M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie à mon tour du compliment justifié que vous venez d'adresser au Sénat.
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela fait toujours plaisir !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;
Groupe socialiste, 31 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis le 1er juillet dernier, et en application de la volonté du précédent gouvernement et de la loi votée par le Parlement au mois de novembre 2006, les ménages français peuvent désormais quitter leurs opérateurs historiques, EDF et Gaz de France, et opter pour des offres de marché dont les prix sont librement fixés par les fournisseurs d'énergie.
L'ouverture totale du marché n'est pas sans poser de nouvelles difficultés. Je pense notamment à la perte du bénéfice des tarifs réglementés et à l'impossibilité pour les ménages ayant fait le choix de changer leur fournisseur d'électricité ou de gaz de bénéficier de nouveau du tarif réglementé. Une telle impossibilité vaut non seulement, bien entendu, pour eux, mais également pour leur successeur dans leur logement.
Avant d'aborder la discussion des propositions de loi, il n'est pas inutile, me semble-t-il, de nous remémorer le débat que nous avions eu, ici même, au mois d'octobre 2006. À l'époque, nous avions fermement dénoncé le risque que constituait une ouverture totale. Par le dépôt de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous avouez d'ailleurs, que le risque était réel.
Je voudrais également rappeler que c'est le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin - je vous salue, mon cher collègue (M. Jean-Pierre Raffarin sourit et salue) - qui a décidé, au mois de novembre 2002, de libéraliser totalement le marché de l'électricité et du gaz, alors que le gouvernement précédent s'y était opposé à Barcelone.
Puisque nous sommes dans l'« année Alzheimer », je me permettrai de rappeler les faits. (Sourires.) En 2002, lors de la préparation du Conseil européen de Barcelone, le gouvernement de l'époque avait clairement refusé l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz aux ménages. La France s'était opposée aux propositions de la Commission européenne, propositions qui, non seulement visaient l'accélération du calendrier de libéralisation, mais également programmaient l'ouverture du marché à tous les consommateurs, y compris aux particuliers, pour l'année 2005.
Après d'âpres négociations, le gouvernement de Lionel Jospin avait obtenu que l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz soit limitée aux professionnels et aux entreprises. Je viens d'ailleurs de lire le compte rendu de ces négociations. Il avait obtenu également en contrepartie de cette ouverture aux professionnels pour l'année 2004 le principe de la recherche de l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général. La construction européenne devait ainsi reposer sur d'autres fondements que ceux du marché et des lois de la concurrence.
Pour ma part, je considère que l'électricité n'est pas un produit comme les autres. À ce titre, elle devrait bénéficier d'une réglementation comparable à celle qui est applicable à l'eau et relever du service public.
Alors que les doutes sur l'efficacité des mécanismes concurrentiels en termes de baisse des prix se renforçaient, les prix subissant de fortes pressions à la hausse, la poursuite du processus de l'ouverture du marché aux particuliers était ainsi bloquée.
Les ménages, exclus du processus de libéralisation, pouvaient continuer à bénéficier, en tant que clients non éligibles, des tarifs réglementés, qui se situent bien en dessous des prix du marché.
Le 16 mars 2002, le Premier ministre précisait que l'expérience de l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie en Suède ou en Grande-Bretagne avait conduit non pas à la baisse des prix mais, au contraire, à une hausse des tarifs. Il avait rappelé qu'en France le service public avait garanti l'égalité d'accès et la péréquation sur le territoire en assurant un tarif du gaz et de l'électricité inférieur à celui des autres pays.
Le Président de la République de l'époque, M. Jacques Chirac, s'était lui-même clairement opposé à l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence pour les ménages. Lors de la conférence de presse donnée à l'issue de ce Conseil européen, il avait déclaré : « Alors, nous avons, naturellement, accepté d'ouvrir le marché de l'électricité aux entreprises, parce qu'il est normal que les entreprises puissent faire jouer la concurrence. Mais il n'était pas de notre point de vue admissible, acceptable d'aller plus loin et, donc, c'est bien la solution que nous souhaitions qui a été reconnue dans les conclusions ».
