PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le 10 février 2000 était constituée la commission d'enquête sénatoriale sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, présidée par notre collègue Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, je dois dire la fierté qui fut la mienne d'avoir été l'un de ses membres tant ses travaux seront remarquables et, il faut bien le dire, très vite remarqués et salués par tous, aussi bien pour la clarté de son diagnostic sans concession que pour l'audace de ses propositions.

En effet, le 29 juin 2000, son excellent rapporteur, le président Guy-Pierre Cabanel, faisait connaître les conclusions de la commission d'enquête et dévoilait ainsi le contenu de son rapport au titre on ne peut plus explicite : Prisons : une humiliation pour la République.

Les travaux de cette commission et l'état des lieux alarmant dressé dans son rapport demeurent d'une très grande actualité et permettent toujours de connaître et de comprendre la situation réelle et dramatique de l'univers carcéral dans notre pays, qui - faut-il le rappeler ? - est aussi celui des droits de l'homme.

Ce rapport fera honneur à notre Haute Assemblée et sera très vite connu sous le nom de « rapport Cabanel ». Si j'osais, je dirais qu'il fut un best-seller de notre littérature parlementaire. Et il demeure encore aujourd'hui, sept ans plus tard, une véritable référence, mieux, une lecture obligée avant toute réforme sérieuse de notre système pénitentiaire.

Alors, madame le garde des sceaux, quand votre projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté a été déposé sur le bureau de notre assemblée, je me suis tout naturellement replongé dans le rapport Cabanel. Voici ce que j'y ai lu à la page 203 de son premier tome : « Le constat accablant dressé par votre commission d'enquête sur la situation des contrôles exercés sur l'administration pénitentiaire exige une réponse énergique et rapide. »  Puis, plus loin : « Il apparaît indispensable que la France se dote d'un organe de contrôle externe des établissements pénitentiaires, doté de très larges prérogatives et pouvant effectuer des visites très complètes des établissements. Cet organe pourrait également servir de relais aux recommandations formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, dont les visites ne sont pas assez régulières pour qu'un véritable suivi puisse avoir lieu. Les rapports de cet organe de contrôle seraient soumis au Parlement. »

C'était la première fois qu'on évoquait dans notre pays la création d'un contrôleur général.

Démentant une fois de plus les préjugés, qui, décidément, ont la vie très dure, les sénateurs avaient fait preuve d'énergie et de rapidité puisque le 26 avril 2001 ils adoptaient les conclusions modifiées du rapport de la commission des lois, dont j'avais eu l'honneur d'être le rapporteur, sur la proposition de loi déposée le 30 novembre 2000 par Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons.

Mais six ans après son adoption par notre Haute Assemblée, ce texte est hélas ! toujours en attente d'examen sur le bureau de l'Assemblée nationale. On ne saurait toutefois imaginer un seul instant que cela s'explique par un manque d'énergie de la part de nos collègues députés.

La proposition de loi Hyest-Cabanel a pour objet d'instituer un contrôleur général des prisons « chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires ». Celui-ci disposerait de pouvoirs très étendus : droit de visite à tout moment dans les établissements pénitentiaires, droit d'accès à tous les locaux de ces établissements, droit de s'entretenir avec toute personne et d'obtenir toutes les informations nécessaires. En outre, le contrôleur général pourrait proposer au Gouvernement toute modification de nature législative ou réglementaire et établirait chaque année un rapport qui serait rendu public.

On le voit, le texte de la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2001 est très proche, dans le dispositif qu'il vise à mettre en place, de celui que vous nous proposez aujourd'hui, madame le garde des sceaux, à la réserve près que votre texte étend, très opportunément il faut bien le reconnaître, ce même contrôle à tous les lieux de privation de liberté, en ne le limitant pas aux seules prisons, même si celles-ci constituent les lieux où l'impératif d'un contrôle indépendant est le plus urgent.

Dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale de 2000, j'ai pu véritablement prendre la mesure des conditions de détention alarmantes qu'imposent nos établissements pénitentiaires. Depuis lors, je n'ai cessé d'utiliser le droit dont disposent les parlementaires, depuis le 15 juin 2000, de visiter à tout moment les prisons, aussi bien en France métropolitaine qu'en France équinoxiale et, plus précisément, en France d'outre-mer.

De plus, en tant que rapporteur pour avis du budget de l'administration pénitentiaire pendant six ans, mes très nombreuses visites dans les lieux de détention m'ont permis de mesurer combien les choses n'ont pas ou ont trop peu évolué pendant toutes ces années.

Pire ! Je dirais même que mon expérience semble très proche de ce qu'a été celle de la secrétaire d'État à la condition pénitentiaire entre 1974 et 1976, Hélène Dorlhac, expérience qu'elle a racontée dans son ouvrage d'une grande actualité, Changer la prison, où elle évoquait son « voyage au bout de l'enfer ».

De nombreux passages de son livre n'ont perdu aucune actualité quand je les compare à ce que j'ai pu voir ces dernières années.

Par exemple, je pourrais faire miennes ces quelques lignes sur la surpopulation carcérale, véritable problème générateur de bien des risques pour le détenu comme pour la société : « Dans certaines cellules, écrivait Hélène Dorlhac, on trouve quatre ou cinq prisonniers au lieu d'un seul ; de cette promiscuité naît trop souvent la contagion de perversion. Surtout lorsque de nouveaux arrivants, souvent jeunes et délinquants primaires, côtoient les vieux habitués des prisons. La prison reste encore une véritable "école du vice". Une hiérarchie se crée, avec ses "caïds". C'est l'exploitation des plus faibles par les plus rusés [...]. La prison est un microcosme de notre société dont les tares sont exacerbées. » Et elle constatait que « l'on ne refait pas un être social dans un cadre asocial », avant de plaider en faveur d'une « humanisation de la prison qui ne saurait pour autant être synonyme de laxisme ».

Ce principe doit aussi être le nôtre.

Trente ans après ces observations de la secrétaire d'État à la condition pénitentiaire, le 15 février 2006, c'est-à-dire l'année dernière, mes chers collègues, était rendu public le rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe sur le respect effectif des droits de l'homme en France.

C'est d'ailleurs sur la base de ce rapport du commissaire Gil-Robles, et sur l'initiative du président Jacques Pelletier, que nous avions discuté le 11 mai 2006, dans cet hémicycle, une question orale avec débat sur le respect des droits de l'homme dans notre pays.

Faut-il dès lors rappeler qu'à la lecture de ce rapport il apparaît que la plus grande atteinte aux droits de l'homme dans la République française reste - et de très loin - l'intolérable situation de nos prisons ? Le constat dressé en 2006 par le rapport Gil-Robles sur l'état de nos établissements pénitentiaires rejoint malheureusement les conclusions de la commission d'enquête Hyest-Cabanel de 2000.

De la lecture de ces rapports, il ressort que l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, et tout particulièrement des prisons, est une excellente initiative qu'il convient de saluer, madame le garde des sceaux. Elle relance ainsi la démarche amorcée par les travaux des sénateurs Hyest et Cabanel.

Les amendements proposés par la commission des lois et résultant de la très fine expertise de notre excellent rapporteur - et pour cause ! - permettront, une fois adoptés, de renforcer davantage le statut, l'autorité et l'indépendance du contrôleur. Je pense par exemple à sa nomination par le Président de la République après consultation du Parlement ou encore à l'élargissement des conditions de sa saisine aux autorités administratives indépendantes comme le Médiateur de la République ou la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, qui, dans le cadre de leurs compétences, sont amenées à connaître la situation de personnes détenues.

Toutefois, l'instauration de cette nouvelle autorité de contrôle ne peut permettre de faire l'économie d'une grande loi pénitentiaire, si souvent repoussée faute de moyens budgétaires mais peut-être plus encore faute d'une forte volonté politique, celle qu'il faut comme préalable pour faire basculer l'opinion publique. De ce point de vue, il y va de la place des prisons dans notre société comme, jadis, de l'abolition de la peine de mort !

Madame le garde des sceaux, la hausse continue de la population carcérale depuis 1980 n'a pas été compensée par la construction d'établissements modernes et dignes d'un État de droit. Elle n'est pas plus compensée par un véritable redéploiement de la population carcérale : malades psychiatriques en établissements de soins spécialisés, détenus âgés en hospices spécialisés, détention provisoire redevenue l'exception comme en dispose la loi, application du bracelet électronique à la détention provisoire, développement important des peines alternatives à l'emprisonnement.

L'enfermement est toujours, depuis 1791, au centre du dispositif judiciaire. C'est la peine majoritairement prononcée. Les centres d'éducation renforcée, le service civil à long terme, la prison à domicile et tant d'autres peines substitutives à l'emprisonnement doivent être expérimentés.

Comme le souligne l'Observatoire international des prisons, l'indignité des prisons françaises provient essentiellement du fait que les détenus sont privés de l'exercice de leurs droits les plus élémentaires. Qu'en est-il de l'arbitraire des commissions de discipline ? De l'isolement de longue durée ? De l'insuffisance draconienne de l'offre de soins psychiatriques, alors que les pathologies mentales sont surreprésentées ?

La construction de nouvelles prisons ne peut être qu'un préalable à une refonte totale de notre politique pénitentiaire et du dispositif judiciaire. Un détenu est volontairement retiré de la place publique pour protéger la société, mais cela ne lui ôte pas sa qualité intrinsèque de personne humaine, ni sa dignité. Se préparer à se réinsérer dans la société une fois sa peine purgée est indissociable du droit légal à la rédemption et à la réhabilitation de tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont enfreint les règles posées par la collectivité.

La France ne peut continuer à entretenir des établissements où se fabrique légalement la désocialisation d'individus et se renforce leur propension au crime. Les dispositifs de surveillance alternatifs à la privation de liberté doivent être développés. C'est déjà le cas du bracelet électronique, initié par notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel, et dont le régime a été récemment renforcé. Favoriser l'aménagement des peines, notamment par l'usage de la libération conditionnelle, me semble également devoir être développé.

M. Jean-Jacques Hyest évoquait déjà il y a six ans la transformation des prisons en asile. Des études ont montré qu'en prison les taux de pathologies psychiatriques sont jusqu'à vingt fois supérieurs à ce qu'ils sont dans la population générale. Or il n'existe que quelques centaines de places en unités pour malades difficiles, souvent détournées de leur finalité. Ce chiffre est évidemment insuffisant. Et, sur ce sujet, je me réjouis de l'amendement de notre rapporteur, M. Hyest, au présent projet de loi, qui vise à étendre le champ du contrôle à l'ensemble des établissements psychiatriques, y compris ceux qui sont sous statut privé.

