
Je pense que, grâce au contrôle général, les personnels qui travaillent, par exemple, dans les locaux de garde à vue de certains commissariats, pourront s'exprimer sur les conditions dans lesquelles ils sont obligés d'agir, et que cela concourra à améliorer la situation.
Maintenant, ce que nous attendons avec impatience, c'est la loi pénitentiaire que nous espérons, là encore, depuis fort longtemps.
Il faut néanmoins rappeler, pour rendre à chacun ce qui lui revient, que les conditions de détention s'amélioreront progressivement aussi du fait de la mise en oeuvre du programme extrêmement important que nous avions voté avec la loi d'orientation et de programmation pour la justice et qui, madame le garde des sceaux, s'impose à vous et à vos services. Ainsi, nous avons vu l'ouverture des premiers établissements pénitentiaires pour mineurs.
Je suis convaincu que très rapidement, au plus tard dans quelques années, grâce à l'amélioration des locaux et à l'institution du contrôleur général, les prisons ne seront plus une « humiliation pour la République » !
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je vous remercie d'avoir adopté, en seconde lecture, le projet de loi instituant un contrôleur général indépendant des lieux de privation de liberté. C'est pour moi un honneur et une fierté d'avoir défendu ce texte devant vous. Je ne doute pas que vous partagez ces sentiments aujourd'hui.
Par ce vote, vous faites la preuve que la République, une et indivisible, ne tolère pas de lieux d'exception et qu'elle entend s'engager pleinement dans le contrôle de tous les lieux de privation de liberté.
Par ce vote, vous faites la preuve que la France entend tenir les engagements qu'elle a pris devant la communauté européenne et internationale : notre pays se donne les moyens de respecter le protocole facultatif se rapportant à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Par ce vote, enfin, vous faites la preuve de votre attachement aux droits de l'homme.
Je tiens à souligner la qualité du travail que le Sénat a accompli. On le sait, la Haute Assemblée est à l'origine de ce projet de loi, dont l'adoption doit beaucoup au président de sa commission des lois, Jean-Jacques Hyest, qui est aussi le rapporteur de ce texte. Nous savons combien il s'est investi dans ce débat, et je l'en remercie.
La contribution des membres de tous les groupes du Sénat a été essentielle. Votre présence aujourd'hui, en cette journée, il faut le dire, particulière, montre une nouvelle fois votre implication, mesdames, messieurs les sénateurs.
Vos amendements ont permis de préciser ou de compléter utilement certaines des dispositions du projet de loi. Il n'en sera que mieux appliqué.
L'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté est un progrès salué par toutes celles et tous ceux qui ont la charge de ces établissements particuliers. C'est un progrès pour notre État de droit, c'est un progrès pour la France, c'est une exigence en termes d'humanité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
3
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement a modifié l'ordre du jour prioritaire de la séance du jeudi 25 octobre en prévoyant de commencer dès le matin l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la simplification du droit, qui commencera donc à 9 heures 30 et se poursuivra l'après-midi.
La date d'examen du projet de loi sur les chiens dangereux sera fixée lors de la prochaine réunion de la conférence des présidents, qui se tiendra le mercredi 24 octobre.
Acte est donné de cette communication.
Par ailleurs, je vous informe que, en raison d'une modification de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, prévu le mardi 23 octobre après-midi après l'éloge funèbre du président Jacques Pelletier, ne pourra commencer qu'à partir de 18 heures.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l'auteur de la question de même que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente.
Lutte contre l'exclusion
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le Premier ministre, l'actualité de cette semaine place la faim et la misère au premier plan des mobilisations populaires.
Le Président de la République et le Gouvernement ont aussi affirmé à plusieurs reprises leur détermination pour faire du combat contre la pauvreté une priorité.
M. Nicolas Sarkozy a présenté hier, devant le Conseil économique et social, les engagements immédiats.
Plusieurs ministres de votre gouvernement sont impliqués dans ce combat multiforme, qui doit mobiliser en matière d'éducation, de formation professionnelle, d'emploi, de logement, de santé, de protection sociale, d'immigration, de justice, de finances publiques.
Il s'agit non pas de créer un droit spécifique pour les pauvres, mais de faire en sorte que le droit commun, qu'il soit politique, économique ou social, soit accessible à tout un chacun.
La prévention de la misère est évidemment le meilleur moyen de la combattre. Dans cette perspective, M. le Président de la République a souligné en plusieurs occasions que le pouvoir d'achat des personnes et des familles était une question cruciale.
C'est clairement mettre en cause, et à juste titre, la répartition des richesses et donc la régulation économique de la production et des échanges.
Cette régulation doit être, aujourd'hui, améliorée selon des critères de justice, non seulement au niveau national mais aussi à celui des grands ensembles économiques homogènes et au niveau mondial, entre ces ensembles territoriaux eux-mêmes.
Les solutions que nous apporterons aux lancinantes questions de la misère, à l'échelon national comme mondial, et des migrations de populations qu'elles entraînent conditionneront la paix tant civile qu'internationale. Vous en êtes d'ailleurs conscient, puisque la question du codéveloppement fait explicitement partie des attributions que vous avez confiées à l'un de vos ministres.
Monsieur le Premier ministre, quelle initiative la France, et plus encore la présidence française de l'Union européenne, entend-elle prendre pour que, au-delà du programme national de réduction d'un tiers de la pauvreté en cinq ans et des méthodes ouvertes de coordination développées au niveau européen, une véritable stratégie économique et sociale, cohérente au plan tant local qu'international, puisse être définie en conformité avec le principe d'égale dignité des personnes humaines ?
M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Monsieur le sénateur, en tant que président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, vous avez bien fait de souligner, d'une part, l'importance des initiatives qui ont été prises et l'attention qui est portée à la lutte contre la pauvreté et, d'autre part, le fait que, dans un pays comme la France, cette lutte contre la pauvreté est indissociable des efforts qu'il faut conduire en la matière dans les autres pays du monde.
Sous l'autorité du Premier ministre, un engagement national du Gouvernement a été pris et approuvé hier en conseil des ministres, de sorte que l'objectif de réduction de la pauvreté fixé par le Président de la République soit pris en compte dans les politiques transversales. En effet, on sait bien qu'il faut mettre en oeuvre des politiques de prévention et non pas des politiques de compensation une fois la pauvreté installée. Il me semble que c'est la première fois qu'on l'affirme avec une telle netteté.
Vous avez surtout insisté sur l'aspect international de ces questions. J'ai moi-même eu l'occasion de représenter la France lors du forum Union européenne-Amérique latine et Caraïbes sur la cohésion sociale, où ces sujets étaient au centre des discussions. J'ai été frappé de constater que les problématiques des différents pays étaient, finalement, relativement proches. Cette réunion visait à préparer le sommet des chefs d'État qui se tiendra à Lima et auquel le Président de la République participera au mois de mai prochain avec, pour la première fois, un agenda social entre ces deux continents.
Par ailleurs, voilà trois jours, s'est tenue, sous la présidence du Portugal, la sixième table ronde sur la pauvreté, qui a réuni à la fois des organisations non gouvernementales, des administrations...
M. Jacques Mahéas. On demande des actes !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. ...et des représentants des gouvernements.
En outre, nous avons la responsabilité de préparer la table ronde qui se réunira l'année prochaine. (M. Jacques Mahéas s'exclame.) Conjointement avec la présidence portugaise, il a été prévu que, pour la première fois, elle se tiendrait au niveau interministériel : la France conviera les ministres des vingt-sept pays concernés.