Mais, quelques mois à peine après l'issue de ces pénibles négociations qui avaient abouti à l'exclusion des ménages du processus d'ouverture à la concurrence, le nouveau gouvernement Raffarin a balayé d'un revers de main ce qui venait d'être obtenu.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Le 25 novembre 2002, lors d'un conseil Énergie, Mme Nicole Fontaine, ministre chargée de l'industrie, acceptait que la date finale pour l'achèvement du marché intérieur de l'électricité et du gaz soit fixée au 1er juillet 2007.
M. Thierry Repentin. Capitulation !
M. Roland Courteau. Ça, c'est sûr !
M. Daniel Raoul. Une fois acceptée l'ouverture totale à la concurrence en 2002, après qu'eut été constatée l'envolée des prix de l'électricité sur les marchés des entreprises, plusieurs initiatives ont été prises pour préserver les tarifs réglementés d'électricité. Quel aveu !
Ces dispositifs ne sont au final que des palliatifs transitoires, et la Commission européenne conteste aujourd'hui la régulation tarifaire en prônant l'abandon pur et simple de la réglementation des tarifs de l'électricité et du gaz. Ce n'est pourtant pas formellement libellé dans la directive ; monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'État, y aurait-il de votre part une intention cachée de faire disparaître ces tarifs ?
M. Jean Desessard. Ah !
M. Daniel Raoul. Alors qu'il fallait s'engager dans une orientation politique claire, l'attitude de la France a favorisé la primauté des mécanismes concurrentiels sur tout mécanisme régulateur. Cette attitude a engendré les procédures d'infractions menées à l'encontre de la France. Nous sommes punis par où nous avons péché. (Sourires.)
Dans le même esprit, le Conseil constitutionnel a récemment censuré les dispositions relatives à la préservation des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz pour les logements anciens et pour tout nouveau site de consommation au bénéfice des particuliers et des professionnels. Il a considéré que de telles dispositions, en imposant aux opérateurs historiques et à eux seuls des « obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public », étaient discriminatoires et contraires aux objectifs d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz fixés par les directives faisant l'objet de la transposition. C'est dans cet esprit, monsieur le rapporteur, que nous avons déposé un amendement concernant les conventions de service public.
Une telle décision contestant la compatibilité de la réglementation tarifaire française avec les textes communautaires programme d'emblée, quoi que vous disiez, la disparition à terme des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz.
Or, comme le soulignent dans leurs conclusions les rapporteurs de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, « il appartient à la seule Cour de justice européenne de préciser et, en particulier, de savoir dans quelle mesure les tarifs réglementés sont compatibles avec les directives ». Je vous rappelle que ces conclusions ont été adoptées à l'unanimité des membres de la mission commune d'information, quelle que soit leur sensibilité politique.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Selon eux, « les directives ne s'opposent pas à l'existence de tarifs dès lors qu'ils couvrent les coûts », ce qui correspond aux obligations mêmes de service public - vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur.
Force est de reconnaître aussi qu'avec son parc nucléaire la France est capable de produire une électricité dite « bon marché », y compris si l'on intègre les investissements à réaliser à moyen et à long terme concernant le démantèlement et le traitement des déchets.
L'abandon des tarifs réglementés prétendument réclamé par la Commission européenne se traduirait a contrario par une hausse des prix préjudiciable à l'ensemble des consommateurs, qu'il s'agisse des professionnels, des entreprises ou encore des particuliers. La preuve a d'ores et déjà été faite concernant les professionnels.
M. Roland Courteau. On l'a vu !
M. Daniel Raoul. Les conséquences d'un tel choix sur l'économie sont évidentes. Alors que vous vous préoccupez du pouvoir d'achat des ménages, ceux-ci vont voir leur facture énergétique augmenter. Ce ne sera pas non plus sans conséquence sur la compétitivité de nos entreprises, sans compter la hausse de la facture des administrations, des collectivités territoriales, des hôpitaux. En termes macroéconomiques, les incidences ne seront donc pas neutres !