Madame le garde des sceaux, l'intervention du Médiateur de la République dans le système pénitentiaire a également été renforcée le 25 janvier dernier, avec la signature d'une convention entre le Médiateur de la République et le garde des sceaux pour généraliser l'intervention des délégués du Médiateur dans les établissements pénitentiaires, garantissant un meilleur accès au droit pour l'ensemble des détenus et renforçant ainsi la mission du Médiateur auprès d'un public spécifique.

En plaçant ainsi le Médiateur à l'écoute des personnes détenues dans le but de faciliter le règlement amiable des différends qui peuvent les opposer aux administrations, on facilite leur réinsertion. Ce dispositif, qui doit être maintenu et réaffirmé, ne pourrait-il pas être renforcé dans le projet de loi en gestation à la Chancellerie ? Faciliter l'intervention des délégués du Médiateur dans les prisons me semble primordial.

Le grand chantier pénitentiaire s'ouvre de nouveau avec le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante imaginée en France dès 2000 par les sénateurs Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel. Et c'est pourquoi, sous le contrôle du président de la commission des lois, je me permets de suggérer le nom de M. Guy-Pierre Cabanel pour occuper le premier poste de contrôleur général.

Ce texte constitue donc une première étape qui laisse présager une réelle volonté politique du Gouvernement d'agir et d'en finir avec une très grave humiliation pour notre République. Parce qu'« une société, disait Albert Camus, se juge à l'état de ses prisons », préparons au plus vite et tous ensemble une grande loi pénitentiaire qui mette enfin nos actes citoyens et politiques en accord avec nos principes philosophiques et juridiques. C'est la raison pour laquelle, dans sa grande majorité, le groupe du RDSE soutiendra votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il aura donc fallu attendre sept ans et une session extraordinaire du Parlement en plein coeur de l'été pour voir enfin apparaître l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que les membres de mon groupe et moi-même appelions de nos voeux depuis si longtemps.

Permettez-moi de rappeler très brièvement - M. le rapporteur l'a déjà fait dans le détail - le cheminement de cette idée, qui n'est pas nouvelle, de créer un contrôleur extérieur, cantonné initialement aux seuls établissements pénitentiaires.

Cette idée a vraiment émergé en 2000, à un moment où la question pénitentiaire était sur le devant la scène et où plusieurs rapports importants étaient publiés, mettant en évidence à la fois les conditions indignes de détention en France et la nécessité d'améliorer le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Je pense ici en particulier au fameux rapport Canivet ainsi qu'aux deux rapports d'enquête parlementaire sur les prisons publiés respectivement par le Sénat et par l'Assemblée nationale.

Dans la continuité des travaux du Sénat, nos collègues Hyest et Cabanel ont déposé une proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons. Malheureusement, et cela a été dit, ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et est donc resté lettre morte.

Les sénateurs du groupe CRC - singulièrement par la voix de mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat - n'ont pas manqué une occasion de déposer, sous forme d'amendements, une proposition visant à créer ce contrôleur général, hélas ! sans succès.

Nous sommes donc bien évidemment favorables au principe d'instaurer un contrôleur général dans tous les lieux de privation de liberté, conformément à l'engagement pris par la France le 16 septembre 2005 auprès des Nations unies de créer un mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants.

Toutefois, concernant les modalités de sa mise en oeuvre, nous avons certaines critiques à formuler sur le dispositif tel qu'il a été retenu par le Gouvernement, et nous présenterons par conséquent des amendements afin d'améliorer ce texte et de le rendre plus efficace.

Car le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui est un texte a minima. En effet, il est en deçà des propositions issues du rapport Canivet, en deçà de la proposition de loi de nos collègues Hyest et Cabanel adoptée au Sénat en 2001, en deçà du protocole facultatif de 2002 signé par la France en 2005, en deçà de certains dispositifs mis en place chez nos voisins européens - je pense ici plus particulièrement à la Grande-Bretagne -, ou encore en deçà du système en place s'agissant du Médiateur de la République.

De nombreuses organisations - associations et organisations syndicales - ont également fait connaître publiquement leurs critiques à l'égard du dispositif retenu.

Pour être effectif, le contrôle des lieux privatifs de liberté doit répondre à certains critères qui sont actuellement absents du présent texte.

Il faut en effet que cette structure de contrôle soit une autorité indépendante et incontestable. Pour ce faire, il faut tout d'abord qu'elle soit impartiale, et indépendante tant sur le plan politique que sur le plan financier.

Les modalités de sa nomination doivent être transparentes et doivent garantir son indépendance, gage de la légitimité de son action. Ce n'est pas ce que prévoit votre texte, qui évoque une nomination par décret simple. Nous proposons donc que le contrôleur soit nommé par décret du Président de la République après avis des commissions compétentes du Parlement. Nous considérons que le Parlement doit pouvoir émettre un avis sur cette nomination, comme c'est d'ailleurs le cas dans d'autres pays.

Cela est d'autant plus indispensable qu'aucun critère de compétences, de qualification ou encore d'expérience professionnelle n'est précisé dans votre texte alors même que le protocole fait expressément référence aux « compétences et aux connaissances professionnelles ».

Je voudrais insister ici sur le fait que la première personnalité à être nommée dès l'entrée en vigueur de la loi pour exercer les fonctions de contrôleur général sera regardée en France, mais également à l'échelle internationale. Elle va donner le ton quant au rôle et à la place de cette instance de prévention des traitements inhumains en termes d'utilité, de crédibilité, d'efficacité et, bien sûr, d'indépendance.

Cela étant dit, afin de garantir le bon fonctionnement de cette nouvelle autorité de contrôle, il faut lui allouer une dotation en moyens - humains, financiers et matériels - à la hauteur des missions qu'elle devra accomplir, et ce en toute indépendance.

Or le texte n'apporte aucune garantie à ce sujet. Nous considérons, pour notre part, qu'il est indispensable que cette autorité ait un budget propre lui permettant de recruter le personnel nécessaire et de disposer de locaux, conformément à l'article 5 des « principes de Paris » régissant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme. Nous proposons en conséquence de préciser que ses crédits seront inscrits au budget général de l'État, au sein du programme « Coordination du travail gouvernemental ».

De plus, compte tenu de la multiplicité des lieux concernés par les visites du contrôleur - plus de 5 000 -, il est tout aussi nécessaire de lui garantir la possibilité d'un recrutement de contrôleurs et de collaborateurs suffisamment nombreux et spécialisés selon le type de lieux à contrôler.

S'agissant précisément des lieux à contrôler, nous estimons que le champ de compétences dudit contrôleur doit être précisément défini et concerner tous les lieux de détention : tous les établissements pénitentiaires, y compris les centres de semi-liberté et pour peines aménagées, les établissements pénitentiaires pour mineurs, ou EPM, les centres éducatifs fermés, ou CEF, les secteurs psychiatriques des centres hospitaliers, les locaux de garde à vue, les locaux d'arrêt des armées, les centres de rétention administrative, les locaux de rétention administrative dont la création ou la suppression fluctuent en fonction des besoins du moment et, enfin, les zones d'attente.

L'article 6, dans sa rédaction actuelle, précise que les visites concernent le « territoire de la République ». Le contrôleur ne pourra donc pas intervenir, par exemple, dans les cas de privation de liberté par des forces militaires ou des forces de police françaises à l'étranger. J'y reviendrai lorsque je m'exprimerai sur l'article 6, puisque, en application de l'article 40 de la Constitution, l'amendement que j'avais déposé sur ce sujet a été déclaré irrecevable.

Nous proposons par ailleurs d'étendre le champ de compétences du contrôleur - actuellement limité au contrôle des conditions de prise en charge des personnes privées de liberté - à l'état, à l'organisation et au fonctionnement de ces lieux ainsi qu'aux conditions de vie des personnes détenues. Il faudrait également que le contrôleur puisse aider à révéler certaines conditions de travail des personnels, en particulier dans les prisons.

Enfin, il va sans dire que les prérogatives du contrôleur doivent être claires : cette future autorité doit disposer de réels pouvoirs en matière de visites, d'auditions et d'investigations.

Le contrôleur doit avoir un accès total aux dossiers, à tous les lieux de détention, ainsi qu'à tous les équipements et installations les composant. Il doit pouvoir procéder à des visites régulières, mais aussi, et surtout, à des visites inopinées. Ainsi, les visites sans préavis ne doivent pas être limitées aux seuls cas où « des circonstances particulières l'exigent ». Nous proposerons donc de réécrire l'article 6 du projet de loi, article qui, en l'état actuel, ne nous convient pas et ne répond pas aux exigences posées par le protocole.

Le contrôleur doit également disposer de pouvoirs d'injonction à l'encontre des autorités publiques responsables de lieux de privation de liberté, ce que le texte ne prévoit pas.

Nous proposons que le ministre et l'administration compétente soient tenus de rendre compte au contrôleur général, dans un délai fixé par ce dernier, de la suite donnée à ses observations et ses recommandations, qui doivent être, selon nous, rendues systématiquement publiques, tout comme ses avis, ses propositions, ses rapports de visite, etc.

Il est également indispensable à nos yeux de prévoir que, en cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, le contrôleur ait la possibilité d'enjoindre à l'autorité mise en cause de se conformer à ladite décision dans un délai fixé par lui.

Enfin, il faut regretter qu'aucune articulation ne soit prévue entre le contrôleur et les instances internationales, notamment avec le sous-comité de la prévention. Nous avons déposé un amendement en ce sens.

À l'occasion de la discussion des articles, nous reviendrons plus en détail sur les propositions non exhaustives que je viens d'évoquer et que nous avons reprises sous forme d'amendements. Il va sans dire que notre vote final sur l'ensemble du texte dépendra du sort réservé à ces derniers. Si le texte devait rester en l'état, ou se trouver modifié à la marge, nous nous abstiendrons.

Il ne faut pas oublier le contexte dans lequel intervient ce projet de loi, lequel, de surcroît, ne sera adopté définitivement que cet automne, l'Assemblée nationale n'en étant pas saisie au cours de la présente session extraordinaire.

Ce texte intervient, en effet, alors que, cela a été dit, la situation des prisons françaises est catastrophique : surpopulation carcérale, allongement de la durée des peines, absence de grâce présidentielle - même si cette dernière n'est pas « la » solution aux problèmes que connaissent nos prisons -, multiplication des gardes à vue pour faire du chiffre... Sans parler de la situation dans le secteur psychiatrique, à mettre en perspective avec une éventuelle réforme de l'internement d'office, ou encore de la situation dans les centres de rétention ou les zones d'attente, avec l'augmentation du nombre d'étrangers retenus administrativement du fait des objectifs fixés par le Gouvernement en matière d'expulsions du territoire.