Enfin, nous travaillons avec la Commission européenne pour qu'une recommandation sur l'inclusion active puisse émerger pendant la présidence française, afin que nos actions dans ce domaine soient coordonnées avec celles des autres pays. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Régimes spéciaux de retraite
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
M. Roland Courteau. Et des régimes spéciaux !
Mme Catherine Procaccia. Aujourd'hui, je ne l'apprends à personne, c'est une journée de grève dans les services publics de transports en réaction à l'annonce de la réforme des régimes spéciaux de retraite. Bien sûr, cette grève en rappelle d'autres, celle de 1995, par exemple, mais 2007 n'est pas, je l'espère, 1995... (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. On verra !
Mme Catherine Procaccia. Depuis 1995, en effet, des millions de salariés du privé et de la fonction publique ont compris que les déséquilibres démographiques, dus en particulier à l'allongement de la durée de vie et des études, ont rendu nécessaire la réforme du système de retraite, même si cela ne fait pas plaisir. Les bénéficiaires des régimes spéciaux ne peuvent pas décemment refuser cette réalité et continuer à défendre un système aussi inégalitaire.
Les particularités qui ont présidé à la création de ces régimes ne justifient plus une telle différence de traitement entre les citoyens, (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) sachant surtout que ces régimes sont financés par les contribuables et les usagers et non pas par les bénéficiaires, ...
M. David Assouline. Ce n'est pas vrai !
Mme Catherine Procaccia. ...comme l'explique très bien une tribune parue ce matin, dans laquelle on peut lire que si c'était les cheminots ou les machinistes de l'Opéra qui finançaient ces avantages, personne n'aurait rien à dire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez !
Mme Catherine Procaccia. Or, tous n'ont pas une activité pénible...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les salariés du service public gagnent énormément, ce sont des privilégiés !
M. Charles Pasqua. Laissez-la parler !
Mme Catherine Procaccia. ...justifiant le fait qu'ils doivent prendre leur retraite dix ou quinze ans avant tous les autres salariés. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez !
M. Didier Boulaud. Les copains et les coquins !
Mme Catherine Procaccia. Qui plus est, les statistiques montrent que leur espérance de vie est comparable à celle des Français exerçant d'autres activités.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'en savez rien !
M. Roland Courteau. Droit dans les bottes !
Mme Catherine Procaccia. C'est pourquoi je crois que la grève d'aujourd'hui ne bénéficiera pas de la solidarité des Français - en tout cas, je l'espère - surtout si elle se prolonge...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu'en savez-vous ? Vous êtes une provocatrice, madame Procaccia !
M. François Autain. C'est la faillite du Gouvernement !
Mme Catherine Procaccia. ...et j'ose espérer, monsieur le ministre, qu'elle ne sera pas un frein à cette réforme que les Français attendent, que nous espérons et que nous soutenons. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Isabelle Debré. Un peu de respect, écoutez vos collègues !
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, j'aimerais connaître votre sentiment sur ce point.
Mais s'agissant aussi d'équité, je voudrais savoir ce qu'il en est de la durée de cotisation, puisque le nombre d'années réclamées va passer a priori à quarante ans.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quarante-cinq ans bientôt !
Mme Catherine Procaccia. La référence actuelle aux six derniers mois de salaire - alors que c'est vingt-cinq ans pour les salariés du privé - fera-t-elle aussi l'objet de discussions avec les syndicats et d'une remise en cause ?
M. Guy Fischer. Cela promet !
M. Roland Courteau. Posez la question !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toujours plus pour les riches, madame Procaccia !
Mme Catherine Procaccia. Enfin, monsieur le ministre, puisque l'on parle de retraites adaptées aux réalités du XXIe siècle, je voudrais attirer votre attention sur le dossier des fonctionnaires de l'État qui déclarent prendre leur retraite outre-mer, - cette déclaration ne fait l'objet d'aucune vérification - même s'ils n'y ont jamais exercé de leur vie, et qui perçoivent 35 % à 75 % de plus, sans aucun contrôle, j'y insiste.
M. François Autain. La question !
Mme Catherine Procaccia. Allez-vous, monsieur le ministre, vous saisir aussi de ce dossier, qui reflète une inégalité supplémentaire (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Roland du Luart. Bonne question !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une inégalité de plus entre les riches et les pauvres !
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de ne pas interrompre l'orateur qui intervient, car je rappelle que c'est le dernier inscrit qui sera sanctionné. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. David Assouline. Mme Procaccia a dépassé son temps de parole !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Madame le sénateur, je vous répondrai pour ce qui relève directement de la compétence de mon ministère.
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez évoqué cette journée particulière : je pense aux usagers des transports qui, aujourd'hui, soit n'ont pas pu aller travailler, soit se sont levés plus tôt et rentreront plus tard chez eux ; je pense aussi - c'est important - aux agents concernés par les régimes spéciaux, qui sont inquiets et s'interrogent.
Le droit de grève est un droit constitutionnel, un droit d'expression reconnu. Mais le Gouvernement a la responsabilité de réussir cette réforme des régimes spéciaux, car - vous l'avez très bien dit - un fait s'impose à tous : aujourd'hui, dans ces entreprises, 500 000 actifs cotisent pour plus de un million de retraités. Le problème est bien réel et si nous ne menons pas à bien cette réforme des régimes spéciaux, personne ne sera capable de garantir à ces agents, dans cinq ans, dans dix ans ou dans quinze ans, le paiement de leur pension. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. ...La réussite de cette réforme, c'est aussi une garantie pour leur avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Bien sûr !
M. Xavier Bertrand, ministre. Autre phénomène sur lequel je voudrais insister et qui devrait nous rassembler : les Français souhaitent être placés sur un pied d'égalité, ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Pour la fiscalité aussi !
M. Xavier Bertrand, ministre. Que direz-vous à ces 20 millions de travailleurs qui cotisent déjà quarante ans alors que d'autres ne cotisent encore que trente-sept ans et demi ?
M. Jean-Pierre Sueur. Et les cadeaux fiscaux ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les gens qui travaillent la nuit ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Dès lors, vous le comprenez, le Gouvernement veut et doit réussir cette réforme des régimes spéciaux.
En revanche, la grève n'interdit pas le dialogue.
M. David Assouline. Et alors ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous sommes attentifs aux interrogations qui sont exprimées non seulement par les organisations syndicales, mais également par les agents. Le Président de la République est allé à leur rencontre la semaine dernière, moi aussi, et je le ferai de nouveau, car il est certain que nous devons apporter des réponses claires aux questions qui sont posées.
Oui, cette réforme sera progressive parce qu'il n'y a pas de place aujourd'hui, dans notre pays, pour la brutalité dans une affaire de cette nature.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh non !
M. Xavier Bertrand, ministre. Par ailleurs, il est essentiel que les entreprises engagent des négociations pour trouver des solutions.
Nous vivons et nous travaillons de plus en plus longtemps ; il est donc normal que les entreprises s'interrogent sur la seconde partie de carrière de leurs salariés et sur cette clause d'un autre âge en vertu de laquelle ils doivent partir à cinquante ans ou à cinquante-cinq ans, alors même qu'ils n'ont pas une retraite complète. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Enfin, il n'est pas question de changer la règle des six derniers mois pour ces agents.