La mise en cause communautaire de ces tarifs au titre des aides d'État découle d'une véritable incompréhension. La mission commune d'information précédemment citée se demande par quels mécanismes la puissance publique aurait été amenée à subventionner l'activité d'entreprises bénéficiant de tarifs couvrant les coûts du producteur. Elle se déclare également perplexe quant à l'affirmation selon laquelle les tarifs provoquent des distorsions de concurrence puisque la référence prise à l'appui de ce raisonnement est celle de prix de marchés déconnectés des réalités économiques. Enfin, elle s'interroge sur la nature des conséquences qui pèseraient sur les entreprises si l'enquête de la Commission devait aboutir à une suppression de ces tarifs : dans quelles conditions seraient-elles amenées à se fournir en électricité ?
Elle concluait : « En définitive, votre mission estime que le marché ne peut en aucun cas servir de modèle unique de fixation des prix de l'électricité. En théorie, ce ne pourrait être qu'à l'issue d'un mouvement général de convergence des mix énergétiques des États membres de l'Union européenne » - cela supposerait l'établissement d'un véritable réseau interconnecté, or vous connaissez les aléas de l'autoroute de l'électricité nord-sud, qui achoppe toujours concernant l'accès à l'Espagne - « accompagné par un fort développement des interconnexions, qu'une unicité du prix européen de l'électricité pourrait se concevoir et se justifier. »
M. Roland Courteau. En effet !
M. Daniel Raoul. « Or, comme cela a été démontré, cette harmonisation est encore loin d'être en marche, compte tenu notamment des réticences de la plupart des pays européens à installer des centrales nucléaires. » Cela n'empêche pas d'ailleurs ces derniers, de façon quelque peu hypocrite, d'acheter l'électricité fournie par notre parc électronucléaire.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Daniel Raoul. « Dans ces conditions, la mission juge qu'il ne peut être question, pour la France, de ne plus faire bénéficier les consommateurs de l'avantage compétitif lié au nucléaire pour des motifs tenant à une harmonisation communautaire des prix qui ne repose sur aucune logique solidement établie. De même, elle ne saurait accepter une suppression du système tarifaire risquant de pénaliser lourdement les ménages ».
À ce propos, je voudrais rendre hommage à un ancien Premier ministre récemment décédé, Pierre Messmer, qui, en 1974, contre vents et marées, a imposé l'établissement du parc électronucléaire. Certains organismes ou associations s'autoproclamant experts dénonçaient alors la dangerosité et la non-efficacité de ce parc. Or tout le monde s'accorde aujourd'hui sur l'existence d'une rente nucléaire évaluée à 9 milliards d'euros. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean Desessard. Applaudissements à droite !
M. Daniel Raoul. Peut-être, mais je suis de gauche, mon cher collègue !
M. le président. En tout cas, bravo pour cet hommage !
M. Daniel Raoul. Je vous rappelle que l'opposition à la construction de ce parc émanait aussi de scientifiques, appartenant principalement au Commissariat à l'énergie atomique, qui voulaient, d'étape en étape, mettre au point la quatrième, la cinquième génération de centrales avant d'installer celles qui nous permettraient de produire de l'électricité à bon marché.
Au bénéfice de qui cette rente nucléaire de 9 milliards d'euros doit-elle être distribuée ? Peut-elle faire l'objet d'une appropriation privative par les actionnaires, par exemple ? Doit-elle être redistribuée par le biais de tarifs préférentiels aux nouvelles entreprises de négoce d'électricité entrant sur le marché ? Ou doit-elle en toute transparence, au bénéfice de l'intérêt général, du retour sur investissement, en quelque sorte, profiter au consommateur final, en particulier par le biais d'un système tarifaire réglementé, au financement des missions de service public en général et au réinvestissement dans l'entreprise ?