Aussi, compte tenu de la faiblesse des prérogatives de ce contrôleur, de la faiblesse des moyens humains et matériels dont il disposera, de son champ de compétences aux contours très mal définis, je crains fort que ce texte, en l'état, ne serve finalement que de caution au Gouvernement pour continuer, voire amplifier, sa politique sécuritaire.

Le présent projet de loi apparaît donc clairement comme le pendant de la politique répressive du Gouvernement, qui veut, avec l'instauration de ce contrôleur sans réels pouvoirs, se donner bonne conscience. C'est, oserai-je dire, le côté « charitable » du Gouvernement. On peut toujours multiplier les contrôles extérieurs ; cela permet d'éviter de se poser des questions de fond, comme la modification de l'échelle des sanctions pénales.

Ce n'est évidemment pas la future loi pénitentiaire que vous avez annoncée, madame le garde des sceaux, qui, selon nous, inversera la tendance.

Telles sont, mes chers collègues, les remarques que je tenais à formuler sur ce texte visant à instituer un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il s'agit d'une belle idée. Ce texte pourrait, en effet, constituer une réelle avancée en termes de protection des droits fondamentaux de la personne humaine, digne d'un pays comme la France, laquelle est en principe en pointe sur ces questions. Mais si le texte reste en l'état, je crains qu'il ne se révèle in fine décevant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je le dis clairement d'emblée, en matière carcérale, s'agissant de la France, je suis un pessimiste actif.

Voilà cinquante-cinq ans que j'ai, pour la première fois, mis les pieds dans la maison d'arrêt de Fresnes, comme avocat stagiaire, venu en mobylette et trempé de pluie. Cela fait trente-cinq ans que je ne cesse de lutter pour l'amélioration des prisons. Je n'ai pas le sentiment que, dans ce domaine, les nombreux efforts que j'ai vus autour de moi, portés par tant de femmes et d'hommes de coeur, aient véritablement abouti à ce que nous souhaitions.

Il y a trop d'exemples de rapports internationaux, trop de constats faits par les commissions parlementaires, pour ne pas s'interroger sur la condition singulière du monde carcéral en France, en dépit de tous les efforts accomplis par les personnels pénitentiaires. Ceux-ci, je tiens toujours à le rappeler, assument, au sein de notre société, une fonction très difficile, dans des conditions souvent pénibles, parfois dangereuses, mais dont la communauté nationale ne leur sait pas suffisamment gré.

Pourquoi ce pessimisme en ce qui concerne la mesure qui nous est soumise ? Il suffit, à cet égard, de prendre le calendrier, car ce n'est pas d'hier que, de toute part, on réclame l'instauration d'un contrôle général des prisons, tant s'en faut !

En 1998 - cela fera bientôt dix ans -, la demande a été formulée, pour la première fois, par l'Observatoire international des prisons, à la suite des événements de Beauvais.

Nous avons eu, depuis lors, de nombreux rapports parlementaires.

Ainsi, en 2001, l'excellent rapport de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, présidée déjà par M. Hyest, intitulé : « Prisons : une humiliation pour la République ».

L'Assemblée nationale, sous la présidence de notre ami M. Mermaz, a également déposé un long rapport à ce sujet, concluant à la nécessité d'instaurer un contrôle général des prisons.

Par ailleurs, à la demande de Mme Guigou, alors ministre de la justice, la mission présidée par M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, a déjà dressé un tableau de la situation et défini les conditions de l'institution d'un contrôleur général des prisons.

Pour autant, les différentes propositions de loi qui ont été déposées, celle de M. Hyest, votée à l'unanimité par le Sénat en 2001, celle de Mme Lebranchu, en 2004, ont-elles prospéré ?

On trouve toujours du temps pour faire une succession de lois sur la récidive, afin d'accroître à coup sûr la surpopulation carcérale, mais jamais pour faire venir devant le Parlement le texte que nous demandions, à savoir une grande loi pénitentiaire, qui réglerait notamment la question du contrôle extérieur - c'est nécessaire - des prisons et, plus généralement, des lieux de détention.

Aujourd'hui, nous sommes enfin saisis de ce texte ! Je souligne l'adverbe « enfin » car cette mesure marque le terme d'une longue attente et elle est consécutive à une pression internationale et aux engagements internationaux pris par la France.

Notre éminent collègue M. Othily, qui consacre, avec beaucoup de coeur, un temps considérable à ces questions pénitentiaires - et on doit l'en remercier ! -, a rappelé que notre pays avait fait l'objet de rapports internationaux extrêmement critiques, d'où l'« humiliation pour la République » évoquée par le rapport du président Hyest.

Je souligne qu'il existe une déclaration, remontant à 1998 - bientôt dix ans ! - du Parlement européen, demandant à tous les États membres de procéder à l'instauration d'un tel contrôle et que, à son tour, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a formulé une telle recommandation en 2004.

En définitive, si nous sommes saisis aujourd'hui par Mme le garde des sceaux - et nous lui en savons gré -, c'est tout de même parce que la France est tenue par des obligations internationales.

En effet, La France a enfin signé, en 2005, le protocole additionnel à la convention des Nations unies de 2002 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La France s'étant engagée à le ratifier avant la fin du premier semestre de 2008, il lui fallait bien instaurer ce contrôle.

Tenue par ses obligations internationales, ayant attendu si longtemps après tant de sollicitations, de demandes provenant de tous les côtés - magistrats, avocats, organisations professionnelles, y compris l'administration pénitentiaire elle-même -, la France envisage enfin d'instituer ce contrôleur général, à compétences étendues.

Certes, nous nous en réjouissons, mais le texte qui nous est présenté avance trop frileusement vers ce que doit être ce contrôle.

Très simplement, quelles sont les conditions pour qu'un tel contrôle soit efficace ?

Condition évidente : l'indépendance de l'autorité administrative indépendante qui exerce le contrôle. Cela est assuré. Mais cette indépendance doit s'accompagner de pouvoirs et d'une saisine larges. Nous aurons l'occasion de faire quelques observations sur cette dernière.

Trois exigences sont essentielles pour que ce contrôleur général puisse effectivement assumer la mission qui lui est impartie, faute de quoi cette instance ne serait qu'un trompe-l'oeil ou un placebo.

C'est donc à la mesure des qualités et des exigences que je vais énumérer que nous saurons si nous sommes en présence de la simple satisfaction formelle à une exigence internationale ou de la volonté politique, réclamée depuis si longtemps, d'instaurer en France un véritable contrôle des lieux de détention, pour en finir avec une situation que nous connaissons tous et qui a été unanimement dénoncée sur toutes les travées tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.

Il s'agit, en premier lieu, de l'autorité de la personne qui assumera cette haute fonction. À cet égard, si le texte fixe les conditions juridiques de la nomination, il ne formule pas d'exigence, supposant que cela ira de soi et que l'on dépassera le célèbre vers de Voltaire, selon lequel « l'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux ».

Nous en sommes convaincus, mais je préfère, pour ma part, rappeler l'exigence figurant précisément dans la Convention internationale que j'évoquais à l'instant et aux termes de laquelle les membres sont «  choisis parmi des personnalités de haute moralité ayant une expérience professionnelle reconnue dans le domaine de l'administration de la justice, en particulier en matière de droit pénal et d'administration pénitentiaire ou policière, ou dans les divers domaines ayant un rapport avec le traitement des personnes privées de liberté ». Telle est la première exigence.

En deuxième lieu, cette personnalité étant nommée par décret du Président de la République, et non pas en Conseil des ministres, ce qui poserait des problèmes de loi organique,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Robert Badinter. ...il est normal que soit recueilli l'avis préalable des deux commissions compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale, ce qui ne fait qu'anticiper sur la volonté proclamée du Président de la République. Nous ne sommes pas allés jusqu'à l'exigence de l'avis conforme ; la tentation était pourtant là ! Ainsi, le Parlement pourra exercer, non pas son droit de contrôle, mais, à son tour, son droit de participer à la nomination d'une autorité qui aura un tel rôle à jouer au regard des libertés individuelles.

Ce point viendra en discussion tout à l'heure et nous verrons ce qu'il adviendra, y compris en ce qui concerne l'avancée que nous souhaitons et selon laquelle la décision doit être prise à la majorité des trois cinquièmes des membres de la commission, et non pas à la majorité simple.

Par ailleurs, au-delà de l'autorité ainsi attachée, par ses qualités personnelles, son autorité morale et son expérience, au contrôleur, il faut reconnaître à celui-ci des pouvoirs qui lui permettent d'assurer effectivement sa mission. C'est en effet au regard de la détermination de ces pouvoirs que l'on prend la mesure de la vérité de la volonté politique d'assurer ce contrôle externe des lieux de détention.

J'ai évoqué la frilosité du texte sur bien des points, et contre laquelle s'inscrivent déjà des amendements que la commission des lois a déposés. Nous les soutiendrons, nous irons plus loin, la discussion naîtra. Je le dis clairement : le contrôleur doit disposer du pouvoir de se rendre à son gré dans les établissements qu'il doit contrôler. On n'imagine pas qu'il donne un préavis solennel et, comme le réviseur de Gogol, prévienne des mois à l'avance de son arrivée ! Non seulement il doit avoir absolue liberté d'accès, non seulement il doit être sûr de pouvoir s'entretenir librement avec toute personne susceptible de l'éclairer, mais se posera la question difficile, et pourtant importante, de l'accès à tous les documents. Je rappelle que le contrôleur général sera tenu par le secret professionnel - ce qui, on le reconnaîtra, est la moindre des obligations -, mais que l'on ne saurait, à notre sens, lui opposer...

M. Jacques Blanc. ...le secret médical !

M. Robert Badinter. ...quelque secret que ce soit, et même le secret médical.

Je donne simplement un exemple : qu'il y ait allégation, suspicion ou constat de violences subies par un détenu de la part d'un autre détenu ou des personnels pénitentiaires, comment savoir si le fait allégué est exact sinon en se référant d'abord aux documents médicaux qui établissent la réalité des violences subies ? Dire que, au nom du secret médical, ce sera impossible me paraît une erreur, comme ce le serait également dans les établissements psychiatriques s'agissant, par exemple, de l'usage des ceintures de contention.