Dans le secteur privé, ce sont les vingt-cinq meilleures années qui sont retenues, mais c'est l'ensemble du salaire qui est pris en compte, alors que, dans la fonction publique, les primes ne sont pas intégrées. Je fais donc une différence entre un agent de la fonction publique territoriale et un haut fonctionnaire, car ils ne sont pas égaux en matière de primes.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous proposons donc à ces agents une convergence de leur régime avec celui de la fonction publique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
carte judiciaire
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Ma question, qui s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, concerne la carte judiciaire, mais elle va bien au-delà dans la mesure où elle pose le problème du maintien des services publics en milieu rural et traduit le « ras-le-bol » des élus.
Après la suppression des hôpitaux ruraux et de classes dans les écoles, la restructuration des directions départementales de l'équipement, le regroupement des services des impôts avec les perceptions, le désengagement de La Poste, d'EDF, de France Télécom, voici venue la suppression des tribunaux.
À votre avis, madame la garde des sceaux, qui mieux que les élus de cette assemblée connaît en profondeur les territoires dont ils sont les représentants ?
Sur l'ensemble de ces travées, je crois pouvoir le dire, les sénateurs sont choqués par l'attitude que vous avez choisie d'adopter à leur encontre : la concertation fut factice, quand elle a eu lieu, ce qui n'est pas le cas partout. Ainsi, au mois de juillet dernier, vous aviez fait la promesse, qui n'a pas été tenue, d'une concertation avec le président de l'Association des petites villes de France. De même aviez-vous promis la mise en ligne des propositions émanant des cours d'appel, promesse qui, elle non plus, n'a pas été tenue.
Les élus ne sont pas stupides ; ils sont prêts à ce qu'une nouvelle carte judiciaire soit établie, mais ils veulent vraiment savoir quelle justice on veut mettre en place.
Nous défendons une justice de proximité, au service de l'ensemble de nos concitoyens, surtout des plus démunis. Nous défendons l'égalité des droits sur l'ensemble du territoire. Nous défendons un aménagement équilibré de ce dernier. Et parce que nous sommes les représentants des citoyens et des collectivités territoriales, nous entendons donner notre point de vue, être écoutés et respectés ; nous ne voulons pas de choix guidés par la seule logique mécanique et comptable.
En conséquence, madame le garde des sceaux, pouvez-vous définir ce qu'est, pour vous, une réelle concertation ?
M. Didier Boulaud. Ça va être dur !
Mme Yolande Boyer. Êtes-vous prête, avant toute décision, à organiser des états généraux de la justice, comme vous l'a demandé l'Association des petites villes de France ?
M. François Autain. C'est mal parti !
Mme Yolande Boyer. Que signifie, pour vous, une « justice de proximité », alors que vous affirmez ne plus vouloir de tribunaux « à chaque coin de rue » ?
Pensez-vous réellement aux justiciables les plus démunis quand vous « taillez à la hache » dans les tribunaux d'instance ? Ils sont un service public de proximité de qualité. Dans le Finistère, à Châteaulin, ma commune, comme à Quimperlé, ou partout ailleurs en France, ils sont l'un des maillons les plus efficaces de la justice.
M. Roland Courteau. C'est vrai !
Mme Yolande Boyer. M. le Premier ministre souhaite moins de services, moins de personnels et moins d'État sur le territoire : nous nous y refusons absolument ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame le sénateur, vous avez raison, la réforme de la carte judiciaire, que tout le monde souhaite, est impérative, comme l'attestent d'ailleurs de nombreux rapports publiés en 2000 et en 2001. En effet, cette carte n'a pas été revue depuis 1958. Avec 1 200 juridictions hébergées sur 800 sites, les moyens de la justice sont aujourd'hui dispersés au détriment de la qualité, comme l'affaire d'Outreau l'a révélé.
Dès le 27 juin dernier, j'ai mis en place un comité national consultatif sur la réforme de la carte judiciaire, qui apporte ses contributions et propositions à une réforme globale de la carte judiciaire. Les chefs de cour ont procédé, cour par cour, à une large concertation avec tous les acteurs judiciaires locaux. Les préfets ont également reçu les élus dans le cadre de cette consultation.
Dès le 30 septembre dernier, des rapports nous ont été adressés : nous les avons tous examinés, cour par cour, ville par ville, tribunal par tribunal. C'est dans ce cadre que M. le Premier ministre et moi-même sommes allés à la cour d'appel de Douai pour annoncer les schémas retenus, qui intègrent la réalité du terrain.
Ainsi, il m'avait été suggéré de supprimer le tribunal d'instance de Montreuil. Or, non pas au vu de son activité, mais pour des raisons d'aménagement du territoire, j'ai décidé de le maintenir. Madame le sénateur, notre réforme n'est donc pas purement mécanique.
Je prendrai un autre exemple. Concernant les tribunaux du ressort de la cour d'appel de Dijon, nous avons décidé de créer un tribunal d'instance à Montbard, pour des raisons démographiques et d'aménagement du territoire liées à l'implantation d'une gare de TGV à proximité.
Nous tenons donc compte, je le répète, des réalités du terrain et nous examinons, avec les élus et les acteurs de la justice, les nouveaux schémas retenus.
Madame le sénateur, le service public de la justice de proximité n'est pas remis en cause, bien au contraire ! Et j'y tiens absolument, notamment pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer, les plus modestes et les plus démunies.
Les tutelles, qui constituent la majeure partie des contentieux des tribunaux d'instance, ne sont pas remises en cause par la suppression des tribunaux d'instance. Le magistrat et le greffier iront directement auprès des personnes qui ne peuvent pas se déplacer, à leur domicile, à l'hôpital, dans les maisons de retraite ou les établissements spécialisés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations ironiques sur les travées socialistes.)
M. Didier Boulaud. Il va falloir leur acheter des mobylettes ! C'est n'importe quoi, on n'a même pas les moyens d'acheter des crayons et des gommes !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vous rappelle simplement une réalité : aujourd'hui, si le juge d'instance ne peut pas se rendre auprès de la personne concernée, c'est parce qu'il est seul dans le tribunal. Mais si nous regroupons les moyens de la justice, l'un des juges d'instance pourra se déplacer plus facilement auprès des personnes placées sous tutelle.
M. Didier Boulaud. Quelle vision de technocrate !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant des contentieux engagés par les personnes les plus modestes et les plus démunies, nous maintenons la justice de proximité par le biais des audiences foraines. Les maisons de justice et du droit sont conservées et, même développées, comme nous nous y sommes engagés.
M. Didier Boulaud. Comme pour les maisons de l'emploi ! Vous les avez promises et les avez supprimées !
M. le président. Madame la garde des sceaux, je vous prie de conclure !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous indiquez, madame la sénatrice, que les élus souhaiteraient être entendus. Mais la seule réponse que j'ai pu obtenir de certains, c'est le refus de cette réforme, alors qu'elle est engagée et que nous voulons la poursuivre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. Didier Boulaud. On verra bien ce qui va se passer dans les départements !
M. Roland Courteau. Dans les départements, ils n'applaudissent pas !
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, porte sur l'encadrement des stages en entreprise.
M. François Autain. Et la rémunération des stagiaires !
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le ministre, à la suite de la proposition que vous avez faite de gratifier les stages étudiants en entreprise de 380 euros par mois à partir du quatrième mois de stage, des collectifs et des organisations syndicales, étudiantes ou non, ont manifesté, hier, leur mécontentement.