M. Roland Courteau. C'est la sagesse !
M. Daniel Raoul. Pour compléter votre information, je voudrais vous inviter, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à lire les propos de M. Marcel Boiteux, parus dans la revue Futuribles du mois de juin 2007, dans un article intitulé : « Les ambiguïtés de la concurrence. Électricité de France et la libération du marché de l'électricité ». Il y précisait, en connaisseur : « Si l'électricité constitue en effet un cas « d'école », force est de constater que les grands services de réseaux (télécommunications, eau, transport...) constituent aussi des cas suffisamment « à part » - notamment du fait des monopoles naturels - pour que l'on puisse douter de l'efficacité des recettes purement libérales. Il semble tout à fait illusoire d'attendre des pratiques purement concurrentielles qui prédominent aujourd'hui à l'organisation de ces activités de réseaux des vertus régulatrices analogues à celles que produisaient structurellement sur l'économie les grands services publics de distribution. »
Je voudrais aussi vous citer un article édifiant paru, le mardi 4 septembre 2007, dans le New York Times concernant la dérégulation du système électrique américain. Plus d'une décennie après l'ouverture de la route de l'électricité qui devait conduire l'Amérique d'un secteur électrique régulé à un secteur libéralisé, de nombreux États des États-Unis font marche arrière ou rendent de l'argent aux consommateurs pour atténuer l'effet de cette libéralisation. Des vingt-cinq États, plus le district de Columbia, qui ont adopté la libéralisation, seule la Californie envisage d'ouvrir et d'étendre les prix de marché. La principale raison de ce retour vers davantage de régulation réside dans l'évolution des prix. Les statistiques récentes du département de l'énergie montrent que les coûts de l'électricité dans les États qui ont adopté la libéralisation ont augmenté plus rapidement que dans ceux qui ont conservé leurs traditionnels tarifs régulés.
M. Roland Courteau. C'est bien de le rappeler !
M. Daniel Raoul. Quand cesserez-vous, mes chers collègues, d'avoir raison contre le reste du monde ? Pourquoi vouloir, à petit pas certes, d'une façon déguisée, tuer progressivement les tarifs réglementés ? Monsieur le rapporteur, pourquoi prévoyez-vous une date butoir, le fameux 1er juillet 2010, si vous avez réellement l'intention de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs ? Supprimez-la ! Vous capitulez avant même d'avoir engagé la bataille !
J'en viens au secteur du gaz. La récente fusion de GDF et de Suez fait peser de sérieux risques sur le système tarifaire réglementé de vente de gaz naturel. Les sénateurs socialistes tiennent à réaffirmer leur opposition, qu'ils avaient déjà exprimée au mois de novembre 2006, à cette fusion décidée par le Président de la République, contrairement à l'engagement qu'il avait pris alors qu'il était ministre de l'économie.
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Daniel Raoul. Je rappelle l'engagement qui avait été pris de ne pas descendre en dessous de 70 % du capital de Gaz de France !
Que devons-nous croire, mes chers collègues ? La déclaration du Président de la République, Jacques Chirac, à Barcelone ? La réponse que fit Mme Nicole Fontaine, en présence du Premier ministre de l'époque, M. Jean-Pierre Raffarin, lors d'une séance de questions au Gouvernement, alors qu'un mois plus tard elle acceptait la libéralisation à Bruxelles ?
Quand devons-nous vous croire, monsieur le rapporteur ? Quand vous évoquiez, en 2004, l'épouvantail de la privatisation de Gaz de France ? Relisez vos rapports ! (M. Jean Desessard rit.)
Dès lors, je me demande quelles sont vos intentions réelles. En tout cas, elles ne sont certainement pas d'améliorer le pouvoir d'achat des consommateurs. En vertu du dogme qui veut que la concurrence fasse baisser les prix, vous vous rendez avant même d'avoir livré combat.