Dans un tel domaine, le contrôleur doit bénéficier de la plus grande ouverture. Il ne peut pas être question d'un contrôle partiel, limité, contraint du fait d'une autorité qui doit à l'inverse garantir, enfin ! et l'administration de soupçons injustifiés, et les détenus des menaces que parfois ils sentent poindre sur eux, pour ne pas parler de la réalité des violences et des atteintes qu'ils subissent et qui tiennent à la surpopulation carcérale.

Enfin, en troisième lieu, il faut au contrôleur non seulement l'autorité personnelle, non seulement les pouvoirs dont nous déterminerons l'étendue, mais aussi les moyens. Car rien ne relève plus de l'hypocrisie que de faire naître des institutions dépourvues des moyens de réaliser leur mission, comme, hélas ! aujourd'hui la CNIL à juste titre le fait savoir. Il est là de notre devoir de souligner que par exemple en Angleterre, où il existe pour les seules prisons un service compétent, près de quarante contrôleurs sont placés sous les ordres de l'inspecteur général. Cela veut dire pour la France, où le champ d'activité, avec 5 500 lieux à contrôler, est plus large, au moins une soixantaine, peut-être quatre-vingts contrôleurs assistant le contrôleur indépendamment des autres services.

C'est dire qu'il faut un budget, et je souhaiterais, puisque, à cet égard, nous n'avons pas d'information précise, que, au moins dans les grandes lignes, Mme le garde des sceaux nous fasse savoir quel budget prévisionnel a été élaboré pour cette administration, pour ce contrôleur. Car, sinon, encore une fois, nous serions en présence d'un faux-semblant, d'une hypocrisie à laquelle je ne peux pas croire.

Enfin, et je conclurai sur ce point, quand ce contrôleur aura été instauré, ce n'est pas pour autant que la situation des établissements pénitentiaires et des lieux de détention sera transformée. Certes, il veillera à ce qu'il n'y ait pas d'atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, cela est bien, cela est juste. Par ailleurs, grâce aux recommandations qu'il formulera - et je sais que la direction de l'administration pénitentiaire y est sensible -, il promouvra des réformes que tous souhaitent et soulignera des défauts ou des manques auxquels il doit être remédié. Mais ce n'est pas suffisant ! Tout est à faire encore, et nous attendons avec impatience la grande loi pénitentiaire depuis trop longtemps différée et qui, j'en suis sûr, fera l'objet dans cet hémicycle d'une attention et d'un débat particulièrement soutenus.

Il n'y a pas d'espérance possible d'avoir une condition digne de la France dans les prisons aussi longtemps que ne seront pas respectés trois principes impératifs.

Le premier est que la prison est l'ultime recours, et non la première défense pénale. Car nous savons tous par deux siècles d'expérience que la prison, telle qu'elle est dans sa promiscuité, sa surpopulation et ses conditions, est le foyer de la récidive et l'école du crime. Alors, méfions-nous, ne cédons pas à la tentation du tout-carcéral, refusons autant que nous le pouvons le recours à la prison et espérons que nos magistrats sauront, à cet égard, résister à la pression, parfois, de l'opinion publique.

Le deuxième principe est que celui qui est détenu n'en demeure pas moins un être humain et un citoyen titulaire de tous ses droits fondamentaux - c'est d'ailleurs la raison d'être du contrôle instauré aujourd'hui. Prison, certes ; privation de liberté, certes ; dans quelques cas extrêmes, déchéance de certains droits, certes. Mais tous les autres droits sont siens et, précisément, c'est au contrôleur de veiller à ce qu'ils puissent être respectés et exercés.

Enfin, le troisième principe, trop souvent perdu de vue lui aussi, est que l'on sort toujours, ou presque, de prison et qu'il est du devoir, du premier devoir de l'administration pénitentiaire et, au-delà, de nous tous de faire en sorte que, dans toute la mesure possible, la prison prépare la réinsertion, précisément parce que le prisonnier est appelé à sortir, à regagner la société des femmes et des hommes libres, et qu'il lui faudra bien pouvoir retrouver sa place : la sortie « sèche », on le sait, est toujours désastreuse en termes de récidive, et les aménagements multiples de peine qu'évoquait M. Othily sont là pour y parer.

Je souhaite que ces impératifs soient au coeur de la loi pénitentiaire qui nous sera présentée : à coup sûr, si elle est telle que nous l'espérons, celle-ci marquera un grand progrès par rapport à deux siècles que j'ai trop étudiés de rapports singuliers entre la communauté nationale et ses prisons, rapports qui appellent bien des réflexions dont toutes ne sont pas, croyez-moi, à l'honneur de notre société. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à bien des égards, le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté dont nous débattons aujourd'hui ne constitue pas un texte comme les autres.

Tout d'abord, il s'insère dans une vaste et exigeante ambition de transformation des conditions de détention afin qu'il ne soit plus jamais porté atteinte à la dignité des personnes et que l'objectif de réinsertion, aussi essentiel pour les délinquants que pour les victimes, s'impose comme une évidente priorité.

Ensuite, cette réforme n'est ni de droite ni de gauche, et, dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous l'attendons tout depuis bien longtemps. Faut-il rappeler que le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, au titre accablant de Prisons : une humiliation pour la République, se terminait par les mots : « Il y a urgence... Il y a urgence depuis deux cents ans » ?

Enfin, nos concitoyens, déjà profondément choqués par la réalité des lieux de détention ou de garde à vue telle qu'elle leur était révélée par des livres comme celui de Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, ou celui du Groupe Mialet, Tous coupables, ont été bouleversés par l'affaire d'Outreau. Plus que jamais, ils ont pris conscience que n'importe qui, fût-il totalement innocent, pouvait être confronté au pire. Même si quelques réponses partielles ont été apportées à leurs préoccupations au début de l'année 2007, ils sont toujours dans l'attente d'une réforme de la justice qui soit à la hauteur de leurs exigences et de leurs espérances.

Il s'agit là d'une « ardente obligation » si l'on veut réconcilier les Français avec leur justice ; elle est d'autant plus nécessaire que ce thème n'a pas occupé dans les campagnes électorales récentes la place importante que nous aurions pu souhaiter.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Jean-René Lecerf. Bien évidemment, la réconciliation des Français avec les prisons de leur pays relève intégralement de la même problématique.

Dans un premier temps, nous ne pouvons donc qu'exprimer une grande satisfaction à voir se mettre enfin en place un contrôle extérieur non seulement des établissements pénitentiaires, mais de l'ensemble des lieux d'enfermement. Dans les débats qui menèrent à l'adoption par le Sénat, en avril 2001, de la proposition de loi de Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, notre éminent collègue Robert Badinter déclarait : « Penser, réfléchir, discuter et écrire, nous l'avons fait, c'est le moins que l'on puisse dire ! [...] Il est donc urgent de profiter des conditions favorables et de l'unanimité des volontés politiques pour agir. » Ce qui n'a pas été possible voilà six ans, ni depuis six ans, doit l'être aujourd'hui, je pense que nous serons tous d'accord sur ce point.

Pourtant, je ne perçois pas dans notre assemblée l'engouement, j'allais dire l'enthousiasme que nous serions en droit d'espérer.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est très bien vu !

M. Jean-René Lecerf. Il n'est pas trop tard pour y remédier, et je souhaiterais m'interroger avec vous quelques instants sur les aspects de ce projet de loi qui peuvent donner l'impression d'une réforme a minima, comme si l'administration, jalouse de ses prérogatives, cherchait à cantonner à l'excès le contrôleur général dans sa coquille.

M. Jean-René Lecerf. Il en va ainsi, tout d'abord, des conditions de nomination. Je ne considère pas la procédure du décret simple comme satisfaisante. J'entends bien les arguments juridiques de notre excellent rapporteur selon lesquels il n'appartient pas à la loi ordinaire de prévoir que la nomination du contrôleur général procéderait d'un décret en conseil des ministres, cette procédure étant réservée par l'article 13 de la Constitution à la loi organique. Pour autant, il n'est pas très facile d'accepter, et encore moins d'expliquer, que le décret en conseil des ministres soit la procédure pertinente pour la désignation des recteurs ou des préfets, mais s'avère peut-être trop solennelle pour celle du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle n'est pas interdite : c'est un décret du Président !

M. Jean-René Lecerf. Mais l'essentiel est ailleurs. Durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a exprimé sa volonté que les nominations aux plus hautes fonctions de l'État « se fassent sur des critères de compétence et de hauteur de vue, et non pas sur des critères de proximité avec le pouvoir politique en place ».

M. Charles Gautier. C'est bien vrai !

M. Jean-René Lecerf. Il ajoutait : « Les candidats à ces nominations seront auditionnés publiquement par le Parlement et celui-ci pourra mettre son veto à leur nomination. »

M. Jean-René Lecerf. Nul doute que nous ne soyons ici confrontés à l'une des plus hautes fonctions de l'État. À défaut de pouvoir préjuger la réforme constitutionnelle qui fait actuellement l'objet d'une réflexion, pourquoi ne pas en invoquer l'esprit en associant le Parlement à cette désignation ? Nous renforcerions ainsi l'autorité morale, et donc les chances de succès du contrôleur général, tout en respectant les engagements du chef de l'État.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est ce que nous faisons !

M. Jean-René Lecerf. Cet objectif ne semble pas inaccessible en l'état des dispositions constitutionnelles. Je me suis essayé à un amendement en ce sens - mais je le retirerais volontiers au profit de l'amendement de la commission des lois si le Gouvernement voulait bien approuver à tout le moins le principe de ce dernier.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Jean-René Lecerf. De même, je m'inquiète du luxe de précautions, de garanties dont on entoure l'action du contrôleur général : comme si, au moment même de le créer, on redoutait déjà l'éventuel usage de ses pouvoirs.

Mme Bariza Khiari. Évidemment !

M. Jean-René Lecerf. Pardonnez-moi de me laisser aller quelques instants aux charmes de la caricature, mais si, avant toute visite, il doit informer les autorités responsables du lieu de privation de liberté ; si celles-ci peuvent alors s'opposer à cette visite pour des motifs de défense nationale, de sécurité publique ou de troubles sérieux dans l'établissement ; si enfin le caractère secret des informations ou pièces qu'il sollicite peut lui être aisément opposé, quel rôle utile pourra-t-il bien jouer ?

M. Henri de Richemont. Effectivement !

M. Robert Bret. Ce ne sera pas la peine d'avoir un contrôleur général !

M. Jean-René Lecerf. Nous ne créons cette autorité indépendante ni pour satisfaire formellement au protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que la France a signé le 16 septembre 2005 et qui impose la mise en place d'un mécanisme national de prévention dans l'année qui suit sa ratification, ni pour nous donner bonne conscience face à un contrôle extérieur actuel que M. le rapporteur qualifie de « dispersé » et d'« insuffisant ».