M. Jean-Pierre Godefroy. Ils ont raison !
M. Yves Pozzo di Borgo. Vous leur avez répondu que le projet de décret n'était pas définitif et qu'il pouvait être amélioré.
Sur l'initiative du groupe centriste, c'est dans la loi pour l'égalité des chances que la durée des stages en entreprise a pu être limitée à six mois.
M. Jean-Pierre Godefroy. Que n'avez-vous voté ma proposition de loi ?
M. Yves Pozzo di Borgo. Nous nous sommes réjouis que la convention de stage et la gratification afférente soient légalisées par le même texte.
Dès lors, a été ouvert le chantier de leur encadrement juridique. Le Gouvernement s'y est attelé non seulement avec le projet de décret que vous avez annoncé, monsieur le ministre, mais également avec l'installation, par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, du comité des stages et de la professionnalisation des cursus universitaire.
Cela permettra de lutter contre les nombreux abus passés et actuels et, surtout, de participer à la bataille de l'emploi. En effet, l'insertion des stages dans les cursus universitaires est un moyen supplémentaire de professionnaliser les diplômes délivrés qui, pour certains, en ont bien besoin pour s'adapter au monde actuel.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dresser un état des lieux de l'avancement des travaux en matière d'encadrement des stages en entreprise ? (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le sénateur, c'est un sujet que vous connaissez bien Comme vous le savez, ce n'est qu'un projet de décret, en application de la loi de 2006 pour l'égalité des chances, que le Gouvernement a présenté hier, et non pas un projet de loi.
Ce décret concerne l'extension des stages aux associations et aux entreprises publiques, conformément aux souhaits qui avaient été exprimés. Il prévoit également la possibilité - qui existait déjà auparavant, mais à laquelle personne ne recourait - de tenir un registre des conventions de stages pour savoir exactement qui est stagiaire dans l'entreprise. Ainsi, suivant les recommandations que j'ai faites, l'inspection du travail pourra, dès 2008, contrôler beaucoup mieux les faux stages ou les stages longs qui auraient été « saucissonnés » pour contourner la réglementation. Tous ces points ont été salués par l'ensemble des organisations d'étudiants et de salariés.
Se pose ensuite la question de la gratification. Aujourd'hui, aucune disposition n'est prévue en la matière ; aucune garantie n'est apportée à l'étudiant. L'entreprise est totalement libre de lui donner ou non une gratification.
La solution de facilité, pour le Gouvernement, aurait été d'obliger les entreprises à accorder une gratification très importante. Mais on courait alors le risque de voir disparaître, comme par hasard, du jour au lendemain, tous les stages. Dès lors, à quoi bon se faire plaisir en prévoyant sur le papier une telle disposition si le résultat est nul ? Nous avons donc proposé que la gratification corresponde au montant de la franchise de cotisations de sécurité sociale fixée en 2006, c'est-à-dire 380 euros, à partir du quatrième mois, ce qui n'empêche pas une entreprise de donner plus dès le premier mois ou à partir du quatrième mois.
Ce point a fait l'objet de remarques de la part des organisations de salariés et d'étudiants. Quand nous pratiquons la concertation, nous ne faisons pas semblant. C'est ainsi que le comité des stages lui-même...
M. Jacques Mahéas. Ah !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je pense que chacun le respecte !
... a proposé de nous livrer ses observations et ses propositions dans les quinze jours qui viennent.
Ce décret devait être publié le 1er novembre. Il est important que sa publication intervienne avant la fin de l'année parce que c'est à partir du 1er janvier que les offres de stages sont les plus nombreuses. Nous devons donc trouver une solution qui apporte des garanties aux stagiaires en renforçant leur statut et non pas une solution qui, sous prétexte de favoriser leur rémunération, les pénaliserait en faisant disparaître les stages. C'est cet unique objectif qui nous guide, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
franchises médicales et protection sociale
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le Premier ministre, plus de 20 000 victimes de l'amiante manifestaient, samedi dernier, contre le travail qui tue, afin d'exiger de justes indemnités. Ils sont, aujourd'hui même, des dizaines de milliers à manifester contre la réforme scandaleuse des régimes spéciaux de retraite (Exclamations sur les travées de l'UMP.), premier pas d'une attaque sans précédent contre notre protection sociale et contre l'ensemble des retraites.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Guy Fischer. Comment parler de solidarité intergénérationnelle quand la seule solution proposée en matière de retraite est d'allonger la durée de cotisation, alors même que la taxation des stock-options et autres superprofits permettrait de pérenniser notre système de retraite par répartition ?
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Guy Fischer. Le Président de la République a dit vouloir construire un nouveau contrat qui n'a de social que le nom ! Il esquisse en fait la société de demain telle que la rêve le MEDEF, une société débarrassée de toute forme de solidarité et où la précarité régnerait en maître. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Déjà, la résistance s'organise autour des associations de malades, des syndicats et des mutuelles contre votre projet de franchise médicale.
Un sondage réalisé par le Collectif interassociatif sur la santé, le CISS, témoigne de l'impopularité de ce néfaste projet. Plus de 70 % des Français refusent la création des franchises médicales.
M. Roland Courteau. C'est clair et net !
M. Guy Fischer. Quelle conception de la solidarité faites-vous prévaloir quand la seule réponse formulée par le Gouvernement est de faire payer les malades eux-mêmes, en exonérant les bien-portants de toute contribution,...
M. Didier Boulaud. Quelle honte !
M. Guy Fischer. ... abandonnant ainsi le principe selon lequel chacun cotise à hauteur de ses ressources et reçoit à hauteur de ses besoins ?
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Guy Fischer. Déjà 32 % de nos concitoyens ont dû renoncer aux soins.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, les franchises sont injustes, car elles accentueront les inégalités. Je pense particulièrement aux victimes de pathologies chroniques ou aggravées, pour qui cette franchise s'apparente clairement à un impôt maladie.
M. Charles Pasqua. Il faut conclure...
M. Guy Fischer. Les retraités modestes et les personnes âgées en seront les victimes toutes désignées.
M. Jean-Pierre Raffarin. La question !
M. Guy Fischer. Les franchises sont dangereuses pour la santé publique, ...
M. Charles Pasqua. Oui, la question !
M. Guy Fischer. ... car elles renvoient, pour les plus précaires de nos concitoyens, à la notion de soins nécessaires et de soins superflus.
M. le président. Posez votre question !
M. Guy Fischer. J'y viens, monsieur le président ! (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Deux minutes quarante et une, déjà !
M. Guy Fischer. Mais qui peut soutenir que les soins ophtalmologiques ou dentaires sont des soins de confort ?
Vos franchises seront inefficaces économiquement, car elles conduiront inévitablement une part non négligeable de la population à retarder l'accès aux soins...
Mme Catherine Procaccia. La question !
M. Guy Fischer. ... et, par conséquent, à accroître au final les frais de santé.
J'en arrive à ma question. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Nous dénonçons votre projet de démantèlement et de privatisation de la sécurité sociale (La question ! sur les travées de l'UMP.),...