Avec la suppression des tarifs régulés que Bruxelles demanderait - « demanderait », car ce n'est pas explicitement prévu par la directive -, il ne s'agit plus, comme on pouvait initialement le croire, d'ouvrir la concurrence afin de faire baisser les tarifs, mais d'élever les prix afin de permettre la concurrence. C'est bien ce que l'on constate dans les autres pays !
Enfin, concernant l'irréversibilité, point sur lequel vous n'évoluez guère, monsieur le rapporteur, même si vous avez fait un effort - nous en jugerons tout à l'heure lorsque nous examinerons les amendements -, elle n'a été instaurée que par trois États : la France, la Slovaquie et, depuis le 1er janvier 2007, l'Espagne. Sachez en outre que, d'après une étude très récente du groupe des régulateurs européens, quatorze États membres ont conservé pour leurs industriels des tarifs réglementés, à côté de ceux offerts sur le marché libre, trois autres États se limitant aux petits consommateurs.
Les amendements que nous défendrons tout à l'heure, dans un esprit d'ouverture, ont donc pour objectif de préserver, primo, le pouvoir d'achat des consommateurs, secundo, leur liberté de choix - en l'occurrence, nous abondons presque dans votre sens -, tertio, la réversibilité. Au demeurant, si vous raisonnez dans le cadre d'une économie libérale, vous verrez que la réversibilité est nécessaire pour ouvrir un marché qui, reconnaissons-le, ne fonctionne pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Raffarin. On a quand même entendu pas mal d'inexactitudes !
M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, par un grand paradoxe, à l'heure où la France ouvre totalement ses marchés du gaz et de l'électricité, le Sénat inscrit à son ordre du jour la question des tarifs réglementés de vente de l'électricité et du gaz. Sommes-nous décidément de si mauvais élèves européens pour nous entêter ainsi à vouloir contrarier la logique du marché en aménageant un droit de retour ? Je ne le crois pas, bien au contraire !
Le processus de libéralisation du marché a toujours été envisagé comme un mouvement irréversible.
Par ailleurs, les procédures lancées par la Commission européenne à l'encontre des tarifs réglementés concernent non leur existence même - vous l'avez rappelé à la fin de votre intervention, monsieur le secrétaire d'État -, mais leur application à toutes les catégories de consommateurs et portent sur la nécessité que ces tarifs couvrent les coûts de production et d'approvisionnement.
Cela dit, avec l'examen du texte de notre excellent collègue M. Ladislas Poniatowski, ce qui nous occupe aujourd'hui, ce sont les conditions d'exercice de l'éligibilité du consommateur ; comprenez : la faculté, pour nos concitoyens, de choisir. C'est sur ce point précis que les trois propositions de loi, plus ou moins partiellement reprises par les conclusions de la commission des affaires économiques, se rejoignent. Nous voulons garantir le choix du consommateur et éviter que celui-ci puisse basculer sur le marché sans le vouloir.
C'est pourquoi, s'agissant du secteur électrique, je souscris à l'objectif visé par la proposition de loi de M. Ladislas Poniatowski, qui permet de corriger une évidente aberration du cadre juridique issu de la loi du 7 décembre 2006. Elle évite en effet qu'un consommateur domestique ne soit poussé à exercer son éligibilité contre son gré, simplement parce qu'il s'installe dans un logement qu'un précédent occupant a choisi de faire basculer sur le marché pour l'approvisionner en électricité.
S'agissant du secteur gazier, je serai plus réservé, car les fondamentaux économiques et sociaux des systèmes en présence diffèrent. À mon sens, les solutions applicables à l'un ne sont pas forcément ni opportunément transposables à l'autre.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Tout à fait !
M. Xavier Pintat. Néanmoins, cette disposition devrait écarter les risques de contentieux entre les bailleurs et les preneurs de logement, l'irréversibilité de l'exercice de l'éligibilité pour un site immobilier donné étant de nature à compromettre la valeur patrimoniale de celui-ci.
Pour autant, j'observe que cette mesure, qui n'aura qu'une efficacité provisoire puisqu'elle prendra fin dans moins de trois ans, ne modifiera pas le niveau de risque encouru par les consommateurs et les fournisseurs d'énergie électrique.