Nous la créons pour participer à la transformation qualitative de nos prisons et, au-delà, des lieux de privation de liberté sur le territoire de notre République, afin que ce qui constituait hier une humiliation devienne demain digne de la patrie des droits de l'homme et des principes de 1789. (M. Louis de Broissia applaudit.)

M. Jean-René Lecerf. Ne serait-il pas naturel que dans certaines hypothèses très précises, où l'urgence se mêle à l'extrême gravité, où la santé, voire la vie, d'une personne peut se trouver en jeu, le contrôleur général puisse disposer d'un pouvoir d'injonction à l'égard de l'administration ? (Absolument ! sur les travées socialistes.)

Il n'y a là aucune défiance envers l'administration pénitentiaire. Simplement, l'administration ne disposant pas de certaines informations, elle ne peut en tirer d'enseignements. Ainsi, combien de fois a-t-on relevé l'insuffisance, voire la quasi-absence de relations entre les services pénitentiaires et psychiatriques d'un établissement, entre les membres du SMPR, le service médico-psychologique régional, et le personnel pénitentiaire ? Si le contrôleur général dispose d'une information couverte par le secret justifiant, par exemple, une mesure immédiate aussi banale que l'encellulement individuel sur l'heure d'un détenu, va-t-on le priver du droit de l'imposer à l'administration pénitentiaire et prendre le risque d'un drame dont l'actualité des prisons n'est malheureusement pas si avare ?

Enfin, je poserai de nouveau la question de l'opportunité de confier au Médiateur de la République le contrôle extérieur et indépendant des lieux de privation de liberté. J'y étais favorable hier lorsque votre prédécesseur, madame le garde des sceaux, a annoncé la décision du précédent Gouvernement de lui confier ce rôle, je n'ai pas changé d'avis.

De nombreux arguments plaident en faveur de ce choix : la volonté de s'appuyer sur la légitimité acquise et respectée du Médiateur, sa connaissance de l'univers carcéral, son savoir-faire en matière de réformes préventives et les importants pouvoirs dont il dispose déjà en l'état actuel de notre droit. S'y ajoute le souci d'éviter la dispersion des crédits publics, dans la mesure où l'extension des compétences d'une structure existante permettrait de diminuer notablement le coût budgétaire.

Or l'ambition du projet de loi, qui devrait concerner 5 500 lieux privatifs de liberté - 5 788, avez-vous dit, madame le garde des sceaux -, ambition que nous approuvons tous, nécessite la mise à disposition de moyens importants.

Enfin, nous sommes nombreux à déplorer la multiplication à l'infini des autorités indépendantes. Dans le rapport, de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, Les autorités administratives indépendantes : évaluation d'un objet juridique non identifié, notre éminent collègue Patrice Gélard recommande notamment de faire précéder la création de toute nouvelle autorité d'une évaluation afin de déterminer si les compétences qui lui sont confiées ne pourraient pas être exercées par une entité existante. (M. Louis de Broissia applaudit.)

M. Jean-René Lecerf. Je n'ignore pas, rassurez-vous, les objections à l'extension des compétences du Médiateur de la République. Elles tiennent, d'une part, à la nécessité de séparer les fonctions de médiation et de contrôle et, d'autre part, au statut même du Médiateur.

Si sa mission portait non seulement sur la médiation, mais également sur le respect des droits de l'homme, s'il accédait aux compétences pleines et entières d'un ombudsman, le débat serait profondément différent.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. D'accord.

M. Jean-René Lecerf. Le temps serait venu de s'interroger sur le regroupement dans ce cadre de plusieurs autorités aujourd'hui distinctes, comme la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, le Défenseur des enfants ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

J'attire d'ailleurs l'attention sur les risques de télescopage, de confusion, de perte d'énergie et de temps qu'entraînent nécessairement les compétences parfois enchevêtrées de ces diverses autorités, à l'égard des personnes privées de liberté. Je reconnais aussi que la question du Médiateur ne se pose pas de la même manière que les autres points précédemment abordés, dans la mesure où elle touche non pas au fond de la mission du contrôleur général, mais à ses modalités d'exécution.

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous ouvrons aujourd'hui un débat parlementaire sur un sujet particulièrement sensible. Avant la fin de cette année, nous le poursuivrons avec l'examen de la loi pénitentiaire qui, j'en suis convaincu, marquera une rupture qualitative avec le passé en redéfinissant le sens de la peine et les missions de l'administration pénitentiaire.

Les conséquences toucheront tant les personnes privées de liberté que le personnel pénitentiaire, car, comme cela avait été dit lors d'un débat en avril 2001, « chaque fois que l'on donne de l'espoir à un détenu, on favorise le travail de ses surveillants ».

Je n'étais pas encore sénateur lorsque ce débat a eu lieu, mais à la lecture du Journal officiel, j'ai été frappé tant par la qualité des interventions que par leur caractère très consensuel. Puissions-nous aujourd'hui faire aussi bien, alors que les chances d'aboutir n'ont jamais été aussi grandes.

Est-il besoin d'ajouter, madame le garde des sceaux, combien nous nous réjouissons - c'est en particulier mon cas - de pouvoir travailler avec vous et ainsi d'améliorer ces réformes, que nous considérons, eu égard à notre conception de la démocratie, comme essentielles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, un consensus se dégage actuellement sur la nécessité de créer une autorité indépendante chargée de contrôler les lieux de détention français. Je me félicite, madame le garde des sceaux, que vous soyez parvenue à inscrire à l'ordre du jour de notre assemblée un texte que l'on attendait depuis longtemps.

Il est toutefois dommage que la France ne concrétise aujourd'hui ce projet que poussée par ses obligations internationales. La patrie des droits de l'homme apparaît en fait à la traîne des grandes nations et en retard sur l'histoire.

M. Robert Bret. Eh oui !

M. Charles Gautier. Depuis environ vingt ans, le grand public ayant découvert les conditions de détention dans l'univers carcéral, il est devenu moins incongru de vouloir améliorer les conditions de vie des détenus. À cet égard, il nous faut reconnaître et saluer le travail intelligent et patient de l'Observatoire international des prisons.

En revanche, le fait que ce texte soit séparé de celui qui nous est annoncé pour l'automne sur l'ensemble de la situation pénitentiaire nous paraît difficilement compréhensible. Pourquoi ne pas tout régler en même temps ?

De nombreuses initiatives parlementaires ont vu le jour depuis 2001, telles que celles de nos collèges Louis Mermaz et Jean-Jacques Hyest, mais aucune n'a abouti. Des personnalités, devenues ministres depuis, sont intervenues pour dénoncer les conditions de vie dans certains lieux de détention français. Vous ne pouviez donc plus rester insensible à ce sujet, madame le garde des sceaux.

Malheureusement, les solutions proposées sont si diverses qu'il est difficile de parvenir à un consensus. La visite et le contrôle des lieux de privation de liberté comptent au nombre des prérogatives d'une multitude d'organismes et de fonctions.

Cette accumulation de structures spécifiques, sans aucune relation entre elles, demeure pourtant souvent inefficace. En outre, l'administration reste trop souvent muette face à leurs différentes suggestions.

Les autorités judiciaires, comme les parlementaires, ont certes le pouvoir de visiter inopinément un centre de privation de liberté, mais pour quel résultat ? Lors de mes visites des centres de détention de mon département, je n'ai pu que constater, puis interpeller, sans grande conséquence. Le parlementaire dispose plus d'un pouvoir d'information que d'un réel moyen d'action.

Certes, votre texte améliore l'existant puisqu'il crée une autorité administrative indépendante que pourront saisir le Gouvernement et les parlementaires, mais également des personnes physiques, ainsi que les associations ayant pour objet le respect des droits fondamentaux.

L'OIP a toutefois mis un bémol et s'est inquiété de la protection des détenus qui effectueraient eux-mêmes cette démarche. En effet, on sait tous aujourd'hui qu'il n'est pas évident pour un détenu d'émettre des critiques envers l'administration pénitentiaire qui gère son quotidien !

Ce texte fait d'ailleurs l'objet de plusieurs critiques, de la part des auteurs des précédents textes et des acteurs de terrain. Cela n'est pas sans nous rappeler, dans la démarche, le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Ainsi, le projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui, madame le garde des sceaux, ne prévoit qu'un seul contrôleur général. Certes, le texte envisage qu'il pourra avoir des assistants, directement recrutés par lui. Pourtant, leurs compétences et l'étendue de leurs pouvoirs ne sont pas définies. Nous aimerions donc avoir un peu plus de détails sur le dispositif qui sera mis en place, madame le garde des sceaux.

Il est par ailleurs prévu que seul le contrôleur général pourra visiter les lieux de privation de liberté, mais aucune énumération ou précision ne nous est donnée. Certaines questions restent donc en suspens quant aux lieux concernés.

De plus, ce texte concerne bien plus que les quelque deux cents prisons françaises. Il s'appliquera à tous les lieux de privation de liberté, soit près de 6 000, comme cela a été rappelé tout au long de la matinée. Il est donc sûr que certains d'entre eux ne seront jamais visités et que le contrôleur général sera très vite débordé.

Que dire du fait que le contrôleur général devra informer de sa visite les autorités responsables des lieux de privation de liberté ?

Mme Bariza Khiari. Elles auront le temps de faire le ménage !

M. Charles Gautier. Ces dernières auront d'ailleurs la possibilité de s'y opposer. Vous le voyez, les pouvoirs du contrôleur général seront extrêmement limités.

On mesure donc l'importance de la mission des contrôleurs assistant le contrôleur général et la nécessité de bien définir et de bien délimiter leurs fonctions et attributions.

Pourquoi ne pas avoir repris les propositions du rapport Canivet à ce sujet, qui prévoyait de façon détaillée trois organes distincts, aux fonctions bien différentes, avec parfois des compétences territoriales bien définies ? Il était prévu que des médiateurs locaux - des citoyens bénévoles - agissent dans un périmètre limité et pour des actions bien définies, servant en quelque sorte d'intermédiaires entre les détenus et l'administration pénitentiaire.

Vous vous flattiez récemment dans la presse, madame le garde des sceaux, de reproduire le système britannique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui.

M. Charles Gautier. Or celui-ci déploie une quarantaine de contrôleurs pour les seules prisons d'État. Quelle différence !

Certes, madame le garde des sceaux, votre texte a le mérite d'exister, mais il est bien en retrait par rapport à ce qu'en attendent les spécialistes de ce secteur, ainsi que les détenus et leurs proches.