M. le président. Monsieur Fischer, je vous prie de terminer ! Vous en êtes à trois minutes quatorze de temps de parole !
M. Guy Fischer. ... projet qui remet en cause les solidarités au profit d'un système individualiste et assurantiel.
Notre exigence, celle des Français, est simple : retirez votre projet de franchises médicales, qui aura pour seule conséquence de créer une protection sociale à plusieurs vitesses. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Charles Pasqua. C'est une question ?
M. le président. La question a duré trois minutes et trente et une secondes ! Certains de vos collègues seront donc pénalisés. Faites preuve d'un peu de solidarité ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quatre minutes pour Mme Catherine Procaccia ! Du temps pour les riches, mais deux minutes pour les pauvres...
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Monsieur Guy Fischer, il y a un point sur lequel nous serons d'accord, c'est l'absolue nécessité de prendre en compte de nouveaux besoins de santé. Le Président de la République les a décrits très précisément : la maladie d'Alzheimer, le cancer, les soins palliatifs.
Face à cette nécessité, nous avions plusieurs possibilités : soit augmenter les prélèvements obligatoires qui sont déjà les plus forts d'Europe, soit laisser dériver à nouveau le déficit - faut-il vous rappeler, monsieur le sénateur, que ce déficit pour l'assurance maladie s'établira entre 6,5 milliards d'euros et 7 milliards d'euros pour l'année en cours ? -, ...
M. Roland Courteau. La faute à qui ?
M. Didier Boulaud. Les comptes étaient équilibrés en 2002 !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. ... c'est-à-dire reporter sur vos enfants et vos petits-enfants l'obligation de prendre en compte ces nouveaux besoins de santé.
M. Didier Boulaud. Qui a creusé le trou de la sécurité sociale ? Vos amis, car c'est bien eux qui ont été au pouvoir pendant cinq ans !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous avons donc décidé un système de responsabilité ; mais nous avons aussi voulu établir des filets de sécurité pour protéger les plus malades et les plus fragiles.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez choisi de faire payer les malades !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. De quelle manière protéger les plus fragiles ? En exonérant du système des franchises près de 15 millions de Français les plus fragiles, soit un Français sur quatre.
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous faites payer les malades !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous avons voulu établir un deuxième filet de sécurité, avec la limitation de cette franchise à 50 euros par an au maximum, c'est-à-dire 4 euros par mois.
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Loin de moi, monsieur le sénateur, l'idée de dire que, pour certaines familles parmi les plus modestes concernées par les franchises, ce n'est pas une somme.
Mais c'est aussi pour ces malades les plus graves, ceux qui par ailleurs sont pris en charge à 100 % et totalement exonérés du ticket modérateur, la possibilité de retrouver, s'agissant de la prise en charge des maladies que je viens de citer, une juste redistribution...
M. Didier Boulaud. Comme pour les stock-options ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. ... dont ils seront les premiers bénéficiaires, car le montant de ces franchises - et j'en apporterai la preuve lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale - sera intégralement redistribué aux malades. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Jean Arthuis et Bernard Seillier applaudissent également.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous refusez l'impôt minimal pour les riches, mais vous faites payer les malades !
démographie médicale
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Rémy Pointereau. Madame la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, l'accès aux soins est, en milieu rural, le plus important des services publics.
Or la désertification médicale prend depuis plusieurs années une ampleur inquiétante, et, compte tenu de la pyramide des âges, cette situation risque de perdurer, voire de s'aggraver.
M. Didier Boulaud. On va créer des maisons médicales dans les tribunaux qui fermeront !
M. Rémy Pointereau. Dans le même temps évidemment, certaines régions de notre pays attirent un nombre excédentaire de médecins.
Depuis 2004, des solutions incitatives ont été proposées par le Gouvernement et votées par le Parlement, comme le relèvement du numerus clausus, la majoration des actes, une meilleure reconnaissance de la spécialité en médecine générale ou, enfin, le soutien au regroupement en maisons médicales pluridisciplinaires. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
Ces dernières années, des initiatives locales ont été prises. Certains conseils généraux ont voté l'attribution de bourses à des étudiants en médecine en contrepartie d'une installation de ces jeunes, une fois leur diplôme en poche, là où il existe un déficit de médecins ruraux.
M. Didier Boulaud. Résultat : zéro !
M. Rémy Pointereau. Dans mon département du Cher, le conseil général a voté en janvier dernier, sur l'initiative de mon groupe, un dispositif destiné à favoriser l'installation de jeunes médecins, en leur offrant une bourse de 600 euros par mois pendant trois ans, ...
M. Roland Courteau. C'est à l'État de le faire, pas au département !
M. Rémy Pointereau. ... et ce en contrepartie de leur engagement à exercer en zone sous-médicalisée du département pendant une durée d'au moins cinq ans.
M. Didier Boulaud. Et alors ?
M. Rémy Pointereau. Jusqu'à présent, ces mesures incitatives n'ont eu qu'un impact limité sur l'installation des médecins.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Résultat nul !
M. Didier Boulaud. Et dans l'Allier, c'est pareil !
Un sénateur sur les travées du groupe socialiste. C'est de la poudre aux yeux !
M. Rémy Pointereau. C'est ce que révèle un rapport de la Cour des comptes du 12 septembre dernier ainsi que les conclusions du rapport d'information de mon collègue Jean-Marc Juilhard. Ce dernier, dans ce rapport, rappelle d'ailleurs que de nombreuses institutions - l'Académie nationale de médecine, la Conférence nationale de santé, la Cour des Comptes, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie - considèrent que « cette politique de moindre contrainte » est insuffisante devant l'ampleur des défis à relever.
C'est dans ce contexte, madame la ministre, que vous avez présenté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, un dispositif plus directif. Cette proposition a suscité la grogne des médecins, surtout des plus jeunes.
M. le président. Votre question !
M. Rémy Pointereau. Il est vrai que, dans ce domaine, l'équilibre est difficile à trouver, puisqu'il s'agit de concilier le respect du principe de la liberté d'installation avec la nécessité tout aussi impérieuse de répondre aux préoccupations concrètes des Français, qui sont en droit de prétendre, partout sur le territoire, à une médecine de proximité.
M. le président. Votre question !
M. Rémy Pointereau. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer comment vous envisagez l'articulation de ces axes de réformes ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Depuis combien de temps parle-t-il ?
M. Rémy Pointereau. Pouvez-vous aussi nous donner des éléments de méthode sur la négociation à venir, de manière à rassurer les jeunes médecins et les internes ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Jean Arthuis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Monsieur Pointereau, le diagnostic est maintenant unanimement partagé. Vous avez d'ailleurs très justement rappelé le jugement de différentes institutions et cité le rapport de la Cour des comptes. Hier, j'ai reçu longuement votre collègue Jean-Marc Juilhard, qui a fait pour le Sénat un excellent rapport d'information sur la démographie médicale.
M. Charles Revet. C'est vrai, c'est un très bon rapport !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il faut savoir que les problèmes de démographie médicale ne se posent pas qu'en milieu rural. Ils commencent à quelques kilomètres du Sénat ! Il existe en effet, en région parisienne, des zones caractérisées par une sous-densité médicale, s'agissant tant des généralistes que des spécialistes.
Hélas ! face à cela, le constat est accablant : les mesures dites purement incitatives,...
M. Jean-Pierre Sueur. N'incitent pas !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. ...vous l'avez très justement dit, ont montré une certaine limite. Bien entendu, la situation va encore s'aggraver, puisque les générations à faible densité d'étudiants vont arriver sur le marché professionnel.