M. Thierry Repentin. C'est vrai !
M. Xavier Pintat. Du côté des consommateurs, l'exercice de l'éligibilité s'avère, dans le contexte actuel, pratiquement impensable puisqu'il implique de s'exposer de manière définitive à un très grand risque de hausse de prix, sans garde-fou, ce qui ne serait évidemment pas raisonnable.
M. Daniel Raoul. Vous l'avouez !
M. Xavier Pintat. Ayons présent à l'esprit que moins de 7 % des consommateurs professionnels ont à ce jour changé de fournisseur, alors que ce segment de marché a commencé à s'ouvrir à la concurrence dès le début des années 2000 et que celle-ci s'est généralisée en 2004.
En l'état actuel de la réglementation, il est donc vraisemblable que l'ouverture du marché demeurera purement théorique. Cette situation est regrettable, car il existe certainement sur le marché des offres alternatives intéressantes, voire innovantes, par leur contenu, notamment en termes de services associés. Simultanément, les entreprises qui ont eu le courage d'investir dans la fourniture d'électricité pourraient être mises rapidement en sérieuse difficulté par l'absence de décollage du marché et l'extrême faiblesse subséquente de leur chiffre d'affaires.
Dans ces conditions, de plus en plus d'acteurs du système électrique s'accordent à considérer que la voie du bon sens devrait conduire à autoriser dans notre pays une vraie réversibilité de l'exercice des droits relatifs à l'éligibilité, c'est-à-dire la possibilité pour un consommateur final d'obtenir le retour au tarif réglementé de vente d'électricité pour un site alors même qu'il se serait antérieurement approvisionné pendant un certain temps sur le marché.
Les collectivités organisatrices de la distribution d'électricité et, plus largement, les collectivités locales, ainsi que la Commission de régulation de l'énergie, les organisations de défense des consommateurs résidentiels, les organisations représentatives des consommateurs professionnels, se sont déclarées favorables à une telle évolution. Celle-ci concourrait très positivement au processus d'ouverture à la concurrence. Par ailleurs, elle ne soulèverait pas de difficultés juridiques rédhibitoires, pourvu que l'on prenne certaines précautions.
Du point de vue économique, la réversibilité rassurerait les consommateurs et les inciterait à tester le marché. De ce fait, elle élargirait les possibilités de choix qui leur sont ouvertes, favoriserait l'émergence de nouvelles offres plus inventives en termes d'efficacité énergétique et de valorisation des sources renouvelables. Simultanément, elle préserverait l'influence régulatrice sur les prix et la sécurité d'approvisionnement de la production électronucléaire, comme l'a souligné Daniel Raoul, à laquelle sont adossés les tarifs réglementés.
Bien entendu, tout cela n'est concevable que si le niveau des tarifs réglementés suffit à couvrir les coûts correspondants.
Un consensus semble acquis sur le fait que tel est bien le cas du tarif bleu, c'est-à-dire du tarif appliqué au consommateur final domestique ou professionnel jusqu'à 36 kVa, dont le niveau n'a été contesté ni par la Commission de régulation de l'énergie ni par la Commission européenne.
Ce tarif s'appliquant tant aux petits consommateurs professionnels qu'aux consommateurs domestiques, il me semble cohérent d'inclure ces deux catégories dans le champ de la réglementation relative à la réversibilité. C'est la raison pour laquelle je présenterai un premier amendement visant à étendre le périmètre d'application de la proposition de loi aux professionnels bénéficiaires du tarif bleu.
La réversibilité de l'exercice de l'éligibilité pour l'ensemble des consommateurs relevant du tarif bleu aurait également, il faut y insister, l'intérêt de résoudre enfin la question du service universel de l'électricité, dont l'article 3, paragraphe 3, de la directive européenne de 2003 concernant l'électricité prévoit expressément l'organisation pour les clients résidentiels ainsi que pour les petites et moyennes entreprises.