On a l'impression que plusieurs articles du projet de loi ne visent qu'à décrire ce qui peut venir limiter, voire entraver, l'action du contrôleur général.

M. Robert Bret. C'est tout à fait ça !

M. Charles Gautier. Surtout, de grâce, n'en faites pas un « contrôleur général à capacité très limitée », comme si vous en annonciez la création à regret !

Par ailleurs, cela a été dit plusieurs fois, la nomination par simple décret du contrôleur général ne satisfait pas grand monde. Beaucoup s'inquiètent de la dépendance possible du contrôleur à l'égard du pouvoir en place. Sans compter que cette procédure de nomination est contradictoire avec les positions prises par le futur Président de la République pendant la campagne électorale : il préconisait en effet une validation par le Parlement des autorités administratives indépendantes.

Il est donc indispensable que la désignation de ce contrôleur soit le résultat d'un accord des commissions compétentes du Parlement.

J'ajoute que le titulaire du poste devra être une personnalité reconnue pour son action et son expérience dans le domaine des droits de l'homme et du combat pour la dignité des détenus.

La première désignation sera donc un véritable test de votre volonté de rendre cette nouvelle autorité efficiente et indispensable.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes bien d'accord !

M. Charles Gautier. Votre crédibilité est à ce prix !

Quant à l'étendue de ses moyens d'action, le texte omet de reprendre ce qui figurait dans les précédentes propositions.

Il en est de même s'agissant des relations prévues entre le procureur de la République et le contrôleur général. Ce dernier n'a, dans le projet de loi, de lien qu'avec les ministres, et ne leur formule que des avis. Tout dépendra donc du ministre concerné et de son attention envers les détenus.

Pour conclure, madame le garde des sceaux, j'insisterai de nouveau sur l'impérieuse nécessité de voir les moyens suivre. Nous aimerions que vous nous rassuriez sur ce point, car, sans moyens, le contrôleur général ne sera pas capable de changer un tant soit peu les conditions de vie déplorables dans certains des lieux concernés par ce texte. Sans moyens de fonctionnement sérieux mis à sa disposition, ce projet de loi restera un acte quelconque de plus, sans aucune conséquence réelle.

Notre groupe sera attentif aux réponses que vous voudrez bien apporter à l'ensemble de ces questions, ainsi qu'au sort qui sera réservé aux amendements proposés. Nous espérons de très nettes clarifications ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous accueillons avec satisfaction les efforts affichés par le Gouvernement pour permettre à la France de mettre son système juridique et pénitentiaire en conformité avec ses engagements internationaux en matière de protection des droits humains.

La session extraordinaire s'est d'ailleurs ouverte sur la ratification de nombreux textes d'une très grande importance, et il faut s'en réjouir.

II convient cependant de noter que la France n'a pas encore ratifié le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture. Pourquoi une telle réticence, madame la ministre ? Le système juridique français n'est pourtant pas à ce point incompatible avec les engagements internationaux de la France.

C'est d'ailleurs ce protocole qui oblige la France à créer une autorité indépendante de contrôle des lieux de privation de liberté, ce qui est l'objet du présent projet de loi.

Aujourd'hui, il ne devrait plus exister d'obstacle juridique à la ratification du protocole et, pourtant, celle-ci n'est pas à l'ordre du jour. Alors, pourquoi ?

En réalité, il me semble que le Gouvernement n'entend pas se conformer exactement au protocole. En effet, le contrôleur qu'il crée est une « pâle » représentation de ce que la communauté internationale attend en la matière. Ne faisons donc pas preuve d'angélisme ni d'une satisfaction exagérée concernant ce contrôleur.

La véritable question est de savoir non pas si un contrôleur d'apparat est mis en place en France, mais si un véritable contrôle des lieux de privation de liberté, efficace et indépendant, sera exercé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Sur ce point, madame la ministre, permettez-moi de vous dire que ce que vous nous proposez aujourd'hui est assez minimaliste. Votre projet de loi reprend le principe d'un contrôle extérieur des lieux de privation de liberté, mais il ne va guère plus loin.

Instituer un contrôleur ne sert à rien si vous ne lui donnez pas les moyens juridiques, matériels et humains de mener à bien sa mission de contrôle et de surveillance. Instituer un contrôleur général ne sert à rien si ses pouvoirs ne vont pas au-delà de ceux des parlementaires ni de ceux de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Madame la ministre, on n'envoie pas un pompier éteindre un incendie avec un saut d'eau !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si, parfois, au début de l'incendie !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Si un contrôleur général doit exister en France, il doit être une autorité de référence en matière de contrôle des lieux de privation de liberté. Il doit veiller à la sécurité des détenus, à leurs conditions de vie, au respect de leurs droits et, notamment, de leur dignité. Il doit être utile en ce qui concerne la future réinsertion de ces détenus. Il ne saurait être une énième autorité venant ajouter son nom à la longue liste des autorités déjà compétentes en la matière.

Un seul contrôleur doté de larges pouvoirs d'injonction vaut mieux qu'une juxtaposition de contrôleurs dont les pouvoirs seraient limités.

Votre texte instaure un contrôleur général, mais il ne crée pas les conditions nécessaires à la mise en oeuvre d'un contrôle efficace, effectif de tous les lieux de privation de liberté. II suffit de comparer ce projet de loi avec les règles internationales en la matière pour se rendre compte à quel point il est bien en deçà des exigences internationales et européennes.

L'efficacité d'un contrôle des lieux de privation de liberté repose sur plusieurs éléments, qui font malheureusement défaut dans le texte que nous examinons.

D'abord, le contrôle, pour être efficace et probant, doit pouvoir se faire de manière spontanée et impromptue. En vertu du protocole facultatif, les États autorisent des visites régulières et sans autorisation préalable des autorités responsables. Cette possibilité de visiter les lieux sans préavis est la garantie fondamentale que les autorités ne pourront se soustraire à leurs responsabilités et se défendre de leurs carences. Sur place et sur pièces, le contrôleur pourra témoigner des dysfonctionnements d'un établissement.

Avertir les autorités, c'est leur reconnaître la possibilité de camoufler leurs propres carences et leurs propres négligences. Les visites ne doivent pas donner lieu à la mise en place de cache-misère temporaire.

Évitons au contrôleur général de subir les odeurs de peintures fraîchement refaites pour les soins de sa visite ! Donnons-lui la possibilité de faire état de la réalité des conditions de privation de liberté, pas d'une réalité virtuelle soigneusement orchestrée par les autorités avisées au préalable.

Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, pourquoi nous, parlementaires, disposons du droit de visiter sans préavis les lieux de privation de liberté et pas le contrôleur général ?

Si vous souhaitez mettre un terme, comme le souligne M. Hyest dans son rapport, à un « contrôle dispersé et insuffisant », il faut qu'à tout le moins le contrôleur général dispose de plus de compétences que les parlementaires, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et d'autres autorités encore. Votre projet de loi n'unifie pas les contrôles existants : il nivelle leur effectivité et leur efficacité vers le bas.

Vous le savez, la force d'un contrôleur général, c'est son indépendance. Or, dans ce texte, le contrôleur général est supposé indépendant, mais sa compétence est en réalité liée dans tous les champs de son action.

Il ne peut librement visiter les lieux de manière inopinée et sans déposer de préavis.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il pourra se voir opposer un refus fondé sur des considérations absurdes telles que « les troubles sérieux dans l'établissement », alors qu'une visite pourrait justement s'avérer utile en de telles circonstances.

De surcroît, il ne peut librement publier ses avis ni les réponses des autorités, alors que, vous le savez bien, la transparence de son travail est nécessaire à son indépendance. Il ne peut alerter le procureur de la République des faits dont il pourrait prendre connaissance. Il ne pourrait même pas présenter ses conclusions, objectives et fiables, au cours d'une procédure judiciaire ayant un rapport avec des faits qu'il aurait pu constater.

À trop vouloir le museler, ce contrôleur général n'en est plus un : il ne sera qu'une chambre d'enregistrement de doléances, et ses conclusions ne seront qu'une compilation d'avis et de propositions sans effet obligatoire.

Dans votre projet de loi, le contrôleur général est une autorité consultative, pas une autorité indépendante ayant des pouvoirs d'injonction. Dans ces circonstances, l'exigence d'efficacité et d'effectivité n'est plus.

Ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat et moi-même avons saisi, au mois de juin 2006, la Commission nationale de déontologie de la sécurité pour cinq affaires concernant les conditions de détention dans le centre pénitentiaire de Liancourt. Depuis, certains surveillants ont été condamnés et plusieurs procédures sont en cours. Dans ses recommandations, la CNDS a décidé, le 16 janvier 2007, de saisir le procureur de la République de ces faits.

Il faudrait que le contrôleur général ait, lui aussi, des compétences pour être efficace et pour exercer un pouvoir effectif. Or vous remarquerez, madame la ministre, que les droits des parlementaires combinés à ceux de la Commission nationale de déontologie de la sécurité sont plus efficaces que le système que vous nous présentez.

De deux choses l'une : soit le contrôle indépendant que vous souhaitez mettre en place est supérieur en qualité, en effectivité et en moyens à ceux qui existent déjà, soit son existence est un leurre, une nouvelle mesure d'affichage politique incomplète et biaisée par rapport aux engagements internationaux de la France.

Nous avons déposé plusieurs amendements qui visent à donner au contrôleur général la place qu'il mérite : un droit de visite large, sans restrictions absurdes ; un droit de publication de ses avis et des réponses des autorités sans autorisation préalable ; un droit de saisir le procureur de la République des faits dont il pourrait prendre connaissance ; un droit d'intervenir dans une procédure judiciaire en qualité d'amicus curiae afin d'éclairer les juges de ses constatations.

C'est à ce seul prix que le contrôleur général pourra exercer un contrôle indépendant et conforme au principe du respect de la dignité des personnes privées de liberté tel que découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Car malgré la privation de liberté, l'égalité et les droits doivent pouvoir subsister ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'ont dit MM. Hyest et Béteille, le Médiateur, Jean-Paul Delevoye, a fait un travail remarquable en matière de médiation dans les prisons. Il a enrichi nos propres travaux et contribué à souligner la nécessité de créer un contrôle indépendant. Cependant, le rattachement de la fonction de médiateur à l'institution de contrôle créerait une véritable confusion dans les missions.

J'ai également noté votre souhait, monsieur le président de la commission des lois, que le contrôle des autorités judiciaires soit plus effectif sur les activités des prisons. Je le rappellerai aux chefs de cour, en leur précisant que c'est non seulement mon souhait, mais aussi celui de votre Haute Assemblée.