Je veux préciser un certain nombre de choses.
Oui, nous sommes attachés à la liberté d'installation, et il n'est pas question de revenir sur ce principe fondateur.
Oui, il faut continuer les mesures incitatives. Certaines n'ont pas encore tenu pleinement leurs promesses.
M. Jean-Pierre Sueur. Que faisons-nous si elles ne marchent pas ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je pense, par exemple, à la question des maisons médicales de garde. Vous trouverez dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale des mesures à ce sujet. Il existe 214 maisons de ce type ; nous en voulons davantage. Vingt-quatre sont en cours d'installation.
Il faut aussi relever le nombre des médecins qui sortent du premier cycle des études médicales, ou PCEM. Nous avons encore relevé le numerus clausus.
M. Charles Pasqua. Très bien !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Prochainement, à l'occasion des états généraux de la démographie médicale, nous allons mener un large débat. L'article 33 du projet de loi de financement de la sécurité sociale servira de cadre. En plus des caisses d'assurance maladie et des syndicats représentatifs, nous allons pour la première fois ouvrir la discussion aux jeunes médecins.
M. le président. Terminez, madame !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ils seront largement associés au débat avec voix délibérative, et il sera donc tenu compte de leur avis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
EADS
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre, et vous comprendrez pourquoi je tiens à l'identité du destinataire.
À la suite de la publication par la presse d'éléments du pré-rapport de l'Autorité des marchés financiers, EADS s'est retrouvée une nouvelle fois dans l'actualité le mercredi 3 octobre, avec une forte suspicion de délits d'initiés.
M. Jean-Marc Todeschini. Oh oui !
Mme Nicole Bricq. Si le Parlement n'a pas à interférer avec ce qui pourrait relever de poursuites judiciaires, son rôle est bien de comprendre ce qu'a été la gouvernance publique, l'État et son exécutif agissant comme acteur direct et indirect.
À cet effet, la commission des finances du Sénat a réagi avec célérité des le 5 octobre. Elle veut connaître et comprendre. L'actualité de ce dossier étant renouvelée quasi quotidiennement, la réactivité s'impose. Mais célérité et réactivité n'empêchent pas que nous soyons à la remorque de la presse. Les déclarations de M. Arnaud Lagardère, ce dimanche, et l'affirmation de ses contacts directs avec les plus hautes autorités de l'État constituent l'épisode le plus récent de ce mauvais feuilleton.
Il est à cet égard regrettable que la création d'une commission d'enquête nous ait été refusée par deux fois, l'une en novembre 2006 sur les difficultés industrielles d'EADS, l'autre le 9 octobre dernier concernant les responsabilités de l'État, alors même que le Président de la République - et la chronologie a son importance ! -, lors de son déplacement a Mâcon le 8 octobre, affirmait : « je veux savoir la vérité s'agissant de ce qui s'est passé au niveau de l'État » ; « s'il y a des gens qui ont fraudé chez EADS, il faut que la justice aille jusqu'au bout, qu'on connaisse la vérité et que ceux qui se sont comportés de façon malhonnête soient punis à due proportion de ce qu'ils ont fait. » ; « j'irai jusqu'au bout de l'enquête pour savoir quelles ont été les responsabilités de l'État à ce moment-là », ajoutait-il.
La commission d'enquête permettrait à l'ensemble du Sénat, opposition et majorité, d'être à égalité de connaissance, ce qui est l'intérêt de tous les acteurs publics compte tenu des dégâts moraux causés par cette affaire dans l'opinion.
M. Roland Courteau. C'est vrai !
Mme Nicole Bricq. Et cela d'autant que la dépénalisation du droit des affaires est aussi entrée dans l'actualité, Mme le garde des sceaux ayant en effet annoncé la création d'un groupe de travail sur cette question le 4 octobre dernier, soit le lendemain de la publication dans la presse du pré-rapport de l'AMF. Avouez que cette concomitance ajoute au trouble !
M. le président. Votre question !
Mme Nicole Bricq. Mme le ministre de la justice a précisé, dans le journal Le Monde daté du 16 octobre, que « naturellement, l'abus de bien sociaux et le délit d'initiés ne seront pas dépénalisés ». Pourquoi ce « naturellement » s'il n'y a pas de lien entre la réforme envisagée et le dossier EADS ? Il apparaît donc de plus en plus nécessaire que la lumière soit faite...
M. le président. Votre question !
Mme Nicole Bricq. ... et que le Gouvernement précise ce qu'il entend extraire de la sphère pénale. Il doit répondre aux interrogations de nos concitoyens sur cette concomitance, cette coïncidence des actes et des faits, afin de lever la suspicion dangereuse à l'encontre de l'action publique, particulièrement celle qui a trait à la responsabilité de l'État.
M. Charles Revet. Trois minutes quinze !
Mme Nicole Bricq. C'est pourquoi, je vous demande de préciser le champ que recouvrerait la dépénalisation du droit des affaires ainsi que la force de conviction dont vous comptez faire preuve en tant que chef de la majorité pour que celle-ci mette en place une commission d'enquête dans l'intérêt de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Trois minutes vingt-huit !
Monsieur Domeizel, je crains que votre question ne puisse être soit retransmise à la télévision !
La parole est à M. le secrétaire d'État. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Madame Bricq, vous souhaitez la transparence sur l'affaire EADS. Sachez que le Gouvernement joue bien la transparence. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Il joue gros !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Mme Christine Lagarde a été entendue par les commissions des finances de la Haute Assemblée et de l'Assemblée nationale. Elle a immédiatement demandé à l'Inspection générale des finances un rapport pour savoir si les services de l'État avaient ou non joué pleinement leur rôle. Ce rapport a été rendu public la semaine dernière.
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et la commission d'enquête ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Sa conclusion est la suivante : les services du ministère des finances ont parfaitement rempli leur rôle et ne peuvent aucunement être mis en cause.
M. Gérard Longuet. Oui !
M. Didier Boulaud. Et Matignon ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand on n'a rien à cacher, on accepte une commission d'enquête !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Vous évoquez, madame le sénateur, d'éventuels délits d'initiés. Or le rôle de la justice est justement de déterminer si, oui ou non, de tels délits ont été commis.
Je regrette, permettez-moi de vous le dire, que, au moment où des succès commerciaux exceptionnels sont annoncés (Très bien ! sur les travées de l'UMP.- Rires sarcastiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), au moment où le Premier ministre présente, à Marignane, un plan de soutien inégalé de la filière aéronautique (Nouveaux rires sur les mêmes travées.), vous n'ayez aucun mot pour ce qui fait la fierté de notre industrie aéronautique : cent quatre-vingt-cinq A 380, des commandes de près de quarante milliards d'euros ! J'imagine que c'est un simple oubli de votre part !
M. Didier Boulaud. Ce sont vos amis qui ont mis les mains dans la caisse !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Votre omission montre qu'il y a, d'un côté, ceux qui soutiennent cette entreprise et ses succès commerciaux et, d'un autre, ceux qui privilégient les dérives politiciennes ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Didier Boulaud. Il y a ceux qui bossent et ceux qui mettent les mains dans la caisse !
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Je souhaite en effet évoquer l'avenir de la Haute Assemblée. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Le Président de la République a décidé d'engager, vous le savez tous, une réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage de nos institutions, ce dont nous nous réjouissons.