J'observe en effet que ce service universel n'est pas actuellement prévu en France pour les petits consommateurs qui auraient exercé leur éligibilité et qui éprouveraient ensuite des difficultés à trouver un fournisseur dans des conditions économiques raisonnables. La possibilité de revenir s'approvisionner de façon transparente et non discriminatoire dans le cadre du tarif bleu résoudrait cette difficulté dans des conditions conformes à l'esprit comme à la lettre de la directive européenne.
Tout cela est affaire de bon sens, à telle enseigne que, parmi les dix-sept États membres de l'Union européenne appliquant actuellement des tarifs réglementés pour l'électricité, la France est une exception.
Selon une récente étude de l'ERGEG, le groupe des régulateurs européens, notre pays est le seul parmi ceux où coexistent des tarifs réglementés et des prix de marché à ne pas autoriser la réversibilité aux ménages et aux petits professionnels. Voici d'ailleurs un tableau récapitulatif, que je tiens à votre disposition, mes chers collègues, et qui montre clairement que la pratique de la réversibilité, ici en jaune, est très largement majoritaire dans l'Union européenne. (L'orateur montre à l'hémicycle un tableau à deux couleurs.)
M. Thierry Repentin. Nous nous rejoignons !
M. Xavier Pintat. Au Danemark, en Italie en Allemagne, par exemple, la réversibilité totale est admise sans aucun problème. La raison en est simple : le droit communautaire n'évoque à aucun moment la réversibilité et, de fait, la Commission européenne n'a engagé aucune procédure à l'encontre des très nombreux États membres qui pratiquent la réversibilité totale. (Exactement ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il y a une raison à tout cela !
M. Xavier Pintat. J'y viens.
Je sais que ce débat survient dans un délicat contexte de tension avec les instances de l'Union européenne sur la question de la mise en oeuvre des tarifs réglementés de vente de l'électricité. Nous devons bien entendu être attentifs à ne pas rendre la résolution de ces différends plus compliquée ; M. le rapporteur l'a d'ailleurs rappelé.
Le texte proposé par la commission en tient compte puisque l'application de son dispositif est limitée à la période allant jusqu'au 1er juillet 2010.
Compte tenu de cette indispensable précaution, je voudrais vous convaincre de ne pas céder à une interprétation du droit européen finalement plus restrictive que ne l'est celle de la Commission européenne elle-même. (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
C'est pourquoi, par mon second amendement, je vous proposerai d'autoriser, jusqu'en 2010, l'ensemble des consommateurs bénéficiant du tarif bleu à bénéficier d'une vraie réversibilité de l'exercice de leur éligibilité.
Tant que nous n'établirons pas la réversibilité pour les petits consommateurs, le marché de l'électricité demeurera factice, avec le risque, surtout, d'avoir un marché de l'électricité à deux vitesses.
Les faits sont là : le principe de l'irréversibilité n'est pas favorable au développement concurrentiel du marché. ERD, filiale de distribution d'EDF, n'a enregistré que 3 500 demandes de changement de fournisseur entre le 1er juillet et le 1er septembre 2007. Le système électrique devra donc supporter en pure perte les coûts considérables induits par les investissements et les innombrables mesures d'adaptation qui ont été consenties au fil de nombreuses années du fait de l'ouverture à la concurrence.
En outre, les fournisseurs alternatifs seront confrontés à des difficultés financières et les consommateurs seront privés d'une véritable possibilité de choix. Qui peut penser qu'une telle situation soit durable ?
Ne nous exposons pas à la nécessité de subir demain la contrainte des circonstances. Agissons donc dès aujourd'hui, en mettant en cohérence notre tradition énergétique et nos engagements européens, en donnant au consommateur une véritable liberté de choix entre le tarif réglementé du service public et le marché.
Il n'existe qu'une seule solution pour y parvenir en toute sécurité et en toute transparence : elle consiste à desserrer le frein de l'irréversibilité ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)