Mon dispositif reprend la proposition de loi que vous aviez déposée, monsieur Hyest, adoptée à l'unanimité par votre assemblée le 26 avril 2001, en confiant le contrôle à une autorité indépendante et spécifique.

S'agissant des moyens alloués au contrôle général, vous en débattrez dans le cadre du projet de loi de finances pour 2008. Le Gouvernement vous proposera alors de doter celui-ci d'une vingtaine emplois et d'un budget de 2,5 millions d'euros.

Cette enveloppe pourra être revue à la hausse les années suivantes, en fonction de la charge de travail effective du contrôleur. Il faut savoir que le contrôleur anglais a commencé avec six personnes, pour une population carcérale nettement supérieure à la nôtre. Aujourd'hui, celle-ci est de plus de 82 000 personnes, mais elle a atteint parfois 88 000 voire 90 000 personnes, ce qui n'est pas notre cas.

Il faut également savoir que le budget prévu pour le contrôleur sera plus élevé que celui du Défenseur des enfants, qui s'élève actuellement à 1,8 million d'euros, et représentera plus de 25 % de celui du Médiateur, qui atteint 8,5 millions d'euros aujourd'hui, étant précisé que ce dernier instruit plusieurs millions de demandes individuelles.

La Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente, présidée par M. Chemin, magistrat à la Cour de cassation, exerce un contrôle d'une très grande efficacité, comme l'a rappelé M. Hyest. Le projet de loi ne prévoit ni n'implique sa suppression. Cependant, le Gouvernement est d'avis qu'il n'est ni utile ni souhaitable de faire coexister plusieurs mécanismes de contrôle ayant le même rôle. Aussi sa suppression sera-t-elle sans doute, à terme, envisagée.

Monsieur Détraigne, vous avez exprimé des craintes sur les pouvoirs du contrôleur, en particulier concernant la restriction apportée à la possibilité de procéder à des visites inopinées.

Le texte prévoit le principe selon lequel les visites doivent être programmées. Elles présentent ainsi l'avantage d'être plus approfondies. Lorsque nous lui avons rendu visite, le contrôleur britannique, Mme Owers, nous a indiqué qu'il mettait en place ce type de visites pour permettre un meilleur travail d'approfondissement, notamment lors de la rédaction des recommandations.

Pour autant, le texte prévoit que les visites inopinées seront possibles dans certaines circonstances particulières. Il semblerait donc que l'intention du Gouvernement ait été mal comprise sur ce point. Les visites inopinées auraient été possibles en cas de plainte ou de dénonciation ou même en cas d'événement particulier signalé au contrôleur. Ainsi, le champ des visites inopinées sera très large. Mais peut-être ce point devra-t-il être clarifié par nos débats.

Vous m'avez également interrogée sur la signification de la notion de personne morale dont l'objet est la défense des droits fondamentaux.

Le contrôleur doit protéger les libertés individuelles. Il est donc normal que les associations de défense des droits de l'homme puissent le saisir.

Monsieur Othily, je sais que vous êtes très attentif à la situation des prisons. Vous avez appelé de vos voeux le vote d'une loi pénitentiaire. Je partage pleinement cette volonté. Je souhaite que l'ensemble des questions soient examinées à cette occasion : la politique d'aménagements des peines, les droits des détenus, les régimes de détention - il faut aussi qu'ils puissent être différenciés et adaptés -, les missions du service public pénitentiaire et de ses personnels.

Nous pourrons consolider avec M. Delevoye le rôle des délégués du Médiateur dans le cadre de cette loi pénitentiaire.

Madame Assassi, je m'étais engagée lors de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive à présenter un texte sur le contrôle des lieux de privation de liberté C'est aujourd'hui chose faite !

Vous avez souhaité que le contrôleur général dispose d'un pouvoir d'injonction. Je vous rappelle qu'il exercera un magistère moral. La publicité de ses avis et de ses recommandations lui permettra d'être un aiguillon pour l'administration. En outre, son rapport sera rendu public et remis au Parlement ainsi qu'au Président de la République.

En revanche, il serait problématique d'attribuer un pouvoir d'injonction au contrôleur général. Le contrôleur empiéterait en effet sur les pouvoirs du juge. Peut-on imaginer qu'il ordonne la sortie d'un détenu alors que ce dernier a été condamné par un juge ? Peut-on également imaginer qu'il mette fin à une garde à vue décidée par le procureur ?

Le pouvoir d'injonction est de nature juridictionnelle. Confier un pouvoir si général à une autorité indépendante serait donc contraire au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. À cet égard, je sais que c'est aussi le sentiment d'éminents constitutionnalistes, dont votre collègue, le doyen Patrice Gélard.

Monsieur Badinter, vous avez insisté sur l'importance de la personnalité qui sera nommée à cette éminente fonction. Je partage votre souci. Je puis vous garantir que le Gouvernement sera particulièrement vigilant sur ce point.

Si le processus de nomination n'intègre pas le Parlement à ce stade, les travaux de la commission présidée par M. Balladur, qui viennent de s'engager à la demande du Président de la République, permettront des avancées sur ce point. Mais le Gouvernement ne souhaite pas anticiper sur ses conclusions.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est dommage !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement répond à la demande de cette commission, monsieur le sénateur. On peut en effet lui laisser le temps de réfléchir et de remettre ses conclusions.

M. Jean-Pierre Sueur. Le Parlement n'est pas tenu par les réflexions d'une commission qui vient de se mettre en place !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il s'agit d'ailleurs d'un comité !

M. le président. Où vous avez beaucoup d'amis, monsieur Sueur ! (Sourires.)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Lecerf, vous avez indiqué vous-même les raisons pour lesquelles il était difficile d'envisager de confier ce rôle de contrôle au Médiateur. Vous avez exprimé des craintes sur le fait que le contrôleur pourra se voir interdire la communication de documents pour protéger certains secrets.

Il est normal que le contrôleur ne puisse avoir accès à l'ensemble du plan d'une base militaire classée secret défense pour aller contrôler un local de détention au sein de cette base. De même, il est de bons sens que le contrôleur ne puisse avoir accès au procès-verbal de l'audition d'un terroriste, au nom de la sûreté nationale, en allant contrôler un local de garde à vue.

Cependant, il aura accès à tous les documents possibles. Bien évidemment, les documents soumis au secret de l'instruction ou au secret défense seront plus difficiles d'accès.

Pour la même raison, il est conforme à nos règles de droit que le contrôleur ne puisse avoir accès à l'ensemble des pièces d'une garde à vue, au nom du secret de l'instruction et du lien entre l'avocat et son client. Au reste, ces pièces sont déjà considérées aujourd'hui comme confidentielles.

Il est également logique que le contrôleur ne puisse avoir accès à l'ensemble des dossiers d'un hôpital psychiatrique. Dans ce cas, l'immixtion du contrôleur dans la relation entre le médecin et ses patients serait excessive.

Vous le voyez, toutes ces exceptions reposent sur des cas concrets. Mais le secret ne sera pas opposé dans la grande majorité des contrôles, notamment pour le contrôle des prisons.

Monsieur Gautier, vous avez indiqué l'importance du rôle des contrôleurs qui assisteront le contrôleur général. Il appartiendra à ce dernier de s'entourer de toutes les compétences nécessaires. Toutes les garanties seront apportées par le décret pris en Conseil d'État. En effet, les missions des contrôleurs qui assisteront le contrôleur général ne sont pas une décision de nature législative.

Madame Boumediene-Thiery, vous m'avez interrogée sur la ratification du protocole facultatif à la convention, signé en 2005. L'objet de ce projet de loi est précisément de prévoir un cadre juridique adapté pour permettre cette ratification. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté
Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par MM. C. Gautier, Badinter, Mermaz, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 59, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté (n° 371, 2006-2007).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la motion.

M. Louis Mermaz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mise en place d'un contrôle indépendant des lieux de privation de liberté répond à une exigence internationale prévue par le protocole facultatif à la convention des Nations unies du 18 décembre 2002, signé par la France le 16 septembre 2005. Il faut savoir que la France s'est engagée à le ratifier avant la fin du premier semestre de 2008. Or le protocole onusien est en vigueur depuis juin 2006...

Cette mesure, annoncée dès 1999 à la suite du rapport de la commission Canivet de juillet 1999, a été reprise dans les rapports de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale et de celle du Sénat portant sur la situation dans les prisons françaises.

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait suggéré la création d'une délégation générale à la liberté individuelle, autorité indépendante chargée de contrôler tous les lieux d'enfermement. Pour sa part, le Sénat avait ouvert la voie, en 2001, en adoptant une proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel portant notamment création d'un contrôle général des prisons.

Depuis, plus rien, jusqu'à la fin de la législature, qui s'est achevée au printemps 2002, ni tout au long de celle qui s'est étendue de 2002 à 2007.

À l'examen du présent projet de loi et des amendements adoptés par la commission des lois, une question se pose : la création, telle qu'elle est prévue, d'un contrôle général des prisons permettra-t-elle vraiment d'alerter l'opinion, les pouvoirs publics, le Gouvernement ? Aura-t-elle des conséquences sur l'évolution de la politique pénale en France, sur les moyens mis à la disposition des ministères de la justice, de la santé et de l'intérieur ?

Encore faut-il que le contrôleur général tel qu'il nous est proposé dispose de moyens réels pour exercer sa mission !

Madame la garde des sceaux, au cours de la discussion générale, vous avez déclaré : « Ce projet de loi est d'abord le vôtre ». Nous ne le pensons pas ! Voyons donc de quoi il retourne.

La commission des lois du Sénat, se souvenant de la proposition de loi qu'elle avait adoptée en 2001, s'est sentie obligée de remédier - en partie seulement, hélas ! - aux carences, aux insuffisances et aux ambiguïtés du texte gouvernemental. Ce faisant, elle n'a accompli qu'une partie du chemin indispensable pour assurer l'indépendance et l'efficacité du contrôle général des lieux privatifs de liberté.

L'examen des amendements de l'opposition n'ouvrant la plupart du temps aucun espace à la confrontation des points de vue ni au dialogue et se concluant par des réponses mécaniques, trop souvent de la part du rapporteur ...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comment ça ?

M. Louis Mermaz. ... et toujours de la part du Gouvernement, il semble judicieux de voter la présente motion de renvoi à la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y a eu une réunion de la commission ce matin !

M. Louis Mermaz. Cela aurait l'avantage de permettre, dans un climat, souhaitons-le, apaisé - vous y contribuerez, monsieur le président-rapporteur -, de doter la France d'un véritable contrôle général conforme à ses engagements internationaux.