En effet, après la réforme de 1962, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, le passage au quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, nos institutions ont évolué et le fait présidentiel - chacun peut en faire le constat - s'est imposé.
Face à cette évolution, le travail parlementaire, qui avait été rationnalisé en 1958 pour rompre avec la pratique antérieure, est resté très, voire trop, encadré,...
M. Charles Revet. Beaucoup trop !
M. Robert del Picchia. ... et tout le monde s'accorde sur la nécessité de rééquilibrer nos institutions.
M. Charles Pasqua. Pas tout le monde !
M. Robert del Picchia. Reste alors à déterminer dans quelle direction et avec quelle intensité doit s'engager cette réforme importante. C'est là que le diagnostic, somme toute consensuel, laisse place au débat d'idées, qui, loin d'être médiocre, s'avère intéressant.
Je pense me faire l'écho d'un grand nombre de mes collègues en disant que, si un rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif est nécessaire, il ne doit pas mettre en cause les grands équilibres de la Ve République, ...
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Robert del Picchia. ...qu'il s'agisse d'assurer la stabilité du Gouvernement ou l'efficacité de son action.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a des distorsions au sein de la majorité !
M. Robert del Picchia. Parmi ces grands équilibres figure le bicamérisme (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP. -Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), qu'il faut préserver à tout prix ; chacun, dans cet hémicycle, en est d'ailleurs d'accord, monsieur le secrétaire d'État. Mais vous connaissez bien le Parlement, plus particulièrement le Sénat, et vous savez ce que nous pensons.
À l'heure où l'on appelle à un renforcement du Parlement, il serait pour le moins paradoxal d'affaiblir notre assemblée, dont la qualité du travail est reconnue par tous, ...
Mme Catherine Procaccia. C'est exact !
M. Robert del Picchia. ... et qui sait faire preuve d'une grande indépendance d'esprit, comme cela a pu être observé ces derniers temps.
M. le président. La question !
M. Robert del Picchia. Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais que vous nous fassiez part, avant que ne débute cette réforme importante, de l'état d'esprit du Gouvernement sur ce sujet. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle audace !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, j'imagine sans peine que, dans les semaines et les mois qui viennent, nous aurons à plusieurs reprises l'occasion d'engager ensemble ce débat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vrai !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vous le savez, le Président de la République a mis en place le comité Balladur, qui doit justement réfléchir au rééquilibrage des pouvoirs auquel vous faisiez allusion et à la revalorisation du travail du Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On connaît le résultat !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je le dis à tous les groupes politiques, nous avons besoin à la fois de revaloriser le travail du Parlement et de renforcer le crédit de nos institutions auprès de nos concitoyens. Le débat doit se tenir non pas uniquement entre les parlementaires et le Gouvernement, mais également avec le pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous vous y prenez mal !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le comité Balladur a reçu l'ensemble des représentants des partis politiques et l'ensemble des présidents des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vrai !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ses conclusions seront remises d'ici à une huitaine de jours au Président de la République. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Dans l'attente, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que nous travaillons dans deux directions relativement simples.
La première direction, qui est très claire et extrêmement simple, c'est la revalorisation du travail du Parlement. Par conséquent, lorsque l'on parle de rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif, cela signifie que le législatif et le pouvoir de contrôle du Parlement, qui devra être davantage exercé, doivent occuper une place plus grande. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais vous refusez de mettre en place une commission d'enquête !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Nous ferons une série de propositions de nature constitutionnelle et réglementaire en ce sens.
J'en viens à la seconde direction, dont l'évocation répondra sans doute mieux à la question que vous venez de poser, monsieur le sénateur. Nous avons parfaitement conscience - je parle sous le contrôle de M. le Premier ministre, qui connaît parfaitement nos deux assemblées -...
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ...que le système français s'appuie sur deux chambres.
Par conséquent - nous aurons d'ailleurs l'occasion d'approfondir ce point -, nous tenons naturellement à un Sénat représentant les territoires et les Français de l'étranger, et partageant avec l'Assemblée nationale la compétence législative et celle de contrôle sur l'ensemble du Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Yves Pozzo di Borgo et Bernard Seillier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Elle était initialement destinée à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lequel participe aujourd'hui au Conseil européen se tenant à Lisbonne.
M. Jacques Mahéas. Il n'est jamais là !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nul n'ignore la gravité des événements qui secouent la Birmanie. L'ampleur de la répression contre un peuple courageux qui n'aspire qu'à vivre dans la dignité et à retrouver la démocratie a ému l'opinion mondiale et nous oblige à nous demander comment nous pourrions aider à la réconciliation nationale, seule issue acceptable pour le Myanmar.
En effet, ni la mobilisation internationale, symbolisée par l'attribution du prix Nobel de la paix à Aung Saan Suu Kyi, ni les sanctions imposées par les pays occidentaux depuis 1996, ni les appels répétés au dialogue n'ont réussi à infléchir le pouvoir en place, soutenu, il est vrai, par la grande puissance voisine.
Devant cette situation, le Gouvernement français et nos diplomates ne sont pas restés inactifs. L'envoi, avec l'assentiment des Chinois, de l'émissaire onusien Ibrahim Gambari, la première déclaration sur la Birmanie du Conseil de sécurité des Nations unies, la déclaration de l'Union européenne du 25 septembre dernier et l'annonce du gel des avoirs des généraux birmans aux États-Unis sont autant de mesures positives, même si l'histoire récente a montré, hélas ! que c'est surtout le peuple, et non les dirigeants, qui souffre des sanctions économiques.
Dans ce contexte, ma question est simple : quel peut être et quel doit être le rôle de la France qui, tout en s'associant aux sanctions internationales, a choisi de poursuivre sa coopération culturelle, linguistique et éducative au profit des Birmans ?
Pour m'être rendue au Myanmar, je peux témoigner de l'impact très positif de nos diplomates et de notre communauté française, qui, notamment dans les organisations non gouvernementales, font un travail remarquable pour accompagner un peuple birman en souffrance.
J'en viens à ma question : quelle sera la stratégie du Gouvernement au cas où, comme nous le craignons, la situation s'aggraverait ? Ici, au sein de la Haute Assemblée, nous sommes tous très sensibles à l'avenir du peuple birman - nous l'avons prouvé au fil des ans - et nous ne voudrions pas que le titre provocateur d'un récent article paru dans un grand quotidien - « Birmanie : responsables, bientôt coupables » - ne reflète un jour la réalité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -M. Bernard Seillier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -MM. Yves Pozzo di Borgo et Bernard Seillier applaudissent également. )
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Madame le sénateur, les agissements de la junte au pouvoir en Birmanie, vous avez raison de le souligner, sont particulièrement condamnables.
Le peuple birman souffre, et la France ne pouvait rester sourde à ses appels. Notre pays, qui compte maintenir la pression sur la junte, n'a d'ailleurs pas attendu la crise actuelle pour s'impliquer.
Personnellement, dès ma prise de fonctions, je me suis engagée sur le dossier birman, appelant à la libération d'Aung Saan Suu Kyi, symbole s'il en est de la résistance à l'oppression.
J'ai reçu au mois de juillet dernier M. Gambari, l'envoyé spécial des Nations unies en Birmanie. J'ai appelé à une nouvelle stratégie, convaincue que la politique menée jusqu'alors avait montré ses limites. Seule une stratégie de long terme et l'utilisation de toute une palette d'actions peuvent être efficaces.
Que faisons-nous actuellement ?