Le Sénat s'honorerait en ouvrant ainsi la voie à un autre regard des pouvoirs publics et de l'opinion sur les libertés, trop souvent bafouées hypocritement, malgré d'innombrables professions de foi non suivies d'effet.

Si le présent projet de loi a été amendé par la commission des lois, il l'a été trop timidement. Certaines dispositions ont quand même été retenues, par exemple pour le contrôle des établissements psychiatriques, pour le futur statut du contrôleur général, pour la saisine du procureur de la République ou l'indépendance financière du contrôleur. Cependant, quid de la réalité des moyens financiers mis à sa disposition ? Le Gouvernement parle de dix-huit emplois seulement, alors que tout le monde s'accorde à penser que le minimum serait de quarante et un. On peut donc se poser des questions ! La commission des lois a aussi décidé qu'il y aurait lieu de veiller à une bonne coopération avec les organismes internationaux. Ces choses vont dans le bon sens.

Nous apprécions aussi le voeu, même s'il ne s'agit que d'un voeu, selon lequel le choix de la première personnalité appelée à exercer de telles fonctions devra asseoir le magistère moral de cette autorité. Toutefois, nous attendrons pour voir.

Cependant, nous déplorons que le projet de loi, tel qu'il nous arrive de la commission des lois, ne soit pas accompagné d'une étude d'impact, ce qui aurait permis d'apprécier l'ampleur des tâches qui attendent le futur contrôleur général et des moyens qu'il conviendrait de mobiliser. Est-ce parce que le Gouvernement et sa majorité répugnent à voir dresser le tableau de la situation provoquée depuis cinq ans dans les prisons, dans les zones d'attente ou les centres de rétention administrative, dans les lieux de garde à vue ou les dépôts des palais de justice par l'effet des lois répressives Perben et Sarkozy ?

Une étude d'impact aurait d'abord permis de prendre pleinement conscience de la surpopulation carcérale, que le récent projet de loi renforçant la lutte contre la récidive, dont vous portez la responsabilité, madame la ministre, risque d'aggraver. En effet, au 1er juin 2007, on comptait plus de 60 000 détenus pour 50 000 places. Des prévisions font même état de 80 000 emprisonnements à l'horizon de 2017, d'où des conditions de vie d'ores et déjà effrayantes dans nos prisons et une montée des violences entre détenus et, parfois, à l'égard du personnel pénitentiaire.

Une étude d'impact aurait ensuite permis d'apprécier la situation réservée aux immigrés dits en situation irrégulière dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative - véritables geôles de la République -, situation qui s'est aggravée avec le démantèlement du droit d'asile à la suite du vote de la loi du 10 décembre 2003.

Devant la gravité extrême de la situation, nous souhaitons que le contrôle satisfasse pleinement aux obligations établies par le protocole des Nations unies. Mais alors, pourquoi ne pas reprendre les dispositions de la proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel, adoptée ici même en 2001, et les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions pénitentiaires ? Pourquoi cette reculade ?

Nous ne pouvons ainsi nous satisfaire de la procédure de nomination du contrôleur général. C'est là un point fondamental à nos yeux. Le Gouvernement aurait-il déjà oublié son engagement et celui du Président de la République d'associer pleinement le Parlement à la nomination des membres des autorités indépendantes ? Même si l'on nous objecte qu'un comité Théodule sur l'évolution des institutions vient d'être mis en place, cela ne saurait nous satisfaire.

Si une autorité garante des libertés et de la dignité des personnes échappe à cet engagement, voilà qui augure très mal de la suite. Comment le Sénat pourrait-il se contenter d'un avis simplement consultatif des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat ? Comment accepter une telle négation des droits du Parlement ?

Il est temps de rompre avec le type de nomination de tant d'organismes et de conseils, qui foisonnent et dont les prétendues prérogatives empiètent sur les droits de la représentation nationale. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de mettre un terme à cet abaissement du Parlement en faisant preuve d'un minimum de responsabilité et d'audace.

De plus, puisque le contrôleur général aura vocation à s'occuper de quelque 5 500 lieux privatifs de liberté, nous ne pouvons nous satisfaire du flou qui entoure la nomination et les pouvoirs des contrôleurs destinés à l'assister, flou qui peut faire craindre que ce nouvel organisme ne dispose pas des moyens nécessaires à l'accomplissement de missions nombreuses et excessivement variées. Pourquoi ne pas aller vers une spécialisation des contrôleurs et un rôle de coordination dévolu au contrôleur général ?

Nous devons constater, par ailleurs, le silence, plutôt l'omission sur le contrôle des lieux de détention situés à l'étranger et placés sous une autorité civile ou militaire française.

Tout aussi graves nous apparaissent les restrictions apportées aux visites du contrôleur général et des contrôleurs. Ces visites, quoi qu'ait dit Mme la ministre, doivent absolument pouvoir s'effectuer à tout moment du jour et de la nuit, éventuellement, bien sûr, de façon inopinée, sans restriction d'aucune sorte comme c'est le cas pour les parlementaires.

Toute personne retenue doit également pouvoir saisir le contrôleur et obtenir de s'entretenir avec lui. De même, celui-ci doit pouvoir entendre toute personne intervenant dans un centre privatif de liberté, chaque fois qu'il le jugera nécessaire.

Enfin, les pouvoirs d'investigations du contrôleur général doivent être illimités. La commission n'a fait qu'un geste en se bornant à supprimer la référence à la sécurité des lieux. Toutes les restrictions énumérées par le projet de loi - du prétendu secret de la défense nationale à la sûreté de l'État - risquent d'aboutir à des entraves insupportables et arbitraires, alors que le contrôleur général est lui-même tenu au secret professionnel pour les informations qu'il recueille.

De même, si nous ne voulons pas que les rapports du contrôleur général viennent seulement garnir les rayonnages des ministères sans avoir de suite, il importe que le ministre de la justice, une fois informé, soit tenu de répondre.

Enfin, le contrôleur général doit formuler et rendre publics non seulement des avis, des recommandations, des propositions, mais aussi des injonctions, surtout lorsqu'il s'agit, dans la détention ou dans l'enfermement, d'atteintes aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Il n'a jamais été dans notre intention d'empiéter sur le pouvoir juridictionnel, qui, bien entendu, est maître de la détention.

Madame la ministre, mes chers collègues, si nous voulons vraiment conférer au contrôleur général le statut et les moyens qui lui permettront d'agir, et non pas de faire semblant, il convient que la commission des lois se remette au travail, dans l'esprit, au demeurant, de la proposition de loi votée en 2001 sur l'initiative de MM. Hyest et Cabanel, en prenant en compte également les engagements formulés par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.

En effet, ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est un contrôle général a minima. Le Gouvernement s'est largement préoccupé d'encadrer et de contrôler les faits et gestes du contrôleur général, comme s'il était déjà suspect !

Quoi qu'il en soit, il restera ensuite, pour rendre le présent projet de loi opérationnel, à voter une loi pénitentiaire et à donner aux ministères de la justice, de la santé, de l'intérieur, les moyens de faire face à leurs obligations. Ce devrait être l'objet de nos travaux cet automne.

En tout état de cause, donner à notre pays un véritable contrôleur général des lieux privatifs de liberté, ce serait déjà s'engager sur la voie de la réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J'essayerai de ne pas vous faire une réponse « mécanique ». (Sourires.)

M. Louis Mermaz. Quel bonheur !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le sénateur, nous avons eu plaisir à vous entendre. En effet, dans la mesure où vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet, notamment lors de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les lieux de détention, il eût été dommage que nous ne vous entendions pas ! Cependant, votre critique de ce projet de loi me semble quelque peu systématique.

Il est vrai que nous allons instituer un contrôleur général des lieux de privation de liberté.

M. Alain Gournac. Et c'est très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est très bien, d'autant que le Sénat avait déjà ouvert la voie à ce processus en 2001 en adoptant une proposition de loi instaurant un contrôle général des prisons.

Nous avons donc une certaine expérience du dossier, après la commission d'enquête sur les prisons. Pourquoi dire que nous n'avons pas assez travaillé sur ce projet de loi et vouloir le renvoyer à la commission ?

Pour ma part il me semble urgent de créer un tel contrôle. Nous délibérons sur ce sujet depuis trop longtemps !

Vous avez d'ailleurs pris tant de précautions sous votre majorité que vous n'avez jamais rien fait à cet égard. Et aujourd'hui que nous instituons ce contrôle, à vos yeux, ce n'est pas bien !

M. Alain Gournac. C'est systématique !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par ailleurs, monsieur Mermaz, vous avez parlé de l'aggravation des conditions de détention dans notre pays. Veuillez m'excuser, mais c'est tout de même la loi d'orientation et de programmation pour la justice qui a permis la rénovation et la construction de nouveaux établissements, ainsi que la construction d'établissements pour mineurs que nous avions souhaités au Sénat ! Tout ça, ce n'est quand même pas une autre majorité qui l'a fait ! (M. Robert del Picchia opine.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, c'est toujours insuffisant.

La future loi pénitentiaire devra non seulement proposer un certain nombre de mesures, mais également être une nouvelle loi de programmation car nous ne sommes pas au bout de nos efforts pour rendre toutes les prisons de notre pays dignes.

Monsieur Mermaz, le Sénat a mené beaucoup de travaux antérieurs. Nous avons pu comparer. Comme en ont témoigné nos collègues au cours de la discussion générale, tout le monde est parfaitement informé.

Pour ma part, j'ai procédé à plus de trente auditions, lesquelles d'ailleurs étaient ouvertes à nos collègues de la commission. Beaucoup d'entre eux y ont participé, et c'était extrêmement intéressant.

Il serait paradoxal que nous ne nous estimions pas prêts à débattre de la création d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté alors que nous en avions déjà adopté le principe en 2001.

S'il nous arrive parfois de délibérer rapidement, je ne pense pas que ce soit ici le cas. Compte tenu du passé et de l'urgence à créer cet organisme indépendant, il n'y a pas lieu de réfléchir davantage.

Je suis donc défavorable à cette motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.  - M. Claude Biwer applaudit également.)

M. le président. Le Gouvernement souhaite-t-il s'exprimer ?...

Je mets aux voix la motion n° 59, tendant au renvoi à la commission.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 126 :

Nombre de votants 325
Nombre de suffrages exprimés 317
Majorité absolue des suffrages exprimés 159
Pour l'adoption 119
Contre 198

Le Sénat n'a pas adopté.

Demande de renvoi à la commission (début)
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