L'action de la France, de l'Union européenne et des Nations unies va bien au-delà d'une dénonciation, certes essentielle mais non suffisante, des violations des droits de l'homme : nous prenons des initiatives.
Le Conseil des droits de l'homme a adopté une résolution condamnant énergiquement la répression des opposants.
M. Didier Boulaud. On ne fera rien !
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Surtout, le Conseil de sécurité des Nations unies, présidé par la France, a été saisi en septembre dernier du dossier birman par Bernard Kouchner, qui se trouvait alors à New York. Nous avons ainsi permis l'adoption par le Conseil de sécurité, le 11 octobre dernier, d'une déclaration présidentielle. Il s'agit du premier texte adopté formellement sur cette question, la Chine et la Russie ne s'y étant pas opposées.
La France soutient par ailleurs pleinement les efforts de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies en Birmanie, M. Ibrahim Gambari.
Quant à l'Union européenne, elle s'est engagée à renforcer les sanctions et à mettre en place de nouvelles mesures : le « paquet » adopté le 15 octobre dernier constitue une réponse claire et ferme de l'Union européenne au comportement inacceptable de la junte birmane.
Ces mesures touchent directement les intérêts de la junte, sans affecter la population birmane. Cette dernière ne doit pas être pénalisée deux fois, par la junte et par les sanctions internationales.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Il ne s'agit donc pas d'une démarche exclusivement punitive, les sanctions pouvant être allégées, voire suspendues, si les autorités birmanes font ce que la communauté internationale exige. C'est d'ailleurs pour cette raison que la France a maintenu ses relations culturelles avec la Birmanie.
Enfin, il est important que nous fassions pression sur les pays asiatiques. C'est d'ailleurs tout l'objet de la prochaine tournée en Asie, à la fin du mois, de Bernard Kouchner, que j'accompagnerai.
Nous avons également proposé la création d'un groupe de contact, qui devrait être mis en place au cours des prochains mois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)
retraites
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Claude Domeizel. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre, mais je crois savoir que c'est M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité qui me répondra.
Mon temps de parole ne me permettant pas de revenir sur le puissant mouvement de protestation que notre pays connaît aujourd'hui et sur la réponse qui a été apportée tout à l'heure - elle vaut ce qu'elle vaut -, je souhaite m'appuyer sur cette actualité pour vous interroger sur l'avenir du fonds de réserve des retraites.
Mme Nicole Bricq. C'est bien !
M. Claude Domeizel. Je rappelle que ce fonds a été créé en 1999 pour faire face aux importantes difficultés financières que vont connaître nos régimes de retraite. L'objectif est d'atteindre 150 milliards d'euros en 2020. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Mme Nicole Bricq. Pas loin !
M. Claude Domeizel. Depuis sa création, le fonds se révèle être un outil efficace et reconnu, dont les placements affichent une bonne performance, les produits financiers représentant environ 12 % chaque année.
Mais, depuis cinq ans, les gouvernements Raffarin et Villepin ont peu alimenté ce fonds de réserve des retraites, si bien que, aujourd'hui, le compte n'y est pas, loin de là ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Carle. Et Jospin ?
M. Claude Domeizel. Au 31 décembre prochain, la réserve s'élèvera à quelque 30 milliards d'euros, alors que, pour atteindre les 150 milliards d'euros en 2020, il faudrait avoir capitalisé environ 60 milliards d'euros à la fin de l'année.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Trop de cadeaux fiscaux et plus de sous !
M. Claude Domeizel. De plus, ces 30 milliards d'euros peuvent être l'objet de convoitises : certains, dans vos rangs, monsieur le ministre, envisagent d'utiliser immédiatement ces fonds pour équilibrer les régimes de retraites.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, nous souhaiterions connaître vos intentions quant à l'avenir du fonds de réserve des retraites.
D'une part, avez-vous l'intention d'utiliser ce capital immédiatement, ou bien de maintenir l'objectif de lissage en 2020, hypothèse vivement souhaitable pour les générations de demain ?
D'autre part, quels moyens comptez-vous mettre en oeuvre pour atteindre les 150 milliards d'euros prévus en 2020 et, ainsi, consolider notre régime de retraite par répartition ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le sénateur, j'ai conscience de m'adresser à l'un des meilleurs connaisseurs du parti socialiste en matière de retraite (Sourires.), ce qui m'autorise donc à tout lui dire sur le fonds de réserve des retraites !
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il convient déjà de dire que le fonds de réserve des retraites est alimenté chaque année - certains le nient en permanence - par le produit d'une taxe sur le capital à hauteur de 1,7 milliard d'euros.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec des cadeaux fiscaux ! Évidemment, il n'en parle pas !
M. Xavier Bertrand, ministre. Dès lors, pour quelle raison manque-t-il de l'argent dans ce fonds ? C'est parce que, depuis l'origine, vous avez détourné les sommes qui lui étaient destinées pour pouvoir financer les 35 heures ! Voilà la vérité ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Et vous le savez pertinemment, les uns et les autres.
Pourquoi avez-vous mis en place à l'époque le fonds de réserve des retraites ? Je vais vous le dire : c'est parce que vous n'avez pas osé mettre en oeuvre la réforme des retraites ! (Voilà ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Il a fallu attendre 2003, avec Jean-Pierre Raffarin et François Fillon, que cette réforme courageuse soit mise en oeuvre ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Eh oui !
M. Jacques Mahéas. Mais cela fait six ans que vous êtes au pouvoir !
M. Xavier Bertrand, ministre. Certes, on pouvait compter sur vous, à l'époque, pour faire des rapports !
Certes, on pouvait compter sur vous, à l'époque, pour différer les décisions et pour mettre en place, notamment, un fonds de réserve des retraites qui ne serait réellement efficace qu'à partir de 2020 !
Mme Nicole Bricq. Vous répondez à côté ! C'est une pirouette !
M. Xavier Bertrand, ministre. Et d'ici à 2020, que fait-on ?
Précisément, avant cette échéance, il a fallu poser les bases de la consolidation de nos retraites par répartition avec la réforme qui a été mise en oeuvre en 2003.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est le paquet fiscal pour les riches !
M. Xavier Bertrand, ministre. Sur tous ces sujets, ne soyez pas impatient, monsieur Domeizel !
Nous allons avoir le débat sur l'avenir de nos retraites, car, après le rendez-vous de 2003, se profile celui de 2008.
M. Robert Hue. Après les municipales !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce rendez-vous nous permettra de déterminer comment nous pourrons et devrons faire pour donner des garanties à nos concitoyens.
À cet égard, je suis impatient à mon tour, monsieur le sénateur, de voir le groupe socialiste nous communiquer enfin des propositions et faire preuve d'un peu de courage politique ; cela nous changerait ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -MM. Yves Pozzo di Borgo et M. Bernard Seillier applaudissent également. )
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
5
Dépôt d'un projet de loi
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant l'accord de partenariat, signé à Cotonou le 23 juin 2000, entre les membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et la Communauté européenne et ses États membres.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 41, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
6
Transmission d'une proposition de loi
M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 40, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
7
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 23 octobre 2007 :
À dix heures :
1. Dix-huit questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À seize heures trente :
2. Éloge funèbre de Jacques Pelletier.
À dix-huit heures :
3. Examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.
Rapport (n° 30, 2007-2008) de M. François-Noël Buffet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD